vendredi 21 décembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution française chapitre 20 1ere partie.



Chapitre 20


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Début mars 1782, marché de l’Île de la Cité, Paris, dix heures du matin. La presse était immense, la foule nombreuse et les clameurs assourdissantes. Tout était bon pour attirer le chaland. S’offraient aux regards du petit peuple les marchandises les plus variées et les plus odoriférantes: des fromages, des choux, des pois, des raves, des légumes secs, des courges, des coings, des pieds de porc, des bettes, des oiseaux piailleurs, des perdreaux, des pigeons, des grives, du lard, des vins en fût ou en flacon, de la bière, du vinaigre, de l’huile, des épices, de la moutarde, des rubans, des fleurs, des dentelles, des lacets, des boucles de chaussures, des almanachs et des petits livres de la bibliothèque bleue de Troyes, des chaussures ressemelées, des bas, de la toile, des chemises et des jupons écrus, et ainsi de suite. 
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Des porteurs d’eau peinaient sous leur charge, des vanniers tressaient des sièges et des paniers, des marchands de coco offraient leurs rafraîchissements pour un sol seulement. Il y avait même des seaux pour faire ses besoins, des « vas-y-donc » ou des « tire-pot » ou chacun pouvait soulager sa vessie ou vider ses intestins, non à la vue de tous, mais bien confortablement assis et enveloppé sous de vastes toiles. Un peu perdus au milieu de cette foule, les écrivains publics s’empressaient de rédiger une lettre d’amour galamment tournée ou encore d’écrire des missives destinées aux familles restées dans les provinces de ce beau et prospère royaume de France.
Des montreurs de marionnettes attiraient des enfants en développant tout leur art. Il en allait de même des bohémiens ou des forains qui gagnaient quelques piécettes en faisant danser des ours sur des mélodies et des rythmes fantaisistes.
Les odeurs les plus composites se mélangeaient, pas toujours désagréables tandis que les chèvres gambadaient en liberté sur le marché, croquant souvent avec malice des choux-fleurs qu’elles volaient au nez et à la barbe des marchandes de quatre saisons.
Partout, la volaille caquetait à qui mieux mieux, les chiens flairaient, se faufilaient, gémissaient ou grognaient, chapardant parfois de petits chapelets de saucisses ou mordant de leurs crocs jaunâtres des jarrets de porc.
Il fallait faire bigrement attention à ne pas glisser et chuter sur les pavés gras et irréguliers, maculés de déjections diverses. Les ânes, eux, restaient docilement attachés près des véhicules qu’ils tiraient et supportaient avec placidité les farces des gamins qui tentaient de leur faire perdre leur impassibilité.
Parmi les bohémiens, un grand barbu à la bedaine visible, aux longs cheveux sales tout emmêlés, coiffé d’un bonnet de laine à la couleur passée, les oreilles ornées d’énormes anneaux de cuivre, ayant enfilé au moins cinq ou six couches de vêtements dépareillés, s’époumonait à vanter les tours de son ours savant, Martin. Or, apparemment, l’animal récalcitrant s’embrouillait dans les pas de danse puisque le forain était obligé de faire claquer régulièrement la lanière d’un gigantesque fouet sur l’échine et les pattes du plantigrade afin d’obtenir quelque chose d’acceptable.
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- Martin, un peu plus de conviction, sacrebleu! Là, tu ne me rapportes rien. Ce soir, tu vas jeûner.
Un pseudo grognement lui répondit. Un curieux qui se serait approché aurait alors entendu quelques paroles geignardes provenant du gosier du faux ours.
- Oh! Capitaine! Un peu de miséricorde, je vous en prie… je n’ai plus vingt ans et je sue à mort dans cette pelisse. J’étouffe, vous n’avez pas idée!
Une personne avertie aurait reconnu le timbre de voix si caractéristique de Saturnin de Beauséjour et identifié, sous les oripeaux datant des Pink Floyd ou du Flower Power, Symphorien Nestorius Craddock dans ses œuvres.
- Moi non plus, je ne suis pas à la fête, bougre de rodomont, avec ces frusques de récupération de pirate peace and love des Îles Fortunées! Vous savez bien que nous sommes là pour une mission spéciale: épier Galeazzo ou ses sycophantes en train de faire emplette de freaks ou autres chourineurs abandonnés des dieux.
- Freaks? Je n’ouïs point ce mot étranger.
- Je veux bien me mettre à votre portée, Saturnin. Pensez à Eng et Tcheng, ou à la femme à barbe, ou encore au général Tom Pouce.
- Ah! Les monstres de foire.
- Eh oui! Ne me dites pas qu’on ne vous a pas raconté le coup de l’homme serpent. Compléta Craddock jouant de plus belle de son fouet.
- Ouille! Là, vous me déchirez les chairs.
Le Cachalot du Système Sol daigna cesser de tourmenter l’ancien chef de bureau.
- Regardez! Mais regardez donc! En face, imbécile! Quelque chose cloche.
Sans prendre garde, le capitaine administra un autre coup de lanière à Saturnin. Celui-ci faillit hurler.
- Craddock, maintenant, je saigne pour de bon!
- Apophtegme de mes deux, silence! Au lieu de gémir, visez plutôt ces loustics. S’ils sont nés sous Louis XV, je suis partant pour faire du vélo d’Aldebaran jusqu’à Cygnus tout en mangeant de la barbe à papa. Là-bas, à trente mètres, droit devant, il y a une espèce de Hun Hephtalite à la noix de coco fesse qui jacasse avec le « docteur Gogol » en compagnie de ce méchant distingué so british qui a connu la célébrité, si je me souviens bien, avec ce vieux truc bidimensionnel La Mort aux trousses. Heureusement que le commandant a fait mon éducation cinématographique. À croire qu’il a anticipé cette rencontre.
