samedi 21 avril 2012

Le nouvel envol de l'Aigle 1ere partie El Desdichado chapitre 10 1ere partie.



Chapitre 10

En cette dernière nuit de septembre 1821, le comte de Provence ignorait qu’il n’avait plus que quelques minutes à vivre. Son entreprenante maîtresse, la tendre Zoé Victoire, savait obéir aux pressantes recommandations de son amant de cœur. 


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Minaudant, jouant à la perfection la délicieuse évaporée, la jeune femme interpella ainsi le souverain putatif de la France:
- Mon Louis adoré, que vous semble de ce chapeau? Ne serait-il pas plus seyant avec cette aigrette inclinée ainsi?
- Ma Zoé, vous avez un goût inné pour les jolies choses. Cette coiffe n’a nul besoin de cette plume. Elle très bien comme cela.
- C’est là l’avis de votre royale personne, mais pas le mien. Tenez. Venez un peu placer l’aigrette selon mon caprice.
Avec un zèle touchant, sinon ridicule, Louis XVIII obtempéra. Péniblement, il se mut jusqu’à sa maîtresse et fit glisser la plume sur le chapeau d’un beau bleu.
- Oui… c’est cela. Là, ça me convient…
- Non, mon Loulou… vous vous y prenez fort mal. Donnez-moi l’aigrette. Je vais l’agrafer plus bas.
Avec un sourire mutin, Zoé Victoire s’empara du fragile colifichet et, avec une longue aiguille, le fit glisser sur la bordure du chapeau; or, avec une maladresse feinte, la jeune femme fit tomber la plume sur un tapis persan remontant au XVIIIe siècle.
- Aïe! Décidément, ce n’est pas mon jour!
Galamment, alors que cela lui était extrêmement pénible, le comte de Provence se pencha vers l’avant afin de ramasser l’ornement frivole. Alors, prenant de vitesse son royal amant, sournoisement, la comtesse du Cayla enfonça la longue épingle dans la nuque du podagre. Louis réagit tout d’abord par un brusque sursaut. Puis, tremblant et perdant le contrôle de son corps, il s’effondra sur le sol avec un plouf sonore.
Sans montrer la moindre émotion, Zoé Victoire s’agenouilla près du cadavre. Louis était mort les yeux ouverts. Désormais, plus aucun souffle ne s’échappait de ses lèvres exsangues.
Avec minutie, la criminelle retira l’épingle à chapeau du cou du mort. Puis, elle paracheva son œuvre en épongeant la goutte de sang qui perlait sur la nuque de la dépouille toute chaude. La blessure, fort petite, échapperait sans nul doute à l’examen du médecin personnel du comte de Provence.
Rassurée et toujours merveilleuse de sang-froid, Zoé Victoire se retira discrètement du pavillon. Comme prévu, la jeune femme ne croisa personne dans le parc. Se hâtant à petits pas, protégée de l’humidité de la nuit par un châle soyeux et moelleux, la comtesse disparut dans l’obscurité, quittant à la fois la propriété mise à la disposition du souverain en exil et cette histoire. Son rôle, modeste dans cette intrigue, tout en étant déterminant, ne mérite pas un plus grand développement.

***************

Daniel Lin s’apprêtait à gagner le XIXe siècle, l’année 1868 d’abord puis l’an 1825.  Avec l’accord d’André Fermat, il avait sélectionné les membres de son équipe: Frédéric Tellier, Louise de Frontignac, Pieds Légers, bien sûr, mais aussi le bougon et si précieux Symphorien Nestorius Craddock, Aure-Elise d’Elcourt, Pierre Fresnay, Victor Francen, Erich Von Stroheim, Michel Simon et Violetta Grimaud.
Évidemment, d’autres individus s’adjoindraient à ce groupe si nécessaire. L’adolescente avait insisté pour ne pas se séparer d’Ufo. Après un accrochage mémorable avec le vice amiral, elle avait fini par emporter la partie.
La direction de la cité avait été confiée à Lobsang Jacinto, déjà malade et à Tenzin Musuweni. Gwenaëlle, enceinte de six mois, avait préféré se dispenser du voyage. Elle avait reçu l’approbation de son compagnon car, avec ses pouvoirs télépathiques accrus par son état, elle savait pouvoir garder le contact avec lui.
Les adieux du couple ne s’étaient pas éternisés. Pourtant, la Celte avait le cœur en peine:
- Daniel Lin, tu vas voir l’image de ton Irina, tu vas l’approcher, mais ce ne sera pas elle, pas celle que tu as aimée. Souviens-t-en.
- Tu me mets en garde car tu pressens des difficultés, Gwen.
- Daniel Lin, tu montres ta force et ton assurance à tous, mais moi je sais que tu dissimules tes faiblesses. Notre lien télépathique fera la différence.
- Mon cœur est encore plein d’Irina, c’est vrai, mais dans cette mission, j’aurai le soutien d’André…
- Je n’aime pas cet homme… mais tu peux lui accorder toute ta confiance face à Galeazzo et à Johann. Il est de taille à les affronter et à les vaincre… Cependant, reste en alerte. Les deux êtres maléfiques ont forgé un piège à ton intention… pour les devancer, tu devras faire preuve d’autant de ruse et d’habileté que le renard et le lynx, et user de ton intelligence, toute ton intelligence comme le loup au dos argenté chef de la meute…
- Je prendrai soin de moi, promis.
- Attends, mon maître. Il y a quelqu’un d’autre d’encore plus redoutable qui agit dans l’ombre… une sombre déité. Je ne la distingue pas très clairement… tout est trouble et confus… elle manœuvre pour son seul compte et manipule les êtres et les créatures… elle se croit libre… à ses côtés, un mort non mort, un spectre…
- Un non mort… Un vampire? Antor? 
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- Non, il ne s’agit pas de ton ami… c’est difficile à dire et à décrire… un homme malfaisant, au cœur mordu par le poison de la haine et de la vengeance… ses yeux ressemblent à ceux d’un lézard géant. Tu l’as déjà affronté jadis et ailleurs, et tu l’as vaincu… lui n’a rien oublié ni pardonné. Il est fort car il croit en la puissance infinie et éternelle du Dragon Noir. Méfie-toi doublement car il a passé un pacte avec lui…
- S’agirait-il de Sun Wu père? Oui… c’est bien cela. S’exclama le daryl androïde qui avait compris. Gwen, merci pour ces informations.
- Daniel Lin, tu reviendras. Tu me reviendras. Guéri et en paix avec toi-même.
Sur ces dernières paroles, la Celte embrassa alors les yeux, le nez et la bouche de son amant avant de regagner les serres hydroponiques. Un travail l’attendait. Elle devait récolter quelques légumes arrivés à maturité.
Pendant ce temps, quelque peu dubitatif, le commandant Wu ne savait pas s’il devait prendre pour argent comptant tout ce que la jeune femme lui avait dit. En soupirant, il monta à bord du Vaillant, entièrement rénové, agrandi et réaménagé.
- D’après Gwen, ce ne sera pas facile mais nous l’emporterons, fit-il discrètement à l’oreille de Fermat tandis que celui-ci amorçait le décollage après le check-up d’usage.
- J’en accepte l’augure, conclut le maître espion.
- Euh… ma compagne a aussi déclaré que je pouvais vous faire entièrement confiance en tant qu’agent temporel…
- Je doute qu’elle ait employé le terme…
- Certes, mais l’intention y était…

