dimanche 16 novembre 2014

Le Tombeau d'Adam 2e partie : Le Retour de l'Artiste chapitre 13.



Chapitre 13

Bien loin des terres seigneuriales des di Fabbrini, en orbite autour de la planète Terre, le vaisseau Haän tournait en automatique, presque seul dans l’immensité de l’espace. À son bord, dans la salle des ordinateurs, l’amiral Opalaand s’affairait, fiévreux et de plus en plus nerveux. Avec anxiété, il interrogeait les archives emmagasinées dans les mémoires de son vaisseau. Que recherchait-il donc comme renseignement si vital?
Au bout d’un laps de temps indéterminé, un hologramme représentant des feuillets couverts de symboles de physique et de formules de mathématiques se matérialisa sur une table de contrôle circulaire au centre d’un halo verdâtre. Il s’agissait d’une partie des écrits du mystérieux Danikine. 
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- Parfait! S’écria Opalaand soulagé. J’ai enfin retrouvé la trace de ces maudits papiers. L’ordinateur et ses senseurs les ont localisés précisément. Voyons maintenant de plus près où ils sont entreposés.
Poussant quelques curseurs, le pseudo Chinois agrandit le champ visuel de la fausse matérialisation, faisant ainsi apparaître un coffret richement ouvragé mêlant or et ivoire dans un goût artistique indéniable. Le zoom inversé continuant, bientôt, ce fut une chambre secrète à l’intérieur d’un château que le Haän put observer et ensuite identifier, dans un style mi Renaissance mi gothique. La pièce était située dans une tour d’angle de la demeure seigneuriale des comtes di Fabbrini.
Mais le champ visuel s’élargissait toujours, dévoilant désormais la massive construction surplombant une vallée aux collines boisées de conifères. Au bas de la combe se présentèrent des cultures en terrasses aménagées qui égayaient le paysage, lui ôtant quelque peu son aspect sauvage.
Après avoir réussi à situer géographiquement l’emplacement des écrits du pseudo prince, le faux Tchou, désireux de connaître leur origine, lança ses investigations par IA interposée et ce dans le domaine historique. Ainsi, il parvint à remonter à la source officielle de ce prodigieux savoir. Danikine avait séjourné près de dix années au Tibet. Au cours de ses pérégrinations, il avait pu recueillir toute la science interdite des lamas. En fait, il avait été en contact avec les affiliés des descendants spirituels d’un certain Lobsang Rama, moine qui avait vécu au XV e siècle de l’ère chrétienne. Sans aucun scrupule, il avait volé les fabuleux écrits rédigés de la main même du mystérieux lama. 
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Émoustillé par ce qu’il lisait, Opalaand afficha ensuite les noms des anciens et prochains propriétaires plus ou moins légitimes des rouleaux secrets sur l’écran de sa console. Danikine n’avait recopié qu’une partie du savoir tabou dû à Lobsang Rama, sans doute parce qu’il était dans l’incapacité d’en comprendre la totalité. La liste fit apparaître les noms suivants:
- Fra Antonimus, 
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- Antonio della Chiesa,
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- Singleton, un Britannique, 
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- Giacomo Perretti vers le milieu d’un XX e siècle parallèle, 
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- Frédéric Tellier lui-même, à la fin de l’année en cours, c’est-à-dire 1867, 
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- notre Haän en personne dans un temps encore à venir,
- mais aussi Sarton, son adversaire implacable, jamais découragé,
- et un dénommé Daniel Lin Wu Grimaud dans le premier quart d’un XXVIe siècle autre…
Ensuite, plus rien, le flou total, le néant remplaçant la console d’ordinateur, un maelström fait de vide comme si le coffret et les écrits interdits se perdaient dans les méandres d’un Multivers affolé, qui, par trop manipulé, se vengeait!
