samedi 13 octobre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 16 2e partie.



Le comte di Fabbrini se montrait particulièrement confiant. Jamais il ne s’avouait vaincu, jamais il ne renonçait. Déjà, il avait frôlé la mort par deux fois et franchi l’Hadès avant de rencontrer l’inquiétant Johann van der Zelden. Cette fois-ci, l’Ultramontain croyait tenir le bon bout avec la culture de clones à grande échelle. D’ici un an tout au plus, tous les États qui comptaient sur la Terre seraient dirigés par des créatures qui lui étaient entièrement soumises, plus dociles encore que des marionnettes. De plus, avec le contrôle du déplacement temporel, lui, Galeazzo le Maudit ne pouvait que réussir. 
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Mais le comte machiavélique ignorait un élément important tu par van der Zelden. La durée de vie limitée des clones, pas plus de vingt années. Galeazzo croyait pouvoir gouverner le Monde. Or, son rêve ne pouvait que se briser du fait de ce mensonge par omission.
Johann, en fait, se servait de l’Italien pour effacer, détruire l’humanité, la gommer de la mémoire du Panmultivers. Il était à deux doigts de réussir dans son funeste projet. Avançant prudemment ses pions, il marquait des points. Toutefois, il ressentait un diffus malaise et n’éprouvait aucune satisfaction à triompher, ce qui était nouveau pour lui. Il lui manquait une donnée, il en était presque sûr. Tous ces efforts, tous ces fils tendus dans les branes multiples, infinies, toute cette tapisserie d’une complexité inouïe pouvaient s’avérer inutiles, vains et superfétatoires.
Un ridicule toron le narguait dans son innocence.
Le Commandeur Suprême du Temps, celui qui s’était pompeusement nommé ainsi dans un surcroît d’orgueil, fournissait les informations à l’Entité négative. Mais l’être artificiel renâclait de plus en plus à remplir la tâche pour laquelle il avait été conçu. Cet état de fait défiait tout entendement car ici, en cette Dimension modelée pour prendre dans ses rets Daniel Lin Wu, il n’y avait point de S pour superviser cette IA déviante, cet Ordinateur fou. Quant à Michaël Xidrù, il n’était qu’une ébauche, un rêve brouillé.
Cela n’empêchait pas Johann, succédané d’Entropie de croire comme fer en son étoile noire, en son succès. Il lui restait deux jokers à abattre avant que la partie soit achevée. Mais il devait auparavant consulter l’Oracle, c’est-à-dire l’IA des Olphéans. Où pouvait-elle donc se dissimuler?

***************

Dans la cité souterraine de l’Agartha, le vingt-et-unième niveau avait été totalement transformé pour permettre la mise au point et l’assemblage d’un nouveau moteur quantique destiné à équiper le Celsius, le vaisseau de Benjamin Sitruk. Nombreux étaient les ingénieurs et les techniciens requis pour ce travail. Stamon, Tiburce, Mina, Kinktankt, pour les non humains, Chérifi, Warchifi, Sitruk pour les Britanniques et assimilés. Grronkkt était également de la partie, secondé par Andrew Lane et l’incontournable Craddock.
Tous s’attelaient à leur tâche avec plus ou moins de motivation sous la supervision de l’Hellados Albriss qui avait fourni les plans de ce vaisseau hors normes.
Le montage délicat avançait selon les délais prévus et, déjà, les essais se profilaient. Pourtant, il restait quelques problèmes à résoudre.
Symphorien n’aimait pas le poste qu’on lui avait attribué, technicien auxiliaire, affecté en binôme à Grronkkt. Sa fonction se réduisait à souder les câbles et à pousser les tubulures ou presque. C’était pourquoi, il grognait, râlait, se répandait en invectives bien senties, en réflexions mal placées qui n’épargnaient personne.
Le porcinoïde était lui aussi mécontent. Il passait son temps à lancer quelques insultes, à bâiller, à ruminer sa mauvaise humeur. 
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Bref, les deux partenaires auraient pu concourir pour le titre du plus mauvais coucheur de l’année.
- Cette dérivation est une chienne de fille! Se mit à vitupérer Craddock à un moment donné. À cause de cette tubulure de mes deux, je me suis entaillé la main. Je n’ai jamais vu un assemblage pareil. On croirait un puzzle construit par un Picasso défoncé. Vous entendez, Albriss?
Symphorien criait et s’époumonait, prenant toute l’équipe d’ingénieurs à témoin.
- Picasso? Symphorien Nestorius, répliqua Grronkkt sur le même ton, je dirais, moi, un Guirauli de bains, de ceux qui promettent un séjour de rêve dans une station balnéaire cinq étoiles mais qui vous refilent une masure de Gorrsh au fin fond du marais de Brumsq.     
- Oui, mon gars, tu as raison! Je vois parfaitement de quoi tu causes.
- Vos remarques, proféra alors Albriss qui s’était approché, un agenda électronique en mains, ralentissent votre rythme de travail de 2,07% par heure. Si vous poursuivez ainsi, vous entêtant dans des manifestations inutiles, les délais ne pourront pas être respectés. Nous aurons alors… perdu la face.
