samedi 21 août 2010

Mexafrica 2e partie : Chercheurs d'or 1936 chapitre 9.

Chapitre 9

Février 1961, Marseille, boulevard National, un bistrot comme il y en avait tant à l’époque, un peu lépreux, un peu populo.
En ce samedi soir bruyant, les voitures se succédaient par vagues sur la chaussée aux pavés inégaux. Toute la journée, une pluie froide mêlée de grésil s’était abattue sur la ville, ce qui était tout à fait inhabituel pour cette contrée. 20h30 approchaient et donc la fin des actualités télévisées.
Quelques clients courageux, bien emmitouflés dans leur pardessus, écharpe en laine au cou, chapeau mou sur le crâne, quittaient le café, pour se rendre au cinéma le proche voir un bon don Camillo. Fernandel remplissait les salles à Marseille! Au fond du bar qui se vidait, un individu de haute taille, manifestement un étranger et par sa vêture et par son accent, la soixantaine, les joues rasées de près, était assis quelque peu roide, sur une banquette en skaï. Devant lui, sur une table en faux marbre dont le dessus collait légèrement, un verre de whisky rafraîchi par des glaçons attendait le bon vouloir de son consommateur. L’Anglais avait chaud!
A ses côtés, un Amérindien typé se contentait de siroter une tasse de thé, les yeux mi-clos, écoutant assez distraitement la conversation entre son maître, un gentleman distingué et un type sans foi ni loi, au look de mercenaire qui, crevant la dalle, essayait de se vendre au plus offrant. L’individu avait pris place sur une chaise de style bistrot parisien des années 1900. Le meuble, quelque peu décati, datait bien du début du siècle et provenait d’une brocante. Tout le reste du mobilier était à l’avenant.
La période était bénie des soldats sans cause! Ce para, du moins c’est ce qu’il prétendait être, présentait une petite taille. Il frôlait le mètre soixante en étant généreux! S’il fallait en croire ses affirmations, il avait des états de services très fournis, voire remarquables. Ainsi, il avait débuté chez les bérets noirs, connaissait quarante-huit façons de tuer son homme en silence en moins de deux secondes! Il avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale, du bon côté bien évidemment, puis, s’étaient enchaînés l’Indochine, l’Algérie et la bataille d’Alger, la pacification du plan Challe, et, ce qui était beaucoup moins officiel, sa désertion et ses faits d’armes lors des barricades de janvier 1960. Un flou artistique entourait la suite. Congo Katanga, deux ou trois missions en Uruguay et au Paraguay.
Ce soldat perdu avait un crâne rasé, des yeux miteux enfoncés dans les orbites, refusant de regarder en face ses interlocuteurs, un teint rose de bébé que camouflait mal une barbe blonde dure, rebelle à toute lame de rasoir! Pour parler le tout, ce paria parlait le français avec un accent corse repérable à dix kilomètres.
L’Anglais s’exprimait lentement tandis que le mercenaire approuvait ses propos d’un léger hochement de tête.
Au-dessus d’eux et tout autour, camouflant la couleur douteuse des murs, des affiches en mauvais état et des plaques publicitaires obsolètes vantaient des spiritueux variés: Cinzano, Byrrh, Mattei cap Corse, Dubonnet, Martini, pastis Ricard… et, pour les plus jeunes, des boissons sans alcool, des sodas comme Fanta orange ou citron.
Accoudé au comptoir, le fils de la patronne, un adolescent de quinze ans à l’acné prononcée, un peu trop disgracieux pour courir les filles, feuilletait un Akim d’un air blasé tandis qu’il avait abandonné un vieux Mickey remontant à l’automne. Or, le numéro contenait une histoire de l’oncle Picsou dessinée par Carl Barks,
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auteur dont tout le monde ignorait le nom à l’époque, du moins en France, une histoire mythique, fort prisée des auteurs, celle où l’avare, l’homme le plus riche de la Terre, défiait son rival Gripsou avec comme objectif à qui posséderait le tas d’or le plus haut, le plus grand et le plus volumineux! Cette aventure avait la particularité de mettre en scène des Jivaros très caricaturaux, mais qui s’en souciait?
Un peu plus loin traînait également sur un siège le tout nouvel album de Gil Jourdan, un recueil broché, les Cargos du crépuscule, dont l’auteur et scénariste n’était autre que Maurice Tillieux.
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Le dessinateur s’était régalé à brosser les personnages crapuleux nommés maître Sanson Loucq et le truand évadé Jo la Seringue. Ce dernier, grâce à des injections spéciales, avait la capacité de bondir comme une sauterelle, accomplissant des sauts de plus dix mètres de haut. Avancée scientifique invraisemblable, n’est-ce pas?
Le para en déroute s’était fait accompagné de son compère, ami et bras droit, un type baraqué à la stature de culturiste et au visage de brute terminé par une mâchoire carrée, un improbable mi Breton mi Belge, mélange détonant répondant au nom peu commun de Jean-Claude Le Gouzic. Comme son inséparable compagnon de fortune, il venait de servir messire Moïse Tchombé, mais pour l’heure, en rupture de ban, il se retrouvait sans travail!
Durant la conversation entre son maître et le soldat de toutes les causes louches, Varami s’était saisi du Journal de Mickey. L’Amérindien, très instruit, pratiquait l’anglais, la langue Achuar, l’espagnol, et se débrouillait suffisamment en français pour comprendre un magazine destiné à la jeunesse. Intrigué, il se mit à lire l’histoire délirante de Barks. Cependant, au fur et à mesure qu’il progressait dans l’intrigue, son visage, d’habitude si paisible, marquait de plus en plus ses sentiments intérieurs, sa colère teintée d’une grande amertume.
« Ces dessins déshonorent singulièrement mon peuple et l’affligent d’une laideur repoussante! Je ne puis accepter cet affront sans réagir! ».
Joignant le geste à la parole, Varami déchira avec force les pages incriminées de l’hebdomadaire devant le regard en boules de loto de l’adolescent, puis les jeta froissées sur le sol ainsi que le Mickey!
Merritt remarqua à peine la colère de son serviteur. Accaparé par ses négociations avec Antoine Serrucci et consorts, il enchaînait les arguments. Le Corse au nez et aux yeux porcins lui proposait, convaincu par les attraits du coup de main, de mettre à sa disposition trente hommes d’expérience, des fusils mitrailleurs, des mitraillettes, des pistolets automatiques, quelques lance-flammes et bazookas, des véhicules blindés légers volés dans les surplus de l’OTAN et à l’armée belge, deux jeeps, un hélicoptère, allez en connaître la provenance!, un lot de parachutes, des fusées anti-aériennes, des mortiers, cette fois-ci chipés à l’armée française, des gégènes dernier cri pour la torture si jamais il y en avait besoin!
- Monsieur, tout cela ne vous coûtera presque rien, affirmait le Corse, mentant comme un arracheur de dents. Nous avons des goûts simples mes amis et moi! Pour le modeste salaire d’un million de centimes par mois, ou 10 000 NF pour chacun d’entre nous, plus les frais d’entretien du matériel, l’affaire est faite!
A ces chiffres, Sir Charles fronça les sourcils, tâchant de convertir la somme en livres sterling. Le Belgo Breton s’empressa de le mettre au parfum. Lui, avait cerné le problème.
- … Ah! Dans ce cas, d’accord.
- Bien. Maintenant, donnez-nous donc les détails.
- Dans un premier temps, vous vous rendrez en Bavière, le plus discrètement possible. Objectif: la propriété de la famille Von Hauerstadt, et, plus précisément, le duc lui-même!
Le Gouzic haussa les épaules.
- Un civil! Un bouseux! Peuh! Laissa-t-il échapper avec dédain.
- Von Hauerstadt? Ce nom me dit vaguement quelque chose! Souffla Antoine.
- Tiens donc! Sa renommée est parvenue jusqu’à vous! Répondit Merritt avec un sourire coincé. Effectivement, Sa Très Haute Noblesse n’est pas n’importe qui! Lors de la Seconde Guerre mondiale, Franz Von Hauerstadt a été décoré plusieurs fois. Il a servi brillamment dans l’Afrikakorps, accompli deux ou trois coups d’éclat en Russie, et, d’après mes sources, aurait réussi assez récemment, il y a trois ans, à éliminer toute une bande d’espions russes qui le serraient d’un peu trop près!
- Gênant! Si les Ruskoffs sont sur le coup, les barbouzes vont également s’en mêler! Proféra Serrucci.
- Gênant mais faisable! Jeta Le Gouzic. Nous devons enlever Von Hauerstadt en doublant les Ivan, au nez et à la barbe de l’armée française parallèle. Je ne parle même pas du contre-espionnage allemand, qui, à mes yeux, ne vaut rien! Au Congo, nous avons connu des situations plus délicates et…
- Mais, diable! Que reprochez-vous donc à ce Boche? Marmonna Antoine, faisant flûter son accent caractéristique. Ce gars m’a l’air sympathique comme tout! Un héros de la Wehrmacht qui a contre lui les barbouzes et les Ruskoffs!
