dimanche 19 février 2012

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 8 1ere partie.

Chapitre 8


Daniel Lin Wu ne se contentait pas de voler du matériel pour aménager sa cité de l’Agartha. Il avait également subtilisé de nombreux instruments de musique, tels que des clavecins à simple ou double claviers, des hautbois et des flûtes, des métronomes, des diapasons, des cordes, des pupitres, des violons et des violoncelles, des altos et des batteries, au grand dam du vice amiral Fermat qui trouvait tous ces objets inutiles.

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Cependant, le commandant n’avait pas encore réussi à s’emparer d’un piano, un Steinway de préférence, et il s’en désolait. Or, ce serait chose faite dans quelques semaines grâce au concours de Frédéric Tellier.

En attendant ce miracle, Aure-Elise, Violetta et… Gwenaëlle découvraient les talents exceptionnels du daryl androïde qui interprétait avec virtuosité des sonates de Scarlatti, des pièces de Geminiani,

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des fugues de Bach et des concertos de Mozart. Brahms, Chopin, Liszt, Rachmaninov, Debussy,

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Ravel, Dutilleux, Ligeti viendraient plus tard ainsi que Bartok, Adams et tant d’autres compositeurs, pas tous humains.

Mais revenons en arrière et voyons un peu comment nos tempsnautes effectuèrent leur premier saut temporel avec cette épave intersidérale ayant pour nom Le Vaillant. il fallait posséder une sacrée dose d’inconscience, croire en sa bonne étoile pour envisager pareil voyage avec un tel vaisseau!

La station relais de Persicaa se souviendrait longtemps de la visite de la poubelle du capitaine Craddock. Les pirates trompèrent de main de maître les Castorii qui géraient l’orona. Pourtant, ils n’étaient pas nés de la dernière pluie et jusqu’à ce jour, n’avaient jamais été roulés. Sans que le personnel comprît comment, les réserves de cristaux de charpakium disparurent bien que les mesures de sécurité fussent fort efficaces. Fort efficaces avant l’intervention de Daniel Lin, le Prodige de la Galaxie qui n’usa que de ses dons d’hypnotiseur et de son ultra vitesse, parvenant à voler le précieux orona sans que les caméras eussent le temps de le filmer tant il se déplaçait avec une rapidité inouïe!

Lorsque le délit fut enfin constaté et surtout mis en relation avec la visite du Vaillant, ce dernier était déjà hors de portée du service des douanes. En fait, il s’apprêtait à effectuer son premier saut quantique temporel.

On le comprend, Symphorien Nestorius était plutôt tendu. Néanmoins, il donna volontiers un coup de main à Daniel Lin et à André, oubliant sa fâcherie de la veille, afin d’ajuster les moteurs au chrono vision. Il fallait que le réglage fût précis pour ne pas se perdre au sein de l’espace inter dimensionnel.

- Et les relais OPR? Demanda soudain Fermat.

- Quels relais OPR? Répondit Craddock naïvement, sur un ton faussement désinvolte. Qui sait ici de quoi on cause? Pas besoin! Je n’en ai pas et je m’en suis toujours passé.

- Vous n’avez pas de relais de sécurité? Blêmit le vice amiral en s’étranglant presque d’inquiétude. Mais on risque d’exploser en vol à tout instant sans eux!

- Ah! Pourtant jusqu’à aujourd’hui, vous n’avez trouvé rien à redire.

- Parce que je pensais que vous économisiez l’énergie, voilà tout. Mais maintenant, il ne s’agit pas de passer en mode distorsionnel simple. Capitaine Craddock, vous ne comprenez pas le risque! Je vole avec un fou!

- André, se mêla alors le daryl androïde, inutile de vous faire des cheveux blancs. Cela ira, croyez-moi.

- Bon sang, reprit Fermat en serrant les poings, rectification: je vole avec un fou et un inconscient!

- Ne doutez donc pas de mes talents spéciaux, amiral. Nous allons tenter le coup avec ce vaisseau.

- Daniel Lin, vous êtes encore plus inconséquent et désinvolte que Craddock.

- Je vous garantis que non. En fait, je fais preuve de logique. Le chrono vision nous a révélé notre futur proche…

- Façon spécieuse de raisonner…

- Si cela peut vous rassurer, je prends le pilotage et le contrôle de l’ordinateur principal.

- Mais ici, commandant, votre cerveau est humain en totalité et non pas…

- Non, toujours à cinquante pour cent positronique! Grâce à la fusion. Et il fonctionne sans problème.

- En êtes-vous absolument certain?

- Bien évidemment! Je l’ai déjà testé dix fois depuis mon transfert dans cet univers. La première expérimentation eut lieu…

- Le jour de votre incompréhensible et prodigieuse évasion du bagne de Bolsa de basura dos.

- Exactement. Alors, convaincu?

- Hum… Alea jacta est… jetons-nous donc dans les marées du temps…

Le Vaillant, sous l’impulsion de Daniel Lin, se lança courageusement dans l’hyper espace afin d’accomplir son saut hors normes. Le commandant Wu, passé désormais en mode ordinateur, assisté de Fermat, Craddock réduit à l’état de figurant, agissait avec une économie de gestes remarquable.

Tout entier à son poste, le daryl androïde énumérait mes différentes phases et étapes de la délicate manœuvre d’une voix dépourvue d’inflexions et de sentiments, ce qui tranchait avec sa façon habituelle de s’exprimer. Ainsi, il semblait peu concerné par l’enjeu de ce voyage. Mais en mode ordinateur, il ne pouvait en être autrement pour lui.

