jeudi 20 février 2014

Le Nouvel Envol de l'Aigle 4e partie : Pour que vive Mumtaz Mahal chapitre 33 2e partie.



Franchie l’échelle, Rien, un désespérant, un monotone, monocorde rien, sans couleur ni saveur, sans sentiment ni émotion…
Le sein même du Néant, comme s’il pouvait y avoir un centre à celui-ci!
Notion difficilement conceptualisable.
Espace à zéro dimension, alors que l’espace supérieur aurait dû en avoir comporté seize au moins à défaut d’une infinité.
Même le monde bidimensionnel de Flatland avait eu une consistance et une réalité. 

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Seuls les sages Hindous védiques avaient osé tenter une conception de ce Rien. Ici, la raison s’abolissait, la logique s’effondrait. Pourtant, les deux rescapés de l’Unicité étaient, poursuivaient leur existence, pensaient et ressentaient encore plus intensément si possible.
Alors, inattendu, Gana-El se résigna. Intimement, il savait qu’il ne pouvait aller plus loin. Il n’était pas outillé pour cela, il ne l’avait jamais été. Tout simplement, il n’avait pas été conçu pour ce qui allait suivre mais pour permettre à Dan El de se révéler.
Au seuil de l’inéluctable, lui aussi vivait sa Révélation. Empli d’une abnégation dépourvue d’orgueil, il allait donner à Fu l’illusion éphémère d’une dernière victoire. Son sacrifice ne serait pas vain. À son tour, il acceptait d’être anéanti. Seul le Surgeon comptait. Seul Dan El était capable de permettre à la Vie de s’imposer partout.
Pour que la douleur fût moins insoutenable à Daniel Lin, il se mit lui-même en veilleuse. Acte sublime. Encore un…
La lueur serpentiforme orange vif constituant Gana-El disparut sans prévenir. L’invagination l’avait-elle donc gobée, ses a-couches mouvantes digérant ce qui, encore pour elle, conservait une certaine matérialité?
Seul Dan El détenait désormais la réponse.
L’affrontement ultime, le renversant duel entamait sa dernière phase.
Le Ying Lung de la Compassion, repoussant l’angoisse de se savoir Seul, tout Seul, ne se déroba point. Avec courage, avec détermination, il fit face au Dragon Noir imposant, multiforme, désespérément négatif et entropique, incarnation du Néant.
Cependant, le jeune réseau résille s’était-il assez remis de l’extinction de l’Observateur, son mentor? Avait-il assez mûri, assez appris pour ruser, multiplier les leurres et les tromperies, les illusions miroir, pour transcender son humanité, ses émotions, ses deux réelles faiblesses?
Était-il prêt?
L’heure de vérité sonnait.
Sous l’aspect d’un frêle toron de lumière, Il était au milieu du Rien, et ce Rien l’englobait, et ce Rien l’entourait, et ce Rien le frappait, le cognait, le heurtait, et ce Rien voulait l’avaler, l’aspirer, revenant pour cela à l’assaut, encore et encore.
Vague rugissante, vague hurlante de noir, mais pas d’un noir uniforme, un prisme plutôt, mieux, un kaléidoscope de noir. Comme les plumes d’une pie, comme la houille extraite de la mine, comme le mica aux éclats brillants, comme le jais non encore taillé, comme la bakélite d’un antique téléphone, comme l’écran éteint d’une télé plasma.
Poussière de noir, gamme et gomme de noir, laque de noir, jaspe noir, diamant noir aux facettes infinies et miroitantes d’obscurité, mise en abyme du carbone abouti, contenant et contenu infinitésimaux.
Reflets chiffonnés et gluants d’une encre de seiche, fragments pétrifiés, fossilisés de l’ébène. Perle diaprée et irisée noire, toujours noire, anthracite carbonifère, liquide visqueux et noir d’un pétrole aux effluves nauséabonds, huile noire, bois noir, métal noir, feu noir aux flammes dansantes au sein du noir, pierre noire, terre noire, air noir, minéraux noirs, œil noir…
Tout était noir. Absolument tout et plus encore.
Espace noir sans luminosité aucune, main noire, toron noir, filet noir, brane noire, extension noire, particule noire, atome noir et sphère noire. Résille noire par-dessus tout le noir. Aucune autre couleur n’était possible, n’existait dans ce a-lieu noir.
A-couleur, a-forme, a-espace, a-temps, a-lieu donc, a-monde, a-Pantransmultivers, a-dieu… jusqu’à la satiété, jusqu’à l’écœurement, jusqu’au trop-plein.
Renversement. Éblouissement dans cette obscurité transcendante, dans cette fulgurance immanente, mais aussi, inévitablement, douleur, écartèlement et re-découverte.
Diverticule a-astral de la négativité fouettant toute la Weltanschauung antérieure, précédente du Créateur. A-gésine de Néant a-pluri-édrique. Vide, perte, solitude, absence, jusqu’au RIEN…
Pourtant, au milieu, au-dessus, en-dessous, au centre, partout, toujours, Il était.
- Oui, Je suis, pensa-t-Il, s’exclama-t-Il.
