samedi 11 décembre 2010

Mexafrica 3e partie : Le chevalier au blanc harnois chapitre 20


Chapitre 20
Île d’Hokkaido, an 2478.
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Li Wu initiait avec patience son petit-fils à la cérémonie ancestrale du thé. Sur une table basse, il avait posé une cassette toute en bois précieux, marquetée, d’une valeur inestimable. Un ébéniste y aurait reconnu le santal, le cerisier, le merisier, l’acajou auxquels se mêlaient des incrustations d’écaille et d’ivoire. Le couvercle s’ornait de dragons magnifiquement rendus en nacre et écaille également, peint avec différentes couches de laques. Les animaux fabuleux qu’on aurait pu croire vivants s’entrelaçaient, tentant de se mordre dans des tons dégradés qui se détachaient du fond avec subtilité.

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Daniel admirait l’objet tout en ne perdant pas une miette des actes et gestes de son grand-père. Il se tenait debout, immobile, à cinquante centimètres de l’objet, tentant de réfréner sa curiosité impatiente. Pour lui, jamais les choses n’allaient assez vite.
Une fois ouverte, la cassette révéla des senteurs merveilleuses venant chatouiller agréablement les narines sensibles du néophyte. Chaque case du coffret renfermait un pot à thé d’une finesse et d’une saveur incomparables. Les différents mélanges appartenaient aux secrets de la famille Wu depuis des millénaires. Mais le thé hellados n’avait pas été oublié.
Méticuleusement, le vieux poète philosophe prépara la boisson selon les antiques coutumes chinoises. (Pour plus de détails, voir l’épilogue du roman précédent. Nous refusons de nous répéter!).
Le jeune garçon trépignait, la gourmandise le titillant. Il ne comprenait pas pourquoi la préparation d’une tasse de thé prenait autant de temps. Il n’avait pas encore suffisamment appris la modération et la pondération.
- Mon enfant, un peu de calme! Le réprimanda Li Wu avec une certaine indulgence. Tu vas commettre un sacrilège!
- Un sacrilège, grand-père? Tu y vas un peu fort, non?
- Oui, un sacrilège envers tes ancêtres qui ont cherché durant toute une vie, et même plusieurs vies, le mélange parfait!
- Mais la perfection n’existe pas, ce me semble!
- Certes, mais on doit tendre vers elle, Daniel Lin! Boire une tasse de thé, c’est beaucoup plus que se réchauffer le corps et détendre son esprit! Comment te dire? Te faire comprendre?
- Essaie, grand-père!
- C’est… se fondre au cœur même de l’essence de l’Univers, c’est être un soupçon de bleu dans l’azur… c’est le mouvement de l’aile de l’hirondelle qui vole dans le soir. C’est le bec de la grue pêchant du menu fretin. C’est le miroitement du ruisseau qui court, joyeux, sur les galets.
- Grand-père, tu deviens lyrique mais je ne comprends toujours pas!
- Ah! Daniel! Comme j’envie ta jeunesse et ton innocence! Ton impatience aussi, pourquoi pas? Ton énergie également. Tu me rappelles…
- Toi? A Mon âge?
- J’allais le dire! Mentit le vieil homme. Pour moi, tu es un nuage, un blanc nuage apporté par les vents du septentrion. Reste toujours aussi pur, aussi beau! Miracle, don de la Vie, don du Bouddha, tu réjouis mon vieux cœur qui croyait ne plus pouvoir aimer. Garde toujours en toi cette curiosité, cette envie de tout connaître, cette innocence…
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Anta, toujours captif des geôles de Charmeleu, n’avait pas encore été jeté dans un cul de basse-fosse. Utilisant son droit de moyenne justice, le baron envisageait d’interroger son prisonnier en lui appliquant la question ordinaire. Le Lapon allait donc subir les coins, les brodequins, les poucettes, les tenailles, le fer et l’eau. Se délectant par anticipation de la souffrance de son prisonnier, Arnould espérait que sa proie supporterait les préliminaires pour, ensuite, subir la question extraordinaire, la seule qui déclenchait chez le grand maître de l’ordre le ravissement se manifestant par des tressaillements, des frémissements et des bouffées d’extase!
Dieter Karl, dans ce domaine, n’était pas en reste. Il brûlait d’envie de participer activement à la torture et non pas simplement y assister, rêvant de prendre quelques leçons fort utiles auprès des spécialistes tourmenteurs du passé! Parmi sa troupe, il avait à sa disposition un jeune Untersturmführer particulièrement zélé qui pratiquait avec plus ou moins de bonheur les langues scandinaves et finno-ougriennes.
Cependant, à sa grande déception, Charmeleu resta sourd à ses sollicitations. Aux yeux du grand maître de l’ordre, seuls les propres bourreaux de La Buena Muerte étaient à même de travailler avec art le patient. Il ne fallait pas qu’il meure trop rapidement!
Malgré tout son courage et toute son endurance, Anta finit par parler, mais il n’y eut personne pour traduire ses propos, Dieter Karl ayant été écarté de cette réjouissance ainsi que l’Untersturmführer. Au fait, si Uruhu avait été convié au supplice, il aurait partiellement compris les cris, les hurlements, les hoquets et les plaintes du Lapon car, comme le Basque, les langues Pygmées et Koï- San, pratiquées par les Bushmen et Hottentot, les dialectes finno-ougriens appartenaient à un groupe linguistique directement issu des langues originelles Niek’Toues remontant à plus de trente-cinq mille années. Tout bon K’Tou qui se respectait avait appris la langue de l’adversaire.
A quelques lieues du château, Zoël Amsq savait pertinemment ce que subissait le fidèle Anta. Il tarda, non fortuitement malgré ce que vous pouvez croire, cher lecteur, à récupérer l’homme de main de Merritt. Notre chercheur se délectait de la violence, de la vilenie et du sang.
Lorsqu’enfin Anta fut plus proche de la loque que de l’humain, le scientifique Haän se décida. Mettant à profit l’absence de champ de force après la disparition des démons, Amsq se rematérialisa dans les cachots du château, semant la panique chez les bourreaux. Avec une rapidité et une habileté prodigieuses, Zoël tira, son disrupteur foudroyant les aides armés de tenailles rougies abjectes, destinées à travailler les tendres poitrines humaines.
Après la dissipation des éclairs orange brûlants, Amsq distingua avec satisfaction des trous béants dans les trous de ses victimes! Aux anges, notre scientifique tua et tua encore, un sourire sardonique, cruel sur ses lèvres. L’envoyé spécial de l’Empereur Tsanu XV baignait dans la joie la plus intense. On pouvait penser, à juste titre, qu’il réglait un vieux compte avec l’humanité.
Cependant, un chevalier moins terrorisé que ses frères par la démoniaque apparition, dépourvu de heaume mais le crâne protégé par la cervelière et le camail de mailles pleines de son haubert, saisit une masse d’armes afin de tenter d’abattre l’envoyé non appelé du Malin. Las, la créature écarlate - pour rappel les Haäns étaient des humanoïdes de haute taille aux poils roux - se rendit compte du geste inconsidéré et téméraire de l’homme! Sans un froncement de sourcils, Zoël dirigea alors son faisceau meurtrier en direction du visage du moine soldat, le tout en une fraction de seconde à peine!

