samedi 17 mars 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1925 (4).



Pendant que nos amis s’échappaient dans leur translateur, Kintu Guptao Yi-Ka, muni par son maître Johann d’une bulle transtemporelle, regagnait lui aussi la fin du XXe siècle. Pour l’homme synthétique, la mission avait été un franc succès. Naturellement, il ignorait que le Commandeur Suprême avait remis le temps en place. 
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Or, revenu en 1960, Stephen Möll avait saisi l’inanité de ses efforts afin de modifier le cours de l’Histoire. Mais, avant de rejoindre la Californie en 1995, il assista, malgré lui, à l’affrontement verbal entre Otto et Franz.
- Je suis sincèrement navré, Otto, disait le duc von Hauerstadt, mais, désormais, il n’est pas question pour moi de vous aider à programmer une nouvelle mission temporelle. Après tout, vous pouvez fort bien vous passer de moi… n’avez-vous pas à vos côtés vos autres amis Nikita, Giacomo et William ? Vous avez toujours la possibilité de faire appel à Stephen aussi. Ou encore à Michaël si le pépin technique est trop grave…
- Franz, je ne comprends pas cette attitude… pourquoi me lâchez-vous maintenant ? A cause de Bill, c’est cela ?
- Non, pas du tout, se défaussa le Germano-Américain. Tout simplement, vous n’avez pas saisi l’enjeu. Comment dire ? C’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Or, nous sommes justement ce malheureux pot de terre. Convenez tout comme moi que, face à Johann disposant de la technologie de trois civilisations post-atomiques, nous sommes tout à fait ridicules avec nos pitoyables moyens obsolètes du XXe siècle. Pour remporter cette guerre, il nous faudrait un miracle… 
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- Mais Michaël nous soutient…
- Ah ! Pas vraiment. Otto, ne soyez pas naïf de le croire. L’Ennemi se joue de nous, Michaël également…
- Dans cette liste, vous omettez le Commandeur Suprême. Je ne le sais que trop bien que nous sommes en quelque sorte des outsiders, que personne ne miserait sur notre succès.
- Des outsiders ? Vous êtes bien en-dessous de la vérité. Nous ressemblons plus que jamais à Don Quichotte !
- Cependant, nous ne devons pas nous décourager… jamais abandonner… poursuivre notre combat, coûte que coûte…
- Avant que vous m’objectiez que je manque de courage - c’est risible dans mon cas, ne le croyez-vous pas ? – je dois vous dire qu’en fait, le vrai courage consiste quelque fois à reconnaître ses échecs et à ne pas insister.
- Vous nous abandonnez donc ?
- Je suis désolé, mais je vous l’ai déjà dit, Otto, je préfère en rester là.
- Euh… Je vous comprends. Cet échec vous reste en travers de la gorge… eh bien, je vous laisse une semaine de réflexion. Ensuite, nous aborderons encore une fois le sujet… d’accord ?
- Comme vous vous voudrez. Mais ma décision est prise…

*****

Lisieux, décembre 1945. 
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La petite ville avait subi durement la Seconde Guerre mondiale. Nombreux étaient les bâtiments détruits, bombardés, en ruines.
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 Cependant, entre les murs d’un lycée vétuste, dont, par miracle, les aîtres tenaient encore debout, mal éclairé, dépourvu de chauffage et dont le personnel manquait cruellement, des élèves en retenue effectuaient leur étude du soir alors que six heures avaient sonné à la vieille horloge.
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 La salle était vaste, son plafond trop haut et la température basse vous transformait vite en glaçon. Pourtant, pas un seul des jeunes garçons ne se plaignait. Emmitouflés dans des manteaux et des écharpes, ils travaillaient, qui, traduisant un thème de latin, qui se penchant sur des exercices de grammaire allemande, qui révisant sa leçon de géographie. Un pion les surveillait, un jeune homme blond, assis derrière un vieux bureau de bois datant du siècle dernier, un individu plongé dans une anthologie de la poésie française qui, parfois, annotait l’ouvrage avec un léger sourire de satisfaction. Le surveillant était souvent sollicité par les lycéens qui lui demandaient si leurs déclinaisons étaient correctes, leur localisation précise, ou leurs équations justes. Toujours, le jeune homme répondait, corrigeant quelques erreurs, mais encourageant les apprentis étudiants d’un mot gentil.
- Ah oui… Je n’avais pas vu ce piège, disait un dénommé Gustave. Merci de me l’avoir signalé, m’sieur…
- Ce n’est rien. Mais retiens bien la règle de la déclinaison de l’ablatif.
- Oui… ce sera fait.
