samedi 23 juin 2012

Le Nouvel envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 13 1ere partie


Chapitre 13



Fermat suivait Irina Maïakovska. Celle-ci rencontrait régulièrement son compatriote Danikine. Le plus souvent, Galeazzo se joignait au duo. Seul Johann brillait par son absence. Pourquoi tant de discrétion? Était-ce dangereux?
Il fallut prendre une nouvelle décision. Gana-El navait nullement lintention de voir son identité percée à jour par lEntité. Comment pister aussi à la fois di Fabbrini et Maïakovska?
Enfermé présentement dans son avatar humain, le Ying Lung neut alors dautre solution que de requérir les services de Frédéric Tellier. Malgré les risques certains, lArtiste se chargea du comte piémontais.
Aidé par un maquillage holographique mais également par ses talents particuliers, le danseur de cordes était en effet capable de modifier sa silhouette en quelques secondes à peine, il se retrouva un soir chez Tortoni, observant le trio et captant quelques bribes dune conversation pas si innocente que cela. 
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Ce que le pseudo Victor Martin ignorait cest quil nétait pas le seul à suivre lUltramontain. Sun Wu père, fidèle dentre les fidèles de lEmpereur Qin, venait à son tour de renifler la piste. Selon les ordres du mystérieux et implacable souverain, il suivait Tellier en personne.
En investissant peu à peu la personnalité dIrina Maïakovska, Fu assurait ses arrières. Lui savait pertinemment qui était Gana-El et le fait que ce dernier saccrochait aux basques de la jeune femme. De plus, il voyait le piège forgé à lencontre de Daniel Lin prendre forme. Van der Zelden non plus néchappait pas à ses investigations. Il avait donc plusieurs longueurs davance sur léquipe de Fermat. Bientôt, il réveillerait Maïakovska.
Du côté des tempsnautes, le chrono vision sobstinait à nafficher quun écran noir dès quil sagissait de révéler ce que tramait Johann. Acculé, effrayé, Daniel Lin osa limpensable. Il débrida partiellement sa transdimensionnalité. Mais sans résultats probants dans limmédiat.
Cependant, durant ses filatures, Tellier sétait rendu compte que di Fabbrini avait noué des contacts avec un certain Fieschi. Bizarre! Lindividu était connu pour ses idées républicaines. Que tramait exactement Galeazzo?
Afin de ne pas être pris de court, lArtiste compte de ce quil avait glané au commandant Wu.
A Londres, pendant ce temps, le jeune Kermor accomplissait la modeste part qui lui revenait dans cette intrigue; il rencontrait le duc de Berry qui nallait pas tarder à se proclamer roi de France lui remettant les lettres de feu le comte dArtois ainsi que les missives rédigées par Fermat et Daniel Lin.
Dans un de ses bons jours, le Dauphin accepta sans trop se faire prier de retarder encore de quelques semaines son départ pour la France. Il ny aurait donc pas de débarquement anglais sur les côtes normandes.
Auprès de notre Breton, se tenait le comédien belge Victor Francen. Il passait à merveille pour un Chouan ayant combattu aux côtés de Cadoudal. 
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Puis, Alban fut reçu par le roi George IV qui, aimablement, linvita à partager, sans façon, loin de toute étiquette astreignante, son dîner des plus copieux.
Laissons-là notre jeune homme si bouillant, nous le reverrons dans quelques semaines au grand dam de Fermat et du commandant Wu, et occupons-nous de Fieschi.

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Dans un atelier du faubourg, vers le Gros Caillou, Giuseppe Fieschi mettait au point une machine infernale grâce aux subsides du mystérieux monsieur Sampol. Entièrement sous la coupe du vénéneux Galeazzo, il sétait mis en tête de tuer lodieux tyran corse, Napoléon. Son projet était en bonne voie et la machine prenait forme.
Imaginez un mécanisme hybride, complexe, mêlant à la fois les ribaudequins de Léonard de Vinci et les orgues de Staline! Il ne sagissait donc pas dune vulgaire bombe artisanale mais bel et bien dun gigantesque appareillage de canons multiples montés sur roues, mobiles et tournants donc, capables de tirer des dizaines de coups de mitrailles simultanément, canons à répétition, se rechargeant avec une déconcertante facilité. 