***************

Mi avril 1825, Chatou, au bord de la Seine, à quelques encablures de Saint-Germain-en-Laye.
C’était là, sur une des rives que Danikine avait installé son laboratoire car il avait besoin d’eau en quantité afin de refroidir les immenses cuves contenant les productions issues de ses recherches très spéciales. À l’intérieur des bâtiments aménagés, il essayait de maintenir un taux d’hygrométrie constant ainsi que la température adéquate pour ses cuves.
Situé en sous-sol, le laboratoire principal avait la particularité de présenter des murs métalliques en acier renforcé et en inox. Cependant, on voyait sur les parois le rivetage apparent. Cette technologie relativement avancée avait été fournie par Johann.
Comme Irina s’étonnait du décor qui l’entourait, le baron expliqua:
- J’ai conçu ce laboratoire comme un caisson étanche de submersible.
Le Russe s’était mis en quatre pour accueillir sa compatriote du futur. Avant de descendre les escaliers, selon un rituel étudié, le noble Pavel avait imposé le port d’un masque filtrant à son invitée afin d’éviter toute contamination.
Dans ce monde dévié, à la technologie avancée, l’éclairage était constitué de lampes électriques à arc. Cette fois-ci, Irina n’afficha pas sa surprise mais n’en pensa pas moins.
«  Ces Français de 1825 possèdent-ils réellement cette technologie que je vois ici? Et la maîtrisent-ils? Décidément, cette mission s’annonce plus complexe que ce que Dolgouroï me l’a dit ».
Maïakovska avait reçu l’ordre de l’amiral de contrer Galeazzo di Fabbrini mais en jouant celle qui adhérait au projet du comte ultramontain. Elle n’avait nullement escompté la présence de Johann van der Zelden. Justement, lors de cette visite du laboratoire secret de Pavel, la capitaine du futur avait derrière elle le mystérieux Hollandais qui la surveillait de près.
Avec une facilité déconcertante, l’entité captait les pensées de la Russe, des pensées qui se bousculaient et cela l’amusait. Officiellement van der Zelden aidait son poulain ainsi que le savant en exil, mais il ne pouvait s’empêcher de compliquer les choses comme un sale garnement. Pourquoi une telle attitude de sa part? Hé bien, Johann visait la destruction de tous les Univers pour son seul plaisir mais aussi parce que c’était sa nature qui l’y poussait.
La salle des cuves était précédée d’une antichambre réservée aux études embryologiques et tératologiques. Outre une bibliothèque contenant tout ce qui, à ce jour, avait été publié sur le sujet, les visiteurs pouvaient voir et admirer une série de rouleaux de feuilles de dessin et de calques sur lesquels étaient tracés des schémas et des épures à l’encre de chine avec un soin minutieux. Leur titre en russe intriguait fort:
«  Plans des incubateurs et des utérus artificiels ».
Bien que relativement avertie, Irina ne put éviter l’esquisse d’un sursaut. Il fallait la comprendre. La salle contenait aussi des paillasses, des éprouvettes laissant transparaître des solutions multicolores, en fait diverses tentatives de conception de liquides nourriciers.
Sur un tableau noir étaient inscrits des brouillons de formules chimiques obéissant à un système différent de celui conçu par Mendeleïev dans la piste temporelle 1721. Des formules où se mêlaient encore des symboles alchimiques et des signes hérités de Lavoisier.
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 Pour Pavel, il s’agissait de concevoir un placenta et un liquide amniotique artificiels.
Une fois encore, Pavel Danikine éleva la voix.
- Avant de vous plonger dans le mystère insondable de ma création, fit-il en parfait amphitryon, il faut que je vous explique plus précisément ce dont il s’agit. Et pour cela comme la vue vaut largement un long discours…
Le savant s’approcha alors d’une armoire qu’il ouvrit sans cérémonie. Celle-ci renfermait une théorie de moulages en plâtre ou en cire, parfaitement rangés par ordre chronologique. Tous reproduisaient les différentes étapes du développement embryonnaire humain, de l’œuf à peine fécondé au fœtus à terme. De plus, chaque modèle portait une étiquette qui précisait l’âge de l’être représenté. Les créatures, cependant, n’étaient pas tout à fait figurées à l’échelle à cause de la petitesse des premiers stades de la vie. 
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Quelque peu gêné, le Russe dit:
- Je reconnais qu’il y a encore des incertitudes au niveau des stades gastrula et neurula. La difficulté est de bien séparer ce qui constitue l’être futur et les parties formant les annexes. Comme vous allez vous en rendre compte, je suis un fervent adepte de la théorie cellulaire. J’ai donc rejeté les billevesées de la préformation de l’être dans les gamètes. Je sais que la manière dont Descartes décrivait la constitution progressive de l’embryon est fortement erronée.
- Euh… fit la capitaine, dont la biologie n’était pas la tasse de thé, êtes-vous certain de la fiabilité de votre théorie?
Galeazzo à qui rien n’échappait ne put retenir un ricanement.
- Ma chère, voyons…
- C’est bien plus qu’une théorie! Rajouta Danikine. Depuis quelques mois, je suis passé aux essais concrets, donc à l’application pratique. Évidemment, j’ai subi quelques échecs que je ne vous dissimulerai point. Les premiers temps, je ne dépassais pas les divisions cellulaires primordiales. Mais par la suite…
Ostensiblement, Pavel appuya sur une bosselure. Une paroi glissa dévoilant des bocaux qui renfermaient, conservés dans du formol, des essais plus aboutis du biologiste, ne dépassant pas cependant les trois mois de gestation.
- Chacun, comme vous pouvez le constater, était atteint de malformations létales, commenta di Fabbrini, légèrement condescendant. Jusqu’à ce que mon collaborateur et compère et moi-même venions apporter notre modeste contribution au projet de notre ami russe.
Les fœtus inaboutis, véritablement monstrueux, avaient de quoi effrayer. Certains s’étaient développés anarchiquement en sortes de pieuvres ou d’étoiles de mer. Ils étaient donc affectés de polymembrie. D’autres étaient des cyclopes. Dans ce répertoire d’horreurs, il fallait y rajouter les anencéphales, les siamois incomplets et ceux qui n’avaient ni membres ni tête. 
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Souriant et fier, Galeazzo compléta:
- Ma modeste participation a consisté à stabiliser le liquide nourricier, à contrôler les différents éléments nutritifs entrant dans sa composition.
- Quant à moi, ajouta Johann baguenaudant, je suis intervenu au cœur du soma et du germen afin d’éliminer du message les fausses transmissions. Trente mille lettres, ce n’est tout de même pas la mer à boire! Et voici le résultat. C’est fabuleux.
Sous la conduite du comte ultramontain et de van der Zelden, le petit groupe pénétra dans la salle du « sous-marin ». Celle-ci, de cent vingt pieds sur quarante, contenait dix à quinze cuves parfaitement fermées, reliées à leurs tuyaux nourriciers.
Ce qui frappait les visiteurs, c’était une étrange lumière violette dans laquelle baignait la salle; on pouvait observer le contenu de chacune des cuves grâce à des hublots, mais, précaution supplémentaire au masque, il fallait pou cela chausser des lunettes à verres dépolis. Ces verres présentaient la particularité de filtrer les rayons infrarouges.
Quelque peu intriguée, Irina se pencha et examina le contenu de la première cuve à sa gauche. Comme le hublot comportait un vitrage loupe grossissante, la jeune femme n’eut aucune difficulté à reconnaître un clone fœtus de trente semaines de type caucasien, parfaitement constitué, un petit garçon qui suçait son pouce.
Ce fut alors qu’exalté par son œuvre, ne se contrôlant plus, Danikine commença son délire digne de celui d’un savant fou d’un film de l’obscur Ed Wood, avec en vedette Bela Lugosi.
- Ici, oui, ici, se forge l’humanité nouvelle qui doit se substituer à l’ancienne par trop vermoulue et obsolescente! Une fois écloses, mes légions d’homunculi partiront à la conquête de cette planète ordinaire, tout à fait ordinaire et pourtant unique!
Comme s’il ne s’apercevait pas de la folie de Pavel, Galeazzo renchérit:
- L’Empereur Napoléon Premier le Grand tient là ses troupes. Des soldats obéissants jusqu’à la mort, qui ne se poseront aucune question car inaptes à formuler toute autre pensée que celle-ci: vaincre l’ennemi!
- Oui, c’est tout à fait cela, siffla van der Zelden comme en écho, son visage reflétant à la fois la satisfaction la plus intense mais aussi un sentiment beaucoup plus indéfinissable et par là inquiétant. Notre Empereur voit la fin de ses jours approcher. Tout le monde sait cela. Ne souffre-t-il pas d’une grave affection de l’estomac?
- Justement! S’exclama Danikine, ses yeux brillants d’une lueur dangereuse. Nous avons anticipé le coup. Admirez!
La Russe avança alors d’un petit pas rapide jusqu’à la dernière cuve qui semblait trôner au fond de la salle. Elle était munie d’un système de protection renforcée. On ne pouvait s’en approcher à moins de dix centimètres sous peine de risquer une électrocution mortelle. Fébrile, Pavel tendit à sa compatriote de minuscules jumelles de théâtre qui auraient mieux trouvé leur place lors d’une représentation du Barbier de Séville de l’illustrissime Rossini.
L’officier hoqueta de surprise en découvrant l’identité du clone.
- Mais il ne s’agit point là d’un enfant! Et encore moins d’un fœtus! Ces traits émaciés, ces joues creuses enfoncées, ces cheveux noirs raides…
- Napoleone Buonaparte en ses jeunes années. Lança Galeazzo triomphalement. D’ici trois mois au plus tard, il pourra se substituer sans problème au vrai! Je parle de notre exemplaire… au préalable, il aura reçu toutefois un enseignement particulier…
Émue, Irina crois les yeux bleu nuit de Johann.
- Quel jeu jouez-vous? Demanda Maïakovska mentalement à l’entité. Selon l’amiral Dolgouroï, le comte di Fabbrini et le baron Danikine, le prince en fait, n’avaient qu’un but: détruire à la source l’Empire des Napoléonides! Or, ce n’est pas là ce que je vois. Il n’était nullement question de clones. Et encore moins de vous!
Avec jubilation, sur le même mode de communication, van der Zelden répliqua:
- Comme vous l’avez compris, j’ai aidé à l’édification de cet univers. Je ne veux point vous le dissimuler davantage. Je vois ce qui est en train de se passer un peu plus loin sur la chronoligne. Une guerre temporelle qui anéantira la Galaxie tout entière! Comme l’empêcheur de détruire en rond qui a nom Daniel Lin Wu n’a pas ou plus accès à ce monde, je puis maintenant vous prêter mon assistance.
- Qu’entendez-vous par là?
- Cette histoire absurde, ma chère, touche à sa fin. Et je vais l’effacer. Le sieur Daniel Lin qui a eu l’outrecuidance de me défier ailleurs, s’effacera  parallèlement à cette temporalité hétérodoxe. Ma vengeance sera alors complète.
- Mais… balbutia Irina quelque peu apeurée par les aboutissants des propos de Johann, moi aussi je vais disparaître! Que les Napoléonides retournent dans les limbes, soit! C’est presque là l’objectif fixé par Dolgouroï. Mais… pas moi!
- Très chère, pas du tout. Vous maîtrisez mal les concepts.
- Comment cela?
- Ailleurs, dans les autres chronolignes, vous existez bel et bien.. Indépendamment de votre moi d’ici.
- Ailleurs, je suis autre, cela je le sais et le sens, et je n’ai nullement conscience de vivre cette aventure-ci!
- Irina Maïakovska, vous oubliez qui je suis, ce que je puis…
- Ah! Nous y voilà. Qui êtes-vous? Qu’êtes-vous?
- Hé bien… l’Ennemi de tout le vivant, tout simplement. Avec un E majuscule, s’il vous plaît. Le cauchemar de tous les êtres pensants… et un peu celui des autres aussi. On m’appelle prosaïquement la Mort. Mais je préfère le terme plus scientifique et plus exact d’Entropie!
Alors Johann se mit à rire d’un rire caverneux et sinistre à la fois. Au tréfonds d’elle-même, Irina frémit et gronda de colère. Cela échappa à l’orgueilleux personnage. Quelque chose dans la Russe grandissait, croissait, quelque chose de bien plus sombre et définitif que le boursouflé van der Zelden.

