Quelques heures s’étaient écoulées.
La soirée s’annonçait belle et faussement paisible. C’était
le calme précédent la tempête. Avant de passer à l’attaque von Hauerstadt se
détendait en se promenant dans le camp. Ce fut ainsi qu’il fut le témoin de
scènes tragi-comiques, certes, mais quotidiennes.
Des soldats italiens
s’étaient introduits dans le campement allemand. Ils s’en venaient quémander de
la nourriture car l’armée africaine de Mussolini était loin de ressembler aux
fiers bataillons défilant dans Rome, le menton levé, vêtus d’uniformes
impeccables. Ici, les Italiens étaient voués à des chemises et des vareuses
crasseuses, leurs souliers percés le plus souvent. Les soldats de la péninsule
manquaient de tout. Il leur fallait donc économiser l’eau et c’était pourquoi
ils ne se rasaient que rarement. Quant à leur visage, on y pouvait lire à la
fois la lassitude et le défaitisme.
L’intendance fasciste
était au-dessous de tout. Les malheureuses troupes italiennes basées en
Cyrénaïque en étaient réduites à chasser les petits oiseaux en bricolant des
pièges compliqués à l’aide de tout ce qui leur tombait sous la main, débris
divers de meubles volés dans les maisons des villages désertés par les
autochtones. Tout cela afin de ne pas mourir de faim !
Si jamais le
ravitaillement arrivait, les boîtes de conserves s’avéraient avariées, ayant
depuis longtemps dépassé la date limite de consommation. Le botulisme faisait
des ravages et les soldats n’avaient plus qu’à remiser leur orgueil en allant
mendier chez l’Afrikakorps.
Mais il n’y avait pas
que l’intendance qui n’était pas à la hauteur. Les chars, les blindés aussi
faisaient défaut, victimes de pannes multiples. Résumons : uniformes
crasseux, voire rapiécés, chaussures en lambeaux, semelles décollées et rafistolées
avec les moyens du bord, blindés inutiles car inutilisables… elle était belle
la fière armée africaine du matamore Benito Mussolini !
Grâce à un sergent
magnanime, une trentaine d’Italiens avaient pu parvenir jusqu’aux tentes
servant de cuisines. Mais là, la consigne était formelle. Pas question de
gaspiller de la nourriture pour ces parasites qui étaient incapables de se
battre. Allez mendier ailleurs !
Or, le capitaine von
Hauerstadt avait suivi cette horde affamée avec une certaine pitié. Prenant à
part l’adjudant qui commandait le groupe, il lui dit en italien qu’il y avait
moyen de faire bombance ailleurs.
- La réserve, là-bas.
Mais ne vous montrez pas trop goinfres…
- No, capitano, répondit le sous-officier.
Mille grazzie.
Moins de deux minutes
plus tard, voici donc ces oiseaux de proie se jetant sur les boîtes de
conserves allemandes, sur les saucisses, sur les Delikatessen du sergent Otto Grass que le capitaine von Hauerstadt
avait retrouvé dans la compagnie. Lorsque le sous-officier revint de son tour
de garde, il dut accepter avec le sourire la razzia italienne.
- Euh… Herr
Hauptmann, je ne sais pas comment prendre la chose…
- Sergent, c’est pour
votre bien… vous me remercierez lorsque vous devrez courir.
- Sans doute…
- Un peu de diète ne
peut vous nuire, Otto. De plus, vous accomplissez une bonne action.
- Si vous le dites…
Cependant, les
Italiens, fort occupés à manger, Franz les abandonna et poursuivit sa visite. Ses
pas le conduisirent vers les bâtiments où étaient enfermés les prisonniers
ennemis. Il pénétra derrière les barbelés après avoir obtenu l’assentiment de
l’adjudant de veille.
Dans ce camp de
prisonniers, se trouvaient surtout des Britanniques, mais également quelques
Français de Londres. Avec amertume, Franz se rendit vite compte combien les
soldats français étaient traités différemment de leurs homologues anglais.