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Une atroce odeur de chair brûlée et de métal fondu vint se rajouter aux relents de sang et d’humidité qui stagnaient dans le cachot. Le corps du valeureux chevalier s’affaissa, son visage presque entièrement calciné, méconnaissable, ébauche grotesque, en noir, de ce que devait être une figure humaine.
Désormais sûr de ne pas être dérangé, tout en s’activant à délivrer le lapon, Amsq se permit une réflexion cynique, proférée en bon français du XXIe siècle:
« Par Belzébuth et Lucifer! J’avais oublié combien la chair humaine grillée pouvait puer! ».
Maintenant, il nous faut nous interroger. Pourquoi donc notre chercheur Haän, après la dégelée de la veille, était-il intervenu personnellement pour délivrer le domestique? Nous savons que le Haän était totalement incapable du moindre geste altruiste. Le séide de l’Empereur Tsanu XV n’avait montré nulle émotion noble face au désastre de l’assaut du château fort par ses troupes. Depuis des décennies, il avait pu juger les guerriers de sa nation. Des soldats à l’entendement limité qui brûlaient de mourir au champ d’honneur! Il méprisait son peuple et haïssait encore plus les humains.
En fait, s’il s’était enfin décidé à intervenir, c’était sur l’instance de Merritt dont il avait encore besoin et de Van Vollenhoven. Or, sa déjà longue existence avait sacrifié des milliers et des milliers de Haäns, d’humains, d’Helladoï, de Marnousiens, de Castorii et de bien d’autres encore. D’ici quelques mois, voire quelques semaines, et il allait retourner son alliance. Tant pis pour les Velkriss qui lui avaient accordé leur confiance! L’objectif qu’il poursuivait avait longé un instant celui de Tsanu XIII Gaachak. Et son suzerain du XXXe siècle, manipulé par lui depuis des lustres, n’avait pu qu’approuver ce plan.
Zoël, ce génie de la fourberie, connaissait parfaitement les véritables origines de l’Empereur Tsanu XIII. Il n’avait qu’à abaisser une paupière pour ramener à son époque le baron Opalaanka et le laisser mourir de faim ou d’épuisement dans le sinistrement célèbre bagne de Penkloss!
Mais voilà: un geste inconsidéré de sa part, et cette chrono ligne rétablie entraînait inévitablement la résurrection des plus inopportunes des maudits Asturkruks! Zoël Amsq devait donc encore faire preuve de prudence à son grand dam. Il servait Tsanu XV qui régnait en autocrate au XXXe siècle. Mais lorsque la totalité du bio translateur serait entre ses mains, les choses changeraient et il pourrait s’offrir le Pan trans multivers. Tant pis pour tous ceux qui avaient entravé ses projets, l’avaient humilié, l’avaient méprisé! Tant pis avant tout et surtout pour le daryl androïde Daniel lin Wu, ce maudit mutant!
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Les Soviétiques, eux aussi, avaient piteusement échoué en 1249. In extremis cependant, Pavel avait pu récupérer un translateur de secours. Accompagné du seul garde d’élite du KGB survivant, il regagna tant bien que mal l’année 1961.
Fort contrarié, Fouchine allait devoir demander de l’aide à son supérieur immédiat, le colonel Sergheï Antonovitch Paldomirov. Craignant la colère de ce dernier, Pavel Pavlovitch avait échafaudé un plan qui paraissait tenir la route. En cette même année 1961, lui, Fouchine, devait enlever Von Hauerstadt sans soulever de vagues et ensuite, conduire le chercheur dans un temps dévié, fort éloigné de celui où Daniel Wu se trouvait.
Comme on le voit, chaque équipe jouait sa partie avec les atouts dont elle disposait.
Dans le bureau de Sergheï Antonovitch, Pavel avait exposé son plan. Le visage impavide, le colonel l’avait écouté.
- Êtes-vous bien certain de ne point échouer une nouvelle fois? Fit le colonel sceptique. Vous le savez, j’ai horreur de l’échec! Croyez-vous que Franz Von Hauerstadt va s’offrir à vous telle une perdrix écrasée sur le bord de la route?
- Oh! Mais j’ai tout prévu, camarade colonel! Le piège le plus simple n’est-il pas le meilleur?
- Soit! Lorsque vous aurez capturé votre proie, vous la conduirez dans l’Univers prévu, situé dans la déviation attendue, sous le règne de ce souverain bâtard et dégénéré… Toutefois, n’allez pas trop loin dans le futur! L’idéal serait que vous fassiez d’une pierre deux coups. Von Hauerstadt prisonnier, pourquoi ne pas vous emparer de l’élément du bio translateur localisé à ces coordonnées?
- Pouvez-vous préciser, camarade colonel?
- Ah! Par les moustaches de Staline! Que l’esprit humain est lent! Je parle de la salle du trésor du temple - la pyramide d’Ogo de Nanki Bembé Coatl! N’avez-vous donc point lu mes fiches?
Penaud, Fouchine baissa la tête. Mais, étrangement, Sergheï Antonovitch esquissa un sourire et jeta, en conclusion:
- Pavel Pavlovitch, vous restez mon meilleur homme! Je compte sur vous!
Après avoir quitté son supérieur dans les formes, le commandant Fouchine, descendant un escalier de la Loubianka, réfléchissait:
« D’où Sergheï Antonovitch tire-t-il toutes ces informations? Par le mausolée de Lénine! Je deviens sot! Il a tout simplement utilisé le translateur à ses propres fins! ».
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A un vernissage, Elisabeth Von Hauerstadt s’ennuyait à mourir ; mais ces mondanités faisaient partie de ses obligations. Franz, quant à lui, revenait de son laboratoire de Francfort. Avec d’autres chercheurs et ingénieurs, il travaillait à la mise au point d’une fusée européenne qui, pour l’instant, n’existait que sur le papier.
La Mercedes 220 SE roulait à plus de 130 Km/h sur l’autoroute Francfort- Rothenburg. Elle avait encore des réserves de vitesse. Pluie forte oblige, le duc conduisait relativement prudemment. Ainsi, il surveillait régulièrement son rétroviseur, veillant à garder une distance suffisante avec les véhicules qui le suivaient ou le précédaient. Ainsi, il vit soudain arriver à tombeau ouvert une Aston Matin coupé DB4 se reflétant dans le miroir.
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« Mein Gott! Ce type est fou! Il fait au moins du 250 Km/h! Il se déporte! Évidemment! Avec toute cette pluie! ».
Une fois devant la Mercedes, l’Aston Martin lui fit une magistrale queue de poisson. Hauerstadt parvint à freiner d’extrême justesse et à éviter d’un poil le tête-à-queue grâce à sa maestria. De colère, il klaxonna le malotru, mais, son pare-brise dégoulinant d’eau, il lui fallut s’arrêter sur la voie de secours.