- Le pourquoi précisément ne vous regarde en aucun cas, répliqua Sir Charles froidement. Contentez-vous de savoir que de nombreuses personnes de diverses nationalités s’intéressent à cet homme hors du commun. Moi y compris! Et non pas pour ses exploits militaires passés mais pour ses recherches scientifiques… actuelles!
Le Gouzic hocha la tête, croyant comprendre de quelles recherches il s’agissait.
- Une bombe A portative, peut-être, hasarda-t-il discrètement en baissant la voix.
Merritt eut un geste rapide de la main comme s’il approuvait cette suggestion.
« Qu’entend-il par là? », s’interrogeait-il.
- Ouais! Balança le Corse. Moi, j’opterais plutôt pour un rayon de la mort!
- Ne nous égarons pas! Reprit le Britannique. Je compte sur vous et sur vos hommes. Je suppose qu’ils ont l’habitude de faire face à l’imprévisible et…
- Pour qui nous prenez-vous, l’Anglais! S’écria Antoine avec mépris. Nous ne sommes pas des mauviettes! Enchaîna-t-il plus doucement. Les Ruskoffs, je vous le garantis, nous n’en ferons qu’une bouchée!
- A moins qu’il n’y ait dans la partie un troisième larron, compléta son ami.
- Bien envoyé, Jean-Claude! Master, jouons cartes sur table!
- Hé bien, soit, j’admets qu’au moins quatre groupes concurrents flairent le gibier Von Hauerstadt! Deux marchent ou marcheront avec le duc. Il est vrai qu’ils ont besoin de son concours. Et ils sauront le persuader d’une manière civilisée. Les deux autres équipes sont ses ennemis. Naturellement, je ne nous compte pas parmi elles.
- Vous n’avez oublié personne? Ricana Le Gouzic.
- Je ne le pense pas. Je ne suis qu’un intermédiaire dans cette affaire…
- Pas possible! S’esclaffa Serrucci. Il est inutile, je crois de vous demander qui vous représentez exactement… Sans doute pas le MI6!
Merritt bouillait et réfléchissait à toute vitesse.
« Zoël Amsq ne m’a-t-il rien dissimulé? Les Pi, peut-être? Fâcheuse posture que la mienne! D’habitude, c’est moi qui ai tout en mains. Je planifie mes actions dans les moindres détails. Ici, il me semble jouer le rôle d’un simple comparse. Oh! Je me vengerai! ».
- Dites-nous tout! Cracha le Belgo Breton.
- Entendu. Vous pouvez laisser de côté le premier groupe allié de Von Hauerstadt. Il n’est constitué que de trois adolescents à l’âme d’aventuriers. Ces amateurs ne sont pas dangereux même si l’un des membres du trio sait se battre… A l’épée et au judo…
- Broutilles! Des gamins encore dans les langes…
- Tout à fait! Par contre, le deuxième groupe est assez… cosmopolite, dirai-je. Le chef, à ma connaissance, a la nationalité américaine.
- CIA? NSA?
- Non, un politicien richissime poussé par le lucre. Cette troupe convoite Von Hauerstadt à cause des profits considérables que ses inventions peuvent générer. Quelques membres sont Italiens, d’autres des Noirs d’Afrique…
- Nous ne servons que la France blanche ou les Européens occidentaux purs et durs! S’écria Antoine. USA go home!
- J’approuve, fit Sir Charles pour calmer son interlocuteur. Ce groupe dispose de soldats d’élite entraînés.
- Peuh! Un Amerloque n’a jamais valu un para baroudeur français! Siffla Antoine.
- Mon ami, allons à l’essentiel. Qu’en est-il du second groupe allié à l’Allemand? Questionna Jean-Claude.
- Disons qu’il est encore plus exotique que celui commandé par le politicien. Déclara Merritt. Plus qualifié aussi, selon moi. J’ai l’identité de tous les membres qui le compose. Je pense que le moins imprévisible est une espèce de Cosaque attardé, un homme lent d’esprit, mais entièrement dévoué à son commandant. Il possède la force d’un ours et sait piloter tous les engins… volants.
- Moui… je vois le tableau. Ensuite? Interrogea Antoine, impatient.
- Un Noir! Un intellectuel diplômé à ne savoir que faire de ses titres et doctorats! Un rêveur! Il ne vous gênera guère même s’il a appris les arts martiaux.
- Pff! Vous n’avez pas plus sérieux comme adversaires?
- Attendez un peu! Une jeune femme sportive qui cumule les ceintures noires de judo, de karaté et d’aïkido. Cependant, elle est enceinte de cinq ou six mois et plus bonne à grand-chose!
- C’est ça la troupe dont nous devons prendre garde et qui doit nous terroriser? Persifla Le Gouzic.
- Je n’ai pas terminé! Il n’y a pas que la force physique! Méfiez-vous de la jeune fille, elle n’est, certes, pas spécialiste des combats rapprochés, mais mon informateur m’a affirmé qu’elle disposait de talents fort particuliers et très dangereux car surprenants!
- C’est-à-dire?
- Elle est tout à fait capable de se métamorphoser en panthère, en gorille, en hyène, en vautour, en… que sais-je encore? Au moment le plus inadéquat pour celui qui l’affronte.
Serrucci daigna lever un sourcil.
- Elle doit hypnotiser son adversaire! J’crois pas à l’existence de mutants! On n’est pas dans une bande dessinée!
- On va se battre contre des phénomènes de foire! C’est cela que vous vouliez nous dissimuler, Mister!
- Pas du tout, ce ne sont pas des créatures de cirque, Mister Le Gouzic! Rétorqua sèchement Sir Charles. J’achève: j’en arrive maintenant aux plus dangereux. Un conseil: si vous avez le malheur de les avoir en face de vous, tirez d’abord, expliquez-vous ensuite! Je commence par le plus âgé. Un français, tout comme vous, la soixantaine, un vieux militaire, blanchi sous le harnais… Comment dirais-je? Ah oui! Une sorte de général Massu…
- Il n’est pas général et il est plus jeune!
- D’accord! Mais celui auquel je fais allusion, sait prendre des initiatives déstabilisantes et ne craint pas le corps à corps, au contraire! Il se nomme André Fermat.
- Jamais entendu parler! Jeta Le Gouzic.
- Un vieux! Siffla son compère.
- Qui connaît cependant plus de cinq cents façons de tuer son homme en moins d’une seconde! Compléta le Britannique.
Le Corse émit un grognement.
- Impossible! Grommela-t-il.
- Pas avec la technologie à sa disposition et encore moins avec l’entraînement fort cosmopolite qu’il a eu durant des dizaines d’années! Reprit Merritt sévèrement. Le deuxième côté du quadrilatère ressemble à un type dégingandé de plus de deux… mètres. C’est un albinos photosensible. Il est doté de l’agilité d’une anguille et possède la rapidité d’un guépard ou de tout autre prédateur! Son régime, si j’en crois mes sources, reposerait sur le… sang! Ceci expliquerait sa force digne de dix hommes au moins!
- Un vampire? Rugit Serrucci en écarquillant ses yeux miteux sous la surprise. S’il avait fumé, il en aurait avalé sa cigarette!
- C’est le terme exact! Pour vous donner une idée de ses capacités, à ma connaissance, il peut affronter vingt Fermat à la fois et en sortir vainqueur sans la moindre contusion!
- Mmm… ça tourne au film fantastique de la Hammer, articula Jean-Claude, retenant un fou rire.
- Vous ne me croyez pas! Fit Sir Charles, dépité…
- Master, je pense que vous avez une imagination… débordante!
- Et ces photographies? Mentent-elles?
- Ma foi, belles œuvres d’art… Dit le Corse en examinant de près six tirages papier.
- Là, c’est Antor, le vampire, ici, Fermat, là, Maïakovska, la femme enceinte, et encore, sur cette photographie, la jeune fille, Violetta…
- Elles sont bizarres ces photos! Elles brillent et les personnes dessus semblent sortir du papier et bouger!
- En effet, sourit Merritt. Je n’y avais pas prêté attention! Rendez-les-moi donc!
- Minute! Ce bonhomme, là, a l’air anodin et placide…
- Mister Serrucci, détrompez vous. Il s’agit du commandant Daniel Lin Wu, himself, un Sino Français, du même acabit que son ami l’Albinos. Il aurait quelques scrupules à tuer, d’après ce que je sais… mais lorsqu’il s’y est résolu, il vaut mieux fuir!
- Un cœur tendre, avec des scrupules, mais aussi un tueur redoutable! Je n’y crois pas à ce mélange!
- Un sang mêlé, oui, qui m’a dupé dans les belles largeurs!
- Oh! Oh! C’est donc votre honneur bafoué que nous devons venger! Ricana le Corse. Une vendetta! Bravo! J’approuve!
- Absolument pas! Vous faites fausse route! Ce type est le diable incarné! Il se déplace plus vite que les balles, plus vite que le son…
- Un Superman lui aussi? Et, tout comme l’autre, il vole, sans doute! S’esclaffa une fois encore le Belgo breton. C’en est trop! Quelle est cette farce?
- Voler, cela je l’ignore… mais pour défoncer une porte en acier blindé avec une simple chiquenaude, oui! Je l’ai vu accomplir ce prodige!
- Admettons! Et le quatrième de ce quatuor farfelu?