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Pékin.
Le commun des mortels n’avait pas accès à la Cité interdite rénovée et repensée par l’Empereur Fu Qin. Même aux temps des Mings et des Mandchous, les entrées n’étaient pas aussi filtrées. Présents à tous les niveaux, les systèmes de sécurité fourmillaient, fonctionnant à la fois à l’identification des empreintes digitales et de l’iris et à la reconnaissance vocale. L’ADN était devenu banal dans cette chasse à l’intrus. Parfois, les ivettes virtuels reconstitués holographiquement restaient en rade devant les hautes murailles protégeant la demeure impériale.
Comme le premier Empereur Qin en son tombeau, Fu avait disséminé dans ses innombrables allées et galeries des rivières de mercure. Même sous le faible poids d’une patte de moineau, le sol se dérobait plongeant ainsi l’hôte indésirable dans le plus effroyable des pièges; le volatile finissait alors englué dans le liquide meurtrier. 
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Le plan de la néo Cité interdite se basait sur la position des constellations dans le ciel. Pour décrypter le tout, il fallait connaître les formules des cinq éléments. Pour le Chinois moyen, superstitieux comme il se devait, la Cité interdite était véritablement le siège du Fils du Ciel, le descendant du Dragon.
Toutefois, malgré son ascendance divine, Fu ne vivait pas seul dans son palais. Il s’était entouré de légions de gardiens, triés sur le volet. Des automates améliorés, des androïdes, dans la tradition des mécaniques de l’Empereur Soueï Yeng Ti, des hologrammes en 3D d’une agilité foudroyante, bien plus mobiles que les agents Smith de Matrix, mais aussi de clones à la fidélité sans faille.
Au total, il y avait cinq catégories de gardiens, un pour chaque élément.
Personne ne pouvait filmer ou photographier la Cité à cause d’un champ psychique répulsif.
À l’intérieur, des jardins hors normes, une nature domestiquée et luxuriante prospérait, figurant les plantes et la faune des cinq continents. Chacun de ces continents était rattaché à un élément. On y croisait aussi des espèces officiellement disparues comme les smilodons, les grands pingouins, les thylacines, les dodos, l’oiseau mouche, le koala, le panda, le Bonobo.
Tous cohabitaient dans la meilleure entente possible.
De nombreux écosystèmes étaient reproduits aux détails exacts prêts. Le tout était, bien sûr, entretenu et préservé minutieusement.
Fu se plaisait dans son domaine. Souvent, il se promenait dans la forêt de Bornéo reconstituée ou encore dans le grand nord canadien, l’altiplano des Andes, le bush australien, les canyons du Colorado. C’étaient ces derniers qui avaient sa préférence.
Bref, tous les paysages résumaient la totalité de ce qui avait existé sur la planète Terre depuis trois millions d’années environ.
Le jardin, constitué de mini parcs étanches, un par biotope, était également agrémenté de statues de souverains divinisés, pas tous d’origine chinoise comme vous allez vous en rendre compte. Ainsi, Fu, dans ses longues promenades, prenait le temps de s’arrêter devant Qin Chiang Ti, Rodolphe II, Tamerlan, Koubilaï Khan, Akbar le Grand ou Charlemagne.
Hormis la garde mentionnée et décrite, environ vingt mille personnes vivaient en permanence auprès du Dragon. Toutes étaient tatouées. (Il s’agissait d’un tatouage électronique indécelable dont les porteurs en ignoraient la présence). Si quelqu’un éprouvait le besoin de quitter l’enceinte de la Cité interdite, le tatouage s’activait et le consumait.
Telle était la punition pour le contrevenant.
Ce matin-là, Sun Wu père était reçu en audience particulière par le magnifique, le splendide, l’énigmatique et sublime Fu. Étalé sur le dallage de marbre noir, le vieil homme ne pouvait s’empêcher de sentir une sueur glacée couler entre ses omoplates malgré tout son courage. La voix froide et comme désincarnée lui dit:
- Wu, mon fidèle parmi les fidèles, relève-toi! J’ai une mission pour toi.
Après s’être redressé, on ne désobéissait pas à l’Empereur, l’ancien chef du Dragon de Jade répondit, évitant toutefois de contempler l’Astre sombre de ce lieu.
- Maître d’entre les Maîtres, vous savez que vous pouvez compter sur moi par-delà la vie et les possibles. N’est-ce point grâce à vous que je respire à nouveau? Ma cinquième existence vous est entièrement acquise.
- Je vais t’envoyer loin d’ici. Tu vas y affronter un vieil adversaire qui te donna jadis du fil à retordre. Ah! Je vois avec plaisir que tu commences à comprendre!
- Seigneur des Mondes! S’agirait-il de mon parent éloigné, ce félon? Cette langue serpentiforme? Ce ne sera plus une mission, Maître, mais bien une récompense. À cause de lui, je suis mort de faim. J’ai agonisé de longues heures dans une atroce solitude, réduit à n’être qu’un nouveau-né!
Imperceptiblement, Fu sourit.
- La haine est le meilleur des moteurs, mon fidèle Wu. Mais ton lointain parent n’est pas ce qu’il paraît être, croit être… Ne pense plus à lui entant que Daniel Lin ou encore Daniel Deng… il est la véritable, l’insupportable pelure de la vie, de la réalité.
Laissant suinter toute sa soif inextinguible de vengeance, Sun Wu éclata:
- Michaël, l’agent terminal!
- Oui, ricana et approuva le divin souverain.
- Alors, je suis déjà parti, Maître!
- Attends un peu, mon comès. Modère ton impatience. Tu ignores les détails.
Derrière l’Empereur, un écran quadridimensionnel révéla un paysage parisien appartenant au passé, plus précisément à l’année 1825. Ce paysage était circonscrit dans un périmètre relativement restreint entre le Palais des Tuileries, le café Tortoni, le Palais Royal, le Louvre, Le Luxembourg; et les rues étroites et mal famées de l’Île de la Cité.
- Je dois te mettre en garde. Ton adversaire qu’il te faudra éliminer, bien évidemment, recevra des soutiens à ne pas négliger. Mais tu peux le vaincre cependant car Daniel Lin a beau s’octroyer le titre surfait et pompeux de Révélateur, admire la majuscule, il n’a pas encore compris ce qu’il était et ce qu’il pouvait.
- Pour moi, il a toujours été un fat usurpateur.
- Bien. J’aime ce zèle. Voici ses comparses. Apprends à les identifier.
L’écran montra alors des individus tout à fait ordinaires. Mais parmi eux, Sun Wu reconnut André Fermat et Violetta. Avide, il demanda:
- Bénéficierai-je moi aussi d’aides?
- Regrettes-tu donc tant tes séides? Tes affiliés du Dragon de Jade? Dans ce cas, voici la clé qui te permettra de tous les ressusciter. Il te suffira de les nommer mentalement et ils renaîtront.
Se penchant, l’être divin donna au vieil homme des billes irisées et opalescentes. Puis il lui ordonna d’en jeter quelques unes sur les dalles. Les petites boules ne roulèrent point sur le marbre mais se brisèrent en éclats iridescents. Et chaque éclat donna naissance à un humain surgi de l’Inframondes, du Néant.
Ému, Sun Wu, les larmes aux yeux, murmura, ébahi:
- Ti, mon cousin… Lang Xiao… Koutchaï! Tse Ring! Ils sont tous là, comme autrefois…
- Oui, Sun Wu. Tu mérites de les retrouver, mon fidèle comès. Va et ne me déçois pas. Pars, maintenant…
Le Chef du Dragon de Jade se retira en reculant, suivi par ses sbires revenus des ténèbres.
Une fois seul dans l’immense salle, Fu se frotta les mains.
«  Ah! Quelle magnifique réussite ce Sun Wu… on peut dire que j’ai soigné sa résurrection. Il n’a conservé en mémoire que trois de ses précédentes morts. Ainsi, il a totalement occulté l’aide qu’il apporta jadis à son parent dans le pyramidion hétérodoxe. Cependant, je ne puis me réjouir présentement car ma vision reste floue concernant mon triomphe final… Sun Wu est persuadé que Daniel Lin est un Michaël, un agent temporel, l’Agent temporel terminal… risible! Et notre pseudo daryl pense de même à propos de Fermat… là, si je le pouvais, je me tordrais de rire… mais restons sérieux.
En cet instant, mon comès s’alimente à la source même de l’information. Peut-être passera-t-il une fois encore une alliance avec son lointain parent, mais j’en doute. Il porte ma marque…
Quant à l’Entropie elle-même, ou qualifiée de telle, elle reste coupée de la Supra Réalité et ne s’en est pas encore rendue compte. Désormais le pseudo Johann se meut et agit en aveugle, influencé par mes leurres. Ah! Quel beau coup ai-je réussi là!
Là n’est pas l’essentiel. Daniel Lin… ou Dan El… il me faut le vaincre… j’en ressens l’ardente nécessité. Elle me brûle, me dévore de l’intérieur… ».