Musique noire, sculpture noire, figure noire, peinture noire, sonorité noire, rythme noir, fragrance noire, onde noire, ciel noir, renversement, bousculade, sens dessus dessous, capharnaüm, descente, vertige, tohu-bohu, retournement, gastrulation, révolution, descendance par modification et mutation du Noir, Révélation, Reconnaissance.
Dissonance, assonance, tempête, cyclone, hurlement, résistance, démence, effroi, affadissement, déstructuration, rage, colère, impuissance, contournement, vanité, inanité, mais pas encore renoncement.
Malgré les efforts furieux, désordonnés, chaotiques, gigantesques, imprévisibles, incertains dans le sens d’Heisenberg, Il était, Il restait, Il résistait et ne pliait pas. Il s’obstinait à exister, toujours présent, toujours là…
Or, ce toujours fragmentait Fu, le fendillait, le démultipliait au-delà du concevable. Les rides devenaient fossés, crevasses, failles, abîmes, ruptures divisionnistes de l’A-continuum, pointillisme de Seurat, composant une non-image a-picturale. 
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Fu s’acharnait donc, ne comprenant pas, sur cette fragile et si ténue langue-lumière non langue, non lumière mais tout à fait autre chose d’indescriptible et d’innommable. Il la bombardait, la mitraillait, la submergeait de terribles et de tempétueux coups de boutoir, de vagues monstrueuses effroyables, de vent hurlant en tempête, de dépressions cassant tous les baromètres, de tsunamis impossibles engendrés par des géants à la taille et à la force inimaginables. Il grondait, griffait, grognait, lacérait. Il secouait le réseau résille, voulant le précipiter dans son Rien. Mais le vacillant toron, imperturbable, restait intact, s’entêtant à être, un point c’est tout.
Devant cette résistance au-delà de tout entendement, pour parvenir coûte que coûte à ses fins, le Dragon opta pour une autre tactique.
Tel autrefois le colonel Kraksis et sa fameuse tactique formica, l’Inversé choisit le fractionnement de lui-même. Avec raison?
Ses doubles fragmentés frappèrent alors, battant encore et encore simultanément, partout et nulle part dans cet Ailleurs, dans cet Infra-Monde qui s’était apparemment substitué à la Totalité, au Pantransmultivers, en gésine la fragile lueur Dan El, le filin opiniâtre et vaillant.    
Or, des échos séparés du magnifique Sombre lui revenaient inquiets, déformés, pris tous d’une bouffée d’angoisse irrépressible, le martelaient, lui envoyant des messages parfois obscurs et sibyllins, parfois clairs, que lui, buté, s’évertuait à ignorer, ligoté dans sa haine inextinguible, dans sa sotte et toisante ignorance.
- Prends garde Fu! Sais-tu bien si tu es un papillon qui rêve qu’il est un homme qui rêve qu’il est un papillon?
- Songe au phtisique et à ses bronchioles absentes. Le vide a remplacé le poumon. Il crache toute la matière rosâtre de cet organe détérioré, presque absent et quasi mort. Il s’essouffle et ne peut plus parler. Mais il croit qu’il possède encore cette capacité. Il s’épuise! Rappelle-toi la fin tragique de La Dame aux camélias qui chante ses ultimes minutes de vie et qui, ainsi, gaspille ses dernières forces.
- Le dernier tétra-épiphane tissa au XIIe siècle la célèbre tapisserie de Gérone, image de la Genèse.
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 Qu’y a-t-il après le Et tenebrae super faciem abyssi? Pourquoi voit-on une colombe? Qui représente-t-elle? Crois-tu réellement être cette colombe?
- Triple volaille gigogne farcie! Une oie qui contient un canard qui, lui-même, contient un coquelet. Ne crains-tu pas d’être cet oison? Ne te montre donc pas si stupide! Coquille vide d’œuf prisonnière d’un œuf plus grand, lui-même à l’intérieur d’un autre œuf!
Par orgueil Fu piétina ces pensées malsaines indésirables. Immense, il planait par-dessus les sphères, les mondes, les devenir, lui-même circulaire, lenticulaire, muni d’aberrants tentacules, entourant, enserrant le timide toron qui luisait doucement, qui brillait d’un éclat orangé apaisant.
Mais comme une sérénade, une ritournelle, une litanie obsédante, les mises en garde revenaient et résonnaient en canon.
- Le fretin a gobé l’hameçon. Mais… qui gobe le fretin? Une tanche. Elle-même avalée par un brochet. Tête d’âne!
Mais l’Inversé Noir n’en avait cure. Sa haine l’aveuglait et l’occupait tout entier, abolissant sa raison. Il ne s’étonnait même pas de la non réaction apparente de son adversaire.
En effet, depuis le début de ce duel, de cet affrontement direct, Dan El semblait bien passif. Il se contentait de résister, de parer les coups, d’être et de ne pas agir.
Erreur!