Du menton, Craddock désignait trois individus qui, malgré tout leur art du déguisement, faisaient quelque peu tache dans ce XVIIIe siècle. Il s’agissait de Ti, le cousin d’origine Thaïe de Sun Wu, de Peter Lorre et de James Mason. 
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- Euh… capitaine, je suis peut-être sot mais moi, je ne vois pas en quoi la présence de ces trois hommes peut vous déranger.
- Crème d’ahuri! Vous avez évidemment zappé les cours de rattrapage de Daniel Lin.
- Je devais m’habituer à vivre sous terre, trouver mes repères. Au prochain voyage, je saurai me montrer plus assidu.
- Oui, on dit ça… le plus grand des trois anachroniques est abordé par cette espèce de bouquetière. Allez, ours Martin, rapprochons-nous donc de ces lascars. Avec précaution, bon sang! Soyez tout entier à votre rôle.
Pour motiver l’ours Martin, Symphorien joua avec son fouet. Sous la douleur, Saturnin glapit mais n’en obéit pas moins. Il n’avait pas le choix. Cahin-caha, dans une dans grotesque et malhabile, le vieil homme déguisé avança donc jusqu’à n’être plus qu’à quinze pas du trio anachronique. Le Britannique avait repoussé la jeune fleuriste et, désormais, parlait bas à l’oreille de Peter Lorre. Celui-ci hochait la tête tandis que l’Asiatique observait les étals d’un air blasé et critique à la fois. Mason, que le spectacle de la foule bigarrée du petit peuple parisien n’enthousiasmait guère, finit par jeter, acide:
- Allez-vous me dire ce que nous cherchons en ce lieu? Les effluves de ces corps mal lavés me soulèvent le cœur.
- Tss, tss, mon occidental ami, vous manquez de patience. Je dois, je vous le rappelle, m’approvisionner en médications diverses afin de satisfaire les lubies de ce vieillard lubrique et crédule à la fois, ce puant maréchal duc. D’après le comte, les abords du Palais Royal sont le lieu idéal pour faire le plein de charlataneries et de pharmacopées qui ne le sont pas moins…
- Certes, le comte a beaucoup voyagé à ce qu’il paraît, proféra Peter Lorre avec un sous-entendu appuyé.
- D’accord, mais dépêchez-vous Ti. Je ne tiendrai pas longtemps. Hum… ce gitan avec son ours, on dirait qu’il nous a remarqués… diable…
- Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Il veut certainement un peu de monnaie en paiement des tours de son ours.
- Je ne dirais pas cela, siffla Ti entre ses dents, soudain rendu méfiant par quelques détails dans la défroque du plantigrade. Un faux ours…
- Bah! Une escroquerie… s’exclama Peter.
- Tout à fait, renchérit Mason. 
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Craddock n’avait rien perdu des propos tenus en anglais, agitant son fouet et son tambourin avec une conviction renouvelée, s’écria:
- Martin, danse, danse donc plus vite pour ces messieurs, ces beaux seigneurs. Nous devons manger ce soir. Un petit pas de menuet ou de gavotte. Allez… c’est cela. Un, deux, trois… et un, deux, trois. En mesure. Révérence…
Le pauvre Saturnin tournait en cadence, sautillait, saluait, transpirant et grognant de plus belle, ratait une mesure, se reprenait et recommençait son manège.
- Messeigneurs, à votre bon cœur! Insista le Cachalot de l’Espace. Un peu de monnaie blanche, de billon pour satisfaire l’appétit d’ogre de mon animal savant. Dieu et la Vierge vous béniront.
- Oh! Alors, là, vous exagérez, le mendiant! Gronda Mason, exaspéré. Cessez de vous pendre à mes basques et allez empuantir l’air ailleurs!
- J’entends à l’accent que monsieur est anglais! Je croyais les représentants d’Albion riches comme Crésus! Las, le me trompais. Foutre, Martin. Tu jeûneras avec moi ce soir.
Faisant semblant de verser une larme et de l’essuyer tout en grimaçant, le faux bohémien recula, entraînant Beauséjour avec lui.
Ti, un dernier regard vers le duo burlesque, annonça:
- Là-bas, près du vendeur de gravures lestes, des flacons contenant de la poudre de cantharide. Venez. Cessons d’attirer l’attention.
Peter Lorre acquiesça non sans ironie.
- Oui, mais les Parisiens n’ont assurément pas l’habitude d’admirer un authentique Asiate vêtu comme à la Cour du roi de Siam! 
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Tout en ayant prononcé cette vérité, le Hongrois versa un louis à Craddock dans le but de s’en débarrasser. Le capitaine d’écumoire cabossée s’en empara avec avidité et remercia son généreux donateur en claironnant:
- La Providence vous garde mon bon seigneur!
Cependant, avec toutes ces simagrées, Symphorien était parvenu à glisser un micro pisteur dans le fourreau de l’épée de James Mason. Ainsi, il saurait où se rendrait le trio et peut-être même, avec de la chance, il pourrait alpaguer Galeazzo di Fabbrini en personne.

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Quelques heures plus tard, les clones malfaisants poursuivaient leurs emplettes et leur exploration du Paris de l’Ancien Régime sans se douter le moins du monde qu’ils étaient pistés par six brigands dignes de figurer sur une estrade de monstres de foire. En jetant dans les paluches du Cachalot de l’espace un louis d’or, Peter Lorre avait commis une erreur. Sa largesse n’avait pas échappé à des yeux envieux qui appartenaient à des bougres capables de suriner leur propre mère pour un sol ou presque.