- Les délais? Quels délais? Rugit Craddock. Oh! Rabat-joie! Lâche-nous un peu la laisse! Ici, le Temps n’existe pas, tu le sais très bien.
- Mais le temps artificiel, oui, réglé sur le rythme circadien de l’astre…
- Stop! Je n’ai jamais rien compris à vos calculs dignes du Père Ubu!
- Si vous faites preuve d’aussi peu de zèle, je serai dans l’obligation de rendre compte au conseil des douze de votre manque d’efficacité. Sans aucun doute, vous serez retirés du projet, reprit l’Hellados sur un ton coupant.
- Ah? Belle jambe! Siffla le Cachalot de l’Espace. Dites un peu, le parangon pisse- froid, si j’étais réellement aussi peu performant, pourquoi, dans ce cas, m’avoir incorporé à cette équipe, hein?
- Hum… votre… expérience…
- Mon expérience? Vous voulez faire de l’humour, non? Je n’ai jamais eu affaire à un tel moteur. Il n’appartient pas à la science des Napoléonides. Ni à celle de leurs alliés ou ennemis.
- Itou pour celle des Marnousiens, se hâta de renchérir le porcinoïde en grimaçant.
- Ce moteur a été conceptualisé par Velmarr d’Hellas peu avant mon arrivée dans la Cité. Cependant, il n’avait encore jamais été construit.
- Bravo! Vous m’étonnez! Avant de venir vous réfugier dans ce gourbi aussi glacial que Pluton, vous en avez chipé les plans! Albriss vous remontez dans mon estime.
- Je préfère cesser cet échange infructueux. Remettez-vous au travail tous les deux.
- C’est ça, statue du Commandeur! Va em… bêter les autres maintenant!
Haussant presque les épaules, Albriss s’éloigna des deux rouspéteurs pour aller superviser un autre binôme. À sa grande déception, là aussi, il devait noter un certain relâchement. En allait-il de sa faute?
Benjamin contait fleurette à Mina pourtant engagée ailleurs comme le Britannique. Toutefois, cela ne devait pas être très sérieux puisque Tiburce ne s’en formalisait pas. De la simple politesse, pas plus.
Ah! Comme il était difficile à notre Noir Hellados de comprendre les autres espèces! L’ingénieur n’afficha aucune rancœur devant ce laisser-aller cependant, mais il était contrarié.
« Ces humains! Soupirait Albriss mentalement. Ils prennent tout à la légère et contaminent les autres races. Sur Hellas, un relâchement de ce niveau serait… sanctionné ».
- Effectivement, lui fit écho sur le même mode de communication Daniel Lin ironique. Albriss, combien de fois vous l’ai-je dit? Lâchez du lest! Le travail avance bien et le Celsius sera prêt selon le calendrier prévu.
- Commandant, articula l’Hellados en se retournant. Il n’y a pas trois secondes que vous êtes là et…
- Trois secondes virgule huit, Albriss…
- Et vous prenez la défense de ces fantaisistes humains.
- Oh! Serait-ce donc un reproche?
- Non, Ying Lung! Stadull m’en garde!
- La sévérité vous va comme un gant, mon ami. Mais ici, elle est tout à fait hors de propos. À moins que vous n’envisagiez de me suppléer en tant que … Juge?
- Je vous assure, Gardien, que telle n’est pas mon intention! Je n’ai pas une ambition aussi démesurée. Je sais pertinemment que je suis fort limité par rapport à Vous.
- Albriss, je préfère cette objective modestie qui n’est que le constat de la Réalité.
- Veuillez pardonner mon orgueil, Dan El.
- J’ai déjà oublié. Albriss, sachez que je ne vous considère pas comme un inférieur.
Au contraire, même.
- Vous m’avez confié la direction de ce projet.
- Oui, c’est cela. Bien. À quelles difficultés techniques vous heurtez-vous en ce moment? Voilà qui explique la relative mauvaise humeur d’une partie de l’équipe et la vôtre également.
- Je reconnais, penaud, que c’est exact. Dan El, allez-vous nous éclairer de votre Savoir?
- De ma pratique et de ma logique seulement. Après tout, vous devez progresser par vous-même; une victoire obtenue sans véritable combat, je trouve cela frustrant et humiliant.
- Euh… je suis de votre avis, commandant Wu, répliqua l’Hellados qui  avait saisi que Daniel Lin ne ferait appel qu’à ses connaissances de daryl androïde et non à celles de Ying Lung.
- Albriss, ne me passez pas trop la brosse à reluire pour rattraper vos pensées de tantôt. Par moment, vous vous montrez maladroit avec les sentiments et les émotions; le poids de l’éducation helladienne…
- Euh… une éducation que vous désapprouvez, sir.
- Elle a ses qualités, je n’en disconviens pas. Bon, mais ce problème?
- Voilà sir. Il concerne l’échange matière antimatière, plus précisément le flux continu des deux fluides antagonistes dans les conduits Upsilon 2, Thêta 3 et Phi 5. Comme vous voyez, ces conduits ont tendance à se déformer après seulement vingt-deux heures de fonctionnement. Or, la théorie prévoyait trois mille années. 
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- Hum… Avez-vous essayé de réduire l’adhérence du flux sur les couches 125 et 126 des isolants?
