samedi 24 mars 2012

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 9 1ere partie.

Chapitre 9

Le « Rot du Dragon » comptait trois nouveaux hôtes. Ils n’étaient pas venus les mains vides. Louise de Frontignac,

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qui avait bien entendu les demandes de Daniel Lin, avait fait emplir la soute du Vaillant de linges de toutes sortes, de draps, de couvertures, de pièces de tissus, de fils et de machines à coudre. Dans un premier temps, Pieds Légers s’était moqué mais à la vue de la base, des différentes salles dépourvues de tout confort, du manque évident d’ustensiles les plus courants et les plus nécessaires à la vie quotidienne, il avait ravalé ses remarques peu charitables. Puis, il avait mis les mains à la pâte et aidé à décharger le matériel hétéroclite.

Tout de suite, il avait sympathisé avec Violetta qui n’était qu’à peine plus jeune que lui. Certes, la fille aînée de Daniel Lin le taquinait mais, pas snob pour deux sous, elle recherchait ostensiblement sa compagnie. Notre gaillard n’en revenait pas.

- Quoi? Avait jeté la métamorphe en souriant. J’suis pas bégueule. Cela t’étonne?

- Ta façon de parler… Tu joues un rôle, non?

- Pff! J’essaie de me mettre au diapason. Tu n’es pas un gars des barrières, de la zone peut-être? Qu’est-ce qui te choque?

- Oui, j’avoue que je viens du peuple, de la populace, même… mais je m’exprime normalement. Surtout depuis que mon patron est l’Artiste!

- Bon, d’accord, je laisse tomber mon argot de théâtre. Alors, maintenant, dis-moi ton prénom…

- Euh… Guillaume… ça ne fait pas trop ordinaire pour toi?

- Penses-tu! Au contraire! Il y a eu des empereurs et des rois qui ont porté ce prénom.

- Je m’en trouve flatté.

- Guillaume, une question. Quelle profession exerces-tu?

- Coursier au journal Le Matin. c’est fort modeste, je sais… mais, parfois, le patron m’autorise à publier un article haut en couleurs sur la vie dans la zone… afin d’informer les richards… de leur faire la leçon…

- Bien… Un peu d’info ne peut nuire… les puissants doivent connaître le sort de leurs semblables moins chanceux… Donc, tu sais lire et écrire…

- Violetta, je ne suis pas analphabète! Je vais aux cours du soir, je m’instruis et tout m’intéresse. Maintenant, j’ai de l’ambition!

- C’est bien…

- Et toi, quel est ton rêve? Pas celui de la parfaite ménagère, je pense… le capitaine Craddock m’a dit que tu servais en tant qu’enseigne sur le Lagrange…

- Oh! Ça te dérange qu’une femme puisse devenir officier supérieur dans la flotte interstellaire?

- Moi? Absolument pas!

- Tant mieux, Guillaume! Vois-tu, je suis pour l’égalité des sexes…

- Hum… Tu n’as pas vraiment répondu à ma question.

- Parce que je n’ai plus aucun rêve. J’ai suivi celui que je croyais être mon père… mais je ne le regrette pas. En fait, je l’aide avec mes modestes moyens. Et, si mes larmes coulent en ce moment, c’est que je pense à ma petite sœur Maria.

- Violetta, le commandant Wu t’aime! Sois-en certaine. Dans ce cargo volant, cette épave puante, il n’a cessé de parler de toi, de ton courage, de ton dévouement, de ta gaîté et j’en oublie. Pour lui, tu es sa fille, un point c’est tout.

- Cependant, Gwenaëlle va lui donner un héritier issu de sa chair.

- Ne crains pas d’être délaissée, mise de côté. Si tu doutes tant, va lui parler. Expose-lui tes craintes.

- Il va supposer que je suis jalouse!

- Violetta, il vaut mieux creuser l’abcès.

D’un geste doux, il se surprenait lui-même, Guillaume essuya délicatement les larmes de l’adolescente avec un mouchoir propre.

