mardi 1 novembre 2011

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 3 2e partie.


Violetta pestait contre la lenteur du Vaillant.
- Ah non, capitaine! Ne me dites pas qu’une fois de plus vos moteurs sont en panne!
- Je n’y peux rien moi, mademoiselle, se défendit Craddock. Vos diamants ont à peine suffi à payer cinq grammes d’orona.
- Mes diamants! Mes diamants, c’est vite dit. Je ne suis pas la fille de Crésus, moi. Sans l’aide financière de l’épouse de l’ambassadeur, Aure-Elise Gronet d’Elcourt, je n’aurais jamais pu affréter votre vaisseau. Vous pourriez faire un effort, je ne sais pas, magouiller davantage…
- Parlons-en. Pas plus tard qu’avant-hier, j’ai risqué ma peau contre ces marlous d’Otnikaï.
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Ces béliers ploutophages parfumés à la laine surie jamais lavée et au purin d’une semaine au bas mot, ne sont pas des enfants de chœur. Il y aurait bien un moyen de les amadouer et d’obtenir d’autres cristaux… vous!
- Quoi? S’étrangla l’adolescente. Je pars aussitôt!
- En vous jetant dans le vide, mademoiselle Violetta? Actuellement, nous dérivons à vingt-huit années lumière de Bolsa de basura dos. La plus proche station spatiale est hors de notre portée, à moins d’un miracle et ce n’est pas demain la vielle, avec mon espèce de pyroscaphe branlant à roulettes que nous délivrerons votre père.
- Ah! Comme a dit, je ne sais plus qui, mon royaume pour un cheval!
- Richard III, miss.
- Une idée, il me faut une idée… ça est! Le collier de Robin Ufo.
- Le collier de votre chat? Il est en cuir très ordinaire.
- Sans doute. Mais avez-vous observé de près la gravure de son nom. Pour rendre les lettres brillantes, elles ont été enduites d’une fine couche d’orona, de deux microns. Cela suffira-t-il à nous traîner jusqu’à la station spatiale la plus proche?
- Robin Ufo? Ça ne fait pas beaucoup de lettres, là.
- Certes, mais il n’y a pas que le nom de mon chat de gravé sur le collier. L’inscription exacte est celle-ci: Robin Ufo, propriété de Violetta Grimaud. Puis suit un numéro d’identification: 3GZX1541.
- Tempestaire de Pleumeur-Bodou! On tente le coup.
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1938. Plateau de tournage du film Les mystères de la ligne Maginot, sous la direction de Félix Gandera,
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obscur tâcheron du Septième Art. Distribution internationale alléchante, jugez un peu: Dita Parlo,
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Victor Francen,
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Pierre Fresnay, Marcel Dalio,
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Viviane Romance, Pauline Carton, Erich von Stroheim, Julien Carette, Pierre Larquey, et Jean-Pierre Aumont. Borgne et portant un œil de verre, le réalisateur était shooté à la cocaïne. Il avait en permanence des bâtonnets blancs enfoncés dans les narines. Le tournage, on le comprend, s’effectuait au petit bonheur la chance et reposait sur le savoir-faire des comédiens. Lorsque Gandera planait ou était trop excité, Erich von Stroheim
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le remplaçait à la caméra, mais son français était si peu compréhensible que Victor Francen traduisait ses directives de l’américain à la langue de Voltaire pour le reste de l’équipe. Viviane Romance et Dita Parlo ne s’entendaient pas et c’était un euphémisme de l’écrire si poliment. Elles se plaignaient de la taille de leur loge respective et se disputaient pour savoir laquelle des deux verrait son nom apparaître en premier dans le générique.
La comédienne d’origine teutonne refusait d’adresser la parole à Erich von Stroheim pour d’obscures raisons - de l’antisémitisme ? Le film accumulait donc les retards et les dépassements de budget. De plus, Charles Spaak, qui se baladait sur les plateaux, réécrivait souvent les dialogues sur ses genoux, afin d’y rajouter du sel dans l’affrontement entre Victor Francen, Dita Parlo, Marcel Dalio et Viviane Romance.
Une scène cruciale du film commençait pourtant à être mise en boîte. Dita Parlo, alias Renate Dorn, tombait le masque devant Jean-Pierre Aumont et le menaçait d’une arme automatique.
Un flash éblouissant s’en vint gâcher la pellicule. Sur le plateau, tout le monde crut qu’un spot d’éclairage avait claqué au moment le plus inopportun. Le premier assistant jura:
- Merde!
La script-girl laissa tomber sa cigarette.