- Oui sir, bien évidemment. Nous avons obtenu un gain de 12%. Mais cela n’a pas suffi à régler le problème. Regardez. La modélisation est parfaite mais…
Albriss avait actionné son moniteur personnel et pointait les défauts avec un stylo laser.
- Cela devrait fonctionner, reprit le grand Noir extraterrestre d’un ton qui se voulait neutre mais où Daniel Lin captait néanmoins un soupçon de déception. La perte subsiste incompréhensible ment
- Dans ce cas, je vous propose de tout reprendre à zéro. Il me semble comptabiliser deux cent quinze jonctions sur le conduit Upsilon 2 et le même nombre sur les deux autres. Bigre! C’est trop! À quoi pensiez-vous donc Albriss avec pareil montage?
- Sir, nous ne sommes pas parvenus à « souder » le tout en un seul bloc. Les polymères ne sont pas assez souples.
- Oui, bien sûr. Dans ce cas, mon ami, oublions les polymères et utilisons la lumière solidifiée, asséna le commandant comme s’il s’agissait d’une évidence.
- Commandant Wu, je peine à vous suivre… pardonnez mon incompétence… balbutia l’Hellados se sentant brusquement semblable à un enfant de cinq ans essayant de résoudre une équation différentielle.
- Lieutenant, je m’en vais vous expliquer. Tenez, passez-moi votre moniteur. Je sais que je vous surprends mais je ne fais que me reporter à une antique technique utilisée autrefois par les Gerramins en 162 005 et des poussières avant J.C. leur civilisation a disparu depuis des éons à cause d’un abus des techniques que je vais vous dévoiler mais… après tout, je suis là pour éviter que la mise en œuvre ne dérape. D’abord, il vous faut produire de la lumière a-lumière. Puis la contenir dans… Albriss, je n’ai pas la berlue, vous jaunissez. Pourquoi? Vais-je trop vite? Ah oui… évidemment… dès que j’aborde le cas de l’énergie transdimensionnelle et polymorphe…
- Gardien, vous aviez dit que vous ne feriez pas appel…
- A mon Omniscience de Ying Lung? Je vous assure que je ne le fais pas. Cette maîtrise d’une technologie passée et oubliée reste à votre portée. Il suffit juste d’un peu de fantaisie, d’imagination poétique et de transcendance dans l’application des lois exotiques de la physique. Bref, quoi, un peu de culot! Observez votre entourage en cet instant. L’idée d’une telle mise en œuvre, la domestication totale de la lumière et de la matière est en gestation dans le cerveau de notre indispensable Craddock. Quant à Andrew Lane, il a rêvé cette nuit d’une solution approchante. Cependant, il n’ose encore vous faire part de ce qu’il pense n’être qu’une élucubration. Or, je vous jure que je n’ai rien suggéré à nos deux résidents.
- Commandant, loin de moi de vous croire capable d’améliorer le jeu…
- De tricher, Albriss! Vraiment? Ah! Que c’est joliment bien dit. Mais n’employez donc pas de périphrase…
- Oui, sir! À vos ordres. Fit l’Hellados, au garde à vous, saluant très formellement son ancien supérieur.
- Lieutenant, lui rappela Daniel Lin qui s’amusait mais tâchait de ne pas le montrer, nous ne sommes pas sur le Lagrange, ni sur le Cornwallis ou encore sur le Langevin. Benjamin est en train de nous observer depuis deux minutes et se demande quelle scène nous répétons.
- Je, commença à balbutier Albriss.
- Vous vous sentez ridicule. Ayez le courage de l’admettre, mon ami. Mais j’avoue que j’exagère toujours un peu avec vous. Votre côté logique sans doute m’oblige à l’espièglerie. Lieutenant, depuis votre service sur mon vaisseau scientifique, vous n’avez manifestement pas cultivé une approche plus humoristique et détendue de la vie, de l’interaction entre les espèces.
- Gardien, je comprends votre reproche implicite.
- Tant mieux! Cartes sur table. Renate ne vous enseigne-t-elle pas ce côté humain?
- Elle s’y essaie, commandant. Depuis le début de notre couple.
- Or, vous ne l’écoutez guère et vous vous enfermez davantage dans votre raideur lorsqu’elle se met à insister, non?
- Oui, Daniel Lin, je le reconnais, soupira Albriss comme s’il était soumis à la torture. Toutefois, je trouve gênant cette mise à nue de ma psyché. Rien ne vous échappe.
- Oh! Excusez-moi Albriss! Il n’y a là rien de bien cruel de ma part. Je veux simplement vous insuffler un plus grand esprit d’équipe ainsi que plus de tolérance envers vos subordonnés non Helladoï. Mon ami, ce bon vieux Craddock est un authentique génie. Ne le réduisez donc pas à un rôle subalterne. Confiez-lui de grandes responsabilités. Il y donnera toute sa mesure, vous verrez. Si la cité de l’Agartha est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est grâce à lui! Je ne mens pas en formulant ce compliment. Reconnaissez comme moi son immense talent.
- Commandant Wu, soyez assuré que je n’oublierai pas la leçon.