- Passage en distorsionnel maintenant à 0h00. Surchauffe du compensateur latéral arrière de 2°6. Compensation enclenchée par le réfrigérant gamma ter.

Pourtant solidement harnaché à son siège, Craddock se sentait mal. Il transpirait abondamment et son estomac lui remontait. Son teint prenait une couleur verdâtre peu engageante.

- Qu’est-ce que cela secoue! S’exclama-t-il un instant. Ma parole, on dirait qu’un anthropopithèque défoncé pilote mon vaisseau!

- Ah! Souffla Violetta avec un rien de méchanceté. Vous commencez à comprendre l’utilité des relais OPR.

- Silence à l’arrière! Ordonna Fermat. Nous avons besoin de rester concentrés.

Toujours aussi insensible et impassible, Daniel Lin poursuivit:

- Distorsionnel 3,5... Direction: 4-9-10-7. Azimut 37.

C’en fut trop pour Symphorien qui avait identifié les coordonnées.

- Mais c’est la direction de l’astre solaire! Rugit-il. On va tous brûler en enfer! Ce pilote de mes deux est un suicidaire! Que le Grand Cric me prenne en pitié!

- Taisez-vous donc, capitaine! Jeta l’adolescente de sa voix pointue. Si vous avez si peur, mordez-vous le poing, priez en silence mais fermez-la!

À l’avant, l’énoncé mécanique continuait.

- Distorsionnel 7. Distance du Soleil: 1,3 million de kilomètres. En approche constante. Dérivation de 0,7°. Infléchissement nécessaire amorcé.

- On entre dans la zone de turbulence, constata Fermat. Trois astéroïdes libres à deux heures.

- Ils ne nous frôleront pas, répliqua Daniel Lin. Coordonnées déjà intégrées. Distorsionnel 9. Passage en hyper luminique… top. Infléchissement pour l’écliptique: 9-9-7...

- Je crois que je vais rendre tripes et boyaux! Gémit le vieux loup de l’espace. Tout vibre! C’est bien pire que dans les lupanars de quatre sous de Mondani!

- Ufo, viens donc sur mes genoux, soupira la quart de métamorphe bruyamment. Tu te sentiras moins écrasé par la pesanteur. Et si nous devons exploser en vol, nous mourrons ensemble.

- N’importe quoi! Marmonna Craddock.

Toutefois le Cachalot du Système Sol commença à réciter une vague prière à un dieu quelconque.

- Hyper luminique 12. Infléchissement: 14-9-7...

- Hum! On est bien trop près de l’orbe solaire, dit Fermat avec un soupçon d’inquiétude.

- Distance réduite à 800 000 kilomètres. Infléchissement: 19-9-9... Un deuxième tour est nécessaire. On poursuit. Hypothèse prise en compte dès le début.

- Les superstructures souffrent.

- Elles tiendront.

- Ouais! Grogna Violetta. Le réservoir d’eau vient de chuter avec un tintamarre qui m’a cassé les oreilles.

- Et la cambuse se détache! Compléta Symphorien. On va perdre tout le rata de demain…

- Et nous sommes toujours en vie, c’est bon signe, ça… fit l’adolescente.

- Quel optimisme, miss! Je peux à peine respirer!

- Trop de tabac et d’alcool, capitaine Craddock lança perfidement la jeune fille. Bien fait pour vous!

Toujours à l’avant, dans ce qui tenait lieu de cabine de pilotage l’énoncé froid et désincarné des incidents s’allongeait.

- Moteur nacelle bâbord en surchauffe de 8°C. cristaux de charpakium à 98% de leur capacité optimale.

- Hum… Je compense la surchauffe, émit le vice amiral.

Fermat s’avérait un second précieux pour le daryl androïde. Il savait précisément ce qu’il avait à faire. Bien qu’il eût la sensation de se mouvoir au ralenti, comme si pesait sur tout son corps un bombardier britannique, il réussit à manœuvrer et à toucher le bon levier; cependant, il souffrait visiblement en cet instant, mettant un point d’honneur à être entièrement incarné.

- Hyper supra luminique 17. Infléchissement deuxième hyperbole 45-6-9-7. Recul des horloges du bord. Vitesse de remontée du continuum temporel: huit jours par minute. Insuffisant. Nos cristaux de charpakium faiblissent.

- Ah! Mais il nous faut hyper supra luminique 19 pour réussir.

- Exact, amiral. Conscient du problème. Mais nous disposons de six grammes de plutonium. Il faut les injecter dans le convertisseur matière antimatière d’ici quatre minutes à partir de… maintenant.

- Je m’en charge, répondit André simplement.

- Non! S’opposa Daniel Lin d’une voix sans timbre. C’est là une tâche pour Craddock. Vous devez assurer la maintenance du contrôle des opérations auxiliaires.

Fermat opina et articula:

- Compris!

Se tournant vers le vieux baroudeur, il jeta d’une voix dure:

- Vous avez entendu le commandant? Alors, exécution!

- Mais je n’ai plus aucune force. Je me sens comme une poupée de chiffon.

- Exécution!

Pâle, exténué, presque au bout du rouleau, Symphorien fut obligé d’obéir à l’ordre du commandant Wu réitéré par le vice amiral. Maladroitement, il se dégagea de son siège et se mit à ramper péniblement jusqu’à la sommaire chambre intermix. Chaque centimètre parcouru lui coûtait en souffrance, en élancements et en brûlures de toutes ses terminaisons nerveuses. Il haletait d’épuisement, à la recherche de la plus petite goulée d’air, un air vicié et surchargé d’ozone. Ses os lui faisaient un mal de chien et il avait l’impression de passer à la broyeuse.