Dans une sente encombrée de cageots contenant des choux et des raves qui faisaient les délices d’une chèvre et d’un goret, Ti, tous ses sens alertés, se retourna vivement. Il avait eu l’intuition d’une présence hostile derrière son dos. Surpris, le malfrat n’eut pas le temps d’administrer à l’Asiatique un coup de couteau sous la nuque comme il en avait eu l’intention. Il reçut une terrible manchette dans le foie qui le laissa tout pantelant et râlant sur les pavés boueux et malodorants.
Aussitôt, après ce retournement de situation, ce fut l’hallali. Les malandrins n’eurent d’autre choix que de vendre chèrement leur peau. Dégainant coutelas, lardoires et bretèches plus ou moins rouillés, ils firent face aux trois intrus temporels du mieux qu’ils purent. James Mason, armé de son estramaçon ne tarda pas à embrocher proprement sa première victime. Ne prenant pas même le temps d’essuyer la lame de son épée, il se débarrassa tout aussi promptement d’un deuxième assaillant avec autant de maestria que précédemment. Tout en accomplissant cet exploit, son visage ne reflétait qu’une froide détermination.
De son côté, Ti dévoilait sa grande habileté. Sa maîtrise des arts martiaux lui permettait de tuer à mains nues n’importe quel adversaire. Un brigand, encore un et puis un troisième connurent ainsi un triste sort.
En deux minutes, il ne resta plus sur la place, au milieu des chèvres, des cochons, des légumes blets et des excréments qu’un pitoyable survivant, fort mal en point, la tête emplie de sang, les habits tout souillés, gisant sur les pavés glissants, assommé par le fourbe docteur Gogol, identifiable par sa boule à zéro et ses yeux en boules de loto. 
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Le Hongrois, pas bravache pour deux sous, n’en avait pas moins exécuté sa part de travail. Tandis que ses deux compères se battaient, il avait préféré opter pour un cageot de légumes dont il s’était saisi et l’avait fracassé sur le crâne du plus jeune des voleurs, un adolescent défiguré par une vilaine balafre, à la bouche tordue et aux cheveux gras et luisants.
Durant l’échauffourée, les commerçants des échoppes branlantes et les habitants de ces modestes demeures avaient pris soin de ne pas se montrer. Restés à l’abri derrière leurs volets, ils attendaient, résignés, que le calme revînt dans la sente. Non pas que pareille mésaventure fût quotidienne. Mais la police du roi ne pouvait être partout à la fois.
- Ah! Souffla le comédien britannique avec contentement. Mon entraînement d’escrimeur m’aura été finalement utile dans la vraie vie.
- Oui, vous avez accompli là un exploit digne d’une médaille d’or, renchérit le métèque de sa voix douce.
- L’Italien nous avait bien mis en garde quant à la sécurité du Paris d’antan, reprit James Mason. Je m’attendais donc plus ou moins à subir les vols des tire-laines mais pas l’assaut des coupe-jarrets en plein jour!
- Hum… ce séjour m’apparaît désormais riche de promesses insoupçonnées, d’expériences enthousiasmantes et profitables, souffla Peter.
- En effet, je ne regrette plus de m’être acoquiné avec le comte. En est-il de même pour vous, Ti?
- Mes compagnons, hâtons-nous de rejoindre notre pied-à-terre au lieu de jeter aux murs des paroles imprudentes.
- Allons bon! Vous le dissimulez, mais vous êtes fâché, en vérité, soupira Peter Lorre.
- Ti, nos propos sont tenus en bon anglais. Ici, en pareil lieu, nul ne peut nous comprendre.
- Je n’en suis pas si certain, my Lord.
Sur cette conclusion ironique, les trois tempsnautes pressèrent le pas. Aucun d’entre eux ne s’était aperçu que, durant la bataille, le minuscule pisteur dissimulé par Craddock dans le fourreau de l’épée du comédien de Huit heures de sursis avait chuté pour être presque aussitôt avalé par une chèvre goulue. Symphorien s’était donné du mal pour rien. Il lui faudrait soit attendre une nouvelle occasion pour recommencer soit espérer apprendre par miracle où logeait Galeazzo.

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La salle principale d’holo simulation de l’Agartha venait d’être activée. Albriss supervisait d’un œil neutre l’entraînement de quelques escrimeurs non professionnels. Parmi eux, Frédéric Tellier, détendu et concentré tout à la fois, Symphorien Nestorius Craddock qui, malgré son âge, pouvait venir à bout d’adversaires particulièrement coriaces, le jeune Alban de Kermor qui apprenait, vaille que vaille, à maîtriser sa fougue et son impatience, Erich Von Stroheim qui avait besoin de dérouiller ses muscles, Fernand Gravey qui s’efforçait de rattraper son retard technique et Pierre Fresnay qui veillait à entretenir sa forme.
Les femmes n’étaient nullement en retrait. Aure-Elise se lançait à cœur joie dans l’apprentissage des rudiments de parades selon des styles variés. Violetta, déjà plus aguerrie, montrait à Pieds Légers quelques tours à sa façon, contournant allègrement les vieilles lois de la courtoisie française. Louise de Frontignac s’y était mise également, retrouvant dans ces exercices toute la souplesse de ses jeunes années.
Daniel Lin, debout un peu à l’écart, s’entretenait avec l’Hellados.
- Alors, qui progresse, Albriss? De qui êtes-vous particulièrement satisfait?
- Commandant, la plupart ont atteint le niveau trois. Ainsi, Tellier est capable de venir à bout de six adversaires à la fois de manière traditionnelle et le capitaine Craddock de même…
- Mais… car je sens un mais…
- Mais il faudrait maintenant dépasser ce stade. Je connais vos intentions, sir. La science des moines Shaolin additionnée à celle des ascètes de la montagne de Vorr…
- Oh! Oh! Vous avez de l’ambition, lieutenant. Les grands maîtres du Harrtan avaient cinq décennies devant eux pour dominer cet art sans pareil.
