samedi 16 janvier 2010

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 31 partie 2 : Le vaisseau Langevin avait effectué avec succès le saut quantique...

Le vaisseau Langevin avait effectué avec succès le saut quantique qui le rapprochait notablement de son époque. Dans le centre de commandement, tout le monde s’affairait, attentif au contrôle et à la supervision des différentes consoles techniques.

Le capitaine Maïakovska enregistrait au fur et à mesure les rapports qui lui parvenaient de ses subordonnés. Elle attendait avec une impatience dissimulée les dernières données concernant la position temporelle du vaisseau.

Après une ultime confirmation des paramètres, la Castorii Celsia se retourna et communiqua à sa supérieure la date tant attendue.

- Capitaine, en temps universel admis par l’Empire, nous nous retrouvons à 7198 années en arrière par rapport à la date de notre départ de la base 819.

- Nous ne sommes plus non plus aux coordonnées du système d’Aruspus, compléta Warchifi. Nous nous sommes rapprochés sensiblement d’un secteur galactique fréquenté à cette époque par les Odaraïens, les Castorii et les Helladoï.

- Dois-je en être soulagée? Murmura Irina.

- Certainement, reprit le Noir. Autre bonne nouvelle : les senseurs longue portée refonctionnent. Ils signalent à 3 millions de kilomètres, à 10 heures devant nous, un vaisseau relativement primitif en forme d’aile de libellule.

- C’est là la caractéristique des premiers vaisseaux interstellaires Helladoï, fit Celsia sentencieusement.

- Merci, lieutenant.

- Nous avons la signature électronique, dit Chérifi d’une voix émue. D’après les archives de notre ordinateur, elle correspond à celle du légendaire vaisseau d’exploration commandé par le mythique Albriss.

- Avons-nous été repérés?

- Pas encore, capitaine, souffla Warchifi, mais si nous poursuivons sur cette même trajectoire, cela ne saurait tarder.

- Nous entrerons précisément en contact visuel dans 17 minutes, ajouta l’Irakien.

- Bien, continuons sur notre lancée. Tâchons d’établir au plus tôt une communication. Commanda Irina. Si nécessaire, ajustez les fréquences. Albriss pourra peut-être nous fournir une aide précieuse.

- Ce serait fort opportun, soupira Chtuh.

- Dès cette époque antique, instruisit Celsia, les Helladoï disposaient d’une technologie relativement avancée, plus sophistiquée sur bien des points que celle de Terra au milieu du XXIe siècle.

- Celsia, corrigez-moi si je fais une erreur. Ledit vaisseau que nous allons contacter, ne s’appelle-t-il pas Haarduck, en mémoire du valeureux chef guerrier qui fut capable le premier de déposer les armes et de suivre Vestrak? Ainsi, grâce à ce ralliement de poids, en moins de dix ans, Hellas parvint à vaincre ses démons intérieurs.

- Tout à fait exact, capitaine, répondit la Castorii la mine pincée. Les miens crurent à tort que les Helladoï convertis au pacifisme pourraient être défaits facilement.

*****************

Winka, le colonel Kraksis et les rescapés Asturkruks se retrouvaient donc, non sans surprise, face aux moines hérétiques orphelins d’Uriel. Malgré la semi pénombre ambiante, bien campée sur ses jambes, Pamela Johnson avait reconnu sans difficulté les humains qu’elle avait rencontrés et essayé de tuer quelques semaines auparavant dans une autre dimension temporelle.

« Voici donc le lieu où vous avez trouvé refuge! S’exclama-t-elle mi-figue, mi-raisin. Surprenant de la part d’Uriel, non? »

Le moine qui paraissait commander le groupe, baissa son capuchon et s’exprima d’une voix dépourvue de toute inflexion, à l’imitation de son maître vénéré. Il savait à qui il avait affaire.

- Milady de Glenn, ainsi, vous et les vôtres êtes tombés dans le piège dressé par l’Ennemi. Apparemment, vous n’avez pas bénéficié de la même chance que nous. Madame, à voir vos compagnons, je puis dire que vous avez traversé de rudes épreuves.

- Un piège? Où vois-tu un piège, vermisseau? Éructa Johnson. Aucun d’entre nous n’a le sentiment d’être englué dans une toile. Larve prétentieuse, qui te crois-tu pour…

- Vous le percevez ainsi, milady, mais la charité m’incombe de vous informer que mes frères et moi-même survivons avec peine dans cette caverne depuis tantôt quatre-vingt-huit longs jours. Or, nous sommes habitués à nous contenter de peu : de l’eau, quelques mousses et parfois, pour les plus affamés et les plus faibles, des os à ronger, abandonnés par les nombreuses chauves-souris carnivores qui pullulent ici, ou encore laissés par un tigre ou un ours. Je doute que vous puissiez vous montrer aussi frugaux.

Kraksis murmura avec difficulté, plein de haine, comme à la recherche de son souffle.

« Des ours et des tigres ensemble! Tout à fait invraisemblable! Un de mes avatars en uniforme noir, en Russie, m’a transmis l’entière impossibilité de ce fait! »

Huang Xiao répondit, toujours impassible.

- Vous oubliez que l’Ennemi fait ce qu’il veut! Tout l’agencement de cette caverne est sous son contrôle. La planète entière, ou son présent succédané également. Peut-être est-ce parce que nous sommes partiellement investis par la sagesse de Frère Uriel que nous parvenons à survivre.

- Humains, quelle présomption! Vous représentez à mes yeux moins qu’une poignée de terre! Le Pan Multivers ne vous est nullement dévolu! Lança Winka.

- Milady de Glenn, rétorqua le moine, quelle impudence! Vous n’avez pas saisi de quels pouvoirs l’Entité disposait. Restez humble et suivez mes conseils. Mes frères et moi-même avons déjà affronté la plupart des fourberies dissimulées dans ce traquenard souterrain : les boyaux qui s’effacent subitement, les sols qui se dérobent sous vos pieds aux moments les plus inopportuns, les animaux féroces surgis des peintures d’Arcimboldo ou de Jérôme Bosch qui vous attaquent alors que vous sommeillez recrus de fatigue, une atmosphère qui devient méphitique, sans oublier un temps qui s’affole. Alors, milady, si vous et vos amis tenez tant à la vie, restez à nos côtés.

- Que nenni, rétorqua Pamela, l’incarnation la plus aboutie de l’orgueil. Jamais je ne m’abaisserai à obéir à des Sapiens honnis et dégénérés!

A bout de colère, l’Homuncula recula, choisissant délibérément d’ignorer les conseils du moine d’origine chinoise.

« Comme vous voudrez milady. Je ne répéterai pas ma mise en garde. Après tout, vous êtes libre de disposer de votre mort ou de votre survie. Frères des étoiles, que Rama vous protège! »

Puis, s’adressant aux moines, Huang ajouta distinctement :

« Retirons-nous afin de prier pour ces fols! »

Alors, chaque frère sortit de la salle circulaire par une galerie médiane, gardée par une momie bien conservée de Paranthropus boisei.

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Désemparé, le groupe Asturkruk se tâtait pour savoir que faire.

Une jeune recrue objecta :

- Colonel, peut-être aurions-nous dû accepter cette main tendue. Vous en conviendrez, notre état n’est guère brillant et ne nous permet pas de triompher des créatures de l’extérieur qui peuvent nous menacer. Du moins, tel est mon avis.

- Les ordinateurs de nos armures ont subi des pannes irréversibles, renchérit un caporal. C’est à peine si nos exosquelettes peuvent nous aider à marcher.

- Ah! Ragea Kraksis contrarié devant cette manifestation d’impuissance.

L’engagé se trompa sur les intentions du colonel. Il crut que ce dernier l’autorisait à rejoindre les moines. Maladroitement, en boitillant, le solda se traîna en direction de la galerie médiane. A peine eut-il parcouru quelques mètres qu’un rayon orangé brûlant le percuta de plein fouet. L’arme de poing du cruel Kraksis fonctionnait toujours.

- Caporal, fit l’officier supérieur sarcastique, voulez-vous connaître le même sort que votre ami?

- Monsieur, vous commandez. Répondit le militaire du rang en regardant son compagnon mort.

Pendant cet échange, Pamela Johnson, dont la vision stéréo tromboscopique lui permettait de remarquer le moindre détail incongru de la grotte, s’avança de son pas souple dans une allée, afin d’observer de plus près la dépouille d’un singe qui l’intriguait particulièrement.