Malgré l’effroyable douleur qui envahissait toute sa vieille carcasse, Symphorien parvint à enfiler un antique scaphandre de protection contre les radiations et entreprit ensuite d’injecter le plutonium dans le convertisseur, un long cylindre en matériaux composites, renforcés par une mince couche interne de duracier.

Cette action héroïque accomplie, Craddock gaspilla ses ultimes forces dans cette réponse:

- Purée de moi! Ordre exécuté! Maintenant, je peux mourir!

Et, consciencieusement, il perdit connaissance.

À l’avant, l’antienne se poursuivait.

- Coque extérieure au bord de la fissure selon l’ordinateur secondaire, murmura Fermat.

- Elle tiendra, amiral, elle en a vu d’autres. Il y a de la marge… hyper supra luminique 18,7... 18,8... 18,9... 19. Hyperbole régressive en accélération. Dix jours par seconde… trente jours… trente-neuf…

- Ouf! Tant mieux! Laissa échapper André dont l’échine était glacée. Mais le réseau électrique périphérique vient de céder. Maintenant, on se croirait au fin fond des abysses.

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- Stabilisateurs inertiels à 28% de leur capacité initiale. Nous poursuivons notre remontée du continuum. L’an -1200 s’évanouit. En approche de Saturne.

- Pff. Pas trop tôt! Grommela Violetta.

À son tour, l’adolescente s’évanouit. Quant à Ufo, le délicieux petit animal, eh bien , il dormait et ronronnait en toute quiétude, lové en boule sur les genoux de sa maîtresse!

- Jupiter à 250 000 kilomètres à peine. Mais nous sommes attirés par l’attraction de la planète.

- Poussée supplémentaire depuis trois secondes déjà amiral. Il nous reste dix centigrammes d’orona.

- Hum… Soit quarante-cinq secondes de carburant. Peste! C’est peu.

- Jupiter contournée. Vitesse toujours en accélération. Hyper supra luminique 19,7.

- Daniel Lin, bon sang! Nous allons finir en cendres. Il nous faut ralentir.

- Illogique. Mars est dépassée… Terre en vue. 300 000 kilomètres… 200 000... Année 3504 avant J.C. 3 avril comme attendu. Vitesse d’impulsion… maintenant.

- Il était temps. Notre moteur principal est hors service.

- Aucune importance. Demie impulsion. Il nous reste sept centigrammes d’orona.

- Mettez vite cette planche à repasser en orbite, commandant! Aïe! Console des opérations auxiliaires out!

- Enregistré. Ordre exécuté. Position orbitale stabilisée. Propulseurs directionnels en action. Correcteurs inertiels débranchés. Je bascule sur le propergol. Bouclier fonctionnel à 64%, ce qui est suffisant.

- Nous avons réussi! Je n’en reviens pas! S’exclama André manifestant sa joie, ce qui était rarissime.

Toutefois, avec difficultés, il se libéra de son siège de copilote et flotta jusqu’à l’adolescente. Lentement, il lui prit le pouls et vérifia qu’elle respirait normalement. Ensuite, il s’empressa de s’assurer qu’il en allait de même pour le capitaine Craddock. Tandis qu’il ôtait l’encombrant scaphandre au Cachalot de l’espace, la voix du commandant Wu lui parvint inhabituellement faible et éteinte.

- Date et objectifs atteints. Je coupe le contact avec l’ordinateur principal.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Pendant ce temps, André allongeait confortablement Symphorien sur la couchette la plus proche. Un instant, il se retourna et vit Daniel Lin enlever sa ceinture et se redresser en s’appuyant sur le dos de son siège afin de ne pas tomber. Il vacillait dangereusement.

- Mon ami, fit le maître espion, vous êtes plus pâle qu’un Pierrot lunaire.

- Je crois que je vais rendre mon dernier repas. Il y a longtemps que je n’avais effectué un tel saut avec un vaisseau non conçu pour cela. Chronoligne originelle 1721 avec la navette Teilhard.

- Je sais. Le chrono vision m’a montré cet exploit.

- Pardon, André, mais je ne me sens pas vraiment…

Alors, Daniel Lin s’effondra dans les bras de Fermat qui était venu à son secours. Celui-ci le reçut d’extrême justesse. Le terrible effort avait eu raison du daryl androïde.

***************

Cinq heures plus tard, le Vaillant avait subi une révision complète et tournait en orbite autour de la Terre. Ses compensateurs inertiels avaient été reconnectés mais aux dépens des filtres à air. C’était pourquoi les occupants du vaisseau tentaient de recouvrer leurs forces en respirant un air fort vicié, riche en senteurs d’ozone, en fumets de caoutchouc grillé et en relents de déchets organiques décomposés.

Toutefois, ce léger inconvénient n’affectait nullement l’appétit insatiable du chat qui faisait un sort au contenu d’une boîte de sardines à l’huile.

Malgré l’inconfort du lieu envahi de miasmes nauséabonds brassés par des ventilateurs poussifs, Fermat poursuivait la lecture de son listing de révision.

- Hum… Signe non engageant. Le télé porteur montre quelques signes de faiblesse. Il nous faudra descendre à cinq mille kilomètres d’altitude pour récupérer la fugitive.

- Foutre non! S’insurgea Craddock. Il n’en est pas question! Mon vaisseau est au bord de la rupture. Ses moteurs sont en berne et jamais les boucliers ne supporteront l’entrée dans l’atmosphère.