Maîtrisant sa rage, le chercheur sortit de sa voiture pour demander des explications au chauffard qui, lui aussi, avait stoppé. L’individu portait des gants de cuir provenant d’un grand maroquinier, un foulard de soie, un large chapeau de gabardine et un pardessus anthracite en cheviotte.
Franz s’avança de deux pas afin d’interpeller l’inconnu mais il ne put aller plus loin, une aiguille de glace pénétrant sous sa peau au niveau de la jugulaire. Instantanément, le Germano-américain perdit tout sentiment et s’effondra dans les bras d’un deuxième quidam qu’il n’avait pas même aperçu! En fait, le duc avait été pris en chasse par deux voitures.
Lorsque Franz reprit ses sens, il se vit solidement attaché à un siège par des liens souples. Malgré toutes ses tentatives pour desserrer les nœuds, il n’y parvint pas. Renonçant enfin, il leva les yeux et reconnut alors toutes les caractéristiques d’un tableau de bord appartenant à un translateur. Mais les commandes étaient inscrites en langue russe.
Pris par une bouffée de colère, le duc siffla rageusement entre ses dents.
- Ainsi, Pierre Duval, tu as réussi à mettre la main sur moi! Je ne puis m’échapper en cet instant, le translateur étant sous tension! Hé bien, dans ce cas, je me trouve aux premières loges pour connaître tes manigances!
L’interpellé ne réagit ni au tutoiement ni au ton. Il continua ses manœuvres comme si de rien n’était.
Le Commandeur Suprême, du moins son clone, et ses sbires avaient tout prévu. Von Hauerstadt avait été remplacé par un double parfait! La substitution eut lieu naturellement sur l’autoroute même où le duc avait été enlevé. Le faux Franz reprit paisiblement le volant de la Mercedes et rentra « chez lui ».
Elisabeth, qui revenait de son vernissage, s’étonna toutefois de voir son mari si tôt à la maison alors qu’il avait à faire à Rothenburg. Mais le clone s’en sortit brillamment. Antor et Hillerman furent dupés. Pourtant, ils disposaient d’un analyseur d’ADN. Mais ils ne pensèrent pas à en faire usage. Ils ne pouvaient tout simplement pas imaginer que les Soviétiques avaient la capacité de créer des doubles! Comme les schémas de pensée du clone correspondaient à ceux du véritable Franz, Antor ne remarqua rien.
La substitution avait pour atout principal de permettre aux Russes de parvenir sans obstacles dans l’univers du Moro Naba de Texcoco, et ce, en 2148.

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Daniel et son équipe ne remonteraient la piste que bien trop tard, d’après ce qu’en avait entraperçu Sergheï Antonovitch.
Le lendemain matin de cet enlèvement réussi, Paldomirov lui-même, empruntant l’apparence anodine d’un domestique, pénétra sans coup férir dans la navette Szilard et sabota le synthétiseur de nourriture. Avec un sang-froid remarquable, il introduisit un programme dans l’ordinateur, rajoutant du véronal de synthèse dans les consommations des deux gardes du corps du duc. Duval n’ignorait pas qu’Antor était un mutant vampire et se nourrissait exclusivement de sang. Il connaissait exactement les capacités de résistance à la drogue du diplomate. Il avait calculé au milligramme près la quantité nécessaire du véronal pour qu’Antor, à demi conscient, entendît les Russes enlever Von Hauerstadt sous le prétexte de lui régler son compte, un compte qui remontait au 1er février 1958 pour le moins!
Bien entendu, les voix perçues par Antor étaient holo synthétiques et l’enlèvement n’en était pas un puisque déjà produit! À la seconde adéquate, le clone de Von Hauerstadt s’auto décomposa. La manœuvre avait donc réussi impeccablement. Toutefois, Paldomirov avait oublié un minuscule détail. Étonnant pour qui connaissait sa véritable nature!
Le mutant, quelles que fussent les circonstances, pouvait maintenir des liens télépathiques avec Daniel Lin!
Il y avait plus. Le clone du Commandeur Suprême avait également négligé d’entrer en déphasage pour saboter le vaisseau scout Szilard. L’appareil permit au vampire et au lieutenant Hillerman de retrouver la base des translateurs, sise, à Kola et de s’y transporter avec les résultats que l’on sait!
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A bord du translateur, Pierre Duval s’occupa enfin de son hôte forcé.
- Mon vieil ennemi! Lança-t-il sur un ton sarcastique. Vous allez me servir de chèvre.
- Ah? Tiens donc! Vous escomptez que je vais rester une proie consentante? Détrompez-vous!
A son tour, Fouchine se mêla au dialogue.
- Capitaliste dégénéré, assassin de mon frère, écoute-moi bien! Je te laisse le choix et veux me montrer magnanime! Ou tu acceptes ton sort et permets d’attirer dans nos rets Daniel Wu et sa bande, ou je règle avec toi un compte remontant à trois ans déjà!
Pierre Duval se permit de ricaner.
- Tu sais certainement à quoi mon subordonné fait allusion. Les événements du 1er février 1958.
Fouchine se hâta d’enchaîner.
- Ce jour-là, mon bien aimé frère jumeau, Igor Pavlovitch, qui commandait le détachement, sur ordre du colonel, perdit la vie par ta sauvagerie meurtrière! Tu comprends combien je brûle de me venger!
- Sans doute! Mais vous oubliez de rajouter, Pavel Pavlovitch, que vous aviez coordonné avec votre jumeau et l’homme robot Xaxerkos les assassinats en série des amis d’Otto! Dès octobre 1957, vous étiez passés à l’attaque! En trois années, justement, combien d’entre nous sont tombés sous vos coups, Wladimir Belkowski, Stephen Mc Garnett, le colonel William O’Gready…
- Oh! Mais vous n’allez pas jusqu’à regretter ce dernier, n’est-ce pas? Il me semble que ce n’était pas le grand amour, la franche amitié entre vous! Il vous insupportait si je me souviens bien! Fit Paldomirov.
- Certes! Mais Bill ne méritait pas de mourir! Surtout ainsi!
Avec un haussement d’épaules, Sergheï Antonovitch repassa au tutoiement.
- Tu le sais, je le sais, il me serait facile de t’éliminer sans laisser de traces. Or, ce n’est pas le but que je poursuis aujourd’hui…
- Et pour cause! Rétorqua Franz! Tu n’es pas suicidaire! Me détruire, c’est détruire l’équilibre de l’Univers!
