dimanche 15 avril 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1926 (2).


10 Août 1934. 
Sous un soleil radieux, un enterrement se déroulait.

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 Le funèbre cortège traversait presque toute la petite ville de Ravensburg. Toutes les devantures des magasins avaient été baissées et de nombreuses fenêtres et balcons s’ornaient de crêpe noir afin de marquer eux aussi leur deuil. Tout ce qui comptait dans la petite ville suivait le cercueil de madame van der Zelden, traîné par un corbillard tiré par quatre chevaux.
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 A la tête du macabre cortège se trouvaient un homme de taille élevée, tout vêtu de noir comme il se devait. David van der Zelden, tout entier à son triste chagrin, avait les yeux rouges d’avoir pleuré et présentait une barbe de trois jours à l’assistance. Mais il n’en avait cure. Il tenait mollement par la main un garçonnet d’environ quatre ans, blond et à la figure pâle, un enfant dépassé par les événements, qui, imitant son père, laissait ses larmes couler.
Richard van der Zelden venait de perdre sa mère. Désormais orphelin, il n’avait plus pour le choyer que David, toujours par monts et par vaux. Qu’allait-il advenir de lui ?
En queue du convoi, fermant la marche, dix individus, dix inconnus, aux cheveux sombres, au teint bronzé par un soleil implacable. Lorsqu’ils chuchotaient à voix basse, les Ravensburgeois auraient pu distinguer un accent étranger plus ou moins prononcé.
Mais qui étaient ces étrangers ? D’où venaient-ils ? Pourquoi s’étaient-ils mêlés au cortège ? Voilà les questions qui venaient à l’esprit des bons habitants de la cité. Les intrus portaient des costumes assez mal coupés, mais leurs yeux farouches détaillaient avidement les gens qui suivaient le convoi. Lorsque la bière fut mise en terre, ils jetèrent des regards farouches sur la tombe et ce fut tout juste qu’ils retinrent un profond soupir de soulagement.
Enfin, lorsque monsieur van der Zelden accepta les condoléances des notabilités ravensburgeoises, les inconnus se retirèrent. Le bourgmestre, exprima alors à haute voix ce que tous pensaient tout bas.
- Comment ces étrangers ont-ils pu passer la frontière ? Notre Feldgendarmerie était-elle donc si occupée ? C’est intolérable ! J’en réfèrerai en haut lieu.
*****

9 Mai 1954, Ravensburg, la propriété familiale des von Möll.
Otto avait invité son vieil ami Stephen Mac Garnett à passer une huitaine de jours chez lui, au château. Installés confortablement dans un des salons du premier étage, situé dans le bâtiment central, les deux hommes abordaient la situation internationale, plutôt préoccupante. Dien Bien Phû fut naturellement évoqué. 
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Le soir tombait déjà. Pour obtenir plus de détails et avoir les toutes dernières nouvelles, le maître des lieux venait d’allumer le poste de radio. Or, celle-ci annonçait le décès du banquier Rosenberg à l’âge de quatre-vingt et un an. L’héritier de l’immense fortune du banquier d’origine juive n’était autre que Georges Athanocrassos, l’ennemi intime d’Otto.
Après avoir écouté les informations, Otto et son ami reprirent leur conversation. L’évacuation des Français par les Tigres Volants de Chennault vint, comme il se devait sur le tapis. 
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- C’est un malheur pour l’Occident, proféra Stephen entre ses dents.
- Hum… je ne sais pas si je dois partager ton pessimisme, rétorqua Otto.
- Comment ? Ne vois-tu donc pas le danger ? Le communisme gagne du terrain.
- Nous n’en sommes pas encore là en Indochine…
- Je mets ma main au feu que la région tombera bientôt entre les mains des Soviétiques et des Chinois.
- La guerre d’Indochine n’était qu’une guerre d’indépendance.
- Non. Elle s’inscrit dans la guerre froide, Otto, admets-le.
- Bon. Je préfère ne pas insister. Puis-je te servir un verre ?
- As-tu du scotch ?
- Oui, bien sûr.
L’ex-baron se leva et entreprit de servir un verre d’alcool à Stephen et à lui-même.
- N’oublie pas Franz, fit l’archéologue.
- Il ne boit que du whisky de vingt ans d’âge au minimum. Or, je n’en ai pas… de toute manière, Franz n’est pas porté sur les alcools.
Ayant officié en hôte prévenant, Otto fit dévier la conversation sur un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur, les potentialités offertes par l’électromagnétisme dans le domaine des transports. Entendant enfin parler science, Franz sortit de la pièce contiguë - il était justement en train d’étudier la maquette d’un prototype – et écouta l’échange entre Stephen et Otto. Puis, le dialogue dévia sur le compte-rendu par l’archéologue de sa précédente expédition sous-marine.
- … ainsi, mon cher Stephen, ce que tu as vu lors de ton expédition scientifique dans l’Océan Indien t’a surpris. L’objet étrange que tu as remonté à la surface ressemblait à un cube plastique…
- Oui, mais, après différentes analyses faites par des laboratoires indépendants, il s’avéra qu’il ne s’agissait nullement de plastique. En fait, les analystes ne purent identifier précisément la matière desdits cubes. Un métal inconnu ?
- Fichtre ! En êtes-vous certain, Stephen ? Questionna Franz.
- A vrai dire, non. D’après les confidences d’un technicien, le métal ne reposerait pas sur le carbone…
- Quoi ? S’écria Otto. Mais… c’est impossible !