Bien avant que le combat ne commençât, bien avant l’ultime phase de la Simulation menée à son terme, il avait trouvé la faille par laquelle il s’était engouffré. Voilà à quoi rimaient tous ses échanges avec ses amis, ses compagnons, l’étalage complaisant de ses faiblesses supposées, de ses émotions, de son attachement envers la Vie en général et envers les humains en particulier.
Certes, il tenait réellement à faire triompher cette Vie, à permettre à l’Humanité d’exister, mais il était fort capable de grossir, de travestir, d’accentuer ses sentiments, de mentir, d’exagérer, de tromper et de leurrer.
Après tout, grandi, mûri, il était, par excellence, l’Immanent Créateur. Cela lui était tombé dessus lorsqu’il avait accédé à la conscience jadis, il y avait des éons, il y avait un instant. Il ne l’avait pas voulu. La charge était trop lourde. Il se pensait trop impatient, trop imparfait. Sa Nature réelle lui pesait ; il n’aspirait non pas à n’être rien mais à n’être que Daniel Lin Wu… ni plus ni moins…
Ainsi donc la faille était tapie non pas en Dan El mais bien dans l’incommensurable orgueil de Fu. Un Fu qui avait pu surgir parce que l’Unicité avait mal pris en compte l’émergence des sentiments.
Le dernier des Yings Lungs se gardait bien d’afficher toute satisfaction. Il veillait à ne rien révéler mais non pas à ne rien ressentir.
Et, « pendant ce temps », devant cette impassibilité, Fu s’escrimait, s’épuisait à vouloir absorber l’inabsorbable, le minuscule et frêle toron insaisissable, enroulé sur lui-même, l’improbable et toujours vaillant filin serpentiforme, le Ying Lung si têtu, si merveilleux dans son courage. Une pico seconde, et c’était un instant infini pour ce Ying Lung Noir, un des ultimes multiples du Dragon Inversé - les autres, tous les autres, les différentes parties de lui-même se suicidaient mais pas avec noblesse - lui jeta:
- Descartes a écrit: « je m’avance masqué ». 
Le dernier, tout dernier filin du Dragon Sombre conclut:
- Corneille composa ou un jour composera ce vers à propos de lui-même: Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée. Comprends et médite… si tu le peux encore… médite et renonce! 
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Peine perdue!
Les tentacules de Fu s’étaient maintenant dissous. L’Inversé n’en avait tiré aucune leçon.
Or, sans qu’il en eût pris conscience, accablé par sa colère, parallèlement, son rayon d’action ainsi que sa globalité avaient rétréci graduellement, infinitésimalement, d’une manière à peine perceptible. Le processus s’était engagé par la catalyse déclenchée et menée par Dan El. Lui agissait avec subtilité. Le phénomène, il va de soi, était irréversible.
D’abord, ce fut la perte d’emprise de l’A-Pan-PNEUMA. Quelque chose d’indescriptible se mit à frémir, quelque chose qui se libérait. Mais notre Dragon Noir ne vit rien venir et ne ressentit aucun trouble.
Intérieurement, le Préservateur jubilait. Toutefois, sa joie se parait de tristesse. Par où avait-il dû passer pour en arriver là! Tant d’amis sacrifiés, tant d’intelligences sublimes anéanties!
Ensuite, pour Fu s’en vint la perte de contrôle de l’A-Pan-NOUS. Or, toujours, l’Inversé ignorait la déliquescence qu’il subissait. Car il s’agissait bien de ce phénomène.
Puis, le futur Pantransmultivers, désentravé, amorça une pulsation infime, un premier battement.
Trop tard, Fu réagit. Il eut cette pensée exclamative mi angoissée mi coléreuse:
« Je ne perçois plus ni le Pan-LOGOS ni le Pan-CHRONOS. Pourquoi? Que se passe-t-il donc? Je perds ma transcendance. Comment une telle chose est-elle possible? Je ne suis plus ni omnipotent ni omniscient, ni multiple ni transtemporel. Cela ne peut venir que de toi, Surgeon. Comment t’y es-tu pris pour réussir pareil tour de force? Que m’as-tu fait? ».
Dan El s’abstint de répondre.
Soumis à une fureur au-delà de tout contrôle, tel un enfant gâté qui se voit refuser la concrétisation de son dernier caprice, le Dragon Noir se jeta contre les « parois » de la sphère qui, maintenant, le contenait tout entier, avec l’absurde espoir d’en briser la substance et, ainsi, se libérer. 
- Encagé! Emprisonné, moi! Comme un vulgaire rat de laboratoire, hurla l’ex-entité. Surgeon! Poursuivit le vaincu, dis-moi de quel truc de prestidigitateur as-tu donc usé à mon encontre? Je n’y comprends rien!
Le Dragon Noir paniquait et cédait au plus grand effroi.
- Je perds Mon Pouvoir! Je suis en train de régresser en simple psyché humanoïde. Même pas un ridicule Homo Spiritus! À quoi m’as-tu condamné? Ah! Enfin, j’ai saisi, Dan El… Tu m’as pris à mon propre piège. Tu as eu le culot de recréer une Anakouklesis dans laquelle tu m’as enfermé. Une Anakouklesis à l’échelle de tous les Pantransmultivers. Bravo! Quel prodige! Et tu as réussi cet exploit dans l’Infra-Monde… salut, l’Artiste! Même moi, lors de ma flamboyance, je n’ai pu aller jusque-là. À qui donc as-tu volé un tel pouvoir? Mais non, je me trompe. Ce pouvoir a toujours été en toi. Depuis l’aube de des temps.