- Peut-être… mais tu t’accordes trop d’importance! J’ai d’autres moyens de t’atteindre, d’ôter ta cuirasse. M’attaquer à tes adorables jumelles par exemple! Mais aujourd’hui, je le répète, seuls Daniel Wu et son équipe m’intéressent! J’énumère. L’arriéré mental de crocodile décérébré qui accompagne le daryl, Kiku U Tu, l’Homo émergent boiteux et bègue, Uruhu, Antor, le demi vampire échappé d’un manoir d’Ed Wood,
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l’historien noir play boy Tony Hillerman, qui, malgré sa ceinture noire de taekwondo, ne brille pas particulièrement au corps à corps, l’ami et commensal Fermat, le grand sec, la véritable culotte de fer, aussi émotif qu’une tombe ou encore Michael Rennie…

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- Bigre! Mais depuis quand une machine éprouve-t-elle des sentiments? J’oubliais! Vous êtes schizoïde…
Faisant comme s’il n’avait pas entendu l’insulte, Sergheï Antonovitch reprit:
- Tes sarcasmes glissent sur moi, mon vieil ennemi. Depuis le temps, j’ai appris à te connaître. Dans cette liste, dois-je rajouter la tendre et douce épouse de Daniel, Irina, aussi giguasse et gracieuse que la vache Clarabelle dont la seule qualité, à mes yeux, est d’être russe? Ou encore la pseudo nièce écervelée chérie, j’ai nommé Violetta, à un quart métamorphe seulement, pas même capable de se fondre dans un paysage comme mon précieux Kintu Guptao Yi Ka, dont le seul talent consiste à se plonger dans un merdier pas possible…
- Holà! Je vois que vous avez tous hérité du défaut de Johann van der Zelden! Émit Franz. Vous aimez vous écouter parler et rabaisser les autres!
Fouchine se posait des questions.
- Par les moustaches de Staline, qui est donc ce Johann van der Zelden? Pourquoi ce maudit Allemand sous-entend-il que Paldomirov est une machine? De qui le colonel est-il réellement le féal? Qui sert-il? Et comment a-t-il pu obtenir la technologie pour faire des doubles parfaits?
Mais Pierre Duval, qu’en fait cet échange n’amusait guère, conclut:
- Franz, sincèrement, je te plains! Là où mes hommes vont t’amener, tu regretteras bientôt de ne point avoir à tes côtés quelqu’un avec qui parler ta langue… A moins, bien sûr, que tes prodigieux dons de polyglotte te permettent d’assimiler et de synthétiser en quelques jours des bribes de nahuatl, de maya quiché, de swahili, de bambara, etc. afin de t’exprimer dans l’idiome officiel de la Mexafrica!
Sur ce, le clone du Commandeur Suprême parut se fondre et disparut subitement sous les yeux médusés et exorbités de Fouchine qui eut du mal à saisir les commandes de pilotage alors que le translateur, toujours sous tension, sautait d’une spirale de temps vers une autre afin d’atteindre sa destination programmée.
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Toutefois, Pavel Pavlovitch se posa sans problème sur cette terre mexafricaine. Les Soviétiques qui l’accompagnaient, avaient pris la précaution de revêtir les combinaisons de camouflage holographique. Personne, aux environs de Texcoco,
ne put donc détecter l’arrivée des intrus temporels. Nanki Coatl, malgré une informatique à sa disposition, mais reposant sur des cycles de cinquante-deux unités, ne possédait pas la technologie adéquate pour signaler les accrocs subis par le continuum espace-temps.
Quoi qu’il en soit, la cour de l’Empereur était trop occupée par la cérémonie du « Chocolatl »

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présidée par le Fils du Soleil et de la Lune en personne. Souverain et prêtres procédaient formellement à la dégustation du noir, riche et épais breuvage dont l’amertume était amoindrie par du vin de palme.
Goûter rituellement à cette boisson avait pour but d’apporter à l’Empire prospérité, santé et félicité, à condition que la cérémonie fût suivie de la mise à mort sacrificielle de sept jeunes gens des deux sexes désignés en fonction de leur signe astrologique.
Justement, ces derniers, drogués, s’avançaient, quasiment aveugles, d’un pas saccadé jusqu’à la pierre autel là où le grand prêtre du dieu de la mort Mictlantecutli officiait.
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Il ouvrit la poitrine des victimes sacrificielles avec une dextérité et une précision remarquables, nées de la pratique multi décennale. Puis, toujours insensible, la fonction exigeait cela du Pontife, il arrachait les cœurs tout palpitant et chauds encore et les tendaient vers la foule. Après les acclamations, il en savoura les gouttes de sang, mordant à pleines dents dans la chair morte.

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Tout en respectant les coutumes culturelles millénaires au détail près, le grand prêtre avait toutefois utilisé non le poignard en obsidienne mais le couteau laser. Il en était ainsi depuis déjà plus d’un siècle.
Parmi la foule, des observateurs attentifs auraient pu identifier des Chinois, des marchands qui n’approuvaient pas ces cérémonies publiques mais qui se taisaient, affaires obligent n’est-ce pas? Or, l’un de ces marchands ressemblait trait pour trait à Sun Wu.
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Comment le chef du Dragon de Jade avait-il atterri en ces lieux?
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1249. Chose promise, chose due. Arnould de Charmeleu avait mis sur pied sa chasse à l’ours avec, peut-être, à la clef, une idée de complot. Au passage, les chasseurs ne s’interdisaient pas d’abattre, si l’occasion s’en présentait, quelques gibiers moins prestigieux tels daims, chevreuils et… pourquoi pas? Un ou deux sangliers. Tout naturellement, Daniel Wu avait décliné respectueusement l’honneur de participer à ce « sport » sanglant. Devant ce refus formulé d’une voix ferme mais polie, le baron avait levé un sourcil suspicieux, se demandant si son hôte ne professait pas l’hérésie cathare. Mais… depuis Montségur, l’espèce avait disparu et il n’appartenait pas au grand maître de la Buena Muerte de dénoncer un mécréant aux terribles moines dominicains.
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Par contre, chose surprenante, Irina avait insisté pour assister à la chasse en compagnie de Violetta! Arnould n’y comprenait plus rien. Cependant, il s’était incliné avec son charme de grand seigneur; en fait la présence des deux femmes avait rassuré le baron quant à la catholicité de ses invités!
Ces dames montèrent des palefrois, assises en amazone sur une selle spéciale. A la vue des selles, la métamorphe s’était récriée.
- Euh! On me prend pour qui, là? Je préfère monter normalement! C’est bien peu confortable et bigrement gênant!
- Garçon manqué! S’était empressé de lancer Geoffroy. Puis, plus doucement, il avait rajouté:
- Ici, il n’est pas recommandé d’agir comme un homme! Ce n’est point… décent!
- Tant qu’à faire, dis-moi que j’encours le bûcher!
- Tu ne crois pas si bien dire! Rappelle-toi Jeanne d’Arc!
- Certes, mais c’est dans presque deux cents ans!
- Tout de même…
- Bon, j’accepte de me montrer prudente. Mais alors, pourquoi notre ersatz de walkyrie monte-t-elle, elle, comme un chevalier? Et Charmeleu n’a pas l’air de s’en formaliser! Il ne roule point furieusement des yeux!
- Lady Pirrott Neville est libre d’agir comme elle l’entend, ma chère! Ça la regarde si elle a décidé de paraître hérétique!
- Ouais… Son sourire faux me glace! Je te parie qu’elle prépare un sale truc!
- A nous de rester sur nos gardes! Conclut Ivan.
Tous les chasseurs étaient armés de dagues aux lames parfaitement effilées. Violetta n’avait pas tort de vouloir surveiller particulièrement l’Anglaise. Mais monter en amazone la désavantageait.