- Je rêve! S’exclama-t-elle.
Il y avait de quoi être surpris. Toute la distribution ou presque avait disparu, sauf lesdits protagonistes, Jean-Pierre Aumont et Dita Parlo. Pour le compte, le réalisateur en titre sortit de ses brumes artificielles. Désormais, le film méritait amplement son titre. La police ne parvint jamais à expliquer la mystérieuse disparition du plateau. L’affaire fut classée un an plus tard.
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7 mars 1825, 11 heures du matin, palais des Tuileries. Napoléon Premier le Grand avalait un deuxième petit-déjeuner malgré ses problèmes d’estomac et les recommandations de son médecin personnel. Parallèlement, tout en mangeant, il commandait à Caulaincourt d’introduire le nouvel attaché du maréchal Ney
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qui patientait dans l’antichambre et répondait au nom de Hans Gustav von Hardenberg. Le « Prussien pur jus » s’avança d’un pas sonore jusque devant la tablée, raide et compassé, claqua des talons et enfin, s’inclina cérémonieusement devant Sa Majesté impériale tout en ne montrant que la plus totale impassibilité. Le baron avait conservé ses bottes de cavalier et ses éperons tandis que son uniforme de dragon était protégé par une cuirasse en acier.
Mais ce n’était pas là ce qui intriguait Napoléon. L’individu, de taille moyenne, la cinquantaine entamée, présentait un crâne rasé, des yeux bleus froids dont étrangement l’un paraissait grossi par le port d’un verre sans monture. Ce verre était donc simplement retenu par l’orbite. Cela dénotait chez l’officier un entraînement certain dans l’usage du monocle.
Toujours aussi roide et guindé, Hans Gustav tendit sa lettre de créance au souverain. Sans façon, l’Empereur se saisit d’un couteau à beurre et rompit le cachet de la missive. Rapidement, il en lut le contenu. L’écriture et la signature y étaient parfaitement authentiques.
- Ah! Ce bon vieux Michel me recommande chaudement votre personne! S’exclama presque joyeusement Napoléon. Il y a longtemps que je ne l’ai vu. Comment va ce cher prince de la Moskova?
- Euh… All right… Sehr gut… très bien.
Toutes ces réponses en trois idiomes différents étaient prononcées avec un accent américain mâtiné d’autrichien. Vous aurez reconnu Erich von Stroheim dans ses œuvres. Sous le charme, Sa Majesté proposa à l’anachronique personnage de partager son tardif petit-déjeuner. Le comédien s’exécuta et fit, en s’asseyant:
- Pardon, sire, n’auriez-vous pas plutôt des croissants à la place de ce potage?
Cette fois-ci, Erich ne s’embrouillait pas avec la langue utilisée. Cependant, interrogé par l’Empereur, il dut inventer les péripéties de son voyage. Grâce à son culot mais également aux indications de Daniel Lin Wu, il avait réussi à s’introduire dans la place et ainsi accompli le prologue de sa mission. Il lui restait à glaner une foule de renseignements.
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Bolsa de basura dos, 22 heures, heure locale. Malgré la nuit, le bagne connaissait une intense activité. Lorsque la navette du Lagrange se posa sur le petit spatio port, elle évita de justesse une bourrasque glacée d’une violence inouïe. Promptement, le prisonnier fut évacué et remis entre les mains de quatre responsables du bagne. Entravé, Daniel Lin dut marcher jusqu’à la grille du pénitencier, recevant parfois entre les reins des coups de tasers de ses gardiens. Il eut des difficultés à avancer à cause du vent d’abord, de la température extrêmement basse qui régnait dans ce lieu de désolation ensuite et des chocs électriques enfin.
Toutefois, la petite troupe parvint jusque dans le bureau du contremaître et, à l’abri, put reprendre son souffle. Le fonctionnaire qui officiait dans cette espèce de cagibi répondait au sobriquet justifié de Crotte bleue.
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Tandis que les gardes patientaient debout, l’Otnikaï toisait le nouveau forçat tout en lisant les données le concernant sur un petit écran électronique.
Satisfait par sa lecture, il proféra sur un ton particulièrement acide:
- Hum… je vois que tu n’es pas n’importe qui. Mais ta vie dorée est bien finie, fils de Broum!
Broum était l’équivalent en langage Otnikaï de « merde » en français. Le fonctionnaire reprit:
- Comme tu es né avec une cuiller en or dans la bouche, hé bien, privilégié, je vais t’affecter à la longe 47251XW. Elle est commandée par un change-forme du nom d’Oniù. C’est celle des fortes têtes, des paresseux, des anciens boyards et satrapes déchus. Là, ou tu acceptes la règle, ou tu crèves. As-tu compris?