- Je l’espère bien. Maintenant, il est temps de demander à Benjamin, Andrew, Symphorien et le reste de l’équipe de nous rejoindre à cette console informatique, formula Daniel Lin en reprenant à voix haute.
Les ingénieurs s’empressèrent d’obtempérer. Bientôt, les propos techniques furent si assommants, si complexes, que Grronkkt, resté en retrait, bâilla et finit par s’endormir. Quant aux autres techniciens, fascinés, ils tentaient de suivre ces échanges, se demandant le quel des quatre humains ou humanoïdes était le plus fou. Pour Daniel Lin, la question fut vitre tranchée. Le commandant se complaisait dans le rôle de farceur de première; mais il se doublait également d’un poète prodigieux. Le Génie de la Galaxie déraillait dans l’inconcevabilité et atteignait des sommets dans l’irréalité. Mais ses propos enchantaient Stamon et Tiburce. Mina jappait d’admiration devant une telle poésie qui transcendait la physique si ennuyeuse. Kinktankt ne put s’empêcher de lâcher des rejets acides sur le sol de duracier pour marquer son approbation enthousiaste. Quant à Warchifi et Chérifi, ils étaient désormais persuadés résider dans le « Jardin des cent mille délices ».
- Oui, le Génie de la Galaxie, le Prodige, marmonnait Ahmed en arabe n’est autre qu’un djinn incarné qui se dévoile. Son esprit facétieux nous fascine et nous transporte dans le Monde des enchantements.
Le nain, il est bon de le rappeler n’avait aucune idée de la véritable nature du commandant Wu, comme tous ses compagnons d’ailleurs, à l’exception de l’Hellados et de Craddock. Pour les ingénieurs et civils de l’Agartha, Daniel Lin était certes pourvu de talents spéciaux qui le rattachaient à la supra humanité, mais cela n’allait pas plus loin. Sitruk, pourtant devenu un familier des Wu, n’en savait guère plus et se refusait à en supposer davantage. Il se contentait de vouer une admiration sans bornes à son ami qui lui avait appris à apprécier la vie en toutes circonstances et à en accepter les pires épreuves avec humour. Sa mémoire avait été altérée par précaution. Il se rappelait qu’Irina était morte de la main du vice amiral Fermat. Il avait fini par saisir combien son épouse s’était dévoyée. Le chagrin qu’il avait alors ressenti s’était estompé mais la blessure était toujours présente. Toutefois, ce drame passé avait eu pour effet de le fouetter et de l’obliger à faire un retour sur soi-même. Au lieu de sombrer dans la ratiocination de la haine et de rechercher la vaine vengeance, il n’avait eu de cesse de renforcer ses liens d’amitié avec le daryl androïde. Pour lui, il n’y avait aucun doute: Daniel Lin n’était pas un assassin mais son épouse, oui, hélas…
Puis, Nadine était apparue dans sa vie. Il ne regrettait rien. Ah! Si, tout de même. Ses jumeaux morts absurdement lors de ce stupide combat de trop, celui de Pégase delta V. mais il avait tourné la page et William, son bébé William, son fils chéri, son adorable rejeton, un nourrisson glouton au duvet roux et aux yeux bleus craquants le consolait. Ému, Benjamin laissa couler une larme. Son regard humide et brûlant croisa alors celui de Daniel Lin qui l’observait depuis trois secondes déjà. Avec une douceur et une affection sans équivoques.
- Je compatis entièrement et sincèrement, entendit Sitruk dans sa tête.
Relevant fièrement le menton, le survivant posa une question toute technique.
- La dérivation des conduits OPR est-elle possible avec une semblable configuration?
- Ah! Encore ces fameux conduits OPR… ici, ils deviennent inutiles. Par contre, il va de soi qu’il nous faut envisager un autre système de sécurité, répondit Daniel Lin avec détachement. Capitaine Craddock, je crois que vous avez sérieusement songé à cet aspect des choses, non?
- Effectivement, Superviseur général…
- Dans ce cas, je pense que nous aimerions tous entendre comment vous avez tranché le problème…
L’échange se poursuivit durant trois longues heures encore au grand dam de Grronkkt réveillé en sursaut lorsqu’une tubulure céda soudainement et chuta bruyamment sur le sol de duracier renforcé.

***************

Un certain temps avait passé dans la cité de l’Agartha depuis que le vaisseau intergalactique le Celsius était parti explorer le Multivers sous le commandement de Benjamin Sitruk. Dans son long voyage, le Britannique avait rencontré des peuples et des formes de vie dont il ne soupçonnait pas même l’existence. Le Celsius avait connu de nombreuses aventures, avait été mêlé à des conflits qui ne le concernaient nullement et, surtout, avait dû apprendre à élargir davantage son esprit de tolérance.
L’équipage, pluriethnique comme il se doit, comptait deux cents membres et comprenait des humains - la plupart shanghaïés du Cornwallis et du Lagrange - mais aussi des Helladoï, des Castorii, des Centauriens et des Marnousiens, des Cygnusiens et des Mingosiens sans oublier quelques Mondaniens. Chtuh, le petit dinosauroïde vert et Uruhu avaient officié en tant que pilotes, Stamon avait été bombardé navigateur mais aussi chef des opérations. 