« Colonel! Lança-t-elle en guise d’avertissement. Je crois malsain pour nous de rester ici. Le temps ambiant subit une distorsion accélérée. D’après mes calculs, une seconde représente une année! »

La tête toujours baissée, le caporal ajouta :

« Monsieur, je confirme ce qu’avance le capitaine. Il n’y a pas trente secondes que Niour est mort, pourtant, voyez sa dépouille! »

Avec répugnance, Kraksis se pencha vers le cadavre pour constater que Winka disait vrai. Un curieux spectacle se déroulait. Effectivement, le corps se décomposait à vue d’œil et l’armure était inexorablement envahie par une surprenante moisissure rosâtre. Parallèlement, une intense odeur de marée empuantissait la grotte. Or, le titane spécial qui composait la carapace protectrice du calmaroïde avait une durée de vie de 250 ans environ. De même, sur les parois de la caverne, les momies simiennes s’altéraient. Leurs bandelettes ternissaient, envahies de champignons pernicieux identiques. Le tout se teintait d’un marron brunâtre fort repoussant. Un babouin tomba en poussière, réduit en une poudre sombre peu engageante.

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A son tour, Kraksis subit les terribles effets de la distorsion temporelle. Il avait l’angoissante impression d’être prisonnier à l’intérieur d’une armure qui allait rétrécissant chaque seconde davantage. Littéralement, il étouffait, toussait et haletait. En réalité, c’étaient les assistants biologiques incorporés au titane qui commençaient à sérieusement défaillir. Les uns après les autres, ils tombèrent en panne, ne filtrant plus bientôt assez l’oxygène et l’hydrogène nécessaires aux branchies du colonel. En un mot, Kraksis s’asphyxiait.

Presque en rampant, son affreuse face livide, déformée par un rictus de souffrance, il se traîna jusqu’à la galerie médiane, imité par les autres Asturkruks qui refusaient cette mort lente et atroce.

Indifférente à la détresse du colonel et des soldats, Pamela avait déjà pris une vingtaine de mètres d’avance, s’engageant résolument dans le boyau. Derrière les calmaroïdes, les momies de primates achevèrent leur dessiccation. Simultanément à l’anéantissement des dépouilles, le plafond de la salle circulaire s’effondra, coupant ainsi la retraite des Asturkruks en déroute.

La galerie empruntée se prolongeait sur un demi kilomètre ; elle aboutissait à un nouveau labyrinthe étoilé, dodécagonal, avec pour toute différence une clarté plus grande. Cette fois-ci, aucune présence des moines. Pour qui connaissait Johann, cela allait de soi!

« Allons bon! Soupira Winka exaspérée. Je me sens comme Dédale ou Icare, prisonniers du roi Minos avant d’affronter le Minotaure! Puisque ce bouffon m’a lancé un défi, je le relève! »

Chaque nouvelle bouche de l’antre labyrinthique portait au-dessus des frontons une mise en garde, rédigée non en athénien classique mais en latin de Cicéron :

« Visiteur, sois le malvenu dans mon domaine où l’illusion triomphe! »

Cette inscription rappelait le style de l’inimitable comte piémontais Galeazzo di Fabbrini.

Après avoir lu la phrase, Pamela haussa les épaules.

« Pffou! Rodomontades! En général, c’est moi la tourmenteuse! »

Témérairement, la jeune femme choisit au hasard la quatrième galerie sur sa droite et avança. Elle se moquait éperdument de savoir si Kraksis et consort la suivaient ou non. Défait, livide, à bout de souffle, le colonel arriva bon dernier au carrefour. Croyant apercevoir la silhouette de son capitaine se profiler dans la deuxième galerie, il s’y engouffra, rampant pitoyablement cependant que ses hommes empruntaient chacun un boyau différent.

L’exploration de Pamela la conduisit dans une caverne aménagée en muséum d’histoire naturelle à l’échelle de la galaxie. Elle avait présentement devant elle une quinzaine d’entrées comportant un frontispice en langue Asturkruk unifiée. Sa curiosité scientifique éveillée, la jeune femme, qui méprisait les mises en garde répétées de Van der Zelden , entreprit de visiter une à une les merveilles offertes par ce lieu magique et combien dangereux. Winka en venait à oublier que, derrière chaque trésor ainsi dévoilé, se dissimulait un traquenard à la mesure de l’orgueilleuse Homuncula. Fascinée, la capitaine n’avait cure de l’espèce d’engourdissement qui l’accaparait peu à peu. Mais on pouvait lui pardonner!

Imaginez-vous un labyrinthe - et plus encore! -, reproduisant le buissonnement phylogénétique de tous les primates ayant peuplé toutes les planètes dans lesquelles la vie avait emprunté cette voie évolutive, et ce, dans toutes les galaxies connues, passées, et à venir! Cela représentait des centaines de milliers de centaines de milliers d’espèces naturalisées, certaines non encore nées, d’autres éteintes depuis des milliards d’années. La Connaissance directe, à l’état brut! Le Don par excellence pour tout mordu de la xéno biologie. Pamela examina minutieusement des branches et des taxons non encore développés dans des systèmes à peine nouveaux nés. Au-delà de la fascination, la jeune femme était émue, pour la première fois de son existence. Devant elle, le rêve de toute une vie s’offrait. C’en était plus qu’elle ne pouvait supporter.

« Par les restes sacrés du Grand Ancêtre! Que n’ai-je donc mille paires d’yeux pour tout appréhender! »

Johann, en raffiné tourmenteur, en esthète décadent, en fin connaisseur de l’âme, avait fait un magnifique cadeau à Winka! Déroutée, émerveillée et fébrile, la jeune capitaine reconnaissait, parmi tant de tentations, non une quelconque reproduction virtuelle enfermée dans les mémoires de la bibliothèque du Langevin, reproduction à laquelle Uruhu, un jour, avait eu accès, mais bien la réalité même quadridimensionnelle de tous les primates du Pan trans multivers.

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« Ah! Que de splendeurs incomparables! Tâchons de ne pas me laisser submerger par la joie enivrante de ce piège élaboré pour ma personne! »

Pourtant, il était déjà trop tard pour notre effrontée Asturkruk.

« Je ne connais pas tous ces mondes, poursuivait la jeune femme. Contentons-nous de visiter la collection complète des simiens de Terra. Je dois faire attention aux culs de sac évolutifs. »

Non seulement chaque spécimen répondait présent, mais les environnements naturels étaient également reproduits à la perfection au sein d’un diorama fantastique à une échelle si vaste qu’elle en était inappréhendable. En effet, toutes les espèces de tous les mondes alternatifs de la Terre, prises dans tous les temps, dans tous les milieux, s’offraient à une Pamela ivre de connaissance.

En examinant de plus près le diorama, ce dernier révélait sa complaisance à débuter sa représentation par des « dinosaures » arboricoles pourvus d’une vision stéréoscopique, d’yeux nyctalopes, au lieu de montrer les insectivores attendus et les Purgatorius.

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Pourquoi donc ensuite, aux côtés de Plesiadapis, de Necrolemur et d’autres proto simiens, y avait-il des espèces aquatiques qui disputaient leurs niches écologiques à celles des cétacés et des pinnipèdes? Et ces formes géantes intra terrestres? Ces Loris, ces Indris aux grosses pattes fouisseuses, aveugles et quasi édentés? Pourquoi ces lémuriens xénarthres à cet endroit, précisément?

Il fallait prendre bien garde à ne pas emprunter un couloir correspondant à un rameau évolutif sans postérité, car alors le corridor choisi se refermait brusquement tout en débouchant sur le néant, se lovant autour du visiteur importun telle une dimension supplémentaire s’enroulant sur elle-même comme une boucle de super corde. Ce dernier se résorbait, n’ayant jamais été et la transition s’avérait si rapide que même Pamela aurait succombé au piège. D’ailleurs, c’est-ce qui faillit arriver par deux fois.

Les voies sans issue étaient celle de l’Oréopithèque,

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singe dressé européen, cousin du Ramapithèque d’Asie et de primates imaginaires, des macaques macrocéphales dotés de la faculté de vol, originaires des îles de la Sonde!

Notre Pamela ne parvenait plus à identifier la généalogie admise de l’évolution, ne saisissant plus les multiples mutations délirantes qui, pourtant, ne reflétaient que ce qui avait été, quelque part, ou qui aurait pu se développer sous la direction d’un démiurge espiègle et fantasque. Elle se retrouvait au sein d’un pan multivers qui dépassait son entendement. Apparemment, seule la Mort était capable de tout connaître, de tout comprendre, puisqu’elle avait pour but de faire triompher l’entropie, partout.

De plus en plus déboussolée, notre officier Asturkruk, notre innocente, se débattit dans les méandres des boyaux d’hybridation entre préaustralopithèque, pré gorille et pré chimpanzé, buisson inextricable - un fossile, une espèce -, où, par exemple, l’Ardipithèque totalement simien côtoyait un Anamensis déjà bien hominisé pour déboucher sur des Robustus, qui, quoique plus récents, représentaient une régression évolutive.