- Oui, maître.
- Je vois. Allez, vous autres, menez-le dans le secteur XW. Et à pied, lavettes!
Fouettés par l’insulte, les gardiens prirent une nouvelle fois en charge leur prisonnier. La petite balade dura une petite demi-heure, toujours à cause du vent qui hurlait sa colère et culbutait sur sa route tous les obstacles minéraux ou humains. Les gardes finirent par s’engouffrer dans une caverne. La température n’en devenait pas plus clémente pour autant. Dans cette grotte, l’activité, plus intense que jamais, formait une vague grondante. Un sergent, armé d’un fouet à trois lanières hérissées de pointes métalliques, s’avança. Derrière, les forçats travaillaient, rangeaient des conteneurs, tous vêtus d’une combinaison de protection de couleur verte, dont le tissu était aussi fin que du papier à cigarette.
Au garde-à-vous, le caporal clama:
- Sergent, voici le forçat Grimaud, Daniel Lucien Napoléon. Il est affecté à la longe 47251.
- Oh! Oh! Oniù qui hait les humains va rugir de mécontentement. Descendez le couloir gamma 12. Vous le trouverez en train de fustiger un Haän rebelle.
- A vos ordres, sergent, répondit le sous-officier en claquant le talon de ses bottes.
Poussant ensuite l’ex-commandant Grimaud, il l’obligea à descendre la pente brutale qui conduisait à Oniù. Effectivement, à la vue de la nouvelle recrue, le change-forme manifesta sa colère.
- Encore un tire-au-flanc! Une larve qui va geindre au moindre bobo et qui va claquer comme un moineau frileux dans une semaine au grand maximum! Comment te nommes-tu, toi?
- Daniel Grimaud.
- Rajoute mon grade, fiente de pigeon! Tu commences et tu finis tes phrases par chef! Pigé?
Pour accompagner sa phrase, le change-forme lança la lanière de son fouet en direction de Daniel Lin qui préféra ne pas éviter le triple coup. Elle lui déchira les vêtements et un peu les chairs.
- As-tu compris, l’humain? Reprit le tortionnaire avec un sourire mauvais.
- Oui chef.
- Bien. Tu vas être enchaîné et prendre le poste numéro 8 dans la longe. Toi, fit-il à l’adresse du Haän, tu m’attends, je n’en ai pas fini!
Alors, le change-forme prit en charge lui-même le forçat, ou plutôt, selon le langage en vigueur dans les rapports administratifs officiels, le matériel humain. L’obscurité était telle qu’elle cacha à Oniù le fait que Daniel Lin était déjà en train de cicatriser à une vitesse prodigieuse.
Arrivé à la longe, le garde-chiourme enchaîna le daryl androïde aux côtés d’un Haän, un ancien baron. L’extraterrestre, qui courbait la tête, n’osa pas rouspéter devant l’insulte. Il avait espéré un lycanthrope ou, à la rigueur un siliçoïde comme compagnon d’infortune.
Oniù parti, le géant roux siffla entre ses dents:
- Humain, tu as intérêt à te montrer à la hauteur. Je viens d’être grandement humilié, là. Alors, reçois ça comme cadeau de bienvenue!
Le Haän voulut donner un uppercut à la mâchoire de Daniel Lin, mais son poing ne parvint jamais au menton de la victime. Au contraire, l’ex-commandant Grimaud enserrait fortement le bras de l’ancien baron. Sur le même ton, il répliqua:
- Saarland, ne recommence pas, je ne suis pas ton souffre-douleur, entends-tu?
- Holà, humain, tu me broies le bras jusqu’à l’os! Peste! Tu as une force incroyable.
- Ne dis à personne que je suis plus fort et plus rapide que toi. Saisi?
- Oui! Mais arrête… comment connais-tu mon nom?
- Idiot! Il est gravé sur ta combinaison.
- Tu lis le Haän, toi?
- Bien sûr, Saarland. Et, d’après l’onomastique, je puis même te dire que ta famille appartient à la septième caste.
- Bravo pour ton érudition. Un conseil…
- Daniel.
- Daniel. Dépêche-toi de prendre ce pic. Il y a encore une heure de travail avant le repos de la journée. Et méfie-toi d’Oniù. Il déteste les humains.
- Je m’en suis aperçu.
Daniel Lin s’empara donc d’un pic et se mit à creuser la roche très dure. L’ancien commandant de vaisseau avait su se faire accepter par son compagnon de misère.
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