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Pour actionner cet engin de mort perfectionné, il suffisait dappuyer simplement sur deux boutons. Ces derniers mettaient alors en branle un circuit électrique grâce à une grosse pile voltaïque protégée par un caisson en acier. Au choix du concepteur ou de lutilisateur, la machine pouvait tirer des balles explosives, des balles dum-dum donc par anticipation, de la mitraille, cest-à-dire des éclats de métal ou de plomb, des traits de fer pénétrants et acérés, des harpons, ou encore des balles traçantes inflammables que rien ne pouvait arrêter.
Frédéric Tellier collait au Maudit avec un art consommé. Ainsi, il avait découvert le lieu où Fieschi sactivait. Il navait pas fallu longtemps à lArtiste pour comprendre ce que tramait ladversaire dans cet atelier. Muni dune micro caméra fournie par Daniel Lin, le danseur de cordes avait transmis les images de sa sinistre découverte à qui de droit. Grâce à sa chance proverbiale, mais aussi sans doute à son habileté, Frédéric avait donc pu pénétrer dans lantre de Fieschi et filmer lengin mortel presque achevé.
Cependant, un bruit provenant de lextérieur lavait obligé à séclipser plus rapidement que prévu. Ainsi, il navait pas eu loccasion de saboter la machine. Peut-être cela valait-il mieux car ladversaire ignorerait son intrusion.
En fait, Galeazzo avait intuitivement senti quil était suivi depuis plusieurs jours déjà. En conséquence, il avait concocté avec Johann un plan emberlificoté pour désarmer la bande du commandant Wu. Celui-ci croirait remporter la manche il nen serait rien.
À bord du Vaillant,Paracelse se proposa pour contrer larme de Fieschi. Il dévoila ce quil envisageait à Daniel Lin et à Craddock devant les yeux emplis dadmiration de Louise de Frontignac, Pieds Légers, Violetta et ceux de Marteau-pilon. Tout en ny comprenant goutte, le colosse sémerveillait des propos techniques de lingénieur de la pègre.
- Jai donc pensé à construire une sorte de mitrailleuse aimant, faisait Jules, le sourire aux lèvres, lissant sa barbe, se passant une langue gourmande sur sa lippe réjouie.
- Fort ingénieux! Sexclama Symphorien avec un enthousiasme des plus sincères.
- Pourquoi pas? Proféra simplement le daryl androïde, refroidissant les certitudes de Paracelse.
- Laissez-moi développer mon idée, reprit Jules néanmoins, ayant à cœur dobtenir laval du commandant Wu. Ma mitrailleuse spéciale, au lieu de tirer des balles, déviera les tirs de la machine de ladversaire. Lassemblage de canons que vous voyez sur ce schéma émettra des champs électromagnétiques susceptibles de perturber fortement la trajectoire des jets de lautre machine.
- Pas mal, appuya Craddock. Vous avez conceptualisé le tout en quelques heures à peine? Félicitation! Mon gars, je vous embauche comme ingénieur en chef à bord de mon vaisseau aussi sec!
- Un instant, articula doucement le commandant Wu, jetant un froid. Vous ne voyez pas la faille, bien sûr. Certes, votre contre machine présente des côtés séduisants, des atouts manifestes, je nen disconviens pas. Mais où comptez-vous prendre lénergie nécessaire à son alimentation? Pour lactiver, il vous faudra pour le moins générer un champ électromagnétique de dix mégawatts
- Les moteurs du Vaillant ou nos réserves dorona, hasarda Jules, confus.
- Les moteurs de mon précieux vaisseau? Fichtre non! Rugit Craddock.
- Le capitaine a raison de se hérisser ainsi, renchérit Daniel Lin. Plutôt provoquer des micro explosions atomiques contrôlées quépuiser les moteurs de notre seul vaisseau spatial! Dans les soutes, je dispose de réserves de plutonium et duranium 235 en quantité suffisante. Une petite manipulation avec toutes les précautions dusage et je vous garantis que nous aurons de luranium 238...
- Entendu, commandant, acquiesça Symphorien soulagé. Le Vaillant sera épargné! Ouf! Mais puis-je toutefois me joindre à Paracelse pour améliorer son projet?
- Ah!que comptez-vous y rajouter?
- Un champ de force, cela paraît évident, non? Ce serait plus efficace pour bloquer les tirs.
- Effectivement, approuva Daniel Lin. Tant que vous y êtes, autant édifier un champ anentropique de contention.
Le daryl androïde riait-il, se gaussait-il du Cachalot de lEspace? Se demandait Paracelse.
Craddock était mi-figue mi-raisin. Il avait saisi lironie. Il attendit que le commandant en dît plus.