- Bien. Mais toi, je crains que tu ne sois pas un… matheux…
- Je déteste les logarithmes… Je n’y comprends fichtre rien, fit Simon en haussant les épaules.
- Veux-tu que je t’explique ?
- Pas la peine… Vous allez perdre votre temps.
- Mais non… Regarde les exposants…
Au bout de dix minutes, Simon, les yeux écarquillés, siffla entre ses dents :
- Ben, ça alors ! J’ai pigé le truc.
- Dans ce cas, prouve-le-moi. Voici un autre exercice. Fais ta démonstration au tableau…
Reniflant, ledit Simon, qui était enrhumé, s’approcha du tableau et commença à résoudre sa nouvelle équation. Il tenait le bout de craie dans ses mains protégées par de vieilles mitaines. Malgré le froid, il parvint au bout de son problème.
- Alors, c’est juste monsieur ?
- Oui. Tu vois quand tu veux…
- J’y crois pas… c’est monsieur Bertin qui va être content demain. Euh… J’voudrais pas être indiscret… mais quelles études avez-vous faites ?
- Des études scientifiques, Simon…
- Ouah ! La vache ! Où ?
- A Oxford… 
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- J’pensais qu’Oxford c’était pour des études littéraires…
- Pas que…
- Eh ben mon colon, j’parie que vous étiez un bon élève à mon âge…
- Si on veut, Simon…
- Merci, m’sieur Franz…
Oui, le jeune surveillant n’était autre que le duc von Hauerstadt qui, rescapé de la Guerre, officiait ici, à Lisieux en tant que pion. Il fallait bien faire bouillir la marmite et ce d’autant plus que Franz était désormais à la tête d’une petite famille. En effet, il avait épousé Elisabeth Granier et reconnu le fils de cette dernière, un beau bébé malgré la pénurie, qui répondait au nom de François. L’Allemand, protégé par Gaspard Fontane et un général américain, avait obtenu ce travail provisoire au lieu d’être enfermé dans un camp de prisonniers.

*****

1187, toujours cette belle matinée de fin avril.
Deux heures avaient passé. Alors que le soleil riait dans un ciel dépourvu de nuages, étonnant pour le lieu et la saison, Michaël affrontait avec un sang-froid digne d’éloges les cinq prétendants de damoiselle Aliette de Painlecourt.
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 L’agent temporel magnait le lourd estoc comme s’il avait fait cela toute sa vie. Le combat apparaissait inégal car les hobereaux gentilshommes, bien que secondés par leurs écuyers, ne faisaient pas le poids face à l’homme du futur. Pourtant, ici, l’Homo Spiritus mettait un point d’honneur à se battre comme un humain ordinaire.
Ainsi, l’envoyé temporel désarma un à un tous ses adversaires qui, d’un coup de garde, qui d’un ample moulinet du poignet, qui d’un coup plat de son épée, ou encore d’une parade tout à fait inattendue, assommant, tailladant les chairs racornies ou encore tendres, le cuir, la peau ou les joues. La science de l’escrime dont Michaël faisait preuve avait été acquise non par une programmation mais bel et bien par une expérience incomparable lors de ses multiples périples à travers le temps. Ainsi, notre agent alliait tout à la fois le jeu tout en force et puissance en vigueur au cœur du Moyen Âge avec l’art du duel florentin de la fin du XVIe siècle. Incompatible, nous direz-vous ? Que non pas avec Michaël Xidrù. 
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Les hobereaux et les écuyers inoffensifs et désarmés, l’homme du futur les ligota promptement avec des liens subitement apparus, puis, sautant sur son destrier, il se précipita au château de Soligny, entra en trombe dans le manoir, grimpa prestement les escaliers conduisant à la chambre d’Aliette, une pièce située toute en hauteur et lui jeta :
- Aliette, nous partons dès maintenant. Vite !
- Oh ! Le moment est enfin venu ! Quel bonheur ! S’exclama l’adolescente en frappant de joie dans ses mains. Nous nous rendons en Angleterre ?
- Non, nous allons beaucoup plus loin, ma douce. Par-delà la vaste mer océane.
- Euh… Michaël… Il n’y a rien là-bas…, s’effraya Aliette. Que le vide… Tout le monde sait cela, que la Terre est plate passées les colonnes d’Hercule… Si on arrive à la limite de l’océan, on tombe… 
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- Mais non, Aliette, tu verras. Cesse de dire des sottises et fais-moi confiance. Dépêche-toi. Nous passons par la fenêtre. J’entends en bas des gens qui accourent. Es-tu prête ?