- Monsieur, j’en ai conscience…
- Assurément. Vous avez l’étoile bleue des initiés, je ne me trompe pas?
- Je le reconnais.
- Dans ce cas, une petite démonstration pleine d’enseignements pour nos aspirants s’impose.
- Certes, sir. Vous choisissez l’attaquant ou le défenseur?
- A votre guise Albriss, cela m’est égal.
- Commandant, permettez-moi d’opter pour l’attaquant. Cela sera plus facile pour moi. Face à vous, je ne suis pas de taille.
- Entendu. Cependant, lieutenant, ne vous sous-estimez pas. Je connais votre valeur dans cet art. De plus, je vous promets de combattre en simple humain.
Albriss s’inclina puis noua un bandeau autour de son front, un tissu léger de teinte bleue tandis que Daniel Lin l’imitait avec un serre-tête couleur or.
Dans la salle d’entraînement, le silence se fit. Tous observèrent attentivement l’affrontement entre le Supra Humain et l’Hellados. Le combat, pas si inégal que cela, ressemblait à du taekwondo et à du karaté mais avec l’alternance de mouvements suspendus dans le vide avec une grâce et une maestria inouïes, de brutales accélérations, si rapides que l’œil humain ne parvenait à percevoir qu’un tourbillon flou, et à des passes et des parades d’escrime.
Aucun des adversaires ne criait, ne soufflait ou ne soupirait. Les lames des deux longs fleurets s’entrechoquaient parfois, se frôlaient souvent, se nouaient, se dérobaient, glissaient par-derrière, se soulevaient, virevoltaient dans les airs, suivant les esquives, les ruses, les feintes, les assauts, les parades consenties, les bottes, les sauts et saltos, les quintuples boucles inversées des deux acrobates duellistes.
Cette démonstration dura, s’éternisa ou du moins le parut jusqu’à ce qu’Albriss ralentit et mit une main à terre, demandant ainsi merci. Hochant la tête, Daniel Lin se recula. Alors, l’Hellados se releva et essuya son visage avec une serviette éponge, puis fit de même avec son cou et ses mains. L’ancien lieutenant était en sueur.
- Bien, fit le daryl androïde, ignorant l’épuisement de l’extraterrestre non par mépris mais par égards afin de ne pas l’humilier. Tout le monde a assisté au spectacle. Qui veut commencer afin de passer aux travaux pratiques?
- Moi! S’écria Sitruk avec aplomb.
Fièrement, le Britannique s’avança.
- Entendu, commandant, répliqua Daniel Lin avec un léger sourire. Je n’en attendais pas moins de vous. Mais il vous faut une épée plus souple.
Le Ying Lung incarné tendit à Benjamin l’arme d’Albriss.
- Pour cette première leçon, j’éviterai les parades exigeant trop de gymnastique. Sitruk contentez-vous d’éviter mon acier.
- Pourquoi me ménager? Je suis champion de la flotte tant au sabre qu’à l’épée! Jeta Benjamin.
- Certes, je sais cela. Mais ici, il s’agit avant tout d’anticiper sur l’adversaire tout en défiant les lois de la pesanteur. Parallèlement, il vous faudra contrôler les réactions, les réflexes primitifs de votre corps. Mettez-vous en garde, le poing gauche sur le flanc, le jarret souple et ferme à la fois, l’épée dressée d’un quart. Conservez en mémoire ce que je vous ai dit.
Sitruk obéit avec un sourire carnassier.
La première leçon débuta.
Patiemment, Daniel Lin fractionnait ses attaques, expliquant à l’apprenti comment parer, comment contre-attaquer tout en maîtrisant à la fois son souffle, son rythme cardiaque et tout en anticipant sur celui qui lui faisait face.
Trente minutes plus tard, le cours s’achevait. Benjamin n’en revenait pas. Le commandant Wu était plus que brillant. À ses yeux, il lui apparaissait tel un héros, un prodige, un miracle de la nature, un phénomène. Lui, Sitruk, pataugeait dans le petit bassin, clapotait dans dix centimètres d’eau alors que Daniel Lin se complaisait dans les grands fonds. Il y avait plus humiliant encore. Le Britannique soufflait comme un phoque asthmatique, son cœur battant la breloque alors que son adversaire, plus fringant que jamais, était manifestement prêt à recommencer.
Toutefois, le Français paraissait satisfait des efforts de Benjamin et il osa le complimenter.
- Sitruk, pour une première séance, ce n’est pas mal, pas mal du tout. Vous êtes un sportif accompli doublé d’un athlète de haut niveau.
- Commandant, vous faites preuve de beaucoup d’indulgence, soupira le Britannique.
- Non, mon ami. Je suis sincère et me contente de constater. Vous avez besoin d’entraînement, c’est tout.
Albriss sentit qu’il était temps pour lui de prendre la parole. Il le fit en s’adressant à tous les néophytes.
- Vous n’atteindrez pas le niveau du commandant Wu. Ne vous faites pas d’illusion. Toutefois, vous pourrez faire des adeptes valables du Harrtan. Nous allons donc commencer par quelques mouvements d’assouplissement. Ensuite, nous entamerons les gestes préparatoires pour passer en mode Harrtan.
Docilement, les bretteurs acquiescèrent.
Mentalement, Daniel Lin remercia l’Hellados pour son investissement.
- Albriss, vous êtes l’homme de la situation.
- Sir, je sais que vous n’avez pas triché. Mais vos talents naturels particuliers ont resurgi malgré vous…
- Ah? Vous le croyez… je n’ai point usé de magie, pourtant…
- Oui, c’est exact. Toutefois, vous êtes un daryl androïde, ou du moins, vous apparaissez comme tel aux yeux de tous…
- Et c’est bien suffisant, lieutenant.