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Une trentaine de membres du village de Lobsang Jacinto avait aussi participé à cette expédition sans oublier Jules Souris dit Paracelse, le Piscator, Frédéric Tellier et d’autres membres éminents repentis de la pègre.
Nadine Lancet avait accompagné son époux avec True, la fille adoptive et William.
Ce soir-là, Shangri La était en fête et célébrait le retour des hardis explorateurs. Accueilli en véritable héros, Sitruk avait été décoré de la médaille du courage par Tenzin Musuweni, puis avait subi le long discours élogieux et chantant de Raeva.
Enfin, après le lunch, Benjamin avait retrouvé un peu d’intimité et avait terminé la soirée chez le commandant Wu et sa compagne.
Là, le Britannique avait raconté, non par le menu, les péripéties de son voyage d’exploration, s’attardant sur les anecdotes les plus remarquables par leur côté dramatique ou cocasse. Fascinée, les yeux rêveurs, Gwenaëlle avait bu les paroles de cet aventurier dans l’âme.
- Alors, après avoir moisi soixante-douze heures dans cette fosse à ordures, terminait Sitruk, je me dis qu’il était temps de m’évader. Tant pis pour la contamination technologique! Je bricolai tant bien que mal un micro fuseur de secours, désintégrai les serrures et… hop! Un petit coup de téléportation. Quelques minutes plus tard, je trempais avec délices dans un bain tiède et parfumé à faire se damner les plus saints d’entre vous. Je m’attardais une heure dans cette eau suave. Ensuite, j’enchaînais avec trois douches. Un pur bonheur après ce que j’avais vécu…
- Bravo, mon gars! Magnifique! S’esclaffa Symphorien. Je n’aurais pas mieux fait dans mon jeune temps. Quel culot, Sitruk! Surtout lorsque vous avez roulé les Tarloins dans les formes… du grand art.
- Capitaine, répondit l’intéressé avec diplomatie et modestie, je me suis simplement inspiré de vos récits.
- Je ne regrette qu’une seule chose, enchaîna Nadine. Là-bas, à l’extérieur, il n’y avait aucun humain. Nous n’avons pas rencontré le moindre Terrien sur tous ces mondes que nous avons visités.
- Oui, effectivement, approuva son compagnon. Par contre, on y connaissait les Helladoï, et les Castorii. Tenez. Nous avons sympathisé avec un baroudeur un peu pirate sur les bords, un Haän, chassé de Haäsucq pour déshonneur. Un certain Opaaland’ka. Je dois admettre que le géant roux nous a sauvé la mise plus d’une fois. Il savait flairer tous les pièges et les déjouait avec une maestria digne des plus vifs applaudissements.
- Hum… Opaaland’ka, l’ancêtre d’Opaaland’tsi, murmura Daniel Lin, comme absent.
- Notre périple a duré cinq longues années. Sur la fin, j’avais véritablement hâte de rentrer! Avoua Benjamin.
- Certes. Mais vous repartirez, dit le commandant Wu, revenu à cette réalité-ci. Je vous connais trop bien. Votre prochaine exploration durera douze années standard.
- Daniel Lin, vous plaisantez, sans doute? S’inquiéta le Britannique.
- Pas du tout. C’est là un fait avéré… du moins pour moi.
- ici, rien n’a changé ou presque, jeta Symphorien avec malice, désirant détourner la conversation. Des naissances à la pelle mais également de nouvelles recrues… bref, la routine.
- Commandant, jeta Benjamin maladroitement, pourquoi ne pas venir avec nous sur le Celsius la prochaine fois puisqu’il y aura une prochaine fois?
Les paroles avaient été prononcées et Sitruk ne pouvait les rattraper. Gwenaëlle baissa les yeux, Craddock se mit à tousser nerveusement, ostensiblement, tandis que Nadine regarda son mari avec une certaine sévérité. Elle, savait la raison de cet isolement forcé de l’Exilé. Après cinq secondes de gêne, Daniel Lin donna une explication.  
- Cela m’est impossible, véritablement impossible, Benjamin. Oui, je puis parfois m’arranger et m’absenter un à deux mois, mais pas plus. Alors, pensez, une exploration sidérale! Je me dois à la cité. Superviseur général en chef de l’Agartha, sur le papier et pour un néophyte, cela n’a pas l’air d’être une tâche prenante, mais vous vous trompez. Il s’agit d’une très lourde obligation, faite de contraintes parfois inattendues.
- Il vous arrive cependant de prendre des vacances, non? S’inquiéta Sitruk.
- Certainement, mais irrégulièrement, un mois, guère davantage, je vous l’ai dit. Pas assez au goût de Gwen.
Naturellement, Dan El taisait le fait qu’il n’avait pu relâcher son attention durant toute la durée du voyage d’exploration du Celsius, c’est-à-dire pendant les cinq années du long périple.
- Je n’osais vous le dire, commença Benjamin en hésitant quelque peu, mais vous paraissez épuisé et plus pâle encore que dans mes souvenirs.