Quelque peu effrayé, il fallait le faire pour un guerrier de la valeur de l’amiral, Opalaand actionna d’autres curseurs au hasard afin de remettre sa machine en marche. Ce fut ainsi qu’il matérialisa une scène des plus étranges se déroulant en Allemagne dans un 1927 modifié par les interventions de l’Hellados. Sarton, l’assistant d’Albert Einstein, présentait au professeur quelques feuillets rédigés par Danikine! Ainsi l’ennemi juré de l’Empire Haän triomphait!
Quelques mois plus tard, le chercheur humain formulait la théorie des champs unifiés.
C’en était trop pour la raison d’Opalaand.
Parallèlement et conséquemment, le monde alternatif dans lequel vivait le baron Opaalan’Tsi ne pouvait voir le jour. C’en était bien fini de l’hégémonie de l’Empire Haän. Tsanu XVIII, l’usurpateur, n’accèderait jamais au trône impérial car il ne naîtrait pas. L’assassinat d’un frère hypothétique devenait inutile.
Or un phénomène étrange et encore plus renversant survint tandis qu’Opalaand se sentait envahi par une grande faiblesse. Un court instant, le Haän sembla se dédoubler tandis que son double fantôme Opalaan’Tsi se séparait de lui et le quittait. Maintenant, une troisième personnalité, dénommée Opalaan’Di, interrogeait l’IA, un guerrier issu d’un troisième temps alternatif potentiel, reproduisant à l’identique les gestes du pseudo Tchou.
Manifestement, il s’agissait d’un alter ego vivant dans un Univers dans lequel ni les Haäns ni les Helladoï n’intervenaient dans l’histoire de la planète Terre.
Notre Haän, de plus en plus éthéré et écartelé entre tous ces possibles, entre ces mondes antagonistes, ne comprenait pas ce qui était en train de lui advenir. Toutefois, dans un ultime réflexe, avant de s’effacer de la réalité, de se dissoudre dans une immatérialité définitive, de devenir une virtualité non souhaitée, parvint à couper le contact avec l’ordinateur.
Aussitôt, ce furent ses doubles fantômes qui furent gommés de l’Univers comme des manifestations éphémères d’un mauvais rêve.
Encore mal à l’aise et tremblant, Opalaand eut le courage de reprendre l’examen des incroyables données mais cette fois-ci sur une autre console reliée à l’IA.
Cependant celle-ci s’obstina à n’afficher qu’un seul nom, celui de Sarton et refusa de dépasser la date de 1927.
Naturellement, le Haän voulut accroître la puissance de son ordinateur. En surchauffe, l’appareil grilla deux relais puis tomba en panne.
Alors, Opalaand laissa éclater sa rage. Donnant de furieux coups de poings à la console cybernétique, il ne réussit qu’à s’entailler la main profondément après avoir mis hors service cette partie de l’ordinateur.
La douleur le ramena quelque peu à la raison. Alors l’amiral décida imprudemment de se téléporter immédiatement dans la tour d’angle du château précédemment montrée, afin d’y voler les écrits de Danikine.
Notre Haän oubliait un minuscule détail: la mémoire légèrement endommagée de son IA…

***************

À la vue de son ravisseur, Clémence de Grandval avait reculé jusqu’au mur, haletant de peur. 
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- Chère enfant, commença le comte avec des inflexions suaves dans sa voix, suis-je donc si repoussant?
- Monsieur, j’ignore qui vous êtes et je ne comprends pas pourquoi vous m’avez enlevée. Je ne puis que supposer que vous êtes un homme de déshonneur!
- Ah! Quelle façon emberlificotée de s’exprimer mademoiselle de Grandval! Mais vu l’identité de votre père, cela ne m’étonne point. Croyez-vous m’humilier en me rappelant qu’il y a longtemps déjà que je n’obéis plus à ces principes obsolètes d’une soi-disant vertu qui est censée conduire les actions des humains ordinaires? Je vois cependant à votre visage que vous m’avez enfin identifié.
- Le comte di Fabbrini… Seigneur! Pourquoi suis-je ici? Où est-ce d’ailleurs? Qu’attendez-vous de moi?