- En ce cas, dérivons les 4/5 de l’énergie disponible à leur profit, jeta le vice amiral toujours impassible.

- Ouiche! Belle trouvaille maître espion. Et… on va respirer quoi?

- Mais comme d’habitude, capitaine. Nous pouvons tenir en mettant le système de survie en basse tension.

- Alors là, bravo! Si ma grand-mère avait encore ses deux jambes, elle ferait du vélo jusqu’à Aldébaran!

- Craddock, jamais vous ne vous montrez positif. Pourquoi ce défaitisme?

- Mon colon, j’ai trop subi durant ma fichue existence.

- Hum… réponse spécieuse, Symphorien, lança Daniel Lin sur un ton indéfinissable. Vous ne voulez pas l’admettre, mais vous avez peur.

- Eh bien, oui, je le reconnais, j’ai la trouille! Mais vous, je sais pourquoi vous êtes si pressé… la…

Le Vieux Loup de l’espace stoppa net sa phrase car le commandant Wu, sans ménagement, venait de s’immiscer dans son esprit. Sans pitié, il lui montra une image provenant de son passé, une image que Craddock aurait voulu à tout prix occulter: celle de sa femme Gemma, se tordant de douleurs après avoir accouché d’un fils mort-né, Ric. Dans moins de cinq minutes, la brune Castorii, jadis si belle, décèderait à son tour. Cela était arrivé il y avait trente-neuf ans, autrement dit hier pour Symphorien.

- Dois-je poursuivre capitaine? Entendit l’écumeur du cosmos dans sa tête.

- Oh! Vous… salaud! Vous ne respectez rien! Vous avez osé! Foutu télépathe de mes deux… si je le pouvais, je vous écartèlerai…

Les joues burinées du baroudeur étaient inondées de larmes.

- Pardon, Symphorien Nestorius Craddock, fit sincèrement le daryl androïde, mais vous ne m’avez pas laissé le choix. Cela restera entre nous, je vous le promets.

- Pff! Facile! Il vous est vachement facile d’écraser les autres lorsqu’on jouit de vos talents!

- Symphorien, je vous répète que je suis désolé, réellement navré… je ne recommencerai pas. Je n’ai qu’une parole… je vous le jure! Et je compatis de tout mon cœur… Sachez que je partage votre chagrin…

Cet échange muet exaspérait Violetta. Elle ne comprenait pas ce qui était en train de « se dire ». Quant à Fermat, il préférait rester à l’écart, faisant semblant de ne rien percevoir de cet étrange dialogue. De par sa véritable nature, c’était pour lui un jeu d’enfant d’entendre les pensées des humains. Mais il n’usait que rarement de cette faculté depuis qu’il avait retrouvé le Surgeon, se méfiant des capacités de ce dernier dans ce domaine. Il n’empêche. Il avait parfaitement entendu la suite de la phrase de Craddock, pourtant non formulée à haute voix: « la queue vous démange! ». C’était d’une abominable grossièreté, tout à fait inadmissible et Daniel Lin, perdant son sang-froid, avait cependant eu raison de réagir aussi durement. André aurait fait de même. Ah! Ces stupides Terriens! Ils se croyaient tout permis.

Trépignant de nervosité, la métamorphe s’exclama:

- Alors, les hommes, vous avez terminé vos messes basses, là vous vous dépêchez de vous réconcilier ou il faut que je chante le grand air des bijoux de Faust? Vous savez, je vois bien qu’il y a un truc qui cloche…

- Ah non, ma fille, surtout pas! Rétorqua Daniel Lin en riant. Si je m’en souviens bien, tu as une voix de sirène d’alarme et tu chantes faux!

- Euh… merci papa pour ce compliment vinaigré!

Sur cette note plus détendue, les trois hommes reprirent leur tâche respective. Bien sûr, Craddock était de mauvaise humeur et gardait rancune au daryl androïde, mais il était trop intelligent pour ne pas participer au contrôle de la maintenance de son propre vaisseau. Ce fut ainsi qu’il s’assura que les ventilateurs tenaient le coup tandis qu’André dérivait l’énergie nécessaire en direction du téléporteur et que Daniel Lin, une fois encore, pilotant, rapprochait le Vaillant du sol terrestre.

La distance désirée atteinte, le commandant Wu brancha l’écran du vaisseau et focalisa sur un point particulier dans le désert du Takla-Makan. À ses côtés, feignant d’oublier le précédent incident, Symphorien marmonna:

- Brrr… fit-il en reconnaissant la jeune femme. Je la plains. Il a l’air de faire un froid polaire…

- Hum, la température n’est pas aussi basse. C’est à cause du vent. Répliqua Daniel Lin. La fugitive s’arrête. Elle est à bout. Inutile d’attendre plus longtemps, je descends.

Apparemment sans émotion, l’ex-commandant Wu enfila un blouson, passa une paire de lunettes afin de protéger ses yeux des particules de silice et des flocons de neige, et se positionna sur le plot du téléporteur avec un naturel déconcertant. Aussitôt, André Fermat actionna les curseurs. Et l’Exilé se dématérialisa dans une lumière orange pour réapparaître peu après tenant dans ses bras la jeune inconnue qui avait sombré dans un semi coma.

****************

Avançons dans le temps de quarante-huit heures et restons toujours à bord du Vaillant. Gwenaëlle reposait sur une couchette et, désormais sortie de son coma, sommeillait, rassasiée par des tablettes protéinées. Son corps apaisé lui permettait de se reposer et de reprendre des forces. Ses plaies avaient été soignées par Violetta qui s’était chargée de cette tâche en maugréant quelque peu.