- Capitaine, reprit le Prodige de la Galaxie sur un ton plus amical, vous avez carte blanche pour apporter votre aide à Jules Souris. Puisque vous navez pas lair de comprendre, je vous montrerai tantôt comment générer un champ anentropique de contention sans mettre en danger le continuum local. Lorsque votre machine sera presque terminée, vous devrez respecter des normes de sécurité et de résistance que je vais vous énoncer. Cela représente un sacré défi. Mais il ny a rien de plus gratifiant que de parvenir à le relever.
Subjugué, le Mendiant du Cosmos écouta religieusement les directives du commandant Wu. Celui-ci, expliquant et théorisant, était en train de repousser les lois ordinaires de la physique. Et cela plaisait à Symphorien, et cela chantait à ses oreilles une mélodie magique et envoûtante.

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Fermat pistait Irina Maïakovska avec un art consommé de la filature. À croire quil avait fait cela durant toute son existence. La jeune femme ignorait quelle était suivie, mais pas Fu à lintérieur delle. Or il nétait toujours pas question de réveiller lhumaine. Ce fut pourquoi, au bout de quelques jours, le maître espion sut tout concernant les habitudes de lofficier russe.
Maintenant, il fallait mander les hommes de Tellier.
Cette nuit-là, Marteau-pilon, Monte-à-regret, Bonnet rouge et lincontournable Craddock prirent la relève du vice amiral dans leur voiture de vidangeurs, une vieille caisse brinquebalante qui empuantissait lair à deux lieues à la ronde. Mais qui se méfiait des laissés-pour-compte de la société? Personne et encore moins Irina Maïakovska. 
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Marteau-pilon et Craddock sen tiraient donc comme des maîtres en filant le cabgaz menant le trio di Fabbrini, Maïakovska et Danikine jusque dans le laboratoire de ce dernier. Les ruelles, pavées irrégulièrement, éclairées chichement par des quinquets à bout de souffle, défilaient sous les roues dacier des deux véhicules et ce, à une vitesse prodigieuse pour lépoque, cest-à-dire trente-cinq kilomètres à lheure.
Lorsque le cabgaz de Danikine atteignit enfin le laboratoire, la voiture des vidangeurs poursuivit sa route sur deux cent cinquante mètres encore puis sarrêta après avoir passé un tournant, prenant la précaution de stationner loin dun réverbère.
- Holà! Siffla Craddock, une vieille pipe entre ses dents. Cest à moi de me faufiler jusquà la bâtisse de ces foutus écornifleurs!
- Pourquoi? Questionna Monte-à-regret, écarquillant ses yeux glauques afin de mieux y voir.
- Je suis le seul à pouvoir saisir ce qui se mijote là-dedans, répliqua Symphorien catégorique. Sans vouloir vous offenser les gars, vous êtes limités au niveau de la comprenette, daccord?
Bonnet rouge faillit se fâcher sous linsulte, mais Marteau-pilon abattit pesamment sa paluche sur lépaule de son compagnon et répondit de sa voix grave et sourde au capitaine.
- Craddock a raison, les aminches. Laissons-le agir à sa guise.
- Bien dit, mes amis de sac et de corde. Toutefois, je ne cracherais pas sur la présence dun garde du corps à mes côtés!
- Je veux bien en être, murmura alors Monte-à-regret humblement. Je sais suriner.
- Oui-da, je nen doute pas, mon brave assassin. Pas de complication, compris?
- Pas de risque de nous faire surprendre. Jai passé des chaussons à semelles de feutre. Ce nest pas la première fois que je mintroduis de nuit chez un cave, pour fracturer son coffre.
Naïvement, pour appuyer ses dires, lancien condamné à mort dévoila le contenu de ses poches: des crochets, des pinces-monseigneur, des rossignols, des diamants, des ventouses, de la ficelle, des bougies, un rat-de-cave, un briquet, deux poignards à la lame bien aiguisée, une panoplie de surins et ainsi de suite
- Tu es un précautionneux, toi! Sesclaffa le Cachalot de lEspace.
- Il faut ce quil faut. Puisque vous acceptez ma présence, vous devez dissimuler votre visage par de la boue et un foulard.
- Dac! Fit le capitaine. Vous deux, vous nous attendez jusquà cinq heures. Si jamais on ne revient pas, surtout ne partez pas à notre secours. Vous rejoignez illico presto le Vaillant et en informez le vice amiral;
- Oui, capitaine, sinclina Marteau-pilon, subjugué par le ton ferme du vieux baroudeur.