***************

Quelques minutes plus tard, Guillaume et Violetta avaient rejoint le petit groupe de femmes dans un ancien bureau transformé en atelier de couture improvisé. Patiemment, Louise montrait à Aure-Elise et Gwenaëlle comment les antiques machines à coudre fonctionnaient. Au début, la Celte afficha une certaine réticence, mais, peu à peu, s’exerçant, elle gagna en assurance, amadouant ces engins pas si magiques en fait. Aure-Elise, quant à elle, brûlait les étapes.

- Ma foi, ce n’est pas aussi pratique et performant que le synthétiseur fourrier, mais je saurai m’en contenter!

- Holà! Plus doucement, Aure-Elise, la rappela à l’ordre Brelan. Regardez mieux ce que vous faites. Vous aller finir par casser la navette. Il ne faut rien gaspiller.

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- Compris, Louise, répondit la jeune femme penaude.

- Gwenaëlle, tu t’en sors drôlement bien, constata Violetta sincèrement.

- Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir au moins?

- Non, je te l’assure. Par contre, je voudrais voir Craddock avec cette antiquité!

- Un homme en train de coudre? S’étonna Brelan.

- Mais oui, madame… La femme n’est-elle pas l’égale de l’homme? Donc un coup de main de ces messieurs serait fort apprécié. Qu’en penses-tu Gwen?

- Euh… ma mère m’a raconté qu’avant… oui, avant la meule, les semailles, la moisson, les femmes accomplissaient les mêmes tâches que les chasseurs. Elles participaient à la capture du gibier, gardaient le feu, gravaient les images sacrées sur les pierres et les parois des grottes. Ma mère était la femme médecine de la horde. Elle m’a tout appris. Mais un soir, alors que le froid s’annonçait, que les jours raccourcissaient, que les feuilles rousses des arbres étaient emportées par le vent mauvais, elle s’est couchée pour ne plus se relever. J’avais… dix ans… j’étais encore bien jeune puisque je n’étais pas encore une femme… dix ans… autrefois, je comptais en lunes…

- Maintenant, quel âge as-tu précisément?

- Dix-neuf ans… mon premier compagnon est parti à son tour au début de l’automne; malgré mon âge, je n’avais pas encore porté d’enfant. Les femmes de mon village ricanaient, disaient que j’étais stérile. En effet, depuis le temps que je vivais avec Ferral, j’aurais dû être grosse trois fois au moins! Elles me jetaient à la figure que j’étais maudite, que j’avais le mauvais œil et que je n’apporterai que du malheur aux miens…

- Bien sûr, tu les croyais, s’inquiéta Violetta.

- Oui, mais elles avaient tort et moi aussi! Maintenant, je suis comblée.

Émue et pas si rancunière, l’adolescente embrassa Gwenaëlle sur la joue; la Celte commençait à ne plus s’étonner des marques d’affection de la jeune fille.

Pendant ce temps, plus loin et plus bas, Fermat, Tellier, Craddock et Daniel Lin établissaient un plan d’action tout en contrôlant les jonctions des fibres optiques reliées à d’étranges objets aux formes invraisemblables. Ces derniers ressemblaient vaguement à des mini cônes. En fait, il s’agissait d’émetteurs de psycho images.

- Cela sert à quoi? Questionna le danseur de cordes.

- Hé bien à vous laver le cerveau et à vous plonger dans le pire de vos cauchemars de vos beuveries! Jeta Craddock qui parlait d’expérience.

- Le capitaine exagère, répondit Daniel Lin. Ce n’est rien d’autre qu’une forme de protection passive contre d’éventuels intrus hommes ou animaux.. Disons que cela a pour but de dissuader quiconque de s’approcher trop près de l’Agartha… sauf si, naturellement son empreinte cérébrale, ses ondes psychiques ont été identifiées au préalable comme non hostiles.

- Ma foi, belle invention.

- Oh mais je n’en suis pas l’auteur! Je ne fais qu’appliquer un principe développé il y a déjà quelques siècles…

- Une invention pas encore assez efficace à mon goût, fit le maître espion. L’idéal serait de disposer d’un véritable champ de force.

- Ou d’un champ anentropique de contention, compléta Daniel Lin en soupirant. Mais pour l’instant, il n’en est pas question.

- Pourquoi donc?

- Nous ne produisons pas encore suffisamment d’énergie malgré tous nos efforts, renseigna André.