- En voilà des questions! On se croirait sur le champ de bataille faisant face à la mitraille.
- Monsieur, je ne puis vous être utile en rien. Ayez pitié de ma jeunesse et de mon innocence. Relâchez-moi et faites ainsi preuve de générosité.
- Voyons, douce et tendre Clémence, reprit Galeazzo toujours aussi civil, rien ne vous retient prisonnière. Vous vous trompez. Jamais il ne sera dit qu’un di Fabbrini ait failli à sa réputation d’hôte incomparable. Mademoiselle, vous êtes mon invitée. Accompagnez-moi pour que je puisse vous faire découvrir les merveilles de ce château. Allons, donnez-moi votre main…
- Monsieur, cessez ce jeu stupide. Dans vos projets, je ne suis rien de plus qu’un otage, une monnaie d’échange.
- Clémence, charmante enfant, vous vous éloignez encore… ainsi, vous vous obstinez à me refuser la grâce de votre contact et de votre présence tandis que votre visage exprime un sentiment bien laid sur une aussi jolie figure. Pourquoi tant de haine à mon égard? Je suis seulement celui qui vous aime de loin… voilà tout mon secret, ma douce…
- Oh non! C’est impossible! Je vis un véritable cauchemar. Je ne puis avoir fait naître en vous, dans votre cœur, une…
- Une passion aussi soudaine? Eh bien, si! Ah! Mademoiselle Clémence, si bonne et si belle, si gracieuse et si raffinée! Oui, vous avez accompli ce miracle, réveillé mon cœur de bronze. Un soir, soir funeste et béni à la fois, je l’ai enfin senti battre… battre pour vous. J’avoue vous avoir enlevée. N’y voyez cependant aucune malveillance de ma part. Ce n’était qu’un acte d’amour, un geste un peu fou, j’en conviens, mais si sincère! Je me fais humble devant vous, reconnaissant ma faiblesse. Je m’incline devant votre noblesse et votre pureté, je me mets à genoux… oui, je le clame haut et fort: moi, le terrible, le ténébreux, le maudit comte Galeazzo di Fabbrini, j’éprouve pour vous le plus doux et le plus cher des sentiments. Oui, je vous aime, de toute mon âme, de toutes mes forces, oui je veux vous tenir dans mes bras, vous murmurer des mots tendres, adorable Clémence, blanche comme un lys, le teint aussi velouté que celui d’une pêche, les cheveux aussi dorés qu’un matin de juin… 
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Tout en parlant, en exprimant sa passion insensée d’une voix de plus en plus sombre et sensuelle, Galeazzo se rapprochait de sa proie qui, immobile et fascinée par le regard incandescent des yeux bleu nuit du comte, l’écoutait, un léger sourire esquissé sur ses lèvres.
Bientôt, sans doute, Clémence ne pourrait résister davantage à la volonté de son ravisseur. En effet, son corps s’alourdissait tandis que sa conscience mollissait.
Le perfide suborneur avait-il gagné?
Mais un bruit soudain, un fracas assourdissant  accompagné d’une lueur éclatante vint briser le charme. La lumière aveuglante qui apparut brutalement dans la pièce voûtée provenait d’un rayon téléporteur incongru émis par le vaisseau Haän. Ainsi Opalaand se matérialisait jusqu’au sein d’un drame en train de se nouer.
L’extraterrestre, au lieu de se reconstituer dans la tour d’angle, se rassemblait devant le Maudit en personne, cela non sans provoquer quelques dommages archéologiques irréparables. Les magnifiques gisants et transis furent brisés par le rayon venu d’un temps futur. 
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Désorienté par la matérialisation, l’amiral mit quelques précieuses secondes à se rendre compte qu’il ne se trouvait pas dans la pièce où il désirait être. Tâtant alors fébrilement sa ceinture, il voulut se saisir de son arme. Las! Sa colère lui avait fait laisser celle-ci dans la cabine de son vaisseau scout!