- Oui… j’espérais ta venue… J’ai pris un peu de linge que j’ai rangé dans ce baluchon.
- Parfait. Agrippe-toi bien fort à mon cou et… hop ! Nous descendons.
Alors, avec une prodigieuse facilité, le jeune homme entama la difficile descente malgré Aliette et son paquet. Tandis que les serviteurs s’en venaient et constataient, dépités, que Michaël s’enfuyait avec la demoiselle, l’agent temporel atteignait déjà le sol et montait sur son cheval, plaçant sa compagne en croupe derrière lui.
- Surtout, ne me lâche pas…
- Non… J’ai l’habitude de monter ainsi… J’aime cela, tu sais…
Sous la double charge, le cheval ne rechigna pas et, lancé au galop, rejoignit un petit bois où là, Michaël fit halte.
- Pourquoi nous arrêtons-nous déjà ? Questionna la demoiselle.
- Descends. J’ai laissé ceci pour toi, dit le jeune homme en désignant un bien étrange et bien lourd vêtement.
- Mais enfin ? Cela ne ressemble à rien ! Faut-il vraiment que je mette cet habit ?
- Oui, il le faut vraiment, ma douce amie. C’est pour te protéger.
- Je ne vais pas me mettre toute nue devant toi… Cela ne se fait pas tant que nous ne sommes pas mariés.
- Tu n’as qu’à passer le scaphandre par-dessus ton bliaut. Tu feras avec… 
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- Un scaphandre, dis-tu ? Jamais entendu parler… à quoi cela sert-il donc ?
- A empêcher les radiations de te blesser…
- Mais toi ?
- Moi, je n’en ai pas besoin… plus vite, Aliette… allez, enfile-le ce scaphandre, c’est pour ton bien…
En grommelant, l’adolescente passa le lourd et encombrant vêtement, non sans maladresse. Cependant, elle fut aidée par Michaël dans cette tâche.
- Voilà qui est fait. Et maintenant ?
- Maintenant, tu fermes les yeux et tu me tiens serré comme cela… voilà… nous partons…
- Pour où ? Pour le pays magique ? Brocéliande ? Avalon ? 
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- En quelque sorte… Mais…Chut… ne dis plus un mot…
En une fraction de seconde, la demoiselle de Painlecourt eut l’impression de tomber dans le vide, comme si elle se jetait dans un gouffre alors qu’un vent venu de nulle part se levait subitement et sifflait à ses oreilles malgré la protection du scaphandre. Un froid intense la paralysa et lui coupa le souffle. Une nausée la saisit et Aliette eut peur. Pourtant, courageusement, elle ne se plaignit pas, restant muette. Désespérément, elle s’agrippait à son étrange compagnon, comprenant soudainement qu’elle avait sans doute affaire à un être prodigieux… un mage ? un ange ? une créature de lumière ? Car, malgré les recommandations de l’agent temporel, elle avait osé ouvrir les yeux. Mais aveuglée par une surprenante lumière bleutée virant sur le lilas, elle les avait refermés presque aussitôt. La lueur féérique semblait l’envelopper seule alors que, pourtant, elle sentait toujours Michaël contre son corps.
Toute tremblante, l’adolescente frémit et une larme coula sur sa joue.
- Ne crains rien, ma mie, fit une voix rassurante… je t’aime et jamais je ne te nuirai… Jamais, innocente Aliette…
- Qui… es-tu ?
- Disons… ton ange gardien…
Rouvrant ses paupières, elle observa attentivement la lumière onduler, s’étirer, se contracter, se répandre à travers l’éther… bien que sa main fût enveloppée d’un gant épais, Aliette osa toucher cette lumière… Chaude, vibrante, rassurante…
- Tu es un être de lumière, n’est-ce pas ?
- Oui…
- Pourquoi m’as-tu choisie ?
- Parce que je t’aimais… je ne voulais pas que tu connusses ce que le destin te réservait, ma mie, mon soleil… une vie bien laide et bien courte, crois-moi.
- Michaël est ton véritable nom ?
- Bien sûr. Michaël Xidrù…
- Es-tu un archange ? 
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- Euh… Non… Une créature de lumière, venue du futur, c’est tout.
- Je ne comprends pas…
- Mais tu vas bientôt recevoir toutes les explications nécessaires, mon amour. Au fait, tu ne t’es pas rendue compte que nous ne nous exprimions plus par la parole mais par la pensée… Nous arrivons… attention à l’atterrissage, c’est l’instant le plus délicat.
Effectivement, Aliette sentit tout à coup un sol bien tangible sous ses talons. Son vertige disparut et ce fut pour elle une bénédiction.