Nos deux lascars pas si mal assortis que ça sapprochèrent des hangars dans lesquels Danikine avait installé sa cuisine du diable. Légèreté du comte? Piège subtil de Johann? Apparemment, le Russe navait posté aucun garde pour empêcher toute intrusion.
Progressant accroupis, Monte-à-regret et Symphorien parvinrent sans anicroche jusquà la fenêtre éclairée dune des bâtisses. Doucement, Craddock leva la tête pour la rabaisser aussitôt. En effet, Galeazzo arpentait la pièce dun pas nerveux, en mâchouillant un puros. Le capitaine au long cours, contrarié, souffla puis sortit de sa veste toute chiffonnée un étrange appareil quil appliqua avec soin contre le mur. Ensuite, il coiffa lextrémité du mystérieux engin et se mit à écouter.
- Quest-ce donc? Articula le rescapé de léchafaud, sa curiosité éveillée.
- Un simple stéthoscope! Idéal pour surprendre des conversations chut! On parle en russe heureusement que jai bourlingué partout dans la Galaxie!
Alors, le capitaine de passoire rouillée sappliqua dans sa tâche fastidieuse durant de longues minutes, entièrement concentré. Soudain, sans prévenir, il saplatit brutalement, obligeant Monte-à-regret à limiter.
- Ils sen vont, expliqua laconiquement Symphorien. Nous allons pouvoir entrer dans ce chaudron infernal. À condition de ne pas nous faire chopper!
Craddock ne se trompait pas. Après avoir attendu près de vingt minutes, par sécurité, le vieux baroudeur se releva et commanda au bagnard en fuite douvrir une petite porte quil avait repérée depuis le début de sa planque.
- Fracture lhuis avec art, mon gars! Pas de trace!
- Je ne suis pas un novice! jeta Monte-à-regret vexé.
Le malfrat crocheta la serrure avec une facilité déconcertante. La porte souvrit ensuite dans un silence remarquable. Une fois à lintérieur, les deux hommes allumèrent chacun leur chandelle et se mirent à explorer les aîtres. Évidemment, le surineur ne comprenait rien à ce quil voyait. Malgré sa candeur cependant, il ressentait un malaise diffus, qui saccentuait au fur et à mesure quil explorait le laboratoire.
- Ce nest pas normal, tout cela, fit-il à un moment, désignant du menton de larges cuves dans lesquelles des individus flottaient nus dans un liquide nutritif doù émanait un odeur douceâtre parfaitement écoeurante.
- Des clones! Reconnut Craddock. Que le diable me patafiole! Poursuivit le Vieux Loup décati. Ce sont tous des sosies de Napoléon.
- Ma foi, vous avez raison. Mais là, sur le côté, il y a plein de niches et dalcôves qui contiennent des fioles et des bouteilles renfermant un jus pas catholique
- Des embryons humains à un stade plus ou moins avancé, renseigna Nestorius. Jen sais suffisamment, Monte-à-regret. Fichons le camp! Fermat et Daniel Lin doivent être mis au courant au plus tôt.
- Euh, capitaine, non pas que jaie la pétoche, mais je viens de vous voir recueillir tantôt un peu de ce liquide nauséabond dans un petit tube transparent
- Cest pour analyse gros bêta! Oust! Dehors!
Monte-à-regret, ainsi bousculé, ne soffusqua pas. Au contraire, il acquiesça et obéit à Craddock. Les deux espions quittèrent alors les lieux avec une grande promptitude. Leur intrusion navait, semble-t-il pas été détectée. Mais dans cette histoire, il ne fallait jurer de rien.

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Le lendemain soir, ce fut au tour de Violetta et de Pieds Légers de partir à laventure. Les adolescents sétaient déguisés à la perfection. La métamorphe, pouvant, à loisirs, changer la couleur de ses cheveux, en modifier la longueur, remodeler ses traits, ressemblait à ces jeunes prostituées du dernier vulgaire, à la chevelure fauve criarde, manifestement teinte et au visage outrancièrement maquillé. Pour parachever ce grimage, elle portait une tenue plus que voyante, parfaitement dans le ton de son personnage décavé: une jupe verte un soupçon trop courte, laissant apparaître un double jupon à la couleur douteuse et aux dentelles éraillées, un corsage rouge carmin fort échancré doù une poitrine plus que généreuse débordait. Pour se couvrir les épaules et faire face à lhumidité, un châle écossais effrangé jaune et orange. 