- Oh ça oui! Approuva le Cachalot de l’espace. On en a juste assez pour ne pas tourner en vodka tonic!

Et Symphorien éternua bruyamment. Il était fort frileux, ce qui ne cessait pas d’étonner Fermat car, ne l’oublions pas, notre capitaine d’eau de cale était originaire d‘Écosse, des Hébrides plus précisément.

- Nous ne sommes présentement qu’à peine autonomes quant à nos besoins immédiats, proféra le daryl androïde tout en rejetant un câble, pas assez solide à ses yeux. Toutefois, bientôt, nous comptons édifier une centrale électrique en captant la chaleur du magma terrestre.

- Vous allez entreprendre des travaux aussi importants à vous trois?

- Non. Nous venons d’achever de réparer des robots fouisseurs et des foreuses; le tout fonctionne à l’aide de piles photovoltaïques que nous avons fabriquées.

- Dites plutôt que c’est moi qui ai accompli ce travail d’Hercule! Émit Symphorien en réprimant un nouvel éternuement.

- C’est vrai. Rendons à César ce qui appartient à César, déclara Fermat en contrôlant ses nerfs.

- Je constate que vous n’êtes dépourvus ni d’idées ni de connaissances techniques, fit l’Artiste admiratif.

- Souvent, à bord du Langevin, je secondais l’ingénieur Anderson, informa Daniel Lin.

- Et dans la formation finale d’un officier supérieur de la flotte, rajouta André, il y a obligatoirement un important volant d’heures de cours concernant la technique et les sciences.

- Quant à moi, jeta Symphorien alors que personne ne lui demandait rien, j’ai appris sur le tas, fauchant mon savoir aux Marnousiens, aux Otnikaï, aux Mondaniens, aux Castorii et aux Helladoï…

- Bref, théoriquement, nous sommes capables de faire face à toutes les situations, mais hélas, nos besoins non vitaux sont négligés… dit Daniel Lin tristement.

- Qu’est-ce à dire?

- Pff! Moi, je rêve d’un alambic! siffla Craddock avec hargne. Mais je n’essaie même pas de le construire avec le commandant Wu qui me surveille jour et nuit et qui inspecte les lieux chaque soir et chaque matin.

- Craddock, j’ai des envies moins prosaïques que de chercher à m’enivrer! Répliqua sévèrement l’interpellé. En fait, voilà, je souhaiterais posséder un piano… la musique romantique me manque cruellement… Chopin, Liszt et même Rachmaninov! C’est dire mon état d’esprit actuel… Et puis jouer les Gymnopédies de Satie sur un clavecin, ce n’est pas une réussite…

- Oh! Ce n’est que cela? Hé bien, lorsque je serai de retour à Paris, je veillerai à vous offrir le meilleur piano de la capitale.

- Merci pour ce geste, du fond du cœur, Frédéric. Je ne l’oublierai pas. Vous avez accueilli ma requête sans émettre une remarque déplacée.

- Daniel Lin, je vous comprends. Moi-même, je me suis récemment découvert une passion pour les pastels.

- Je vais devoir me mettre au diapason, prononça le vice amiral mi figue mi raisin.

- Je me souviens que votre alter ego passait ses loisirs à monter des maquettes de reproductions de bateaux à voiles, et que Lorenza di Fabbrini Sitruk peignait sur soie à la façon des Australoïdes tout en chantant des airs de Verdi ou de Puccini, lança le commandant Wu.

Marquant une pause, il reprit au bout de trois secondes.

- Au fait, André, comment connaissez-vous le poème d’Apollinaire, La Chanson du Mal Aimé?

- Euh… je croyais que vous n’aviez pas remarqué, commença le maître espion gêné.

- Certes, sur l’instant! Mais mon hyper positronicité rend la chose réellement impossible; j’enregistre tout, consciemment ou pas… alors?

- Daniel Lin j’ai étudié vos diverses personnalités à travers les chronolignes. J’ai donc lu par-dessus votre épaule les mêmes ouvrages, les mêmes poèmes que vous.

- Ah! M’avez-vous laissé de vrais moments d’intimité avec Irina?

- Commandant Wu, je ne suis pas un voyeur! Jeta Fermat fâché.

- J’accepte votre réponse, amiral. Je veux vous faire confiance, totalement, sans restriction…

- Merci… marmonna André.