***************

Nous étions en août 2152, au sein de la cité souterraine de l’Agartha. Le bureau de Sun Wu fils avait été réaménagé en salle de conférence pouvant accueillir un comité restreint. L’ameublement restait austère et désuet comportant des fauteuils dépareillés, une table oblongue, une moquette synthétique bleu nuit portant encore des traces d’incendie et des trous disséminés cachés tant bien que mal par les sièges et la table. Les murs gris et beiges, aux teintes neutres, facilitaient le recueillement et la réflexion.
Sur la table, quelques carafes d’eau et des verres permettaient aux personnes de se désaltérer.
Le Cachalot de l’espace soupirait chaque fois que ses yeux se portaient sur ce liquide, selon lui, insipide. Depuis quelques semaines, il rêvait de boissons plus fermentées. En cet instant, il n’aurait pas craché sur un scotch. Mais la vodka aurait été un must ou mieux encore, la bière Castorii, bien râpeuse à la langue et au gosier.
Des Bouddhistes de la tribu de Lobsang Jacinto avaient été conviés à la réunion. Parmi eux, Raeva et Tenzin se faisaient discrets. Qui plus est, il y avait également quelques comédiens arrachés à leur époque assistant amusés et intéressés par la situation. Ils s’étaient portés volontaires pour jouer un rôle dans l’expédition temporelle qui se préparait. Michel Simon et Erich Von Stroheim se montraient les plus enthousiastes. Les deux hommes, chose surprenante, s’entendaient désormais comme larrons en foire.
Le silence enfin établi, André Fermat prit la parole. En phrases brèves et claires, il exposa la situation.
- … en conclusion je dirais qu’il serait souhaitable de se translater en 1825.
En énonçant cette date, Gana-El avait une idée bien précise. Il savait pertinemment que Daniel Lin n’était pas encore tout à fait prêt à se heurter à une Irina phagocytée par Fu le Dragon Noir. En tant que membre de l’Unicité, rien ne lui échappait des machinations de l’Entité.
Frédéric Tellier, mécontent, pinça ses lèvres, regarda Louise de Frontignac partager son sentiment, et objecta:
- 1825, cela me semble un peu trop loin sur la chronoligne. André Levasseur, je vous le rappelle, a localisé la première modification temporelle bien arrière.
- Oui, renchérit Brelan. Mai 1782, ce me semble. Le Ministre marquis de Ségur
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 fait allusion à di Fabbrini dans un de ses rapports au roi. Donc, il serait plus logique de nous rendre en 1782 afin d’empêcher Galeazzo de nuire au tout début de son action.
Fermat croisa la doigts et répliqua assez froidement.
- Je pensais que nous étions tous d’accord sur le fait que nous ne voulions pas rétablir la chronoligne source, autrement dit recréer un XIXe siècle sans les Napoléonides. Le chrono vision que vous avez pu tous ici consulter librement a révélé que le voyage en 1825 avait plus de 98% de probabilités de se concrétiser.
- Ah! Souffla la comtesse de Frontignac. Désarmer Galeazzo sans réparer le tissu temporel, est-ce le meilleur moyen de l’emporter? Permettez-moi d’en douter. Amiral, je vous trouve bien pusillanime. Jadis, vous n’aviez point ces velléités de vouloir protéger les êtres vivants originaires des pistes temporelles déviées.
- Madame, je crois savoir ce que vous pensez. Je ne suis pas le Fermat que vous avez croisé autrefois.
À ce mensonge, Daniel Lin frémit. Pour le daryl androïde, l’amiral était un Homo Spiritus qui n’avait aucune difficulté à se déplacer dans les diverses chronolignes. C’était donc bien lui qui avait œuvré à ses côtés pour effacer les modifications temporelles de Haäns dans la piste 1721.
Pendant que le commandant Wu se faisait cette réflexion, André poursuivait d’un ton cassant:
- Je connais les risques et les appréhende mieux que mon homologue.
- Hum! Émit Louise. Cette chronoligne modifiée par Galeazzo vous arrange. Ici, à Shangri-La vous êtes à l’abri des machinations du comte et de son complice!
Entendant ces mots, Fermat esquissa le geste de se lever. Daniel lin crut bon d’intervenir afin de calmer le jeu.
- Louise, le règne des Napoléonides est désormais un fait, que cela vous plaise ou non, et ce, par les manœuvres conjuguées de van der Zelden et de di Fabbrini! Cette piste, même si nous l’effacions, existerait encore en pointillés. Son écho fossile résiduel continuerait d’exercer une influence diffuse sur le destin de la Galaxie, que nous le voulions ou non. J’ai assez d’expérience pour vous l’assurer. Croyant désarmer les Haäns, l’amiral et moi n’avions fait qu’aggraver le problème autrefois. La preuve: les Asturkruks.
- Tout à fait, opina André.
- Au mieux, nous ne pourrons qu’isoler, endiguer, cadenasser la chronoligne fautive. Ce serait une dépense d’énergie trop grande pour un bien piètre résultat. Et dire qu’ici, dans l’Agartha, nous nous trouvons à l’abri, je trouve cela quelque peu exagéré. Que je sache, nous ne vivons pas dans le confort. De plus, les Haäns ne vont pas tarder à se poser sur la Terre.
Le vice amiral crut bon de jeter:
- Dans un siècle, Daniel Lin! Ne confondons pas le temps bouddhiste universel et celui du naufrage de l’ultralibéralisme qui a abouti à l’ennoiement de la planète tout entière.
Tenzin intervint à son tour.
- Daniel Lin Wu Grimaud nous a sauvés mon peuple et moi-même des guerriers prédateurs roux. Si nous nous étions obstinés, une heure plus tard, nous aurions été foudroyés; pour cela, ma reconnaissance éternelle lui est acquise.
Le commandant Wu eut un geste signifiant que ce qu’il avait fait n’était rien. Puis il reprit la parole.
- André, je n’ai commis aucune erreur. Les Haäns du XXXe siècle voyagent aussi bien dans les passés que dans les chronolignes. Ainsi, ils s’approvisionnent en esclaves en toute impunité, Zoël Amsq ou pas. Ils sont également à la recherche du légendaire Timour Singh et vous savez dans quel but. Quant à Galeazzo di Fabbrini, il est, certes, parvenu à modifier notre futur, mais il peut encore aller beaucoup plus loin, Johann le poussant à la surenchère.
- Vous paraissez craindre particulièrement cet homme…
- Je le reconnais volontiers, Louise.
- Alors, dans ce cas, le mieux n’est-il pas d’agir dès 1782, lorsque tout débute?
- En apparence, tout débute en 1782, lança Fermat. En réalité, cela peut être encore beaucoup plus tôt. Le chrono vision a révélé qu’une troisième équipe allait tenter d’entraver notre action.
- Les Angliches alliés aux Russes et aux Chinois! Siffla Craddock.
- Hélas! Soupira le commandant Wu.
- Que veulent-ils? Demanda Tellier. Rétablir la piste sur ses rails, ce que vous ne désirez pas? En éliminant Napoléon Premier?
- C’est exactement cela, approuva Fermat.
- Allez-vous les affronter également?
- Tôt ou tard, certainement, marmonna Daniel Lin avec gêne. Il faut que vous compreniez bien notre raisonnement. Non pas que nous souhaitions vous imposer une leçon magistrale de physique temporelle, mais…
- Ah! Fit Brelan, vous avez opté pour le juste milieu.
- Afin de préserver le maximum de vies.
- Vu de ce point-là, j’admets votre choix, déclara l’Artiste.
- Puisqu’il n’y a plus d’objection, poursuivit le commandant Wu, je me permets de vous rappeler que nous effectuerons un premier saut en 1868 afin de nous approvisionner. Cela sera plus commode.
- Certes, mais en quoi? Questionna Louise tout en jouant avec une mèche de ses cheveux.
- En pièces de napoléons authentiques tout d’abord; puis en costumes bien taillés et naturellement en alliés.
Frédéric se détendit. Enfin, on en venait aux choses pratiques. Se tournant vers Daniel Lin, il dit:
- Je dispose d’une bande qui m’est dévouée jusqu’à la mort. Aucun de ses membres ne posera de questions gênantes, je puis vous l’affirmer. Parmi mes lieutenants, je vous recommande Doigts de fée, capable de se mêler à la foule, de passer inaperçue et de revenir ensuite les poches et les bourses bien rebondies. Ensuite, il y a Marteau-pilon, un colosse au grand cœur mais à l’intelligence réduite. Cependant, il soulève sans difficultés une demie tonne de foin sans marquer le moindre signe d’effort.
- Une sorte d’Hercule donc, fit Fermat.
- A cette liste, il me faut rajouter Monte-à-regret, un virtuose du surin, du poignard et du foulard, le Piscator, qui se glisse partout et capte ainsi les secrets les mieux cachés… concernant ce dernier, je vous déconseille de le séparer de son comparse, un dénommé Germain la Chimène.
Au surnom de la Chimène, Fermat haussa un sourcil mais se garda bien d’émettre le moindre commentaire. Quant à Michel Simon, il ne put retenir un rire gras, lourd de sous-entendus.
- Ouah! Il ne faudra donc pas accoler à ce duo l’Anglais, Charles Laughton! Cela risquerait de déclencher un « drôle de drame »!
Craddock roulait des yeux. Il osa une réflexion bien sentie.
- Dites, l’Artiste, loin de moi l’idée de vous fâcher, mais vos comparses, complices, ressemblent furieusement à des membres huppés de la pègre! Je croyais que vous vous étiez rangé des voitures. Apparemment, je me trompais…
Pendant que le Cachalot de l’espace s’exprimait, Erich Von Stroheim répétait à la cantonade, espérant que quelqu’un éclairât sa lanterne:
- Was? Ich verstehe nicht. Warum lacht Michel Simon?
Alors Symphorien se leva et, s’approchant de l’Austro-américain, lui donna familièrement une claque bien sonore dans le dos.
- Je t’expliquerai là-bas, devant un pot, mon pote!
Déçu, Tenzin Musuweni reprit la parole:
- Vous n’allez amener aucun des nôtres avec vous. Pourquoi cet ostracisme? Je croyais que vous aviez besoin d’alliés.
Tâchant de ne pas vexer le grand Noir bouddhiste, Tellier lui répondit:
- Chers amis, cette expédition n’est pas dans vos cordes. Après tout, vous clamez haut et fort votre non-violence bien qu’il y ait parmi les vôtres des moines soldats comme Raeva, ici présent. En fait, peu d’entre vous sont à même d’affronter les tours cruels que Galeazzo et van der Zelden vont sans nul doute nous réserver.
Raeva se redressa et marqua sa colère.
- Nous taxeriez-vous de lâcheté?
- Non, cela n’était pas mon intention. Je ne faisais que dresser un constat. En vérité, nous avons besoin d’alliés mais pris en 1825.
- Ah! Fit Daniel Lin , comprenant. Vous songez à votre vieil adversaire, le comte Alban de Kermor.
- Alban de Kermor mais… commença le vice amiral.
- André, le comte de Kermor n’es âgé que de quinze ans en 1825, je le sais, renseigna le danseur de cordes. Aspirant dans la Marine anglaise, il sert alors à bord du Redoubtable.
- Frédéric! S’exclama Fermat, jouant l’étonné. Un Breton dans la Royal Navy? Pincez-moi!
L’Artiste enchaîna à l’adresse de tous:
- C’est une situation bien plus logique que vous pouvez le penser. Kermor revendique vingt quartiers de noblesse. Il s’est donc rallié à Artois et ce d’autant plus facilement que le comte di Fabbrini lui a volé son héritage. Je veux parler de Giacomo, le père de Galeazzo.
Le commandant Wu croisa le regard du vice amiral, hocha la tête et acquiesça.
- Entendu, nous faisons entrer Alban de Kermor dans notre jeu. Quant à vous, messieurs, poursuivit-il en se tournant vers Michel Simon et Erich Von Stroheim, vous êtes visiblement prêts à en découdre. Mais ce ne sera pas du cinéma. En cas d’erreur, nous ne pourrons pas retourner la scène.
Vexé, l’Austro-américain marmonna:
- Monsieur Wu, je manie fort bien le sabre et je puis tromper n’importe qui déguisé en Teuton!
- Je vous crois, mon cher Erich.
Michel Simon renchérit.
- Daniel Lin, c’est là justement où l’on mesure le talent. Jouer pour de vrai! Tenez… je me verrais bien en grognard de Napoléon, ayant combattu à Austerlitz ou à Wagram…
Tellier informa les deux comédiens.
- Ces batailles ont réellement eu lieu dans ce temps des Napoléonides. Mais pas aux mêmes dates que dans l’autre chronoligne, celle qui vous est plus habituelle.
- Tout le monde a bien compris les enjeux? Faut-il répéter? Non? Pas d’autre objection? Demanda le maître espion. Dans ce cas, la séance est levée. Demain, à six heures, sur le pont pour les ultimes préparatifs et la finalisation de l’entraînement.