*****

1927.

Le 5 février de cette année-ci, Archibald, le deuxième fils d’Otto von Möll naissait. On pouvait croire, à tort, que le couple vivait dans le bonheur parfait. Or, il n’en était rien. Depuis quelques mois déjà, Otto et Renate ne cessaient pas de se disputer, pour des broutilles et, parfois, pour des sujets plus sérieux. La jeune femme reprochait à son époux un peut tout et n’importe quoi. Cependant, une récrimination revenait le plus souvent. Le jeune chercheur négligeait sa femme, il lui préférait non pas une maîtresse mais bel et bien son automobile. Lorsqu’il ne rentrait pas trop tard le soir, après une longue et dure journée de travail, il n’avait plus ces attentions charmantes, ces sourires et ces gestes de tendresse d’autrefois.
- Ta Mercedes t’est beaucoup plus précieuse que moi ! Jetait Renate avec colère. Tu es un homme, et, pour cette raison, tu juges que tu peux mener une vie libre et indépendante, n’en faire qu’à ta tête… Eh bien, moi aussi, je veux faire de même, vois-tu ? Tes week-ends, tu les passes à rouler dans ta belle voiture, à effectuer des balades et des virées sur les routes et les chemins à cent-vingt kilomètres à l’heure ! Il n’y a pas un dimanche où tu ne nous abandonnes pas, Dietrich, Archibald et moi à la maison, satisfaisant tes goûts égoïstes !
- Renate, tu noircis le tableau… je t’aide, je participe aux tâches familiales…
- Ah oui ? J’en ai marre de torcher des marmots ! Je veux vivre moi aussi, profiter de ma jeunesse, sortir, me détendre. J’en ai tout autant le droit que toi. J’en ai plus qu’assez d’être confinée dans cette maison, à ne voir pour tout horizon que les arbres de la rue. Mes seules sorties sont pour aller chez l’épicier, le marchand de journaux et chez le boulanger. Cela suffit ! Je veux plus… je veux voir le monde, je veux voyager…
- Mais, je t’emmène en vacances, je te conduis à l’opéra, au cinéma et au théâtre…
- Ah oui ? Je peux les compter les fois où les soirées ne sont pas celles du train-train habituel ! Tu as tes amis ? Tes loisirs ? J’aurai les miens.
- Mais, enfin, Renate, que t’arrive-t-il ? Je ne te comprends plus…
- Il me prend, mon cher, que je ne supporte plus cette existence monotone.
- Alors ? Que comptes-tu faire ?
- Je demande le divorce.
- Que… Quoi ? Mais… à quel titre ?
- Oh ! Je n’ai pas d’infidélité à te reprocher… je le sais pertinemment. Je dirai au juge que je ne te supporte plus… je suis même prête à accepter de prendre tous les torts.   
Quelques jours après cette dernière scène, Renate quittait le domicile conjugal. Ainsi, en plaquant Otto, elle lui laissait également sur les bras les deux enfants. Au chercheur de se débrouiller pour trouver une nurse.
Le divorce sera prononcé aux torts de l’épouse quelques années plus tard.
Malheureux et naïf Otto qui se vit obligé à des frais supplémentaires… en effet, bien que le divorce fût prononcé en sa faveur, il dut verser une pension conséquente à son ex-épouse trop moderne et trop émancipée. Le recrutement d’une nurse lui coûta également fort cher.
Toutefois, vers la mi-mai, nonobstant le départ fracassant de Renate, se reposant sur la nouvelle nurse, la troisième en quelques mois, Otto partit pour la France. Ce fut ainsi que, le 21 mai 1927, en compagnie de Stephen Mac Garnett, de Robert F. York et des von Hauerstadt qu’il se contenta de côtoyer - il ne les fréquentait pas – il assista au Bourget à l’atterrissage de Lindbergh. Le Spirit of Saint Louis fut fortement ovationné ainsi que son courageux pilote. 
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22 Juillet 1993. France.