- Depuis les tout débuts de la Simulation, pensa Dan El.
- Quel rusé tu fais, Surgeon! Je le répète: bravo!
Comme à l’accoutumée, le Ying Lung s’obstinait dans son mutisme. Les compliments d’un Fu en train de se déliter ne l’émouvaient guère. Il n’en avait rien à faire de cette admiration malsaine.
Cependant, la métamorphose régressive de l’Inversé se poursuivait tandis que le jeune Expérimentateur ignorait les imprécations, puis les supplications de son adversaire. Impavide, inaccessible, divin, il œuvrait, accomplissait la tâche nécessaire et contingente. Il se devait au Vivant. À tout le Vivant. Ensuite… hé bien, ensuite, il verrait.
Amoindri, acculé, de plus en plus inaudible, ni entité ni Homo Spiritus, Fu en fut réduit à revêtir non son apparence des origines mais son avatar des prémices de cette histoire. Il devint un être humanoïde, un simple humain, de taille médiocre, une soma des plus ordinaires, sans force ni pouvoir, à peine sapiente, bornée dans sa compréhension de l’Univers, ignorant la Supra-Réalité et toute sa complexité, bien éloignée de l’entité divine dont la créature pitoyable avait revêtu un court instant les oripeaux magnifiques, durant un rêve fugace, si bref que déjà, il était oublié et effacé.
Cette petite vie nous rappelait vaguement quelqu’un. Un teint pâle, des cheveux blonds, ternes et plutôt rares, un nez long, un visage de fouine, une carrure malingre, des yeux qui refusaient de vous regarder en face et un certain don pour les langues. Oui, c’était bien Pavel Pavlovitch Fouchine, ancien commandant du KGB. Ex-espion manipulé par le leurre Pierre Duval, autrement dit Sergheï Antonovitch Paldomirov, clone ou supposé tel du faux Commandeur Suprême.
Dan El, sûr de lui et plus que jamais omnipotent, avait-il atteint son but? Magnanime, allait-il se contenter de ce stade de déliquescence atteint par son ennemi? Non. Le Pantransmultivers et la Vie exigeaient davantage.
Alors, la créature se scinda encore, diminua pour laisser la place à deux êtres fort distincts: l’humain tout d’abord, silhouette fantomatique, perdit toute sa substance dans un processus inexorable, et… fut gommé! L’autre être, l’Homunculus Danikinensis qui avait fusionné avec Fouchine dans le pyramidion de la pyramide d’Ogo, subit lui aussi la métamorphose régressive et létale. Dan El avait besoin d’en arriver à ce stade. Implacablement, l’Homunculus se réduisit en une momie fœtale papyracée et noire, au crâne énorme, tout à fait disproportionné, à la fontanelle éclatée et, naturellement, dépourvue de ses facultés transdimensionnelles. 
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Désormais, la chose-lithopédion ne pouvait que se contenter de flotter à l’état de peau-mue pétrifiée au sein d’un Outre-Lieu de moins en moins Infra-Monde. La monstruosité ratatinée au rictus grimaçant engendré par la terreur justifiée et persistante de ne jamais pouvoir un jour être véritablement quelque chose de conscient, ne savait même plus qu’elle était! Quelle ironie! 
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Mais ce pendant horrifique de fœtus astral du film 2001 l’Odyssée de l’espace, allait avoir son obsédante et insupportable utilité. Il serait le carburant de l’expansion du Pantransmultivers, son énergie noire et sa matière noire.
Vanité des vanités, tout est vanité…
Fu avait été sublimement domestiqué.
Dan El, le Ying Lung ou plus exactement, LE YING LUNG, avait dû se départir de ses pulsions négatives, s’arracher à ses penchants, mater sa peur du Néant et accepter la Mort, faire avec, composer avec l’obligation de se servir de l’énergie noire et de la matière noire, de l’Entropie car pour que le Pantransmultivers fût, évoluât, mutât, tout cela était nécessaire.
L’Expérimentateur l’avait bien compris au milieu de toutes ces épreuves, de toutes ces leçons. Il avait dû ruser et avec lui-même et avec le Néant qui était aussi une partie intrinsèque de lui-même, le Noir, le A-Lieu, le A-Monde, en le cernant, en étant à la fois à l’extérieur et en lui, tout autour et étranger mais pourtant si intimement lié à lui.
Alors, tout simplement, il avait plané au-dessus des eaux.
Et spiritus sanctus superferabatur super acquas.
Ce combat sans précédent s’acheva par KO debout du Sombre, du Repoussé mais pas nié, par la victoire totale du dernier des Yings Lungs, mais aussi, en fait, de l’UNIQUE et pourtant PLURIEL RIU SHU.
