samedi 17 juillet 2010

Mexafrica 1ere partie : La collection fantastique de Lord Sanders chapitre 8

Chapitre 8

L’autre groupe, qui était chargé de faire diversion, conduit par Daniel et l’Artiste, vivait également des péripéties notables. Raoul et Harry avaient introduit le danseur de cordes et ses compagnons dans la remise des véhicules hippomobiles dans laquelle se trouvait le fameux monte-charges.
« Voici le chemin des cachots », déclama Harry, fier de son petit rôle dans cette intrigue à tiroirs.
Raoul n’avait pu s’empêcher de faire main basse sur quelques menus objets anodins mais précieux, telles des petites boîtes à pilules en porcelaine cuite au petit feu, remontant au XVIIIe siècle, ou encore, de charmants personnages en biscuit originaires du sud de l’Allemagne.
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Secrètement, il espérait que nul n’avait remarqué son larcin.
Mais c’était oublier les yeux de lynx de Frédéric Tellier. Lui aussi avait débuté sa carrière comme voleur, et quel voleur! Voilà d’où venait son surnom, l’Artiste.
« Arsène, le meilleur moyen de donner l’alerte, c’est de commettre un vol ordinaire, gronda le pègre à la retraite. Tu me déçois profondément. Va remettre immédiatement tout cela en place, sinon je te dénonce à Scotland Yard. Il faut voler avec panache ce qui mérite la peine de l’être. »
Une moue boudeuse s’afficha sur le fier visage du jeune ferlampier. Aigrement, il rétorqua :
« Vous me jugez bien mal, maître! Je ne suis pas un fourline. »
Durant cet échange, Violetta jubilait intérieurement.
« Ainsi donc, Tellier a recruté le futur Arsène Lupin! Et moi naïve qui croyais qu’il ne s’agissait que d’un personnage inventé! »
Subjuguée par cette révélation, la métamorphe regardait d’un autre œil l’adolescent, le trouvant bigrement intéressant.
Après cette marque de saute d’humeur, Raoul s’empressa d’obéir à l’Artiste qu’il admirait sincèrement. Dans son temps, l’homme avait su s’introduire dans les salons collet monté du boulevard Saint-Germain, sans que nulle comtesse ou autre douairière titulaire d’une particule plus ou moins usurpée ne devinât que ce Gavroche avait fait ses classes dans les bas fonds de l’Île de la Cité.
Pendant ce temps, le monte-charge s’était mis en branle avec la seconde équipe. Brusquement inquiet, Harry constata :
« Hé, là, j’suis pas tranquille. Y a comme une anomalie ici! Si je me souviens bien, la descente avait été moins longue que ça! »
Le petit-fils de Brelan avait raison, car, non seulement la plate-forme descendait plus bas, mais parvenue à une grande profondeur, son mouvement devint latéral et se mua en glissement le long des rails, tandis que devant elle, au fur et à mesure de sa progression, des panneaux de fonte s’ouvraient. Après une dizaine d’ouvertures, le véhicule s’arrêta.
Depuis longtemps déjà, Daniel s’attendait à un piège. Ce fut pourquoi il passa sa tête à travers un orifice étroit avec circonspection. Comme de bien entendu, les portes de l’ascenseur étaient bloquées.
A l’extérieur de la cage, une profonde obscurité régnait. Grâce à sa force prodigieuse, le commandant agrandit l’orifice, permettant à ses yeux nyctalopes d’admirer un spectacle fantomatique de premier choix. Formée par un disque qui tournait, mû par un moteur électrique, une image imprécise, grisâtre et tremblotante dessina la silhouette d’un homme distingué d’un certain âge qui se tenait assis. L’étrange personnage prit la parole, sa voix déformée répercutée par des pavillons de laiton. Un diaphragme avait gravé et restitué les phrases de Sir Charles Merritt. Tony Hillerman, s’émerveilla :
« Ce bandit a compris l’intérêt du disque de Nipkow et inventé la télévision avant l’heure. »
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Cependant, la voix du mathématicien, transmise imparfaitement, saccadée et aiguë, répétait en boucle ce message avec une certaine emphase :
« Adversaires tant haïs, bienvenue dans mon antre! Comme vous e voyez, je vous espérais! Votre guet-apens a été éventé par Tsarong Gundrup que je remercie. Je crois qu’il est inutile de vous le présenter! »
Cette fois-ci, sur l’écran, Zoël Amsq se substitua à Merritt. Il s’exprima en langue Haän de la troisième caste. Sa voix grave et profonde était altérée par les parasites et les crachotements des cylindres Edison.
« Daniel Lin Wu, nous allons enfin nous affronter! Tous les nobles Haäns m’ont tant vanté tes exploits, et les empereurs Tsanu t’ont élevé au statut de légende! Il m’appartient de briser l’idole! Taïaut! La chasse est ouverte! »
Pendant que se déroulait cet enregistrement, il est bon de rappeler que Merritt suivait la progression de ses ennemis à l’aide du tableau de commandes de l’interface Babbage. Une lampe témoin clignotait à chaque nouvelle salle franchie.
Daniel avait haussé les épaules à l’accueil télévisé de Merritt et Zoël, et, comme si de rien n’était, toute l’équipe avait poursuivi sa route.
« Ah! S’impatienta Sir Charles. Ils s’introduisent dans la galerie des singes! »
Fébrilement, par le procédé habituel des cartes perforées, le mathématicien honoraire transmit à sa machine l’ordre d’activation des pièges.
Après avoir parcouru plusieurs pièces obscures sentant le moisi ou le renfermé, salles dépourvues de toute surprise, la fine équipe parvint à un long corridor voussé suintant d’humidité, éclairé par des lampes Pigeon. Une galerie de bustes de simiens s’alignait en rangs parfait, suivant l’évolution connue à l’époque, des lémuriens aux chimpanzés, en passant par les cercopithèques, les babouins Hamadryas, les macaques, les orangs-outans et les gorilles.
Certains bustes, en cire, présentaient de véritables poils implantés à leurs barbes. D’autres figurations appartenaient à des animaux empaillés ou momifiés.
Le silence lourd fut rompu par un concert assourdissant qui eut pour effet de réveiller les têtes simiesques. Alors, elles montrèrent leurs crocs, hurlèrent et grognèrent. Le chant du gibbon lar et celui du maki se mêlèrent aux vociférations de colère ou de peur du mandrill et du gorille des plaines. Tout cela était calculé, car l’intensité des cris et des infrasons pouvait déclencher des arrêts cardiaques sur les sujets les plus fragiles.
Instinctivement, Frédéric Tellier brisa un buste de magot à coups de canne, dévoilant ainsi le satanique mécanisme de la monstruosité : un véritable cerveau de singe était greffé dans le crâne de la bête empaillée qui obéissait à des impulsions électriques émises par Merritt. Avant l’heure, la pauvre créature était donc soumise à un « zordonnateur » de poche. En quelque sorte, Sir Charles avait réinterprété Frankenstein par le biais de Robots pensants de George Langelaan. Cette réflexion vint tout naturellement à Violetta :
« Ma parole! Il a eu les mêmes lectures que moi, ou quoi? »
Dans cette cohorte abominable, un faux buste s’était glissé. Pourtant sur leurs gardes, nos héros furent pris au dépourvu. Brutalement, l’Orang Pendek, la seule créature vivante de ce lot monstrueux, surgit de son socle, armé d’un gourdin acéré de pointes trempées au préalable dans le sang d’un cheval mort du charbon (l’anthrax).
Une simple écorchure suffisait à faire mourir un humain en quarante-huit heures dans d’atroces souffrance. Naturellement, il n’existait aucun vaccin, même pas au XXVIe siècle, car la maladie avait disparu depuis des lustres.
L’Australopithèque asiatique choisit intelligemment ses victimes. Il s’attaqua en premier lieu à Violetta qu’il avait jugé le maillon faible de la chaîne. Parallèlement, il tenta d’étouffer Harry. Imprudemment, l’adolescent s’était laissé prendre, et, maintenant, confronté à la force musculeuse du mutant, ne parvenant pas à se libérer, il paniquait. Toutefois, Raoul réagit instinctivement, s’empressant de porter secours à la jeune fille et à son ami. Le temps pressait. En un moulinet rapide, la massue de l’anthropopithèque avait déchiré la robe de Violetta. Heureusement, notre héroïne n’avait pas été blessée.
Pour échapper au coup suivant, la métamorphe, usant de ses facultés extraterrestres, prit la forme d’un fourmilion cuirassé. Ses nouvelles ailes s’ouvrirent. La créature s’envola sous les yeux ahuris de l’orang pendek et de Raoul.
« Hé bien, marmonna le futur voleur des quartiers huppés de toutes les capitales du monde, dire que je la prenais pour une simple humaine tout comme moi! Quelle lourde erreur! Décidément, il faut me méfier des apparences! »
Fort dépité, l’adolescent se résolut à ne pas flirter avec la belle Italienne.
Pendant ce bref incident, l’orang pendek, tout à sa rage et à sa frustration primitives, frappait autour de lui, au hasard, sans relâcher Harry. Les secondes du petit-fils de Brelan semblaient comptées. Dans sa folie, l’anthropopithèque indonésien brisa avec fracas les bustes des singes des niches, faisant ainsi jaillir les cervelles palpitantes et rosâtres des automates semi vivants, dans un feu d’artifice d’étincelles. Les courts-circuits provoquèrent un incendie dont les flammes grondantes encerclèrent la plus tout à fait bête. Maintenant, sous l’effroi, la créature poussait des hurlements quasiment humains.
Profitant de la panique de l’orang pendek, aidé par Raoul, Harry se dégagea. Enfin, la troupe évacua la galerie, abandonnant le simien à son triste sort. Devant son écran, Merritt fulminait de colère. Il sacrifia la précieuse créature découverte par Van Vollenhoven, ce missing link de trois mille livres sterling, sans la moindre once de remords, en abaissant un pare-feu. A quelques mètres de là, nos amis perçurent distinctement les cris d’agonie du plus que singe, malgré le rugissement des flammes.
Peu à peu, le silence emplit le tunnel. Une nouvelle salle s’offrit au groupe. Le rat de cave de Tellier éclaira le lieu parfaitement nu, hormis une inscription énigmatique bilingue en caractères chinois et en anglais.
- Que signifie ceci?
- Salle des cinq trésors du ciel. Répliqua Daniel avec un léger haussement de sourcils.
- De la poésie! Ricana Raoul.
- Pour moi, cela sonne comme un plat chinois, jeta Tellier.
- Je ne comprends pas ce langage fleuri! Siffla Harry.
Violetta, qui avait repris forme humaine, reprit, avec un détachement exagéré :
- A mon avis, il faut s’attendre à tout! J’énumère : une pluie de cafards pourris, ou encore des crapauds venimeux qui vont nous tomber dessus par surprise, des toiles d’araignées géantes qui vont nous capturer et nous engluer…etc.etc. Bref, nous sommes plongés dans un scénario nul, digne d’une adaptation de série Z de Fu Manchu des années 1960. J’ai déjà vécu cela!
- Ah! Souffla Daniel Wu avec lassitude. Violetta, tu passes trop de temps dans les holosimulations!
- N’empêche que, oncle Daniel…
De sinistres craquements interrompirent la métamorphe, confirmant partiellement les spéculations de la jeune fille. Toutefois, son imagination n’avait pas atteint le summum du macabre qui s’ensuivit.
Surgissant d’une paroi avec laquelle elle se confondait, la momie d’un être étrange, difforme, sinistre et disgracieuse, ricana. Ce rire était comme des bris de cristal terminés par des bêlements horripilants. L’esprit aux aguets, Violetta reconnut le corps desséché d’une race extraterrestre apparentée aux ovinoïdes. On aurait dit une espèce de gnome Nosferatu chauve, aux bosses crâniennes bombées amorçant des volutes, telles les cornes d’Ammon. C’était donc un jeune bélier saisi par la mort, en son début de puberté. L’être, un Otnikaï, était de plus affligé de dents irrégulières et mal plantées. Sur une partie de ses os adhérait encore une toison miteuse d’un couleur indéfinissable et totalement répugnante. S’agissait-il du spectre de Crotte Bleue? Ce personnage sera entrevu dans une prochaine histoire.
La momie insolite s’appuyait sur une canne dont le pommeau représentait la tête du veau d’or. Le bras desséché et déformé de la créature enfonça un bouton sis sur un des murs. Alors, une pile de rondelles s’effondra sur Hillerman, la victime désignée, avec de repoussants effluves. Lorsque l’Afro-américain comprit enfin de quoi il s’agissait, il eut un haut le cœur. Ces rondelles, qui avaient plu sur lui, n’étaient autres que des tranches momifiées de corps d’Otnikaï utilisées comme monnaie! Jusqu’où se logeait l’esprit du lucre?
« C’était, je pense, le premier trésor.» fit Daniel Lin avec une sombre ironie.
Les quatre autres prétendues précieuses nourritures chinoises ne tardèrent pas à pleuvoir sur la bande de Tellier! Quelle peu appétissante macédoine! Ondées d’acides cyanhydriques, de fientes de roussettes, de cristaux de soufre et d’azote liquide.
Ce piège raffiné portait la signature de Zoël Amsq. Pourtant, son peuple ne se caractérisait pas par ce sens de l’humour. Un vague sentiment effleura Daniel pour se diluer aussitôt.
Marteau Pilon ne réchappa pas à cette sauterie, car sa haute taille l’handicapait. In- volontairement, il avala une goulée de déjections infectes. Recrachant une gorgée, il s’arrêta pile poil sous le piège tandis que le soufre se déversait toujours, déclenchant ainsi un début d’asphyxie. De plus, les gouttes d’acide commençaient leur travail, rongeant les vêtements et atteignant la peau. Les combinaisons de protection s’avéraient insuffisantes.
« Maître, je brûle de partout, c’est affreux! Hurla le colosse comme un goret à l’abattoir. J’veux pas finir vitriolé comme ce fourline de maître d’école! »
Daniel n’eut pas le choix. Passant en hyper vitesse, se transformant en tourbillon, il dériva la pluie nocive qui s’en vint asperger les parois de la salle. Protégés au sein de l’œil du cyclone supra humain, nos amis ne craignaient plus rien. En quelques secondes firent leur œuvre, dissolvant la pierre elle-même! A son tour, la momie d’Otnikaï subit le sort qu’elle destinait aux intrus. Fumante et grésillante, elle termina en poudre et bientôt ne resta d’elle qu’une répugnante flaque grisâtre.
Sur un écran plus performant que celui de Charles Merritt, Amsq avait assisté aux prouesses de son ennemi. S’étouffant de rage, le Haän gronda :
« Ah, tu aimes le vent, Daniel Lin! Hé bien, je vais t’en donner! »
Avec un sourire cruel, le savant fou déclencha un mécanisme actionnant un toboggan. Matérialisé brutalement, il entraîna le groupe dans une longue glissade qui le conduisit dans la Salle des huit vents divins.
Désormais, nos héros étaient prisonniers d’une soufflerie bien anachronique en ce XIXe siècle pour la bonne raison qu’elle fonctionnait à l’énergie plasmatique. Comme survitaminée la turbine était capable d’engendrer des ouragans de force 20, tels qu’ils se rencontraient couramment en hiver sur la planète mère Haäsucq. Ces vents furieux déchiraient les corps des malheureux qui s’étaient égarés dans ces tempêtes effroyables. Longtemps après, on ne retrouvait que des restes non identifiables. Toutefois, les quelques morceaux de chair durcis par la glace faisaient les délices de gigantesques charognards, mélanges de lions ailés des montagnes et de vautours à gros bec jaune. Les holosimulations du Langevin en milieu extrême avaient omis de reconstituer les vents de Haäsucq sous le fallacieux prétexte qu’aucun humain ne pouvait survivre à de tels ouragans.
Une fois encore, Daniel se transforma en Saint-Bernard. Il savait qu’il devait prendre de court la turbine, avant qu’elle atteignît son plein rendement. Logiquement, il engendra un tourbillon d’énergie contraire afin d’annihiler les huit vents divins de Zoël Amsq. Cela eut pour effet de révéler au Haän une partie des pouvoirs de Daniel Lin. Le chercheur oscillait entre la colère et l’admiration.
« Ah! Bisque, bisque et rage! Il est bien doté des facultés de l’Homunculus! Cependant, est-il capable de se mouvoir dans l’interdimensionnalité? Ô Tsanu Premier! Que tes mânes me soient favorables! Moi, ton humble serviteur, il me faut reconstituer le bio translateur afin d’accéder au pouvoir suprême dont je rêve depuis de trop longues décennies! »
Sur jouait-il ou était-il sincère?
Pendant ce temps, protégés par ce cocon, nos amis parvinrent comme des fleurs dans la salle suivante. Découvrant le nouveau décor, Tellier émit un sifflement dénonçant sa stupéfaction. Quant à Raoul, il pensait:
« Dire que notre équipée n’est que de la poudre aux yeux destinée à détourner l’attention! ».
La nouvelle salle s’intitulait les cinq trésors de la mer. Dans celle-ci, nos amis étaient censés affronter une soudaine montée des eaux qui devait les submerger tandis que des prédateurs marins automates tels que requins de différentes espèces, raies mantas, poissons torpilles, Euryptérides préhistoriques,
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murènes et poulpes géants se repaissaient ensuite des dépouilles des noyés!
Cette fois-ci, Marteau Pilon montra tout ce dont il était capable avec un certain panache. Alors que Violetta avait choisi de se métamorphoser en escalier, le cheval de retour disloquait les squales robots. Cependant, l’octopus s’avéra plus difficile à démanteler que ses frères mécaniques. Jouant à Gilliat, héros des Travailleurs de la mer, Marteau Pilon tenta bien d’arracher les tentacules de la pieuvre, mais il se retrouva enserré dans ceux-ci, à demi asphyxié, demandant merci!
Tout naturellement, Tellier se porta au secours de son vieux compagnon de chaîne. Se saisissant de sa canne épée au tranchant imparable, il délivra son fidèle serviteur en coupant dans le vif les tentacules du pseudo octopus sans afficher la moindre émotion à cet exploit digne des travaux d’Hercule! L’imitation du monstre décrit par Victor Hugo acheva sa brève existence dans une série d’éclairs violets et de gerbes d’étincelles du plus bel effet.
La salle de la terre féconde et nourricière offrit au groupe téméraire un piège qui portait manifestement la signature de Charles Merritt. Le parcours aventureux était ponctué de mille délices nommés fort à propos sables mouvants, glaise collante, gangue de boue enfermant dans sa carapace les inconscients ou imprudents explorateurs, leur procurant une mort des plus éprouvantes en une petite dizaine de minutes.