La chasse débuta au son des cors et des abois impatients des chiens. Bientôt, Geoffroy, Philippe et Fermat se retrouvèrent en tête auprès du baron. Le temps se prêtait idéalement à ce loisir très prisé: un ciel clair, un froid piquant, le son qui portait loin…
Une heure plus tard, Irina et Violetta avaient remonté la piste d’un chevreuil et, ainsi, sans s’en rendre compte, s’étaient éloignées du corps principal de la chasse. De même, Lady Alexandra et son chevalier, Dieter Karl s’étaient concentrés sur les traces d’un goupil, se comportant comme des membres de la Upper Upper Class britannique!
De leur côté, Ivan, Uruhu et Philippe suivaient sans faillir la piste très chaude de l’ours, aidés par le flair aiguisé du K’Tou. Encore quelques toises et, la bête, traquée et acculée, allait se retourner contre ses tourmenteurs.
Le chevalier mit en garde ses compagnons. Ils avaient devancé les pisteurs et rabatteurs professionnels. De fait, le Néandertalien était bien plus expert en ce type de chasse que les hommes du XIIIe siècle! Parfaitement dans son élément, ses larges narines écartées, il flairait l’air tel un dogue, mieux, il semblait le boire!
Ayant senti le fumet brûlant de l’animal, le K’Tou se retourna et dit dans sa langue maternelle:
« Broorh nin’da! ».
Ce qui signifiait à peu près: « Ours proche, près de la caverne ».
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Uruhu ne se trompait pas. Effectivement, le plantigrade, une femelle qui devait protéger ses petits, se dressait en grognant devant le renfoncement d’un aplomb rocheux. Les humains menaçaient son antre et sa progéniture. La bête, humant le sang et la sueur de « ceux qui marchaient debout », gronda soudain de plus belle, sortant de la pénombre qui la dissimulait partiellement.
Ensuite, elle avança maladroitement sur ses deux pattes postérieures tandis que ses membres antérieurs se levaient en de pitoyables mais néanmoins redoutables réflexes de défense.
A la vue du plantigrade, le destrier d’Ivan se cabra. Le cheval manquait remarquablement de sang-froid. L’inévitable accident se produisit. La sangle de la selle céda brusquement. Elle avait été soigneusement et discrètement cisaillée par Dieter Karl sous le regard intéressé et enamouré de Lady Pirrott. Ivan chuta d’un seul bloc et se retrouva quasiment sous l’une des pattes de l’ourse furieuse. Un coup de griffe et… exit notre aventurier du XX e siècle!
Mais c’était sans compter sur Uruhu! Le Néandertalien en avait vu d’autres! Dans son adolescence, il avait côtoyé de semblables dangers. Tout en brandissant sa dague et en sautant de son cheval, pour une fois, il s’était bien débrouillé avec cette monture, il mugit des paroles incompréhensibles. Il atteignit son but, capter l’attention de l’animal aux abois. Puis, sans coup férir, il passa à l’attaque, priant muettement la déesse mère ourse Broorha, la protectrice des bois et fourrés d’épargner dans son immense mansuétude le jeune Niek’Tou.
Comme fasciné, le plantigrade s’était immobilisé; Philippe mit cet instant de répit à profit pour porter secours à Ivan.
Subjuguée à la fois par l’éclat surhumain des yeux du chevalier et par les étranges paroles du K’Tou qu’elle semblait comprendre, l’ourse recula lentement dans le fond du renfoncement rocheux. La magnifique bête allait sans doute être épargnée.
Mais, brutalement et incongrûment deux bruits secs claquèrent tout près, provenant de la sombre forêt. L’ourse au poil noir s’abattit alors comme une lourde masse, deux trous sanglants à son front.
Faisant fi des anachronismes, Lady Alexandra avait usé d’un fusil pour tuer sans honneur et sans remords le noble plantigrade!
Se remettant debout péniblement et tout en se frottant ses reins douloureux, Ivan marmonna:
- Inutile de s’interroger! C’est à cette traîtresse que je dois mon accident.
- Gardez prudence! Lui murmura Philippe à l’oreille.
La chasse s’était achevée d’une manière imprévue. Le blond adolescent souffrait d’une épaule luxée. Il n’y avait pas eu mort d’homme. Deux jours de lit et Ivan serait rétabli.
Avant de regagner le château, Uruhu et Violetta, aidés par Irina, pratiquèrent les rites funéraires sacrés des K’Tous en l’honneur de l’ourse abattue.
- Que signifie ceci? S’exclama le baron. Vous enterrez une bête avec vos poignards, des colliers tressés et des pierres?
- L’ourse valeureuse n’a pas démérité! Répliqua sèchement Violetta. Ses petits vont vraisemblablement mourir de faim et de froid avant le printemps si vous ne les recueillez pas!
- Jeune damoiselle, un animal n’a point d’âme…
- Il suffit! Jeta Philippe. Laissez faire mes amis. Cela ne déplaît point à Nostre Seigneur. Ils savent que le Père a prévu pour nos compagnons inférieurs un monde de paix et de bonheur.
- Et cette cérémonie est bien plus ancienne que toutes les momeries de ce siècle! Proféra Fermat en défiant Charmeleu du regard.
- Oh! Je n’insiste pas! Vous pratiquez un christianisme bien étrange!
- Vous aussi! Conclut Philippe.
- Doux sire, il ne faut point dire cela. Dépêchez vous tous. Le soleil disparaît déjà derrière les monts et l’heure des loups approche!
***************
Les jours, puis les semaines passèrent, ordinaires ou remarquables, sans que ni Daniel ni Philippe ne songeât à voler la mandorle. Le printemps s’en vint enfin apportant clarté, soleil et promesses de changement. Pour les moines soldats, il était temps de partir à la croisade. Après moult et divers préparatifs, les chevaliers de la Buena Muerte empruntèrent, joyeux, la route d’Aigues-Mortes, s’encombrant dans leurs lourds bagages du Baphomet et de la mandorle.
Tous les hôtes du futur s’étaient joints à cette expédition pour les raisons que l’on connaît. Aucun Nazi ne manquait à l’appel et surtout pas Lady Alexandra. Arnould n’avait pas hésité à bougonner et à objecter lorsqu’il avait vu ces « maudites femelles » se mêler à la longue procession pour la Terre Sainte. Mais la reine Aliénor d‘Aquitaine, un siècle auparavant n’avait-elle pas montré l’exemple?
Toute la troupe donc, soit près de trois cents personnes, embarqua dans de hautes nefs qui, aux yeux de Violetta, avaient à peine la taille d’une navette de tourisme, tout juste capable de rallier Mars depuis la Lune en une semaine!
L’équipage fit ensuite escale à Chypre puis les navires infléchirent leur course pour Damiette où le roi Louis en personne débarqua en ce début du mois de juin 1249. La traversée de la Méditerranée n’avait connu aucun problème hormis les inévitables et attendus mal au cœur, les orages, les rats et les parasites.