Ayant été confronté avec lui-même dans une schizophrénie dépassant tout entendement mais voulue, enfin réunifié,  Dan El se sentait vide, bien au-delà de toute satisfaction et de joie. Triomphe sur lui-même… mais à quoi bon?
L’amertume le submergeait, menaçait de le noyer. Certes, il avait accompli ce qu’il devait, lui auto conscient, auto créé, mais… il était Seul. Il l’avait toujours été.
Cela, il ne pouvait le tolérer. Cela ne serait pas, ne serait plus.
Il pouvait TOUT. La réémergence de la Totalité au sein du Rien pour commencer. Nul ne saurait, nul ne se douterait. Les voiles se maintiendraient non pour lui mais pour les autres, les pseudos membres du Chœur Multiple. Il l’avait déjà fait dans le Simulacre. Il pourrait le refaire. Il le referait. Le mensonge était préférable à la solitude.
N’était-il pas le Révélateur? Le Juge? Lui seul détiendrait la Vérité, lui seul gouvernerait la Supra-Réalité tout en laissant croire l’inverse. L’illusion lui était nécessaire afin de ne pas succomber au désespoir et à la folie.
Il voulait jouer le rôle de l’Ultime Riu Shu, le Ying Lung de la Compassion, ce fichu garnement, cet adolescent prodige et prodigieux doté de toutes les qualités, fou d’amour pour la vie en son entier d’abord mais aussi entiché de l’humanité, empli de sérénité, de gaîté, de courage et d’abnégation. 
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Pour les humains, il endosserait une fois encore l’habit du commandant Daniel Wu Grimaud, cet explorateur non des émotions mais du cosmos.
- Attelons-nous à cette tâche ingrate, songea-t-Il.
Il fit comme Il l’avait dit, sans enthousiasme mais résolu, opiniâtre et humble à la fois. Oui, Il avait appris à éprouver ce sentiment et non à le feindre. Il ne pouvait subsister seul. Alors… Un effort supplémentaire…
Du Rien émergea un minuscule et frêle toron, dépourvu de couleur dans un premier temps, si terne, si morne, si fragile… mais peu à peu il recouvra ses forces, grandit, s’imposa, devenant lui aussi un filet résille sur lequel gouttaient des perles de pré-énergie. L’Être-Entité existait bel et bien et pensait de manière autonome. Il ne pouvait cependant se douter de ce qui s’était réellement passé. Croyant sa mémoire préservée et intacte, il demanda simplement, n’osant encore se réjouir de cette coûteuse victoire:
- Surgeon, voulez-vous mon aide pour sortir l’Unicité du Rien?
Le plus jeune prit le temps de réfléchir puis acquiesça. Il savait pertinemment que Gana-El avait horreur de se sentir inutile.
Mais ce ne fut pas le Chœur Multiple qui surgit du Chaos ou de ce qui en tenait lieu. Tel un mauvais trucage d’un film fantastique hollywoodien de série B des années 1970 où on distinguait sans difficulté les superpositions d’images, une « statue » se matérialisa, comme suspendue dans le vide relatif.
Il s’agissait du Baphomet, qui, à travers vents et marées, avait conservé son apparence première. Pourtant, bien des détails différaient. Le translateur inter mondes monoplace avait perdu de sa superbe. Envolés le turban grotesque et la dalmatique qui l’était tout autant. Vierge de tout symbole la ceinture. Ainsi, le véhicule n’était plus dangereux. Il pouvait trôner dans les foires et fêtes foraines et retrouver sa place de curieux automate joueur d’échecs conçu au XVIIIe siècle. Sacré Dan El! Toujours aussi espiègle. Allons! Il menait le bal de cette Re-Naissance, plus primesautier que jamais, oubliant le poids de cette Epreuve qu’il s’était infligé volontairement afin de voir si sa future Création ou Parturition serait viable, pérenne et bonne.
Adonc, tous les éléments de la machine conçue par Jamiang Tsampa dans la Simulation, machine qui avait tant fasciné et égaré ses propriétaires successifs, avaient été oubliés dans la reconstruction par l’Expérimentateur. L’objet n’était donc plus qu’une coquille vide ad hoc que Dan El pouvait désormais renvoyer à son destinataire, autrement dit Van Kempelen, si, naturellement, cela l’agréait, une fois le cours de l’Histoire déroulé sur autant de pistes qu’il jugerait bon de permettre.
Tant pis pour Michaël, ce fragment anticipé du Préservateur. Son Baphomet, en tant que tel, ne serait plus.
Cependant, Gana-El, partiellement dupé par le Révélation, exprima ses sentiments. Persuadé être partie prenante de cette Re-Création, qui, en vérité était La Création, il fit:
- Mon fils, je vois que vous avez conservé tout votre humour. Mais je vous pardonne cette erreur de jeunesse. N’avez-vous pas lié, domestiqué l’Indomptable Fu?
- N’était-ce donc pas ce qui était exigé de moi, mon père? Pourquoi revenir là-dessus?