L’échange muet s’arrêta là afin de ne pas distraire l’Hellados dans son rôle de professeur.
Deux heures plus tard, devant le seuil de la salle d’holo simulation, Craddock, tout cramoisi et échevelé, jetait:
- Hé bien, je n’éprouve aucune honte à le dire, mais j’suis littéralement crevé, là! Par la malemort, je n’ai pas du tout envie de recommencer pareil jeu! Je comptais faire une partie de poker ce soir avec Sitruk, Chtuh, Uruhu et O’Rourke. Nib! Que dalle! Je déclare forfait! J’n’ai qu’une hâte: au dodo, comme un enfant bien sage…
- Bravo, Symphorien! Approuva Daniel Lin bruyamment, en éclatant de rire. Enfin, une bonne résolution. Vous devenez raisonnable. Surtout, tenez parole. Il vous faudra être en bonne forme demain soir pour remettre ça.
- Euh… vous voulez rigoler, mon gars?
- Non, pas du tout. Je suis tout ce qu’il y a de sérieux, capitaine. Ne me décevez pas, je compte sur vous.
- Ah… je vais essayer…

***************

Plusieurs séances d’entraînement plus tard, quelques membres de la Cité se détachaient du lot. Évidemment, avec son sabre, Craddock faisait merveille. Vêtu de hardes dépareillées, il ressemblait quelque peu à l’adversaire du chevalier de Hadocque, le sinistre Rackham le Rouge. 
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Or, justement, dans un combat qui paraissait plus vrai que nature, les sécurités restaient débranchées, il fallait tester les candidats au voyage vers l’année 1782, il évitait avec une relative facilité la lame meurtrière d’une copie de Barbe Rouge. Tel un jeune homme, bondissant sur le pont d’un galion, il envoyait un cordage au visage du pirate mal embouché puis sautait sur une rampe sans marquer la moindre hésitation et, de là, saisissant une voile, passait sans difficultés par-dessus la tête du flibustier pour s’en aller assommer, toujours aussi vaillant, un immense colosse noir, un moricaud au torse musclé et luisant de sueur. Pour réussir pareil exploit, notre Symphorien s’était-il donc dopé?
Non, le Cachalot de l’espace s’était contenté de rester sobre une douzaine de jours et de se coucher tôt.
À quelques mètres de lui, Benjamin Sitruk devait échapper à la vindicte d’un sécutor armé de deux glaives, un gladiateur surgi du passé lointain de l’Antiquité romaine. Le Latin, habile, et champion toutes catégories, ne se laissait pas démonter par le calme et la détermination affichés du Britannique. Les « clang » et les « cling » s’enchaînaient avec la régularité d’un métronome. Il en allait de même pour les mouvements tournants, les feintes et les tentatives d’intimidation.
Benjamin, toujours fermement campé sur ses deux jambes, envoyait au loin le premier glaive du Romain, souriait au champion, dévoilant ainsi ses dents blanches et pointues, lui démontrant qu’il n’était pas du tout impressionné. Après tout, la victoire finirait par lui revenir.
Quelques secondes plus tard, effectivement, le sécutor fit un faux pas qui le contraignit à mettre un genou à terre. Aussitôt, le géant roux tendit la pointe de son arme et, sans état d’âme, égorgea son éphémère ennemi.
Un peu plus loin, dans un décor tout autre, Frédéric Tellier et Alban de Kermor, unis dans cette œuvre commune, ferraillaient contre une dizaine de spadassins emperruqués, vêtus comme sous la Régence de Philippe d’Orléans. Ils avaient affaire aux roués de Gonzague,
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 l’infâme assassin du duc de Nevers s’il fallait en croire Paul Féval. Mais cette bataille ne prêtait ni à rire ni à s’émouvoir. L’Artiste et l’adolescent brettaient ferme, souples et efficaces à la fois. Chacun de leur coup portait. Une estocade et… hop! Un épéiste de moins, tout simplement.
Les pourpoints se tachaient de rouge, les perruques vacillaient sur les crânes, les gouttes de sueur dégoulinaient jusqu’aux pointes de bien laides moustaches en crocs. Alban, moins aguerri que son compagnon, prenait toutefois garde à éviter les pièges tendus par deux âmes damnées du duc de Mantoue. Pourtant, un court instant, il marqua une faiblesse, son poignet se raidissant. Immédiatement, Nocé, le roué, enfonça sa lame fine dans la chair encore tendre du jeune homme.
Se ressaisissant, le comte de Kermor rompit de deux pas et fit glisser son épée dans la main gauche. Puis, plus déterminé que jamais, il reprit le combat qui s’acheva par la mort du féal de Philippe de Gonzague. Tant pis pour la vérité historique!
Inutile de vous décrire comment Frédéric Tellier embrocha à lui tout seul huit spadassins les faisant ainsi passer de vie à trépas. Devant cet amoncellement de corps, le dernier roué prit le parti de s’enfuir. Quittant la scène, il regagna le néant n’étant, après tout, qu’un flux de données numérisées dans les mémoires de l’ordinateur.
Sous les yeux ébahis de Michel Simon, Marcel Dalio et Delphine Darmont, Erich Von Stroheim, Fernand Gravey et Pierre Fresnay, alliés dans ce cas-ci, affrontaient, sourire aux lèvres, panache oblige, une horde de chevaliers teutoniques dûment casqués, portant la cotte de mailles attendue, jonglant habilement avec le lourd et encombrant estramaçon manié à deux mains.
Pour l’heure, aucun de nos trois comédiens n’avait reçu de blessures graves hormis quelques entailles sur l’avant-bras ou des éraflures sur le torse.