- Le pire de tous, à mon avis! S’il sort de ses gonds, incontrôlable! Et c’est un euphémisme! Il n’a peur de rien, hormis son supérieur, Daniel Wu qui peut lui administrer une raclée en un millionième de seconde si jamais il désobéit aux ordres ou outrepasse les directives!
- Pourquoi ne figure-t-il pas sur les photos? S’étonna Serrucci.
- Monsieur Kiku U Tu est un timide!
- A quoi le reconnaîtrons-nous? Reprit Le Gouzic.
- Hé bien, il s’apparente vaguement à l’étrange créature du Lagon noir, ou encore à Godzilla, m’a expliqué mon informateur. Ce Troodon appartient à l’espèce des dinosauroïdes. Poussé par ses instincts sanguinaires, il rêve de se battre sans cesse et recherche la violence. De plus, il ne dédaigne pas se nourrir des soldats ou autres adversaires qu’il a vaincus!
Le Corse rumina toutes ses informations tout en mâchouillant un bâton de réglisse.
- Résumons! Fit-il après quelques minutes de silence. Vous voulez nous embaucher pour le tournage d’une superproduction hollywoodienne, pour les studios de Cinecittà ou pour le cirque?
- Dès que vous verrez Kiku U Tu, vous le reconnaîtrez assurément! Proféra Merritt d’un air pincé. Il est couvert d’écailles irisées, le dessus de son crâne s’orne d’une crête de coq. L’ami Kiku présente, en sus, une impressionnante mâchoire de cinq cents dents, pas moins! Bref, il ressemble à un crocodile haut sur pattes avec une queue lui servant de balancier! Un peu comme un T Rex crocodilien!
- Vous êtes sérieux, là? Dit Le Gouzic s’étranglant de surprise. Je sais les membres de votre nation dotés d’un humour spécial, mais…
- Je ne plaisante pas, je vous le jure!
- Ce n’est pas une marionnette de carton-pâte, un automate? Vous en êtes certain? Hasarda Serrucci.
- Non! Kiku U Tu est bel et bien vivant, je vous l’affirme et dispose de tout son libre arbitre.
- Je suis dépassé! Largué! Souffla Antoine.
- Moi itou! Renchérit le Belgo Breton.
Le fils de la tenancière du café, qui n’avait rien perdu de cet échange grâce à une ouïe développée, répondit, sûr de lui et très fier de ses connaissances et de son intelligence:
- Je sais, moi, m’sieur de quel animal il s’agit! Votre tyrannosaure, il a été amené ici, à notre époque, par une machine à explorer le temps, comme dans Bob Morane, ou encore dans l’histoire qui paraît dans Tintin, « Le piège diabolique »!
Merritt se leva alors brusquement, renversant son whisky. Son regard se fit coupant et froid comme l’acier le plus pur! Mais inconscient de la colère subite de l’Anglais, l’adolescent poursuivit, vibrionnant de vanité.
- Vous êtes un voyageur du temps, un tempsnaute, monsieur l’Angliche et vous voulez enlever ce duc boche parce qu’il a mis au point une machine supérieure à la vôtre! Vous envisagez de lui voler sa technologie pour, ensuite, piller les trésors des civilisations perdues du passé, comme celles qu’on voit dans Picsou ou Tarzan! L’El Dorado, Mû, l’Atlantide et j’en passe!!!
- Gamin, fit l’ex-professeur s’approchant d’un pas feutré, retourne promptement à tes lectures, sinon je te savonne les oreilles rudement!
- Ouais! Vous m’renvoyez parce que, moi, j’ai tout compris alors que ces deux gros nigauds là n’ont rien saisi et pédalent dans la choucroute! Y a qu’à vous observer avec vos fringues pour se rendre compte que vous n’êtes pas de ce siècle! Moi, j’ai vu au cinoche La machine à explorer le temps avec Rod Taylor … Et comme lui, vous venez de 1900 ou presque! Les habits que vous portez ressemblent un peu à ceux du comédien!
Merritt n’y tint plus! Il administra une gifle magistrale à l’adolescent puis, grand seigneur, lui lança un billet de Cent NF. Cela fit taire les pleurs de l’enfant.
- Bon... J’porte pas plainte, m’sieur! Avec, je vais me payer un blouson tout neuf!
Calmé, Sir Charles revint s’asseoir auprès des deux mercenaires qui n’avaient pas pipé mot durant la scène.
- Ce qu’a dit le gamin?
- Messieurs, c’est presque cela! Vous êtes embauchés pour l’aventure la plus excitante de votre existence!
- Bah! Du moment que vous avez le portefeuille bien garni et que vous casquez… jeta Serrucci fataliste.
Mais la sacro sainte heure du catch avait sonné! 22h30. Pour rien au monde, cette faune masculine n’aurait manqué le match retransmis sur l’unique chaîne en noir et blanc de la télévision française! La rencontre promettait d’être alléchante, jugez-en: Cacus contre l’Archange pourpre! La tête de ce dernier était recouverte d’une cagoule rouge, mais grise pour les téléspectateurs. L’imposant catcheur portait un collant des plus ajustés laissant ressortir son impressionnante bedaine. Son torse, pratiquement dépourvu de pilosité, au contraire de son dos, écœurait tant il luisait. Au compteur de la vie, le bonhomme affichait un certain nombre d’années.
Cacus, lui, était chauve, avait les yeux bleus vifs, la mâchoire carrée et était doté de paluches très, trop?, larges. Ses muscles très développés, suscitaient l’admiration de tous. De plus, ses triceps saillaient et ses biceps roulaient avec une grâce assassine. Lui était vêtu d’un slip noir très moulant et très suggestif surmonté d’une ceinture martelée. Sur la boucle de celle-ci, on pouvait reconnaître une sinistre tête de mort! Ainsi, son adversaire était prévenu!
Bientôt, dans le café, les paris illégaux fusèrent. La patronne laissait faire, s’assurant d’une clientèle fidèle. A la vitesse de l’éclair, les billets en Nouveaux Francs, Victor Hugo, (5NF),
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Richelieu, (10NF),
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et Henri IV, (50NF),
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sortirent des portefeuilles. La dernière coupure représentait une forte somme pour l’époque.
- Vas-y, Cacus! Ouais! T’es le plus beau! T’es le plus fort, le plus méchant! Vociférait une partie des clients tandis que l’autre s’enthousiasmait pour son adversaire.
- L’Archange pourpre a plus d’expérience! Ouiii! L’Archange pourpre! Règle lui son compte presto! Fais-en de la chair à pâté à ce prétentieux!
Fasciné, malgré lui, Merritt fixa l’écran et le spectacle retransmis sur les ondes hertziennes. Il comprit qu’en ce milieu du XX e siècle, l’humanité n’avait guère changé et progressé. La violence et l’argent, le goût des paris menaient encore les hommes.
Il ne restait qu’une quinzaine de jours pour que le groupe de mercenaires rejoignît la Bavière et menât à terme l’opération baptisée Mangouste par Zoël Amsq lui-même! Pendant ce temps, loin de se douter de ce qui allait se produire, Von Hauerstadt préparait avec soin son colloque.

***************

Georges s’était rendu à l’arboretum et avait essayé d’interroger l’orang outan. Le botaniste n’avait rien remarqué de spécial dans son domaine sauf quelques suspectes traînées blanchâtres! Il n’avait pas poussé plus avant ses investigations. Cependant, devant l’agitation inhabituelle de Gllump, il avait tout de même pris soin d’alerter le médecin en chef du Langevin.
Lorenza di Fabbrini regrettait l’absence d’Uruhu qui aurait pu communiquer directement avec le grand singe. La doctoresse, elle, avait compris que quelque chose de grave s’était produit à l’intérieur du vaisseau et, plus particulièrement dans l’arboretum. Une intrusion ennemie sans aucun doute! L’Italienne connaissait les tactiques d’ensemencement des Velkriss mais ignorait comment ces derniers avaient pu franchir les boucliers du Langevin et se téléporter à bord.
Lorenza prévint son mari, le commandant par intérim, de l’incident. Benjamin n’hésita pas malgré le souci de mener à bien les manœuvres périlleuses de combat dans lequel le vaisseau était plongé. Il envoya immédiatement une équipe de sécurité à l’arboretum, équipe dirigée par Kutu, le sergent bras droit du Troodon Kiku.
Parallèlement, le capitaine Sitruk avait réceptionné un dernier message codé de Tony Hillerman. Daniel Wu et son groupe quittaient l’année 1890 après leur cuisant échec. Les éléments déjà assemblés du bio translateur restaient hélas entre les mains de Charles Merritt et de son allié Zoël Amsq!
Le chrono vision de l’Einstein tentait de localiser le « vaisseau » Pi et les humanoïdes ennemis. Le terme « vaisseau » était impropre car il s’agissait en fait d’une aura énergétique « trans super cordes » se déplaçant à vitesse trans distorsionnelle dans plusieurs univers bulles à la fois! Ces univers étaient alors reliés par des spirales si minuscules qu’elles en étaient indétectables en théorie! De plus, le déplacement d’un Univers à l’autre était si « instantané » que le chrono vision peinait à stabiliser une image cohérente de la translation Pi!