Cette étourderie permit donc au comte di Fabbrini de prendre l’avantage sur l’inopportun.
Le Maudit, ayant déjà été le témoin d’un semblable phénomène de reconstitution à Paris, ne se démonta pas. Lui avait toujours son pistolet sur lui. En moins d’une seconde, il le pointa en direction d’Opalaand alors que Clémence, devant un tel spectacle fantasmagorique, avait perdu connaissance. La jeune fille gisait inerte sur les dalles glacées et personne ne songeait à lui porter secours.
Quant à la vieille servante, elle avait reculé au fond de l’immense salle en se signant et en marmonnant des prières à la Vierge et à Jésus.
Furieux contre lui-même, le faux Chinois s’exclama:
- Oh! Non! Faire une erreur d’un millième sur les coordonnées… quelle dérision! Décidément, je ne me montre pas à la hauteur des enjeux aujourd’hui.
- Levez les mains en l’air, jeta Galeazzo d’un ton ferme, le visage impassible. Hum… Il me semble vous reconnaître malgré votre costume étrange - une armure sans doute - et vos poils roux envahissants. N’êtes-vous pas le Chinois ayant fait alliance avec Tellier? Par votre apparence actuelle et votre soudaine apparition, j’en déduis que vous n’êtes point ni asiatique ni Terrien! Holà! Du calme! Restez immobile. Manifestement, vous n’avez sur vous aucune arme offensive. Dois-je vous rappeler à quoi sert ceci? Sachez que j’en maîtrise l’usage à la perfection.
Pour appuyer ses dires, Galeazzo fit feu. La balle alla briser un transi supplémentaire, celui d’Ercole di Fabbrini. Dompté et point si sot que cela, Opalaand obéit et s’empressa de donner quelques explications.
- Oui, j’admets qu’effectivement, je fus naguère l’allié de Frédéric Tellier. Mais il ne s’agissait que d’un rapprochement de circonstance pas fait pour durer. Vous, vous aviez bien un Hellados à vos côtés!
- Je vois que vous connaissez bien Sarton.
- Ainsi, il vous a avoué son identité. Ce fils de « vronk » a retourné sa veste. C’est un être sans honneur comme d’ailleurs tous ceux de son espèce!
- Qui êtes-vous donc, monsieur le guerrier?
- Oui, je suis un guerrier, comte di Fabbrini, et j’en suis fier. J’appartiens à l’antique et valeureuse race des Haäns. J’en suis un de ces plus illustres représentants. Je me nomme Opalaand et l’Empereur Tsanu a eu la générosité de me faire amiral. 
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- Bien, et…
- Je connais le but que vous poursuivez, la vengeance vous guide mais…
- Mais… vous combattez Sarton. Pourquoi?
- Cela ne vous regarde pas! Je vois que vous êtes seul désormais contre une horde de mâtins hargneux, vous avez donc besoin d’un assistant.
- Me croyez-vous si naïf pour accepter votre offre? Vous me proposez une alliance que parce que vous vous trouvez du mauvais côté du canon de mon pistolet, monsieur Opalaand!
- Vous avez grand tort de me répondre ainsi! Vous n’êtes qu’un sot d’humain… et…
- Et quoi?
Pour toute réponse, le Haän émit un grognement tout en esquissant un geste inconsidéré. Aussitôt, le comte tira dans un réflexe merveilleux, blessant ainsi l’extraterrestre à la main droite. De la blessure, un sang mauve suinta dégageant une forte odeur musquée.
- Chien! Hurla Opalaand.
- C’est par votre faute que tout cela est arrivé, siffla le Maudit entre ses dents. Maintenant, assez ri, reculez jusqu’à la porte et ouvrez-la. Attention! Je puis faire feu une autre fois. Mon arme n’est pas déchargée. Vous avez vu que je sais viser…
Vaincu, le Haän choisit d’obtempérer, du moins momentanément.