Daniel Lin dut encore une fois se dévouer. Il ne rechigna pas à cette tâche. Passant en ultra vitesse, il contint magistralement la progression des sables et des boues meurtriers, les modelant en ponts et murs, secondé par Violetta devenue digue! Marteau Pilon, l’Artiste, Raoul, Harry et les autres franchirent ce niveau, frais comme des gardons.
Le jeu de rôles grandeur nature se poursuivit au grand dam de Zoël Amsq qui, dissimulé dans une salle dont tous ou presque ignoraient l’existence, montrait de plus en plus son agacement devant l’esprit d’équipe sans faille qui animait le groupe pourtant composé de pièces rapportées mais, qui, au fil des épreuves surmontées ensemble, formait maintenant une véritable famille! Chez les guerriers Haäns, seules la violence à l’état brut, la valeur individuelle étaient glorifiées, encouragées et magnifiées! Chaque guerrier combattait donc pour lui-même, révélant sa valeur, son courage et son ardeur, ignorant ses frères d’armes. Combien de batailles avaient été perdues par ce manque d’esprit de corps!
Merritt avait fini par rejoindre son allié. Avec détachement, il dit:
- Très cher, soyez persuadé que nous ne sommes pas encore vaincus! Nos points ont atteint les salles de mon musée spécial. Le premier, Daniel Wu entre dans l’antre des mammifères.
- Vous croyez au miracle! Lança Amsq glacial. Pas moi!
Par rapport aux précédentes, cette partie du musée paraissait fort anodine. Lourde erreur! Aux yeux d’un néophyte, elle n’offrait que des spécimens naturalisés d’innocents éléphants d’Afrique, de buffles, de rhinocéros, de lions, de léopards, de tigres, de lycaons, de bisons, d’hyènes, etc. Dans des recoins sombres, ces dernières se tenaient tapies. Un peu en retrait, un grizzly et un ours blanc se dissimulaient également. Leurs yeux de verre luisaient étrangement dans la semi pénombre. Dans ce silence qui vous enveloppait tel un linceul, les pas feutrés des visiteurs résonnaient insolites.
Le bruit léger et discret tira pourtant de leur apparente hibernation les animaux empaillés. Les mammifères s’éveillèrent brusquement de leur sommeil éternel. Il s’agissait d’une attaque concertée comprit Daniel immédiatement car les bêtes fonctionnaient selon une programmation précise. En une pico seconde, il sut aussi que celles-ci pouvaient identifier leurs proies avec leurs points faibles!
L’éléphant, le buffle et le rhinocéros choisirent de charger le daryl androïde et le danseur de cordes. De leur côté, les félin bondirent avec un bel ensemble sur Marteau Pilon. Un peu plus loin, le bison culbuta Raoul qui, grâce à son agilité proverbiale, parvint néanmoins à se glisser sous le corps de l’ongulé! Puis, tel un torero expérimenté, il se saisit d’un sac de couleur verte qu’il utilisa comme muleta pour se débarrasser de ce « taureau », l’obligeant à charger un paravent et à y enfoncer ses cornes. Bravo pour le jeune Arsène qui ne manquait pas de panache!
Le grizzly et l’ours polaire optèrent pour Harry; l’adolescent réchappa de très peu à leurs terribles griffes. Pendant ce temps, Violetta était acculée dans une sombre encoignure par les lycaons et les hyènes regroupées. Devant l’attaque, la métamorphe ne perdit pas son sang-froid; elle se transforma une fois encore en un charognard tout à fait répugnant, devint elle aussi une hyène rieuse dont l’odeur puissamment alcaline se répandit abondamment dans la salle! Ainsi donc, ses prodigieuses facultés lui permettaient d’imiter à la perfection tout animal ou humanoïde jusqu’à émettre des hormones odoriférantes puantes ou agréables.
Près du seuil, Tony Hillerman devait affronter des zèbres et des chevaux sauvages tout ruant!
Tiré d’affaire, Raoul s’émerveillait des capacités de la jeune fille.
« Pff! Décidément, elle aurait sa place au cirque Barnum! Dire que j’avais entamé un innocent petit flirt avec elle! Elle n’a rien d’humain! A quoi ressemble-t-elle en vérité? J’aimerais le savoir! ».
Dans ce muséum reconstitué, les effluves vous montaient rapidement à la tête car les animaux empaillés et pourtant « animés » dégageaient de puissants remugles de chairs avariées, de fourrures moisies et de peaux avancées. Pour un nez délicat, c’était insupportable! Mais le pire restait à venir…
Merritt s’impatientait de plus belle devant l’ingéniosité des intrus. Ce fut pourquoi il libéra des monstres artificiels supplémentaires. Deux niches de plus s’ouvrirent donc d’où émergèrent tout d’abord la momie du dieu ours K’Tou Broorh,
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retrouvée depuis peu dans un admirable état de conservation dans les glaces de Sibérie; toute maculée de mottes de terre et d’herbes séchées, et, un quart de seconde plus tard, le zombie Barmanou du Pamir qu’Antor avait affronté quelques temps auparavant. Comme de bien entendu, ce chaînon manquant entre le singe et l’humain avait été amélioré, plus exactement enlaidi par des bandelettes de laine de yack rongées par la putréfaction sur lesquelles on pouvait toutefois encore lire des sentences en tibétain et en népalais. Harry, libéré de ses assaillants s’écria:
« Le Migou! ».
Le visage de l’adolescent s’ornait d’un magnifique coquard à l’œil droit alors que Marteau Pilon arborait une estafilade à la joue, estafilade due à un coup de patte d’un ocelot vicieux, et une meurtrissure au coude droit à la suite de la charge du tigre du Bengale. Mais quel avait été le sort de ces félins?
Désormais, les splendides bêtes gisaient mortes sur le tapis précieux, leur nuque brisée. Cependant, les combinaisons peaux de protection de nos intrus étaient dorénavant en fort piteux état à la suite des multiples assauts, coups de sabots ou de griffes.
Cela n’amoindrit pas la vaillance de nos amis. Pour mettre un peu de peps à ce combat, un phonographe Edison se mit à moudre un enregistrement grésillant de grognements, de hennissements et de rugissements assourdissants.
A peine décoiffé par son combat, l’Artiste transperça le ventre du rhinocéros à l’aide d’un poignard de prix ciselé par Benvenuto Cellini lui-même, arme qu’il avait héritée de Galeazzo! La paille de l’ongulé se répandit sur le sol, ajoutant un peu plus à l’odeur nauséabonde de la pièce. Elle eut le même effet que le sang chez les fauves; les bêtes, se détournant de Hillerman et de Marteau Pilon, accoururent pour participer à l’hallali.
Durant tout ce temps, l’éléphant d’Afrique, obstiné, tentait toujours de saisir Daniel de sa trompe préhensible. Avec flegme, celui-ci esquivait sans peine; bientôt, il se lasserait et réduirait en poudre le mastodonte!
Violetta, qui se croyait momentanément à l’abri, dut déchanter. À son tour, elle se retrouva face à Broorh et au Barmanou! Prendre l’apparence d’une femelle K’Toue ne lui servit strictement à rien.
Un peu plus loin, les mustangs s’en prenaient à Hillerman. En moins de deux secondes, il allait finir piétiné! Armé jusqu’aux dents, le danseur de cordes sortit un petit bijou de pistolet d’une de ses poches et visa le chef du troupeau; un bang sonore éclata et la tête du cheval sauvage explosa, laissant apparaître un cerveau mécanique qui crépita et se calcina en quelques secondes. Les ordres n’étant plus transmis à la horde, le reste des équidés, zèbres y compris, s’arrêta net dans son élan, figé dans d’absurdes poses. Tellier avait trouvé la faille. Il cria, ordonnant:
« Imitez-moi! Visez les têtes! ».
Les revolvers tonnèrent alors à qui mieux mieux et les traits de feu illuminèrent la salle. Le jeu cruel était terminé! Une théorie d’ours, de lions et d’hyènes s’abattit, décapitée ou transpercée. Tandis que le chef des animaux empaillés flambait avec de belles lueurs orangées parcourues d’éclairs bleutés, le dieu ours et le Barmanou se désagrégèrent! Bientôt, il ne resta d’eux qu’un tas de boue et de bandelettes souillées au-dessus desquels bourdonnèrent des mouches venues de nulle part.
Merritt s’était repu de ce spectacle qu’il avait particulièrement apprécié. Un bref instant, il avait espéré en finir avec les intrus. Mais il avait compris et, au contraire de Zoël Amsq, parvenait à dissimuler sa colère.
- Vous m’aviez averti que ce Daniel était dangereux, je l’admets, mais vous aviez omis de me signaler qu’il en allait de même pour ses compagnons!
- Mon très cher allié, vous n’avez pas encore vu tout ce dont est capable ce métis!
- Là, vous me faites peur! Activons le reste des pièges. Je veux pouvoir en juger par moi-même!
Dans son for intérieur, Amsq songeait:
« Bizarre! S’il le voulait, Daniel Lin serait déjà parvenu jusqu’à Irina… Que mijote-t-il donc? ».
Maintenant, la bande parcourait les dioramas des mammifères polaires et forestiers, reconstitutions des plus inoffensives. Pour leur époque, ces représentations zoologiques étaient à l’avant-garde, annonçant celles, devenues courantes, des muséums de la deuxième moitié du XX e siècle.
Chevreuils, cerfs, daims, sangliers ou renards avec leurs petits se laissaient admirer dans leur milieu naturel, arborant des attitudes réalistes. Violetta, très sentimentale, laissa couler une larme pour le groupe de mignons renardeaux naturalisés qui jouaient ou se grattaient les puces sous les yeux attentifs de leur mère.
« Les pauvres! Ils sont si adorables! Jeta-t-elle. Si je tenais le chasseur qui les a abattus… ».
Raoul persifla:
- Ouais! C’est bien une réflexion de fille, ça! Tu as mal regardé ma belle! Cette scène idyllique est aussi cruelle que la nature! Vois! La maman renard vient d’égorger un marcassin qu’elle s’apprête à donner à dévorer à ses chers petits diables!
- Pourquoi n’y a-t-il pas de piège? Hasarda Hillerman.
- Un oubli ou un ennui mécanique, proposa Tellier.
S’enchaîna enfin la salle des oiseaux, tout aussi superbe que les précédentes. Face au groupe des intrus, les vitrines des classements par espèces se dévoilaient. De nouveaux dioramas révélèrent leur splendeur. A gauche, les milieux humides avec canards, échassiers, poules d’eau et ainsi de suite. A droite, les prédateurs du jour et de la nuit. Les chouettes effraies, hulottes ou chevêches,
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figuraient dans un grenier, se repaissant des cadavres de loirs ou de mulots. Aucun brin de paille, aucune poutre, aucune toile d’araignée ne manquaient! Les hiboux, - grands, moyens et petits Ducs-, étaient perchés sur un arbre mort, sous un ciel étoilé et une lune stylisée.
Mais il y avait bien d’autres rapaces: autours, buses, faucons, éperviers, aigles, milans, balbuzards…
De leur côté, corneilles, choucas et corbeaux freux croassaient. Le réalisme tant recherché par sir Charles Merritt l’avait une fois de plus conduit à animer les différentes scènes par des enregistrements de cris et de hululements de ces volatiles. Ainsi donc, les pies jacassaient, les étourneaux piaillaient tandis que des « hou hou! » agaçants tendaient à l’extrême les nerfs des intrus, ajoutant à la cacophonie ambiante!
Alors que les yeux des chouettes effraies et des hiboux phosphoraient dans la pénombre, chacun s’attendait à un nouveau tour de Zoël ou de sir Charles ou, pourquoi pas, à une intervention de Cornelis van Vollenhoven.
Les prédateurs ailés finirent par s’élancer sur les humains comme escompté, leurs serres écorchant profondément les épaules et leurs becs vicieux visant les yeux. Bien évidemment, les oiseaux automates, une nouvelle fois, étaient remarquables de précision et de miniaturisation. Leurs mouvements imitaient le naturel avec un art consommé, et, pourtant, ils ne devaient rien à Zoël Amsq. Comparé à eux, le célèbre canard de Vaucanson ressemblait à un vulgaire jouet à remontoir des plus ordinaires!
Les corbeaux et les hiboux s’en prirent à la longue chevelure de Violetta alors que l’aigle royal avait choisi Daniel. La nuée de volatiles était si serrée qu’elle créait un véritable brouillard autour des humains ou apparentés, le tout dans un volume sonore tel qu’il pouvait vous crever les tympans si vous y restiez un peu trop longtemps exposé!
Ce fut au moment le plus inopportun que la partie piégée inventée par l’explorateur néerlandais se mit en branle. Des caches du sol et du plafond surgirent des fusils de chasse! Des canons jaillirent des volées de plomb et de balles qui s’en vinrent trouer la peau non pas de nos amis mais bel et bien les rapaces! Pourquoi une telle erreur?
Les intrus, grâce à l’hyper vitesse de Daniel Lin avaient pu trouver refuge dans une nouvelle salle qui, elle aussi, dégageait des remugles saisissants. Seul Kiku U Tu se serait trouvé à l’aise auprès des dépouilles de ses frères inférieurs. L’odeur formolée vous saisissait et déclenchait des nausées et des rejets acides. Il valait mieux pour les explorateurs ne pas avoir dîné ce soir là!
Des momies de caïmans, de crocodiles, de gavials, de lézards, de geckos, de caméléons, iguanes, cobras, najas, boas, crotales, sucuris, pythons, serpent corail, rampaient résolument vers les humains.
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Leur contact visqueux et froid répugnèrent à Raoul et à Harry.
Le jeune Sucuriju, un spécimen de seulement sept mètres cinquante, trouvé et conservé par Cornelis, se lova tendrement autour des jambes de Daniel Wu! Sympathisait-il avec lui?
De leur côté, les redoutables mâchoires de sauriens voulaient happer Tellier et Harry. Mais l’issue de secours fut découverte par Hillerman qui avisa fort à propos un soupirail. Tous y grimpèrent avec agilité, certains marquant davantage leur soulagement. Ainsi, le dégoût de Marteau Pilon décupla son hardiesse. Harry et Raoul passèrent les derniers non sans avoir pincé volontairement le vieux colosse!
Dans le nouveau local, Tellier ralluma un rat de cave.
- Je pense que nous ne sommes plus trop loin des cachots, proféra-t-il.
Peut-être avait-il prononcé cette phrase sciemment car la voix rauque et grave de Amsq retentit derrière un microphone primitif.
- Vous croyez donc atteindre votre but? Vous commettez une grave erreur! La libération d’Irina Maïakovska et de Louise de Frontignac ne figure pas dans nos plans!
Daniel leva un sourcil. Les paroles à double sens du Haän l’interpellaient. Alors que la petite salle s’éclairait, le commandant avait compris les propos de son adversaire privilégié.
« Manifestement, il sait! », se dit-il.
Le lieu était garni d’une dizaine d’étagères qui entouraient intégralement les murs. Dessus, des bocaux parfaitement alignés contenant du formol ou autre, liquides qui s’irisaient de nuances diverses, suivant les jeux de lumière. A l’abri, dans une salle inaccessible, Merritt se pavanait comme un paon. A son tour, il s’exprima dans le micro. Lui ignorait encore que l’épouse de Daniel n’était plus en son pouvoir! Amsq s’était bien gardé de le prévenir.
- Comme je m’adresse à des gens cultivés, fit-il doucereusement, je puis vous révéler que la tératologie est un de mes domaines de prédilection. Si les créatures de Dieu, les monstres innocents comme on les appelait autrefois, ne vous rebutent pas, vous en accepterez leur contact! Les voici qui viennent à vous en amis.
- Quelle nouvelle diablerie nous prépare ce gonze? Lança Raoul avec une bonne humeur feinte.
L’adolescent ignorait la signification du terme « tératologie ».
Lentement, avec un suspense calculé, des panneaux se déplièrent, dévoilant des gravures et des eaux-fortes des siècles passés sur lesquelles figuraient, magnifiquement reproduites, des créatures fabuleuses mais difformes, parmi les plus déshéritées de la Création! Jugez un peu: siamois monocéphales, nains ou géants boursouflés, insectes velus, scorpions mous, araignées bicéphales à quatre paires d’yeux luminescents, monstres humains doubles ou triples, lithopédions, calmars confondus avec des évêques, et ainsi de suite. Les bocaux contenaient les mêmes horreurs.
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Sadiquement, Zoël enclencha des ultra sons et les récipients se brisèrent tout naturellement!
Les créatures prirent vie grâce au savoir cybernétique d’Amsq allié à la science de l’automation et des algorithmes mathématiques de Merritt, le tout hérité plus ou moins lointainement de l’école de Boole et de Babbage.
Des cohortes de mygales, de scorpions de toutes tailles et de toutes couleurs, des tarentules répugnantes, des fœtus à plusieurs corps et plusieurs têtes, ou encore dotés de membres surnuméraires, couverts d’un duvet appelé « lanugo », des scolopendres interminables, des cafards, des scarabées volants, des tentacules gluants de calmars envahirent l’étroite salle, submergeant nos amis.
Un porcinoïde à tête supplémentaire siamoise se colla au dos de Daniel. Il appartenait à la collection privée d’Amsq. Frédéric Tellier fut presque noyé par des veuves noires rampantes tandis qu’un hideux fœtus macrocéphale dépourvu de jambes, recouvert d’un duvet verdâtre, s’agglutinait au visage de Tony Hillerman dans le but manifeste de l’étouffer!
Le sort de Violetta n’était guère plus enviable. Elle se retrouva aux prises avec des mille-pattes des plus attachants! Malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à en écraser un seul! Les autres membres du groupe avaient affaire à d’autres monstres tout aussi repoussants.
Comment sortir de ce piège? Ouvrir un tunnel dans les inter dimensions? Daniel s’y refusait. Ce fut Merritt qui offrit à ses ennemis l’échappatoire!
Un toboggan s’ouvrit sous leurs pieds que tous empruntèrent malgré eux! La vitesse de la glissade fut telle que les créatures lâchèrent leurs proies. Tandis que sir Charles était occupé à préparer le piège suivant, Zoël Amsq s’était esquivé. Il lui fallait localiser au plus vite Irina et Louise. Pour cela, il était nécessaire de supprimer le champ de force qui brouillait toutes les communications quelque peu sophistiquées.