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Cependant, Winka reconnut également, -que faisait-il dans cet inventaire?-, peut-être un clin d’œil amusé de Johann - le corps délicatement empaillé d’un Sapiens Sapiens, maître à penser d’un certain Lucien Pivert, reconnaissable à sa mine renfrognée, à ses sourcils épais et à ses bajoues tombantes, comparé par un Ennemi primesautier à un Paranthropus Robustus dégénéré, autrement dit, l’ineffable Toussaint Spirito.

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Pour les lecteurs égarés, nous rappelons que Lucien Pivert avait été tué élégamment par notre vengeresse diplômée.

La capitaine s’égara pour de bon au milieu d’espèces antarctiques ou montagnardes d’Orang-outan, de migous et de barmanous.


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Elle fut tentée de rebrousser chemin devant le fouillis emberlificoté des monstres prometteurs, hybrides espérés de K’Tous -Niek’Tous, K’Tous - Erectus tardifs d’Asie,

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d’Afrique et d’Océanie, K’Tous - yétis de l’Altaï. Dans ce labyrinthe, toutes les espèces, tous les spécimens étaient interféconds! Une angoisse de plus en plus mal réprimée lui fit saisir peu à peu qu’elle ne pouvait absolument pas revenir en arrière, quels que fussent ses pouvoirs et ses talents.

**************

Qu’était-il advenu des infortunés Asturkruks qui avaient choisi de ne pas suivre Pamela?

Chaque soldat de Kraksis avait emprunté une galerie particulière. Comme s’il était prisonnier à l’intérieur d’une coquille de nautile géant, le caporal effectuait des cercles concentriques de plus en plus resserrés. Tout d’abord, il ne se rendit pas compte de ce fait. Lorsqu’il en prit conscience, c’était déjà trop tard ; en effet, chaque chambre de la coquille franchie se refermait automatiquement derrière lui. Inévitablement, le caporal finit par se retrouver au cœur même d’un boyau si étroit qu’il était impossible de se mouvoir. Le soldat fut même dans l’incapacité de se retourner. Pour poursuivre, il en fut réduit à ramper. Mais, la reptation lui fut bientôt interdite. Bien évidemment, l’air vint à manquer. Le calmaroïde mourut étouffé dans une lente agonie silencieuse.

Deux Asturkruks firent leur jonction dans ce qui ressemblait à une pouponnière d’abeilles. Les multiples rayons abritaient des alvéoles contenant des larves. Bien sûr, immédiatement alertés par cette intrusion, des guerriers insectes surdimensionnés convergèrent vers la chambre de naissance de la nouvelle reine. Précaution inutile et redondante car celle-ci, à peine éclose, affamée, guidée par un instinct multimillénaire, attaqua les deux Asturkruks éperdus, impuissants à répliquer, les déchiqueta et s’en reput.

Un quatrième Asturkruk crut avoir la partie belle. Pendant quelques minutes, il progressa dans une galerie dépourvue de tout danger, du moins en apparence. Rassuré, il accéléra pour tomber dans le plus affreux des pièges. Il fut aspiré soudain par une cheminée apparue brutalement ; or celle-ci générait un puissant courant ascendant. Adonc, le cyborg mutant subit une montée vertigineuse à une vitesse dépassant l’entendement. Le frottement de la force ascensionnelle l’embrasa tandis que l’énorme pression fit éclater son corps à l’intérieur d’un puits sans fin. La mort survenue, les restes plus ou moins calcinés du malheureux furent projetés dans l’espace pour atterrir à plusieurs kilomètres de distance, s’éparpillant dans le marteau de l’enclume. Des charognards, le ventre grondant de faim, en firent leur bonheur.

Un cinquième Asturkruk suivit un couloir au rapport temps inversé. L’événement attendu eut lieu : le calmaroïde rajeunit ; mais moins convenu, il ne fut pas le seul. Alors que son armure se démontait, stalactites et stalagmites rétrécissaient parallèlement. Subissant aussi cette métamorphose néoténique la roche retourna à l’état de fusion ainsi que les pièces métalliques usinées constituant la protection du guerrier. Celui-ci, d’ailleurs, en quelques secondes, redevenu un simple hybride innommable de larve planctonique de calmar et de fœtus, mourut engloutit par le magma.

Cependant, tous les chemins mènent à Rome.

Miraculeusement, cinq ou six Asturkruks parvinrent à se rejoindre à un carrefour délirant. Le colonel Kraksis, déjà présent, attendait ses hommes. Un spectacle incompréhensible les accueillit. Tous voyaient distinctement, à l’extrémité de la vaste salle nue, Pamela figée en contemplation devant un néandertalien immobile. Autour de l’ex lieutenant Johnson, il n’y avait rien. Aucun primate empaillé, aucun diorama, aucune circonvolution de corridor! Rien que nos Asturkruks!

Chaque intrus avait donc été victime d’une illusion personnelle, fantasme aux fins de prédation se nourrissant des peurs et obsessions intimes de ses proies. La subtilité dont faisait preuve Van der Zelden était véritablement démoniaque. Si tous les calmaroïdes avaient retrouvé leur raison, leur libre arbitre, du moins, relativement, il n’en allait pas de même chez la jeune capitaine. Winka croyait contempler un néandertalien naturalisé au milieu de toute une collection de ses semblables et non une quelconque représentation en cire du XXIe siècle. En fait, le moine Nuru, bel et bien vivant, médium et télépathe hors pair, avait été capable de capter les pensées de Pamela et de s’insinuer dans son rêve éveillé. Le néandertalien avait été éduqué par Uriel en personne.

Le colonel Kraksis comprit rapidement dans quel piège était tombée sa subordonnée. Bien qu’elle lui eût marqué du mépris, il voulut la délivrer de sa prison intérieure. La mi homuncula, mi Asturkruk, ses dons affaiblis et malmenés, courait à la défaite face à la puissance télépathique de Nuru. Dans cet univers distordu où tout était possible, l’Ennemi manipulait à satiété tous les pantins vivants.

**************

Au-dessus du fortin en ruines, le soir tombait. A la chaleur insupportable succédait le froid de la nuit. Au loin, dans un ciel qui peu à peu devenait violet, on distinguait un vol d’oiseaux noirs. Ils s’éloignaient pour un lieu plus clément. Voyant l’épuisement des enfants et d’Aure-Elise, Fermat avait fini par se rallier à l’avis général. Le groupe passerait ici les heures nocturnes, plus dangereuses encore que ce qui était advenu.

Adossé contre un mur à demi écroulé, André partageait équitablement la nourriture, qui était constituée de tablettes de protéines survitaminées. L’eau, tirée du puits du fortin, avait un affreux goût plombé, comme si elle provenait de la bosse d’un dromadaire. Paisiblement, l’autochtone avait nourri son méhari laineux ; à son tour, il se sustentait de pemmican de phoque, de galettes de mil, de bouillie de krill et de sauterelles grillées. Son sac en peau de chèvre contenait même de quoi faire du thé à la menthe. Poliment, il en offrit autour de lui.

Uruhu, intéressé par la viande de phoque, et non par les tablettes jaunâtres qui, pour lui n’avaient pas le goût de nourriture, accepta avec enthousiasme une part de ce repas. En contrepartie, il partagea quelques lamelles de renne et de viande d’ours avec le natif.

Puis, l’Inuit Touareg s’approcha du commandant Fermat et, dans son langage particulier, lui dit de se servir. Son bol d’argile contenait une trentaine de sauterelles grillées décapitées enduites de miel d’abeilles sauvages, la nourriture de Saint Jean Le Baptiste, certes, mais bien peu ragoûtante pour un occidental du XXVIe siècle.

- Non, merci, répliqua André, faisant un signe de refus de la tête. J’ai ce qu’il me faut, poursuivit-il en évitant de montrer son dégoût.

- Vous avez tort, commandant, rétorqua Daniel sentencieusement. Cette nourriture gracieusement offerte permettrait d’économiser nos rations. De plus, les sauterelles, c’est très bon pour la santé. Je ne connais rien qui les dépasse en protéines naturelles.

- Oh, je n’en suis pas encore réduit à ce point là, souffla Fermat.

- Peut-être serons nous condamnés à imiter Jean Le Baptiste, fit avec humour le daryl.

Sitruk dressa l’oreille. A son tour, il jeta :

- Tous les anachorètes ont survécu ainsi dans le désert. Ils n’avaient pas le choix.