- Un peu de lassitude, de spleen et de stress, reconnut le Superviseur. Mais rien de grave cependant. Mon ami, une chose me réjouit, me comble d’une manière dont vous n’avez pas idée. Votre retour parmi nous en bonne santé tout d’abord. Vous partîtes deux cents, mais vous revenez plus nombreux encore. Dix-neuf citoyens de plus pour l’Agartha! Magnifique n’est-ce pas? 
- Effectivement, nous avons bénéficié d’une chance inouïe, admit Benjamin. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir frôlé la mort, plus de cinq cents fois selon Stamon. Il n’y a pas eu que les officiers et les membres de l’équipage à avoir été en danger. Les enfants également. Tenez, un exemple. Sur Ankrax, nous avons été contaminés par un vicieux virus, qui s’était logé dans nos neurones. Nous avons tous failli sombrer dans la démence, du pilote au cuisinier, sans exception. Et, soudain, inexplicablement, après vingt jours de fièvre, de délire et de folie, nous nous sommes tous réveillés guéris. Comme par un coup de baguette magique. Et le vaisseau n’a pas souffert. Merveilleux! 
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- C’est tout à fait vrai, renchérit Nadine. Les Ankraxiens ne comprenaient pas ce qui nous arrivait car, eux, étaient immunisés. Ils ont été terriblement inquiets pour nous. La preuve? Ils ont tenté de nous soigner en nous administrant tous les produits de leur pharmacopée traditionnelle. Aucun résultat positif, au contraire. Nous nous sommes retrouvés encore plus affectés, mais différemment. Enfin, nous sommes là, à Shangri-La, sans aucune perte. Stamon notre précieux Hellados le seul à avoir conservé un semblant de contrôle et de raison, a reconnu avoir prié Stadull et Bouddha en dernier recours.
- Oh! Oh! Pour que ce logicien rigoureux reconnaisse cette faiblesse, c’était que la situation était des plus désespérées! Ricana Symphorien avec causticité tout en jetant un regard en biais en direction du commandant Wu. Oui, il paraît que votre Ange gardien a été vachement sollicité. À mon avis, un moment, il a dû même être dépassé, débordé…
C’en fut trop pour Gwenaëlle; se levant vivement, elle alla jusqu’à Craddock et ses yeux lançant des éclairs, le gifla violemment, y mettant toutes ses forces.
- Gwen, dit alors Daniel Lin avec douceur, excuse-toi et rassieds-toi.
- Non, Daniel Lin, mon maître! Je refuse. Craddock, sous le prétexte de son grand âge, ne peut pas tout se permettre ici. L’affection que tu lui voues ne le dispense pas d’un minimum de respect envers… le Préservateur!
- Gwen, rappela Dan El toujours sur un ton égal, c’est à… moi de juger s’il y a faute… ou pas.
- Je me rassieds, mais les excuses sont inutiles de ma part, tu le sais très bien, s’entêta la Celte.
Honteux de l’esclandre dont il était responsable, le capitaine mordillait ses lèvres, les yeux baissés. On sentait qu’il voulait dire quelque chose mais qu’il n’osait pas à cause de la présence de Sitruk et de Lancet.
- Euh, balbutia Benjamin, nous devrions peut-être nous retirer Nadine et moi. Il se fait tard; nous avons tous besoin de repos et demain, une longue journée de rangements nous attend.
- Oui, tu as raison, répondit sa compagne. Excusez-nous de devoir vous quitter ainsi…
Le couple se leva et se retira avec force démonstrations d’affection. Tandis que les deux explorateurs regagnaient leurs appartements, Benjamin questionnait son épouse.
- Tu as compris précisément de quoi il était question, toi? Cette soudaine et inexplicable mauvaise humeur de Gwen? En tant que haut fonctionnaire de la Cité, tu es au fait de bien des secrets. Des bruits courent…
- Oui, c’est vrai, mon cher mari. Mais n’essaie pas de me tirer les vers du nez, même au lit pour savoir les raisons exactes de la gifle donnée par Gwen. J’ai prêté serment devant le Gardien de ne jamais révéler à quiconque les secrets de Shangri La.
- Je vois… Gwen était vraiment hors d’elle. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’elle n’obéit pas à son compagnon et qu’elle se rebiffe.
- Elle a du caractère. Elle n’est pas aussi soumise qu’elle le laisse paraître. Lorsqu’on attaque le Gardien, elle se transforme en lionne.
- Alors, Craddock a dit vrai? Le Gardien a failli? Du moins partiellement?
- Non, pas du tout.
- Il protège la Cité, c’est tout, non?
- Ah! C’est tout! Benjamin, tu me déçois. Il protège également tous les citoyens de l’Agartha, où qu’ils se trouvent et ce, dans la Totalité du Pantransmultivers.
- Euh… j’en reste sans voix.
- Cette fonction requiert de sa part une dépense non négligeable de l’énergie qui le compose et un effort inimaginable d’attention alors qu’il a bien d’autres tâches primordiales à accomplir. D’autant plus qu’il vit intégralement incarné dans son Avatar de chair. Il ne s’est pas détaché des contraintes matérielles, il n’a pas opté pour une solution de facilité comme il aurait pu. Cela lui coûte beaucoup.
- Hum. Il suit donc pas à pas les quinze mille citoyens de l’Agartha dans tout le Pantransmultivers? Dieu de mes pères!