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Bref, une pareille toilette aurait fait frémir le premier quidam honnête venu. Daniel Lin navait pas eu le loisir de voir sa fille ainsi attifée. Heureusement! Si cela avait été le cas, assurément, il lui aurait interdit de sortir pareillement dévêtue. Pourtant, pour réussir son accoutrement, ladolescente avait suivi à la lettre les recommandations de Brelan. 
Quant à Pieds Légers, il sétait mis au diapason de sa compagne. Il avait passé une culotte chamois, des bas cramoisis, un gilet à fleurs datant manifestement de lautre siècle, une chemise à la couleur douteuse et aux manches déchirées, au col usé, des chaussures ressemelées au moins dix fois. Coquet, le jeune homme arborait un minuscule mouchoir bleu noué autour de son cou et une toquante cabossée étourdiment sortie de son gousset crevé, la chaînette en faux argent tenant par une épingle agrafée à son gilet crasseux.
Les deux jeunes gens progressaient dun pas chaloupé et irrégulier aux alentours de lÎle de la Cité, comme sils avaient visité tous les estaminets du coin. Ils parlaient fort, dune voix éraillée et rocailleuse, sexprimant dans un argot de fantaisie du plus bel effet.
Guillaume remontait la piste de deux agents de Vidocq, le fameux policier au passé agité. Lun des deux agents de la Sûreté avait été levé par Doigts de fée, le deuxième par Louise de Frontignac qui, ainsi, se souvenait quelle était née Louise Crochet et quelle avait débuté comme aide blanchisseuse à douze ans avant de tomber dans la galanterie, ce métier rapportant plus. À vingt ans, elle avait croisé le chemin de Galeazzo qui lavait alors tirée de la crapulerie, lavait éduquée, puis sétait servi delle dans de sinistres machinations qui avaient eu pour mérite de faire de la prostituée une demi-mondaine dabord, une femme à la mode ensuite, une lionne donc, et enfin, une charmante comtesse qui créchait, excusez du peu, dans un hôtel particulier du faubourg Saint-Germain; Gaspard Segonzac de Frontignac sétait amouraché de la jeune femme et lavait épousé dans léglise de la Madeleine devant cinq cents personnes. Le quinquagénaire avait passé larme à gauche assez rapidement, non pas quil y eût du poison dans cette histoire, mais à la suite dun duel qui avait respecté les antiques lois de lhonneur.
Avant de finir comtesse et veuve, Louise, repentie, éloignée du comte ultramontain, avait œuvré comme sage-femme durant deux années environ. Mais désormais, à la tête dune fortune confortable, ayant conservé son nom de guerre, Brelan das, connaissant lâme noire de son ancien protecteur, elle sétait attachée à le combattre et pour cela, aidait Frédéric Tellier à ses heures. Lex-bras droit du comte di Fabbrini avait aussi pris la mesure du danger que Galeazzo représentait. LItalien multipliait les complots, les machinations, afin de senrichir davantage bien sûr, mais aussi et surtout dans le but de diriger le continent en sous-main. En effet, la folie des grandeurs et la soif du pouvoir avaient atteint lUltramontain dans ses jeunes années, au contact dun père particulièrement doué pour les captations dhéritages et les retournements et les traîtrises.
Mais revenons à nos deux tourtereaux. Imitant livresse presque à la perfection, ils suivaient cahin-caha les policiers dans leur ronde spéciale. Lun des deux roussins était un grand type maigre aux joues creuses, le front barré dune vilaine cicatrice, le crâne rasé comme celui dun forçat. Quant à lautre, dâge moyen, il présentait une silhouette plus replète, les yeux verts perçants, dissimulés présentement par des lunettes aux verres teintés. Il était coiffé dune espèce de chapeau en forme de tuyau de poêle de couleur grise, sans doute pour se rehausser vis-à-vis de son camarade.
Enfin, les deux individus sengouffrèrent dans un cabaret portant le nom pompeux dAux charmes de Cupidon.
- Que fait-on? Interrogea Violetta avec circonspection.
- A ton avis? On les suit. Tu sais bien que ces deux lascars ne sont pas nets. Ils mont lair de manger à tous les râteliers.
- Pff! Cest que je commence à en avoir assez de respirer des effluves douteux et chargés où se mêlent les odeurs de corps mal lavés, la sueur rance dhommes fatigués par les abus, la fumée dun tabac bon marché, les vapeurs dalcools plus ou moins frelatés, le graillon, les senteurs avancées de détritus divers et jen oublie!