Comme il se doit, nos bretteurs criaient, rugissaient des insultes plus ou moins choisies.
- Teufel! Himmelgott! Hunde! Va pourrir en enfer!
- Que les rats rongent ta carcasse!
- Que les loups affamés et les goules se repaissent de tes entrailles putrides!
Le tout en allemand, en haut allemand ou encore en argot d’opérette.
Bref, un tel langage fleuri ne pouvait que réjouir les oreilles de Michel Simon. Le Suisse bougonnait regrettant de ne pouvoir immortaliser ce combat sur pellicule ou encore sur simple 78 tours.
Les épées à deux mains sonnaient clairement et les assaillants se montraient inflexibles. Malgré tout, le trio de baladins ne déméritait pas, bien au contraire.
Erich Von Stroheim, usant de ruse, réussit à couper cruellement la jambe de son moine soldat. Fernand Gravey, sifflotant l’air fameux Auprès de ma blonde, fut l’auteur d’un authentique exploit. La lame de son estramaçon se glissa insidieusement à travers les mailles en fer et fendit le flanc du chevalier. L’Allemand n’eut pas le temps de toucher terre. Il se pixélisa pour s’effacer bientôt.
Pierre Fresnay n’eut pas autant de chance. Sa brette brisée, il évitait comme il pouvait l’ire de son Teuton. L’acteur refusait de prendre la poudre d’escampette. Tout en reculant, il ne prit pas garde à la petite mare derrière lui. Hé oui, l’holo simulation allait jusque là dans le réalisme des décors. Il y tomba sans grâce et se trempa.
- Je crains de voir là mon existence s’achever! Murmura l’Alsacien pour lui-même. Ah! Ma chère Yvonne! Je ne pourrais te dire une fois encore combien tu m’es chère.
Cette fin plausible aurait pu avoir lieu mais c’était sans compter sur l’Austro-américain. Le chevalier teutonique se retrouva soudainement à basculer dans le vide du sommet de son monticule, le sabre de Von Stroheim le traversant de part en part. Alors Pierre se secoua, tentant de se relever. Il était encore sous le choc. Éternuant, il jeta:
- Erich, mein Freund, danke schön.
Chaleureusement, le génial réalisateur des Rapaces tendit la main au Français et l’aida à se redresser.
Mais la séance d’entraînement s’achevait. Sans le moindre avertissement, sans un scintillement annonciateur, tous les décors s’estompèrent, laissant réapparaître les murs nus de la salle holographique. Les chaises confortables sur lesquelles étaient assis Dalio, Delphine et Michel Simon connurent le même sort. Mécontents et ronchons, les spectateurs se retrouvèrent sur le sol, le bas du dos plus ou moins endolori. Albriss était l’auteur de cette farce, tout à fait involontaire.
L’Hellados s’avança pour s’entendre copieusement injurié par ces messieurs tandis que DD, une jolie moue sur son gracieux visage, marquait sa désapprobation de manière plus raffinée. Elle n’estimait pas le malotru et le lui fit savoir.
En fait, Albriss venait attribuer les points et annoncer par la même occasion qui se retrouvait qualifié pour l’expédition temporelle. À son grand dam, Pierre Fresnay fut remplacé sur le fil par Fernand Gravey. Sitruk voulait en être, mais Daniel Lin avait d’autres vues le concernant. Il l’avait mis en réserve pour accomplir une autre tâche, moins glorieuse en apparence. Prendre le commandement de l’équipe de sécurité de l’Agartha. Ainsi, il coiffait Khrumpf et Kiku U Tu. Grâce au harrtan, le Britannique était désormais assuré de s’imposer face aux Kronkos et aux Lycanthropoïdes. 
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Malgré la sélection effectuée par Albriss, ce fut presque un régiment entier qui partit à bord du Vaillant, un vaisseau entièrement rénové et agrandi, afin de rejoindre le Paris de Louis XVI, celui où Galeazzo sévissait et dans lequel Irina Maïakovska, devenue la marionnette de Fu le Suprême, allait davantage compliquer le jeu.
Autour du commandant Wu, formant sa garde rapprochée, on reconnaissait Albriss, bien entendu, mais également Frédéric Tellier, Symphorien Nestorius Craddock, Fernand Gravey, Erich Von Stroheim, puis venaient Pieds Légers, Marteau-pilon, Jules Souris et ces dames, Aure-Elise, Delphine Darmont, Pauline Carton, Brelan et Violetta Grimaud.
Un peu en retrait, la mine sombre, Alban de Kermor était dans l’expectative. Il espérait obtenir une audience de Sa Majesté Louis XVI. Ainsi, il pensait pouvoir mettre en garde le souverain sur les dangers qui menaçaient sa couronne. Sans le savoir, le jeune comte adoptait l’attitude du Voyageur des siècles, un feuilleton bien oublié de la télévision française remontant à l’aube des années 1970 de la chronoligne 1721.
Par moment, André Fermat toisait l’adolescent, n’ignorant nullement les intentions de l’exalté. Quant à lui, Alban se demandait comment échapper à la surveillance constante dont il était l’objet.
Dans un recoin, essayant de se faire oublier, Saturnin de Beauséjour caressait Ufo mais à rebrousse-poil. Malgré ce traitement, le chat conservait un calme olympien. Le vieil homme soupirait régulièrement, souriait mécaniquement à Brelan, ne comprenant toujours pas son utilité dans ce passé plus que dangereux à ses yeux.
Louise n’avait pas ce souci. En effet, l’ancienne aventurière était parvenue à démontrer à Daniel Lin qu’on ne pouvait se passer d’elle. Grâce à sa noblesse rapportée, la jeune femme s’avérait un atout précieux dans la partie mouvementée qui s’annonçait. L’hôtel particulier ancestral des Frontignac était encore debout en ce mitan du règne de Louis XVI. Or, notre comtesse en détenait les clés!
