samedi 29 mars 2014

Le Tombeau d'Adam : prologue.



LE   TOMBEAU  D’ADAM



Par Christian et Jocelyne JANNONE
                                                                                 
Au commencement était le Profit.
Et le Profit était en Dieu
Et le Profit était Dieu.
Puis le Profit devint chair 
 Et s’incarna en Adam Smith.
                                                                                                                      
Thaddeus Von Kalmann
in Slavery Trek         
 Presses de l’Université de Chicago 1947.
                                                                                                               

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Prologue

Meurtre en New Look


New York 1er mars 1949.
Le soir tombait dans les rues de Greenwich Village tandis que peu à peu les fenêtres s’éclairaient dans les bâtiments ajoutant leurs ors à ceux des phares des grosses automobiles carrossées agressivement avec leurs lourds pare-chocs chromés. Les réverbères participaient à cette symphonie de clair-obscur où l’asphalte luisant de pluie rendait aléatoire le parcours des New Yorkais pressés de se mettre à l’abri.
Par instant, le glissement des pneus et le klaxon rageur des encombrements habituels laissaient place à quelques notes perdues s’échappant d’un saxo mélancolique provenant d’un bar encore quasi désert hormis le patron en tablier autrefois blanc rêvassant au son de la radio tout en essuyant des verres secs depuis longtemps.
Deux étages plus haut, une silhouette longiligne baissait un store récalcitrant puis se tournait pour répondre à une question du mannequin déjà revêtue de ses habits personnels. 
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- Liza, c’est entendu pour lundi à 14H.
- Toujours pour le Harper’s Bazaar, Nick. 
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- Oh! Tu sais, cela m’est égal , du moment que je suis bien payé, ma chère.
- Surtout, n’oublie pas et ne va pas te cuiter ce week-end.
- Pour qui me prends-tu? J’ai arrêté il y a six mois et depuis, je n’ai pas bu une goutte d’alcool.
- Déjà six heures! Il faut que je me dépêche.
- Tu as un autre rendez-vous?
- Avec un producteur d’ABC Télévision. Pour un petit rôle dans une pièce de Tchékhov. À lundi, Nick.
- C’est ça…
Après un baiser tout amical, la jeune femme quitta le vaste studio de Nick Harriman pour s’engouffrer dans la cage d’escalier. L’immeuble, vétuste, dépourvu d’ascenseur, n’était pas sans charmes, mais à cet instant, Liza Freemont, jeune mannequin de vingt ans, ne pouvait admirer la vieille rampe en acajou et le tapis élimé qui couvrait les marches car l’escalier était plongé dans l’obscurité.
- Ah! Zut! Une panne. Murmura la jeune femme contrariée après avoir appuyé vainement sur l’interrupteur au moins quatre ou cinq fois.
- Tant pis, reprit-elle après un temps d’arrêt. Les marches ne sont pas si hautes, mais soyons prudente.
Avec une lenteur calculée afin de ne pas chuter, la blonde personne s’engagea dans la descente. Tout se passa bien durant quelques secondes jusqu’au palier du premier. Soudain, Liza eut le sentiment d’une autre présence auprès d’elle. Un souffle court, haché, des yeux lumineux…
- Oh! Je gêne, sans doute, fit-elle poliment. Pardonnez-moi, monsieur… je m’efface contre le mur. Passez, je vous prie.
La jeune femme n’eut pas le temps d’en dire plus. Deux plops accompagnés par deux brillances rougeoyantes. Alors, les ténèbres se firent dans le cerveau de Liza Freemont, et ce, pour l’éternité.
Cependant, son assassin se penchait sur son corps sans vie.
« De la bonne ouvrage, sans aucun doute, dit-il d’une voix sourde à l’accent guttural marqué. Maintenant, il me faut passer à l’étape suivante ».
La masse imposante du tueur s’empressa de quitter l’immeuble et de se confondre dans la nuit avec tous les New Yorkais anonymes qui se hâtaient de retrouver leurs foyers confortables, à l’abri de la  pluie glaciale qui tombait depuis le matin sans discontinuer sur la Grosse Pomme.
Quelques rues plus loin, l’inconnu héla un taxi De Soto jaune à damiers noirs et blancs et s’assit comme si de rien n’était dans le véhicule.
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- Central Park, vite!
- Tout de suite, monsieur, répondit le chauffeur tout en mâchonnant un chewing-gum à la menthe.
Le taxi retrouva la file ininterrompue des voitures luisantes de pluie.
Or, à quelques mètres de là, une dame d’un certain âge, vêtue sans élégance d’une robe de laine couleur puce et d’un manteau assorti, abritée sous un vaste parapluie et tenant en laisse un teckel noir, approchait à petits pas de l’immeuble où gisait le cadavre tout frais de Liza Freemont. 
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- Allons, dépêche-toi, Sweetie, répétait-elle à son compagnon de solitude. Mon chou, tu es pourtant tout trempé mais peu pressé d’être réchauffé par Maman.
Néanmoins, Alicia Merritt parvint devant les marches glissantes du perron du vieil immeuble en briques où elle logeait depuis vingt-deux ans.
Avec amour mais non sans brusquerie, elle prit Sweetie dans ses bras et grimpa les cinq marches.
- Encore une panne. Décidément, cela devient habituel.
Fâchée, la voisine de palier de Nick Harriman entama en soufflant l’escalade jusqu’au deuxième étage. Mais Sweetie remuait de plus en plus entre les bras de sa maîtresse.
- Qu’as-tu donc à la fin? S’inquiéta Alicia.
Le chien joignit un aboi lugubre aux remarques de la vieille femme.
Parvenue au premier étage, Alicia trébucha alors sur quelque chose de compact et de mou à la fois tandis que Sweetie échappait à son étreinte et s’en allait renifler l’étrange tas.
Reprenant tant bien que mal son équilibre, madame Merritt observa la masse confuse qui était étendue à ses pieds; Malgré l’obscurité ambiante, peu à peu une évidence atteignit son cerveau et, paniquée, la veuve se mit à pousser des cris d’orfraie.
- Au secours! Il y a un cadavre sur le palier. À l’assassin! Au meurtre!
Ce fut ainsi que débuta l’affaire baptisée Meurtre en New Look par une presse avide de sensationnel, plus intéressée par les tirages que par l’enquête elle-même et la recherche de la vérité. 