Dans son for intérieur, l’Observateur s’inquiétait. Il n ’avait pu décemment avouer au Surgeon que ce qu’il croyait avoir vécu avec la Russe n’était en fait jamais advenu! L’Expérience, au fur et à mesure qu’elle s’affinait, devenait de plus en plus concrète… La Simulation prenait désormais toutes les couleurs, tout le relief de la Réalité. Elle se substituait ou se substituerait à celle-ci selon que Daniel Lin réussirait ou non le Test grandeur nature…

En sifflotant une fugue de Bach, le Prodige de la Galaxie reprit sa tâche, faisant mine d’être soulagé par les aveux du vice amiral, passé maître en fait dans l’art du mensonge; cependant, notre daryl androïde ou celui qui se croyait tel, ajouta ce détail aux nombreuses anomalies déjà constatées dans cette piste temporelle-ci. Lorsqu’il serait temps, il en tirerait une conclusion logique sans appel, irréfutable.

Si, intérieurement, Fermat était fort mécontent, Craddock, quant à lui, pressentait un clash prochain entre les deux hommes. Mais après tout, cela ne le concernait pas. Il n’en avait rien à cirer!

***************

Irina Maïakovska Sitruk s’entraînait à piloter un translateur fourni par la Chine impériale. Ses coéquipiers faisaient de même. Certes, le véhicule temporel fonctionnait à merveille mais son maniement présentait quelques particularités et il fallait donc se familiariser avec ce transporteur hors normes. À chaque saut, pour l’instant simulé, de terribles nausées et de maux de têtes s’emparaient des pilotes. Les ingénieurs de l’Empereur Fu s’évertuaient à répéter que tous ces phénomènes étaient normaux tout en prétendant travailler à y porter remède.

Ce que personne n’avouait, c’était que les trois humains étaient également soumis à des manipulations psychiques visant à les transformer en outils dociles pour remplir un objectif inavouable. Seul Stunk échappait à ce sort. Les Chinois, méfiants, avaient jugé bon de laisser le lycanthrope en dehors de ces manipulations mentales.

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Irina payait le prix le plus fort. Elle était dans l’incapacité de se rendre compte que, peu à peu, lentement et sûrement, une autre personnalité se substituait à la sienne. L’ego de la Russe s’effaçait au profit de celui du mystérieux Fu lui-même. Lorsque la jeune femme aurait atteint le niveau désiré, il ne subsisterait alors d’Irina que sa mémoire, ses souvenirs mais dépourvus d’émotions. Sa psyché fort complexe serait détruite au profit d’un être empli de haine, de rancœur et n’ayant qu’un seul but: s’emparer du Pantransmultivers à son seul profit.

Après le succès des simulations, vinrent enfin les véritables déplacements temporels mais sur de courtes distances. Ce long entraînement, ce rodage plutôt, prit trois semaines.

Puis, le petit groupe, fin prêt et préparé, briefé en détails sur la manière de se comporter dans le passé, quitta le XXVIe siècle des Napoléonides pour effectuer sa délicate mission. Bien évidemment, les quatre officiers de l’Alliance britannico chinoise ignoraient qu’il s’agissait d’un voyage sans retour. Y compris en cas de succès manifeste! Telle avait été la décision de l’Empereur Fu.

Le Qin

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ressentit intimement le départ du commando suicide, infiltré dans la tête de la Russe. Cependant, comme si de rien n’était, il poursuivit la dégustation de sa crème glacée parfumée à la mandarine. Il se réjouissait de voir son intrigue avancer; la première étape avait été franchie. Maintenant, l’Empereur avait hâte de passer à la suite, c’est-à-dire l’anéantissement du Chœur Multiple.

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Dans l’éther inappréhendable déjà entrevu, Antor frémissait, tremblait, luttant pour conserver l’intégralité de sa mémoire, de l’individu qu’il avait été autrefois. Il ne pouvait s’empêcher de penser à l’Autre, son Ami, son Double, son Frère, son autre lui-même, celui qui était capable d’éprouver de la compassion, de s’apitoyer sur les faibles petites vies. L’Expérimentateur par excellence, le Révélateur de la Supra Réalité, qui avait eu le courage de s’exiler, qui avait supporté la mutilation et la solitude afin de prouver que sa vision de ce qui devait être était la bonne.