La fatigue les accablait tous. Ils succombèrent au sommeil. Après une bonne nuit de repos, où cependant chaque homme avait assuré son tour de garde, le dernier étant Marie André, qui avait replongé dans les bras de Morphée depuis un peu plus d’un quart d’heure, l’adolescent K’Tou ouvrit les yeux et se les frotta. Regardant autour de lui, il crut encore être plongé dans un rêve. Manifestement, quelque chose n’allait pas. Se pinçant, puis se mordant, il dut se rendre à l’évidence. Le danger accourait à une vitesse folle. Uruhu se mit debout et cria à pleins poumons :

« Cherl! Ani ga! Ani ka! »

En effet, il y avait de quoi perdre son sang froid. Une masse d’eau gigantesque s’était substituée au désert, presque aussi vaste que tout l’océan Pacifique, et toute cette eau cernait le bordj. Elle formait un mur si haut et si volumineux qu’on n’en distinguait plus la voûte céleste. Grondant de colère, la mer océane menaçait d’engloutir les survivants.

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La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 31 partie 1 : Sur une planète Terre revue et corrigée par le machiavélique tourmenteur Johann...

Sur une planète Terre revue et corrigée par le machiavélique tourmenteur Johann, la nuit s’était écoulée sans incident. Marie André, heureux finalement de l’aventure qu’il vivait, effectuait le dernier tour de garde, s’étirant de temps en temps et vérifiant son fusil. Lorsque le ciel s’éclaircit enfin, à l’ouest, il entendit remuer sur la branche située directement en dessous de lui. Il s’étonna.

- Bizarre! Je ne me souviens pas que quelqu’un se soit installé là hier soir!

Il écarquilla les yeux pour voir de qui il s’agissait et se pencha. Alors, il émit un hoquet de terreur.

- Un singe roux! Il m’a vu sans aucun doute et paraît me menacer! Mon arme,vite!

En un magnifique réflexe de survie, le jeune homme épaula le placide orang-outan qui, sur sa branche, fixait de ses grands yeux insondables l’humain qui s’apprêtait à l’abattre. L’anthropoïde se remuait avec une lenteur non affectée, caractéristique de son espèce. Mais son instinct l’avertit qu’il se trouvait en grand danger car, à la seconde précise où Marie André courbait son index sur la gâchette, il lança un fort cri d’intimidation et se mit à sautiller puis à se balancer. Le coup partit cependant et manqua sa cible! Ouf! Le recul fut tel que Marie André évita la chute de justesse.

Effrayé, le grand singe, au lieu de s’esquiver, grimpa jusqu’au niveau de Delcourt. Devenu bien plus agressif, l’orang outan grondait. Il montrait ses crocs, effectuait des moulinets avec ses longs bras. Naturellement, il s’agissait là d’une démonstration claire d’intimidation typique aux anthropoïdes mais moins habituelle chez les singes de Bornéo réputés pour leur calme.

Marie André croyait vivre ses derniers instants. Mais l’orang-outan voulait-il réellement tuer celui qui l’avait raté? Tandis que le temps semblait se figer une fois encore, la faune de la planète recréée par van der Zelden subissait elle aussi ce phénomène. Les arbres immobilisés voyaient leur feuillage changer de couleurs.

Pourtant, malgré le temps suspendu, le Pongidé se rapprochait dangereusement de l’humain tout en poursuivant sa parade d’intimidation. A l’instar d’un mâle dominant comme il en existait chez les chimpanzés et chez les gorilles, le poil tout gonflé et hérissé, l’orang-outan grogna de plus belle. Or, il n’était plus qu’à trois mètres de Marie André. Acculé, le jeune homme essayait fébrilement de recharger son arme. Mais soudain, le commandant Wu lui saisit brutalement le bras avec une force contrôlée.

- Inconscient! Ce singe ne veut nullement attaquer! Il cherche seulement à vous intimider.

- En êtes-vous absolument certain? Bégaya Delcourt.

- Évidemment! Il a autant peur que vous!

- Pourtant, il a gonflé ses bajoues! Ainsi, il est encore plus impressionnant.

- On voit bien que vous ignorez tout du comportement des anthropoïdes. Cessez de faire preuve de stupidité et faites moi confiance!

- Je veux bien vous croire mais…

- S’il l’avait voulu, il aurait déjà attaqué. Et je suis encore capable de saisir les pensées et les sentiments.

Durant ce court échange, l’orang-outan n’avait pas bougé d’un millimètre comme s’il comprenait que l’autre humain intervenait en sa faveur. Puis, le grand singe cria « Hu! Hu! Hu! ».

Uruhu venait de rejoindre la branche supérieure où se tenaient Daniel et Marie André. A la vue de l’orang-outan, le jeune Néandertalien n’afficha aucune surprise. On aurait dit qu’il connaissait sa présence. Mieux! Il se mit à dialoguer avec lui!

- Calme-toi, ancêtre de Pi’Ou! Personne ne te fera de mal!

- Le plus jeune a émis un éclair bruyant et aveuglant comme la foudre…

- Tu lui as fait peur. Avant, jamais, il n’avait vu de Pi’Ou.

- Et toi?

- Mon père m’a appris que le père du père de son père était à ta semblance…

- J’habite cet arbre depuis que la boule de feu éclaire le monde périodiquement mais jamais je n’ai vu de Gllump comme toi…

- Ah! Avant, je vivais dans un monde blanc, froid, dans lequel la boule de feu était basse dans le ciel…

- Que fais-tu ici, chez moi?

- Je suis perdu, mes amis aussi.

- Tes enfants?

- Non. Ce sont ceux du Niek’Tou bon.

- Perdus et… affamés. Le ventre qui gronde…

- Hélas! Ces chasseurs n’ont rien trouvé à manger.

- Or, le ventre vide vous serez vite la proie des dents cruelles.

- Ce n’est pas ce qui manque! Veux-tu nous aider? Le peux-tu, Gllump?

- Je connais mon domaine… je vous indiquerai les feuilles et les racines qui rassasient. Je vous avertirai du danger aussi, Niek’Tou.

- Non! Moi, je suis un K’Tou! Appelle-moi Uruhu.

- Uh… Uh… Rhu!

- Pi’Ou K’Tou ding!

- J’ai compris, Uruhu, merci! Conclut Daniel.

- Comment? Que se passe-t-il? Fit Marie André qui voyait le singe presque sourire.

- Je vous expliquerai. Nous avons gagné un ami dans cette contrée.

***************

Désormais, avec deux guides, un au sol et l’autre dans les branches, les égarés du pré temps avaient une chance de s’en tirer. Ils se remirent en route sous une chaleur excessive et une moiteur insupportable. Bientôt, la végétation devint inextricable. Marie André dut sortir de ses encombrants bagages un coupe-coupe ressemblant à un yatagan ou à un kriss malais afin de se frayer un chemin parmi les lianes enchevêtrées. Or, à peine coupées, elles se reconstituaient aussitôt et même, comme animées par un esprit de vengeance, entouraient le jeune homme, menaçant de l’enfermer. Fermat se rendit compte de la situation. Avec un geste violent et puissant, il tira Marie André en arrière. Juste à temps!

- Montrez-vous plus prudent dorénavant, nom d’un chien! Voyez plutôt!

Le commandant se saisit d’un caillou et le jeta au sein de la végétation. En une demie seconde, il disparut.

- Qu’est-ce?

- Vous auriez pu y rester! Entièrement étouffé et broyé par ces lianes boas!

- Brr…

- Inutile de frissonner rétrospectivement! Il suffit de contourner l’obstacle.

Comme s’il avait compris que les humains ne pouvaient passer, l’orang-outan s’agita et signala à Uruhu un autre passage plus praticable. Les Sapiens s’engouffrèrent donc dans l’ouverture, le Néandertalien en tête. Après avoir rampé, le groupe se retrouva dans une clairière. Un silence relatif, une atmosphère paisible hormis la chaleur toujours suffocante, mais…

- Oh! Un nid de dinosaures! S’écria Benjamin qui venait de buter sur des œufs énormes.

- Inutile de crier! Fit Fermat. Nous nous en sommes rendus compte! Voulez-vous donc alerter les parents?

Effectivement, la clairière était recouverte, de manière discontinue, par des groupes d’œufs allant de ceux des autruches à ceux des Moa. Dans le lointain, qui plus est, on percevait distinctement un grondement sourd.

- Peut-être, reprit André dans une tentative d’humour, s’agit-il de nids d’oiseaux géants mythiques tels les Jaberwocks ou encore l’oiseau-rokh!

- Vous êtes en train de plaisanter, n’est-ce pas? S’inquiéta le jeune homme.

- Dinosaures, oiseaux géants… Dans quelle forêt vierge avons-nous donc échoué? Frémit Aure-Elise.

Sous le soleil implacable, les œufs commençaient à éclore. Il en sortait d’étranges mutants fœtaux humanoïdes tératologiques rappelant les tristement célèbres manipulations génétiques des Haäns issus de la deuxième Histoire: anencéphales atteints de scoliose prononcée, de rachitisme, de nanisme ou de la maladie des os de verre, parfois velus, recouverts d’un duvet d’hommes oiseaux. Parfois aussi, la cage thoracique était hypertrophiée et les bras trop longs. Avait-on affaire à des parents éloignés d’Antor?