***************

Pendant ce temps, André Fermat pilotait toujours la rame du métro clandestin à travers un lacis de tunnels plus ou moins étroits, bref un labyrinthe digne du Minotaure! Le signal capté par la petite invention de Daniel, qui permettait de localiser quelque part le bio translateur tant convoité, ne s’était pas interrompu, mais restait faible, ce qui avait pour inconvénient d’engendrer de nombreuses erreurs et rectifications de parcours. Plus d’une dizaine de fois, le commandant dut faire marche arrière. Or, les manœuvres n’allaient pas sans problèmes.
André n’avait jamais piloté d’aussi antiques mécaniques! Le groupe perdit ainsi une bonne demi-heure! Alors qu’il croyait parvenir au but, un tunnel s’effondra juste devant la loco. La marche arrière fut faite en catastrophe et nos amis manquèrent être étouffés par les éboulis et gravats provenant des taupinières du géophage! Réellement, il s’en était fallu d’un cheveu que tout le monde pérît dans l’aventure! Bagne grisouteux ahanait, son cœur toquant sourdement dans sa poitrine.
Après cet incident, la forte lampe de la motrice éclaira de nouvelles présences humaines. Irina, Louise de Frontignac, Antor et le géophage apparurent, plus ou moins crottés et poussiéreux. Aucun membre du groupe Fermat ne marqua son étonnement. Et pourtant, il y avait de quoi!
Antor, le diplomate, se rencontrait lui-même, en beaucoup plus jeune! Or, le plus récent prisonnier de Merritt n’était pas encore habitué aux paradoxes temporels. Son visage, tout d’abord impavide, afficha en premier lieu la franche surprise, puis la colère. Quelque peu dépassé, le jeune vampire croyait avoir affaire à des imposteurs. N’écoutant que son instinct, il se jeta sur son double, avec l’intention de lui arracher un masque hypothétique!
Captant un message télépathique de son jumeau, il s’arrêta net dans son élan.
- Halte, mon vieux! Pas d’énervement! Tu ne vas pas te tuer toi-même, non?
- Menteur! Imposteur! Hurla mentalement le plus jeune. L’autre aussi est un simulacre!
Il désignait ainsi Fermat qu’il prenait pour un leurre, une réplique du vrai. Les quelques mois de souffrance qu’il avait vécus ne lui permettaient plus de réfléchir calmement, logiquement. En fait, il n’y avait pas assez de temps qu’il connaissait Daniel et ses amis et ignorait donc ce dont le groupe était capable d’accomplir.
- Ah! Que toute cette scène est pénible! Poursuivit mentalement l’Antor ambassadeur. Comment agir pour te convaincre? Je suis déjà passé par les mêmes épreuves, mon frère, mon double! Je sais ce que tu ressens. Quelle étrange expérience que de revivre cela sous un autre angle! Tiens, écoute! Voilà ce qui va advenir dans les prochaines minutes: grâce au géophage, nous allons rejoindre sans encombre la surface, et, bien sûr, l’aube va t’incommoder. Tu vas souffrir du soleil qui se lève; ta peau va se couvrir de cloques. A moitié aveuglé, tu vas vaciller jusqu’à une pompe anti-incendie, puis te recroqueviller contre elle et l’inattendu va survenir! Un champ d’énergie va t’entourer, t’envelopper et te transporter loin d’ici, dans le temps et dans l’espace; tu vas atterrir dans une île des Caraïbes en 1969 et, alors, seulement, tu comprendras ce qui s’est passé! Pour ne pas perturber le cours du temps, tu garderas le silence de nombreuses années, jusqu’à ce que la boucle soit bouclée…
- Je ne te crois toujours pas! Hurla à haute voix le jeune Antor, changeant de mode de communication.. Ce que tu racontes ne tient pas debout! Tu prétends être une version de moi-même mais plus âgée! Si, dans ce cas, les années ont passé, pourquoi André Fermat a-t-il le même âge que le jour où j’ai disparu?
- C’est donc cela qui vous trouble tant! Fit le diplomate.
S’avançant vers le jeune Antor, le Français lui fournit des explications rapides.
- Souvenez-vous! J’étais avec vous en Lozère en 1995, dans une base militaire secrète, à près de mille mètres de profondeur; nous devions délivrer le capitaine Daniel Wu qui s’était mis dans un sacré pétrin! Un court moment, nous fûmes séparés par des champs anentropiques. Certes, l’incident ne dura que quelques secondes, puis, tout parut revenir en place. En fait, j’avais été dupliqué! Je suis donc le double du Fermat originel, celui qui poursuivit la mission en 1995, vous savez laquelle… Moi, je viens de 2517 alors que le premier Fermat est décédé en 2516!
- Peuh! Comme c’est facile! Je n’ai aucun souvenir de matérialisation de champs anentropiques!
Kiku U Tu, énervé, bondit sur le plus jeune Antor et aboya:
- Ambassadeur, je sais comment vous convaincre! J’en ai plus qu’assez de perdre des minutes fort précieuses! Vous ne m’avez pas encore vu! Vous ignorez donc que ma race existe! Peut-être, cependant, avez-vous aperçu quelques hologrammes de mes congénères, du défunt Khrumpf par exemple? En tout cas, je vous jette en face ceci! J’ai un compte à régler avec vous, un œuf à peler comme disent si bien les humains depuis l’incident Kilius et Stamon!
Une main glacée se posa sur les écailles du Kronkos.
- Allons, lieutenant U Tu, dit l’Antor plus âgé avec un calme porteur de menaces, tout ceci est de l’histoire ancienne! Laissez là votre colère et votre haine. Vous l’avez rappelé vous-même: nous perdons un temps précieux. Le souvenir cuisant de votre défaite n’appartient pas à cette chrono ligne! Oubliez donc la correction que je vous ai infligée à la suite d’un interrogatoire du troisième degré mené contre un innocent sous peine de subir un nouvel affront!
Les écailles de Kiku s’irisaient et s’humidifiaient, signe avant-coureur de sa rage qu’il n’allait pas contrôler longtemps. Il bavait abondamment; mais son cerveau reptilien était tout de même capable d’additionner 1+1! Deux Antor, c’était trop risqué à affronter!
Fermat conclut:
- Voici comment nous allons procéder. Antor numéro 1 va rejoindre la surface avec le géophage. Vous Irina, avec Louise, vous sortirez par les égouts un peu plus loin. Nous, nous allons poursuivre afin de récupérer le bio translateur. En aucun cas, nous ne devons suivre le tunnel en sens inverse. Compris?
Irina objecta:
- Vous supposez donc que le bio translateur n’est plus chez Sanders mais chez Merritt. Ce train que vous avez emprunté, je l’ai déjà vu un peu auparavant, dans une autre galerie. Il était alors lourdement chargé. Pour rejoindre le boyau, il faut avancer de trois cents ou quatre cents mètres, sur le même niveau, puis bifurquer sur la gauche, dans un tunnel qui remonte tel un funiculaire.
Fermat esquissa un sourire et remercia.
- Bien, capitaine! Mais je ne vous lâche pas dans Londres seules! Le Piscator et Pieds Légers vous accompagnent. La plus proche plaque d’égout se situe à cent vingt-cinq mètres sur la droite. Le reste de mon équipe va tenter de récupérer le bio translateur comme prévu et peut-être prêter main forte à Daniel.
Le plan se déroula tel quel. La motrice repartit avec le plus âgé des vampires, Fermat, Kiku U Tu, Bagne grisouteux et Monte à regret. Le jeune Antor, comprenant que sa liberté approchait, avait obéi et suivi Irina. Celle-ci, d’ailleurs, trouva bientôt la susdite bouche d’égout à l’endroit désigné. Les quatre humains débouchèrent dans une ruelle à proximité de Victoria Station. Le premier Antor s’était séparé quelques secondes auparavant du petit groupe et ayant abouti dans une impasse, à demi brûlé par le soleil, il avait heurté la pompe à eau. Recroquevillé sur lui-même, il fut rapidement happé par une autre réalité.
La créature souterraine, toujours à la recherche de sa mère, ne s’attarda pas à la surface. Elle regagna les dessous boueux de « l’atelier du Monde », gardant toujours au fond d’elle-même espoir de voir ainsi aboutir sa quête.
Pendant ce temps, la locomotive avait atteint le monte-charge. Là, le groupe de Fermat abandonna ce transport pour l’ascenseur. Nos amis atterrirent au cœur même du poste de commande où Zoël Amsq avait rejoint Charles Merritt. Le Haän avait pu localiser les fugitives mais bien trop tard! Il lui fallait désormais organiser sa fuite ainsi que celle de ses alliés provisoires. La première bataille était perdue. Varami derrière son maître, informait les deux hommes de son échec chez Lord Percy. Il n’y avait qu’une minute qu’il était arrivé. Cependant, dans ce désastre, le bio translateur restait bien protégé, gardé par van Vollenhoven et Anta.
Mais voilà! Le groupe de Fermat surgit inopinément et prit au dépourvu Merritt et consorts! Toutefois, Amsq ayant activé sa combinaison peau en mode invisibilité, il ne fut pas détecté par les intrus. Sir Charles eut la présence d’esprit de ne pas révéler la présence de son allié.
Kiku U Tu, André et Antor usèrent de leurs disrupteurs et le Flamand et le Lapon sombrèrent dans l’inconscience. Or, toujours invisible, alors que Kiku pointait une nouvelle fois son arme mais en direction du Britannique, Zoël mit en branle le système de destruction des souterrains. Puis, il activa un champ de force qui eut pour résultat de le protéger des rayons meurtriers du Troodon et de ses compagnons.
Les rayons brûlants se réfléchirent contre le bouclier anentropique portatif mis en action par l’extraterrestre. Fermat comprit aussitôt ce qui se passait, d’autant plus, qu’à son tour Merritt devenait invisible!
- Ah! Quel idiot je fais! Amsq était ici, invisible! Il vient d’actionner un champ de protection…
- Pas seulement, fit Antor avec philosophie. Ses amis disparaissent téléportés non par des moyens techniques habituels mais grâce aux Pi! Voyez l’aura qui entoure nos adversaires, les dérobant à notre vue.
- Vous avez raison.
Pendant la télé portation, Merritt lança perfidement:
- Il était plus que temps, non?
- De quoi vous plaignez-vous, mon cher? Ne sommes nous pas désormais tirés d’affaire?
- Mais ma nièce Daisy, Igor et mes serviteurs sont restés là-bas alors que vous avez enclenché l’autodestruction!
- Je vous pensais sans cœur, Sir Charles. Je n’allais tout de même pas m’encombrer de tels poids morts!
Merritt eut un léger frémissement, mesurant enfin la cruauté de Zoël. Était-ce un atout ou une mauvaise carte? Une milliseconde, le mathématicien hésita, presque prêt à remettre en cause son alliance avec plus mauvais que lui. Mais l’appât du pouvoir fut le plus fort.