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Avril 2517, à bord du vaisseau Langevin.
Dans sa cabine, Uruhu rêvait. Le K’Tou était réputé pour faire d’étranges songes, le plus souvent prémonitoires et perturbants. Il ne s’inquiétait plus depuis longtemps déjà de sa seconde vie onirique.
Chronologiquement, il y avait un peu moins d’un mois que le problème des Asturkruks avait été réglé. Ces derniers étaient retournés dans les limbes de la non existence. Désormais, sur Gentus, la voie était ouverte aux futurs Orangs Lords et Orangs Pendeks. 
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Le Néandertalien se satisfaisait de ce résultat. Ses origines faisaient en effet qu’il avait de nombreuses affinités avec les orangs-outans de la Terre. Pour lui, ils représentaient une image à peine déformée de Pi’Ou, l’ancêtre mythique de ceux qui marchaient debout.
Dans son rêve, Uruhu se retrouvait au sein d’une forêt presque vierge à la température chaude et à la forte humidité. Pi’Ou se balançait sur une branche et lui parlait.
- Uruhu, tu as failli à ton serment.
Le langage utilisé ne ressemblait pas à une langue articulée; il consistait en un mélange de bruits, d’onomatopées, de cliquètements et de mimiques appuyées.
Peiné, le Néandertalien se demandait comment il avait pu rompre son serment. Il balbutia en rougissant:
- Aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai bien attaqué Winka pour protéger mon commandant. Celle-ci, malfaisante femelle, m’a cassé le nez! Et si Glump n’était pas intervenu, je ne pourrais te voir en songe aujourd’hui.
L’avatar du demi dieu esquissa un sourire et rétorqua à cette logique:
- Il n’est pas question de cela, K’Tou d’entre les K’Tous. Ton Créateur…
Uruhu, à ce mot interdit, se mit à transpirer abondamment.
- Mon Créateur? Mais c’est toi l’ancêtre du peuple qui marche debout…
- Non, Uruhu, tu te trompes. Je ne suis pas incréé, comme toute chose ici-bas d’ailleurs. Ton Créateur a besoin de toi et tu restes sourd à son appel. Pis, tu ne le reconnais plus.
- Mon Créateur? Fit le K’Tou tremblant de tout son corps. Je ne vois pas qui cela peut-il être.
- Ton Créateur n’est autre que celui que l’on nomme Révélateur. Le Juge, l’Exilé, le Rebelle, l’Expérimentateur. Ton Créateur t’appelle depuis l’aube des temps. Il crie ton nom par-delà les mondes, tous les mondes, et tu n’entends rien! Tu t’isoles dans ton égoïste confort. Lève-toi! Vite! Cours le trouver!
- Que faut-il que je fasse pour cela?
Mais le Néandertalien ne reçut aucune réponse. Déjà, le rêve s’éloignait, s’effaçait tandis que le dormeur reprenait pied avec la réalité. Enroulé dans sa couverture, Uruhu ouvrit soudain ses yeux d’un beau bleu glacier. Ses cheveux blonds emmêlés étaient tout mouillés par la sueur et les larmes qui avaient coulé en abondance à travers ses paupières closes.
D’une voix hésitante, il interrogea l’ordinateur.
- Quelle heure est-il? Demanda-t-il prosaïquement.
- Deux heures quarante-trois du matin, en ce 19 avril 2517, lieutenant, répondit obligeamment la voix artificielle.
- Où se trouve présentement le commandant?
- Le commandant Wu assure normalement le quart de nuit sur la passerelle comme il était prévu.
- Ordinateur, merci.
Hâtivement, le K’Tou s’habilla et gagna le centre névralgique du vaisseau; il savait ce qu’il devait faire, où se rendre. Il espérait que Daniel Wu comprendrait son envie pressante d’obtenir un congé illimité.

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samedi 14 avril 2012

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 9 3e partie.

À bord du Cornwallis, Benjamin Sitruk arborait une mine soucieuse. Bien sûr, il s’inquiétait pour Irina et ses trois autres officiers. Depuis un long moment déjà, il ne recevait aucune nouvelle d’eux et les jours passaient, s’empilaient, apportant et gonflant des rumeurs imminentes de guerre. En effet, les affrontements se multipliaient entre les vaisseaux de l’Alliance et ceux des Napoléonides.

Mais il n’y avait pas que cela pour contrarier Sitruk. Le commandant britannique éprouvait une curieuse impression. Il était envahi par un malaise indéfinissable qui s’emparait lentement et sûrement de toutes les fibres de son corps et de son cerveau. Un peu comme si plus rien n’allait, comme si la réalité était en train de se dérober…

Les rêves perturbants revenaient avec une régularité d’horloge. Dans l’un d’entre eux notamment, Benjamin était bel et bien le César Maximien, le bras droit de l’Empereur Dioclétien. Le plus naturellement du monde, il finissait par lui succéder sur le trône impérial.

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Puis, dans un autre songe, tout aussi criant de réalisme, de nationalité canadienne, il servait à bord d’un vaisseau d’exploration scientifique sous les ordres d’un commandant de légende qu’il n’entrevoyait que de dos. Le Langevin, tel était le nom de ce navire intersidéral.

Ensuite, plus loin dans le rêve, ses désirs les plus fous et les plus paisibles à la fois semblaient s’être concrétisés. Une plage paradisiaque, préservée, non polluée, un splendide coucher de soleil au-dessus d’une des îles Fidji. À ses côté, son épouse, l’élue de son cœur, une jolie brune pimpante, aux grands yeux noirs insondables et envoûtants, une Italienne… mais bon sang, comment se prénommait-elle?

Il allait prendre la jeune femme dans ses bras mais… immanquablement, il se réveillait, moite et glacé, et retrouvait sa couche solitaire, une couche trop grande désormais.

Ah! Il devait parler au plus vite au psychologue du bord. Manoël. Oui, il devait… mais il hésitait. Ne risquait-il pas d’être déclaré inapte au commandement du vaisseau amiral? Cette crainte bien compréhensible le retenait et son malaise s’accentuait.

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Le psychologue Joaquin Ramon Manoël était submergé de travail. Pas un seul jour sans rendez-vous, sans patient mal dans sa peau qui venait le consulter le plus discrètement possible. C’était du jamais vu à bord d’un vaisseau spatial. Manoël recueillait les confidences, tâchant de relier entre eux les différents témoignages.

- Mère de Dieu! Marmonnait-il entre ses dents devant l’écran translucide de son ordinateur. On dirait une épidémie! De l’engagé au soldat de métier, du première classe à l’ingénieur en chef, tous souffrent d’une sensation d’irréalité. Bref, il n’y a que le commandant Sitruk pour ne rien afficher d’inhabituel quoique… ses traits se sont creusés ces derniers jours et il tendance à oublier de tailler sa barbe rousse. De plus, Anderson m’a posé cette étrange question:

- Docteur, parfois je doute de la légitimité de mon allégeance. Or, je trouve cela normal. Pourquoi me prend-il des envies de quitter le Cornwallis et de rejoindre un endroit désolé et glacé? C’est comme un appel qui vibre au plus profond de mes cellules et se fait chaque fois plus impérieux. Cela me brûle et m’étouffe à la fois. Pas vous?

- Bien sûr, je n’ai pas répondu. Mais Tom a bien perçu ma gêne. Je me suis mis à rougir comme une rosière et j’ai baissé les yeux. Moi aussi, je suis troublé. Pas une minute où je ne me vois pas ailleurs, sur un autre vaisseau, plus petit certes mais plus performant que ce mastodonte. Plus avancé technologiquement, capable de franchir la Voie Lactée. Je porte un uniforme gris, bleu et vert, bien moins chatoyant que celui-ci, et j’ai comme ami un Irlandais je pense. Il se prénomme Denis.

La Galaxie paraît plus sûre, sans aucune guerre entre les humains et leurs colonies. Une unité, une communauté. Des ennemis, sans nul doute, mais pas des Terriens. Des insectoïdes, des crustaçoïdes, des calmaroïdes intelligents, des êtres incorporels et j’en oublie sans doute. Une Alliance qui regroupe près de mille cinquante planètes.

Le commandant de ce vaisseau hors normes, est un homme ordinaire et extraordinaire à la fois. Avec des yeux bleu gris emplis d’humour et de compréhension, de compassion aussi. Une mèche auburn rebelle trop longue, une voix posée, un ton aimable, jamais brusque, une patience infinie… un certain talent pour apaiser les querelles et les esprits échauffés, une tolérance générale inenvisageable à bord du Cornwallis.

Tout un équipage prêt à se surpasser pour accomplir des missions d’exploration mais également de prévention.

Une taverne à bord, un lieu de rencontre, de détente et de dialogue. Aucune crainte d’être espionné, aucune réelle animosité.

Tous ces détails qui me viennent…

Et presque quatre cents membres de cet équipage Anglo-russe qui confirment sans le savoir mes propres rêves par leurs aveux! Un temps parallèle?

Ah! Personne ici à qui me confier en toute confiance. Médecin, soigne-toi toi-même! Quelle ironie!

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Intérieurement, Violetta Grimaud rageait. Parfois, Aure-Elise avait accès au chrono vision mais pas elle. L’adolescente se refusait à comprendre les raisons de cette discrimination. Son jeune âge tout simplement.