D’autres vaisseaux suivaient de près, plus ou moins discrètement, le roi et la troupe de Charmeleu; parmi, une nef, génoise celle-ci, dont le capitaine avait été grassement payé en poudre d’or et pierres précieuses, transportant les agents de la NSA, et, plus insolite encore, une jonque chinoise, apparemment égarée sur la Mare Nostrum dont l’aspect frêle et vétuste dissimulait en fait le tout dernier cri de la technologie des années 1970!
Sur l’esquif exotique, malgré les milles qui les séparaient, Daniel identifia Sun Wu lui-même ainsi que ses fidèles lieutenants. Incompréhensiblement, le daryl androïde ne réagit pas plus que cela, se permettant toutefois un discret sourire!
Que se passait-il donc? Les enchantements de ce monde ensorcelé avaient ils joué sur l’intelligence de nos tempsnautes? Pourquoi le commandant Wu semblait-il accepter, avec fatalité, de subir les événements? S’était-il résigné à participer à cette septième croisade? Avait-il opté pour un profil bas? Ou tout simplement avait-il résolu de faire d’une pierre deux coups et de délivrer Stankin?
« Temps truqué, temps illusion, temps menteur ! », chantait intérieurement une voix au daryl androïde. Pour les protagonistes, les semaines s’écoulaient lentement, s’étiraient même, s’éternisaient. Tout acteur, partie prenante de ce monde avait réellement l’impression que les jours passaient avec une lenteur exaspérante alors qu’il n’en était rien. Le temps vivait littéralement un collapsus! Pas une accélération, non! Le véritable meneur de jeu connaissait la non immutabilité, la relativité du temps ambiant. Il avait choisi de faire subir cette épreuve à l’un des personnages et il en était satisfait.
Les subordonnés de Daniel Wu, ses amis et compagnons n’avaient pas conscience d’être de simples marionnettes entre les mains d’une Entité non encore dévoilée. Comme anesthésiés à leur tour, ils se contentaient presque de vivre au jour le jour, n’objectant rien au fait de participer à une aventure, la croisade, vouée à l’échec quelle que fût la chrono ligne ! Fermat, pour une fois, se montrait patient comme Kiku U Tu et Geoffroy!
Merritt et Amsq étaient-ils victimes eux aussi de ce sortilège? Percevaient-ils le basculement du temps? Celui-ci ne s’étirait nullement, bien au contraire! Il se bousculait, il faisait croire que certains événements étaient vécus, il manipulait les souvenirs. Oui, ce Temps s’était non humanisé mais doté d’une conscience propre, d’une liberté momentanée, n’étant plus relié à Celui à qui il appartenait de droit! Il jouait, baguenaudait, tressautait, s’évanouissait pour revenir aussitôt, modifié, rouge, jaune, primesautier, folâtrant, riant aux éclats dans sa juvénile insouciance!
Amsq et ses amis et complices, par raptor interposé, avaient devancé leurs principaux adversaires. Depuis quelques semaines déjà, le scientifique Haän avait localisé précisément la prison dans laquelle l’Hellados Stankin croupissait depuis de trop longs mois. Sa geôle, située au Caire, n’était qu’une parmi d’autres. Elle n’avait rien de remarquable extérieurement.
Or le Sultan Ayyub, qui gouvernait la cité, voyait son pouvoir de plus en plus contesté par les Mameluks. D’ici quelques mois, voire quelques semaines, il serait renversé.
***************
Dans sa sinistre geôle, aux murs lépreux, Stankin prenait son mal en patience, ignorant ou feignant d’ignorer l’ignoble ballot de paille pourrie qui lui servait de couche, se contentant depuis de longs mois de pain infect et d’eau croupie pour toutes nourriture et boisson. Enchaîné, il ne pouvait faire plus de six pas s’il se déplaçait et ses yeux s’étaient peu à peu habitués à la pénombre de ce lieu sordide. Mais hélas, pas son odorat! Les rats, les excréments et l’eau sale dégageaient des effluves méphitiques dont les vapeurs venaient très régulièrement agresser ses délicates narines. Nonobstant ces tourments, l’Hellados faisait son possible pour conserver sa dignité ainsi qu’une propreté, très relative à ses yeux.
Or, ce matin-là, en transe afin d’oublier les parfums délétères qui stagnaient dans l’atmosphère confinée de sa prison, mais aussi les parasites innombrables, le scientifique se remémorait les jours heureux et insouciants de son adolescence, toute consacrée à l’étude et à la méditation.
Mais sa quiétude fut troublée par la venue d’un geôlier à l’aspect des plus impressionnants. L’homme barbu, véritable phénomène de la nature, portait une tunique verte auréolée de sueur rance à l’emplacement des aisselles tandis qu’une ceinture d’étoffe rouge était nouée à sa taille. Il était également coiffé d’un turban et un anneau d’or pendait à son oreille gauche. Ses pieds crasseux et gras pataugeaient dans des babouches défraîchies à la couleur indéfinissable.
Faisant teinter bruyamment son trousseau de clefs, il cracha de mépris sur le prisonnier et lui jeta en arabe:
- Chien galeux, dépêche-toi! Le sultan veut t’interroger en personne! Montre-toi sous ton meilleur jour et réponds sans enfreindre ses attentes. Sinon, tu recevras le fouet et alors, ta peau ne vaudra rien, sauf pour les hyènes et les chacals affamés!
Brutalement, Ahmed tira les chaînes, les détachant de l’anneau mural, puis conduisit l’Hellados jusqu’au maître de la ville par des couloirs sombres rongés de mousse et de salpêtre.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes se retrouvèrent dans une des immenses salles du palais du sultan. Dans la cour, on apercevait des fontaines glougloutantes d’une eau cristalline dont le bruit apaisant et régulier avait pour but de faire oublier la chaleur implacable de ces latitudes, des arcs brisés outrepassés, des murs ornés d’arabesques dorées, du stuc, du marbre blanc à profusion, du calcaire tout aussi éblouissant, immaculé, volé sans nul doute au revêtement des pyramides de Guizèh.
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Dans leur progression, le geôlier et son prisonnier avaient croisé des eunuques à la peau luisante, vêtus d’un sarouel, regardant d’un œil curieux le captif qui allait comparaître devant le sultan. Ils le plaignaient muettement et sincèrement.
Dans la salle du trône, de nombreux esclaves s’affairaient autour d’Ayyub. Des échansons lui versaient du thé brûlant à la menthe dans des gobelets finement ciselés alors que des mages et autres astrologues lui tendaient respectueusement des parchemins emplis d’étranges signes cabalistiques relatant des prophéties ineptes. De jeunes enfants éventaient en cadence leur seigneur et maître, rafraîchissant tant faire se peu le gros homme avachi sur son siège, chassant du noble visage aux traits bouffis mouches et autres insectes malvenus.
Sa Grandeur, d’un air las et ennuyé s’essuyait le visage d’une main courte et grasse, presque efféminée avec ses bagues tout en se vautrant sur des coussins recouverts de soie. Le siège abondamment sculpté et travaillé était surmonté d’un dais emplumé. Derrière ce meuble, se dressaient deux gigantesques gardes du corps, tout en muscles eux!