- Violetta, je te rappelle que tu tes portée volontaire! Maintenant, tu fais ta mijaurée
- Pas vraiment, Guillaume. Il y a plus simple. Jai les pieds en compote. Alors, jen ai assez de perdre mon temps. De plus, jai besoin dun bon bain.
- Que proposes-tu pour accélérer les choses?
- Ben, jy vais franco! Je me fais inviter, je bois un pot avec les deux roussins, on fait amie amis, et incidemment, je glisse, ni vu ni connu, un pisteur dans leurs vêtements. Ainsi, à bord du Vaillant, Craddock naura plus quà écouter et à voir tout ce qui adviendra ensuite.
- Ah! Bravo pour ta trouvaille! sexclama Pieds Légers qui se retint de rire. Je me demande comment ton père peut te faire confiance si tu lâches la mission ainsi en cours de route? Ce nest pas pour rien quil ta surnommée Miss Catastrophe! Ne le nie pas. Cest Craddock qui a craché le morceau. Tu fais preuve dune naïveté pas possible car tu ignores les dangers les plus évidents.
- Lesquels, mon cher? Allez dégoise! Rétorqua la métamorphe, la mine boudeuse. Guillaume, je sais me battre de quinze manières différentes. Je pratique la lutte Castorii, le taekwondo helladien, laïkido, le judo, la savate et bien dautres encore. De plus, je suis une métamorphe. Cela signifie que je possède une agilité et des réflexes bien supérieurs à ceux des simples humains comme toi.
- Ne te vante pas, veux-tu?
- Mais cest la vérité!
- Je me contentais de te mettre en garde. Ta tenue
- Quoi? Elle nest pas appropriée? Tout à lheure tu as applaudi en la découvrant et tu ma félicitée chaudement.
- Justement Elle est trop parfaite comment vas-tu ty prendre pour glisser tes pisteurs? Ces gars-là vont te tripoter, te lutiner quoi! Tu vois ce que je veux dire, non?
- Ils ne me toucheront que si je le veux. Leurs mains baladeuses vont vite se retirer, crois-moi! Allez, Guillaume, sois confiant et ne crains rien pour moi. On entre, on sympathise dix minutes, puis on se tire vite fait. Basta!
- Je me rends à tes dons de comédienne, soupira Pieds Légers.
Les deux adolescents passèrent donc la porte du cabaret louche, un air égrillard sur leurs jeunes visages.
À lintérieur, latmosphère était encore plus empuantie que prévu. La salle, en partie voussée, laissait à peine deviner, vers le fond, un comptoir constitué de deux planches sales, posées sur trois tonneaux. Derrière le comptoir, le maître des lieux fourrageait dans une caisse afin dy trouver des pots en terre ou en étain remontant à Mathusalem. Sur le mur, des étagères branlantes supportaient des flacons aux troubles contenus, des bougeoirs avec des chandelles de suif, des tonnelets munis de robinets doù gouttaient des alcools ambrés et frelatés. 
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La clientèle parut bizarre aux yeux avertis de Pieds Légers. Elle comprenait une quinzaine dêtres aux trognes dignes des tableaux de Goya. Mais le plus terrible, pour Violetta, cétait laspect étrange des harengères et des commères. Où donc étaient passés les hommes? 
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Les femmes présentaient un aspect plus que repoussant avec leurs yeux horriblement fardés, des mouches et du blanc de céruse en abondance sur leurs visages disgracieux, leurs bouches édentées outrageusement maquillées, leurs traces noires plus que suspectes, leurs chiures de mouches sur les gorges, les cous et les bras.   
Toutes les matrones, sans exception, étaient vêtues doripeaux dépareillés datant de 1750 à peu près. Les taffetas, les soies, les draps aux teintes passées, ternies et sales se mêlaient avec le plus mauvais goût possible. 
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Certaines disgraciées, dune laideur inouïe, nhésitaient pourtant pas à relever et à dévoiler la nudité de leurs jambes vigoureuses ou encore leurs mollets gainés de rose criard et de noir luisant et crasseux. 

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- Euh je ne comprends plus rien, bégaya timidement Violetta à loreille de Guillaume, ayant perdu son assurance.
Un vague sentiment de peur envahissait ladolescente. Néanmoins, elle reprit.
- A part le patron qui ressemble vaguement à un gros phoque échoué dans un bordel, il ny a ici que des femmes. Que sont donc devenus les deux policiers de tantôt?