Et puis encore des fœtus de vampires, d’hommes Orang Lords, d’humanoïdes crustacés caparaçonnés.

Affamés, les nouveaux-nés dévoraient goulûment leur coquille. Puis, ils avisèrent les intrus et, dans un bel ensemble, ils attaquèrent! Des centaines de créatures gigantesques se précipitèrent sur le groupe avec des cris aigus, obligeant ainsi nos amis à fuir dans les fourrés. Toutefois, les humains ou apparentés, plus lestes, semèrent les mutants encore maladroits.

Cependant, Benjamin, victime de la malchance, glissa et tomba dans une fosse soudainement matérialisée sous ses pieds, fosse dans laquelle des charognes de rennes ou de buffles magdaléniens étaient empalées. Un piège préhistorique transporté là, incongrûment, par un Johann plus espiègle que jamais. Un quart de seconde seulement auparavant, une herbe sauvage poussait sur ce talus.

Au fond de la fosse, outre les dépouilles pourrissantes transpercées par des pieux, on reconnaissait également des débris végétaux d’un climat plus frais, restes de camouflage. Benjamin, champion de marathon dans sa jeunesse, qui avait devancé Uruhu, tomba donc dans ce piège qui ne lui était pas destiné. Il glissait sur la terre meuble et s’apprêtait à se heurter rudement à un pieu ou pis encore, lorsque, d’un geste désespéré, il réussit, in extremis, à se raccrocher à une souche d’arbre, vestige d’un chêne majestueux.

- Oh! La la! Dit Violetta, accourue la première. De l’aide! Vite!

Daniel Wu et André Fermat se hâtèrent de tirer le capitaine et de le sortir du piège.

- Alors, rien de cassé? S’enquit André.

- Euh… haleta Sitruk. L’épaule gauche me lance vivement…

- Montrez! Ordonna Daniel.

- Le bilan? Demanda Benjamin après quelques secondes de tâtonnements douloureux de la part de son supérieur.

- De votre chute absurde? La clavicule est cassée.

- Tiendrez-vous le coup? S’inquiéta Fermat.

- Je ne sais pas… grimaça Benjamin, mais je ne suis pas une mauviette.

- Attendez! J’ai des médicaments dans mon sac… Tenez. Prenez cet antalgique.

- Merci, commandant Wu.

- Dites, si on reprenait notre course? Réclama l’adolescente.

- Pourquoi se dépêcher maintenant? Demanda Marie André. Nous avons semé les monstres nouveaux-nés!

- Dans ce cas, un autre coup fourré de l’Ennemi nous attend! Mais Delcourt a tort en souhaitant faire une pause! En route! Ordonna le plus âgé.

Après cette pause imprévue, la troupe reprit donc sa marche, cette fois-ci d’un pas prudent. Dans son coin, André maugréait, parlant dans sa barbe, se demandant s’ils allaient rencontrer enfin quelque chose d’ordinaire dans ce « foutu bled dément »!

Après un laps de temps indéterminé, l’orang-outan signala un nouveau danger. Cette fois-ci, une imposante muraille de terre se présentait, d’une hauteur de cinquante mètres, mais d’une longueur inconnue.

- Oh! Non! La terre est trop meuble et trop lisse! Impossible d’escalader ce mur!

- Laissez-moi essayer André!

Peine perdue! Chaque fois que Daniel tentait d’y creuser une encoche, celle-ci se résorbait aussitôt! La terre, malléable, était dotée de la faculté de métamorphose! En fait, l’étrange surplomb était constitué d’argile intelligente qui s’étendait sur trois kilomètres.

“Puisqu’il n’y a rien à faire, longeons ce « cube »!” Proposa André après les vaines tentatives de Daniel Lin.

Immédiatement, Gllump et Uruhu obéirent. Mais, au fur et à mesure que le groupe avançait, le côté de l’imposant volume s’allongeait! Après une heure de cheminement, tous se rendirent à l’évidence.

- Nous n’avons plus le choix, dit Daniel Wu. Il nous faut creuser un tunnel dans cette terre et ce, d’une manière ou d’une autre.

- Van der Zelden y compte bien! Il a dû programmer l’écroulement du tunnel!

- André, tant pis! Nous verrons bien!

Tandis que les hommes s’emparaient des pelles et des pioches apportées par Marie André, le daryl androïde se remémorait une expérience de son grand-père Li Wu, une expérience qui avait été couronnée de succès.

***************

Li Wu avait voulu faire l’expérience des exercices auxquels les yogis hindous s’adonnaient, ceux spécifiques à la limite de la survie. Il s’était donc fait enterrer vivant durant huit jours à trois mètres de profondeur dans la terre, enfermé dans un sac en toile solidement noué. Ainsi, sans manger ni boire, ni même respirer, il défia les lois de l’existence! Pour réussir un tel défi, le vieil homme avait dû recourir à toute sa discipline mentale. Celle-ci, soumise à un entraînement strict, étalé sur plusieurs décennies, lui permettait de contrôler les besoins de son corps, de ralentir presque à les faire disparaître les échanges chimiques auxquels celui-ci était soumis. Son métabolisme entra donc en sommeil. Ayant désormais toute l’apparence d’un mort, Li Wu pouvait défier les lois de la Vie!

Tchang ne comprenait pas ce qui poussait ainsi son père. Néanmoins, en fils dévoué, il assista aux préparatifs de ce dernier et à la catalepsie qui suivit. Ce fut lui, également qui, après un peu plus d’une semaine, sortit Li Wu de la fosse comme il lui avait été ordonné et qui attendit, patiemment, le retour à la vie de son géniteur. Le scientifique n’affichait aucune angoisse mais son cœur se morfondait.

Lorsque Li Wu ouvrit enfin les yeux, reprenant pleinement conscience, il eut cette phrase:

- Le Sage laisse s’écouler le temps à la vitesse qu’il désire.

- Père, vous m’avez fait craindre…

- Tchang, ton inquiétude était hors de propos. Rien n’a d’importance hormis la volonté et le contrôle de soi!

***************

Daniel Lin revint à la réalité présente.

- Quelque chose vous trouble? S’enquit Fermat qui avait vu son ancien subordonné lâcher sa pelle.

- Rien qu’un vieux souvenir. Je sais bien que Johann ne nous laisse aucune alternative mais…

- Nous avons le choix cependant, entre la mort et… la mort! Répliqua André un brin sarcastique.

Toutefois, le mur de terre se laissait creuser, fouiller, malmener, docile. Uruhu, en tête, rejoint par Gllump, les rescapés purent donc s’introduire dans le tunnel tout frais, à la file. On aurait pu croire que le mur obéissait à un ordre secret. Une longue galerie, bien plus grande que celle que nos amis avaient creusée, se laissait deviner dans la masse de terre.

Or, une fois tous les égarés du temps à l’intérieur du couloir, l’ouverture disparut! La sensation d’oppression s’accentua. Le tunnel et non pas la galerie creusée antérieurement, s’était bel et bien formé instantanément sous la volonté de l’Entité qui commandait ce a monde! Le boyau indiquait sans contestation possible la direction obligatoire à emprunter.

- Avançons, soupira Fermat, résigné, qui s’attendait à tout.

- Une argile douée de raison, ajouta Sitruk, malgré lui quelque peu admiratif.

- Oh! Mon Dieu! La terre durcit tout autour de nous! Nous allons périr étouffés sous peu! S’écria Aure-Elise d’une voix suraiguë.

Encore une fois, la jeune fille paniquait, donnant le mauvais exemple aux plus jeunes. Tandis que Bing jappait de colère à cette démonstration de peur, Marie André fit le seul geste utile et nécessaire, il gifla violemment sa compagne! Choquée, mais calmée, Aure-Elise se mit à sangloter doucement. Fermat pensa :

« Tiens donc! Ce jeune homme s’aguerrirait-il? Dans ce cas, rien n’est désespéré! »

Bing, quant à lui, n’aboyait plus mais il tirait dorénavant désespérément sur sa laisse. Le chien voulait sortir de ce tunnel. Violetta ne perdit pas un instant. Fouillant dans la trousse qu’elle portait, elle y trouva ce qu’elle cherchait. Deux secondes après sa piqûre, le fox-terrier ronflait.

« Bien, tu porteras Bing! »ordonna l’adolescente à Mathieu, d’un ton sec.

De son côté, comme à son habitude, Fermat s’impatientait.

« Je suggère d’accélérer. Effectivement, la terre durcit devant. Un peu plus loin, à contre-jour, Gllump et Uruhu nous font signe d’avancer. Cela signifie que la sortie n’est pas loin. »

Un silence, puis Marie André éleva la voix.