Des nationalistes corses parvinrent à s’introduire à Matignon et à déposer dans le bureau du Premier Ministre dix mille tracts réclamant l’indépendance de l’Île de Beauté. En fait, le commando placarda les revendications sur les tapisseries précieuses, sur les meubles et sur le plancher, et ce, avec une telle profusion de colle, que cet incident obligea à remeubler, à retapisser et refaire le sol du palais ministériel.
Cette intrusion eut des conséquences dans le cours de la politique du pays. En effet, le deuxième gouvernement de Pierre-André Santoni fut aussitôt renversé, car la trêve estivale n’avait pas lieu du fait de la gravité des événements extérieurs. L’opposition s’acharna sur le Premier Ministre sortant, l’accusant de collusion avec le commando téméraire. Santoni n’était-il pas d’origine corse ?
L’Assemblée Nationale, secouée par une véritable tempête, hésitait à demander la démission du Président de la République. Pendant ce temps, les partis d’extrême-droite se déchaînaient. Des articles incendiaires parurent dans différents journaux qu’ils fussent d’obédience gauchiste ou proches des ultra-nationalistes. Serges Bouteire, homme faible, fut obligé de s’adresser à la Nation, mais il n’osa pas demander la dissolution de la chambre, doutant quelque peu de sa majorité électorale.
Cependant, la plupart des Français se moquaient de ces troubles, car les vacances étaient sacrées. Dupont avait bien d’autres soucis que de voir un jour la Corse indépendante. En effet, le pays comptait quatre millions de chômeurs et la crise économique était plus forte et plus grave que jamais. S’il y avait de nouveaux pauvres, des SDF partout dans les rues des grandes agglomérations, il y avait également des nouveaux riches qui étalaient insolemment leur luxe et vivaient de la substance du pays.
En Italie, la situation politique, sociale et économique était tout aussi préoccupante. Le Président du Conseil, un certain Feruccio Giacobbi, appartenant au parti communiste, conduisait une politique digne de Lénine, s’inspirant de cet ancêtre pour lui incontournable. Ainsi, il avait fait fermer toutes les frontières, saisir tous les signes extérieurs de richesse, arrêté les représentants des plus grandes fortunes du pays.
Désormais, l’Italie tentait de produire de l’essence synthétique, du charbon synthétique et ainsi de suite ! Quant aux salaires, malgré les récriminations, ils avaient été réduits de moitié. Les ouvriers qui osaient manifester leur mécontentement étaient condamnés à un an de prison ferme au minimum. Les prix et les salaires venaient d’être bloqués pour deux ans. Les chômeurs se retrouvaient embauchés de force sur les chantiers tout juste ouverts, aussi bien l’ingénieur en agronomie que le professeur de littérature ou de philosophie. Ne fallait-il pas construire des logements pour tous ?
Les Eglises étaient invitées à donner tous leurs trésors car l’Etat avait un besoin urgent d’or. Malgré les accords du Latran, l’Eglise catholique se retrouva elle aussi ponctionnée. En matière de politique étrangère, l’Italie restait encore membre de l’OTAN mais pour combien de temps encore ?
L’Europe des Douze et les Etats-Unis n’étaient pas intervenus dans la crise italienne, se disant que ce communisme « de guerre » ne concernait que la péninsule, qu’il s’agissait d’un problème de politique intérieure.  
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Novembre 1927. Ravensburg.
Par cette journée froide et brumeuse, madame van der Zelden préférait garder la chambre. Confortablement installée dans son lit, adossée à des coussins, emmitouflée dans une robe de chambre et entourée de bouillotes, la jeune femme écrivait sur une petite table à roulettes. Un grand feu pétillait joyeusement dans la cheminée, réchauffant l’atmosphère.