- C’est moi qui suis de corvée sous le fallacieux prétexte que je suis le seul élément féminin à bord en état de me charger de cette sauvage!

- Ma grande, tu aurais certainement préféré que le capitaine te remplace! Jeta Daniel Lin avec ironie à sa fille.

- Penses-tu! À savoir ce qui se passe dans sa tête depuis deux jours…

- J’en ai une petite idée. Mais il ne ferait pas de mal à notre rescapée. Le plus dur reste à venir.

- Ah? Explique.

- Pour l’instant, Gwenaëlle n’a pas encore saisi qu’elle a changé de lieu, un lieu qui dépasse son entendement. Lorsqu’elle s’en rendra compte…

- Euh… ça va barder, c’est cela?

- Tout à fait. Imagine un peu le choc temporel… même en établissant un lien télépathique constant, ce sera difficile de la calmer…

- Qu’as-tu appris la concernant?

- Son nom, tout d’abord… son chagrin ensuite, son exil… l’histoire de sa tribu également.

- Déjà? Tu es sacrément fortiche, oncle Daniel Lin!

- Vois-tu, fifille, Gwenaëlle n’est pas seulement une jeune femme ordinaire vivant au néolithique. Parmi les siens, elle jouait il y a peu encore, le rôle de femme médecine.

- Bah…

- Cela signifie qu’elle connaît bien les plantes, la nature en général… elle nous sera d’une aide précieuse pour notre projet.

- Euh… tu ne veux pas remettre les pendules à l’heure, manifestement…

- Je ne recherche pas la vengeance, Violetta. Ce n’est pas dans mon tempérament. Et si, avant-hier, j’ai fait du mal au capitaine Craddock, j’ai eu grand tort… j’ai cédé à un réflexe de mauvaise humeur… mais tu n’as pas à savoir la teneur de notre dispute…

- Bon… Je ne suis pas curieuse.

- Oh! Quel gros mensonge!

Mais un hurlement suraigu vint interrompre cet échange. La Celte venait de se réveiller. Affolée, les yeux écarquillés, ne reconnaissant rien de familier, elle sauta brutalement de sa couchette et commença à courir en rond dans l’étroit habitacle comme une lionne en cage.

Enfin, s’avisant de la présence de l’adolescente et de Daniel Lin, elle se mit en position d’attaque. Encore quelques secondes, et elle allait se précipiter sur la plus jeune.

- Papa! Elle est folle furieuse! Fais donc quelque chose! Assomme-la avec un fuseur, je ne sais pas moi!

- Il n’en est pas question! Je vais l’apaiser avec une communication télépathique…

Une fois encore, le daryl androïde s’introduisit dans l’esprit bouillonnant de Gwenaëlle.

- N’aie aucune crainte. Nous sommes tes amis. Nous ne te voulons aucun mal. Violetta, ma fille, t’a soignée et nourrie. Tu ne souffres plus du froid et tes poursuivants ont perdu ta trace.

- Je suis chez les esprits en colère. Hurlait la Celte. Sherma et Sven se vengent car j’ai refusé de manger Ferral. Ils m’ont punie…

- Non, Gwenaëlle. Je suis ton ami, je te le répète. Tu te trompes. Tu n’es pas chez les esprits malfaisants. Je suis… ton … ami… là, doucement…

Apparemment insensible aux pensées apaisantes de Daniel Lin, la rescapée se lança contre lui avec une farouche et violente envie de le blesser. Mais elle fut immobilisée en une fraction de seconde.

- Du calme, Gwen, c’est bien… oublie ta rage et ta peur. Doucement… Je suis ton ami, oui, ton ami…

- Les démons menteurs de la mort… gémit la jeune femme. Laideur… puanteur… une caverne sans étoiles, sans ciel et sans arbres. Sans vent, sans oiseaux… aucune âme sœur… abandonnée, prisonnière dans la caverne de la mort…

Daniel Lin reprit à haute voix.

- Sors, Violetta.

- Pourquoi? Répliqua l’adolescente faisant semblant de ne pas comprendre ce qui allait suivre.

- Tu n’as pas à voir la suite.

- Oh! Bon! Puisque je gêne, je m’en vais!

En boudant et en relevant son menton avec un geste de défi, l’adolescente se retira et gagna la soute où Craddock s’activait.

Pendant ce temps, la Celte avait poursuivi ses lamentations.

- Ferral… pourquoi ne puis-je te rejoindre dans les prairies éternelles?

Ayant désormais perdu son agressivité, la jeune femme se laissa porter jusqu’à la couchette. Elle s’accrochait à Daniel Lin de toutes ses forces, voyant en lui un recours, un réconfort.

Tout en pleurant, elle murmurait:

- Enfermée chez les esprits des morts. Pour toujours. Fatalité… et toi, tu portes le masque de Sherma… tu es Sherma, celui qui va me dépecer, se repaître de ma chair pour l’éternité.

- Gwenaëlle, je m’appelle Daniel Lin. Je ne te ferai jamais de mal. Tu as besoin de moi tout comme moi j’ai besoin de toi.

Avec tendresse, l’ex-commandant Wu déposa la Celte résignée sur la couchette. Mais elle s’agrippait toujours à lui, refusant de le lâcher. En frémissant, elle accepta le baiser de ce dernier sur son front.

- Encore! Réclama-t-elle dans sa langue archaïque. Encore! Le dieu de la mort ne peut pas aimer. Montre-moi que tu n’es pas Sherma. Montre-moi…

- Gwenaëlle, je suis marié et père de famille.