- Des femmes dis-tu. Tu tavances trop vite, ma petite
- Que veux-tu dire, bon sang? sinquiéta lex-enseigne du Lagrange.
- Violetta, nous sommes tombés dans un lieu de haute crapulerie, où les hommes shabillent en femmes.
- Des travestis? Des homosexuels? Des pédérastes?
- Non. Des prostitués hommes, des persilleuses, comme on dit ici.
Tandis que les deux jeunes gens échangeaient ainsi rapidement et à voix basse ces quelques phrases, la clientèle douteuse sétait levée et avait convergé vers les intrus.
Au fond de la salle au plafond surbaissé, le patron, protégé par son comptoir, avait subrepticement sorti de sous une caisse une pétoire, un vénérable tromblon quil braquait maintenant dun air menaçant en direction de Pieds Légers et de la métamorphe.
- Holà, mes chérubins! éructa le maître des lieux dune voix particulièrement rauque, abîmée par les alcools forts et labus de tabac ordinaire, vous nallez pas nous quitter si vite! Vous êtes entrés, vous restez! Toinette, Léandra, Océane, Boule-en-pain, Philomène! Saisissez-vous du tendron! Je le veux vivant, hein? Attention! Quant à la donzelle, je men fous quelle soit vive ou pas!
- Fuis! Commanda alors Guillaume à Violetta.
Courageusement, faisant obstacle pour protéger la jeune fille, Pieds Légers sortit un surin de son gilet et se mit en position défensive. Nhésitant plus, comprenant que sa vie était en danger, notre tempsnautes se fraya un chemin jusquà la sortie administrant de ci de là des manchettes assassines et des horions à ses assaillants. Manifestement, la métamorphe savait se battre. Contre trois agresseurs, elle aurait eu une chance, mais pas contre dix.
- Je viendrai te tirer de là, je te le promets, Guillaume!cria-t-elle en claquant la porte derrière elle bruyamment.
Ladolescent ne répondit pas. Il était concentré à défendre chèrement sa peau et se battait avec un acharnement et une maestria dignes déloges. Chacun de ses coups de couteau portait, lardant des chairs plus ou moins adipeuses. Mais les persilleuses étaient bien trop nombreuses pour Pieds Légers qui nétait pas aussi aguerri que le Maître. Il succomba, assommé traîtreusement par derrière, le crâne presque fracassé par un coup de sabot porté par Boule-en-pain. Lorsque le jeune homme tomba, il fut labouré de coups de poings et de pieds. Toinette, Léandra, Océane et leurs consoeurs vengeaient ainsi la mort de Philomène.
Mais comme les persilleuses sacharnaient un peu trop sur Guillaume, elles furent vivement rappelées à lordre par le patron de lestaminet.
- Arrêtez! Jai dit quil me le fallait vivant! Le lieu nest pas propice pour estourbir un tendrelet. Josépha, va trouver qui tu sais.
- Oui, tu as raison. François décidera.
Ladite Josépha nétait autre que le policier replet aux yeux verts décrit plus haut. Il avait donc eu le temps de se travestir en maritorne. Comme il avançait un pas vers le seuil de la porte, Sylvain, le patron, sécria:
- Ne sors pas attifé ainsi! Tout roussin que tu sois, tu risques vingt ans de bagne et tu seras marqué au fer.
- Bigre! Merci de me rappeler à lordre.
Pendant ce temps, Violetta courait à perdre haleine sur les pavés gras et glissants des vieilles rues de la Cité. Elle avait quatre persilleuses à ses trousses mais ces dernières ne parvenaient pas à combler leur retard sur la métamorphe. Profitant à la fois de son avance relative et de la présence dun porche particulièrement dissimulé dans lombre, la jeune fille activa promptement le témoin de rappel durgence quelle avait heureusement pris soin demporter avec elle. Hélas, Pieds Légers avait omis de faire de même.
Deux secondes plus tard, Violetta se retrouva à bord du Vaillant, saine et sauve, certes, mais attristée et paniquée. Elle se sentait coupable davoir dû abandonner son compagnon. Alors quelle bondissait du plot du téléporteur, elle vit Joël Mc Crea et Charles Laughton en train de jouer au poker avec Craddock et qui, bien sûr, se faisaient ratisser.
- Symphorien, fit ladolescente sur un ton péremptoire. Jai besoin de vous immédiatement.