***************

A bord du toboggan où se trouvaient Daniel, Raoul, Harry et les autres, la descente s’était transformée en tours de grand huit!
Sens dessus dessous, cette attraction de foire entraîna nos héros dans des virages, des vrilles, des tonneaux, des boucles apparemment sans fin à l’intérieur d’un tunnel qui semblait rétrécir à chaque seconde. Seul le commandant Wu réchappa aux nausées.
Lorsque cessa enfin ce tour du diable, Marteau Pilon flageolait sur ses jambes, tandis qu’il peinait à accommoder sa vue et que les oreilles lui sifflaient. Cependant, Tellier recouvra son équilibre presque instantanément. Violetta s’inquiéta pour ses cheveux, sa coiffure hirsute faisant croire qu’elle n’avait point fait usage d’un peigne ou d’une brosse depuis au moins un mois!
Daniel Lin et ses compagnons avaient en fait atteint la galerie des cachots dans lesquels les monstres prisonniers quémandaient leur liberté avec des chuintements ou pour les plus violents avec des cris rauques et des grondements.
- Théoriquement, c’est ici que nous aurions dû retrouver mon épouse, fit le commandant, mais Fermat me communique mentalement que Louise, Irina et Antor, le plus jeune, sont désormais sains et saufs. André rajoute qu’il va essayer de récupérer seul le bio translateur. Cette initiative me laisse perplexe…
- Vous voulez rejoindre l’ambassadeur? Déclara Tellier. Dans ce cas, empruntons le même trajet que les évadés.
- Certes, Frédéric, mais, auparavant, il nous faut libérer les infortunés captifs de Merritt.
Violetta acquiesça avec enthousiasme et se hâta de tripatouiller les serrures compliquées des cellules. Harry et Raoul lui prêtèrent main forte, ajoutant au mécontentement de l’Artiste.
- Daniel, nous perdons du temps! Ce n’est pas là notre but! Nous devions nous contenter de faire diversion…
Piquée au vif, l’adolescente se retourna et rétorqua les lèvres pincées:
- Ah! J’attendais cela! Que vous dévoiliez votre esprit obtus et sans compassion! Vous appartenez entièrement à ce XIXe siècle positiviste, trop persuadé de votre supériorité supposée! Pour vous, il n’y a que l’homme blanc et sa civilisation qui comptent! Sachez, monsieur Tellier, que je ne partage pas, loin de là, ce point de vue des plus étriqués! Tous les êtres vivants sont frères sous les étoiles et il est du devoir des plus forts d’aider les plus faibles!
- Ma nièce, lança Daniel avec un léger sourire ironique, se croit au XX e siècle où l’on a inventé le droit d’ingérence humanitaire! Cela par la faute d’un séjour trop prolongé dans ledit siècle!
L’Artiste préféra ne rien ajouter à la diatribe de la jeune fille courroucée. Il ne voulait pas envenimer la situation même s’il ne supportait pas qu’une enfant de quatorze ans lui fît ainsi la leçon.
Le nain Tibor fut le premier à recouvrer la liberté. Il fut bientôt suivi par ses compagnons de misère, l’homme crocodile, l’Améranthropoïde, l’incube aux multiples visages, l’hydrocéphale asiatique, l’homme oiseau, l’homme chenille, - sorte d’émule du prince Randian-, absolument dépourvu de membres.
Alors que les adolescents pensaient que tout allait pour le mieux, leurs oreilles captèrent un bruit ténu qui s’amplifiait. Il s’agissait de pas rapides provenant d’une course précipitée. Des dizaines d’automates et de poupées, armés de couteaux, épées, sabres, fusils et autres engins de mort, surgirent au détour d’un couloir, à l’instant précis où les trappes s’ouvraient juste au-dessus des voûtes des cachots!
Des flammes ardentes et rugissantes jaillirent, envahissant l’immense salle souterraine. Le feu activé par Amsq devait à la fois éliminer Daniel et ses amis et détruire les Freaks!
Tibor, mû par une peur bien compréhensible, s’enfuit. Hillerman et ses compagnons préférèrent rester et combattre à la fois l’incendie et les automates tueurs alors que Violetta se chargeait de calmer l’épouvante des créatures disgraciées.
Daniel, après avoir brisé une quinzaine de poupées mécaniques, reçut un nouveau message d’André:
- … Ainsi Merritt et ses complices ont pu récupérer le bio translateur! C’est fort regrettable! Puis ils ont été téléportés grâce à l’intervention des Pi…
Fermat poursuivit sa communication mentale.
- Où en êtes-vous de votre côté?
- Ici, ça chauffe! Nous avons également sur le dos des automates enragés!
- Bigre! Je crois que vous êtes troublé puisque vous usez d’un langage peu châtié! Vos combinaisons masques?
- Vous avez saisi, André! Deux minutes de résistance à tout casser!
- Tenez bon! Nous empruntons le monte-charge pour faire plus vite!
- Je ne suis pas inquiet pour moi, mais pour les autres…
- Bien sûr!
Le feu grondait, augmentait en intensité, rappelant ainsi à nos amis qu’ils avaient fort peu de chance de s’en sortir. La fumée piquait, faisait tousser ou hoqueter les créatures, sauf les artificielles.
Comme dans un film d’horreur de dernière catégorie de la fin du XX e siècle dans lequel la monstrueuse Chucky tenait la vedette, bi bande très prisée par les adolescents boutonneux, gavés de hamburgers et abreuvés de cola, une nouvelle troupe d’automates ayant l’apparence de Bébés Jumeau et Bru, sans oublier les marionnettes de Punch et Judy,
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assaillit nos Terre-Neuve, mais aussi les Freaks!
L’incube à visages et bouches multiples se défendit âprement, happant et dévorant les hideuses poupées! Sous les dents de l’extraterrestre, les têtes en cire éclatèrent, ou bien encore fondirent sous l’ardente chaleur. Une fois encore, tout l’esprit cruel et pervers de Sir Charles se révéla; les automates dissimulaient des cadavres de bébés activés par des servomoteurs.
Violetta, devant cette abomination, pâlit et jeta rageusement:
- Ce Merritt devrait être enfermé dans un asile d’aliénés, et finir sa vie dans une cellule capitonnée! Si j’en ai l’occasion, je le cryogénise moi-même pour l’éternité!
L’homme crocodile succomba par asphyxie. Ses écailles noircirent, se calcinant, dégageant une odeur alcaline où se mêlaient des remugles de vase.
Mais encore et toujours d’autres hordes d’automates, cette fois avec une taille adulte, revêtus qui, d’uniformes de grenadiers de la garde napoléonienne, qui de ceux des grenadiers géants chers au vieux Fritz, ou qui, de Horse Guards du temps de Wellington!
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Pas un galon ne manquait à cette reconstitution des plus exactes! Les fusils à pierre fonctionnaient réellement avec cependant une légère modification. Au lieu de tirer de petites balles rondes, ils déchargeaient des rayons brûlants des plus meurtriers!
Mécaniquement, ces soldats d’opérette visèrent avec un bel ensemble nos héros et le Freaks. L’incube fut frappé à mort et tomba au milieu des flammes alors que Marteau Pilon, blessé au gras du bras, gémit sa douleur. Le colosse était douillet! A la vue de son propre sang, il blêmit, faillant presque perdre connaissance.
Les disrupteurs de Daniel, Violetta, Hillerman et Tellier répliquèrent, faisant mouche à tous les coups. Les soldats de la guerre en dentelles s’effondrèrent, désactivés. Leurs affreuses faces de cire se brisèrent et, au contact de l’air délétère, les chairs se putréfièrent.
Le local fut empuanti par l’ozone, l’odeur de pourriture et de brûlé, ajoutant à ce pandémonium. On se serait cru au neuvième cercle de l’Enfer!
Implacablement, le feu gagnait. C’était un pur miracle que nos héros fussent encore en vie! Alors qu’on pouvait penser qu’ils allaient abandonner, submergés et par le nombre et par l’incendie, de nouveaux tirs prirent à revers les proto androïdes. Enfin, tel le Septième de Cavalerie de Lucky Luke, André, Antor, Kiku et les autres arrivaient en renfort, avec un léger retard, non?
En tête du groupe, le Troodon affichait une forme éblouissante et une mortelle efficacité. La chaleur affûtait ses réflexes mais le rendait également furieux. Au top du top, sa queue envoya valdinguer par-dessus les flammes, hussards, fusiliers, horse Guards et grenadiers, sans distinction, tandis que ses griffes recourbées déchiquetaient et étripaient joyeusement les mécaniques humaines! Dans son élément, le lieutenant de la sécurité en profitait pour happer au passage, des intestins plus ou moins avancés. Comme on le voit, le Kronkos se battait sans retenue. Après tout, pourquoi s’encombrer de scrupules, puisqu’il se trouvait dans un siècle non civilisé? Ici, les interdits de la flotte des 1045 planètes ne s’appliquaient pas quoi qu’en dît son commandant!
Excités par le sang, l’Améranthropoïde, l’homme oiseau et le macrocéphale asiatique, leur haine décuplée, faisant fi du feu de plus en plus actif, participèrent à l’hallali. Encore quelques secondes et c’en serait fini de tous! L’incendie n’allait pas tarder à atteindre le premier sous-sol où les dynamos étaient entreposées. Bientôt, une explosion générale s’ensuivrait.
Or, le témoin environnemental de Fermat indiqua que le champ de force mis en place par Amsq venait de s’effondrer. Gardant toujours la tête froide, l’ambassadeur enclencha opportunément la télé portation. Juste à temps!
Une terrible et soudaine déflagration secoua l’avenue, engloutissant monstres et mécaniques. Pourtant, une aile avait résisté. L’ouïe développée de Daniel capta des cris et des gémissements d’enfant.
- L’assassin! Murmura-t-il à l’adresse de Merritt certainement.
Avant de passer en hyper vitesse, il jeta à Fermat:
- Ne m’attendez pas! Je sais où vous rejoindre. Je vais chercher Daisy Neville et le nain qui a disparu!
André leva un sourcil de désapprobation et rétorqua:
- Bon sang! Toujours vos sacrés instincts de Terre-Neuve! C’est de la folie, même pour vous!
- Moi, je trouve qu’il a du panache, s’exclama Raoul. Peut-être vais-je le prendre en exemple! Quel homme!