Le représentant de cette noble famille originaire de Gascogne séjournait présentement, nous voulons parler de l’année 1782, dans l’Île Bourbon et ne regagnerait le continent qu’en 1788. Bref, l’équipe de Daniel Lin avait donc à sa disposition un pied-à-terre des plus commodes sis au cœur du Paris historique. Adieu les soucis d’intendance.
Grâce à la remise en fonction du chronovision mais aussi aux machines à coudre de Louise, les tempsnautes arboraient des costumes presque authentiques. Cela ne choquerait pas les autochtones de voir les intrus revêtus de drap couleur sable ou tête de nègre, de vestes à basques, de soubrevestes unies, de gilets à liseré fleuri ou encore à fines nervures, ayant passé des culottes assorties plus ou moins ajustées, de chemises en toile, de cravates à jabot, de bicornes et de tricornes gansés ou emplumés. Les chaussures à boucles et les bottes avaient présenté plus de difficultés. Seul un synthétiseur put reproduire le cuir et le daim sans oublier le cuivre et le fer. Andrew Lane et Albriss, en mettant d’abord au point l’appareil puis en l’ajustant avaient accompli un notable tour de force.
Quant à ces dames, leurs toilettes auraient mérité un recueil entier de poèmes et de louanges. Les robes s’ornaient de paniers, de corsets, de rubans, de sous-jupes et de sur jupes. Tenues à la française, à la polonaise, robes en chemises, fichus de dentelles, ombrelles, souliers brodés en satin, bas laiteux ou rosés, oiseaux factices, plumes, navires, cages en osier dans les chevelures extravagantes, nous pourrions nous étendre sur ces frivolités durant des pages et des pages. Le bleu lavande, le vert tendre, le puce, le gris souris, le rose passé, le jaune canari se disputaient l’honneur de figurer dans ces toilettes toutes plus époustouflantes et gracieuses les unes que les autres.
Gants à profusion, colifichets inutiles et pourtant indispensables, blanc de céruse, poudre de riz, mouches en taffetas noir, voiles de gaze, mousseline, soie, brocart, œillet mignardise, rose écrasée, jasmin, violette, musc, poivre, parfums enivrants, affolants, inoubliables, et excitants.
Plus que jamais sollicité, le chronovision avait garanti la reproduction fidèle de la mode féminine de l’an de grâce 1782. Mais il avait fini par rendre l’âme sous l’effort. 
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Ne s’avouant pas vaincues, ces dames s’étaient arrangées pour fignoler leurs toilettes.
Quant à Pauline Carton, vouée au rôle ingrat de la domestique de service, elle avait mis la touche finale à toutes ces folies mais en maugréant.
Un détail avait particulièrement chiffonné Violetta. L’absence de « panty », de « pantaloons » ou de culotte en coton ou en dentelle.
- Euh… mais si le vent soulève ma jupe? Comment est-ce que je fais? Je tiens à ma pudeur, moi! Avait gémi l’adolescente. 
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- Je crois qu’il faudra nous en passer, rétorqua Pauline.
- Hum… je n’y tiens pas particulièrement, soupira Louise, mais je pense que nous n’avons pas le choix.
- Ah non! Je ne suis pas d’accord, Louise! Répliqua DD. L’indécence n’est pas mon lot.
Brelan avait fini par se rendre à l’avis général.
- Hé bien, nous tricherons et porterons de discrets pantalons de toile sous nos jupons.
- Pff! Comme si on allait regarder mes dessous! Avait conclu la Carton avec un haussement d’épaules.
- Ah! Ça, certainement pas les vôtres! Jeta Delphine avec acidité, faisant ainsi taire les lamentations de la sympathique comédienne. 
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Ainsi fut réglé ce délicat problème qui avait failli tourner à l’incident diplomatique et annuler l’expédition de Daniel Lin.

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Gaston de la Renardière avait établi ses pénates à proximité du palais du Louvre, dans une ruelle relativement tranquille. Aimant la bonne chère, il soupait souvent dans une auberge plus que centenaire, Le Coq hardi, là où une matrone fort avenante servait à ses hôtes et clients des fricassées généreuses, des omelettes baveuses d’une taille appréciable, des oies juteuses à la chair bien tendre et des poulardes farcies délicatement aux trois champignons, girolles, cèpes et bolets.
Ce soir-là, attablé devant une assiettée de cailles et de grives, se taillant de larges tranches de pâté de veau, le maître d’armes, béat, savourait son repas, l’arrosant d’un pichet de vin d’Anjou.
Lorsque Germaine Lanteret passait près de lui, Gaston l’appelait, l’interpellait, lui jetant une plaisanterie salace qui faisait éclater de joie l’accorte veuve.
Cependant, notre rescapé du règne de Louis XIII ne perdait pas de vue un certain jeune homme blond accompagné par une demoiselle à la chevelure flamboyante. Plus il observait le couple, plus il était troublé.
- Palsambleu! Je n’ai pourtant point la berlue! J’ai déjà vu cette gente demoiselle. J’en mettrais ma main au feu. Ailleurs… dans des moments difficiles si je m’en souviens bien… attifée étrangement. Cap de Diou! Comme dirait un mien ami Gascon, il faut que j’affûte ma mémoire… quant à son compère, son visage ne me dit rien… mais ce jeune oison n’a mas la conscience tranquille.
Malgré son trouble, Gaston faisait honneur à ses cailles et à ses grives, ne laissant dans l’assiette en étain que les carcasses des volatiles proprement rongées.
- Hem… je terminerais bien ce repas par un dessert, moi. Un dessert choisi et goûteux. Holà! La Germaine, par ici!