- Je sais parfaitement ce que vous ressentez. Vous avez maintenant l’impression que ce combat ne se justifiait pas. Or, le Rien était le Commencement. Nécessaire à l’impulsion créatrice. La matière noire, l’énergie sombre font partie intrinsèquement du Pantransmultivers. Dépouillés de leur libre arbitre, ils se plieront à la volonté du Réseau-Monde. 
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- Vous dites si bien la chose, mon géniteur… cependant, Gana-El, toutes mes expériences jusqu’à cette heure n’ont été que… virtuelles. Y compris lorsque je croyais vivre à Shangri-La. Craddock, Tellier, Louise, Lorenza, Violetta, Guillaume, Alban, Gwenaëlle, Aure-Elise, Albriss, tous des images… toutes mes aventures ne reposaient que sur des si… mais je me suis attaché à ces figurations de petites vies. Je ne puis les abandonner dans le néant, le non-créé. J’ai fait le serment que tous existeraient. Alors… tous vivront… Tous me rencontreront quelque part dans la cité idéale… je vais leur donner directement la vie… ils seront les ressuscités des pistes temporelles… ils croiront m’avoir connu en dehors de l’Agartha… auparavant, ils seront persuadés avoir vécu une existence emplie d’aventures dans les mondes extérieurs.
- Je comprends…
- Non, mais cela m’est égal.
- Mon fils, avouez donc que vous ne pouvez-vous résoudre à vivre seul, loin de vos petites vies. Vous peinez également à accepter l’idée que l’Humanité du Pantransmultivers soit totalement livrée au libre arbitre…
- Sur ce point, je ne me dédirai pas.
- Vous allez couper la poire en deux… comme toujours.
- C’est-à-dire?
- Vos amis vivront à vos côtés, dans la cité de Shangri-La, mais ignoreront toujours votre identité réelle, votre nature divine. Quant aux autres humains des chronolignes extérieures, vous interviendrez parfois pour redresser la situation, avec discrétion, judicieusement, rarement, j’espère, avec vos compagnons à vos côtés… ai-je bien exprimé vos intentions, Dan El?
- Exactement… je me contenterai de paraître n’être que Daniel Lin Wu Grimaud, un explorateur mythique de plusieurs galaxies, un daryl androïde doté de quelques facultés supérieures… sommes-nous d’accord, mon père?
- Oui, absolument. Passons à la suite.
- Procédons avec infiniment de précaution, Gana-El.
Naturellement, l’Observateur ne se rendit pas compte que l’Observateur le guidait dans ce qui advint ensuite, que c’était lui, l’adolescent qui menait toute l’opération.
Du Rien qui se déchira et s’ouvrit une fois encore, celle qui se nommait à tort l’Unicité jaillit, ruisselante de lumière, plus vive, plus puissante que jamais. Du moins ce fut ce qui parut être. Immédiatement, sans hiatus, elle exprima ses réserves. En cela, elle n’avait pas changé.
- Dan El, es-tu bien certain de ton Choix?
- Tu ne pourras faire machine arrière, reprit une des voix du Chœur Multiple.
- Totalité, j’en ai pleinement conscience.
- Si tu vis dans ta cité, tu seras exilé loin de Nous.
- Grand Tout, j’ai mûrement pesé le pour et le contre. J’accepte cet exil. J’y aspire.
- Bien. Dans ce cas, tu pourras parfois, lorsque ta solitude sera trop lourde à porter, revenir parmi Nous quelques femto secondes, c’est tout ce que Nous t’accordons. Mais tu ne pourras plus tenter d’autres Expériences.
- Je sais aussi cela, mentit Dan El. Je m’y accommoderai.
Lui Seul en vérité maîtrisait la Supra-Réalité et avait à cœur de maintenir le voile de l’Illusion.
- Dans ce cas, puisque tu as compris les tenants et aboutissants, enfant, il te faut maintenant déterminer le nombre de chronolignes autrement dit de probabilités concrétisées sans le Système Solaire, de Mondes avec celui-ci, puis du Système Sol avec une Terre non viable et viable, et ainsi de suite…
- Je m’y emploie, soyez-en certains.
- Certes, Surgeon, fit Gana-El, mais cela ne suffira pas.
- Bien. Alors, écoutez. Je me contenterai de deux mille pistes aboutissant à Homo Sapiens. Dans celles-ci, chaque culture humaine, aussi précieuse à mon cœur, aussi riche et diverse aura sa chance, dans un souci d’équité parfaite. Parmi elles, les K’Tous, si attachants, bénéficieront de cent une chronolignes où ils s’épanouiront en toute liberté. Quant au monde de Lobsang Jacinto, il verra le jour, sans lui, naturellement, mais aussi sans ma présence historique puisque, effectivement, je ne serai pas intervenu dans cette histoire. Du moins en tant qu’Entité omnisciente. Cependant, en tant que daryl androïde, je ne m’interdis pas d’y faire un tour de temps à autre… sans infléchir la fin de cette triste histoire… Vous la savez tout comme moi. Les Haäns domineront cette Terre-ci.
Après un bref silence, Dan El reprit sur un ton de défi.
- Avez-vous quelque chose à m’objecter?
- Non Dan El, répondit le Chœur Multiple dompté. Tu as amplement mérité ta prérogative.