***************

Quelques minutes auparavant, Igor Gowanovski reposait, dolent, dans une chambre du premier étage de l’immense demeure. Le Russe se remettait difficilement de la morsure d’Antor. Sa plaie béante au cou ne cicatrisait pas et le pansement qui l’entourait était déjà tout imbibé de sang alors qu’il n’y avait pas une heure qu’il avait été changé. Si Igor avait été un des personnages des films de la Hammer il y a longtemps qu’il se serait métamorphosé en vampire!
Puisant dans ses rares forces qui lui restaient, Gowanovski tira avec insistance le cordon de la sonnette, espérant la venue de Sir Charles ou d’un infirmier anonyme. Il attendit ainsi trois minutes et, lorsque la porte de sa chambre toute lambrissée grinça, il crut que quelqu’un venait le soigner. Dans la semi pénombre, il ne parvenait pas à distinguer qui venait d’entrer.
- Sir Charles, est-ce vous? Balbutia-t-il. Je me vide de mon sang! J’ai besoin d’un coagulant au plus vite!
Ses yeux embrumés devinèrent une petite silhouette s’approchant de lui. L’inconnu était armé d’un tranchoir! Promptement, Tibor bondit sur le lit du malade, brandissant son arme improvisée.
Acceptant son sort, se sachant déjà condamné, qu’aurait-il gagné comme minutes supplémentaires de vie, Igor articula doucement:
- Spaciba!
Sans le moindre tremblement, Tibor plongea le tranchoir dans la poitrine de son ancien tortionnaire. Il voulut réitérer son coup mais une poigne puissante l’arrêta. Gigotant comme un démon, le petit homme essaya en vain de taillader les mains de l’intrus, son sauveur en fait!
Daniel dut alors se résoudre à endormir Tibor à l’aide d’une prise neurale helladienne. Se penchant ensuite sur le Russe, il vit qu’aucun souffle ne s’échappait de ses lèvres. Igor avait rendu son âme dévoyée à Dieu ou à son opposé.
Revenant sur ses pas, abandonnant le nain, le daryl androïde partit à la recherche de Daisy tandis qu’une épaisse fumée noire envahissait toute l’aile. La fillette avait eu la présence d’esprit de se réfugier dans le fumoir de son oncle et de se glisser sous l’échiquier d’ivoire qui reposait sur un mignon guéridon. Malgré la chaleur, elle grelottait de terreur!
Daniel capta une pensée confuse et se dirigea alors en hyper vitesse dans la bonne direction. Ne comprenant pas ce qui arrivait, Daisy se sentit soulevée par un providentiel tourbillon, puis une fenêtre s’ouvrit miraculeusement et, toujours maintenue solidement, l’enfant plana une demi-seconde avant de se retrouver sur le pavé de l’hôtel particulier!
Toujours en hyper vitesse, Daniel parcourut le jardin puis sauta par-dessus les grilles comme s’il s’était transformé en criquet! Or, celles-ci s’élevaient à six mètres de hauteur! En deux secondes, il rejoignit la bouche d’égout qui tenait lieu de rendez-vous. Juste à temps! Le manoir explosait!
Au loin, on entendait distinctement les cloches des voitures de pompiers hippomobiles qui arrivaient à grand trot.
- Hé bien, oncle Daniel, ton timing était plutôt serré, non? Fit Violetta avec un humour forcé.
- Pauvre petite, s’apitoya Irina, attendrie par la fillette qui tremblait.
Tendrement, la jeune femme la prit dans ses bras. Hébétée, l’enfant se laissa faire pour la première fois de sa vie. Fermat, nullement ému, haussa les épaules et jeta d’une voix glaciale:
- Allons-nous donc regagner la navette Einstein dans cette tenue, encombrée de cette miss Daisy?
Daniel fixa son ancien supérieur et répliqua tout aussi froid et coupant:
- J’ai déjà dû abandonner Tibor dans l’incendie! Ne m’en demandez pas davantage! L’enfant sera confiée à qui de droit et, les créatures victimes de Merritt recevront un pécule qui leur permettra enfin de connaître une vie décente!
Louise de Frontignac s’avança:
- Je me charge de toutes les démarches. Confiez-moi Daisy.
Avec amertume, le Piscator constata:
- Nous sommes très peu de rescapés!
- Oui, compléta Harry. Six freaks vivants sur une trentaine! Un bien lourd bilan pour pas grand’chose!
Tellier hocha la tête et s’adressant au daryl lui dit sur un ton impossible à rendre:
- Que comptez-vous faire? Vous lamenter? Partir à la poursuite de Merritt et d’ Amsq?
- Me lamenter ne fait pas partie de ma nature, Frédéric! J’ai reçu pour mission de récupérer le bio translateur! Je mènerai à bien cette tâche, soyez-en certain! Rétorqua Daniel Lin.
- Bien; mais moi, c’est mettre la main sur Sir Charles qui m’intéresse!
- Mes amis, subordonnés et moi-même, le rejoindront! Je vous en fais le serment!
- Ah! Cela signifie que je ne suis pas invité à monter à bord de votre vaisseau volant!
- Exactement! Le règlement, Frédéric!
- Dois-je insister? Reprit l’Artiste.
- C’est inutile, proféra avec force André. Daniel Lin Wu n’a jamais manqué à sa parole. Les temps de Merritt et Zoël Amsq sont comptés!
- Je vous accorde ma confiance! Monsieur Fermat, topez-la!
Tellier tendit sa main à André. Le diplomate s’en saisit et la serra franchement.
- Oh! Je vois! Fit Daniel avec tristesse. Je ne mérite pas d’être de vos amis…
- Vous avez échoué car vous n’avez pas exactement suivi mon plan… mais si vous réussissez, mes sentiments à votre égard peuvent changer, Daniel.
- Je me contenterai donc de cette promesse.
Quelques heures plus tard, tous les menus problèmes avaient été réglés. Le groupe venu du futur allait se séparer de ses alliés de 1890 car le chrono vision avait pu localiser la présence de Sir Charles quelque part au XX e siècle. Cependant, Raoul parvint à rester avec les membres de l’Einstein! Avec un art consommé de la plaidoirie, il avait persuadé Fermat et le commandant Wu de son utilité. Avec une certaine réticence, Daniel en avait convenu. Pourquoi donc? En fait, le chrono vision avait montré que le futur gentleman cambrioleur avait effectivement un rôle important à jouer dans l’acte deux.

***************

A bord du vaisseau Langevin, dans l’arboretum, une paix relative régnait. Le lieutenant Georges Wu n’avait cure de l’alerte pourpre qui résonnait par intermittence. Après tout, il n’avait pas le statut de combattant! Pour lui, il était amplement l’heure de prendre son repas à la cafétéria. Avant d’emprunter l’ascenseur, il confia le secteur à son aide laborantin, l’orang-outan génétiquement modifié, Gllump, âgé de sept ans.
Quelques minutes plus tard, l’ingénieur, pénétrant dans la Taverne du Maltais, constata que la dizaine d’hommes qui s’y trouvaient arboraient à la ceinture des disrupteurs impressionnants. Bah! Le botaniste avait pris l’habitude des alertes. Une de plus! Cela ne changeait absolument rien à son quotidien.
Dans l’arboretum, le grand singe se sentait comme chez lui, le lieu lui rappelant la jungle de son pays natal, là où il avait connu le Paradis! C’était pourquoi il y passait la plus grande partie de son temps, y somnolant lorsque le lieutenant Wu avait fini son travail.
Gllump connaissait chaque arbre, chaque touffe d’herbe, chaque minuscule insecte. Les crapauds, les grenouilles et les lézards étaient ses amis. Cependant, aujourd’hui, il se sentait mélancolique. Quelqu’un lui manquait: Uruhu, le Néandertalien.
Seul l’homme d’une autre époque parlait la langue des orangs-outans, le langage sacré de Pi Ou. Le chef pilote absent, Gllump communiquait plutôt difficilement avec le xéno botaniste. Georges ne s’était pas senti la vocation d’apprendre à son aide l’ameslan. Une erreur qui allait coûter cher au vaisseau.
Pour le moment, le grand singe, installé nonchalamment sur deux lianes qui lui servaient de hamac, semblait rêvasser ses yeux dans le vague. Les orangs-outans étaient placides. Toutefois, ils étaient capables de penser, d’effectuer des tâches très complexes, bien plus sûrement que leurs cousins chimpanzés!
A cette seconde, ma mémoire de Gllump évoquait le visage d’Uruhu. Soudain, des blop blop inattendus interrompirent sa méditation, lui faisant tourner la tête et s’étirer. Avec une régularité surprenante, le bruit incongru persistait! Flegmatique, comme à l’accoutumée, ses mouvements très calculés, mais pourtant intrigué, Gllump entreprit de descendre de ses lianes, puis se dirigea vers le secteur nord de l’arboretum, là où des mangroves bordaient une mare.
Les yeux du grand singe scrutèrent alors la surface stagnante des eaux qui arboraient une couleur des plus inhabituelles. Une écume blanchâtre flottait formant une pellicule légèrement poisseuse. Malgré sa répulsion, sentant un danger, Gllump y plongea ses mains puis le nez. Alors, il distingua quelque chose qui l’inquiéta fort;
Brutalement, il releva la tête et aperçut, pendant du plafond, de grandes sauterelles munies de tarières! Des chapelets d’œufs gluants s’agglutinaient dans la vase. Lorsqu’ils tombaient, des blop plus ou moins sonores retentissaient.
Ah! Certes, le spectacle avait de quoi fasciner l’orang outan, mais l’inquiétude grandissait en son cœur. Précautionneusement, il recula et s’éloigna de la brise artificielle afin que les étranges insectes, les intrus, ne captassent pas son odeur!
Toujours méthodiquement, le pré humain se réfugia sous des branches d’arbre aux feuilles larges, un palétuvier. Il s’accroupit et se mit à réfléchir intensément.
Or, pendant ces précieuses minutes qui s’écoulèrent, des centaines de milliers d’œufs furent pondus. Le groupe envahisseur enfouissait ainsi la prochaine génération de libellules aquatiques dans la vase gorgée d’eau! Leurs mission accomplie, les insectes volants et amphibies se désagrégèrent tandis qu’à l’intérieur des œufs à peine pondus, les premières divisions cellulaires survenaient: en quelques dizaines de minutes à peine, elles aboutiraient à la morula, tout cela grâce à une sorte de drogue protéinique qui avait été incorporée à la gélatine de l’œuf, accélérant son développement.
En soixante-douze heures, les larves devaient éclore, et, en quatre jours, le nouvel être atteindre son âge adulte et sa différenciation! Si nécessaire, le nouveau Velkriss pouvait même se reproduire six jours après sa naissance. Ce programme accéléré de croissance ne débutait que lorsqu’il y avait une invasion à la clef!
D’autres groupes clandestins avaient pondu un peu partout dans le vaisseau, dans des endroits humides appropriés, cherchant chaleur et nourriture. Dans les laboratoires hydroponiques, dans les recycleurs des synthétiseurs, dans les gaines secondaires d’aération, dans les circuits de secours de maintenance des ordinateurs d’appoint, ou encore dans la piscine olympique d’entraînement!
Or, toutes ces zones étaient désormais peu fréquentées par l’équipage à la suite de l’état d’alerte! L’aide des Pi avait été décidément précieuse aux Velkriss! Ils avaient pu engendrer une faille dans les boucliers de protection du Langevin et téléporter leurs alliés sans qu’ils fussent détectés!
Certes, l’IA avait signalé quelques défaillances dans les secteurs de maintenance secondaire des ordinateurs, mais l’ingénieur en chef Anderson et son équipe, tout à fait débordés, avaient reporté les réparations à plus tard, bien trop occupés à restaurer les niveaux 18 à 22 du vaisseau, après le combat qu’il avait mené!
A la suite d’une longue dizaine de minutes de réflexion, Gllump avait enfin pris sa décision. De sa démarche chaloupée caractéristique, il s’avança jusqu’à l’intercom, appuya sa large main sur la touche sensitive et commença à émettre des grognements. Uruhu et Daniel avaient jugé inutile de lui greffer un vocodeur dans le larynx.
Dans la Taverne du Maltais les grognements du grand singe résonnèrent. Georges, qui finissait ses rouleaux d’automne, leva un sourcil, se demandant ce que Gllump voulait. Le barman, Kilius, un Castorii, apparemment resté fidèle à l’Alliance des 1045 Planètes, s’approcha.
- Lieutenant, si vous le désirez, je peux mettre de côté votre plateau. Votre orang- outan semble réclamer urgentissimement votre présence!
Haussant les épaules tout en se levant, Georges déclara fataliste:
- Gllump a un tempérament assez craintif. Il a dû voir se faufiler dans les herbes un serpent! Cet anthropoïde ne supporte pas les ophidiens! J’en ignore la raison. Une réminiscence sans doute de sa jeunesse… Malgré tout, je vais voir ce qu’il en est!
Georges Wu aurait nié être un incurable optimiste. Et pourtant! Il n’avait pas pris la mesure exacte de la situation. Il connaissait mal Gllump, et pensait celui-ci capable de s’affoler pour pas grand-chose. Il avait tort!

dimanche 11 juillet 2010

Mexafrica 1ere partie : La collection fantastique de Lord Sanders chapitre 7

Chapitre 7


Le noble Lord fut conduit sans ménagement dans un des salons de lhôtel particulier loué par Frédéric Tellier et le daryl androïde. Depuis quelques minutes déjà, Antor avait jeté le masque du domestique affable et attentionné, et poussait Percy à avancer, le menaçant dun lourd et solide revolver. Lord Sanders, quelque peu dégrisé par la peur quil éprouvait, ne comprenait pas doù pouvait surgir ce vampire qui, pour lheure, à sa connaissance, croupissait dans les caves spéciales de Sir Charles.

Antor jouait son rôle de garde-chiourme à la perfection. Au fond de lui-même, il se réjouissait de la mise en scène préparée par ses amis.

Tentant de conserver un restant de dignité, Lord Percy pénétra dans le salon aménagé en tribunal. Celui-ci était composé de Daniel Wu qui, évidemment, présidait, dAndré Fermat en procureur de la Reine, de Frédéric Tellier en assesseur, de Violetta en greffière, de Tony Hillerman en avocat de la défense, et de presque toute la bande du danseur de cordes en jurés, témoins et public.

Marteau Pilon et Uruhu encadrèrent le prévenu à son arrivée. Leurs poings ainsi que les dents et larme dAntor constituaient des arguments plus que dissuasifs pour le prisonnier qui ne tenta pas de séchapper. La nombreuse assistance gardait un silence hostile qui effraya davantage encore si possible Lord Sanders.

Pourtant, dans cette foule, quelquun manquait. Kiku U Tu. Avait-il été jugé trop monstrueux pour figurer dans cette comédie macabre? Assurément! Pour linstant, à bord de la navette Einstein, notre Troodon sennuyait ferme. Un petit interrogatoire musclé de Lord Percy naurait pas déplus au Kronkos belliqueux.

Lorsque Percival fut installé, les bras solidement ligotés, Daniel Lin prit la parole dune voix calme, sur un ton détaché.

- Je déclare solennellement ouverte la séance de ce tribunal habilité par nous-même à juger le criminel Lord Percival Sanders, ci-devant comte!

- Je ne comprends pas ce jeu! Balbutia lintéressé. Dabord, qui êtes-vous? Ce me semble, nous navons pas été présentés! De quel droit vous arrogez-vous….

- Prévenu, inutile de monter sur vos grands chevaux! Toutefois, je veux bien satisfaire votre légitime curiosité. Mon identité vous éclairera. Je suis lheureux époux dIrina de Plesenskaïa Maïakovska!

- Daniel Wu! Bégaya de plus bel laccusé.

- Cest cela!

- Je vous assure que je nai rien à voir avec lenlèvement de la duchesse… tenta de se disculper Lord Percival.

- La chose sera jugée… André, vous pouvez officier…

Fermat se leva alors, respira lentement et profondément, puis sexprima dun ton sec et précis non dépourvu cependant dune certaine ironie.

- My Lord, mais méritez-vous encore ce titre après toutes vos exactions?, telle est la terrible réalité: vous êtes désormais notre otage! Vous ne serez délivré que lorsque nous aurons délivré Irina Maïakovska Wu et la comtesse Louise de Frontignac! Nous exigeons également la libération du vampire des docks capturé par votre ami et complice, Sir Charles Merritt!

- Euh… nest-il point ici, brandissant son revolver?

- My Lord, je vous conseille de faire attention à vos propos, souligna Hillerman. Vous venez dadmettre connaître Antor et ainsi votre implication dans sa détention actuelle! Vous acceptez donc être reconnu comme complice de Sir Charles?

- Mais… Pas du tout! Aïe! Ma tête me lance! Je ny comprends plus rien dans tout ce mic mac! Quelle embrouille!

- Pff! Souffla Violetta. Jai presque pitié de lui! Il se mêle les pinceaux avec les paradoxes temporels, le pauvre!

- Silence dans la salle! Rappela Daniel Wu sévèrement, frappant de son marteau la table doù il officiait.

- Ne nous égarons pas! Reprit Fermat parfaitement maître de lui, et dominant son rôle. Nous allons vous faire rédiger un ultimatum que nous transmettrons à Sir Charles. Votre ami et complice disposera de douze heures pour libérer les personnes sus nommées. Ce délai expiré, si les prisonniers ne sont pas entre nos mains, eh bien, vous serez… exécuté!

Chose plutôt surprenante, Lord Sanders reprit alors courage. Il haussa ostensiblement les épaules croyant que les liens qui lunissaient au mathématicien étaient indéfectibles! Or, il se trompait lourdement!

- Vous vous contenteriez donc de ce simple échange? Sétonna laristocrate. Trois contre un? Ce compte me paraît peu équitable! Cependant, tant mieux pour moi!

- Les prisonniers seront échangés près de Hyde Market selon une procédure prédéterminée. Votre ami Tsarong Gundrup, de son véritable nom Zoël Amsq, conduira la transaction, compléta Tony Hillerman.

- Zoël Amsq… Il ne cèdera jamais! Murmura Lord Percy, transpirant maintenant à grosses gouttes.

- Ce nest pas tout! Fit André. Léchange sera complété par une rançon en nature!