La distribution du
rata avait sonné. Les hommes de troupe reçurent une écuelle à moitié vide
contenant des rutabagas, un morceau de pain noir pour accompagner les légumes
et un ersatz de café qui n’avait qu’un lointain rapport avec ledit breuvage.
A la vue de ce triste
spectacle le jeune capitaine fut soudain pris de remords. Il se souvint alors
qu’il ne coulait dans ses veines que du sang français. En son for intérieur, il
espéra que les officiers fussent mieux considérés.
Or, un sergent-chef
s’avisa de la présence du capitaine de l’Afrikakorps.
- Tiens,
s’exclama-t-il bien fort, afin d’être entendu par ses camarades d’infortune
mais surtout par l’intrus. En voilà encore un qui vient nous narguer avec sa
mine de bien nourri et son bel uniforme tout neuf et tout propre… Foutu Boche,
va !
- Euh… tais-toi donc
Bruno, lui rétorqua un petit brun à l’accent marseillais reconnaissable à une
lieue. Si jamais il comprend ce que tu dis, nous sommes bons pour le
mitard !
Une seconde, Franz
hésita à répondre. Enfin, il trouva la meilleure des réparties. Vidant ses
poches, il jeta deux paquets de cigarettes aux trouffions. Ces derniers se
baissèrent pour ramasser cette manne inespérée. Le capitaine von Hauerstadt ne
fumait pas et ce geste généreux ne lui coûtait pas.
Un capitaine français
s’en vint remettre de l’ordre parmi les soldats et, voyant ce qui s’était
passé, aborda le jeune homme afin de le remercier. Son accent auvergnat faisait
chuinter les mots.
- Capitaine, merci.
C’est plutôt rare de voir un officier hitlérien capable d’un bon mouvement.
C’est très bien de votre part de ne pas vous être mis en colère à la suite de
l’apostrophe du sergent…
- Je n’avais rien à
répondre, jeta Franz, sauf à démontrer le contraire. Que pouvais-je faire de
ces cigarettes de toute manière ? Je ne fume pas. Elles auraient été
perdues. A moins de les distribuer à mes hommes…
- Morbleu !
S’exclama l’officier français. Vous parlez ma langue sans le moindre accent.
Vous êtes français, j’y mets ma main au feu.
- Pas du tout,
capitaine, lança Franz, le visage soudain fermé.
Son regard
s’assombrit et, sous une impulsion, il fit brusquement demi-tour. La colère
avait pâli sa figure.
Or, à peine eut-il
fait trois pas qu’il se heurta au jeune sous-lieutenant anglais arrêté deux
jours plus tôt par ses soins. Richard Dorworth osa se plaindre auprès de von
Hauerstadt d’une voix geignarde.
- Ah ! Ce n’est
pas trop tôt ! Enfin je tombe sur quelqu’un qui va m’écouter. Capitaine,
je suis heureux de vous voir. Je me trouve dans une situation intolérable.
Imaginez-vous qu’on me refuse mon thé de cinq heures. Ce n’est pas fair-play de
la part de vos compatriotes. Je vais faire une pétition. Assurément, je
récolterai de nombreuses signatures. Je ne suis pas le seul dans ce cas,
voyez-vous. Quand nous, les Britanniques, nous faisons des prisonniers, nous
respectons leurs traditions et nous acceptons volontiers de leur faire parfois
quelques petits plaisirs.
Un instant, Franz fut
ébahi devant à la fois tant d’égoïsme et tant de naïveté. Haussant les épaules,
il répondit à l’adolescent d’un ton sévère.
- Lieutenant, vos
plaintes sont injustifiées.
- Comment cela ?
Je vous croyais plus… civil… plus compréhensif… Nous partageons des valeurs
communes, non ?
- Ah oui ? Parce
que tous deux nous sommes nés nobles ?
- Euh… oui…
- Hélas pour vous, ce
n’est pas le cas ! Dorworth, vous avez le strict nécessaire, un lit, une
couverture, vous mangez régulièrement, vous avez les moyens de vous laver, de
vous raser. Vous pouvez même, si vous le souhaitez, recevoir du courrier.