Mais Il n’était pas encore abouti, il n’avait pas parcouru tout le chemin nécessaire afin d’atteindre la pleine maturité…

Il restait fragile, désarmé face aux noirs desseins de l’Inversé.

Dans les vagues et les remous des pré particules, entre les liens ténus, imperceptibles, existant entre les Mondes et les A-mondes, à l’intérieur des microscopiques et indiscernables spirales torons du Tout, dedans, mais pourtant isolé et extérieur à la fois, Antor se désolait, bruissait d’une sourde colère et d’un désespoir sincère, se rappelant douloureusement qu’il avait failli… à moins que ce ne fût l’Autre… l’Indicible.

Il ne pouvait l’appeler, l’interpeller, lui rappeler… quoi exactement? Cela n’était pas arrivé, n’aurait pas dû survenir et pourtant avait été, le serait… à quoi bon tous ces efforts? Dan El restait inaccessible, entièrement soumis à l’Expérience Leurre Réalité pourtant…

En proie à une désespérance sans limites, Antor se retourna sur lui-même, se recomposa et erra de plus belle, planant, voguant dans le Rien, dans le Vide, dans le Néant. La peur l’habitait, l’angoisse le saisissait. Il succombait, il allait succomber… lui? Non! L’Autre! Il en était certain.

C’était écrit.

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De son côté, Gana-El vivait une véritable tempête intérieure. Il savait qu’il n’avait fait qu’accumuler les erreurs. Or, impossible de les rattraper. Refusant de se l’avouer, il s’était trop attaché au Surgeon, qui osait présentement l’Expérience ultime allant ainsi à l’encontre de la Voix Commune, compassée et rassise. Aïe! Lui aussi devait prendre garde. Il s’était laissé contaminer par la vision déformée de Dan El.

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Le matérialisateur temporel, appareil d’un délicat maniement, faisait encore des siennes, connaissant des dysfonctionnements sérieux. Et Fermat n’y était pour rien. À vrai dire, cela tenait du miracle que cet engin n’entraînât pas la destruction du tissu spatio-temporel de cette chronoligne!

Acharné et inconscient, Daniel Lin s’obstinait, multipliait les tests grandeur nature, capturant des humains tout le long d’une ligne temporelle non aléatoire. Aucun échec ne le décourageait. Officiellement, il cherchait à peupler sa cité idéale; en fait, il voulait capter Antor, son frère parmi les étoiles, par-delà les univers.

Le plus souvent, Violetta assistait le daryl androïde, sa présence le réconfortant grandement.

Ce soir-là, le Grand Rex connaissait la foule des grandes premières. Toute la crème du cinéma français, tout le Gotha du septième Art ainsi que les représentants les plus connus de la presse spécialisée étaient présents pour découvrir un film qui allait marquer l’histoire culturelle. Il s’agissait de La Règle du Jeu de Jean Renoir.

Pour comprendre ce qui va suivre, il est bon de savoir que nous étions dans la chronoligne 1720 et non dans la 1721.

Ainsi, parmi les célébrités les plus flashées, on pouvait reconnaître Jean Gabin, Maurice Chevalier, le jeune premier Jean-Pierre Aumont, Pierre Fresnay, Pierre Brasseur, Marcel Dalio, Louis Salou, Elvire Popesco, Louis Jouvet, Michèle Morgan, Delphine Darmont,

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Gaby Morlay, Françoise Rosay, Fernand Gravey, Robert Le Vigan, Fernand Ledoux, Arletty, Julien Carette, Mireille Balin, Fernandel, Raimu, et bien d’autres vedettes encore…

Les smokings et les queues de pie alternaient avec les longues robes du soir en soie ou en taffetas signées Balenciaga, Chanel, Schiaparelli ou Vionnet.

Hasard sans doute de l’arrivée des voitures de marques, Fernand Gravey et Delphine Darmont se retrouvèrent côte à côte sous le feu des projecteurs Pathé et Gaumont. Les flashs ne cessaient pas de crépiter et la chaleur se faisait suffocante. Éblouie, quasi aveuglée, la jeune comédienne de Battements de cœur, porta une main délicate et délicieusement gantée à ses yeux. Tant pis pour le rimmel et les faux cils!