-Euh…Ils sont au moins à cinq cents mètres! Vous avez une sacrée vue! Je les distingue à peine!

- Vous êtes myope, jeune homme.

La troupe reprit sa marche. Malgré la pénombre, on pouvait deviner, ça et là, emprisonnés dans la gangue argileuse, des fossiles divers qui n’auraient pas déplu à Steve Gould : trilobites, ammonites, vers, poissons, ichtyosaures, requins primitifs, crustacés de toutes tailles, qui témoignaient que l’océan avait régné en maître jadis en ce lieu. Du moins, c’est ce que voulait faire accroire l’entité négative qui s’était quelque peu embrouillée avec la chronologie admise par les paléontologues.

Ainsi, les limules coudoyaient les proto pennatules Charnia de l’Ediacarien et des nautiloïdes de l’ère primaire paraissaient postérieurs aux dauphins et aux pinnipèdes du quaternaire comme le montraient abondamment leur position dans les strates géologiques désordonnées.

Au fur et à mesure que le groupe s’éloignait à l’intérieur du tunnel de terre, évidemment la galerie disparaissait derrière les survivants, revenant au néant. Au contraire, devant, une faible lueur indiquait toujours la route à suivre. La lumière se rapprochait, mais fallait-il croire ses sens? L’oxygène se raréfiait et pouvait manquer d’une minute à l’autre. Cependant, malgré le danger, Daniel prit le temps d’effleurer doucement une des parois du souterrain. Ce qu’il constata l’alarma.

« Vite, dit-il dans un souffle. Courons! Les murs s’effritent tout en devenant humides! L’eau est en train de revenir en ces lieux! »

Se saisissant de Marie, le daryl fit ce qu’il avait dit. Tous l’imitèrent, y compris Benjamin, malgré la douleur lancinante à sa clavicule.

La paroi gauche du souterrain devenait boueuse, laissant filtrer une eau brûlante. Celle qui lui faisait face prenait la couleur de la lave en fusion. En moins d’une seconde, la chaleur s’éleva, frôlant les 60° centigrades. Alors que tous transpiraient à grosses gouttes, loin devant, Uruhu et l’orang-outan étaient déjà à l’air libre. Le singe roux gémissait lugubrement, faisant chœur au Néandertalien qui lançait une série d’onomatopées :

- Guin oha Ti-ka!

- La terre est ciel et le ciel est terre! Traduisit aimablement Violetta en français.

Lorsque l’adolescente rattrapa les deux compères, elle comprit le sens de ce que le Néandertalien avait voulu dire. La clairière qui s’étendait devant ses yeux paraissait surgie tout droit d’un univers inversé. Violetta avait l’impression déstabilisante de se trouver la tête en bas. Tous ses sens lui disaient que cela était impossible, que les lois de la physique ne pouvaient être ainsi violées. Malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à établir une vision normale. A ses côtés, Aure-Elise s’exclama naïvement :

- Tiens, nous avons abouti aux antipodes! Un peu à droite, là, n’est-ce pas une statue sculptée par un quelconque aborigène égaré?

- Quelle absurdité, mademoiselle! Fit Violetta en pouffant de rire.

Harassée et sale, Aure-Elise Gronet ne se vexa point. La jeune fille présentait un aspect pitoyable avec sa joue zébrée de sang, sa jupe maculée de terre et d’herbes, son chemisier d’un gris douteux. Ses boucles s’étaient défaites et plusieurs mèches retombaient en désordre sur ses épaules. Des auréoles jaunes se devinaient sous ses aisselles.

Marie André, qui reprenait haleine, jeta :

- Par ma foi! Quel spectacle étrange! Mes yeux ne parviennent pas à fixer l’objet en son entier! La tête semble se construire au fur et à mesure que je regarde la sculpture, et les bras paraissent composés de gaz! Pincez-moi, Aure-Elise!

- Voilà!

- Aïe! C’était une façon de parler!

Johann avait l’esprit primesautier et espiègle. Il s’amusait à répéter ce qu’il avait fait subir à ses anciennes victimes, tel Stephen Möll, le petit-fils d’Otto, dans un ailleurs fort peu réjouissant. Adonc, le monument érigé à la gloire de celui qui manipulait à loisir cette dimension, s’édifiait, s’effondrait, se recomposait, s’estompait dans le néant, encore et sans cesse. Solide, pâteux, liquide, gazeux, à l’état de fusion, basalte, glaise, talc, craie, iridium, titane, fer, étain, antimoine, bronze, cuivre, marbre, porphyre, grès, plâtre, molybdène, feldspath, bismuth, air, ammoniac, soufre, méthane, monoxyde d’azote, chlorophylle, nervures dentelées de feuilles, d’ailes ou autres, cristal, sel, plomb, nébuleuse d’hydrogène ou d’oxygène, charbon, bois, pétrole, photon, gluon, quark, proton, antiproton, il était tout à la fois!

Sous la lumière, la sculpture s’irisait, absorbait le jour, s’assombrissait, devenait anthracite ou bien or, jade, ivoire, tourmaline, corindon, se moirait de lapis-lazuli, empruntait toutes les teintes de l’arc en ciel, bleu cobalt, vert gazon, rose fuchsia, jaune moutarde, rouge rubis, pourpre, jonquille, chamois, une statue chryséléphantine, déstructurant le spectre de la lumière en une infinité de paillettes, d’éclats minuscules, poème cubiste, surréaliste et parnassien ayant la solidité de la mauve, de la poussière d’ailes de papillon, de la cendre, de la crotte de souris, de la bave de ver de terre et pourtant splendide aigue-marine, topaze, chrysobéryl, damas, percaline, vague outremer de la Pan Thalassa.

Aucun œil humain ne parvenait à appréhender la totalité de la sculpture matière et antimatière divinisée de l’anté créateur. Devrions-nous dire de l’anti-créateur? Maelström tourbillonnant…à l’infini.

Nullement ébloui par le spectacle phénoménal, Fermat émit une réflexion ironique. Il n’y avait rien qui pouvait le départir de son humour caustique.

- Si Johann espère me voir m’agenouiller béat devant sa statue sculptée par un Picasso ivre, il se fourvoie! Cette œuvre, tout comme d’ailleurs la sensation gênante d’avoir la tête en bas, est le fruit d’une imagination malmenée.

- La nôtre peut-être, demanda Marie André en soupirant.

- Tout n’est qu’illusion dans ce monde, jeune homme! Un effort de volonté et …hop! Allez, imitez-moi!

Le groupe se concentra, et , instantanément, la logique reprit son cours. Le ciel fut en haut, la terre à sa place.

« Enfin je me sens mieux! » Murmura Sitruk soulagé.

Le capitaine allait rajouter quelque chose lorsqu’il fut interrompu par une voix feutrée à l’accent extrême-oriental prononcé.

« Homme blanc, arrête! Ne sais-tu pas que tu violes le royaume interdit, l’empire de la mort? »

Sursautant, Benjamin se retourna pour dévisager l’apparition. L’être ressemblait trait pour trait au stéréotype d’un Chinois des temps impériaux vêtu de sa sempiternelle et incontournable tunique de soie, coiffé d’une calotte et les cheveux sagement nattés derrière le cou. Ses mains croisées s’ornaient évidemment d’ongles d’une longueur démesurée. Le poncif attendu, dans toute sa splendeur!

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Le vieil homme se restaurait paisiblement, attablé devant des plats typiques : chien aux cinq parfums, œufs noirs de cent ans d’âge conservé dans la terre,

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nids d’hirondelles tout aussi peu ragoûtants,

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bol de riz blanc, thé, cuisses de souris…

« Que les honorables Occidentaux pardonnent mon manque de savoir vivre. Mais je dois finir ce repas. Peut-être accepterez-vous de vous joindre à mon humble personne. Je réponds au nom de Sun Wu, père. Mon âge conséquent m’oblige à reprendre régulièrement des forces, d’autant plus que ce soir, voyez-vous, j’ai à régler une affaire délicate en tant que chef de la triade du Dragon de jade. Une association lucrative, je l’admets volontiers. »

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Violetta ne put retenir son hilarité.

- Décidément, ici, il faut s’attendre à tout! Johann puise dans la lecture de dixième catégorie. On croirait ce type sorti tout droit des aventures de Fu Manchu et du Docteur Lao. A quand Winnetou et les Indiens emplumés d’opérette? Au fait, ce faux Chinois, il s’exprime en mandarin?

Daniel s’avança, un sourire indéfinissable sur les lèvres.

- Du moins, il veut le faire croire. Qui que tu sois, apparition, image, tu n’es pas chinois…apostropha le daryl. Ni Han ou autre! Et je m’en vais le prouver.

Le commandant Wu entama un monologue en pur mandarin, constitué d’insultes les plus virulentes tout en conservant un visage neutre.