L’un, d’origine turque seldjoukide, présentait un crâne chauve, mais cependant orné d’une queue de cheval d’un noir de jais dont l’extrémité frôlait sa nuque puissante. La bouche purpurine s’ouvrait sur une denture parfaite, à l’émail éblouissant; le menton agrémenté d’une barbe en pointe, parfaitement soignée et parfumée qui faisait son orgueil, ne pouvait dissimuler la cruauté de l’homme prêt à tuer au moindre clignement de paupière du sultan.
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L’autre garde, un Noir Soudanais, fortement charpenté, n’intimidait pas moins que son compagnon. Comme la mode l’exigeait, deux anneaux d’or pendaient à ses larges oreilles. Lui aussi présentait un torse nu, musculeux, tout enduit d’huile.
Les deux compères arboraient des babouches confectionnées dans le cuir le plus fin et terminées par des pointes savamment recourbées, mais, surtout, ce qui rappelait leur fonction, des cimeterres à la lame nue glissée directement dans la ceinture dorée en soie, et à la poignée damasquinée.
Le sultan, tout dolent, accablé par la chaleur, daigna enfin déguster son thé. À portée de sa main droite, un esclave lui présenta un plateau ouvragé en cuivre contenant des loukoums parfumés à la rose, à la fleur d’oranger et au citron. Ces douceurs étaient enrobées de sucre, luxe inouï pour l’époque!
Après avoir dégusté deux de ces loukoums, s’avisant de la présence du prisonnier, Ayyub frappa alors trois fois dans ses mains. Obéissant prestement au signal, les serviteurs s’inclinèrent et s’esquivèrent silencieusement et promptement dans une autre pièce. Bien évidemment, seuls restèrent à leur poste, les gardes du corps qui devaient protéger leur maître en toute circonstance.
Fort myope, plissant ses petits yeux noirs, le sultan s’adressa au prisonnier d’une voix chantante et grasseyante.
- Mes faucons et mes colombes messagers m’ont apporté les dernières nouvelles. Les Roumis ont débarqué à Damiette il y a peu de jours, le roi Franc à leur tête.
Stankin acquiesça imperceptiblement. Il connaissait parfaitement l’histoire de la Terre et ne voyait là rien d’extraordinaire. Cependant, Ayyub poursuivait:
- N’espère point une délivrance rapide, Infidèle! Mes Mameluks constituent l’élite de l’élite. Même le grand Saladin ne fut pas mieux servi! Mes hommes sauront repousser ces Francs puants et prétentieux, mangeurs d’ail et de bêtes impures, qui croient qu’en prenant Le Caire, les portes de Jérusalem s’ouvriront toutes seules!
Notre scientifique et philosophe ne pouvait qu’approuver l’ironie du sultan. Y compris dans cette chrono ligne déviée, l’échec des Chrétiens allait être patent et cruel. L’Hellados savait également que le seigneur Ayyub mourrait dans quelques mois à peine, ses Mameluks si « fidèles » renversant la dynastie quasi séculaire de Saladin! Mais, par Stadull, pourquoi le « noble » personnage avait-il voulu le voir?
- Je sais les circonstances de ta découverte et de ta capture. D’après ce qu’on m’a dit, tu as surgi du néant, tel un djinn, apparaissant au cœur même d’un camp d’un de mes fidèles généraux. Sonné, tu étais gravement blessé, et tes propos incompréhensibles étaient formulés dans un langage inconnu. Mon féal en a déduit, à tort, que tu étais originaire des pays des Roumis. Or, ton accoutrement ne ressemblait pourtant pas à celui habituellement porté par les Infidèles du Ponant. De plus, ton teint est trop cuivré. Un peu comme si, toute ta vie, tu avais été exposé aux rayons d’un soleil plus ardent que celui de nos contrées. Et tu avais en ta possession un objet étonnant qui, lorsqu’on le touchait, même par mégarde, déclenchait un feu mortel. Sans dégager de flammes!
Oui, pour moi, tu es bel et bien un djinn, un démon dont la science de la guerre est nettement supérieure à la mienne ou encore à celle de ce roi Franc!
Alors, voici le marché. Je veux que tu me livres tes secrets, tous tes secrets. Si tu acceptes, je te laisse la vie sauve. Si tu refuses, je te promets une mort lente, dans les affres d’une souffrance telle que tu me supplieras de mettre un terme à celle-ci le plus rapidement possible!
Stankin écouta silencieusement ce long discours, captant par instants les pensées cachées d’Ayyub. Le sultan en savait bien davantage que ses propos le laissaient entendre.
« Bien sûr, je ne suis pas le seul captif de valeur entre les mains de ce seigneur dégénéré et pitoyable. Ayyub retient également d’autres prisonniers importants dans ses geôles immondes, dont un « Templier » affilié à une secte se réclamant de l’action et de l’ascendance du Cid. Or, les Haschischins lui ont livré cet homme moyennant l’obtention de certains secrets alchimiques. Après divers et maints supplices dignes de ceux que les miens administraient aux Castorii il y a sept mille cycles, le moine soldat, à bout de toute résistance, a fini par parler. Il a ainsi raconté l’histoire extraordinaire d’un automate, appelé Baphomet, capable, selon ses propos, de procurer à l’Islam et à la civilisation arabe, le triomphe instantané, en toutes circonstances. Donc, Ayyub croit que je suis le mage, le scientifique dudit ordre, La Buena Muerte, en quelque sorte un astrologue alchimiste doublé d’un ingénieur militaire, un démon incarné dans la peau d’un simple mortel.
Je m’interroge: le Baphomet a-t-il un lien réel avec mon bio translateur? Serait-il en fait une partie de mon appareil? Après mon écrasement sur Terra, j’ignore ce qu’il advint précisément à mon invention. Toutefois, mes facultés psy sentent que mon persécuteur Haän, ce chasseur du futur, n’a nullement renoncé à me capturer. D’autres êtres malveillants poursuivent également ce but. Ils sont tous avides de s’emparer des pièces dispersées du bio translateur! Si jamais ils y parvenaient, ils se hâteraient de le reconstituer! L’hallali a commencé! ».
- Te décides-tu? Revint à la charge Ayyub. Dépêche-toi, Infidèle, ma patience…
Soudain, une colombe, entrée par une fenêtre, vint se poser délicatement sur la main grasse du sultan. Le seigneur, désormais nullement alangui, ouvrit fébrilement le message dont elle était porteuse.
Celui-ci l’informait de la présence de chevaliers à l’armoirie à tête-de-mort parmi les troupes franques. Les moines soldats transportaient avec eux un autel mystérieux arborant, ô hérésie monstrueuse, à la fois l’image du Prophète Mohammed et celle de Jésus. Chez les Roumis, il fallait s’attendre à tout! D’après les témoignages de ses espions, cet autel pouvait transmuter les choses et les êtres!
Préoccupé par la teneur du message, repliant le mince feuillet, Ayyub redressa la tête, fixa aussi intensément qu’il le put l’Hellados et risqua:
- As-tu déjà entendu le terme de Baphomet?