- Montre-moi, te dis-je! Ou je me lance contre la paroi de ton affreuse caverne, supplia-t-elle, se pressant langoureusement contre le torse du daryl androïde. Oui, je me jette contre le mur jusqu’à ce que mes os éclatent. Tu ne pourras pas me recoudre!

Tentatrice, amollissant la raison de Daniel Lin, Gwen se pendit à son cou et se mit à l’embrasser de plus en plus hardiment, à le caresser avec un art consommé, le laissant à peine reprendre son souffle. Naturellement, le commandant ne put résister à l’appel des sens et l’inévitable ne put que survenir.

Lorsqu’il rentra enfin dans Gwenaëlle, succombant à l’appel du désir, le Prodige de la Galaxie atteignit une félicité en partie oubliée. Le premier voile de sa Reconnaissance se déchira.

- Fils de l’Homunculus! Jeta-t-il dans un souffle brûlant. Fils de Tchang et de Sarton! Fils de la Vie! Gardien du Vivant… Préservateur! Je l’accepte et je le veux…

Au paroxysme de la passion, il rajouta:

- Je me noie… mais c’est… si bon…

En fait, l’orgasme le submergea, l’emporta sur la vague agitée du plaisir et ses yeux se mirent alors à briller d’un éclat insoutenable. Ses pupilles dilatées à l’extrême révélaient une étrange résille perlée, orangée, très fine, immatérielle, aérée, fascinante, parcourue par des mouvements, des pulsions à peine perceptibles. Une résille qui dansait sur une musique inaudible, un treillis qui se soulevait et palpitait au cœur même de la Supra Réalité.

Gwenaëlle avait fermé les yeux. Elle ne vit rien de ce phénomène fabuleux, se contentant de combler son partenaire après avoir reçu sa part de jouissance.

Pas si loin, dans la cabine de pilotage, Fermat devenait mélancolique. Il n’ignorait rien de la Redécouverte du Surgeon.

« Il a succombé au plaisir de la chair comme moi jadis. Mais d’une manière si intense, si absolue que sa mémoire est en train de lui revenir au galop. Le Chœur multiple est fâché et affiche sa désapprobation. Pourtant, il avait accepté l’introduction du facteur Gwenaëlle dans l’équation. Tant pis. Impossible de revenir en arrière. Le sort du Pantransmultivers est en jeu. Ah Surgeon! Sois à la hauteur de nos espoirs! Ne nous déçois pas! ».

***************

Le lendemain de la signature du traité d’alliance militaire signé entre la Russie, la Chine et l’Empire britannique, le commandant Sitruk fit toute une série de rêves plus perturbants les uns que les autres. Chaque fois qu’il croyait se réveiller, émerger du songe, il retombait de plus belle dans les rets d’un cauchemar moite aux multiples péripéties. Elles débutaient toujours de la même façon.

Le filin de plastacier qui permettait de descendre dans la grotte sélène tremblait encore. Le spéléologue néophyte avançait dans les ténèbres, inquiet, pressentant sourdement, dans le froid pénétrant, des présences hostiles tout autour de lui. Maladroitement, l’inconnu parvint à allumer la lampe frontale incorporée à sa combinaison scaphandre. La scène horrifique se révéla dans tous ses macabres détails.

Incorporés aux parois, des corps et encore des corps, recroquevillés, momifiés, en partie fossilisés. On pouvait identifier, adhérant aux chairs durcies et calcifiées, des lambeaux de robes de moines asiatiques. Les teintes safran ou pourpre d’origine étaient encore reconnaissables. Qui plus est, toutes les momies étaient coiffées d’un étrange chapeau à clochettes dont l’or avait désormais bien terni.

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Placé à part, dans une niche décorée et peinte avec soin de motifs à fleurettes assez incongrus en ce lieu, un corps décharné, surmonté d’une tête aux traits émaciés, se tenait assis ramassé sur lui-même. Il s’agissait du fameux et tristement célèbre moine bonze déviant Tsampang Randong, adepte de Kukaï, celui qui exigeait de ses adeptes une ascèse mortelle. Le jeûne devait être poussé jusqu’à la fusion totale avec l’Entropie.

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Lorsque le dormeur reconnut le guru, un frisson glacé d’angoisse parcourut son échine. Il s’agita, repoussant ses draps et murmurant dans son sommeil:

- Non! Tsampang Randong!

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Celui qui voulait métamorphoser toute l’humanité en pierres. Emmuré vivant. Son visage est loin de refléter la sérénité requise par la mort. L’Autre… seul l’Autre a pu le vaincre. Des cheveux auburn, des yeux bleu gris, une mèche rebelle, un sourire désinvolte et bienveillant à la fois… une voix emplie d’ironie mais pourtant chaleureuse, qui ne juge pas et qui comprend… autrefois… il me semble que j’étais son ami…

Sans prévenir, le rêve bascula. Cette fois-ci, il montrait une troupe de soldats marchant d’un pas cadencé sur une voie pavée. En tête, comme il se devait, les enseignes romaines et les licteurs. Puis, venaient des cavaliers chevauchant au pas, le torse protégé par une cuirasse, le glaive au côté, le casque au cimier empanaché, les pieds chaussés de sandales.

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Le premier de ces cavaliers était un véritable géant à la barbe rousse et à l’œil bleu. Son comès lui parlait à l’oreille:

- Caesar Maximianus, tu n’aurais pas dû accepter la proposition de Dioclès. Élien est un rude adversaire.