Puis, elle reprit dune manière hachée et plus timide:
- Guillaume court un danger mortel. Laissez donc là vos stupides cartes et aidez-moi à le secourir. Je vous en supplie
- Mademoiselle Grimaud, répondit le Cachalot du Système Sol en levant un sourcil broussailleux, dabord, on reprend son souffle, ensuite on se calme et, enfin, on raconte tout, posément, sans paniquer, à tonton Craddock. Selon la situation, javiserai.
- Mais il sagit peut-être dune question de secondes! Les persilleuses! Jeta Violetta en trépignant et au bord des larmes. Guillaume est entre les mains de quinze persilleuses. Elles vont lui faire un sort!
- What? Demanda le comédien britannique.
Bien malgré elle, la métamorphe se vit obligée de fournir de trop longues explications. Elle achevait son compte-rendu dune voix entrecoupée de sanglots lorsque Fermat parut.
- Amiral, soupira lex-enseigne avec soulagement, vous, vous allez comprendre lurgence de la situation et agir!

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Devant le miroir de sa table de toilette, Olibrius van de Gaerden ajustait avec soin la fibule qui retenait attachée sur son épaule sa toge angusticlave. Le comédien avait supplanté Talma dans le cœur des Parisiens depuis tantôt dix ans. Il sapprêtait pour sa promenade vespérale. 
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Notre original vérifia une dernière fois sa coiffure à la Titus qui bouclait impeccablement, son rouge carminé dont ses lèvres étaient enduites, et, satisfait de sa prestance et de son allure, se leva de son siège en forme de X. Ensuite, il alla dun pas sûr jusquà la clochette du chambranle de la porte de sa chambre, lactiva plusieurs fois, certain que son valet ferait son apparition dans quelques secondes. Celui-ci, nullement surpris par la tenue extravagante de son maître, apparut sur le seuil, sinclina respectueusement et demanda dune voix suave où ne perçait aucune ironie:
- Oui, chevalier?
- Je men vais visiter séant Cluny. À mon retour, je veux souper. Préparez mes délices de Capoue habituels: une murène bien grasse, grillée à point, baignant dans du vin dAnjou, des langues de merles et de rossignols garnies de baies parfumées, des crêtes de coqs marinées dans du miel et du vinaigre, puis des petites douceurs telles des crêpes aux morilles caramélisées. Noubliez pas les foies de pigeons à la confiture dairelle ainsi que les becs de perroquets farcis aux pignons et aux fleurs de courgettes. Vous savez combien jen suis friand. Pour arroser ces mets délicats, servez un vin blanc du Rhin et un Bourgogne millésimés 1813. Surtout pas 1819... Mauvaise année sur le plan viticole
- Maître, tout cela sera placé sans faute sur la desserte pour minuit.
- Une heure du matin conviendrait mieux, Etienne. Ce soir, il y a une cérémonie dintronisation à mon club. Bucéphale est-il déjà scellé?
- Oui, maître.
- Parfait. Mon cheval public me remplit dorgueil. Sa Majesté a eu la bonté de maccorder cette grâce et même de publier mon Cursus Honorum dans le Journal officiel, Le Moniteur universel.
Avec un sourire béat, nullement conscient dêtre ridicule, Olibrius tendit une main grasse et replète ornée dun anneau dargent à baiser à son serviteur zélé qui répondait parfois, selon lhumeur du comédien, au pseudonyme de Quintus Flavius Maximus. 
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Van de Gaerden, dont la gloire était montée à la tête, vivait à la romaine en plein XIXe siècle. Ses viviers réputés voyaient des murènes nager dans des eaux sombres, sa porte présentait une inscription en belles lettres latines, les meubles de son entresol imitaient lantique et les murs de sa demeure étaient enduits de stuc et peints en fausse perspective. On pouvait y reconnaître des scènes tirées de la mythologie romaine: Hercule nettoyant les écuries dAugias, une bacchanale, un mystère représentant Cybèle et un génie coiffant dune couronne de lauriers le dieu Mars essuyant son glaive et félicitant lEmpereur Octave Auguste après sa victoire dActium aux dépens de Marc-Antoine.
Olibrius excellait dans les rôles tragiques quil vivait intensément: Macbeth, le Commandeur dans Dom Juan, le roi Lear lhomme, qui atteignait quarante-cinq ans, dédaignait désormais les prestations de jeunes premiers quil estimait mièvres. Comme il lavait dit à son valet, van de Gaerden, monté sur son destrier bien quil fût handicapé par sa toge et ses sandales, se rendait effectivement à Cluny, plus précisément dans les catacombes.
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