- Larve! Copie de dernier ordre! Blatte rampante qui ignore les règles élémentaires de la courtoisie! Fiente sans honneur! Tu insultes tes ancêtres et tu courrouces le dragon du monde! Je crache sur toi car tu es moins que le chien que tu manges salement! La terre qui te porte est souillée par tes pas! Ton vénérable père, ta mère vertueuse et tes sœurs soumises pleurent à cause du déshonneur que tu leur a infligé. Même ta progéniture te rejette et ton épouse t’a renié. Devant la laideur de ton être, de ton esprit et de ton cœur, la lune s’est voilée à ta vue!

Aux côtés de son oncle, Violetta retenait de plus en plus difficilement son fou rire. Fermat, qui avait des notions de mandarin, se demandait si Daniel ne dépassait pas les bornes. Cependant, Sitruk et les rescapés de 1900 ne comprenaient mie car le faux Sun Wu conservait son impavidité. Or, s’il avait été véritablement un représentant de l’Empire du Milieu, sa colère aurait fait voler en éclats son impassibilité. Le vieil homme poursuivait son repas comme si de rien n’était. Il ne comprenait pas un traître mot de ce qui était prononcé.

N’en pouvant plus, avec espièglerie, l’adolescente métamorphe se plaça derrière l’apparition et lui tira la natte avec force.

- Violetta! S’étrangla Sitruk.

- Laissez, capitaine! Il n’y a aucune raison de s’inquiéter.

Daniel avait raison. L’image en trois dimensions se désagrégea atome après atome, sans aucune raison. Au pseudo Chinois se substitua un poétique berceau d’orchidées mauves et roses.

« Assez perdu de temps! Souffla Fermat. Je suggère de descendre dans la vallée. La journée s’avance. »

L’ordre fut transmis à Uruhu qui s’empressa d’obéir. L’orang-outan, sur un signe, grimpa prestement dans le feuillage. La troupe reprit le harnais, toujours dans une moiteur extrême.

Pourtant, moins de deux minutes plus tard, il fallut marquer un nouvel arrêt. Cette fois-ci, l’orée de la forêt avait disparu, subitement, sans transition, pour céder la place à un paysage désertique. Devant les explorateur médusés, un reg s’étendait à perte de vue : le désert des déserts.

La chaleur sèche enveloppa le groupe comme s’il était plongé au cœur même d’une fournaise.

« Le marteau de l’enclume! » Jeta Daniel avec amertume.

Benjamin, qui venait de s’arrêter, son épaule le lançant douloureusement, avertit ses compagnons :

« Devant nous, le désert de pierres ardent. Derrière nous, le désert de glace! Décidément, ce Van der Zelden mérite haut la main la palme du sadisme. Mes fesses gèlent tandis que mes poumons brûlent! »

Effectivement, comme le faisait remarquer Sitruk avec son humour désespéré, à la forêt équatoriale avait succédé derrière nos amis un paysage digne du continent antarctique. Marie André ne se laissa pas démonter.

- Qu’en est-il de nos réserves d’eau? S’enquit-il.

- Suffisantes. Lui répondit Daniel Wu qui forçait son optimisme. Je doute que cette nouvelle épreuve s’éternise. Protégez-vous le mieux possible de la chaleur. Marie, je vais t’aider.

Un à un, les égarés du temps s’enduisirent de crème puis se recouvrirent la tête, le nez et le cou.

- Prêts! Dit Sitruk qui finit bon dernier.

- Courage! En route! Ordonna Fermat sûr de lui.

Alors que nos amis faisaient leurs premiers pas dans le marteau de l’enclume, ils aperçurent un manchot qui traversait en diagonale l’outre lieu. La bête se dandinait comiquement comme à son habitude. S’aventurant trop loin hors de son biotope naturel, l’empereur fut calciné en une femto seconde par un rayon d’énergie craché par un soleil implacable. Violetta se cacha les yeux à ce triste spectacle.

Peu après cet incident, un galop retentit tandis qu’un magnifique cavalier apparut, monté sur un dromadaire. Témérairement, il chevauchait entre les deux zones. L’imposant Targui, originaire du Sahara Occidental, présentait un aspect surprenant. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, les tempsnautes pouvaient observer l’incongruité du nouvel arrivé. Du côté gauche, il s’agissait bien d’un homme paré pour affronter le désert de feu. A l’opposé, c’était un Inuit avec les traits caractéristiques.

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Mais décrivons plus en détails cet être bi partie : un ample manteau long le recouvrait tandis que sa demi tête était voilée dans un tissu d’un bleu si profond qu’il en paraissait noir. Le pied gauche de l’être, chaussé d’une sandale, découvrait une peau bistre. Au contraire, l’Esquimau portait le traditionnel anorak en peau de phoque alors que son pied droit était dissimulé dans une botte fourrée ou kamik. La selle s’ornait de motifs ajourés abstraits alternant avec des dessins schématisés de morses parfaitement identifiables. La monture elle-même était un mutant : un dromadaire laineux! Ainsi, le méhari ne semblait pas souffrir des extrêmes thermiques auxquels il était soumis.

L’intrus semblait amical. Avec force gestes et paroles, avec un langage mi inuit mi berbère, il salua poliment le groupe d’égarés puis fit signe qu’il fallait le suivre dans cette version alternative du désert.

- Nous sommes vernis! Dit Fermat avec son humour. Johann nous envoie un second guide.

- Si je comprends bien, vous choisissez de le suivre, dit Daniel avec une moue dubitative.

- Pouvons-nous faire autrement? Répliqua André fataliste.

La troupe s’ébranla. Uruhu choisit de rester dans la partie froide du désert, au contraire de Gllump qui préféra la chaleur. Daniel et Fermat avaient pris la précaution de distribuer des comprimés de sel à chacun. En son for intérieur, le daryl pensait :

« Quel dommage que Franz ne nous accompagne pas dans ce périple! Son expérience dans l’Afrikakorps nous aurait été fort utile! »

La longue marche, la terrible marche commença. Le marteau de l’enclume méritait bien son nom. Johann était un maître tourmenteur diplômé en offrant à ses victimes d’un côté, la fournaise de l’enfer et la soif atroce, et de l’autre, le froid insupportable, les engelures et l’endormissement mortel. Pour ajouter à l’épreuve, un blizzard, parti de la zone polaire, en passant la frontière thermique, se changeait en sirocco, bombardant les égarés du temps de fines particules de silice, ajoutant ainsi à leurs souffrances. Les mouchoirs, les écharpes, les masques, ne suffisaient pas à protéger les visages. Qu’il était singulier pour un corps humain de subir à la fois cette chaleur sèche, si particulière, qui accablait les explorateurs, les conquérants coloniaux du Sahara et le gel intense qu’avait subi l’infortunée expédition du capitaine Scott lors de sa tentative avortée de vaincre le pôle Sud! Parallèlement, les paysages alternaient le réalisme le plus cru - reg, erg, hamada, gour,

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inselberg, calotte, banquise, montagne de glace -,

http://tnmilieuxnaturels.tableau-noir.net/pages/images/paysage_glaciare0.jpg

et les métaphores fantasmatiques les plus déroutantes.

Uruhu, qui avançait courageusement dans le blizzard, comme s’il effectuait une promenade hygiénique matinale afin de dérouiller ses muscles, ses narines largement écartées, réchauffant ainsi efficacement l’air respiré, marqua soudain un arrêt puis tendit un index tremblant vers un bloc de glace. A l’intérieur de cet amas, on pouvait reconnaître ou deviner les restes congelés d’un mammouth de Sibérie, accompagnés de ceux d’un chasseur moustérien. L’adolescent marquait une émotion inhabituelle. Se tapant la poitrine, il cria :

« K’Tou minga! K’Tou minga! A-Ba! A-Ba! » (Mammouth! Mammouth! Père! Père!)

N’attendant pas que Daniel le rejoigne, le jeune néandertalien se précipita vers les corps congelés et s’agenouilla devant les dépouilles. Alors, il se mit à hurler comme un loup. Cependant, ses yeux ne versaient aucune larme. Au paroxysme de la douleur, il tapa violemment sa tête contre la paroi de glace.

Marie André ne comprenait rien à la scène qu’il avait sous les yeux. Méprisant, il marmonna :

« Ne voilà-t-il pas que notre bon sauvage se donne en spectacle! Comme s’il ne suffisait pas de devoir supporter à la fois chaleur accablante et froid mortel! »

Perdant pour la première fois de son impassibilité, Daniel Wu jeta, acide :

« Monsieur Delcourt, vous manquez d’indulgence! Uruhu vient de reconnaître le corps de son père. En effet, il avait eu la malchance de le perdre dans son jeune âge alors qu’il n’avait pas encore subi l’initiation du chasseur. »

Toujours pratique, Fermat fit remarquer :

« Nous perdons du temps, et nos chances de survie s’amenuisent. Persuadez notre K’Tou que le moment est malvenu de porter le deuil. »

Daniel acquiesça.