- Que crains-tu donc Quintus? Répliquait Maximianus d’une voix grave, aux intonations étrangement familières. Une défaite? Je sais ce que je dois faire. La guerre selon les règles de la République? Que non pas! Élien tient le pays!

- Alors, que proposes-tu dans ce cas, Princeps?

- J’utiliserai la ruse, la persuasion et la diplomatie.

- Tu as changé, Maximianus.

- J’ai mûri, tout simplement, Quintus.

La caméra changea d’angle de prise de vue. Alors, Benjamin se vit et se reconnut dans cette plongée en semi oblique, vêtu tel un chef d’armée de l’antique Rome! De plus, il avait compris ce dialogue pourtant prononcé en latin.

C’en fut trop pour notre dormeur. Il poussa un cri de pure terreur et cela le réveilla.

Brûlant de fièvre, transpirant, la sueur lui coulant sur le front et le visage, il balbutia:

« Je ne comprends pas ces rêves… oh! Ces rêves… ils ont le goût de la réalité. J’ai déjà vécu cela ailleurs. Il n’y a pas à s’y tromper. Pourtant, c’est impossible. Je ne crois ni aux réincarnations, ni aux vies antérieures. Or, ce Romain, ce César Maximien, c’était moi-même, avec cependant mon corps et mon apparence actuels. Et, dans la grotte lunaire, le spéléologue avait également mes traits.

Que signifient ces rêves récurrents? Quelque chose m’échappe. J’éprouve un sentiment tragique de perte. Pourquoi? Mon serment actuel, ma fidélité, un mensonge? Où se situe la réalité? ».

Troublé plus que jamais, le commandant Sitruk ne parvint pas à se rendormir. Cette nuit-là, Irina, son épouse, était de quart sur la passerelle du Cornwallis.

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Dans le yacht emprunté au gouverneur du bagne de Bolsa de basura dos, Daniel Lin et André discutaient ferme. Aure-Elise Gronet d’Elcourt, gênée, se taisait, en retrait, se contentant de vérifier les consoles de vol du petit vaisseau programmé sur automatique.

- Vous avez entendu Aure-Elise tantôt, faisait le commandant Wu ne voulant rien céder au vice amiral. Violetta s’est enfuie depuis plus de trois semaines. Elle va tout tenter pour atteindre Bolsa de basura.

- Je m’en doute, répondait Fermat du tac au tac.

- Et vous voulez que je l’abandonne?

- Mais, Daniel Lin, techniquement parlant, Violetta n’est pas votre fille! Elle a commis une sottise, qu’elle la paye!

- Amiral, c’est odieux, monstrueux… totalement inhumain ce que vous me suggérez là.

- Et vous, vous ne réalisez pas la précarité de notre situation. Vous faites preuve d’une faiblesse qui peut nous coûter très cher, bien plus que notre liberté. Ce projet dont nous avons discuté ensemble il y a peu, ça y est, il est enterré?

- Amiral, vous êtes en train de me jeter des arguments spécieux à la figure!

- Vous ne réagissez pas comme Daniel Grimaud le ferait!

- André, si vous tenez à l’apprendre, le plus souvent mon alter ego me fait honte!

Daniel Lin eut la présence de ne pas aller plus loin, de stopper avant de prononcer les terribles et irrattrapables paroles fatidiques et définitives.

- Oui, commandant?

- Pardon amiral, je me laisse emporter par la colère devant votre froideur, votre peu d’humanité.

Timidement, Aure-Elise s’avança et prit la parole.

- S’il y avait un moyen de rattraper la fugitive avant son arrivée à Bolsa de basura dos? Proposa la jeune femme.

- Effectivement, la solution se trouve là, articula Fermat. Mais elle demande l’utilisation du chrono vision. Or, comme vous le savez, son fonctionnement exige de disposer de l’énergie en quantité suffisante…

- Tant pis! Proféra Daniel Lin avec un haussement d’épaules fataliste. Une vie humaine vaut davantage que cinquante grammes d’orona.

- Certes… mais je n’ai plus les moyens financiers ou autres d’en avoir autant à ma disposition.

- Attendez! S’écria l’ancienne épouse de l’ambassadeur, son visage s’éclairant sous le sentiment d’une joie soudaine. S’il ne s’agit que d’argent… je puis résoudre ce problème. Tenez, il me reste ma bague de fiançailles et ce bracelet offert par Marie André pour le premier anniversaire de notre mariage. Ah! J’oubliais… et aussi cet anneau. Prenez ces bijoux, ils sont à vous. Désormais, mon union est à l’eau et je n’ai plus besoin de ces colifichets.

- Aure-Elise, c’est fort généreux de votre part, commença Daniel Lin en balbutiant. Je ne sais quoi dire pour vous exprimer toute ma reconnaissance.

- Daniel Lin, je ne désire que conserver votre amitié, fit simplement la douce jeune femme, retenant ses larmes.

- Je serai toujours là pour vous, mon amie…

***************

Grâce à l’emploi judicieux du chrono vision, ce fut un jeu d’enfant de retrouver Violetta, de connaître la manière dont elle avait recruté Symphorien Nestorius Craddock et, ensuite de pister le Vaillant. néanmoins, le contact avec le mendiant du Système Sol fut assez rude pour rester poli.

Cahin caha, la poubelle intersidérale assimilée pompeusement à un vaisseau spatial avait réussi à atteindre la quatrième planète de Centaurus B. le vieux loup de l’espace avait dû se résoudre à dénouer les cordons de sa bourse afin de louer une place sur le spatio port de la capitale, Gamera. Devant le montant de la somme déboursée, qu’il jugeait astronomique, il râla abondamment, insulta les préposés et les inonda de ses postillons. Mais les deux Helladoï restèrent de marbre face à la colère du baroudeur décati.