Regardez les Français au lieu de ne penser qu’à votre petit confort personnel.
- Quoi les
Français ?
- Ils ne bénéficient
pas du quart de vos privilèges alors que, théoriquement, ce sont vos alliés.
- Certes, mais ce
n’est pas ma faute si vos supérieurs les estiment moins que nous, les
Britanniques.
- Dans ce cas,
pourquoi ne pas partager avec eux ce que vous recevez ?
- Je n’y ai pas pensé.
- Cela ne m’étonne
pas. Lieutenant, nous sommes en guerre et la moindre des choses est que des
alliés doivent s’entraider, se montrer solidaires, loyaux. C’est là le ciment
de toute alliance. Aussi bien dans la victoire que dans la défaite !
Rendu muet par la
diatribe du capitaine von Hauerstadt, le sous-lieutenant resta figé quelques
secondes. Des plaques écarlates marbrèrent ses joues. Richard avait honte et ne
pouvait le dissimuler.
Estimant que le
Britannique avait compris la leçon, Franz regagna ses quartiers. Il était temps
pour lui de prendre quelques heures de repos. Le lendemain, il allait devoir se
lever avant l’aube et cette journée serait cruciale pour les troupes de Rommel.
*****
Avril 1941.
Cyrénaïque.
Dès le lendemain
matin, la contre-offensive Erwin Rommel était enclenchée. Des grenadiers
allemands creusaient des tranchées à la pelle dans un sol rocailleux et leur
tâche s’avérait des plus pénibles.
Cependant, plus
nombreux étaient les soldats à foncer sur les positions anglaises.
Un Oberstleutnant de l’Afrikakorps
haranguait ses hommes, Luger en main. Il voulait leur transmettre sa foi en la
victoire de cette bataille. Mais il reçut de plein fouet une balle britannique
dans la gorge et il mourut en vomissant un flot de sang.
En fait, les
Allemands reculaient, encore en ordre, oui, mais jusqu’à quand ? Jamais
ils n’avaient rencontré une telle résistance de la part des Anglais. Bien vite,
Franz avait saisi que la panique allait s’emparer de ses hommes.
Alors, prenant une
mitrailleuse abandonnée par un des servants qui gisait blessé, à demi-mort, il
hurla à l’adresse de la compagnie :
- Le premier qui
fuit, je le tire comme un lapin !
Puis, le capitaine
fit feu sur une dizaine de Britanniques qui s’avançaient, l’arme au poing,
groupe avant-coureur d’une contre-attaque plus massive.
Les jeunes tommies
tombèrent blessés ou morts, fauchés par les rafales du capitaine von
Hauerstadt. Ensuite, se reprenant, les Allemands coururent à l’attaque,
galvanisés par ce geste de leur supérieur. Pour une fois, un gradé prenait
autant de risques qu’eux.
Ils furent nombreux à
dévaler les collines et les monticules en criant des encouragements, mais
beaucoup s’abattirent en route, recevant des tirs de mortiers et des balles qui
sifflaient stridentes à leurs oreilles.
Cependant, Franz,
portant la mitraillette, s’avança d’une cinquantaine de mètres face à l’ennemi,
courant et zigzaguant à plat ventre afin de réchapper au feu nourri. Puis,
parvenu à une position qu’il estimait adéquate, il s’installa derrière un amas
de corps sanglants qui le protégeaient des balles anglaises.
A peu près à l’abri,
il tira et ce, continument durant une demi-heure environ.
Grâce au courage de
leur capitaine, les Allemands progressèrent de deux cents mètres. Désormais la
victoire s’annonçait du côté de l’Afrikakorps.
Or, c’était sans
compter avec la témérité d’un adjudant-chef britannique, encore plus tête
brûlée que von Hauerstadt qui, contrarié de voir ses hommes tomber sous les
balles maudites de cette foutue mitrailleuse, avec cinq Tommies, parvint à
contourner la position du jeune capitaine ennemi.