- Tu as enfin compris.
- Oui! Chaque fois que nous étions empêtrés dans une situation inextricable, il nous a tirés du pétrin.
- Tout à fait.
- Dans ce cas, Nadine, je m’en vais prier dès ce soir pour le remercier, lui montrer ma reconnaissance.
- Mon chéri, tu fais bien. En ce moment, il a besoin de recevoir du soutien sous n’importe quelle forme.
Pendant ce temps, dans les appartements du commandant Wu, tout penaud, Craddock s’excusait.
- Je vous demande humblement pardon, Daniel Lin. Je n’ai pas réfléchi. Je ne suis qu’une bête stupide, un vieux cachalot qui s’est échoué au port, un butor incapable de penser. Dans la chaleur de la conversation, j’ai oublié que vous avez souffert de cette maudite fièvre par fusion mentale, par communion interposée. Souffert plus intensément que nos explorateurs puisque vous étiez dans l’esprit de chacun d’entre eux.
- Ah! Laisser penser que mon compagnon a failli! Quelle cruauté, Craddock! Il n’en est tout simplement pas capable, jeta Gwen le visage toujours aussi dur.
- Symphorien, la cité ne s’est pas désagrégée. C’est là l’important. Malgré ce que j’endurais, je suis pourtant parvenu à lui conserver son intégrité structurelle et morale et à soigner l’équipage du Celsius  en dépit de l’effroyable distance du vaisseau. Personne à Shangri La n’a ressenti le moindre malaise.
- Hum… or, en temps normal, lorsque tout va bien pour vous, la félicité retombe sur nous tous… je ne me trompe pas, hein?
- Oui, capitaine, vous comprenez comment je fonctionne.
- Ah! Décidément, Préservateur, je ne suis plus qu’un bougre d’âne, un rafiot au bord du naufrage qu’il faut bien vite remiser en cale avant…
- Symphorien, je vous ai déjà dit non! Fit fermement Dan El. Il n’en est pas question. Je tiens à vous et vous à moi.
- Vous avez mille fois raison. Je crois bien que je ne peux me passer de vous.
- Voyez. Cependant, Benjamin a mis le doigt sur ce qui ne va pas chez moi aujourd’hui. J’ai un cruel besoin de me changer les idées, de faire une pause. Le réseau monde vient d’être alerté. Gana-El ne saurait tarder maintenant. Il assurera l’intérim.
- Bon, vous avez donc décidé de prendre enfin un petit congé… euh… pardonnez-moi, Ying Lung. J’exagère encore une fois…
- Comme d’habitude. Je veux oublier ce manquement au respect… mais je vous demande quelque chose… non, je l’ordonne. Pas de tabac en présence de mon père.
- Je promets Préservateur.
- Ainsi, je m’économiserai un peu en n’ayant plus à vous éviter un cancer de la gorge, du larynx ou des poumons.
- J’abuse tant que cela?
- Oh oui, cher Symphorien Nestorius! Plus que cela. Ah! Pas d’alcool non plus. Car là où je compte aller, et vous serez de la partie, la tentation sera grande…
- Je serai de la partie? Bigre! Daniel Lin, pour quelle destination dois-je embarquer?
- Hispaniola en 1700. 
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- Ouche! En effet. Et votre moitié restera-t-elle seule?
- Je refuse de partir pour l’extérieur, jeta Gwen toujours de mauvaise humeur.
- Que non pas, reprit son compagnon. Je veux que Laurie-Anne voie le jour dans le vrai Monde! Nous nous étions mis d’accord sur ce point il me semble, ma douce…
Craddock comprit qu’il devait se retirer le plus discrètement possible; en effet, Daniel Lin embrassait de plus en plus tendrement la Celte. C’était là la preuve incontestable qu’il allait mieux. Gwenaëlle n’allait pas pouvoir résister longtemps.

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Planète Haäsucq, 12 décembre 2152 selon le calendrier chrétien en vigueur sur la moitié de la planète Terre.
L’Incomparable, le Magnifique, le Somptueux, le Glorieux, le Sans Pareil Hinduck IV venait enfin de réussir à s’extraire aux acclamations et aux hourras bruyants de son peuple enthousiaste jusqu’à la folie, de ses Haäns qui avaient ululé, crié, hurlé, tapé des pieds, cassé des meubles, brisé des hanaps, déchiré des tentures durant des heures et des heures, manifestant par ces démonstrations tapageuses leur fierté d’avoir vaincu - sans difficultés - la troisième planète du Système Sol. 
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Désormais, ce qui restait des humains, les survivants asservis végétaient et croupissaient dans d’abominables réserves où ils devaient faire face à de mortelles et effroyables épidémies dans des conditions d’hygiène inexistantes.
Ôtant ses trois manteaux d’apparat avec un vif soulagement, Hinduck les jeta sans façon sur le sol dallé puis se servit une corne de vin d’une contenance de deux gallons, le but dans une longue gorgée et fracassa ensuite l’objet précieux contre le mur avec une grimace qui en disait long sur sa véritable humeur. 