A bord du Langevin, l’équipe de la sécurité avec pour second Giulio Maserati sondait l’arboretum minutieusement. Celle-ci était munie de détecteurs biologiques et de fuseurs d’appoint capables d’endormir ou de paralyser la cible touchée durant une heure environ. Pour user d’armes plus meurtrières à l’intérieur du vaisseau, il fallait procéder au désamorçage des procédures internes de sécurité ce qui nécessitait l’autorisation du commandant de Langevin. Si ce n’était pas le cas, à l’émission du rayon brûlant, le fuseur était escamoté!
Avançant prudemment, les gardes progressaient lentement dans la jungle reconstituée. Une recrue caprinoïde, à la barbe et aux cornes naissantes, détecta une source anormale de chaleur en direction de l’étang artificiel. La température de l’eau avait grimpé de trois degrés Celsius. Le jeune soldat appela le chef adjoint de la sécurité, le sergent Troodon Kutu. Le Kronkos réagit instantanément. Ordonnant à quatre de ses subordonnés de le suivre, deux lycanthropes, Eloum le cygne noir et le siliçoïde Kinktankt, le dinosauroïde s’approcha dudit étang. Au premier coup d’œil, il sut à quoi il avait affaire.
- Ces foutus « breurhrgs » de Velkriss sont venus pondre jusqu’ici! Rugit le Troodon. Exactement ce que craignait le capitaine Sitruk! Protocole de sécurité Alpha, Thêta, Zêta, Epsilon de l’arboretum annulé, code rouge! Hurla-t-il ensuite à l’adresse de l’ordinateur.
- Ordre exécuté, répondit impassible la voix synthétique.
- Bien! Gardes, projetez-moi quelques rafales de tirs plasmatiques dans cette mare et brûlez aussi cet arpent de forêt en même temps que le plafond au-dessus!
- Oui, chef!
Gllump, qui se balançait sur une branche, mécontent, descendit de son perchoir; on détruisait ses arbres chéris! Avançant résolument vers les gardes, il manifesta sa colère par de grands gestes, d’amples moulinets, jetant de sonores « Ouh! Ouh! » de réprobation.
- Qu’est-ce qu’il prend à ce macaque! Grogna le Kronkos. Il nous gêne!
- On s’en occupe, chef! Répliqua Grarv.
Encadré par les deux loups qui commençaient à lui montrer les crocs, l’orang-outan n’eut d’autre choix que de reculer. Penaud, il s’accroupit.
Tout autour, les tirs de plasma crépitaient, empuantissant l’atmosphère, transformant en fournaise ce coin de paradis; désormais les espèces rares arborescentes flambaient et l’eau de l’étang partait en vapeur!
- Je pense que cela suffit! Lança Kutu au bout de quelques minutes. Kinktankt, assurez-vous que tout est proprement nettoyé.
Craignant moins la chaleur que les unités carbones humanoïdes ou autres, le siliçoïde se pencha vers ce qui restait du plan d’eau et se dépêcha de lire les données affichées sur l’écran de son senseur portatif.
- Euh, chef… balbutia-t-il à l’aide de son vocodeur. Je penser que c’est raté!
- Comment ça?
- Au contraire les témoins de mon appareil montrent une recrudescence, une accélération du développement cellulaire des larves. Les œufs ont trouvé la parade! Ils s’enfouissent davantage dans la vase, un peu comme s’ils nidifiaient à l’intérieur d’un utérus.
- Je vois! Gronda Kutu. C’est un peu comme s’ils s’étaient nourris de Giglaar, soupe ou brouet constitué de sang, de sérum, de charogne malaxée, donné aux nouveaux nés Kronkos la première semaine de leur existence, ces salauds! Suivez la trace des œufs au fond de cet étang!
Sans état d’âme, Kinktankt acquiesça et s’enfonça à son tour dans la vase.
Ainsi, en arrosant le nid Velkriss d’un tir plasmatique à puissance létale, le sergent Kutu avait commis une erreur! Chaque nid « communiquait » avec les autres. Le tir nourricier non seulement accélérait l’incubation, mais, par ricochet, grâce à l’ordre transmis par l’essaim menacé, entraînait la maturation des autres aires de pontes disséminées dans tout le Langevin! Pour éclore, les larves mettraient trente-six heures et non soixante-douze!
Tout à sa mission, Kinktankt creusa efficacement dans la vase. Alors, il vit, s’agglomérant à sa propre structure, des chapelets d’œufs qui grossissaient à une vitesse époustouflante. De seconde en seconde, les larves s’opacifiaient et se fonçaient, prouvant ainsi que leur croissance doublait toutes les dix périodes précitées.
Pour venir à bout de cette invasion, le siliçoïde n’eut d’autre choix que de projeter d’abondants jets d’acide qui, en temps normal, rongeaient les carapaces et les chitines des futurs Velkriss. Une douzaine d’œufs mourut en crachant des fumerolles, libérant ainsi des larves encore inachevées, toutes annelées et grisâtres, où, pourtant, apparaissaient déjà des fantômes de pattes semblables à celles des chenilles terrestres.
Libre, Kinktankt reprit sa progression et put constater que « les chefs de ponte », autrement dit les premiers œufs pondus, donc les larves abouties, sécrétaient une substance qui les entourait et les protégeaient en prenant une forme alvéolée.
Fascinée, malgré elle, la roche pensante assista, quelque peu terrorisée néanmoins, à l’édification accélérée de sortes de « rayons » d’abeilles ou de guêpes. Puis, en à peine quelques secondes, ces rayons s’operculèrent rendant l’acide de Kinktankt inefficace à percer la nouvelle structure. En fort peu de temps, le nid avait abouti à une forteresse imprenable et, plus grave, partout dans le vaisseau, le même scénario s’était reproduit!
Un siliçoïde pouvait-il trembler de peur? Non, nous direz-vous! Et pourtant c’est ce qu’il advint! Le garde, immobilisé par la panique, perdait un temps précieux. Or, le danger devenait pressant. Les grognements et rugissements furieux de Kutu le tirèrent de sa torpeur.
Penaud, remonté à l’air libre, Kinktankt fit un rapport bref au sergent Troodon. Le Kronkos ne se démonta pas. Il en avait vu d’autres. L’invasion Asturkruk de la planète Gris, l’attaque par les Alphaego du Langevin, et ainsi de suite…
Recouvrant un calme non feint, le chef de la sécurité par intérim transmit au capitaine Sitruk les dernières découvertes de son équipe.
Sur la passerelle de commandement, Benjamin, métamorphosé en statue de l’impassibilité, tira aussitôt l’inévitable conclusion exigée par la situation. Glacial, il ordonna:
- Faites évacuer immédiatement l’arboretum et tout le niveau! Puis, bombardez le pont avec des canons tirant des particules anioniques!
- Ordre enregistré! Gronda Kutu.
Très professionnel, le sergent commença à faire évacuer le niveau? Gllump tenta bien de résister; un loup l’assomma alors d’un coup de crosse derrière la nuque.
Sur la passerelle, Penta Pi qui conseillait Sitruk le mit en garde.
- Une fois le nid éclos, cher capitaine, que ferez-vous?
- Vous connaissez le proverbe, non? Ici, à chaque minute suffit sa peine! Soupira Benjamin en haussant les épaules avec résignation et lassitude. J’aviserai en temps utile. Un problème à la fois!
- Et… S’il y a d’autres nids ailleurs sur le vaisseau?
- Ah! Vous captez sans doute des activités psychiques étrangères!
- Précisément!
- J’ai mes ordres, j’irai jusqu’au bout.
- Je n’en doute pas. Quitte à … me sacrifier?
- Tout à fait! L’invasion du vaisseau explique pourquoi nos adversaires font durer l’ultimatum. Nous aurions dû être atomisés depuis des heures!
- Oh! Depuis trois heures cinquante et une minutes et dix-huit secondes, cher ami!
- Silence! Laissez-moi penser à une solution de rechange!
- Y en a-t-il une? Vous êtes déjà mat!
Devant le regard sombre de Benjamin, l’entité se tut. En son for intérieur, elle savait.
« Nous sommes désormais une chenille dans laquelle un parasite a pondu. Une fois nées, les larves vont se hâter de nous dévorer de l’intérieur! Je ne donne pas une semaine au Langevin pour être assimilé. Il aurait mieux valu pour nous tous, moi y compris, finir carbonisés au cœur d’une étoile! Mais la Dimension Pi ignore la magnanimité tout comme moi jadis! Et les Velkriss sont patients! J’en frissonne par avance! ».

***************

Assidûment, Daniel Wu et Tony Hillerman scrutaient l’écran du chrono vision Merritt et ses alliés leur échappaient encore. La traque était rendue plus ardue car l’onde transdimensionnelle et transtemporelle Pi suivait des voies hétérodoxes au sein du pan trans multivers. La Dimension se jouait des déviations entre les univers bulles, sautant un peu métaphoriquement du coq à l’âne, sans aucune logique apparente, se télé portant d’un feuillet monde à un autre, ignorant les relais et les haltes obligés des super cordes Là, ces dernières ne vibraient pas, dénonçant ainsi qu’elles ne subissaient aucune intrusion, même la plus furtive!