Au bout de deux minutes, après avoir pris le temps de se désaltérer ou de s’éponger le front, le groupe reprit la route. Mathieu était juché sur les épaules de Fermat, Marie sur celles de son père. Épuisée, la fillette somnolait. Pour une fois, Violetta se taisait. L’adolescente tâchait de se montrer forte et courageuse. Lorsque Bing refusait d’avancer, haletant pitoyablement et tirant sa longue langue rose, elle prenait le chien sur ses épaules, tel un agneau qu’on amenait au sacrifice.

Quant à Ufo, ma fois, dans sa cage, il ronronnait comme si de rien n’était, le ventre plein. Peu de temps auparavant, le chat s’était rassasié de deux tablettes de protéines survitaminées. Sitruk marchait d’un pas pesant. Les gouttes de transpiration qui coulaient sur son front avec abondance n’avaient pas le temps d’atteindre sa barbe rousse à cause de l’extrême chaleur. Elles s’évaporaient presque instantanément. Toutefois, pour le capitaine, il n’était pas question de passer du côté glacé : en effet, sa sueur aurait gelé, l’emprisonnant dans une gangue périlleuse. Aure-Elise oubliait sa bonne éducation et avait recours trop souvent aux bras charitables de Marie André. Gllump suivait le Targui Inuit, poussant par instant de petits gémissements plaintifs.

Après 20 minutes de calvaire, l’équipe tomba sur un autre cadavre. Cette fois-ci, il s’agissait d’une dépouille d’ours blanc, ursus maritimus. Détail remarquable : l’animal était mort entre les deux zones, offrant un squelette blanchi à gauche et un cadavre encore intact à droite, prisonnier d’un bloc de glace d’une parfaite opalescence.

Peu à peu, le paysage accentuait son anormalité. Franchement, Johann puisait son inspiration dans les délires d’un ivrogne. Ainsi, nos amis affrontaient maintenant un grand erg enneigé rose fraise, au sommet duquel d’imposants cactus candélabres rencontrés dans le désert du Sonora surplombaient le paysage. Ceci, bien entendu, dans la partie antarctique, alors que du côté saharien était apparue une banquise vitrifiée aux miroitants et féeriques reflets adamantins à l’intérieur de laquelle nageaient des bancs entiers de poissons, des thons, du krill et des morses. Une clarté azimutale illuminait cet aquarium de cristal de roche d’un nouveau genre.

S’offrait donc aux explorateurs malgré eux un immense, un formidable volume d’eau que nos amis ne pouvaient percer afin d’étancher une soif de plus en plus intense. Cet aquarium surréaliste n’était point sans évoquer un diorama fantastique dans l’esprit du musée imaginaire ou de la chambre des curiosités conçue à Londres à la fin du XIXe siècle par le célèbre dandy décadent Lord Percival Sanders et son éminence grise Charles Merritt. Sur l’invitation d’Oscar Wilde, la poétesse parnassienne Aurore-Marie de Saint-Aubain avait assisté à l’inauguration de cette attraction hors du commun lors de son fameux séjour londonien de 1887.

La langue de Benjamin lui paraissait s’être transformée en semelle de cuir tandis que ses lèvres se craquelaient et devenaient douloureuses. A chaque seconde qui passait, il se déshydratait davantage. Toute la troupe, pourtant revêtue de combinaisons de survie intelligentes permettant de baisser la température ambiante de 25°C en avait plus qu’assez. Dans cet enfer, cela s’avérait encore insuffisant. Pour se rafraîchir, Aure-Elise crut bon de marcher quelques minutes dans le blizzard. Sans transition aucune, elle passa de 65° C à moins 50°C. Non seulement le contrecoup la paralysa, mais ses poumons gelèrent et elle se retrouva incapable de respirer, le corps entièrement recouvert d’une pellicule de glace qui, une seconde auparavant à peine, était de la sueur qui s’évaporait. Elle était déjà condamnée, mais Daniel réagit automatiquement. A la vitesse de l’éclair, il confia Marie au jeune Delcourt et alla recueillir mademoiselle Gronet. Naturellement, la jeune oiselle avait perdu connaissance.

Une fois tirée dans la zone chaude, Aure-Elise respirait avec difficulté. Après quelques mouvements de respiration artificielle, le commandant Wu humecta les lèvres de l’étourdie puis, voyant qu’elle ouvrait les yeux, il lui dit, acerbe :

- Mademoiselle, ne commettez plus pareille sottise! Vous vous êtes mise dans la situation d’un plongeur qui remonterait à la surface sans respecter les paliers de décompression.

- Oh, je saisis le sens de vos paroles, même si les mots que vous utilisez me sont inconnus, répliqua mademoiselle Gronet d’un air boudeur.

De son côté, Marie André paraissait distrait. Il plissait les yeux tout en passant la main dans sa tignasse blonde. Était-ce encore un effet de la chaleur? Ou bien, un mirage ordinaire dont avaient été victimes avant lui les explorateurs téméraires du Sahara? Delcourt se frotta vivement les paupières, se demandant s’il avait toute sa raison. Devant lui se dressait une sorte de fortin, un bordj

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plus exactement avec en son centre, une tour relativement plus élevée que le reste des bâtiments, surmontée d’un drapeau tricolore en piteux état, pendant lamentablement au bout de sa hampe.

- Suis-je le seul à voir ce mirage? S’exclama Delcourt.

- Que non pas! Le rassura Daniel Wu en se relevant. Cette fois-ci, nous sommes plongés en plein dans une d’anthologie sortie toute droite d’un film hollywoodien tourné à la gloire des héros de la Légion étrangère.

- « Beau Geste »? S’enquit Violetta.

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- Tu connais tes classiques sur le bout des doigts, remarqua Benjamin.

L’adolescente s’humecta difficilement les lèvres avant de répondre.

- Franchement, je n’y ai aucun mérite. Ce film est passé à la télé un peu avant Noël 1968!

Fermat se rapprocha et dit :

- Je propose que nous nous arrêtions une demi-heure afin de reprendre des forces et de nous sustenter. Pourquoi pas à l’abri dans ce fortin?

- Bah, nous avons tous besoin de repos. Soupira Daniel Wu.

La proposition d’André fut donc acceptée et le groupe rejoignit la forteresse à demi ruinée. Comme de bien entendu, Johann n’avait pas lésiné sur les détails, hormis un peut-être. Il n’avait oublié aucun cadavre : le héros mort glorieusement, ses habits souillés de sang et maculés de sable, l’officier lâche abattu dans le dos alors qu’il tentait de fuir, le sergent fort en gueule affalé sur le fût d’un canon, le bédouin traître, le fidèle serviteur sénégalais, le trompette, le docteur légèrement éméché - Van der Zelden était allé jusqu'à donner à ce dernier les traits du comédien Thomas Mitchell rendu célèbre dans le rôle du père de Scarlett O’Hara dans le film « Autant en emporte le vent » avec entre autres la délicieuse Daisy Belle de Beauregard. La plupart des cadavres étaient revêtus de la capote bleue et coiffés du képi blanc.

A la vue de tant de morts aux blessures noires et tuméfiées, Aure-Elise détourna la tête. Tous les corps avaient été placés dans des positions significatives. Une mise en scène nickel certes, mais trop spectaculaire. Si la jeune fille avait le cœur soulevé, par contre, bizarrement ni Uruhu ni Gllump ne montraient un quelconque sentiment de gêne.

« Pourquoi cette insensibilité? »Pensa Aure-Elise.

Enfin, elle comprit pourquoi. Le réalisme n’allait pas si loin. Les cadavres ne dégageaient aucune odeur de putréfaction et ne se décomposaient pas. Ainsi, au-dessus du fortin, il manquait un vol d’insectes bourdonnants ou encore des charognards attirés par le festin. Un léger sourire moqueur sur les lèvres, André Fermat s’avança vers mademoiselle Gronet et lui fit :

- Alors, rassurée? Pour tout vous dire, nous n’avons affaire ici qu’à une simulation holographique de cinquième catégorie du début du XXIIe siècle, je pense. Bref, un pâle succédané.

- En effet, compléta Daniel. Il s’agit d’un simple décor d’ambiance reprenant, en insistant un peu trop à mon goût, tous les clichés d’un aventure saharienne made in Hollywood avec le discours ambigu colonialiste et raciste à la clé. Pour résumer, c’est faux comme du cinéma.

Sur ces paroles ironiques, tous s’assirent près de la tour, protégés par son ombre qui s’allongeait. Uruhu sortit de sa besace des provisions, pemmican de renne, poisson, baies, fruits secs, qu’il partagea généreusement avec l’orang-outan.

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