- Nous y voilà! Jeta le prévenu avec mépris! Quelle rançon en nature? De largent? Des pièces de collection? Des bons au porteur? Vous vous révélez enfin! Vous nêtes que de vulgaires voleurs!

- Cessez donc de nous insulter! Dit Fermat, le visage fermé Livrez-nous le moteur de votre appareil temporel avec lautel de la Vierge dEu, appelé plus communément télé porteur, ainsi que le chrono vision que vous connaissez sous le nom de miroir égyptien!

- Ah! Je vois! Sinclina Lord Sanders. Vous êtes donc la bande adverse numéro Un évoquée par lAtlante Zoël… Amsq. Et vous convoitez les trésors des civilisations perdues de Mû, lAtlantide et la Lémurie!

- Quel fatras dineptie! Pouffa Violetta, ny tenant plus.

- Tais-toi! Jeta Daniel Lin, agacé. Tu es à gifler!

- Messieurs, reprit Lord Percy avec une grâce certaine, jaccepte de rédiger votre ultimatum, mais vous vous trompez en croyant ainsi obtenir lappareil à voyager dans le temps! Certes, Merritt me délivrera, mais…

Marteau Pilon sapprocha alors de lotage, montrant ses poings énormes, ce qui eut pour résultat de faire taire laccusé! LArtiste précisa la menace implicite.

- Il vous appartient de vous montrer persuasif, sinon, nous vous tuerons sans remords aucun!

- Sinon quoi? Vous seriez prêts à aller jusquà lassassinat? Mais, que diable, nous sommes dans un monde civilisé que je sache et…

- Un monde civilisé, dîtes vous? Vous ignorez le sens de ce mot, Percival Sanders, violeur, tourmenteur, suborneur denfants! Gronda Tellier.

- Qui êtes-vous, monsieur, pour oser maccuser ainsi, pour vous octroyer le rôle de juge? Jadmets que vos cheveux blancs et vos lunettes vous confèrent un air de respectabilité indéniable mais…

- Mon nom importe peu! Mais sachez que je suis en droit de réclamer par héritage cinquante pour cent de vos précieuses collections! La plupart des objets ont appartenu au comte di Fabbrini nest-ce pas?

- Exact! Euh… je vous ai identifié… Vous êtes lélève ingrat, le disciple qui a trahi son maître, Frédéric Tellier… La statue de Ganesh, cétait vous, le nierez-vous? Le vol porte votre marque! Ainsi, vous avez rameuté votre ancienne bande et vous vous trouvez en concurrence avec Sir Charles!

- Oh! Oh! Mais vous connaissez parfaitement les agissements occultes de Charles Merritt! Siffla le danseur de cordes.

Des murmures emplirent alors le tribunal.

- Vous avez donc percé à jour mon identité, poursuivit lancien malfrat. Bien…

- Bien? Monsieur le Voleur, que signifie?

- Un peu de silence, je vous prie, réclama le président. Frédéric, jai à vous parler! La séance est suspendue cinq minutes!

Daniel Wu se leva et entraîna lArtiste derrière une tenture.

- Mon ami, attention à ne pas franchir la ligne! Nous jouons une partie commune, ne loubliez pas! Jai lu dans vos pensées la condamnation immédiate de notre otage! Jabhorre la vengeance! Je lexècre au plus au point. Elle nous ferait perdre la partie!

- Mais, vous-même, si nécessaire, êtes-vous prêt à aller jusquau bout et à exécuter ce pervers?

- Il est vrai que je répugne à ôter toute vie, même si je lai déjà fait auparavant… A mes yeux, Lord Percy nest quun pion dont nous disposons… manoeuvrons-le… En cas déchec, nous appliquerons le plan de rechange…

- Jai compris… je me chargerai de lexécution de ce dépravé lorsque vous me lautoriserez.

- Vous mobéirez?

-Oui…

- Cette réponse me suffit.

Les deux hommes regagnèrent leurs places respectives.

- Lord Sanders, vous allez maintenant rédiger lultimatum, ordonna le président.

Du papier ainsi quun stylographe à pompe furent apportés au prisonnier qui écrivit sous la dictée de Fermat le texte demandé. Le pistolet dAntor restait braqué sur la tempe de Percival tandis que celui-ci écrivait nerveusement, faisant crisser désagréablement la plume en or. Une fois cette tâche terminée, la lettre fut glissée dans une enveloppe et cachetée avec le sceau de la bague de lotage. Ensuite, Tony Hillerman la prit, la posa délicatement sur le plateau dun mini téléporteur réglé aux coordonnées du domicile de Sir Charles. Lorsque lappareil entra en action, lenveloppe disparut instantanément.

Tou cela eut lieu sous lœil morne de lord Percy. Désormais, plus rien ne létonnait. Une poignée de fer sabattit soudain sur son épaule. La large main de Marteau-pilon lincita à se lever.

- Mène-le jusquau placard à balais, siffla Don Iñigo avec perfidie. Dans deux heures, tu lui servira un léger repas, soupe, pain et eau, cela suffira.

- Oui, maître, répondit le colosse avec soumission.

Solidement bâillonné et ligoté, lord Sanders se retrouva bientôt dans un obscur et étroit réduit. Malgré sa situation des plus inconfortables, il parvint à sendormir.

Daniel et ses mais nentretenaient aucune illusion. Charles Merritt ne cèderait pas. Toutefois, le commandant Wu avait établi un contact télépathique avec Irina. Le plan de rechange était prêt.

***************

Comme prévu, la lettre se matérialisa dans le bureau même de Merritt, sur un fragile guéridon. Admirez la précision des coordonnées! Pourtant, il était impossible de téléporter des humains avec succès à cause des brouilleurs mis en place par lextraterrestre. Sir Charles venait justement de recevoir un coup de fil de Amsq qui linformait de la disparition de lord Percy. Ce fut pourquoi, à la lecture de lultimatum, Merritt pâlit à peine. Il attendit la venue du Haän. Bientôt, le problème Sanders serait résolu.

Moins de dix minutes plus tard, Zoël fut introduit dans le bureau de son complice. Avec une mine renfrognée, il prit connaissance de la missive.

- Ils se sont décidés! Il y a du Fermat là-dessous!

- Et cest tout ce que vous trouvez à dire!

- Très cher, jai placé un champ magnétique de force 24 pour protéger la demeure de lord Sanders. Jai agi de même chez vous. Ainsi, toute tentative dintrusion technologique sera vouée à léchec. En clair, Daniel Wu et Frédéric Tellier ne pourront semparer du bio translateur. Mais permettez-moi une réflexion : quest-ce que cela consomme en énergie!

- Naurait-il pas été préférable de transférer lengin ici, chez moi?

- Ah, mais il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier! Quenvisagiez-vous de faire après cet ultimatum?

- Il va de soi que je refuse de céder! Lord Sanders devenait encombrant!

- Bravo! Mais maintenant, il nous faut parer le prochain coup de nos adversaires! Daniel Wu a brouillé ses signaux biologiques et ceux de ses amis. Il me rend la monnaie de ma pièce. Impossible donc de localiser où ils nichent. Quant à la navette qui les a transportés, elle est indétectable. Vous avez compris, jespère, que, ne pas capituler, cest subir lattaque de Daniel Lin et de ses lieutenants!

- On dirait que vous les craignez! Sétonna Sir Charles.

- Je suis averti des risques. De plus, je ne puis compter sur des renforts extérieurs.

- Pourquoi? Sinquiéta le professeur émérite.

- Mes guerriers sont partis à la recherche des cristaux dorona.

- Mais cétait inutile, puisque des entités amies sont venues vous réapprovisionner.

- Il vaut mieux faire le plein. Les cristaux susent à une vitesse époustouflante.

- La Dimension p ne peut-elle nous aider davantage?

- Oh, elle fait comme elle lentend! Pour lheure, je pense quelle est plongée dans une bataille stellaire plus passionnante que tous les récits de Jules Verne.

- Ah, lord Percy, je tai condamné, car la police commençait à te serrer de trop près…la faute à ton homosexualité!

- Cest la vie, jeta Amsq en français avec ironie.

- Zoël, pardonnez-moi de vous donner un ordre, mais il vous appartient de communiquer mon rejet de lultimatum à la presse, selon les instructions de la lettre. Je men vais rédiger le message pour la New London Tribune.

- Très cher, vous êtes un allié précieux quaucun scrupule ne ralentit, siffla Zoël avec délectation.

- Nêtes-vous point taillé dans la même étoffe?

- Je nai plus rien dhumain.

- Oui, depuis le temps. Mais les Atlantes étaient des humains au début.

Amsq répondit avec colère :

- Je vis sur Haäsucq et suis donc un Haän comme tous les autres!

Sir Charles comprit quil ne devait point insister.

***************

Quelques deux heures plus tard, lenlèvement de lord Percival Sanders faisait la une de la presse matinale. Cependant, le journal de Shelton Seagrove avait une longueur davance. Il publiait en exclusivité la réponse de Sir Charles Merritt à lultimatum, selon un texte codé très anodin.

Toutefois, le directeur de la New London Tribune avait pris la plume en personne pour rédiger un éditorial dans lequel il accusait explicitement le mathématicien honoraire de se livrer à des pratiques illicites. Le scandale fut énorme et samplifia encore quand le Yard, qui se doutait depuis quelques années que Merritt nétait pas ce quil paraissait être, décida à son tour dentamer une enquête plus approfondie. La position de Sir Charles devenait intenable. Dans son salon, le scientifique jeta avec rage ce quil qualifiait de feuille de chou.

- Ce Seagrove me déçoit! Quant à son torchon, ce nest quun ramassis de potins récoltés dans le caniveau!

- Du calme mon ami, sécria Amsq, jouant à la perfection le respectueux féal.

- Je vais de ce pas attaquer la New London Tribune en diffamation!

- Certes, mais à quoi cela servira-t-il? Le délai est expiré!

- Peu me chaut!! Depuis son enlèvement, le sort de Sanders était scellé!

- Requiescat in pace!

Telle fut la courte épitaphe du noble lord.

Attaques et contre-attaques dans la presse se succédèrent au fil des éditions durant quarante-huit heures. Scotland Yard envoya deux inspecteurs chez Sir Charles, en vain. Les accès importants de la demeure étant parfaitement dissimulés, ils ne purent donc connaître lexistence des cachots, des machines, des cobayes et du laboratoire.

A la fin de cette même semaine cruciale, le procès en diffamation se tint. Le jury, grassement payé en sous-main, condamna Shelton Seagrove à verser une amende de cinq cents livres au plaignant. Quant à lord Percival Sanders, sa mort était désormais de lhistoire ancienne.

Comme convenu, Daniel avait abandonné le lord dépravé à Antor. Le commandant Wu ne se vengeait pas : ce sentiment lui était inconnu. Du moins, cest-ce quil consentait à reconnaître. Le corps horriblement exsangue de lord Percy fut retrouvé dans un égout de la gare de Lexington, le lundi suivant le procès.

**************

Ce même jour, dans la propriété de Sir Charles Merritt, Daisy Neville recevait un nouveau Bébé Jumeau muni dun trousseau complet, le tout enfermé dans une petite malle en cuir. Rien ne manquait, y compris les pantaloons. La gouvernante, elle, sétait fendue dune dînette en porcelaine. Ces cadeaux lui étaient offerts pour son anniversaire. La fillette, fort capricieuse comme nous le savons déjà, se montra déçue par la teinte des cheveux de la précieuse poupée. Autre défaut : les yeux du Bébé ne bougeaient pas.

http://www.restauration-de-poupees.fr/restauration-poupees-images/illustration/poupee-jumeau-1907.JPEG

Trépignant devant Sir Charles, elle jeta :

- Mon oncle, je naime que les brunes, je croyais vous lavoir fait comprendre!

Merritt, toujours distingué et élégant, revêtu dune jaquette gris perle, et dont le cou marqué par lâge était entouré par une délicate cravate ornée dune épingle en or surmontée dun diamant de la plus belle eau, fronça les sourcils et répondit :

- Ma nièce, tu as tort! Tu ne sais pas identifier ce qui est vraiment beau! Ce cadeau vient de Paris, pour toi exclusivement. Sil ne te plaît pas, tant pis! Je le donne de ce pas à la fille de ta nourrice, Annabelle.

- Non mon oncle, cela ne se peut pas! Maintenant, cette poupée est à moi, car vous me lavez donnée en premier!

De colère et de rage, Daisy pleura.

- Là, tout doux, ma nièce! Tout à lheure, tu dois paraître à la petite réception prévue en ton honneur. Il faut que tu sois la plus belle des petites filles. Pour cela, aucune larme ne doit venir gonfler tes paupières et rougir tes yeux.

- Pour ce goûter, il y aura de lorangeade, des gâteaux à la crème, du chocolat chaud?

- Mais oui, Daisy, et plus que cela encore! Je connais bien ta gourmandise!

Sa colère envolée - lenfant changeait vite dhumeur - la fillette embrassa son oncle affectueusement. Pendant que ladulte se laissait aller à un mouvement de tendresse très paternel, et samusait à entortiller les cheveux raides de sa nièces très difficiles à coiffer car rebelles à tout fer à friser, un valet apporta sur un plateau le journal du jour.

A la une du quotidien habituellement si pondéré, un titre énorme attira immanquablement lattention du mathématicien honoraire.

Le retour du Saigneur!

Après une pause inexpliquée de plusieurs semaines, le Saigneur a recommencé à frapper! Un nouveau corps exsangue a été retrouvé. Une illustre famille du royaume subit le deuil le plus affreux. Lord Percival Sanders, le célèbre et apprécié collectionneur, âgé de trente-sept ans à peine, a été hélas la nouvelle victime du tueur nocturne. Que fait notre police?

Avec une rage soudaine, le professeur jeta violemment le journal sur le tapis.

« Amsq mavait prévenu! Ce Daniel na aucun scrupule! Il dispose lui aussi dun vampire! Comment sy est-il pris? Si je nagis pas immédiatement, tout est perdu! Ah, bon sang, mes hommes pourtant bien plus efficaces que les policiers de Scotland Yard ne parviennent pas à débusquer cet Eurasien et son complice le Danseur de cordes! Après mon maître, mon modèle, mon mentor, Galeazzo di Fabbrini, je ne vais pas succomber à mon tour sous les coups de ce maudit Tellier! Jexcelle à manier la ruse. Je suis passé maître à utiliser la force. Et puisque Amsq se montre indifférent, je vais passer à la contre-attaque! Le piège suprême est prêt. »

Sir Charles avait soliloqué en présence de Daisy qui navait pas saisi ses propos. Toutefois, le chef de la racaille de Londres aurait dû faire preuve de plus de prudence car Raoul, dissimulé dans une autre pièce, lespionnait discrètement grâce à un appareil semblable à celui dIrina.

***************

Dans le cachot qui était devenu désormais son domicile, Antor tenait compagnie à Irina et à Louise. Il avait compris rapidement le parti quil pouvait tirer de la présence de lenfant géophage. Quant au capitaine Maïakovska, certes, elle avait reconnu lami de son mari, mais elle se garda bien de le manifester ; en effet, elle savait que le vampire quelle avait face à elle venait dune dimension parallèle. Elle ne lavait jamais rencontré tel quil se présentait actuellement, sauf à lire dans les pensées de Daniel.