Plus captivé et intrigué par ce mystère que contrarié par le retard, Daniel s’était mis à réfléchir à voix haute.
- Comment de simples humains transportés par cette onde parviennent-ils à conserver leur intégrité structurelle malgré les multiples sauts au sein de l’impensable?
- Euh, commandant…
- Tony, théoriquement, ils doivent connaître simultanément tous les états de la matière, tous les stades du vivant, y compris les potentiels, ceux dont nous sommes tout à fait incapables d’envisager l’existence…
- Puisque vous le dites…
Essayant de garder son sang-froid, Tony reprit.
- Commandant, les Pi savent que nous les pistons tant bien que mal à l’aide du chrono vision. Ils empruntent donc des chemins détournés, multiplient les virages, les changements brutaux de direction et d’univers afin de masquer leur véritable destination…
- Certes, lieutenant, mais tout de même! Nous jouons ici au loto! Merritt et Amsq doivent se rendre dans un des lieux où les parties du bio translateur ont atterri. Mais la Dimension manipule le temps et les réalités en se déplaçant. Elle va même jusqu’à créer des dérivés sur des harmoniques déjà modifiées!
Posant une main sur l’épaule de son mari, Irina intervint:
- Tous les deux, êtes-vous absolument certains que ces entités ne leurrent pas actuellement le chrono vision? Par exemple en nous faisant croire qu’elles sautent d’un univers gazeux dévié du nôtre à 99,8% à celui constitué de sons liquides et dérivé de 98,7% dans le sens opposé, alors qu’en fait, elles n’ont pas bougé de cette chrono ligne et ont atterri en 1910, 1939, ou encore en 1960?
- T’ai-je dit, mon amour que tu avais du génie? S’exclama alors Daniel joyeusement.
- Quelques fois, mais rarement!
- Je t’en demande humblement pardon, Irina.
- Euh… Excusez-moi, commandant. Il ne faut pas nous réjouir trop vite! Nous ne disposons d’aucun moyen pour dissiper l’écran de fumée des Pi!
- Lieutenant, détrompez-vous! En accordant directement mon cerveau à l’IA reliée au chrono vision, nous ne serons plus aveugles!
Irina afficha une moue de désapprobation.
- Je sais ce que tu penses, ma chérie…
- Mais… nécessité oblige! Combien de fois m’as-tu sorti cette phrase!
- Cela ne durera pas longtemps, je te le promets.
Le branchement du cerveau positronique du commandant Wu à l’IA de la navette et au chrono vision ne prit pas même cinq secondes! Soudain, les données de l’appareil temporel se firent beaucoup plus claires. Elles affluèrent en masses ordonnées. Les images s’enchaînaient, zoomaient à une vitesse prodigieuse. L’Œil humain avait du mal à enregistrer ce qu’il voyait. Désormais, la difficulté consistait à sélectionner les informations les plus pertinentes afin d’anticiper les intentions de Zoël Amsq. Quelques peu dépassés, les subordonnés du commandant avaient besoin d’explications.
- Le vaisseau onde Pi vient de ralentir, les informa le daryl androïde d’une voix monocorde. Il rebondit sur le nœud de confluences engendré par les interventions de Sarton dans les XX e siècles de la Terre. Voyez, les représentants de la Dimension empruntent la chrono ligne originelle 1722, celle qui conduit à la Troisième Guerre mondiale débutée en 1993, la piste où Michael Xidrù et Stephen Möll tentent d’empêcher l’Entropie de gagner…
- Cet Univers n’a donc pas bénéficié de nos actions et des manœuvres de Sarton.
- Tout à fait, Irina.
Fermat s’était rapproché de l’écran sphérique, son esprit empli de curiosité.
- Si je lis bien, les Pi passent en marche arrière et sautent par-delà des confluences secondaires. De plus, j’aperçois des amorces d’harmoniques sur les graduations relatives à 1963 et 1966...
- C’est tout à fait compréhensible et logique car ce sont là des temps dans lesquels nous sommes intervenus. Faites appel à votre triple mémoire.
- Oh! Oh! Reprit André. L’un des 1966 conduit à une galaxie dominée par les Asturkruks! D’autres 1966 également. Ces calmars qui peuplent l’océan principal de Gentus sont pourtant, ici, dépourvus d’intelligence!
- Certes, dans cette piste! André, consultez votre mémoire cachée! S’impatienta Daniel.
- Mais… tout cela, c’est notre faute!
- Une faute réparée par l’agent temporel MX.
- Tiens, l’onde vient de stopper. Constata Hillerman.
- Oui, en février 1961, univers originel 1722... IA, focalise sur le continent européen.
- Bien, commandant, répondit la voix synthétique.
Tandis que Daniel coupait le lien direct avec l’ordinateur, il complétait ses ordres.
- Scrute tout particulièrement le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Recherche des signaux de télé portation d’une onde transdimensionnelle Pi.
Au bout de trois secondes, l’IA lança:
- Données disponibles.
- Affichage… bien… deux signaux de télé portation d’unités carbone dans le Sud de la France, côte méditerranéenne… le 7 février 1961. Trois autres unités télé portées en Bavière, près de Munich à la même date.
- Eh! Souffla Raoul émerveillé. Je reconnais le coin! Les deux premiers individus se sont rendus à Marseille!
- Attention! S’écria alors Hillerman. Il y a d’autres signaux parasites de translation temporelle secondaire!
- Moui… Il s’agit de tempsnautes supplémentaires, d’origine inconnue, sans lien apparent avec le vaisseau de la Dimension. Ils se sont certes rematérialisés en Bavière mais le 20 février 1961.
- Il y a donc deux groupes différents, voire rivaux, hasarda Fermat. Où nous rendons-nous en premier lieu?
- Attendez un peu, André. Les coordonnées correspondent à celles de la propriété du duc Von Hauerstadt. Or, nous ne sommes pas intervenus en 1961! Je pense que nous pouvons y aller, en prenant au passage quelques précautions.
- Si je comprends ce qui se passe, fit Violetta de sa voix pointue, nous allons rencontrer la famille de Franz qui ne nous connaît pas encore…
- Tu as tout à fait raison, compléta Irina. Nous abandonnons la piste de Marseille.
- Amsq et Merritt doivent y recruter des aides…
- Des truands du milieu, tels Carbone et Spirito!
- André, c’était quelques années plus tôt, jeta Daniel avec un léger sourire ironique. Hauerstadt ne sera pas difficile à convaincre.
- Pourquoi? S’enquit Violetta.
- Ma grande, tout simplement à cause de notre lien télépathique existant dans une autre harmonique!
Daniel Wu allait en dire plus lorsqu’il fut interrompu par les hurlements du lieutenant Uruhu qui dormait sur une couchette. Tout à son cauchemar, il jetait des mots à moitié incompréhensibles en ancien français et en latin.

***************

Tout le groupe accourut au chevet du chef pilote. Allongé sur sa couchette, les yeux clos, le K’Tou s’agitait, prononçait des paroles sans suite, transpirait à grosses gouttes tout en mimant un combat. Se penchant au-dessus du Néandertalien, Irina conclut:
- Uruhu a manifestement besoin du soutien mental d’Antor; lui seul peut le calmer et détailler précisément les images générées par son subconscient.
- Je m’en charge! Déclara simplement le vampire.
Avec la plus grande sollicitude, l’ambassadeur adjoint passa tout d’abord sa main glacée sur le front moite du lieutenant et l’y laissa. Puis, il parla avec lenteur, cherchant ses mots.
- Le chef pilote n’est pas en danger, rassura-t-il. Et il n’est pas plongé dans un cauchemar…
- Il est donc entré en communication avec une Entité d’un autre espace temps, marmonna le commandant Wu soucieux.
- Tout à fait, Daniel. Je vois un champ enneigé, assez vaste, où les semailles attendent de germer. Un ciel bas, gris et pesant… des corbeaux noirs à l’affût de nourriture… Désorientés par un phénomène inexplicable, ils volent dans le plus grand désordre. Un homme voûté, mal rasé, encapuchonné, un vilain, se penche imprudemment vers un objet ovale, étrange, déplacé, anachronique en ce lieu… cette chose octogonale émet une lueur violette qui palpite régulièrement tel un cœur. Le vilain court jusqu’à l’église. Il a le souffle court. Enfin, il parvient à expliquer au curé et au chef de la communauté ce qu’il a découvert. Tous les hommes de la paroisse déterrent l’objet avec mille précautions. Le froid est intense et les vilains crachent sur leurs mains pour les réchauffer. Mais que faire de ce signe du ciel? Le prêtre conseille de le donner au monastère de Saint-Géraud.
- Saint Géraud en Auvergne? Interrogea Raoul.
- Cela correspond aux informations fournies par l’amiral Trabinor, remarqua Fermat.
- Oui, mais quand exactement?
- Laisse donc achever Antor, ma chérie, dit Daniel à son épouse.
Comme s’il n’avait pas été interrompu, l’ambassadeur adjoint poursuivit.
- Les moines accueillent la relique avec humilité. Dans la chapelle, ils prient et rendent grâce au Seigneur. Plus tard, dans le scriptorium, frère Cuthbert, le Saxon, rédige la chronique de saint Géraud. Il y mentionne la relique et la peint en une enluminure dans lesquels les bleus et les ors se mélangent avec bonheur. Désormais, l’objet sacré a un nom. Il a été baptisé mandorle de gloire irradiante.