L’étrange couple se matérialisa soudainement à Los Angeles, le matin du 21 juillet 1993, dans la kitchenette de Stephen Möll alors que le professeur prenait son petit-déjeuner fait de corn-flakes, de jus d’orange, de beurre de cacahuète, et de café noir. Ah ! Nous oubliions les incontournables œufs au bacon ! 
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Le regard que jeta Aliette sur tout ce qui l’entourait était empreint à la fois d’une grande curiosité et d’effroi. Elle ne reconnaissait aucun objet qu’elle avait sous les yeux, hormis peut-être la table sur laquelle reposaient des aliments inconnus… sauf les œufs cuits, et encore…
Lorsque Michaël et Aliette surgirent comme cela, tout de go, Stephen sursauta violemment et faillit s’étouffer, avalant de travers son bacon. Le chercheur identifia aussitôt l’agent temporel, vêtu à la manière d’un chevalier, mais pas la jeune damoiselle enveloppée d’un scaphandre digne d’une expédition martienne. Suffocant, il se servit une tasse de café noir afin de faire passer la bouchée.
Puis, lorsque l’absurde et grotesque silhouette retira le casque de son scaphandre, sur un ordre mental de son compagnon, le professeur ne put s’empêcher de s’exclamer avec acidité :
- Devil ! D’où sort donc cette poupée mal fagotée ? Ce laideron ?

*****

Mais qu’en était-il de nos personnages laissés en 1925 ?
Durant cette année, Otto von Möll s’était partagé entre son travail et sa nouvelle voiture de sport, la fameuse et onéreuse Mercedes rouge. Johanna, quant à elle, avait malheureusement adhéré au NSDAP au courant du mois de septembre.
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 Toutefois, son mari David avait refusé de faire de même, décevant terriblement la jeune femme. Il préférait, argumentait-il, rester libre de ses opinions et conserver son indépendance politique. Ainsi, il ne serait jamais encarté et menacé. Quant à Magda, la veuve de Wilhelm, elle vieillissait tout doucement auprès de sa fille chérie et de son beau-fils.

*****

samedi 10 mars 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1925 (3).

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Cependant, personne ne prenait garde à don Luis Perenna. Or, ce monsieur connaissait diverses façons de se battre. Sans comprendre, Giacomo se retrouva promptement sur le sol, presque inconscient. Puis, notre aventurier allait faire de même pour Nikita, mais il n’en eut pas le loisir. A son tour, il se retrouva à terre, tenu fortement par Franz von Hauerstadt en personne. 
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- Ne bougez plus, monsieur d’Arminville, dit le chercheur Germano-américain. Le temps que je vous ligote…
- Ouille ! Vous avez une poigne d’acier…
- Vous ne désirez pas que je vous casse un bras, non ? Alors, obéissez-moi…
- Comment m’avez-vous reconnu ? Personne ici n’est capable d’un tel prodige…
- Bon sang ne saurait mentir, sourit Franz…
- Euh… s’étrangla alors Raoul… Mais que se passe-t-il réellement ici ?
- Un paradoxe temporel…
- Vous seriez…
- Oui, précisément… Heureusement, mère ne vous a pas identifié… les autres non plus d’ailleurs… Maintenant, excusez-moi, père, mais je dois vous endormir…
Instantanément, Raoul sombra dans l’inconscience, assommé par le pincement de son nerf derrière la nuque. Alors qu’Otto cherchait des yeux Athanocrassos et Johanna, que Stephen et Nikita menaçaient toujours l’assistance, David était parvenu à reculer. Or, derrière lui se tenait le régisseur Wilfried. L’homme de confiance était accompagné de douze serviteurs, tous munis de fusils de chasse.
- Messieurs, s’écria Piikin avec un certain amusement dans ses yeux, le jeu est terminé. Halte ! Vous n’avez plus qu’à vous rendre…
- Never ! Hurla crânement O’Gready. 
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Imprudemment, le colonel tira au milieu du salon. Aussitôt, les convives qui avaient cru que la scène était terminée, reculèrent, y compris les généraux et officiers de la Reichswehr. Quant à la gente féminine, elle se mit à pousser des cris de frayeur, somme toute bien compréhensibles. Certaines de ces dames avaient perdu connaissance dès que le colonel américain avait brandi son arme à feu.
- Devil ! Jeta Stephen. Nous sommes fichus… Que devons-nous faire ?
- Ceci, s’exclama Franz, résolu à tenter le tout pour le tout.    