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Avec un rot, il s’avachit sur un fauteuil de métal aussi confortable qu’un lit de fakir. Toutefois, le siège était recouvert de fourrures chères et rares. Les yeux mauves du puissant souverain firent le tour de la pièce aux dimensions démesurées pour s’arrêter sur son fou, son conseiller occulte, son souffre-douleur, son pitre, certes, mais avant tout, son atout secret et sa carte maîtresse. 
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- Que veux-tu, toi? Rugit l’Empereur, oscillant entre le rire et la colère. Comment? Tu       
es encore là? Tu n’as donc pas besoin de dormir?
- Je veux d’abord vous féliciter, Astre brillant, Grandeur infinie…
- Abrège les compliments. Ensuite, pourquoi t’es-tu ainsi attardé?
- Ensuite, je me dois de vous proposer quelque chose d’inattendu mais qui va vous plaire.
- C’est-à-dire?
- Entreprenez de nouvelles conquêtes… celles de la Terre…
- Quoi? La Terre? Tu te moques de moi mon foutriquet; c’est désormais de l’histoire ancienne mon nain à la laideur repoussante. 
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- Veuillez m’écouter, Magnifique Jardin, Soleil unique. La Terre n’est pas… une dans l’Univers.
- Que me chantes-tu? Ah! Tu veux sans doute dire qu’il existe d’autres planètes qui lui ressemblent dans d’autres systèmes. Certes, ma flotte intersidérale peut voyager loin, mais, hélas, pas dépasser le luminique 6. Ridicule n’est-ce pas? Nous sommes arrivés jusqu’au Système Sol grâce à la découverte providentielle d’un trou de ver fort opportun.
À ces naïves paroles, le fou sourit fugitivement puis se hâta d’enchaîner.
- Incomparable, Inaltérable, Sublime Hinduck, aucun système planétaire n’est unique. Par exemple, Haäsucq a son double parfait non à des milliards de parsec mais là, oui là, à portée de votre main, dans un autre espace-temps, dans un autre feuillet du Multivers.
- Multivers? Tu n’es pas clair, mon fou marionnette. Dépêche-toi, tu me donnes mal au crâne avec tes propos obscurs! Une autre Haäsucq à portée de main. Ton humour  hermétique me laisse de glace. Tu me fais perdre mon temps, surtout.
- Non, Hinduck le Glorieux! Voici le dernier état de la recherche…
Le géant velu, fronçant ses sourcils drus et roux, saisit les feuillets souples tendus par l’humain et se mit à les regarder le regard vide. Il tenta bien de lire un instant les complexes équations mais se ravisa rapidement.
- De la glace d’été, conclut l’Empereur afin de ne pas montrer son ignorance, aussi solide que cette corne que je viens de briser! Mon Fou, de qui émane ce ramassis d’inepties?
- Sire, de vos plus grands scientifiques, de Gallu le Vieux, Him le Borgne, Jeal de Baz et de bien d’autres encore.
- Si je me rappelle, je les avais tous exilés pour dix ans dans la cité en ruines de Farguil. Ils ont donc continué à vaticiner. J’ai fait preuve d’une généreuse faiblesse envers eux. Désormais, on ne m’y reprendra plus! Je vais ordonner leur décapitation.
- Mon Haän parmi les Haäns, ce serait une regrettable erreur, si vous m’en croyez. Lorsque vous avez daigné abaisser votre regard jusqu’à mon insignifiante personne, l’avez-vous regretté? Non! Qui vous a guidé jusqu’à aujourd’hui? Qui vous a suggéré la conquête de la planète Terre? Moi! Ainsi, pour m’avoir écouté avec complaisance, vos sujets ne manqueront plus de rien. Ils vivront dans le luxe et l’abondance et ne penseront plus à se révolter, jamais plus.
- Oh! Certes! Mais inévitablement, ils s’amolliront.
- Non, Haän des Haäns, bien au contraire. Après une première Terre, un autre, et encore une autre, et ce, jusqu’à la fin des âges.
Cette mirifique proposition frappa le cerveau embrumé d’Hinduck IV. Après quelques secondes, l’Empereur fit, d’un air dédaigneux:
- Je ferai revenir ces rêveurs et leur donnerai la direction d’un centre de recherches, celui du quinzième sous-sol de mon palais.
- Hum… le plus secret et le mieux gardé, savoura le Fou. Superbe et Magnifique Hinduck, les Terriens, dans tout le Multivers, sont donc condamnés à la disparition. C’est bien.
- J’espère que te voilà satisfait… maintenant, file, fiche le camp et ordonne à mes odalisques d’entrer. Je dois me détendre et oublier mes soucis.
L’Empereur, ses yeux brillant d’un éclat concupiscent, éclata d’un rire gras et sonore qui retentit dans les corridors du palais, courant de longues minutes à l’intérieur du gigantesque bâtiment pour en atteindre enfin les cuisines et les caves. 
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Le Fou, un mystérieux sourire sur ses lèvres blêmes et minces, était sorti. Il marchait d’un pas élastique, traversant le salon d’apparat désormais vide. Se frottant les mains, il pensait qu’aucun avatar du commandant Wu ne lui échapperait. Le Chœur Multiple était ainsi condamné. Fu, sa vengeance accomplie, n’aurait plus qu’à modeler un Panmultivers à sa Semblance!

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