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- Pff! J’y crois pas! Balança Raoul avec aplomb.
- Chut! Rétorqua Violetta en lui lançant un vicieux coup de pied dans les tibias. A ma connaissance, Antor est le plus puissant télépathe de tout l’Univers, et… Uruhu un médium du tonnerre!
- Afin de mettre en valeur leur acquisition, les moines contactent des frères artisans limougeauds de Saint Martial. Alors, les Limougeauds créent un chef-d’œuvre d’émail champlevé, le plus grand des émaux jamais conçus en Occident! Désormais, un Christ de gloire sied en la mandorle. Ensuite… le supérieur du monastère écrit à l’évêque Guy d’Aurillac afin qu’en sa visite pastorale il soit l’hôte de la communauté et honore le Seigneur dans Sa Gloire irradiante… Anno Domini 1244, style de Pâques…
- Une date précise, enfin! Se réjouit Daniel Lin.
Pendant qu’Antor s’exprimait, Uruhu se contorsionnait de plus belle sur sa couchette mais il paraissait cependant moins fiévreux.
Des ombres floues prirent forme dans la cabine, silhouettes étranges et inquiétantes constituées de brume, une brume qui toutefois, à chaque microseconde se faisait de plus en plus consistante. Bientôt, on put reconnaître des hommes, des moines clunisiens plus exactement, revêtus de leur bure noire. Malgré la capuche qui dissimulait partiellement les visages, l’équipe de l’Einstein aperçut sur les faces déformées les cruels stigmates d’une terrible et horrible punition divine. Frère Cuthbert lui-même, le maître du scriptorium arborait une figure brûlée marquée de cloques rosâtres et boursouflées, des lèvres enflées. Il en allait de même pour les malheureux frères Yves, Pierre, Hugues et Gilles, artistes créateurs du Christ de gloire. Leurs mains blessées, les chairs à vif laissant apparaître les os, suscitaient la pitié! Et frère Urbain, le préposé à l’ostension de la relique, sur son lit d’agonie se matérialisa lui aussi, atrocement consumé de l’intérieur. Il n’avait plus rien d’humain! Ses yeux à demi éteints, ses prunelles obscurcies suppliaient on ne sait quelle divinité de mettre fin à ses insupportables souffrances…
Raoul, ému au-delà des mots, balbutia:
- Quelle est donc cette chose qui brûle ainsi, défigure et tue en une lente et douloureuse agonie?
- Un phénomène diabolique, le renseigna Violetta. Nous l’appelons radioactivité!
L’ombre de frère Cuthbert se détacha du groupe. Parlant lentement, le moine s’exprima en un français relativement moderne. Daniel reconnut alors la voix du chevalier Philippe.
- Naturellement, souffla-t-il.
- Amis, compagnons des temps à venir, faisait l’être surnaturel, hâtez-vous! L’objet céleste, comme affamé, multiplie les victimes! Des envoyés du Malin sont en route et s’apprêtent à s’en accaparer. J’ai demandé à ce que l’on fabrique un sarcophage de plomb afin d’y enfermer la mandorle. Les artisans de Saint-Flour ont suivi mes instructions et ont doté le coffre d’un double fond en plomb. Mais, les quantités nécessaires à son élaboration sont prodigieuses! J’ignore si elles suffiront à arrêter l’horrible moisson de mort de l’objet rayonnant.
Comme si son attention était détournée, frère « Cuthbert » cessa de parler. Toutefois, après quelques secondes, l’étrange monologue reprit:
- Mais voici que profitant de l’absence de notre Sire Roi en croisade, des seigneurs félons pillent le monastère! Ils emportent jà le sarcophage dans un charroi attelé de seize chevaux tellement la mandorle est lourde en son coffre! Ces seigneurs veulent venger Montségur ont-ils avoué au frère chapelain. En réalité, Ogo les guide… le démon, le renard blanc, le Révolté, le Satan, celui qui sème le désordre et la discorde, l ‘annonciateur de l’Entropie! Maintenant, de nouveaux brigands, tout aussi avides que les premiers accourent! Ils veulent participer à la curée, à l’hallali! Ils désirent la mandorle afin de détruire l’ordre divin, ils ne rêvent que du chaos! Un pseudo sujet de Cathay au poil roux, de haute stature, le plus fourbe de tous, sa langue ment même à son Suzerain, conduit une partie de la meute et des hyènes! Puis, un homme de Moscovie au corps apparemment débile mais plus habile et plus rusé que David, une amazone saxonne et un tire bourses de la cité de Londres, assassin et parjure des centaines de fois… tous se sont détournés de la Voie juste et vont affronter la secte du veau d’or, guidée par une âme perdue de l’Extrême Ponant! Mais, tapis dans la pénombre, d’autres larrons guettent, les dévoyés du Dragon qui attendent eux aussi l’heure propice…
Inopportunément, comme si les deux Univers n’étaient plus en phase, la mystérieuse apparition s’estompa! Les spectateurs involontaires de ce mirage restèrent sur leur faim. Parallèlement, détendu, Uruhu replongeait dans un sommeil paisible.
- Daniel, que pensez-vous de tout ceci? Il s’agissait bien d’un message?
- Oui, André, un message! Pas si abscons… Nos adversaires sont nombreux!
- Certes! Mais la dernière phrase?
- Une allusion à une triade chinoise…
- Ah! De quel siècle?
- J’ai là-dessus ma petite idée! Repassez-vous l’histoire de la chrono ligne 1721... L’enlèvement de Violetta et de moi-même…
- Sun Wu? Non!
- Hélas!
Mais Fermat n’eut pas le temps d’en révéler davantage. Tony Hillerman, qui était retourné surveiller l’écran du chrono vision s’écria alarmé:
- Alerte! Les groupes de voyageurs temporels en déplacement en Bavière en février 1961 semblent se multiplier comme des lemmings! Je capte et identifie la présence d’Américains, de Chinois et de Merritt lui-même! Désormais, il est à la tête d’un petite armée dont les membres, fort disparates ne viennent ni des mêmes segments de temps ni des mêmes Univers que sa personne!
- Sans doute tout cela est-il le fruit de Zoël Amsq et du bio translateur, fit Irina.
- Non, ma chérie! L’Œuvre des Pi!
- Mais pourquoi donc?
- Ils s’amusent tels de grands enfants capricieux et désinvoltes!
- Quant à moi, compléta le lieutenant historien, je ne parviens à identifier que des paras français des guerres de décolonisation… Les autres équipages sont bien trop exotiques!
- Il n’y a pas à tergiverser! Conclut Fermat. Von Hauerstadt devient prioritaire!
- Mais… si c’était un piège pour attirer Daniel? S’inquiéta la Russe;
- Parce que je suis le catalyseur par excellence? Tant pis, je cours le risque et tente le tout pour le tout! Après les calculs et les adaptations nécessaires, André, vous piloterez l’Einstein!
- Avec plaisir, Daniel Lin!
- Antor, toi, tu briefes Raoul et tu m’alerte en cas de menaces…
- Compris!

***************


Congo, 1932, tournage du film Congorilla par Martin et Osa Johnson.
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Les deux explorateurs cinéastes voulaient filmer les gorilles des plaines ainsi que les Pygmées Mbuti. C’était pourquoi osa mesurait la taille des représentants de ce peuple, et ce, dans un but scientifique. Martin, lui, œuvrait avec la caméra. Il n’y avait là aucune arrière pensée. L’époque voulait cela.
Le couple filmait donc les chants et les danses de la tribu durant plusieurs jours.
Or, ce matin-là, tandis que le couple prenait un peu de repos, un ancien du clan leur rapporta les légendes du lieu. Il s’étendit particulièrement sur le cas d’une étrange pierre taboue de forme cubique, cachée dans le profond d’une grotte mystérieuse, lieu distant d’une journée de marche tout au plus.
Osa, appâtée, convainquit Martin de partir le lendemain même en direction de ladite grotte, accompagnés de porteurs munis de tout le matériel nécessaire à une exploration. Il s’agissait de s’encombrer de lampes, de cordes, de caméras, de pellicules, de provisions, de médicaments et ainsi de suite. Des notables Mbuti guideraient la petite troupe.
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Moyennant un supplément de sel en guise de paiement, les Noirs acceptèrent. Pour eux, la tradition concernant ce « rocher » remontait aux pères des pères des fondateurs du clan.
Ces Mbuti itinérants se déplaçaient le long de la zone où la grotte était localisée, exploitaient au mieux le périmètre régional, vivant des ressources de la forêt, c’est-à-dire de la cueillette, de la chasse et de la pêche au « gibier à eau ». Parfois, ils s’attaquaient aux éléphants.
Nous ne développerons pas davantage ce mode de vie traditionnel!
A l’aube, l’expédition s’enfonça donc en direction du Nord. Après la traversée réussie d’une rivière grâce à des troncs aménagés servant de proto pirogues par les Pygmées, le groupe parvint à un fossé où la végétation se raréfiait d’une manière inattendue. Une anfractuosité annonçait l’entrée d’une grotte. Guidés par le notable, Osa, qui avait accompagné son époux, Martin et les porteurs pénétrèrent dans la caverne. Tous se retrouvèrent dans un corridor taillé grossièrement à même la roche.