- L’homme choisira. Il commettra d’innombrables erreurs, succombera mainte et mainte fois, mais, exceptionnellement, parfois, il réussira. Il devra et saura     composer avec sa mortalité, ses limites. Il accédera aux étoiles, à la Compréhension de cette immense Machine… dotée d’amour, de sentiments… pas simplement une équation mathématique froide…
- Oui Dan El, tu as gagné. Ton point de vue a triomphé.
- L’Energie Sombre a été domptée, mais j’ai besoin de l’Entropie pour faire évoluer la Terre et toute la Galaxie… Et Vous aussi, Unicité!
- Tu as grandi et mûri Surgeon. Tu es prêt.
- Un instant encore, demanda une autre voix, celle d’Olmarii. Te mêleras-tu du destin des dinosauroïdes, des insectoïdes, des calmaroïdes et des siliçoïdes terrestres? 
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- J’agirai avec eux comme avec les Humains.
- Mais pour les autres espèces extérieures à ta planète de prédilection?
- Il Vous appartient, à ce qu’il me semble, de Vous en charger! Proféra le Seul et Authentique Ying Lung avec aplomb.
- Cette cosmogénèse limitée va vous ennuyer, Dan El! Émit alors Gana-El.
- Point du tout, mon père, contra l’Expérimentateur. Ou plutôt mes pères. Je participerai à toutes les aventures de mes humains. D’une manière indirecte, soit… cela me distraira, m’occupera suffisamment, croyez-moi. Je m’engage à ce que toutes les petites vies ignorent mon véritable nom: Dan El, l’Ultime Ying Lung, le Catalyseur des Mondes.
Devant cette promesse, celui qui se tenait pour le Chœur Multiple vibra de contentement.
- Fils, tu peux commencer à édifier ton Agartha avec tous les humains qui la composent.
- J’ai déjà entamé le processus.
- Mais nieras-tu que quelques détails te chiffonnent encore? Benjamin Sitruk uni à Nadine Lancet par exemple… ou bien Lorenza di Fabbrini toujours amoureuse du commandant du Cornwallis…
- Plus exactement du numéro 3 du Langevin, souffla Gana-El.
- Ces trois personnages retrouveront un état antérieur. Lancet sera divorcée comme dans la piste temporelle anticipée 1721... Lorenza restera donc unie à Benjamin. Ils auront deux filles et un fils… Violetta, Maria et Isaac…
- Poursuis tes desiderata, Surgeon.
- Ce sublime, cet inénarrable et incontournable Craddock… j’ai été dur avec lui.
- C’est moi mon fils qui me suis montré cruel.
- Hum… soupira Dan El. Dans ce cas, je lui rends Gemma, Rick et ses autres enfants. Ah! Je ne puis me passer non plus de Saturnin de Beauséjour, Gaston de la Renardière et de sa compagne Louise Crochet, alias Brelan, Alban de Kermor, Aure-Elise Gronet, Guillaume Mortot, Michel Simon, Pierre Fresnay et de tous les autres…
- Fais comme tu l’entends, enfant.
- Bien évidemment. Mais Uruhu? Chtuh? Khrumpf, Kiku U Tu, Eloum, Grronkkt, Stamon, Albriss, Kilius, Spénéloss, Celsiia?
- Tu demandes beaucoup Dan El…
- Encore plus que vous ne croyez… mais j’ai tant donné que je puis bien obtenir cette petite compensation, non? Je veux avec moi Voltaire et Diderot, Rousseau et Beaumarchais, Rabelais et Montaigne, John Locke et Benjamin Franklin, Stankin et Sarton, Lao Tseu et Confucius, Platon et Sophocle, Pline l’Ancien et Virgile, Mozart et Beethoven, Kant et Einstein, Dumas père et fils, Bach et Victor Hugo, André Franquin et Hugo Pratt, 
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  Averroès et…
- Entendu. Mais tu les prendras…
- Après leur mort, voilà tout. Ne suis-je pas le Préservateur?
- Naturellement, ils ignoreront leur décès…
- Leur mémoire sera occultée ou remodelée… selon non pas mon bon plaisir mais afin de sauvegarder leur équilibre mental.
- Evidemment, rit l’Observateur. Mais tu as omis de citer Gwenaëlle… ou Irina. Pour quelle compagne opteras-tu?
- Gwenaëlle, logiquement. À tous, je pourrais dissimuler mon anormalité. Mais pas à celle qui partageras ma couche et mon intimité.
- Tu deviens prosaïque. Tu te prives aussi de Mathieu et de Marie.
- De Tatiana aussi. Mathieu n’était qu’une partie de moi-même, au même titre qu’Antor, Li Wu ou encore George Wu. Cela je le sais tout comme vous. Quant à Marie, elle était trop parfaite pour être crédible.
- Comment vas-tu régler le problème du temps relatif apparent ayant cours à Shangri-La? Reprit l’Unicité.
- Un Temps artificiel régnera. Je déciderai de sa vitesse de déroulement. Je pourrai créer des hiatus mais personne ne s’en rendra compte. Comme il se doit, ma cité vivra hors de toute temporalité… Moi seul en aurai conscience.