- Vous m’écorchez vif, vous me réduisez à la mendicité, au déshonneur, bande d’Al Capone à la petite semaine! Jacta ce bon Craddock, ses cheveux poivre et sel et sa barbe plus que jamais en bataille.

- Si vous êtes ici pour affaires, répliqua l’administratif impavide, vous entrerez rapidement dans vos frais.

- C’est une façon optimiste d’appréhender mon avenir… bon… mes lascars, statues de la réprobation, y a-t-il un endroit sympa, pas loin, sur ce foutu chiendent de spatio port, où on peut se rincer le gosier tout en concluant un ou deux contrats?

Le deuxième Hellados n’eut pas même un clignement d’yeux à cette demande. Il y avait déjà quatre décennies qu’il occupait ce poste et avait eu largement l’occasion de croiser des humains tous plus fantasques les uns que les autres selon son jugement. Plus rien de leur part ne le surprenait.

- C’est plus loin que le spatio port, déclara-t-il de sa voix neutre. Allez à la taverne de Storr, à dix minutes en planeur. Il faut passer par le marché couvert; tout droit, puis vous longez le musée de la mine.

- Euh… voyez que vous gagnez à être connus… le patron est-il honnête au moins?

- Un Castorii, pensionné par les Napoléonides, reprit le premier préposé avec une nuance de mépris.

- Ah! Je verrai bien. Ciao! À la revoyure!

Deux heures plus tard, quelque peu imbibé, mais surtout délesté de ses derniers deniers, Craddock s’en revenait à son vaisseau de son pas chaloupé caractéristique. Incertain, tâtonnant, clignant régulièrement ses yeux injectés de sang, il s’engagea en hésitant, il n’était plus assuré de la direction à prendre, dans un lacis de ruelles chichement éclairées.

Soudain, il sentit une main lui saisir et lui immobiliser le poignet gauche avec une force inouïe tandis qu’une voix inconnue lui demandait en anglais sans la moindre pointe d’accent français:

- Captain Craddock, i presume?

- Que me voulez-vous? Rugit le rufian en partie dessoulé.

Et, sans prévenir, Symphorien essaya de se dégager. Pour cela, il glissa sa main libre dans ce qui lui tenait lieu de paletot, en sortit un poignard à la lame bien aiguisée et voulut enfoncer l’arme dans le bras de celui qui l’avait ainsi interpellé. Or, l’inconnu qui, apparemment, voyait dans l’obscurité comme en plein jour, évita le poignard et s’en empara tout en resserrant sa prise sur le vieux baroudeur.

- Ouche capitaine! Vous espériez donc me tuer?

- Vous m’agressez, je me défends! Rétorqua Symphorien bourru.

- Capitaine, nous devons discuter poliment tous les deux comme des adultes civilisés. Je vais relâcher ma pression car, voyez-vous, je ne désire pas vous briser le poignet. Conduisez-moi à bord du Vaillant. mais, d’abord, promettez-moi de ne plus sortir de vos vastes poches d’autres surprises aussi acérées…

- Bois de l’eau croupie, mon gars!

Mettant à profit sa liberté recouvrée, Craddock amorça un demi-tour. Il fit un pas, un seul, dans la direction opposée. Mais il n’alla pas plus loin vers le centre-ville, car, sans qu’il comprît comment, il reprit le chemin du spatio port, sa volonté lui échappant.

- Vous vous rangez à mon souhait avec une facilité déconcertante, capitaine, ironisa l’étranger, j’apprécie…

Péniblement, Symphorien articula:

- Qui êtes-vous mister?

- Pardon, c’est vrai, j’ai omis de me présenter… Quel goujaterie de ma part, poursuivit l’individu toujours sur le même ton. Daniel Lin Wu Grimaud et j’ai toutes les polices de la Galaxie ou presque à mes trousses.

- Mille millions de têtes de mort! Je vais finir au bagne en moins de deux!

- Le croyez-vous vraiment? Je me suis bien évadé de Bolsa de basura dos! Rassurez-vous, capitaine, je vous éviterai de connaître le cruel fouet des gardes chiourmes. Et puis, depuis le temps que vous faites des pieds de nez aux forces de l’ordre des cinquante-huit mondes, vous devez être aussi rodé que moi pour les tromper… alors, si les Napoléonides se mettent dans la course, cela n’en rendra que plus intéressante cette partie.

- Vous vous foutez de ma gueule? Comment, Diable, êtes-vous parvenu à vous évader de ce bagne réputé pour ne rendre à la liberté que des cadavres, et encore, pas toujours, et, ensuite, à mettre la main sur moi, commandant Grimaud?

- Commandant Wu plutôt… vous saurez tout à bord de votre Vaillant, dépêchez-vous.

- Vous savez que miss Violetta m’a embauché.

- Bien sûr, capitaine! Comment va-t-elle? Et… Ufo, son chat?

- Hé bien tous deux se portent comme un charme… trop bien même pour ce raminagrobis

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à la noix. Ce ventre sur pattes me ruine en poissons frais et autres Delikatessen.

- oh! Cela ne m’étonne pas et c’est même rassurant, répondit Daniel Lin en éclatant de rire. Cela me prouve en effet que, malgré les multiples univers bulles, certaines choses restent immuables.

De plus en plus joyeux, le daryl androïde poussa le vieux Cachalot de l’espace jusqu’à l’esplanade où le Vaillant était parqué.

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