Toutefois, plus la troupe progressait, plus la galerie se raffinait et s’élargissait, prenant une forme bizarrement losangée alors que des fresques immémoriales se révélaient dans toutes leurs splendeurs à la lueur balancée des lampes. Les peintures murales figuraient naïvement des dieux mystérieux, d’aspect humanoïde, nimbés, mais aussi une chasse à l’éléphant, une autre au gorille, des scènes de cueillette, de naissances et de funérailles.
Devant la stupeur des porteurs, les lumières vacillaient et flottaient.
Bientôt, il fallut utiliser des cordes pour poursuivre plus avant, la descente s’accélérant, devenant un puits bâti en appareil cyclopéen dont les pierres, si parfaitement ajustées, ne permettaient pas d’y glisser la plus fine lame dans des interstices apparemment absents! Le tout tenait sans aucun mortier. C’était phénoménal!
Pour rendre encore plus pénible la progression des explorateurs,
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le puits était habité par des centaines et des centaines de microscopiques araignées de teinte rouge ou orangée. Dérangées dans leurs activités, les bêtes piquaient les intrus, suçaient leur sang. Vraiment, il y avait de quoi frissonner!
Cependant, le groupe, courageusement, poursuivit et fut récompensée par la découverte d’une merveilleuse et surprenante cathédrale comportant des vitraux géants et phosphorescents, des colonnes d’ambre et de cristal de roche. Cette vision éblouit au sens propre et figuré nos explorateurs alors qu’ils émergeaient du puits. Le spectacle incroyable voyait sa beauté renforcée par la présence d’améthystes énormes, de géodes de calcite, de quartz rose, de feldspath et d’andésite.
Osa et Martin ne savaient où poser leurs yeux. Emprisonnés dans l’ambre ou encore dans le cristal de roche, de singuliers insectes à six ailes, des sauterelles mauves, des scarabées irisés, figés et conservés pour l’éternité et tant de merveilles encore! Fabuleux! Irréel! Fantastique! Un tel trésor au cœur même de l’Afrique!
Les facettes composites et de tailles variables de ces cristaux s’éclairaient sous les faisceaux des lampes torches ajoutant encore de la fantasmagorie.
Quelque peu décontenancé, Martin n’en commença pas moins à filmer, regrettant in petto que la pellicule fût encore en noir et blanc, tandis que les Pygmées se hâtaient d’allumer des torchères.
Au fond de cette cathédrale voûtée, aux arcades scintillantes de béryl prismatique, de dodécaèdres pentagonaux de pyrite, d’émeraudes orthorhombiques,
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d’azurite monoclinique, un fronton d’agate et d’opale surmontait une paroi polie de cristal de roche. Et… Non! Impensable! Renversant! La raison s’effaçait! Derrière la paroi parfaitement transparente, un être humain en stase flottait, suspendu au-dessus du sol.
Peut-être était-ce un Chinois ou un Inuit, ou encore un Polynésien s’il fallait en croire ses yeux bridés. Mais sa peau paraissait bien trop claire!
A la lueur des torchères, il reprit vie, lentement, puis s’assit sur un siège sculpté d’ivoire, de jade et de turquoise. Maintenant, il tenait entre ses mains un cube parfait d’une douzaine de centimètres de côté environ, moulé dans une matière inconnue, ressemblant à l’électrum ou à l’orichalque aurait avancé Pacal, gravé de glyphes indéchiffrables, une langue précolombienne?
La tenue de l’Asiatique blanc était tout aussi exotique, improbable et déplacée! Torse nu, coiffé de plumes d’aras, de quetzals et d’hoazins, il avait les reins ceints d’un pagne en peau de guépard et les pieds chaussés de cothurnes en cuir d’okapi!
L’inconnu appartenait sans conteste à une civilisation syncrétique ignorée de l’histoire établie. De noble ascendance, il portait des bijoux de tourmaline, de lapis-lazuli, de corail et de platine tandis que son diadème mêlait l’or et les diamants. Sur quel royaume mystérieux avait-il donc régné? Les plumes de sa coiffe irradiaient curieusement, ajoutant à sa prestance.
En dépit de la scène incroyable, la caméra de Martin Johnson continua de tourner.
Bien évidemment, le cinéaste ignorait que si le souverain s’était réveillé de sa catalepsie, c’était parce que le système qui le maintenait endormi était photosensible et avait réagi à la lumière électrique des lampes torches ainsi qu’à l’éclairage de la caméra.
Tandis que l’étranger se tournait vers les intrus et les observait, le cube rayonnait et vibrait selon une séquence préétablie. De toute évidence, l’être anachronique se préparait à prendre la parole. Martin le devança.
- Qu’est-ce que cette dinguerie? Jeta-t-il vulgairement n’en pouvant mais.
Cependant, lorsque le souverain s’était animé, les Pygmées avaient pris peur et le capita, chef des porteurs, cédant à la panique, s’était saisi d’un révolver passé à sa ceinture! Pendant ce temps, l’Asiatique blanc posait le cube au pied du trône et ramassait un objet contondant. Enfin, il s’exprima dans une langue incompréhensible, incompréhension renforcée par le fait que les sons, tout en parvenant à traverser la paroi de cristal, grâce à un système de résonance acoustique inconnu, parvenaient déformés aux oreilles des visiteurs.
- Homg pura Nikta Balem! Balem - Darmù Kùung! Para-Akä! Para-Akä!
Mais c’en était trop pour le capita qui perdit le peu de contrôle qui lui restait. Il tira une balle de son arme et celle-ci perça le cristal de roche. Elle atteignit l’inconnu en pleine poitrine, le blessant mortellement!
- Karemba! Non! Hurla Osa.
Mais il était bien trop tard! La « vitre » de cristal se craquela, se fissura bientôt en un réseau à la fois fractal et chaotique, arborescent qui se répandit rapidement sur la totalité de la surface. La paroi, se fragmentant, s’éparpilla en des milliers de micro éclats dans toute la salle.
Inexorablement, l’Asiatique, perdant son sang, s’affaiblissait. Le représentant d’une civilisation issue d’un monde parallèle, pont entre deux mondes, mourut en murmurant:
- Ka- Maa! Stankin! Ka- Maa! Bâ…
S’il avait assisté à cette tragédie, Daniel Wu aurait compris que l’étranger était le messager ou le gardien d’une civilisation alternative qui avait retrouvé l’un des éléments du bio translateur en avait déchiffré les inscriptions et avait mis un émissaire en stase dans l’espoir qu’un jour, quelque part dans le temps, Stankin pût contacter celui-ci et récupérer ce qui lui appartenait. Le commandait serait parvenu à identifier cette civilisation mi polynésienne, mi aztèque, qui avait « colonisé » l’Afrique noire au sein d’un Univers dévié et avait trouvé le moyen de suspendre la vie du messager et de le faire exister trans temporellement!
Incapables d’appréhender l’impensable, formatés par leur époque prosaïque, Osa, Martin et le capita, ce dernier s’était mis à genoux, assistèrent impuissants à la mort de l’étranger. Une fois le dernier souffle de vie enfui, l’être s’affaissa sur lui-même pour se décomposer presque instantanément! Son corps tomba en poussière devant les yeux horrifiés des intrus.
Après quelques minutes de stupéfaction, les deux explorateurs se concertèrent, ramassèrent le cube, porte entrouverte sur un autre monde?, et l’emportèrent.
Le couple garda les détails de son aventure secrets. Qui l’aurait cru hormis les Pygmées?


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Berlin, 1936, quelques mois avant les Jeux Olympiques, Heinrich Himmler réunissait la SS Ahnenerbe (Héritage ancestral), afin de lui confier une mission de confiance destinée à assurer au IIIème Reich une supériorité incontestée sur le reste du monde, et ce, dans tous les domaines! Ainsi, la compagnie devait rechercher tout ce qui, dans le vivant et le passé archéologique de la Terre, pouvait corroborer la vision aryenne de l’Histoire!
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Himmler expliquait à ses fidèles comment les expéditions devaient être conduites, appliquant les derniers progrès techniques afin de renforcer ses directives. Des opérateurs l’aidaient dans sa démonstration en faisant défiler des diapositives en couleurs sur un écran géant devant un parterre hétéroclite où à la SS « Héritage ancestral » se mêlaient des officiers dudit corps, mais également des archéologues ayant leur carte de membre du NSDAP, des professeurs d’université fanatiques, des anthropologues racistes et d’autres individus à tout venant!
Dans cette assistance nombreuse, le capitaine SS Dieter Karl Hinckel, originaire de la région des Sudètes et grand-père de Heinrich Hinckel, se montrait particulièrement attentif. Tout ce que Himmler disait était pour lui paroles d’Évangiles.
Cependant, les diapositives en Agfacolor montraient des vestiges et des pièces archéologiques atypiques, détenus plus ou moins secrètement par des musées ou des particuliers, artefacts dérangeants, non reconnus par la science officielle.