Or voici que son sac en lamé couleur or chutait soudainement sur la chaussée devant des centaines de témoins ébahis. DD comme l’appelait familièrement la presse venait de disparaître brusquement, comme soustraite de ce monde par un djinn facétieux.

Fernand Gravey, à cinq pas à peine de la jeune vedette avait connu le même sort. Quant à Henri Decoin,

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le réalisateur du film cité plus haut, et présentement le mari de la belle, qui donnait un dernier ordre au chauffeur de la Delahaye décapotable crème, il mit du temps à se rendre compte de l’incident.

Cette scène se déroulait au mois d’août 1939, à quelques jours à peine de la Seconde Guerre mondiale.

À bord du Vaillant, ailleurs, mais alors totalement ailleurs, la déception était à son comble.

- Bougre de confit de Zapotèque! Lança Craddock dans son langage coloré coutumier. Encore un coup pour rien! Ça devient fichtrement lassant…

- Quelle belle dame! Lui fit écho Violetta admirative et candide à la fois. Et sa robe à volants, quelle merveille! Son parfum capiteux est un véritable rêve. J’avais oublié que l’on pouvait sentir aussi bon.

- Shalimar de Guerlain, ma grande! Lui répondit gentiment Daniel Lin avec un léger sourire. Il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, acceptant son nouvel échec.

- Ah! Merci. Il masque presque les relents d’ordures de la soute, poursuivit l’adolescente avec un certain humour.

Durant ce bref et rapide échange, la jeune comédienne avait marqué son inquiétude.

- Que s’est-il passé? Interroge-t-elle voulant comprendre le phénomène dont elle venait d’être la victime.

D’instinct, elle chercha son sac, objet d’une fragile et adorable futilité,afin, sans doute, de faire un raccord de maquillage. Ledit sac contenait en effet de la poudre, un tube de rouge à lèvres et du rimmel.

DD poursuivit:

- Je dois rêver et il ne s’agit pas d’un doux songe.

- Ma chère, nous le partageons manifestement, lui répondit Fernand Gravey avec une ironie perceptible. Voulez-vous que je vous pince? Oh! En tout bien tout honneur, bien sûr… ainsi, peut-être sortirons-nous de cette désagréable fantasmagorie?

- En tout cas, ces deux là parlent français! Constata l’adolescente soulagée. Tant mieux car j’ai horreur d’utiliser l’anglais de ces perfides représentants d’Albion! Au fait, papa, qui comptais-tu alpaguer?

- Oppenheimer et Fermi. Excuse du peu…

- Pff! C’est raté. Mais je pense que tu peux te passer de ces deux scientifiques…

En pouffant de rire, Violetta asséna une grande claque familière dans le dos du daryl androïde. Depuis quelques temps, elle agissait ainsi avec son paternel.

- Euh… je fournis les explications ou tu t’en charges? Ou alors, « oncle » Symphorien se dévoue? Souffla la métamorphe toujours d’humeur joyeuse. Tu sais, nos hôtes nous observent avec un air fâché. Ils ont fini par s’apercevoir de notre présence.

- Vas-y ma fille. Gwen me réclame.

- Ah! Pourquoi donc?

- Euh… Bart s’agite dans son ventre. L’accouchement ne saurait tarder.

- Dis, elle n’est pas un peu en avance, là?

- Plutôt. L’enfant va naître à trente-quatre semaines.

- Moui… Dommage qu’O’Rourke soit chez Jacinto.

- Le vieil homme a fait un infarctus. Violetta, on ne choisit pas son heure pour naître ou mourir. Les Bouddhistes, en pensant le contraire se trompent.

- Et Craddock? Il pourrait m’aider dans les pourparlers.

- Ma grande! Il vaut mieux qu’il reste aux commandes du vaisseau. Tu es bien plus affable et présentable!

Sans façon, Daniel Lin rendit sa claque à Violetta, mais il mesura sa force, et grimpa ensuite sur un des plots du téléporteur, laissant la jeune fille se débrouiller à fournir un minimum d’explications à Fernand Gravey et Delphine Darmont.

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