Von Hauerstadt tira lui aussi, blessant deux serviteurs avec une rapidité surprenante. Visiblement, il maniait les armes à feu avec une maestria consommée. Puis, une autre rafale suivit qui désarma aussitôt le pseudo Wilfried. L’homme synthétique ne put que se tenir la main blessée. Nikita, tout en se relevant, imita son ami. Lui aussi n’eut aucun scrupule à se servir de son revolver. Il fit feu, parvenant à dégager un passage aux tempsnautes alors que O’Gready tirait à tort et à travers parmi l’assistance, brisant des vases, des lustres à pampilles, de la vaisselle et ainsi de suite.
- On part, on se tire, ordonna Stephen tout en traînant Giacomo, aidé de son grand-père.
- D’accord… mais pas sans amener avec nous deux otages, dit Franz d’une voix dure. Monsieur van der Zelden, madame… allez… suivez-moi… sinon, je vous promets qu’il vous en cuira… votre domesticité ne fait pas le poids face à moi… je connais toutes les tactiques du close-combat… n’est-ce pas Nikita ?
- Euh oui…Tout un commando de Soviétiques en a fait l’expérience…
- Il n’est pas question que je vous obéisse et cède à la menace ! Jeta David avec courage.
- Tant pis pour l’un de vos serviteurs dans ce cas…
Un autre tir et un nouveau domestique s’écroula, atteint à la jambe.
- Bon sang ! On se croirait à la fête foraine, pâlit David.
- Si vous voulez que Johanna soit sauve, dépêchez-vous, reprit Stephen. Franz ne plaisante pas…
- Franz ? Interrogea Karl, les sourcils levés. Franz von … Hauerstadt ?
- Oui, siffla Otto. Monsieur, nous venons tous les six du futur afin de sauvegarder un futur plus lointain encore.
- Des voyageurs… temporels ? Comme chez H. G. Wells ?
- Vous avez compris, père, grommela Franz.
- Des… tempsnautes ? Ah ! Cela me rappelle… Chez la directrice… Alors, vous êtes mon cousin… Otto von Möll, comme sur cet écran, murmura Johanna avant de perdre conscience sous le choc.
- Ma chérie ! s’écria David.
Tout ému, le financier et marchand d’armes tomba à genoux.
- Prenez pitié, messieurs… Johanna est de complexion fragile… ce coup-ci va la tuer…
- Nous l’emmenons, monsieur van der Zelden… allez…
- Vous n’êtes pas qu’un simple extra, vous, siffla le Hollandais durement.
- Non, en effet. Je suis le chef ou presque de cette expédition… Hâtez-vous. Dois-je vous persuader ?
- Non, non, inutile…
- Dans ce cas, prenez votre chère épouse dans vos bras… vous la porterez…
Baissant la tête, David s’empressa d’obtempérer à Stephen.
- Vous agissez comme des gangsters, jeta-t-il avec mépris. 
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- Non… Comme des hommes désespérés qui n’ont plus rien à perdre, lui rétorqua Franz.
Ce fut ainsi, alors que l’assistance terrifiée laissait faire le commando, que les domestiques blessés ou désarmés se tenaient désormais prudemment en retrait que les six Tempsnautes, encombrés de deux otages, parvinrent jusqu’au parc de la propriété. C’était sous l’ombre des arbres pluriséculaires que le translateur avait été dissimulé.
Si Piikin semblait avoir failli et être hors course, il n’en allait pas de même du passager clandestin monté à bord du module temporel, l’homme robot Kintu Guptao Yi-Ka. En fait, le pseudo-régisseur savait la présence de son confrère dans les allées du parc. Les deux hommes synthétiques pouvaient communiquer par ondes radio ultra-courtes grâce à un appareillage faisant partie d’eux-mêmes.
Suivant son imagination, Kintu passa donc à l’action afin d’empêcher l’enlèvement de réussir. Pour ce faire, il libéra une dizaine de dogues du chenil où ils étaient habituellement enfermés dans la journée. Or, cette nuit-ci, les chiens étaient restés clos à l’intérieur afin de ne pas importuner les invités du couple van der Zelden. Lesdits dogues mesuraient près d’un mètre quatre-vingt au garrot et étaient tout dévoués à David. 
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Désormais libres, les bêtes surgirent dans les allées du parc et coururent en aboyant jusque sous la frondaison des grands arbres, là où étaient déjà parvenus les tempsnautes. Le colonel fut le premier à se préoccuper des abois de la meute furieuse.
- Des chiens ! S’écria-t-il. Ils sont sur nos traces. Ils ont l’air nombreux.
- Ma fidèle meute, ricana David. Messieurs, je ne donne pas cher de votre peau maintenant.