Alors, abandonnant mademoiselle de Grandval toujours inconsciente, Galeazzo conduisit son nouveau prisonnier jusqu’au sous-sol du château, là où ses ancêtres y avaient aménagé des geôles d’un genre particulier. Il s’agissait de cachots construits en verre et en métal de forme cylindrique, dans lesquels étaient retenus captifs des cobayes humains utilisés à des fins diaboliques. Ses aïeux avaient cherché à agrandir leur collection tératologique.
Après avoir subi une fouille minutieuse et humiliante, le Haän se retrouva enfermé à l’intérieur d’une de ces cellules.
Tout en remontant les marches usées d’un escalier de pierre, le Maudit réfléchissait à haute voix quant à la valeur de la grande œuvre qu’il voulait achever le plus rapidement possible.
- Mon projet attire la convoitise de beaucoup trop de monde. Y compris d’êtres venus d’ailleurs… tout semble se liguer contre moi. Je ne dois pas échouer. Cela est inenvisageable! Je vaincrai quels que soient les obstacles! Dussé-je pour cela détruire l’Univers tout entier!

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Dans sa prison de verre, le faux Chinois eut tout le loisir de faire la connaissance de ses compagnons de captivité. Le plus proche sur sa droite était un individu décharné de haute taille dont la barbe et les cheveux hirsutes accentuaient l’aspect sauvage. L’être avait perdu depuis longtemps déjà les notions de la parole et du temps et, vêtu en tout et pour tout de quelques haillons, il restait prostré, accroupi, les yeux vides, ne voyant rien, ayant sombré dans l’hébétude la plus totale après les diverses opérations cervicales dont il avait été la victime. Toutefois, sa catatonie n’était pas continuelle et, parfois, elle cédait la place à des crises violentes de rage non contrôlée. L’identité du malheureux en aurait surpris plus d’un. En effet, il s’agissait de l’ex-maire de Volpiano sur lequel le Maudit avait exercé sa vengeance. 
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Justement, en ce moment-même, le fou, en proie à une colère soudaine, hurlait tout en se jetant avec force contre les parois transparentes mais solides de sa prison.
Des grognements sourds, déclenchés par les cris de fureur de l’ancien édile, envahirent la salle voussée, formant ainsi un chœur terrible. Ces grondements étaient émis par les autres prisonniers non humains du comte maléfique: lion, ours des Abruzzes, loup blanc des plateaux de Sibérie, tigre du Bengale, orang-outan des forêts de Bornéo, bref un bestiaire de choix prêt à subir les coups de scalpel de Galeazzo l’expérimentateur démoniaque.
Mais si encore di Fabbrini s’était contenté de ces expériences classiques dont les écrivains des prochaines décennies allaient s’emparer afin de rédiger des best-sellers, cela aurait été encore « supportable » pour le genre humain puisque les individus ainsi créés ne pouvaient se reproduire et n’avaient plus que quelques semaines d’espérance de vie, mais non! Son génie malfaisant avait dépassé les bornes du  dicible.
Hélas, trois fois hélas, le Maudit méritait son surnom plus que jamais dans cette histoire. Il avait osé s’attaquer à des épaves d’humanité innocentes, à des êtres dont l’intelligence limitée en faisait des proies de choix pour leurs contemporains « normaux ».
Jugez-en plutôt.
Il y avait:
- un microcéphale prognathe issu d’une dégénérescence atavique,
- un guerrier, spécimen représentatif d’une race oubliée qui s’était réfugiée dans les montagnes de l’Altaï et dont les caractéristiques néandertaliennes étaient manifestes. La créature était revêtue de peaux de bêtes mal cousues. Pour Galeazzo, il s’agissait d’un K’Tou. 
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(Hé oui, c’était bien le malheureux frère aîné du chef pilote du vaisseau intersidéral Le Langevin commandé par Daniel Wu dans un XXVIe siècle autre… Comment avait-il pu finir là en ce XIXe siècle? Un mystère de plus, une incongruité supplémentaire…).