- Comme Nous le constatons, tu as pensé à tout. Tu as tout anticipé.
- Parce que c’est inscrit dans ma nature, mes pairs… Mon humanité pourra apparaître quelque peu privilégiée par rapport aux habitants des Univers extérieurs. Toutefois, elle pourra être sujette aux maladies bégnines, aux jambes cassées, au vieillissement relatif… mais lorsqu’il le faudra, je remettrai les pendules à zéro… elle connaîtra ses problèmes, ses envies, ses délits, ses défauts, ses crimes même si nécessaires ; elle aura donc sa propre Cour de justice, et, après des procès équitables, ses propres sentences…
- Quel poste occuperas-tu au sein de cette société primitive, Surgeon?
- Hé bien Unicité, comme dans l’Anticipation. Je serai le Superviseur général en chef de l’Agartha. Je serai régulièrement consulté non pour diriger, gouverner, mais bel et bien parce qu’il se posera des problèmes techniques et des énigmes scientifiques et archéologiques à résoudre.
- D’accord. Pourras-tu assumer ta matérialité bien réelle avec tout ce qu’elle aura de contraignant?
- Vous voulez dire manger, dormir, évacuer mes déchets, faire l’amour à Gwenaëlle… procréer… oui, certainement… sans répulsion aucune de ma part.
- Ici, rien ne sera truqué, Dan El… tu ne vivras plus dans le Leurre? As-tu bien mesuré tout cela?
- Je ne connaîtrai pas le dégoût, je vous l’affirme haut et fort.
- Veux-tu que nous nous chargions de la recréation de la Celte en signe de réconciliation? Cela te convient-il?
- Oui, je le veux et le souhaite, mes pairs…
Alors, brusquement, sans transition, tout s’éteignit, sans frémissement ni signe avant-coureur.
Une fois encore, le Démiurge, le Révélateur se retrouva Seul, bien Seul, au cœur du Rien. La Partie commençait. Elle était bien réelle.
Sans coup férir, Shangri-La fut, sortit du Néant, identique à la Simulation mais pourtant quelque peu différente, avec tous ses habitants au grand complet, ses fonctionnaires, ses administrateurs, ses ingénieurs, ses techniciens, ses gardiens, ses artistes, ses comédiens, ses professeurs, ses agriculteurs, ses botanistes, ses scientifiques, avec tous et tout le monde. Personne ne manquait à l’appel.
Aucune interruption dans les souvenirs apparents de chacun. Ressuscité d’entre les morts, Symphorien Nestorius Craddock s’exprima avec sa politesse particulière.
- Alors, Daniel mon gars! Tu es donc sorti victorieux de ton foutu duel avec ce jean-foutre de Fouchine? On peut dire que tu nous as foutu à tous une peur bleue! Heureusement que le docteur di Fabbrini  t’a pris en charge à temps.
- Euh… Pavel Pavlovitch Fouchine est retourné dans les … limbes dirais-je… capitaine…
- Ouais! Mais pas avant d’avoir reçu cinq ou six balles dans le corps! Ne recommence plus, tu m’entends? Ton coma réparateur a bougrement duré… trois jours. Trois longs jours. Gwenaëlle n’a pas cessé de prier Ganesh et je ne sais plus qui durant tout ce temps. Épuisée, maintenant, elle dort sur la couchette en face… holà! Ne te lève donc pas… tu es encore bien faible.
- Mais… Je veux voir Gwen… m’assurer qu’elle va bien.
- Oh! Elle se porte bien mieux que toi… a-ton idée de partir en 1961 chez les Soviétiques risquer sa peau afin de récupérer un quelconque papelard censément être primordial alors qu’on a mis enceinte sa compagne et qu’elle est à un cheveu d’accoucher? Sais-tu que Frédéric, Albriss et Gaston t’ont ramené à demi-mort, Daniel? Il a fallu tous les talents combinés de di Fabbrini et d’O’Rourke pour te rendre un semblant de vie et de santé! Fichtre Dieu! Sacré commandant! Vous ne changez pas.
- Vous non plus Symphorien et croyez-moi ou pas, cela me réconforte d’une manière dont vous n’avez pas idée!
Alors, Dan El se permit d’éclater de rire, un rire jeune et frais, joyeux et sincère. Tout fonctionnait à merveille. L’Aventure, la vraie, l’appelait. Enfin!
- Heureux de vous sentir en vie? De pouvoir respirer l’air recyclé de ce foutu vaisseau?
- Oh oui capitaine!
- Bravo, mon gars! Félicitation! Tu es le premier humain à ressusciter.
- Et Jésus Christ?
- Minute papillon. Tu es le premier humain que j’ai vu ressusciter! Commandant Daniel Lin Wu Grimaud, je vous souhaite un bon retour parmi les vivants, les amis et les citoyens de l’Agartha. Et la prochaine fois, fichu sacripant, je vous accompagnerai dans vos expéditions. Compris? J’en ai marre de faire partie de l’équipe de secours.
- Compris, Symphorien!

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