- Taisez-vous et veuillez monter dans ce véhicule, jeta rudement Franz.
- Quel engin surprenant ! S’exclama van der Zelden. Il est carrossé d’une manière tout à fait inhabituelle. S’agit-il d’un aéroplane ?
- Pas que… fit Otto.
- Aïe ! Les chiens se rapprochent, s’inquiéta Nikita.
- Je vois déjà leurs yeux de braises rouges, compléta Giacomo qui venait de recouvrer entièrement ses facultés.
Effectivement, les bêtes entouraient maintenant les intrus et grondaient, l’écume à la gueule. Les plus téméraires des chiens s’avancèrent jusqu’à bondir sur William, le plus proche des kidnappeurs. Le militaire eut le réflexe de faire feu sur les animaux enragés et parvint à en descendre trois. Cependant, Franz, bien qu’encombré par Johanna, tira lui aussi sans aucun remords. Deux nouveaux dogues se tordirent de douleur et trépassèrent, leurs yeux se voilant. Les rescapés, affolés, hésitaient maintenant à se lancer sur les tempsnautes et à délivrer leurs maîtres.
- Allez, Rogue, Mandrill, Tarre, et vous, Donna, Cybèle… un peu de cran, les encouragea alors David, dépité devant le recul de ses chers canidés. 
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- Je pense que c’est inutile, jeta Franz avec cruauté. Vos chiens ne sont pas assez stupides pour vouloir se suicider.
Effectivement, les survivants, la queue basse, préféraient renifler leurs compagnons morts et refusaient désormais de se jeter sur leurs assassins. Etait-ce à dire que monsieur et madame van der Zelden étaient condamnés à gagner un temps futur et à être exécutés ?
Quelque chose de prodigieux survint brutalement. Une lumière aveuglante éclaira alors la scène, révélant ainsi la présence de trente robots tueurs de trois mètres de haut, des robots reconstructeurs usinés au XXIIIe siècle. Reconfigurés, ils menaçaient nos amis et étaient commandés non par Kintu mais bel et bien par Johann.
Surprenant retournement, n’est-ce pas ? L’Ennemi apostropha nos tempsnautes sur le ton humoristique.
- Stephen, ne te montre pas aussi idiot que tu en as l’air. Tu baves de surprise… mais depuis le temps, tu devrais mieux me connaître. J’ai plus d’un tour dans mon sac, mon vieux… un geste de ta part, un frémissement de paupière de tes amis, et tu meurs… je t’efface de la réalité.
- Johann, crois-tu que je vais me rendre ?
- Je ne t’en demande pas autant… délivre David et Johanna et je te laisse libre de poursuivre ton combat ailleurs… combat que tu perdras, si tu veux le savoir.
- Vous rendre ma cousine et son mari ? Jamais ! S’écria avec force Otto.
- Oh ! Oh ! De la rébellion, l’ancêtre ? Tu as tort. Retourne à ton époque… tu perds ton temps, si tu veux le savoir. Ta destinée m’est déjà connue. Elle est inscrite en lettres sombres sur les tablettes de l’histoire…
Franz, Nikita et William, comme s’ils s’étaient concertés, tirèrent ensemble sur Johann. En fait, leurs balles ricochèrent sur un mur invisible, un champ de force et allèrent, heureusement pour eux, se perdre quelque part sous les arbres.
- Décidément, vous n’êtes pas de taille, se moqua Johann.
- Un champ de contention, dit le duc von Hauerstadt. J’aurais dû y penser… mais… Vous n’êtes pas réellement ici, n’est-ce pas ?
-Effectivement, mon cher… Je suis bien dans le futur. Ceci n’est qu’une projection…Vous êtes plus futé que vos amis, Franz. Bravo !
Un claquement de doigts et, aussitôt, secoués par une décharge électrique, les Tempsnautes s’évanouirent et tombèrent dans l’herbe humide de la rosée du sous-bois. Cependant, David et Johanna avaient subi le même sort. Ils n’eurent donc pas conscience que tout se terminait bien pour eux.
Tandis que les robots reprogrammés et l’hologramme de Johann van der Zelden s’estompaient, le translateur, lui, restait paisiblement posé sur le sol. Toutefois, le premier à sortir de son sommeil fut Franz. Vite, il comprit que tout était fini et que le couple van der Zelden avait échappé à ses kidnappeurs. Secouant Stephen, il le réveilla.
- Beuh… je suis malade…
- Un peu de cran, il nous faut partir au plus vite.
- Que s’est-il passé ?
- Une intervention subite de Johann. Donnez-moi un coup de main.