À presque quinze ans, elle entamait une phase ingrate et mouvementée de son évolution. Et ce, d’autant plus qu’elle n’avait pas la chance d’avoir une véritable confidente.

Certes, la quart de métamorphe s’entendait avec l’ex-épouse de l’ambassadeur d’Elcourt et elle passait quelques heures avec son amie, mais celle-ci, amoureuse de Raeva, entamait une liaison avec le beau ténébreux.

Violetta souffrait donc de solitude. Pour l’instant, Guillaume n’était qu’un camarade qui la distrayait. Même si elle acceptait désormais la présence de Gwenaëlle auprès de son père, la jeune fille aurait souhaité trouver l’épaule d’une mère pour s’épancher.

- Sort cruel! Récitait la jeune fille dans ce qui lui servait de chambre.

Notre italienne par sa mère affectionnait particulièrement les vers de livrets d’opéras néo classico romantiques d’un ridicule achevé tels que ceux-ci:

- Que n’ai-je sacrifié pour toi

Cesario?

Ma vertu, ma jeunesse,

Ma famille, ma richesse,

Et tout cela pour quoi?

Me le diras-tu mi amoroso?

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Naturellement, cette déclamation chantée faux en mi mineur avait le don de faire fuir Ufo. Le chat, les oreilles sensibles, cherchait alors refuge dans les bras de Gwenaëlle ou encore dans ceux de Daniel Lin.

Tard ce soir-là, le félin vint miauler et gratter à la porte du couple. Interrompant son étreinte, le daryl androïde introduisit l’animal familier dans l’étroite pièce.

Promptement, Ufo se précipita et se faufila sous les couvertures afin de profiter de la douce chaleur du lit. Cela ne fit pas plaisir à la Celte.

- Ufo, souffla la rousse jeune femme, ne te mets donc pas en boule sur mon ventre! Tu écrases l’enfançon!

- Pousse-le jusqu’à tes pieds.

- Où vas-tu? Tu ne vas pas me laisser seule avec cette bête?

- Je dois parler à Violetta. Je l’ai délaissée ces dernières semaines. Or, je sens sa détresse; elle a besoin de moi.

- Pourquoi juste maintenant, tu peux attendre demain matin pour t’expliquer et la consoler. J’ai envie de toi…

- Oh! Ça! Je le sais. Mais Gwen, ma fille va mal moralement. J’ai trop attendu. Elle souffre parce qu’elle se sent abandonnée, rejetée…

- Daniel Lin, mon maître, il lui faut un compagnon. Guillaume fera l’affaire.

- Holà! Tu vas trop vite, ma Gwen! Violetta n’est pas majeure; elle n’a pas quinze ans.

- Je ne saisis pas! Elle est jeune, certes, mais elle est formée, perd du sang chaque mois. Elle peut donc s’accoupler. Comme je l’ai fait à son âge! Cela la consolera. Moi aussi j’ai été privée de ma mère et j’étais plus jeune et plus tendre qu’elle… or, je n’avais pas de père non plus. Mon maître, Violetta a plus de chance que moi.

- Gwenaëlle, les choses ne fonctionnent pas ainsi dans mon monde. Et n’envie pas ma fille…

- Mais je ne l’envie pas. Ton monde est beaucoup trop compliqué pour moi. Majeure? Explique-moi un peu…

- Hum… Ce terme signifie que Violetta n’est pas encore adulte, loin de là. Elle n’est donc pas encore apte à assumer toutes les responsabilités qui accompagnent cet état. Suppose qu’elle prenne une décision lourde de conséquences pour son avenir. Une décision qu’elle croit bonne…

- Comme?

- Comme celle qu’elle a prise en partant à ma recherche…

- Ah! Le regrettes-tu?

- Non, évidemment! Mais elle… peut-être… elle ne sait plus maintenant si elle a fait le bon choix. Or, il lui est impossible de revenir en arrière. Ici, vois-tu, Violetta vit dans l’inconfort, loin de sa mère et de sa sœur, sans perspective de carrière et d’avenir.

- Sa mère? La terrible Lorenza? Mais ce n’est pas une perte, Daniel Lin. Ta fille a eu raison de partir!

- Garde pour toi cette réflexion.

- Perspective de carrière, d’avenir? Explique avec des mots simples.

- Je veux dire avoir une situation qui lui plaît, un métier gratifiant, lui permettant de recevoir la reconnaissance des siens, de ses pairs. Un mari plaisant et prometteur…

- Daniel Lin, que ta fille prenne Guillaume!

- Encore cette suggestion Gwen? Tu es incorrigible.

- Accepte-le.

- Pieds légers n’est pas franchement le gendre dont je rêvais; il a tendance à… chaparder. Cela lui est naturel. De plus, sa morale élastique laisse à désirer.

- Pff! Daniel Lin, mon maître, tes propos déplacés me font rire. Oublies-tu donc qu’ici, tout ce que nous possédons provient de vols et de razzias?

- Hum… cela changera bientôt.. Maintenant, je vais parler à ma fille. Ah! Un détail, Gwen. Violetta n’est pas amoureuse de Guillaume. Pas dans le sens auquel tu penses… Pieds Légers n’est qu’un ami pour mon luron métamorphe.

- Tu l’as vu dans sa tête?

- Exactement.

- Alors, qui veut-elle?

- Personne encore. Manque de maturité.

- Ne me mens pas. Qui veut-elle?

- Là-bas, ailleurs, l’autre Violetta voulait épouser Antor. Mais ce n’était qu’une amourette dans un esprit encore adolescent. Or, ici, présentement, Antor n’existe pas… du moins, est-il perdu quelque part, dans un lieu qui me reste inaccessible.

- Ah! Daniel Lin, c’est toi qui es perdu!

- Oui, Gwen, je l’avoue. Tu me connais mieux que moi je parviens à me comprendre. Pardon!

Après un dernier baiser et une ultime caresse à sa compagne, le commandant Wu prit une veste chaude et se rendit auprès de sa fille.

La Celte savait pertinemment ce qui tourmentait son amant. Irina, la douce et parfumée Irina. Deux êtres aimés lui manquaient et Daniel Lin était incapable de faire son deuil. En cela, il n’était pas raisonnable.

« Ah! Cette Irina il ne l’oubliera jamais! » Soupirait Gwen en s’emmitouflant dans les couvertures.

Aux pieds de la jeune femme, Ufo ronronnait. Le chat venait de s’endormir.

« Même si je lui donne sans cesse du plaisir, même si je porte et mets au monde cinq ou six fils, il l’aimera toujours! Ah ma mère! Mais moi, je ne suis pas ingrate. Je l’accepte tel qu’il est; je l’aime bien plus qu’il ne m’aime. Je sais ce qu’il est, qui il est… et je dois lui celer cela… pour son bien… pourquoi suis-je capable de lui mentir? Parce qu’il m’a fécondée… et il ne me juge pas non plus. Pourtant, il sait que j’ai connu beaucoup d’hommes… pour lui, ce n’est pas important… avec Daniel lin, mon maître, j’apprends. Je n’ai plus peur des mauvais esprits, des mauvais rêves. Je sais qu’il parviendra à les chasser, à les vaincre pour toujours. J’ai confiance en lui… il est plus fort que la mort. Il triomphera des démons, de tous les démons, à commencer par les siens. Je l’ai vu! »

***************

Danikine recevait Irina Maïakovska dans son salon vert en présence de l’incontournable Galeazzo di Fabbrini. Le Russe s’était aménagé une retraite tranquille du côté de Passy parmi les parcs ombragés, loin de l’agitation des quartiers centraux de la capitale. Pour Pavel et l’Ultramontain, l’heure était venue de mettre la capitaine Maïakovska de leur côté.

- Je pensais les Napoléonides tout à fait incapables de voyager dans le temps. Jeta Irina avec aplomb après les révélations des deux hommes. Or, comte, vous m’assurez du contraire; Dolgouroï, dont je reçois les ordres directement, est, lui, persuadé que seul l’Empereur Fu qui est comme moi originaire du XXVIe siècle, dispose de la technique permettant la translation temporelle.

- Oh, mais, ma chère, la réalité est autrement plus complexe, répondit le Piémontais en souriant.

- Expliquez-vous donc! S’irrita la jeune femme. Ne me traitez pas comme une demeurée. J’ai horreur de toute condescendance à mon égard.

- Capitaine, puisque c’est là votre grade au sein de la flotte intersidérale russe, lorsque vous avez accepté cette mission très spéciale, vous saviez que vous pouviez vous heurter à un adversaire particulièrement déterminé. Nous aussi nous le traquons, voilà tout. Hé bien apprenez que cet adversaire coriace se nomme Daniel Lin Wu Grimaud.

- Mais c’est impossible! Il a toutes les polices du monde à ses basques. Comment un hors-la-loi, recherché par les siens, pourrait-il disposer d’une technologie aussi avancée? De surcroît, pourquoi voudrait-il préserver l’Empire des Napoléonides qui l’a condamné à mourir à petit feu dans ce bagne de Bolsa de basura dos?

- Ma chère, vous n’écoutez pas vraiment ce que je dis!

- Ah! Explicitez vos propos, comte.

- Vous connaissez comme moi les circonstances de la fuite du commandant. Lorsqu’un vaisseau semble se fondre dans le rayonnement d’un soleil pour ensuite y disparaître, c’est qu’il est en train d’effectuer un saut quantique temporel, sans translateur. Il faut être assez téméraire pour ainsi se déplacer dans le temps, mais bon, pareil exploit ne m’étonne pas de la part de cet homme. Donc, Daniel Lin Wu s’est effacé de son continuum pour se matérialiser ailleurs, sur un autre segment spatio temporel. Nierez-vous ce fait?

- Non, car vous me décrivez là le principe de base du translateur.

- Vous m’en voyez soulagé. Après tout, vous maîtrisez mieux que moi ce concept.

- Pourquoi donc, comte?

- Je vous intrigue, n’est-ce pas? Capitaine, moi, je suis un pur produit du XIXe siècle. Même si j’ai eu le privilège de remonter le cours du temps, je n’ai que rarement exploré l’avenir. Mes intrusions dans le futur n’ont pas dépassé la fin du XX e siècle.