Est-il bon de rappeler au lecteur que Penta pi était le seul responsable de la présence dAntor en 1890? Il serait récupéré quelques jours ou quelques heures plus tard et regagnerait 1969.[1]

Un lien empathique sétait noué entre la Russe et lenfant. Le jeune géophage avait accepté de creuser un chemin pour les humains, un étroit boyau qui les conduirait à la liberté. Après de nombreuses heures de travail, le groupe put sengager dans des galeries toutes fraîches. La comtesse de Frontignac peinait à suivre ses amis. Il y avait longtemps quelle avait perdu sa silhouette de liane tout en conservant son opulente poitrine. La peur la paralysait quelque peu. Mais elle sengouffra dans les dédales étroits, les boyaux qui senchevêtraient, senroulaient, montaient ou descendaient sans aucune logique, faisant contre mauvaise fortune bon cœur.

Au hasard de leurs pérégrinations, les fugitifs croisèrent des galeries de taupes et des terriers de rats. Quelques rongeurs même passèrent sous les jambes et les pantalons de nos personnages, les frôlant, ce qui eut pour résultat de déclencher chez Louise des frissons de répulsion. Notre Brelan navait vécu que dans les ors depuis plus de vingt-cinq ans! Elle avait fini par oublier les bouges et les tapis-francs innommables de son adolescence.

Un court moment, le groupe longea un ancien cimetière. Une odeur âcre les saisit à la gorge, dautant plus insupportable que latmosphère de ces boyaux était particulièrement confinée. Malgré la pénombre, nos amis devinèrent, mêlés à la terre meuble et noire, des lambeaux de vêtements, des ossements divoire, des cheveux qui adhéraient encore à des têtes décomposées. Lai se raréfiait de plus belle, et le manque doxygène altérait les sensations, rendant cette expédition encore plus morbide.

Toujours sous la conduite du géophage, le quatuor mal assorti crut enfin déboucher à lair libre. Hélas, ce nétait pas le cas! Une construction en pierres, dune facture récente, leur barrait le passage. Avec philosophie, Antor, aidé du mangeur de terre, sattaqua au descellement du mur appareillé. Sous les efforts des deux parias, une cinquantaine de pierres céda, permettant aux fugitifs daboutir dans une salle qui nétait en fait quun tunnel voûté parcouru par des rails et éclairé à intervalles réguliers par des lampes à arc.

- Le métro de Londres! Sexclama Louise au bord de la suffocation.

- Je ne le pense pas, répliqua Irina qui avait mémorisé toutes les constructions victoriennes de la vieille mégalopole. Réfléchissez nous nentendons aucun vrombissement. De plus, le tunnel est trop étroit pour une rame de métro. Lécartement des rails ne correspond pas et, si mes souvenirs sont bons, ledit métro nest pas encore électrifié.

Louise sétonna de cette connaissance approfondie.

- Vous êtes bien renseignée! Jeta-t-elle.

- Oh, ce nest pas mon premier voyage dans le passé, ma chère. Je prépare toujours avec soin les expéditions auxquelles je participe.

Haussant les épaules, trouvant que lon perdait du temps, Antor savança résolument dans la galerie éclairée. Ses compagnons limitèrent. Peu après, ils entendirent quelque chose se rapprocher. La lueur dun phare sajouta à léclairage. Avec prudence, le quatre fugitifs se dissimulèrent tant bien que mal dans un renfoncement de la galerie humide.

- Ce trou dhomme est le bienvenu! Soupira Louise de Frontignac.

- Il ne sagit certainement pas de votre époux! Fit le vampire avec détachement.

Irina se contenta de lever un sourcil pour toute réponse.

Les vibrations samplifièrent et le groupe vit passer un charroi surprenant. Une motrice étroite, en bois, de couleur verte, dont la porte souvrait par un système hydropneumatique, comportant un gros phare central avant qui rappelait lomnibus à vapeur de Scotte, pourtant construit deux ans plus tard, projet auquel collaborerait Albin de Saint-Aubain.

A bord de la motrice se trouvait un conducteur en blouse bleue douvrier. Identifiable par sa casquette aux taches grasses et à sa belle moustache poivre et sel, il manipulait avec dextérité un volant droit et des leviers. La locomotive électrique tirait un wagon réduit à une simple plate-forme ; celle-ci supportait un chargement retenu par de larges sangles. Des yeux avertis auraient identifié une sorte de turbine et deviné la présence dun très grand miroir à facettes ainsi que celle dune imposante sculpture à sujet religieux. Lensemble hétéroclite était enveloppé dans des toiles mal jointes. Irina ne put retenir un cri de dépit en découvrant le chargement :

- Par Saint Wladimir! Le bio translateur! Amsq le déménage pour le mettre à labri, mais où?

Antor répondit à cette question qui ne lui état pas adressée.

- Merritt a fait construire un métro secret qui relie sa demeure à celle de lord Sanders.[2]

- Si nous suivions le convoi? Proposa Louise.

- Cela veut dire faire demi-tour! Objecta Irina. Non! Ce serait nous jeter dans la gueule du loup! Merritt sattend à une attaque de Daniel.

- Ah, mais pourquoi ne pas vous être munies de transpondeurs de secours? Ragea Antor.

- Ce nest pas si simple! Rétorqua Irina. Amsq a établi un écran qui brouille toutes les communications sauf télépathiques.

- Alors, il ne nous reste plus quune solution, conclut Louise : suivre les rails jusquà la demeure de lord Sanders. Nest-ce pas là que votre mari nous attend?

- Pas tout à fait.

- Et si nous rencontrons une autre motrice? Proposa Antor avec humour. Dois-je la mettre en pièces détachées?

***************

Comme Sir Charles et Zoël Amsq sy attendaient, lattaque avait débuté. Mais elle avait lieu sur deux fronts opposés. Lun destiné à récupérer le bio translateur, lautre à délivrer les captifs du mathématicien.

Uruhu était resté à soccuper de la maintenance de la navette Einstein, remplaçant également Tony Hillerman qui avait rejoint son commandant. Le KTou répugnait à se battre contre des NieksTous; il ne le faisait quen dernier recours. Au contraire, Kiku U Tu se sentait dans les batailles comme un poisson dans leau.

« Enfin de laction, du sang et de la violence! », pensait-il avec satisfaction.

Toutefois, le Troodon se demandait pourquoi les deux hommes quil admirait le plus sétaient encombrés dhumains vieillissants, inefficaces au combat, incapables absolument de venir à bout de hordes de Haäns! Effectivement, dans le groupe du danseur de cordes, Pieds Légers frôlait la quarantaine alors que le Piscator allait sur ses cinquante-quatre ans et que Tellier affichait soixante-et-un ans au compteur, dans parler de Marteau Pilon qui atteignait soixante-sept ans. Toutefois, le colosse pouvait encore soulever une charrette pleine de foin ; cétait pour cela quil avait suivi son maître vénéré. Splendide Marteau Pilon! Comme Porthos, il pouvait abattre son bœuf dun coup de poing sur le crâne bien quil neût jamais lu une ligne de Dumas!

Toute la troupe dapaches avait suivi la même voie que Raoul et Harry et avait pris soin de se munir de grappins, de cordes à nœuds, de rossignols, de diamants, de rats de cave et bien sûr de surins. Leurs pieds étaient chaussés de chaussons à semelles de caoutchouc. Nous avions là lattirail du parfait cambrioleur tel que le décrivaient Ponson du Terrail et Paul Féval.

Fermat avait choisi de sencombrer de tubes de relais de signaux et dappareils de décryptage des codes biologiques. Cette technologie devait téléporter le bio translateur dans la navette Einstein. Même si au XXVIe siècle, la miniaturisation avait atteint des sommets, le tout pesait un poids certain.

La bande, commandée par lambassadeur, sintroduisit à létage des collections de lord Sanders, plus précisément dans la partie tératologique. Le rat de cave du Piscator éclaira fugitivement les vitrines hideuses peuplées de boîtes crâniennes de dépouilles grimaçantes et de fœtus difformes. Malgré ses habitudes de rapines, le Marseillais était ému. Que craignait-il donc? Les monstruosités soigneusement alignées, classées et étiquetées par lord Percy, plus ou moins composites -simples, doubles ou triples - le tout rendu encore plus effrayant par la tremblotante lueur, ou bien la gueule puante de Kiku U Tu avec ses cinq cents crocs menaçants, sa bave immonde qui gouttait de ses babines impatientes et ses yeux luisants et phosphorescents auxquels rien néchappait?

Sous ladrénaline, notre Troodon exhalait une subtile odeur de vase et de chairs bien attendries. Bref, mettons-nous dans la peau du Piscator : il nétait pas à la fête.

« Je ne vais tout de même pas lui servir de hors dœuvre! », bégayait le Marseillais.

Léquipe de Fermat ignorait bien entendu que le confident de lEmpereur Tsanu XV avait introduit dans la demeure de lord Sanders des détecteurs bioniques, lun dissimulé dans une tsantsa Achuar, lautre derrière un masque dapplique, une sorte de sculpture médiévale aux orbites caves et à la barbe de buis, figurant le masque mortuaire dun grand maître de lordre de La Buena Muerte.

Tout naturellement, la présence des importuns déclencha le signal dalarme muet tout en activant les automates piégés. Ce qui, à première vue, paraissait être un innocent couple de squelettes reliquaires du XVIIIe siècle, chamarrés dor, sertis de gemmes, de cabochons, recouverts de velours et divoire -squelettes de Saint Prosper en gisant et de Saint Pancrace dressé - nétait autre quune paire dautomates conçus par le génial Merritt. Comme dans les pires sous-productions de la Universal, les deux dépouilles quittèrent mécaniquement leur châsse pour avancer par saccades, leur estramaçon brandi en direction des intrus. Les visières de leur armet relevées laissaient entrapercevoir linquiétante lueur rouge de leurs orbites. Manifestement, ces créatures étaient mues à lélectricité.

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Envahi par une terreur sans nom, le Piscator rebroussa chemin pour se heurter violemment à Kiku U Tu lui-même. Furieux, le Troodon rugit :

« Mauviette dhumain! Gronda-t-il. Ah, ne me barre pas le chemin! Laisse-moi donc passer! Je vais te montrer comment je ne fais quune bouchée de ces os-là! »

Avec une agilité admirable vue sa masse, le lieutenant de la sécurité bondit, ses terribles griffes postérieures sorties. Il culbuta facilement les squelettes en armures qui chutèrent brutalement sur le sol avec un bruit de ferraille. Sous le choc, les pitoyables automates se réduisirent à un amas confus de pièces détachées, de lampes clignotantes et de câbles sectionnés. Sapprochant, Fermat fronça les sourcils.

- Vous auriez pu vous montrer plus discret! Reprocha-t-il dun ton sec au Kronkos.

Pragmatique, Pieds Légers questionna :

- Rappelez-moi donc où se trouve lengin à voler.

- Mais en direction des sous-sols! Du moins était-ce le cas il y a deux heures. Les sondages de lEinstein on localisé le bio translateur du côté dune cave servant de laboratoire située un peu après un grand bassin profond de huit mètres.

Comme à son habitude, le Piscator sinquiéta.

- Sacrebleu! Vous auriez pu nous le dire! Nous navons emporté aucun scaphandre! Comment allons-nous traverser?

- Pas daffolement. Merritt a conçu une sphère sous-marine. Nous lemprunterons!

- Ah! Ça me fait une belle jambe! La carline ne fera quune bouchée de nous!

Malgré les jérémiades du Marseillais, la bande sengagea vaillamment dans un escalier et descendit vers le rez-de-chaussée. Las! Elle ignorait quelle était attendue par Varami et quelques sous-fifres pygmées cachés dans un faux plafond. LAmérindien ne perdait pas de vue lavancée de la troupe. Habilement et silencieusement, il manoeuvra une série de clapets, découvrant ainsi des orifices au-dessus de lescalier, minuscules trous dans lesquels glissèrent des batteries de sarbacanes. Les Pygmées et leur chef Achuar actionnaient les armes avec leurs pieds.

Une pluie de fléchettes au curare sabattit sur les intrus. Cela neut aucun effet sur la troupe car tous avaient revêtu une combinaison de protection. Malgré langoisse qui nouait son estomac, le Piscator poursuivit sa progression avec ses compagnons.

Ces combinaisons peaux sajustaient parfaitement à la silhouette, y compris celle de Kiku U Tu pourtant munie dun appendice caudal conséquent.

Nullement incommodés par ce piège de dernière catégorie, nos amis atteignirent bientôt le rez-de-chaussée pour se retrouver dans le salon aux armures. Dépité, Varami envisagea une autre tactique. Ce fut pourquoi, toujours muettement, il ordonna un repli à ses Pygmées.

Pendant ce temps, Pieds Légers, qui ici méritait mal son nom, butta maladroitement sur un beau et profond tapis persan, déclenchant une nouvelle diablerie. Sans coup férir, deux tableaux automates animés, dun mauvais Rococo XVIIIe siècle, descendirent de part et dautre du mur. Ils représentaient les batailles de Culloden et de Fontenoy, toutes deux de 1745. Les deux représentations prirent vie ; les canons et les fusils à pierre tirèrent pour de vrai. Si Fermat et ses compagnons navaient pas été protégés par leurs combinaisons, ils auraient sans nul doute succombé à la mitraille, leurs corps criblés de micro billes de fer.

Shoshigu, le maître de thé, embusqué lui aussi, passa à la deuxième phase de lattaque. Dissimulé dans larmure Tokugawa de samouraï moustachu, il dégaina imperceptiblement du sabre à double lame dont le tranchant avait été au préalable enduit de suc de fugu. Notre Japonais avait depuis longtemps jeté le Bushido aux orties. Cependant, il eut le tort de lancer le cri qui tue pour paralyser ladversaire. Il neffraya que ce poltron de Piscator qui, tremblant de tous ses membres, se réfugia derrière la queue de lencombrant Kiku.

Dédaignant Fermat, Shoshigu se jeta avec fougue sur Antor. Grave erreur! Décidément, notre Asiatique nétait pas né sous une bonne étoile, car son antagoniste, doté dune souplesse prodigieuse, esquiva prestement les moulinets effrayants du double sabre. Décontenancé, le samouraï hésita une seconde de trop. Saisissant loccasion, le vampire passa derrière le Nippon, se saisit de sa nuque et lui dévissa la tête avec un craquement sinistre. Ses vertèbres cervicales brisées, Shoshigu retomba sans grâce sur le dallage, telle une poupée de chiffons. Cependant, en dernier réflexe végétatif, sa main eut le temps de sabattre sur un levier.

Fermat félicita Antor :

« Beau coup, cher ami! » (en français dans le texte!)

Mais notre diplomate naurait pas dû se réjouir aussi vite. Un autre mécanisme fut actionné. Le lustre remonta subrepticement, sans même émettre un tintement de girandole, pour sestomper dans le plafond. Il fut remplacé par une plate forme sur laquelle se tenait dressé un remarquable sumotori automate coulé dans la cire, le corps blafard, la face lunaire à la semblance dun masque de théâtre Nô de lépoque de Nara,

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et les reins ceints dun pagne rouge de combat! Il sagissait de leffigie du maître de Sumo de Sapporo Hoshi Ukuguné, qui avait vécu au début du XIXe siècle. Merritt sétait surpassé dans son art factice, nest-ce pas, car aucun mécanisme darticulation ne déformait les bras de landroïde. On eût pu croire que Zoël Amsq lavait aidé dans la conception de cet humanoïde animé. Après linévitable salut dusage - décidément, ce Haän se montrait plus quattaché aux antiques traditions asiates, et, pour un fourbe de son envergure, il faisait là preuve dune faiblesse rédhibitoire - Hoshi engagea le combat contre lex commandant Fermat.