Les deux hommes traînèrent leurs compagnons jusque dans le module temporel. Puis, cette tâche achevée, le petit-fils d’Otto se mit aux commandes et lança la procédure de mise sous tension du translateur.
- C’est bizarre que Johann nous épargne ainsi, souffla Stephen en actionnant quelques manettes.
- L’Ennemi est bien plus puissant et rusé que nous, soupira Franz.
- Mais pourquoi grand-père et nos autres compagnons ne reprennent-ils pas conscience ?
- Je pense qu’ils ont été plus secoués que nous deux. Nous sommes les plus jeunes et les plus en forme…
- Ah ? D’accord… que va-t-il arriver maintenant ?
- Je n’en sais rien… à moins que tout reparte en arrière…
- C’est-à-dire ?
- Tout ce qui s’est produit ici, cette nuit va… s’effacer… le Temps ne supporte pas de tels accrocs…
- Mais nous ? Conserverons-nous en mémoire ce qui s’est produit dans le parc de la propriété des von Möll ?
- Nous oui, puisque, désormais, nous sommes à l’abri à l’intérieur de notre translateur… il fait office de bulle de protection…
- En tout cas, il fonctionne, c’est déjà ça.
Alors que l’engin fabuleux s’élevait dans le ciel gris de l’aube, et qu’il se positionnait sur une trajectoire devant le reconduire en 1960, tous les témoins résidant à Ravensburg se figèrent soudainement. Oh ! le phénomène ne dura pas plus d’un dixième de seconde… ensuite, tel un film se rembobinant, tout repartit en arrière… à l’accéléré.
Il était un peu plus de sept heures du soir en ce 5 juin 1925 et les invités de monsieur et madame van der Zelden commençaient à arriver. Ce prodige de la remise en place de la chronoligne était dû à l’intervention non de Johann mais du Commandeur Suprême du Temps.
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Cependant, à l’intérieur du module, tous les tempsnautes avaient recouvré leurs sens. Le translateur voyageait désormais au-dessus de l’Océan Atlantique, à petite vitesse, à l’aube du 6 juin 1960. Mais l’atmosphère n’était pas à la détente ni même à la passivité engendrée par la défaite. En effet, le duc von Hauerstadt et William O’Gready s’affrontaient verbalement.
- Je savais que nous échouerions, disait Franz d’un ton sans appel. Pour moi, c’était plus qu’une évidence…
- Pourquoi ? Demanda Giacomo.
- La présence de Stephen parmi nous, proposa Nikita.
- Exactement, répondit le chercheur Germano-américain. Stephen, ici présent à nos côtés, est originaire de 1995.
- Je ne comprends pas, hasarda William.
- Oh ! Vous, vous ne comprenez pas grand-chose en vérité ! Vous êtes un imbécile… et moi aussi… avoir accepté de tremper dans cette stupide affaire… jamais je ne me le pardonnerai.
- Euh… Franz, espèce de blanc-bec, je ne vous autorise pas à me traiter d’imbécile…
- William, pour une fois dans votre vie, faites preuve de lucidité… où avez-vous donc pêché vos galons ?  A Luna Park ? Ah ! si on devait récompenser le roi des idiots, vous seriez général depuis longtemps !
Alors, cravaché par l’insulte, Bill, rouge comme un homard trop cuit, saisit son interlocuteur par la cravate et se mit à lui cracher dessus, ses postillons venant s’écraser sur le visage de Franz. La dispute menaçait de mal finir.
- Espèce de parasite de la haute ! Je ne te permets pas de m’insulter, de dire qu’il n’y a pas plus con que moi ! Tu vas recevoir mon poing sur ton visage d’Apollon, sale boche ! Après, on verra si tu fais autant le fier avec tes dents cassées et ta figure à recoudre…
- Ah ? Vous voulez me cogner ? Très bien… allez-y donc… Vous ne savez faire que ça, de toute manière… Vous y prenez du plaisir, je le sais… Stupide galonné…
- Ah ! Il suffit, vous deux, cria Otto.
Aidé par Nikita et Giacomo, von Möll sépara les deux antagonistes.
- J’exige des excuses, s’entêta O’Gready. 
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- Je vous ai demandé d’arrêter vos gamineries, reprit l’ex-baron sur un ton déterminé.
- Oui, vous mettez l’appareil en danger, avec tous ces soubresauts, constata Stephen de son poste de pilotage.