- Hum… êtes-vous le véritable inventeur du voyage quantique?

- Je le souhaiterais… mais, pour une fois, je vais me montrer honnête. Hé bien, non!

- Alors, dans ce cas, d’où vous vient un tel savoir, plus qu’étonnant pour ce siècle?

- Madame, rappelez-vous notre première rencontre dans les jardins du Luxembourg.

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- Oui… Un autre homme se trouvait avec vous… il vous ressemblait quelque peu…

- C’est fort possible bien qu’il ne soit pas mon frère. En fait, il s’agissait de mon ami Johann van der Zelden.

- Je l’ai alors pris pour une simple relation.

- Johann porte certes un nom à consonance hollandaise; et vous vous dites que la Hollande vit sous la coupe de Louis Jérôme Napoléon IX. Mais mon ami appartient à une autre chronoligne tout comme le sieur Daniel Lin Wu Grimaud.

- Je ne saisis plus…

- Le commandant Wu et pas Grimaud vivait une existence heureuse, un bonheur presque parfait avec son épouse et ses trois enfants jusqu’en septembre 2517, dans un Univers où l’Empire napoléonien ne s’était pas… éternisé. Et puis, à la suite d’un accident, une minuscule intervention de mon ami Johann…

- Une minuscule intervention? Ricana Pavel. Comte, vous avez de ces mots…

- Laissez-moi poursuivre… ledit Daniel Lin s’est retrouvé aux commandes du Lagrange, ayant fusionné avec son alter ego à l’instant précis où le Cornwallis attaquait le vaisseau scientifique des Napoléonides. Applaudissez donc cet exploit signé van der Zelden!

- Van der Zelden, l’auteur d’un tel prodige? Un simple humain? Impossible!

- Il n’a que la vêture d’un humain. Et de la part de Johann on ne peut parler que de routine.

- Admettons. Ce Daniel Lin Wu qui a fusionné avec son double est aussi certainement un commandant de vaisseau spatial?

- Le meilleur de sa chronoligne… et de n’importe laquelle je pense.

- Ah! Je comprends mieux les manœuvres désespérées du Lagrange. Elles ont failli détruire le Cornwallis. Au fait, comte, comment connaissez-vous tous ces détails?

- Justement. Par van der Zelden…

- Décidément, votre ami possède le savoir et les pouvoirs d’un dieu.

- Restons modeste! Lança alors une voix teintée d’un léger accent américain.

Sans façon, l’homme aux yeux de nuit s’assit dans un profond fauteuil de cuir, tira sur son cigare et poursuivit:

- Chère madame, ne montrez point d’étonnement à mon arrivée subite.

- Comment êtes-vous entré? Vous n’avez ni sonné à la porte ni franchi le seuil. Et il n’y a eu aucun rayonnement de téléportation

- Broutilles, Irina Maïakovska Sitruk. J’apparais où je veux, quand je le veux.

- Mon ami affectionne ces entrées soudaines et théâtrales, fit Galeazzo avec ironie.

- Un jeu d’enfant pour moi, comte. Répliqua l’Américano-hollandais. Mais trêve d’amusement. Parlons sérieusement. Le Neutre ou celui qui se croit tel renifle déjà notre piste. Ses aides sont déjà ici, à Paris en ce 1825 dévié.

- Pour effacer sans doute cette chronoligne, marmonna Danikine songeur.

- Je croyais que c’était l’inverse.

- Tout à fait, approuva Johann en tirant une nouvelle bouffée de son cigare. Mais nous allons mettre les pieds dans cette fourmilière et compliquer le jeu.

***************

À son tour, Denis O’Rourke avait choisi la désertion. Décidément, le capitaine di Fabbrini n’avait ni l’art ni la manière pour commander le Lagrange. L’ambassadeur d’Elcourt, lavé de tout soupçon, avait reçu de nouveaux ordres. Il avait lâché un commando aux trousses du médecin puis fait faire demi-tour au vaisseau qui, présentement en orbite autour de Io, allait être réarmé et recevoir des boucliers renforcés.

L’amiral Gavret, qui coiffait tous les services secrets de l’Empire des Napoléonides, fournissait au Lagrange de nouveaux appareils à la pointe de la technologie; un bouclier d’occultation, bien sûr, mais aussi des torpilles à bosons à fragmentation, un ordinateur quantique capable de se substituer aux humains et enfin, une étrange sphère reliée au nouveau computer IA afin d’anticiper les mouvements des adversaires; il s’agissait d’un prototype peu élaboré du chrono vision. Cet engin, fort grossier et encore plus encombrant que celui possédé par André Fermat présentait un inconvénient majeur: il consommait trois tera watts par seconde d’électricité et exigeait pour fonctionner que tous les boucliers du vaisseau fussent out. Pour Gavret, le Lagrange, désormais doté de cet appareil prodigieux, allait surclasser et vaincre tous les vaisseaux ennemis qui oseraient l’affronter.

Mais revenons aux tribulations de Denis. Usant du même déguisement que celui d’Aure-Elise, le jeune médecin avait réussi à monter dans le cargo qui venait ramasser les déchets du vaisseau scientifique. Pour cela, il avait emprunté l’identité d’un ouvrier cafre à la peau café au lait et aux yeux noirs. Son visage portait les scarifications rituelles d’une tribu de Mauritanie.

À bord du Bello Horizonte, O’Rourke avait assommé les trois membres d’équipage puis avait dirigé la navette poubelle vers Mars.

Depuis, il vivait caché, volant sa nourriture, tremblant, sans cesse sur le qui-vive, craignant d’être découvert et identifié, se posant la question: « Comment, maintenant rejoindre Aure-Elise et le vice amiral Fermat? ».

Totalement démuni et tenaillé par la faim, l’Irlandais errait à l’aube dans le bidonville de « Mare de Oro », le si mal nommé. Dissimulé dans un habit de toile, il s’approchait d’un café afin de quémander un quignon de pain et un verre d’eau. Pour lui, mendier était devenu une question de survie.

Soudain, une ombre inquiétante le fit se retourner.

- Que… Commandant Grimaud? S’exclama le médecin. Et sans maquillage! Quelle imprudence!

- Denis de la discrétion! On pourrait vous entendre. Allons, suivez-moi…

- Volontiers. Ainsi donc vous me cherchiez et moi de même… mais comment avez-vous appris ma désertion?

- Nous en discuterons à bord du Vaillant.

S’engageant dans une contre-allée déserte et empuantie par des tas d’ordures, Daniel Lin donna le signal de téléportation.

Dans la soute, Ufo dans ses bras, Violetta attendait les deux hommes.

- Bonjour Denis, fit l’adolescente en bâillant impoliment. Je me suis levée tôt pour vous sauver, vous savez?

- Me sauver?

- Ma fille dit vrai. Les chasseurs de Lorenza ont en effet retrouvé votre trace. Si je ne m’étais pas manifesté, dans une heure vous auriez été capturé.

- Ah! Comment avez-vous appris cela?

- Par le chrono vision bien évidemment!

- Oui, c’est logique… mais…

- Ne perdons pas de temps. Prenez l’échelle métallique, passez dans la cabine au-dessus et attachez-vous. Nous allons nous translater au Xinjiang et cela va secouer.

Abasourdi, O’Rourke obéit. En haut, il reconnut sans surprise le vice amiral Fermat mais n’identifia pas la jeune femme rousse enceinte à la longue chevelure emmêlée en train de vérifier l’arrimage des fûts de réfrigérant. Ses splendides yeux verts se posèrent sur l’Irlandais. Puis, en souriant, elle lui souhaita la bienvenue dans un français encore hésitant:

- Euh… Daniel Lin m’a dit que vous étiez un homme médecine. Tant mieux! Dans l’Agartha, nous avons des malades. Et je ne suffis plus à la tâche malgré mon bon vouloir. Carences alimentaires d’après mon maître, mais aussi le froid qui fait des ravages. Bronchites, pneumonies… nous nous sommes trouvés dans l’obligation de voler des médicaments, des antibiotiques… mais il faudrait opérer cinq malades… or, ça, je ne sais pas le faire…

- Euh… entendu, madame. Mais qui êtes-vous?

- Gwenaëlle, de la tribu de Gashaka. J’appartiens à Daniel Lin.

- Je ne saisis pas.

- Je suis sa compagne. Vous m’aiderez lorsque Bart naîtra…

- Bart?

- L’enfant, l’héritier de Daniel Lin.

Dépassé, O’Rourke hocha machinalement la tête et s’assit sur un siège de fortune, attendant la fameuse translation.

Lors du saut, la main tiède de la Celte s’empara de la sienne. Denis sentit la peur qui envahissait la jeune femme.

- Nous franchissons les ténèbres des mondes interdits, commenta-t-elle. Malgré mon angoisse, je viens le plus souvent que je le peux. Mais Daniel Lin, même s’il me donne son autorisation, n’est pas content. Il dit que cela fait du mal à l’enfant. Pourtant ici, malgré la puanteur, je me sens bien, j’ai chaud et je vois des choses inconnues et étranges, le ciel, le Soleil… à Shangri-La, ils me manquent terriblement car nous vivons sous terre. Ah! Nous sommes arrivés. Tout s’est bien passé.

- Bigre! Le voyage a été plus que rapide. De Mars au Xinjiang, cinq minutes à peine. S’exclama Denis en consultant son chronomètre.

- Alors, O’Rourke, demanda le commandant Wu en se retournant alors qu’il venait de se déconnecter d’ avec l’ordinateur de bord, puis-je enfin vous souhaiter la bienvenue chez moi?

- Où sommes-nous, commandant?

- Mais sur l’aire d’atterrissage de la base secrète, mon ami.

- Un saut quantique dans de telles conditions est… impossible.

- Pas avec le translateur, répondit Fermat.

Le sas du vaisseau ouvert, l’Irlandais s’aperçut qu’il était attendu par un comité de réception composé de vingt personnes pour le moins. Elles se trouvaient au sommet d’un monticule glacé et enneigé.

- Attention au choc thermique, docteur! Lança Violetta avec espièglerie. Aujourd’hui, cependant, il fait presque supportable. 23,6°C en dessous de zéro!

- Shangri-La… je ne voyais pas ainsi cette cité mythique… soupira le jeune médecin.