Stankin hésita moins de deux secondes. Il choisit de révéler la légende admise en Occident; celle d’une idole automate, engin construit par le pape Sylvestre II et adoré par les chevaliers de l’ordre du Temple.
Le regard d’Ayyub se fit plus dur.
- Est-ce là bien tout? Que me dissimules-tu encore? Ah! Je t’accorde une journée! Pas plus! Demain, il faudra que tu parles… sinon, même les chiens galeux, baveux et enragés ne voudront pas de ta dépouille.
Sur ce, alors que l’Hellados, méfiant, renforçait ses boucliers mentaux après avoir lu dans la tête du sultan ce qu’il en était et ce qu’il envisageait, Ayyub claqua ses mains et le geôlier réapparut. Le chercheur n’avait pas le choix, cela, il l’avait compris. Il fut reconduit dans son cachot sordide par son garde monstrueux.
***************
Tony Hillerman et Antor avaient obéi aux directives du commandant Wu. Ils savaient ce dernier capable de se tirer des situations les plus ardues, qu’eux auraient jugé perdues! Il leur était dévolu de remonter la piste Von Hauerstadt. Ils devaient ensuite récupérer le duc.
Cependant, Tony pressentait de grandes difficultés et craignait de changer de chrono ligne sans l’apport du cerveau positronique de Daniel le seul, selon lui, capable d’effectuer et de résoudre les complexes équations permettant le déplacement transtemporel. Avec pusillanimité, il objecta donc, osant affronter le visage impassible, blême et indéchiffrable du diplomate dont les yeux rougeoyaient d’une façon inquiétante devant les consoles de contrôle de la cabine de pilotage.
- Permettez-moi, Excellence, de vous rappeler que nous n’avons, à notre disposition, qu’un vaisseau scout des plus ordinaires, amélioré certes, mais tout juste capable de voyager dans les boucles d’une seule spirale temporelle. Les sauts quantiques d’une piste à une autre ne sont pas fiables! Et… je ne mets pas dans la balance la dépense effroyable de nos réserves d’énergie! Nos cristaux de charpakium, à force d’être ainsi sollicités, vont finir par être réduits en poussière et…
- Poursuivez, lieutenant, fit Antor froidement.
- Comment parvenir, dans ces conditions, dans le monde dévié où les Russes ont conduit le duc?
- Lieutenant, ce que nous n’avons pas, nous le volons, tout simplement!
- Euh… bégaya le Noir déstabilisé par cette réponse.
- Tony Hillerman, ne soyez pas encombré par des principes moraux obsolètes et dépassés ici! Nos ennemis en sont dépourvus! Emparons-nous d’une IA de leurs translateurs! Je vous rappelle que, grâce aux Pi, il s’agit de reproductions exactes du cube IA du bio translateur de Stankin.
- Mais, Excellence…
- Je n’ai pas terminé lieutenant! Certes, nous ne possédons pas la mandorle, multiplicateur d’énergie que Daniel et son équipe recherchent, mais, cher Tony, vous oubliez ceci: tant que nous ne dépassons pas une chrono ligne où domine Homo Sapiens, l’IA volée et nos propres réserves d’énergie suffiront amplement à nous projeter dans le temps alternatif désiré! Et… je sais effectuer la manœuvre!
- Très bien, ambassadeur. Je m’avoue vaincu et je vous fais entièrement confiance.
- Ce problème réglé, il nous faut établir une mise au point. Lieutenant, tout d’abord, nous ne sommes pas si démunis. Nous connaissons le pourcentage de déviation par rapport à cette dimension-ci, mais aussi le lieu d’atterrissage. Nous devons donc coupler l’IA subtilisée au moteur de notre vaisseau scout après l’avoir reconfigurée naturellement. Puis, nous testons notre aptitude à nous déplacer dans les multiples spirales et, enfin, nous programmons notre destination finale. Simple comme bonjour, non?
- Euh, dans votre bouche, oui!
Dans la presqu’île de Kola, les Russes éprouvaient des difficultés à se remettre des perturbations temporelles. Sonnés, ils ne réagirent donc pas à la nouvelle intrusion de la navette futuriste sur leur base. Pour Antor, ce fut un jeu d’enfant de déconnecter une IA d’un translateur au repos. Notre vampire avait usé d’hypnose pour endormir le personnel de service. Même s’il n’était pas doté de la vélocité de Daniel, le mutant n’en agissait pas moins avec précision et assurance. Admiratif, Hillerman le secondait, lui servant de garde du corps - comme si le vampire en avait besoin! - et, surtout, de sentinelle.
Enfin, avant d’effectuer le saut crucial, Antor entra en contact télépathique avec Daniel, lui signalant qu’il allait effectuer sa part de travail et rattraper sa « négligence ». La réception ne fut pas parfaite mais elle suffit à rassurer le commandant et le mutant. Le daryl, au moment où il reçut le message, se trouvait « encore » à suivre la trace de Charmeleu.
Maintenant, la destination quadridimensionnelle s’affichait sur l’écran sphérique de la navette. Année 2148, Texcoco, temps dévié 0, 000291% (pourcentage calculé par rapport à l’an 1961 où se trouvait actuellement le Szilard). Numéro de l’Univers: 1790!
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Avec entrain, Antor lança:
- Let’s go! En avant toute!
Tony enviait l’assurance et l’optimisme de son supérieur. Cependant, à l’instant où le vaisseau translateur s’estompait quittant cette réalité ci, pour un ailleurs difficilement concevable, une lumière violette spectrale emplit soudain l’habitacle du Szilard. Et, sous les yeux effrayés du Noir, une silhouette fantomatique se forma, celle de Pierre Duval, un des clones du tant redoutable Commandeur Suprême!
Naturellement, Antor se garda bien d’afficher une quelconque émotion. Il savait pertinemment que, pour l’heure, Tony et lui-même ne couraient aucun danger.
Vaporeuse, la surprenante apparition planait, comme détaillant les instruments de la navette. Enfin, elle parla alors qu’aucune voix audible ne retentissait dans l’habitacle.
Cependant, le vampire ressentait les infrasons très lents émis par le spectre. Il lui fut facile de les reconvertir en mots. Il perçut donc clairement les souffrances ainsi que l’ironie cruelle du clone qui exprimait à la fois sa colère, son impuissance mais aussi sa certitude que les deux hommes allait au-devant d’ennuis insurmontables. L’image de Pierre Duval affichait un rictus mauvais qui déformait ses traits habituellement sereins, imitant, sans le vouloir vraiment, Miloch dans Le Piège diabolique du génial Edgar Pierre Jacobs.
- Que signifie? Marmonna Hillerman.
- Oh! Rien d’important! Jeta avec désinvolture l’ambassadeur. Notre ennemi se contente de nous souhaiter bon voyage, voilà tout! Ah! Il rajoute que le dénommé Fouchine, Pavel Pavlovitch, nous accueillera à Texcoco avec tous les honneurs! Nous sommes prévenus, mais j’en ai vu d’autres!
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