Mais voilà… des excuses de la part de Franz von Hauerstadt ? Cela lui était presque… impossible… un instant, le chercheur baissa les yeux et regarda l’incroyable enchevêtrement de fils, de câbles et d’appareillages… apparemment, il y cherchait quelque chose qui le poursuivait depuis longtemps déjà… son orgueil était son seul défaut rédhibitoire… qui avait failli l’entraîner au fin fond d’un sombre enfer… après quelques longues secondes d’introspection, le duc redressa la tête, eut un triste sourire tout en se dégageant des bras de Nikita et murmura à l’adresse de William, qui n’en crut pas ses oreilles :
- William, colonel, veuillez me pardonner… Excusez ma colère… elle m’a fait prononcer de stupides paroles que je regrette sincèrement… vous le savez depuis le temps que nous nous connaissons, je suis soupe au lait… je retire tout ce que j’ai dit. Barrons d’un trait notre dispute…
- C’est bien vrai ? Vous me faites des excuses ? S’exclama O’Gready, démonté. Je ne suis plus ce stupide galonné de tantôt ?
- Non, bien au contraire… J’envie votre courage, William. Je l’ai toujours envié…
Lentement, Franz tendit la main en direction du colonel et s’en empara, la lui serrant en signe de réconciliation. Otto, rassuré, poussa un soupir tandis que Stephen peinait à croire ce qu’il voyait.
Puis, les deux hommes réconciliés regagnèrent leur siège respectif. Otto, assis aux côtés de son ami Franz, l’entendit murmurer distinctement en français :
« Il n’empêche… Bill est encore plus sot que le Führer… Pourquoi m’être embarqué à ses côtés ? Désormais, c’est fini, on ne m’y reprendra plus. La comédie est terminée… je tire un trait sur tout cela. Que diable ! J’ai une famille qu’il me faut protéger… ».

*****
Un soir du mois d’août de cette même année 1925, la nature déchaînait sa colère et l’orage tonnait au-dessus de la grande propriété des von Hauerstadt. Plusieurs fois, la foudre tomba, embrasant des chênes et des hêtres plusieurs fois centenaires. Le château se retrouva privé d’électricité alors que la tempête empirait. 
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Mais cette rage des cieux n’effrayait pas Franz, le fils aîné du duc von Hauerstadt, qui, alors âgé de sept ans, mettant à profit l’obscurité zébrée d’éclairs, s’était esquivé dans le parc. Riant devant ce spectacle fabuleux, l’enfant courait sous l’orage et la pluie qui crépitait en rafales sur le sable détrempé des allées. Emerveillé, il s’extasiait devant les nuées en train de fuir à l’horizon. Son front et ses cheveux blonds dégoulinaient d’une eau tiède mais le jeune garçon s’en moquait. Au contraire, il s’amusait grandement.
Pour Franz, enfant rêveur, imaginatif et passionné, ces nuages qui s’éloignaient à grande vitesse étaient des cavaliers noirs, des chevaliers teutoniques ou encore des Walkyries, ou bien, mais cela ne le terrifiait pas, des sorcières accourant pour le sabbat. 
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Mais voici qu’une voix féminine appelait, parvenant à percer le bruit du tonnerre. Stéphanie, la gouvernante française, s’apercevant de la disparition du garçonnet, était allée le chercher à l’extérieur. La jeune femme avait revêtu une cape et un grand chapeau mais cela ne suffisait pas à la protéger de la pluie. Toutefois, malgré les rafales furieuses du vent, l’orage qui, enfin, s’éloignait, la domestique parvint à retrouver Franz. Fâchée, elle le prit sous son bras, l’admonestant alors qu’il gigotait, le ramenant de force au château.
Puis, gagnant la chambre dans laquelle le jeune comte dormait, là, elle le déshabilla promptement tout en le sermonnant vertement, l’installa près d’une bonne flambée, le sécha avec vigueur et le fessa à l’aide d’un solide martinet.
- Stéphanie, tu es bien dure avec moi, jeta Franz, se gardant bien de laisser paraître sa douleur et retenant ses larmes.
- Non, monsieur le comte. Je ne fais que ce qui est juste, lui répondit-elle en français. Vous avez désobéi aux ordres. Maintenant que vous êtes sec, allez, je vous mets au lit.
- Mais… je n’ai pas soupé.
- Tant pis pour vous. Demain matin, vous vous rattraperez.
- Je vais me plaindre à mère…
- Madame la duchesse m’approuvera, monsieur. Un peu de sévérité ne peut pas vous faire de mal. Il faut vous forger le caractère, monsieur le comte.
- Je déteste quand tu m’appelles par mon titre.
- Vous avez mérité cette froideur de ma part. Assez trainaillé. Ouste !
Pour le jeune Franz, il résulterait de cette mésaventure, somme toute assez ordinaire, un gros rhume.

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