- des siamoises slaves rattachées par le bassin,
- un homme chien à la face caninoïde, né des amours bestiales d’un berger, 
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- et enfin, le summum de l’horreur et du morbide, un homme atteint d’un lupus généralisé, devenu un squelette vivant à cause de son affection atroce aussi bien que rarissime, bref une sorte de transi respirant et palpitant encore, mais pas pour longtemps. 
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Ce dernier cobaye était enfermé dans la cellule de gauche la plus proche du Haän et il avait été racheté par le comte di Fabbrini dans une foire à Turin où il était exhibé par son maître sous le nom folklorique de Tâ-Sekeneré, en tant que véritable momie égyptienne ayant triomphé de la mort! 
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Après avoir examiné ses compagnons d’infortune, Opalaand s’agenouilla à la recherche d’une éventuelle ouverture du cube dans lequel il était détenu.
- Ah! Que n’ai-je sur moi mon laser désintégrateur! Soupirait intérieurement le fier guerrier déchu. Au fait, si le comte m’a fouillé et s’est emparé de ma dague sacrificielle, il n’a pas pensé à ma ceinture magnétique qui me prémunit contre les différentes gravités des planètes non Haäns. Je vais enclencher la pression maximale. Mes deux cœurs et mes quatre poumons supporteront l’épreuve mais certainement pas cette maudite cage! Les parois vont éclater et alors…je serai libre.

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Clémence de Grandval n’était pas restée longtemps inanimée sur les dalles glacées de la crypte. Deux serviteurs l’avaient transportée dans une chambre à l’ameublement confortable et cossu, dans le style Louis XVI, des meubles authentiques, chambre sise au premier étage du château.
Une vieille femme, celle entrevue précédemment, à la septantaine bien sonnée, la propre nourrice de Galeazzo, Carlotta, était chargée de pourvoir à tous les besoins de la jeune fille. La domestique ne parlait que le piémontais et l’italien et aurait donné son sang pour le piccolo.
À la nuit tombée, rouvrant les yeux, Clémence découvrit sur la table de chevet une lettre du comte qui l’informait de son absence momentanée, obligé qu’il était de partir quelques jours pour affaires. À son retour, il épouserait son invitée selon le rituel séculaire des di Fabbrini. En attendant cet instant mémorable, la jeune fiancée était libre de se promener partout dans les jardins et le château hormis une aile condamnée, à la porte d’accès blindée.
Lorsque Clémence, livide, eut achevé sa lecture, elle aperçut Carlotta aux pieds du lit, toute souriante, portant un plateau de nourriture destiné au souper de la future maîtresse.
- Pour vous mademoiselle, fit-elle dans son italien chantant. Une bonne soupe bien chaude avec des légumes du potager, du bœuf gros sel. Comme dessert, de la gelée de coing. Ma pauvre caille, vous avez besoin de recouvrer vos forces. Mon petit n’aime pas les personnes anémiées et dolentes.
Comme si cela lui était habituel, la nourrice déposa son plateau sur la desserte qu’elle poussa ensuite jusqu’au lit sur lequel Clémence reposait.
Cette dernière, utilisant le peu d’italien glané lors d’un séjour à Rome, tenta d’amadouer la pitié de la vieille Carlotta. Mais celle-ci, faisant celle qui ne comprenait pas, s’en retourna jusqu’à l’office en prenant soin préalablement de refermer à clef la porte de la chambre.
Une fois seule, Clémence laissa couler ses larmes, ignorant ce que lui offrait l’appétissant plateau.

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Le comte di Fabbrini s’était rendu à Turin afin d’aller chercher de l’argent à la banca di Torino où il avait ouvert un compte sous une fausse identité.
En ce matin de mai, le soleil resplendissait ajoutant de la gaieté aux ruelles les plus étroites et les plus pauvres.
Devant une fontaine, les ménagères faisaient la queue dans le but de s’approvisionner en eau. Toutes ces femmes bavardaient dans leur patois, heureuses simplement de vivre, ne remarquant point la riche voiture qui stationnait devant la banque à quelques mètres à peine d’elles.