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Détroit, 2 mars 1949, 7h45 du matin.
Dans un quartier résidentiel, une jeune femme d’origine française, en déshabillé de satin blanc, chaussée d’adorables mules, les cheveux blonds aux reflets roux relevés en chignon, grignotait délicatement un toast beurré tout en parcourant d’un œil distrait un quotidien.
Cependant, bientôt son attention fut attirée par l’article suivant:
N.Y. Dernière minute.
Un meurtre mystérieux a eu lieu hier vers 18 heures dans un immeuble de Greenwich  Village.
Puis, sur deux colonnes suivaient des détails complémentaires tels que:
Le jeune mannequin Liza Freemont, qui travaillait pour le Harper’s Bazar s’apprêtait à jouer dans une pièce intitulée «la mouette »…
Notre reporter Mark Nielsen n’a pu s’empêcher d’être ému devant la beauté désormais figée pour toujours de la jeune femme. Une fragilité si époustouflante, une délicatesse de porcelaine qui transparaissaient malgré tout au milieu du désordre engendré par les allers et venues incessants des policiers.
Pourquoi tant d’innocence détruite? Un visage lisse, si lisse, une robe de lainage marron à la jupe ample, un délicieux chapeau orné d’une plume piétinée et deux trous dans la poitrine…
Un suspect a été arrêté. Il s’agit du photographe Nick Harriman qui est la dernière personne à avoir vivante Liza Freemont dont la carrière de mannequin et de comédienne débutait.
Elisabeth, laissant là son petit-déjeuner, jeta sur la table journal et serviette pour se rendre dans la salle de bains où Franz, son mari, prenait une douche. D’une main ferme, elle ouvrit la porte et attendit que son époux eut remarqué son manège.
- Que veux-tu? Lui demanda celui-ci, surpris.
- Le journal. Il faut que tu le lises. Liza Freemont…
- Je ne vois pas.
- Mais si! Souviens-toi. Nous l’avons rencontrée l’été dernier chez Otto et ensuite nous avons dîné avec elle, il y a deux mois.
- Oui, et alors?
- Elle a été assassinée.
- Teufel! Pourquoi? Qui est l’auteur de ce meurtre?
- La police métropolitaine ne sait rien encore bien qu’un suspect ait été arrêté.
- Toi, tu veux me demander quelque chose…
- Précisément. Va à New York et suis de près l’enquête.
- Ah! Mais mon travail?
- Lorsque Von Möll apprendra la nouvelle, il permettra que tu t’absentes. Tu lui en parles tout à l’heure, n’est-ce pas?
- Entendu. Je me dépêche. Tu me montres l’article puis je file à l’usine.
Soulagée, Elisabeth respira plus librement. Elle pouvait compter sur son mari pour élucider cette sombre affaire.
Toutefois, la jeune femme était loin de se douter que l’assassinat de Liza Freemont n’était qu’une simple péripétie dans une vaste partie de poker qui avait pour échelle la Galaxie tout entière ainsi que le bon déroulement du continuum spatio-temporel.

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New York, 16 mars 1949. District central de la police métropolitaine. 19h30. 
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Le lieutenant O’Neil relisait d’un œil chargé de colère le dernier rapport concernant le meurtre de Liza Freemont. Par instant, il laissait échapper quelques remarques peu amènes sur l’auteur de ces pages dactylographiées.
L’assassin, nul ne l’a vu… on ignore toujours son identité. Le suspect Nick Harriman a du être relâché, faute de preuve et de mobile… les balles retirées du corps de la victime proviennent d’une arme allemande de la 2e Guerre mondiale, un pistolet Mauser HSC calibre 7.65. L’automatique a été retrouvé dans une poubelle du métro. Naturellement, absence d’empreinte. L’arme n’est répertoriée nulle part. tous les suspects possibles, parents, amis, collègues et relations de la victime ont tous été interrogés et ont des alibis en béton. Sauf ce Harriman, évidemment. Mais ce n’est sûrement pas lui. Pourquoi ce type, qui tente un come back dans la photo, irait-il foutre une deuxième fois sa carrière en l’air après avoir subi une cure de désintoxication? De plus, il n’éprouvait rien pour Liza Freemont. La famille, malgré ses relations, n’en sait pas plus…
Ah! Décidément! Encore une affaire qui ne sera jamais élucidée; je m’accorde encore une semaine. Tant pis pour les ordres. Le chef ira se faire voir. Larrisson aussi! Ces pages sont remplies de fautes d’orthographe!
Exit, le Meurtre en New Look.
Peu à peu, Liza Freemont sombra dans l’oubli. Des films comme Mogambo, ou encore Fenêtre sur Cour se firent sans elle.

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