Mais à quoi donc s’occupait Johanna ? A qui écrivait-elle ?
Madame dressait tout simplement une liste, la liste noire des personnes et des personnalités qu’elle trouvait gênantes et dont elle désirait que les Nazis, lorsqu’ils seraient au pouvoir, s’en occupassent. Or, figurait justement en tête de cet infamant courrier le bourgmestre en personne, trop marqué à gauche aux yeux de la jeune femme. Puis, venaient le facteur et son fils, ce dernier étudiant procommuniste, le médecin d’origine française, Richard, pacifiste convaincu, ayant eu l’impudence de dénoncer au gouvernement du Wurtemberg deux pro hitlériens coupables de voies de fait sur des commerçants juifs. 
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Mais Johanna ne se contentait pas de ces quelques noms. Elle surveillait également l’aubergiste, le prêtre de sa paroisse, son ex-meilleure amie, Hanna Bertha, trois ouvriers travailleurs immigrés italiens, partisans de Gramsci, qui avaient fui le régime de Mussolini, le garde-champêtre, malheureux vieillard de plus de quatre-vingt ans, sourd et quasiment aveugle. Le bonhomme, ancien soldat sous Napoléon III, fait prisonnier lors de la guerre de 1870, avait eu le tort de trouver l’âme sœur à Ravensburg et le toupet d’y achever sa longue existence.
Madame van der Zelden, adhérente au NSDAP, envoyait à Hitler d’importantes sommes d’argent et ce, presque tous les mois. De plus, connaissant les goûts esthétiques d’Adolf, elle lui fêtait son anniversaire en lui offrant de coûteuses et magnifiques lithographies. Ensuite, elle lisait et relisait Mein Kampf, imposant cet ouvrage à toute sa domesticité.
Mais fort heureusement, Johanna avait aussi d’autres occupations plus mondaines et moins dangereuses. Quoique… étant persuadée qu’elle possédait de grands dons pianistiques, la jeune femme prenait plaisir à exécuter sur le clavier de son piano, réaccordé tous les deux mois, des arrangements des opéras de Wagner, vêtue pour l’occasion d’une robe de soirée de fine tulle décorée de sequins d’or et d’argent. 
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Or, il faut le rappeler, ses talents musicaux n’étaient pas à la hauteur de ses ambitions. Elle massacrait allègrement Tristan et Iseult, Parsifal, Les Maîtres chanteurs et Lohengrin. Toutefois, malheur à l’auditoire qui oubliait d’applaudir et de manifester son enthousiasme ! Désormais, à l’impétrant, les portes du château lui étaient définitivement fermées.
Ainsi, lors d’une de ces mémorables soirées musicales, David demanda innocemment à un invité de marque, le duc Karl von Hauerstadt, ce qu’il pensait de l’exécution du célèbre air des Walkyries :
- Ah ! Mon cher duc, ne vous semble-t-il pas que mon épouse joue divinement ? Elle a su s’imprégner de l’esprit wagnérien, n’est-ce pas ? Elle en rend toutes les subtilités…
- Oui, en effet, répondit le père de Franz, se gardant bien de ne pas rire et de conserver son sérieux. Madame a un jeu très personnel, surprenant, mais… tout à fait approprié à ce compositeur éminemment allemand.
- Tout à fait, appuya Amélie. Une exécution charmante…

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Le 23 Juillet 1993, le roi Charles III,
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 toujours réfugié à Edimbourg, abdiquait en faveur de son fils aîné, Guillaume qui, désormais, allait régner sous le nom de Guillaume V. sa mère, la reine Diana, reçut l’hommage des Lords au nom du nouveau souverain.

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