Son portefeuille bien garni, Galeazzo s’apprêtait à regagner son hôtel lorsque par hasard ses yeux se portèrent sur un fiacre qui venait, roulant à toute vitesse. Immédiatement, le Maudit reconnut les passagers qu’il transportait. Il s’agissait du journaliste André Levasseur et l’intendant de son demi-frère le comte Alban de Kermor. 
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- Hum… mon cher frère serait-il à ma recherche? S’interrogea di Fabbrini pas plus inquiet que cela. Cocher, suivez cette voiture, ordonna-t-il ensuite à son serviteur.
L’Italien avait pris sa décision. Une idée germait dans son cerveau diabolique. Il la caressait voluptueusement, la retournait dans tous les sens pour lui en ôter les scories. Puis, satisfait, il envisagea de la mettre bientôt à exécution.
Pendant ce temps, le fiacre du journaliste s’arrêtait devant l’hôtel des Ambassadeurs où Alban était installé pour quelques jours avec le juge Frédéric de Grandval.
Laissant Levasseur et l’intendant gagner leurs chambres respectives sans méfiance, di Fabbrini s’approcha de la réception lentement, sortit un billet de banque de sa poche et interrogea l’employé de service.
Celui-ci ne résista pas à l’appât du gain et fournit à son tentateur tous les renseignements désirés.
Satisfait, le Maudit reprit sa voiture, une voiture non armoriée cela va de soi, et sifflotant juste l’air des esclaves de Nabucco, se fit conduire à l’hôtel de France où il avait loué une suite luxueuse, digne d’un nabab.
Une heure plus tard, allongé sur un lit garni de satin, de velours et de soie, un cigare aux lèvres, le comte récapitulait les dispositions prises à l’encontre du journaliste Levasseur et de son demi-frère si haï, Alban.
- Ah! Mon frère! Te voici une fois encore t’interposant sur mon chemin! Mais je jure que ce sera la dernière. Combien de fois ai-je tenté  de mettre fin à tes jours? Mais le courage m’a manqué ou la chance t’a préservé. Aujourd’hui, cependant, je ne recule plus devant le fratricide car l’enjeu est trop important. Foin du chantage et autres viles pressions! Ce sont là des méthodes de petit malfrat. Je vaux plus que cela. Désormais, ce n’est plus la richesse insolente que je vise puisque je l’ai mais bien le pouvoir absolu, la coercition totale sur une humanité dégénérée, indigne d’apprécier à sa juste valeur mon génie! Toi tu seras ma première proie de choix, mon témoin et mon aède qui glorifiera mes actions lorsque j’aurai remodelé ton cerveau. Quant à ce fouineur de Levasseur, s’il est encore en vie, c’est sans doute là le résultat de la science de Sarton. Cet Hellados s’est joué de moi. Il ne perd rien pour attendre. Levasseur sera la chèvre qui attirera le lion dans les rets du dragon!
Une bouffée de cigare vint achever cette tirade digne du théâtre de boulevard. Elle empuantit davantage encore si possible une atmosphère déjà viciée. Dans quel état devaient être les poumons du comte? Ah! Pourquoi ne succombait-il pas à un cancer? Cela aurait été trop simple…
J’aime les scénarios alambiqués dignes des romans feuilletons de la deuxième moitié du XIXe siècle. En ce temps-là, je me réjouissais de lire quelques pages de Xavier de Montépin, de Paul Féval fils et bien sûr de Ponson du Terrail.
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 L’histoire est bien meilleure lorsque le méchant est à la hauteur. Évidemment, il ne faut pas s’attendre à y trouver une psychologie poussée chez les personnages. Après tout, ils ne sont que des stéréotypes. Mais bon… j’ai veillé à éviter ce défaut dans la grande majorité de mes simulations. Pas au début, je l’admets... Mais enfin, il ne faut pas oublier qu’alors j’étais si jeune… passons à la suite… elle est tout aussi divertissante et gothique à souhait. 
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