Pour les nazis, il s’agissait bien évidemment de preuves irréfutables démontrant la supériorité de la race aryenne dans le passé plus ou moins lointain de la planète! Ainsi, ladite race aryenne descendait du peuple mythique hyperboréen! Un véritable salmigondis, du grand n’importe quoi!
Ces diverses photographies avaient été prises par des espions du Reich dans tous les musées du monde ainsi que chez des collectionneurs privés dupés par ces fanatiques. Au fil des minutes et du discours de Himmler défilèrent des statues indiennes remontant aux invasions aryennes, des volumen en sanskrit, des pièces d’orfèvrerie celtes, scythes, une momie caucasienne de type celte mais… retrouvée en Chine, portant encore des vêtements à carreaux, motifs caractéristiques des peuples gaulois et des Scots, des vestiges vikings découverts en Amérique du Nord, au Québec, en Ontario et dans le Vermont!
Le Reichsführer de la SS s’attarda plus particulièrement sur une diapositive révélant un crâne appartenant à la « race » blanche, exhumé dans les Grandes Plaines du Far West, mis à jour dans des terrains plus anciens que ceux de la culture de Clovis!
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Ces terrains comportaient des artefacts purement amérindiens en même temps que cette impossibilité archéologique. Puis, vint un cube aux étranges inscriptions dont les caractères non encore déchiffrés ne se rattachaient à aucune écriture répertoriée; le cube en question rayonnait et la diapositive parvenait à dévoiler l’étrange phénomène!
Himmler demanda à Hinckel de commenter la photographie car c’était le capitaine qui l’avait prise. Fier d’être ainsi distingué, l’Hauptsturmführer s’empressa d’obéir.
- Reichsführer, fit l’officier d’une voix sûre, vibrante de passion, ce cube a été découvert récemment, en 1932, en Afrique noire, au Congo plus exactement par les explorateurs cinéastes ploutocrates anglo-saxons Martin et Osa Johnson! La photo a été prise alors que je travaillais à couvert sous une fausse identité en Californie, occupant le modeste poste d’homme à tout faire chez le couple. Actuellement cet objet doit toujours s’y trouver puisque Martin et sa femme sont conseillers techniques à Hollywood pour tous les films se passant en Afrique!
- Ach! Gut! Approuva l’archéologue portant une barbiche, présentant également des cheveux en brosse et des tempes blanches. Son regard dur observait les officiers à travers des demi-lunes. Il répondait au nom de Gustav Schmidt. Fort intéressé, il questionna Hinckel.
- Capitaine, existe-t-il une étude scientifique publiée concernant ledit artefact?
- Oui, en effet. Toutefois cette étude est restée confidentielle. Elle a été commandée par les Johnson eux-mêmes. L’auteur en est un savant aventurier d’origine française. Il a parcouru l’Amérique du Sud ainsi que presque la totalité du continent africain lors de multiples expéditions dont les plus anciennes remontent aux années 1910. Son patronyme peut prêter à sourire puisqu’il se nomme Adelphe Fiacre de Tournefort! J’ai réussi à faire une copie du rapport, non sans difficultés.
- Quelles ont été les conclusions de cet homme? Reprit l’archéologue.
- Hé bien! La matière qui constitue l’objet reste encore non identifiée! Elle défie toute analyse. Il s’agirait d’un métal inoxydable et, à fortiori, indestructible! Même exposé à une chaleur intense, de l’ordre de 3000°C, le cube ne fond pas! De plus, il émet des rayonnements s’apparentant au radium ou au polonium, mais cela n’en est pas… Une radioactivité, certes, mais dépourvue totalement de nocivité!
Himmler compléta ces informations;
- La structure interne de l’objet, soumis aux rayons X, oui, le cube est creux, dévoile un réseau de micro nervures « cristallines » et cubiques de l’ordre du millimicron. Cette structure rappelle quelque peu les cellules nerveuses humaines. Je sais, c’est tout bonnement incroyable… La forme géométrique réagit partiellement aux vibrations sonores ainsi qu’aux modulations de la voix.
- Où ce cube a-t-il été précisément découvert, et dans quelles circonstances? Interrogea un anthropologue fasciné par le mystère.
- Dans une grotte constituée de cristaux géants. Le cube était gardé, si l’on peut dire, par un être humain plongé dans une sorte d’hibernation, prisonnier à l’intérieur d’un sarcophage en cristal de roche! L’homme avait à la fois l’aspect d’un Aryen et d’un Chinois. Ses yeux étaient bridés en effet, mais l’inconnu présentait une autre anomalie. Il était vêtu comme un Aztèque avec des éléments polynésiens et africains… renseigna Hinckel.
- Ah! La momie Guanche de Van Vollenhoven, mais à l’envers en quelque sorte, fit alors une voix féminine et distinguée. Manifestement, une autre civilisation perdue, issue d’une autre histoire, différente assurément de celle du Guanche… et de la nôtre!
- Qui donc ose ainsi interrompre cette séance? S’écria Himmler, devenu rouge écrevisse sous la colère. Comment, madame avez-vous pu pénétrer jusqu’ici?
Malgré les verres de ses lunettes rondes, on voyait que ses petits yeux porcins brillaient de rage.
- Lady Alexandra Pirrott Neville, petite nièce de Sir Charles Merritt, ami de Cornelis Van Vollenhoven, grâce à laquelle vous détenez en fait ces documents, affirma la même voix froidement avec un léger accent anglais qui faisait grasseyer l’allemand de la jeune femme.
- Je comptais vous présenter à la fin de l’exposé, balbutia Hinckel, gêné. Mais puisque Milady vous m’avez devancé…
Le capitaine SS s’inclina galamment devant la comtesse. Lady Pirrott Neville, fille de Daisy Neville, s’avança dans la salle, faisant claquer ses talons sur le sol en marbre. Elle arborait la prestance d’une star d’Hollywood.
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Jugez un peu: teint bronzé, cheveux platine ondulés avec art dans une coupe savamment étudiée, paire de faux cils, lèvres ourlées par un rouge couleur cerise, ongles laqués assortis, robe de ville signée d’un grand coupeur qui débutait, Oleg Cassini, bas de soie précieux, escarpins à hauts talons en chevreau blanc, boucles d’oreilles en diamants, et, pour couronner le tout, un splendide et loufoque bibi tournoyant dans les gracieuses mains de la noble comtesse.
- Reichsführer, votre mission n’est pas terminée! Jeta la Lady avec aplomb en montant jusqu’à l’estrade. Vous convoitez le cube, moi aussi! Je m’engage à vous l’obtenir dans les quatre mois! Alors, nous pourrons partager les bénéfices…
- De quel droit, madame?
- Du droit de la fortune, monsieur! J’assume tous les frais de l’expédition!
- Dans ce cas, Milady… Votre réputation n’est plus à faire. Nous connaissons vos sympathies pour notre régime… Hauptsturmführer Hinckel, vous serez donc sous les ordres de madame!
L’officier SS accepta avec une joie non dissimulée.
Satisfaite, Lady Pirrott reprit:
- Le Reich dispose-t-il de suffisamment de moyens techniques pour garantir la possession du précieux objet?
- Naturellement! Répondit Himmler, quelque peu vexé. Je n’engagerais pas cette quête si je n’étais pas certain de la victoire! Sieg Heil!
Tous se levèrent et reprirent en chœur le fameux cri.
Rassuré par le fanatisme de ses troupes, le Reichsführer enchaîna:
- Fidèles d’entre les fidèles, les dieux des Nibelungen nous apportent assistance! Voici leur envoyé: Pi Sigma!
Avec un effet théâtral appuyé, les trompettes nazies retentirent tandis que les grandes tentures de velours à croix gammée s’écartaient derrière Himmler pour laisser apparaître un humain d’aspect tout à fait ordinaire quoique d’une taille largement au-dessus de la moyenne. L’individu se tenait debout sur l’estrade vêtu d’un uniforme de colonel SS.
- Je vous salue, meine Herren! En vertu de l’accord passé avec Lady Pirrott, j’apporte au Reich le moyen de dominer le monde, et ce, sans contrepartie! Le translateur temporel!
Un physicien se leva et dit:
- Je ne comprends pas! L’histoire serait-elle multiple? Le temps également?
- Ja, Professor! Avant de m’objecter que cet engin fonctionne grâce à la théorie d’Einstein, ce Juif honni, sachez toutefois qu’il ne la confirme pas mais qu’au contraire, il la détruit! En effet, le translateur peut dépasser la vitesse de la lumière, et de loin! Si vous entrez en possession du cube, vous pourrez alors vous déplacer dans des histoires alternatives multiples, dans des civilisations autres qui mettront à l’épreuve votre imagination et que vous conquerrez! Un Univers pluriel aryen à l’Infini, y avez-vous songé? Non limité à cette terre-ci! Dès que vous aurez récupéré le cube, le translateur accouplé au prodigieux objet, actuellement entreposé dans les souterrains du stade de Berlin, atteindra alors l’optimum de ses potentialités. Le Multivers sera à vous! Mais pour l’instant: Nach Amerika! Nach Hollywood! Sieg Heil!
Hors de lui, Himmler hurla avec ses troupes. Toutefois, au fond de lui, le Reichsführer se demandait pourquoi Pi Sigma aidait les nazis.

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