Franz sentit la
menace, son sixième sens réveillé. Il se retourna brusquement mais il était
quasiment trop tard. Comme un seul homme, les Anglais firent feu. Plusieurs de
leurs tirs atteignirent le capitaine. Toutefois, malgré ses blessures, - aucun
organe vital n’avait cependant été touché - von Hauerstadt put, avant de
s’évanouir, lancer une grenade dégoupillée sur le commando. L’engin de mort
explosa, tuant les cinq Anglais. En une ultime grimace, Franz vit qu’il avait
réussi son coup.
Mais cet effort le
fit sombrer plus vite dans l’inconscience, la douleur le terrassant.
Ce ne fut que deux
jours plus tard qu’il rouvrit les yeux, sous la tente de l’infirmerie. Son état
était assez grave pour qu’il fût rapatrié à l’arrière, dans un hôpital de campagne,
loin du front. Il y resterait deux mois, deux trop longs mois à ses yeux, le
temps de se remettre et de recevoir la croix de fer deuxième classe avec
citation au tableau d’honneur.
*****
Même lieu, mais dix
mille ans plus tôt.
Ce n’était pas le désert.
La végétation méditerranéenne était rare mais présente toutefois. Un fleuve
paressait dans le paysage, charriant ses eaux jusqu’à la mer.
Inhabituellement, le
sage de la tribu qui hantait le coin apparaissait comme un jeune homme, aux
yeux d’un bleu profond intense, mais le teint était basané et les mains sûres
et expertes étaient capables de façonner bien des objets et artefacts. Ainsi,
en ce début de matinée, il donnait une leçon de poterie à des femmes vêtues
grossièrement de laine non cardée. Lui, était vêtu de même mais son cou
s’ornait d’un collier de coquillages qui, pour qui savait en déchiffrer le
sens, formaient, une fois assemblés, le code suivant :
M 14 700 X
38 023.
*****
Printemps 1941.
Normandie.
Le commando de
François Granier passait à la vitesse supérieure. Il avait décidé d’attaquer la
Kommandantur d’une petite ville voisine de Caen. L’ancien préparateur en
pharmacie ne mesurait visiblement pas tous les risques encourus.
Ignorant
naturellement tout cela, Elisabeth élevait des lapins afin d’avoir de la viande
fraîche tandis que Michel, le père, poursuivait son service au sein de la
gendarmerie. Toutefois, le brigadier détestait devoir obéir parfois à
l’Occupant.
Quant à Marc Fontane,
il soignait ses malades avec dévouement, mais il était trop souvent confronté à
la pénurie de médicaments. Antoine Fargeau, toujours vendeur de chaussures à
Caen, passait ses soirées en compagnie du jeune médecin. Tous deux mettaient sur
pieds un groupe de résistants qui, sans cesse s’étoffait, mais les deux hommes
savaient faire preuve de prudence.
*****
1177. Sous le règne
du roi Baudoin IV le Lépreux. Tripolitaine.
Une patrouille de
chevaliers tentait d’assurer la sécurité des populations musulmane et
chrétienne contre à la fois les pillards et la secte des assassins.
Voici donc les Francs
traversant un défilé pour tomber dans une embuscade tendue par des adeptes des
mangeurs de haschisch. Pas un seul de ces chevaliers ne devait survivre à ce
coup de main. Criblés de flèches, les corps des Roumis chutaient lourdement de
leur destrier tandis que les pillards se jetaient sur les cadavres afin de les
fouiller avec des you you empreint
d’une joie sauvage.
*****
1855. France.
La reine Victoria, en
visite en France, était reçue à la Cour impériale par Sa Majesté Napoléon III.
Elle apprécia chez ce dernier ses yeux bleus qui conféraient à son visage un air de lassitude extrêmement romantique mais également sa courtoisie raffinée. La petite dame boulotte ne s’étonna pas non plus d’entendre parler Louis Napoléon avec un accent tudesque prononcé.
Elle apprécia chez ce dernier ses yeux bleus qui conféraient à son visage un air de lassitude extrêmement romantique mais également sa courtoisie raffinée. La petite dame boulotte ne s’étonna pas non plus d’entendre parler Louis Napoléon avec un accent tudesque prononcé.
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