- Me voici, mon beau cavalier.
- Qu’as-tu à me proposer comme douceurs pour faire passer ce souper digne de Lucullus
- Des poires pochées au vin avec des gaufres à la crème fraîche. Cela vous va-t-il baron?
- Oh oui! Mais oublie donc un peu mon titre. Dis, as-tu remarqué ces deux jeunes gens?
- Ils ont payé leur écot sans rechigner, mon cavalier.
- Une place reste vide à leur table. Sais-tu pourquoi?
- C’est tout simple. La jeune demoiselle attend son père ou son oncle, je n’ai pas très bien compris. Elle a rendez-vous avec lui à neuf heures sonnantes.
- Et le freluquet?
- Un grand seigneur en vérité! C’est lui qui a sorti l’or d’une bourse pansue aux armoiries comtales.
- Intéressant. Peux-tu me décrire celles-ci?
- Euh… attendez. Deux mouettes, une épée, un esquif sur fond bleu, et, bien sûr, une couronne de comte coiffant le tout. Tu vois, mon service chez la haute m’a été utile, rajouta Germaine passant au tutoiement avec un sous-entendu appuyé.
- Ce que tu me décris là ressemble au blason des Kermor. Or, ledit comte actuel a quarante ans et vit dans une île quelque part au large de l’Afrique. Quant à son fils, le rejeton n’a que deux ou trois ans, pas plus.
- Un cousin? Un frère?
- Que non pas! Il y a là un mystère qu’il me faut éclaircir. Or, comme la diplomatie n’est pas mon fort et que je n’aime pas perdre de temps, je m’en vais de front attaquer le taureau par les cornes. Hop!
- Point d’esclandre, mon Gaston!
- Promis, la belle. J’aime trop ta cuisine et tes autres appâts pour nuire à ta réputation d’aubergiste la plus accueillante de Paris.      
Tandis que Gaston de la Renardière se redressait de toute sa haute taille avec l’idée de rejoindre la table du couple mystérieux, trois nouveaux clients passaient le seuil de l’auberge et, salués par les sourires soulagés de Violetta Grimaud et Alban de Kermor, se penchaient vers les adolescents avec une certaine décontraction.
- Quoi de neuf? S’enquit la métamorphe.
- Craddock a perdu la piste de Ti, répondit tout à trac Daniel Lin.
- Embêtant ça!
- Certes, reprit André Fermat. Mais nous savons où se cache…
- Galeazzo? Hasarda Violetta.
- Tout de même pas. Mais Irina Maïakovska.
- Déjà? Chapeau!
- Hum…Qu’avez-vous l’intention de faire? Fit Alban pour dire quelque chose.
- Pour l’instant Pieds Légers se charge de la Russe.
- Oncle André… s’il la serre de trop prêt, Guillaume met sa vie en danger.
- Mais, ma grande, il n’est pas seul, rajouta le commandant Wu. Jules Souris et Albriss lui prêtent main forte.
- Monsieur Wu… un grand escogriffe nous écoute en ayant l’air de nous vouloir quelque chose, risqua Kermor tout en glissant machinalement sa main droite sur la poignée de sa dague.
- Holà, marauds! S’écria alors fort à propos Gaston de la Renardière. J’ai l’impression que vous êtes tous en train de comploter contre une représentante du doux sexe. Par le diable et son compère, j’aimerais connaître un peu votre secret!
Alors, Daniel Lin se retourna prestement et ne laissa pas le temps au maître d’armes d’en dire davantage. Lui saisissant les bras avec une force inouïe, il l’immobilisa. Parallèlement, il lui sondait l’esprit. Rassuré quant à ses intentions, il lui ordonna de suivre le groupe jusqu’à l’hôtel des Frontignac. Subjugué par la voix qu’il entendait dans sa tête, le baron lui obéit sans rechigner.
Lorsque la tenancière s’aperçut que Gaston prenait le chemin de la rue, elle lui lança, mi-figue mi-raisin:
- Mais ma note?
- Sur mon compte, comme d’habitude! Rugit de la Renardière.
Dans la ruelle enténébrée, les présentations furent vite expédiées.
- Fernand Gravey, pour vous servir, mon Sieur…
Le comédien jouait le capitaine Fracasse avec un soupçon d’avance.
- André Fermat, en congé de la flotte pour convenance personnelle.
Naturellement, le vice amiral ne dit pas de laquelle il s’agissait.
- Alban de Kermor…
- Oh! Oh! J’avais donc bien raison de croire que vous aviez un lien de parenté avec ledit Breton. Quant à vous, monsieur, inutile. Je me souviens parfaitement de vous. Daniel Grimaud est votre nom. Je vous rencontrai une nuit, jadis, à la pointe de l’épée. C’était un soir d’avril 1627, je ne me trompe point. Milady de Glenn en voulait à votre vie. Vous me fîtes la promesse de me revoir après avoir décimé mes troupes.
- Belle mémoire, vraiment, Gaston de la Renardière! Je vous en félicite. Mais nous nous expliquerons d’ici peu chez une amie très chère, paisiblement, comme de parfaits gentilshommes. Non comme des malappris ou encore des faquins. Après tout, autrefois, nous nous étions promis amitié.
- Daniel Grimaud, vous parlez d’or.
- Daniel Lin, s’il vous plaît.
Ne retenant pas son élan de sympathie, le colosse se jeta au cou du jeune Ying Lung et lui donna une bonne et franche accolade. L’émule de Porthos était comme cela, franc du collier.
- Et moi, on m’oublie? S’offusqua Violetta.
- Jeune demoiselle, mon embrassement vous briserait les os.
Sur cette plaisanterie, Gaston éclata de rire. 

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