Tout en soulevant un sourcil détonnement, le Français ne se déroba pas. La créature hybride était imposante bien quun peu lente. Les attaques senchaînèrent, impeccables, les esquives également. En son for intérieur, André simpatientait.

« Je perds mon temps! »

Toutefois, sa combinaison protectrice lui permettait dappliquer ses mains sur la peau même du sumotori. Pensant avoir affaire à un épiderme synthétique, il ne marqua nul dégoût.

Un bref instant, les doigts du Français se recourbèrent sur le nez du Japonais. Lappendice nasal lui resta alors dans les mains! Alors, tout le masque constituant le visage se désagrégea, révélant une atroce réalité. A lintérieur de lenveloppe de cire, il y avait un cadavre décomposé mû par des servomoteurs. Un corps néoténique triploïde dépourvu de toute pilosité. Le masque tombé, une odeur de nécrose se répandit dans le salon aux armures, tandis quun court-circuit déclenchait lauto combustion de lautomate sumotori. Hors de lui, tombant à genoux, le Piscator hurla à pleins poumons :

« Le monstre de Frankenstein! »

Se signant, le Marseillais commença à réciter en bredouillant la prière de la Bonne Mère :

« Priez pour nous, Notre Dame de La Garde.

Priez pour nous, pauvres pécheurs! »

Sous le coup de lauto allumage, le cadavre zombie sétait immobilisé alors que sa cire fondait presque instantanément. Au contact de lair, le corps mis à nu se ratatina, dévoilant son horrible secret. Labominable dépouille comportait des organes mécaniques greffés un peu partout. Il ny avait rien à redire : Charles Merritt, génie dévoyé, démontrait ainsi quil était un paria amoral à légal de Galeazzo di Fabbrini.

Pieds Légers en avait vu dautres. Il se rappelait encore la sinistre année 1867 où il avait affronté le comte italien assassin. Cest pourquoi, sans trembler, il tendait son rat de cave afin de chercher lissue du salon. Il illumina furtivement le narguilé, éclaira brièvement le portrait siamois de Gladstone-Disraeli et fit de même pour la momie Guanche. Grâce à lui, la bande traversa le fumoir puis le salon de musique qui contenait linsolite orchestre du gamelan javanais.

Bagne Grisouteux dévoila, dissimulé derrière une tenture, lescalier à vis agrémenté de niches préhistoriques ou de cages, escalier dont les marches, rappelez-vous, lecteurs, menait au bassin souterrain.

Fermat retint à peine une sourde exclamation :

« Les cages sont ouvertes! Où diables sont passés leurs hôtes? Quelles créatures renfermaient-elles donc? »

Or, tapis dans lobscurité, lHomo pongoïde et Taïaut préparaient leur attaque. Grâce à Merritt, le dinosaure était un véritable phénomène de dressage, puisquil était capable de rester caché et de guetter patiemment sa proie!

Cependant, Kiku flaira lodeur soufrée du Raptor tandis que de son côté, Antor captait des remugles simiesques. Brusquement, un souffle dair éteignit les rats de cave : cétait le signal tant attendu par le Velociraptor qui, avec une joie féroce, la bave dégoulinant abondamment de sa gueule, bondit sur le Piscator, cible désignée, facile et sacrifiable. Du moins, cest à quoi vous vous attendez, amis lecteurs.

LHomo pongoïde, quant à lui, eut le tort de se jeter sur Fermat, tentant de le broyer entre les muscles puissants de ses bras. Lêtre hybride, mélange de néandertalien et de gigantopithèque, croyait ne faire quune bouchée de cet homme dâge mûr. Salivant à lavance, il émettait déjà des borborygmes et des gloussements de joie, tandis que sa face, rendue difforme par un torus sus-orbitaire marqué, reflétait ses bas instincts. De quelle manipulation impensable ce déchet dhominidé anthropophage était-il donc issu?

La délicate situation néchappa pas à Antor, quune longue amitié liait à André. Toutefois, le militaire neut pas besoin du secours du vampire. Mais quarrivait-il à notre Troodon favori? Kiku hésitait. Devait-il protéger Bagne Grisouteux et Monte à Regret ou bien apporter son aide au vieil apache marseillais en fort mauvaise posture?

Déjà, Taïaut sapprêtait à éventrer le Piscator, dont le corps était profondément griffé. Le Raptor nen eut pas le loisir, car, brutalement tiré par la queue, il retourna sa gueule béante tout en rugissant de colère. Ainsi, il laissa échapper son goûter, qui rampa aussi vite quil le put jusquà un renfoncement. Les deux espèces prédatrices concurrentes allaient saffronter dans un duel sanglant. Pour un simple repas, ou pour sauver la vie dun ridicule et pitoyable humain?

Deux combats sans merci débutèrent, mêlant avec art le Pléistocène, le Crétacé et les monstres convenus de la Hammer. Le Piscator fut rejoint dans son abri par Pieds Légers et les deux chevaux de retour. Bagne Grisouteux constata que son ami brûlait de fièvre. La terreur le faisait presque délirer.

Il était écrit que le Yéti KTou devait succomber le premier. Pourtant, son duel fut magnifique. Plusieurs fois, lHomo pongoïde tenta de se saisir dAntor et de le projeter au loin. Mais le vampire, utilisant avec dextérité ses armes naturelles, mit hors détat de nuire son adversaire en une minute. Il est vrai quil avait été secondé par un Fermat expert en combat rapproché et en arts martiaux plus ou moins exotiques. Parmi ces techniques, il y avait celle du Harrtang. Hunga acheva sa triste vie, une plaie béante à la gorge, la cage thoracique brisée par les coups portés par André. Durant les ultimes secondes de son existence, ses membres furent parcourus de spasmes végétatifs dagonie.

Bien évidemment, il était difficile à André dimaginer la réaction de Merritt face à la perte dune créature de foire lucrative, qui lui avait coûté la bagatelle de mille livres payées comptant en souverains.

Lodeur ferrugineuse et douceâtre du sang qui se répandit dans latmosphère, détourna quelques instants lattention de Taïaut. Kiku senhardit. Dun coup de son pouce sabre meurtrier, il fendit le poitrail du Velociraptor de haut en bas. Aussitôt, poumons, tripes, cœur, foie, se répandirent sur le dallage. Mmm! Quels mets délicieux! Quels envoûtants et succulents arômes pour notre Kronkos affamé dont le dernier repas remontait à trois heures! Ah, pourquoi donc lanthropophagie était-elle interdite dans lAlliance des 1045 planètes? Mais bah, après tout, cette règle ne sappliquait pas ici, nest-ce pas?

Ny tenant plus, notre Kiku commença à se repaître avec délice des entrailles fumantes de son adversaire vaincu. A ce répugnant spectacle, Bagne Grisouteux se cacha le visage. Mais Fermat, impavide, sapprocha de lofficier de sécurité et lui intima lordre de cesser sur un ton qui ne pouvait être discuté. Némettant quun rot de dépit, notre Troodon obéit aussitôt.

« Je sais bien que jai bravé un interdit, éructa-t-il. Mais la meilleur chair nest-elle pas celle de ma propre race? Quel dommage dêtre devenu civilisé!!! »

Il cracha ce dernier mot comme une insulte Voyant que le Kronkos était dompté, Pieds Légers, Bagne Grisouteux, Monte à Regret et le Piscator, bien que sanglant, réapparurent miraculeusement de leur cachette. Malgré lui, le Marseillais ne put réchapper à la fascination quexerçait sur lui le cadavre de Taïaut. Il recracha de la bile sur sa manche.

Après cet intermède, la bande suivit lescalier à vis et parvint au bassin où lattendait la sphère sous-marine. Lengin était déjà sous tension, son écoutille ouverte, et ses lampes clignotantes. Cela puait le piège! Nos héros allaient pénétrer dans le bathyscaphe avant lheure, lorsque trois paires de bras jaillirent des eaux noires et empoignèrent avec force les jambes de Pieds Légers ainsi que celles des diplomates.

Ces bras appartenaient à trois scaphandriers armés de couteaux et de harpons. Il sagissait du majordome birman de lord Sanders, dénommé Sudrâ Chandrâ, qui avait revêtu le scaphandre du chevalier de Beauve, du cockney Jerry, qui portait le modèle plus perfectionné de Siebe et enfin, de lapache français Lucien, le plus redoutable, protégé par la combinaison autonome de Rouquayrol, qui avait servi de modèle à Jules Verne dans son roman Vingt mille lieues sous les mers.

Antor ne perdit pas son sang froid. A leur vue, il avait immédiatement compris la vulnérabilité de Sudrâ et Jerry du fait quils étaient pourvus dun tuyau dair communiquant avec une pompe extérieure. Cette dernière fonctionnait grâce au système Babbage amélioré par Merritt. Avant que sa tête disparût dans leau sombre, il transmit télépathiquement à Kiku lordre de sectionner lesdits tuyaux avec ses griffes. A coups de harpon et de couteaux, les trois âmes damnées de Sir Charles tentaient den finir avec leurs victimes, essayant de les empaler. Les secondes ségrenaient, sallongeaient insidieusement, car le lieutenant U Tu ne parvenait pas à saisir les arrivées dair des scaphandres. La seule solution consistait à saboter la pompe elle-même. Après plus dune minute de mûre réflexion - pour mémoire, le Kronkos ne brillait pas par son intelligence - Kiku le comprit enfin! Sans état dâme, il sortit un minuscule disrupteur de sa ceinture et tira sur le mécanisme dapport dair des scaphandriers.

Lappareil du chevalier de Beauve était le moins perfectionné. Le visage dissimulé derrière un curieux masque métallique rappelant ceux des expériences de Lavoisier, Sudrâ Chandrâ, qui avait conservé son turban, succomba logiquement le premier. Sa combinaison semplit dair, puis, sous la terrible pression, son corps gonfla démesurément pour éclater. LHindou se vit mourir! Peu après, une enveloppe caoutchouteuse grotesque et déchirée, flotta à la surface du lac artificiel, répandant sa bouillie infâme.

Jerry subit un sort contraire. Était-ce une mort plus douce? Fasciné par lhorrible spectacle qui se présentait derrière le hublot du casque Siebe, Fermat fut le témoin privilégié de lasphyxie de lAnglais. Ses yeux emplis de terreur, le cockney bleuit pour passer au plus beau violet de la cyanose. Son compère Lucien eut le temps de réagir. Témérairement, il tenta de noyer André, mais il ignorait, bien sûr, que le commandant pouvait rester cinq minutes sous leau grâce à un entraînement intensif. De rage, lapache français porta un coup de poignard au flanc de Pieds Léger, qui sétait dangereusement rapproché. Sa liberté daction ne sauva aucunement ce passé-singe. Certes, son casque de cuir et de cuivre était trop pesant et trop bien fixé pour quun humain normalement constitué larrachât, mais son appareil respiratoire constituait la faille du dispositif, ce quAntor avait compris. Jaillissant de leau, telle une malfaisante sirène, le visage toujours blême, ne haletant même pas, il exécuta le pervers Lucien de la façon suivante :

passant derrière lui, dun geste brusque et puissant, il déconnecta les tuyaux dair. Privé doxygène, le pègre de Paris passa larme à gauche. Telle une masse, le cadavre alourdi par les semelles de plomb coula au fond du bassin.

Comme si de rien nétait, toute léquipe entra gaillardement dans la sphère submersible. Après la mort de lapache, le Piscator avait repris du poil de la bête. Le système de pilotage de lengin savéra enfantin pour André. Assis dans le poste avant, il manoeuvra facilement lancêtre du bathysphère. A larrière, debout, en équilibre, avec sa longue queue, Kiku encombrait, bien quil fût installé précairement sur léchelle menant à lécoutille. Les intrus neurent pas le temps de sémerveiller au spectacle des poissons automates et des méduses gracieuses et transparentes qui se déplaçaient dans londe, projection animée mélange de praxinoscope, de fantascope et de lanterne magique. Le bassin, traversé en quelques minutes à peine, le petit groupe quitta la sphère et sengagea avec circonspection dans les laboratoires. Bien évidemment, le bio translateur nétait visible nulle part. Antor sinquiéta.

- Serions-nous arrivés trop tard?

- Non, pas du tout, répondit Fermat. Daniel avait prévu le coup. Même éteint, le bio translateur dégage quelques radiations tout à fait incongrues pour ce lieu et pour cette époque. Je porte en permanence ce petit appareil qui me permettra de le localiser précisément.

Effectivement, à la ceinture dAndré pendait une sorte de stylet dont la fonction était de détecter lesdites radiations. A cet instant précis, lappareil capta un signal faible provenant des profondeurs londoniennes.

- Ah! Cela fonctionne! Fit le vampire avec soulagement. Cest par là que se situe le souterrain qui communique avec la demeure de Merritt.

- Tout à fait! Ajouta le Français. De plus, il emprunte plus ou moins la direction des tunnels du métro.

Toute léquipe chercha où se dissimulait laccès au souterrain. Pieds légers, béni des dieux, fut le premier à découvrir une fausse paroi quil suffisait de basculer pour quelle dévoile un vaste monte-charges.

- Nous progressons, reprit Fermat. Le signal se précise. Empruntons donc lascenseur comme le bio translateur a dû le faire.

Quelques minutes plus tard, lascenseur automatique sarrêta à lembouchure dun tunnel qui servait de gare. Un grondement lointain puis une lueur jaune émise par un phare vinrent confirmer que la piste était encore chaude. La rame déjà entraperçue par Irina et ses amis apparut, cette fois-ci vidée de sa charge.

Las! Le conducteur de la locomotive était aux aguets. Devinant des intrus, il eut le temps de faire feu avec son revolver. Toutefois, la balle se perdit dans le vide car Antor avait agi avec une promptitude et une souplesse remarquables, bondissant jusque dans la cabine. Impavide, sans le moindre rictus démotion, il brisa la nuque du sbire de Sir Charles. Ce crime némut pas la bande, sauf le Piscator, qui esquissa une grimace de réprobation.

Il appartenait à Fermat de semparer du volant de la motrice antédiluvienne. Pour mémoire, lex commandant excellait à piloter tout ce qui avait pu rouler, naviguer ou voler dans le passé de la Terre.

- Ah! Je retrouve mon élément, siffla-t-il de satisfaction. Après tout, ce métro archaïque fonctionne comme les rames Sprague Thomson parisiennes.

- Hé! Y a pas de métro à Paris, que je sache? Jeta étonné Pieds Légers.

- Mon jeune ami, cela ne saurait tarder, rétorqua le Français avec un sourire.

Doucement, mais sûrement, la rame sengagea dans le tunnel labyrinthique faiblement éclairé.

***************



[1] Ces péripéties vous sont racontées dans la troisième partie du roman « Le tombeau d’Adam », partie intitulée « le jeu de Daniel. »

[2] Durant sa captivité, Antor avait usé abondamment de ses dons de télépathe et capté les pensées de son geôlier.