- Oh! Parce qu’elle n’en est qu’à ses débuts… tout va bien, capitaine Craddock, comme vous pouvez le constater.

- Mon gars, je ne m’en faisais pas pour toi, mais pour Gwen…

Toutefois, le Cachalot du Système Sol n’en vint pas moins serrer Daniel Lin affectueusement dans ses bras. Puis il fit de même avec Violetta et la Celte. Il se contenta d’incliner la tête devant l’amiral.

- Vous êtes partis vite et êtes revenus de même, constata-t-il.

- Il n’y avait pas réellement de danger, dit Fermat.

Aux côtés de Symphorien se tenaient Aure-Elise, reconnue par l’Irlandais, mais aussi Raeva, Frédéric Tellier et Louise de Frontignac, logiquement de parfaits inconnus pour lui. Or, O’Rourke sursauta à la vue de la femme blonde.

- Votre portrait… balbutia le jeune médecin… je l’ai vu au Musée du Louvre… peint par Ingres si je m’en souviens bien… il m’avait frappé…

- J’avais vingt ans alors, souffla Brelan avec mélancolie.

- Denis, demanda Daniel Lin avec un sourire amusé, vous ne comprenez toujours pas?

- Euh… là, je rêve! Ce grand type fort laid mais plein de talents… le tragédien Michel Simon.

- Pas tout à fait… alors, mon cher, votre conclusion?

- Commandant Grimaud, vous voyagez dans le temps.

- Plus exactement, le long des pistes temporelles. Au fait, Denis, appelez-moi Daniel Lin Wu Grimaud comme tous ici. Et sachez que nous sommes en 2152, un 2152 sans les Napoléonides.

***************

Violetta eut donc l’explication désirée avec son père. Tout d’abord, elle refusa de lui confier quoi que ce soit, s’enfermant dans un mutisme obstiné bien de son âge. Cette attitude dura de longues minutes mais Daniel Lin était patient. Naturellement, l’adolescente céda la première. Elle finit par jeter, boudeuse:

- Jusqu’à quand vas-tu me priver de l’usage du chrono vision? Pourquoi ne puis-je le consulter librement? Je n’aime pas lorsque tu agis avec moi en tyran…

- Tyran… ma fille tu exagères… mais laissons cet écart de langage… pourquoi justement, souhaites-tu le consulter?

- Pour connaître ce qui m’attend, tiens! Pour apprendre également qui j’étais ailleurs, dans ces chronolignes différentes…

- Hum… je ne sais pas si tu supporterais ce que tu y verrais.

- Tu doutes de moi et tu m’interdis l’accès de ton appareil pour me protéger… mais je ne suis pas une gamine écervelée.

- Là-bas, dans les pistes 1721, 1722 et 1723, ton père ce n’est pas moi… il s’appelle Benjamin Sitruk…

- Pff! Tu ne m’apprends rien de neuf, papa!

- Je te rappelle les faits, ma grande.

- C’est un double du commandant du Cornwallis.

- En quelque sorte. Mais tes paroles recèlent de l’amertume.

- Pas contre toi.

- Je le sais bien.

- J’éprouve de la colère contre ce maudit destin, contre le comte Galeazzo di Fabbrini, mon ancêtre, contre…

http://www.cinereves.com/photos/roambole%20222.JPG

- Tu veux donc te venger, Violetta? Ce n’est pas productif. Ma fille, on ne construit rien de solide et de durable sur la haine et la vengeance.

- Papa, ne me dis pas que tu ne vas rien tenter pour retrouver ce type qui t’a nui gravement et lui faire un sort ensuite!

- Retrouver le comte? Mais je m’y emploie Violetta. Mais pas pour les mêmes raisons que toi.

- Aure-Elise a raison de dire que l’altruisme et la bonté dominent chez toi. Mais ces éminentes qualités peuvent te causer du tort.

- L’adversaire n’est pas un enfant de chœur. Et on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. J’ai pleinement conscience de mes lacunes. C’est pour cela que l’aide de Fermat m’est précieuse. L’amiral compense mes faiblesses.

- Je vois… parfois, il me fait froid dans le dos…

- Dois-je te l’avouer? À moi aussi!

- Ouais. Quand pars-tu remonter le temps afin d’empêcher l’ancêtre de nuire davantage?

- Bientôt, Violetta. Il me reste encore quelques détails à régler.

- Papa, moi aussi je veux être de l’expédition, comme Aure-Elise, Guillaume, Frédéric et tous les autres! Tu comprends, je ne supporterais pas d’être mise à l’écart… et je te promets de bien me tenir et de t’obéir en tout! De plus mes dons de métamorphe pourront t’être utiles… changer la couleur et le volume de mes cheveux, leur longueur, les traits de mon visage, la taille, la teinte de mes yeux…

- Te faire passer pour quelqu’un d’autre par exemple…

- Oui, cela aussi, et plus peut-être…

- Ah! Chaque jour qui passe, tu ressembles davantage à ton double, ma fille!

- Tu ris… tes yeux rient. Tu acceptes donc…

- Effectivement. Pourquoi irais-je à l’encontre de ce que montre le chrono vision?

- Tu vois! Hé bien, je suis soulagée. Nous sommes d’accord.

- Tu vas donc rendre de menus services dans le passé…

- Oui, papa, oui!

- Alors, entraîne-toi, utilise tes talents de métamorphe, et… surtout, fais-moi confiance.

- Papounet, ma confiance t’est acquise dès le début de ce micmac.

- Violetta, ne m’appelle pas ainsi.

- Euh… c’est mon autre père, Benjamin que je nommais ainsi, hein?

- Oui… particulièrement lorsque tu le suppliais de te donner quelque chose de difficile à obtenir et que tu te doutais qu’il allait refuser de céder à ton… caprice.

- Ah! Alors…

- Alors, fâchée, larmoyante, tu venais te réfugier auprès de moi, tu maudissais la sévérité de ton géniteur et tu me donnais de « mon oncle » par-ci, de Daniel Lin par-là… Bref, tu devenais collante, te moquant de gêner mon travail…

- Pourquoi donc?

- Là-bas, tu possédais une triple mémoire et tu te souvenais que je t’avais servi de père durant ta petite enfance.

- Hum… Aure-Elise se rappelle-t-elle ses autres moi?

- Partiellement.

- Si tu me donnes accès au chrono vision, me verrai-je telle que je suis vraiment dans la réalité totale? Tu sais, dans cet Univers, il me semble n’être qu’une pâle copie, qu’un succédané de l’autre Violetta.

- Pas du tout, fifille; bien au contraire! Dans cette chronoligne aberrante, tu es restée fidèle à toi-même. Or, j’aime cette constante. C’est à la fois rassurant et rafraîchissant.

- Et maman? L’autre? Peux-tu me répondre avec honnêteté? Sans mentir?

- Ah! Lorenza di Fabbrini Sitruk… Qui épousa Benjamin par amour. Ta question, je l’attendais, ma grande. Je vais être sincère, tu le mérites. Sur mon vaisseau, le Langevin, elle exerçait la fonction de médecin en chef… le meilleur médecin qui fût… elle portait en bandoulière l’éthique propre à sa profession. Cela lui était une seconde nature. Et bien souvent, elle a sauvé les membres d’équipage de maux inimaginables… l’infestation et l’épidémie Alphaego par exemple…

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0b/Human_Embryo_-_Approximately_8_weeks_estimated_gestational_age.jpg

- Euh… tu n’éprouvais que de l’amitié pour elle? Aucun sentiment amoureux?

- Une amitié difficile au départ mais ensuite tout à fait partagée… j’avais Irina… alors, aimer Lorenza… non… cela ne me venait pas à l’esprit d’autant plus qu’avec Sitruk, tous deux formaient un joli couple…

- Bon, d’accord. Mais moi, avais-je des amis?

- Plus âgés que toi, Nadine Lancet, Celsia, la Castorii…

- Mais pas Aure-Elise?

- Elle n’est venue que plus tard à bord du Langevin…

- Et un amoureux? J’en avais?

- Hum… Difficile de répondre…

- Pourquoi hésites-tu maintenant?

- Très bien… Antor… tu lui courais après mais personne ne te prenait au sérieux.

- Aïe! À cause de la grande différence d’âge je suppose…

- Certes, mais aussi à cause de ton innocence…

- Et toi, te moquais-tu de moi?

- Non. Je pensais que cette amourette te passerait.

- Antor, lui, comment réagissait-il?

- Il respectait tes sentiments. Mais jamais il ne t’aurait épousée…

- Je te sens gêné.

- Plutôt nostalgique, Violetta. Pour moi, Antor était comme un frère. Un confident… couche-toi maintenant. Il se fait tard.

- Oh! Presque deux heures du matin! Je ne vais pas être en forme tantôt.

Après avoir reçu une bise sur la joue, Violetta s’enfouit sous un édredon bien épais, un cadeau de Louise et ferma les yeux. Aussitôt, sereine, l’adolescente s’endormit, un léger sourire sur les lèvres. Elle n’avait plus fait cas de la présence de Daniel Lin.

« Ma Violetta, ma fille dans ce monde cruel et sens dessus dessous… tu crains pour ton avenir mais je ne t’abandonnerai pas. Tu regrettes la douceur, la tendresse d’une vraie mère… je vais te donner ce qu’il m’est possible de t’octroyer. Les souvenirs d’une autre toi-même. Tu verras Lorenza avec les yeux de ton alter ego. Approprie-toi ces images, ces sentiments, fais-les tiens et dors en paix… ».

Doucement, avec mille précautions, le Ying Lung qui s’ignorait s’insinua dans la fragile psyché de l’adolescente et lui transmit toutes ses connaissances concernant les doubles de la jeune métamorphe. Une fois cette modification accomplie, épuisé mais heureux, le daryl androïde regagna sa couche à son tour pour sombrer immédiatement dans un profond sommeil. Gwenaëlle qui l’avait patiemment attendu, comprit la lassitude de son compagnon et ne lui tint pas rigueur pour sa défection.

Aux pieds de la Celte,

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Ufo rêvait de chasse. Un mulot se faisait piéger par l’espiègle félin. Dans son songe, le chat joua longuement avec sa proie avant de la croquer.

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