samedi 9 avril 2011

Mexafrica 4e partie : Mexica mfecane chapitre 28.

Chapitre 28

Ce même soir, à Tula, dans le campement de Zoël Amsq, le chercheur han ressentait une impression de gêne indéfinissable dont il n’en comprenait pas la raison. Quelque chose clochait assurément, mais quoi? Cela venait-il de son entourage, pourtant trié sur le volet? De la maintenance ou encore d’un décalage temporel? Il ne parvenait pas à préciser. C’est qu’il se faisait vieux, le bougre!

Usant de ses pouvoirs télépathiques que d’habitude il ne sollicitait qu’en cas de méfiance aigue, il ne constata aucune anomalie dans les pensées de ses proches. Y compris chez son valet chambrier, Lao King! Déguisé, le domestique possédait un brouilleur mental ultra performant fourni par Michaël Xidrù! Il était capable d’imiter n’importe quel schéma psychique et provenait de la civilisation post-atomique numéro 1.

Tandis que Zoël se dévêtait, le valet fidèle préparait sa couche. Puis, il tendit à son maître les baumes rituels qui permettaient d’apprêter ses cheveux pour la nuit.

Enfin, le chercheur ordonna à son domestique de s’éloigner. Le serviteur s’inclina et sortit pour revenir en catimini se cacher derrière une tenture tendue sur le côté du lit.

Il vit le Haän s’enduire la face d’une crème spéciale puis s’essuyer le visage à l’aide de chiffons doux. Ses traits apparurent alors reposés. Une figure blanche, blafarde même, sans âge et sans caractère, sans ride, remodelée assurément par une micro chirurgie faciale des plus efficaces afin de lui ôter tout signe d’identification. Un visage dépourvu également de toute pilosité, sans poils, sans cils et sourcils! Un Haän totalement imberbe? Impensable!

Mais les révélations renversantes n’étaient pas achevées, loin de là!

Zoël tâta ses tempes délicatement; instantanément, la teinte de ses yeux se modifia! De mauves, ses iris devinrent gris, de ce gris clair qui nous rappelait vaguement quelque chose.

Se levant, l’intrigant personnage s’avança jusqu’à une baignoire portative dans laquelle une eau bouillonnante parfumée au jasmin l’attendait. Décidément, le chercheur ne se refusait rien! Il termina de se dévêtir et se plongea avec délices dans son bain.

Lao King, qui espionnait toujours, tâchait de rester silencieux. De plus en plus intéressé, il vit que le savant présentait une cage thoracique plutôt étroite, ce qui pouvait laisser supposer qu’il était dépourvu d’une double paire de poumons et d’un cœur de rechange. Seul un camouflage holographique « high tech » permettait donc de masquer ce fait terriblement révélateur!

Tandis que Zoël savourait le massage des eaux bouillonnantes délicatement odoriférantes, Lao King le photographia discrètement grâce à un appareil des plus minuscules incrusté dans l’ongle de son annulaire! Puis, son forfait accompli, il s’éclipsa furtivement. Amsq, le corps et le cerveau apaisés, n’avait évidemment rien constaté.

Quelques minutes plus tard, détendu, le chercheur regagnait son lit et tombait aussitôt dans les bras de Morphée.

Pendant ce temps, l’espion du Dragon de Jade, qui avait quitté la tente du scientifique - tente en peau de grount, sorte d’ours mâtiné de puma à l’odeur musquée très puissante, comme celles de tous les Haäns mais qui s’ornait de tentures de velours et de brocarts afin de souligner le haut rang du personnage qui y vivait - avait rejoint celle plus anodine de Sun Wu. Le grand maître de la Triade, incommodé par les effluves peu engageants du grount, faisait brûler des cassolettes de parfums précieux en grand nombre! S’y mêlaient des fragrances inattendues: œillet mignardise, lilas, jasmin, camélia, fleur de verre de Mingo, coupe hérisson de Mondani et ainsi de suite…

Avec minutie, sans aucun geste d’impatience, Sun Wu développa les photos apportées par son factotum et agrandit la plus révélatrice; alors, il eut un frémissement imperceptible, vite réprimé montrant son grand étonnement.

Ah! Certes, Zoël Amsq était humanoïde, incontestablement, mais n’appartenait certainement pas à la noble race des fiers et glorieux guerriers Haäns! Un humain? Il fallait s’en assurer au plus vite!

Sun Wu comptait dans sa bande de multiples talents. Parmi eux, il y avait un savant anthropologue répondant au nom exotique d’Hussein Inönü, qu’il fit venir promptement. L’homme de confiance jouait à Texcoco le modeste rôle de cuisinier! Inönü, qui avait en sa possession des appareils provenant du XXIe siècle finissant, technologie volée, on s’en doute, accourut avec hâte, chargé de tout ce qu’il fallait pour satisfaire son maître. Certains appareillages scannaient en 3D les images et permettaient de restituer des portraits en résine grandeur nature. À l’origine, de tels outils étaient utilisés par les paléontologues afin d’obtenir les traits précis des Erectus, des Habilis ou des Néandertaliens.

Avec un zèle des plus compréhensibles, Inönü tira du cliché demandé un moulage en résine de Zoël dépourvu de fards.

- Quel étrange hybride! Marmonna Sun Wu. Le corps est humain, mais…

- Mais le visage aussi, maître! Cependant, les traits ont été lissés et remodelés par une habile micro chirurgie faciale, c’est tout!

- Mmm… Inönü, peux-tu, dans un premier temps, déterminer les mensurations de l’individu et le rattacher ainsi à une ethnie terrestre quelconque?

- Bien sûr, maître! Tout de suite! L’IA du scanner, qui date de 2095 va répondre à votre question.

Après de rapides ajustements, l’IA afficha ses résultats. Amsq apparaissait comme un métis d’Européen et d’Asiatique extrême-oriental. On avait donc affaire soit à un Tibétain soit à un Han…

- Étrange! De plus en plus étrange! Fit Sun Wu fort perplexe. Il ne s’agit tout de même pas d’un agent de Fouchine, un officier du KGB? Inconcevable… quoique… avec le Commandeur Suprême comme joueur, il faut s’attendre à tout! Cependant, Inönü, moi, je ne tiens pas à être possédé! Ne suis-je pas le Rusé par excellence? Moi qui, en quarante ans ai dû me débarrasser de plus de deux mille rivaux afin d’obtenir la tête de notre Triade et, ensuite rester au sommet? Ce ne fut pas une partie facile! Je vais te demander d’accomplir encore un nouveau prodige, Inönü…

- Faites, maître, je suis entièrement à votre service!

- Bien! Es-tu capable d’annuler les modifications de la micro chirurgie faciale et me restituer ainsi le plus exactement possible le visage antérieur de cet imposteur?

- L’IA peut extrapoler…

- Programme-la dans ce sens!

Après cinq minutes d’une attente cette fois-ci fébrile, un nouveau portrait en 3D fut entre les mains du vieux Chinois.

- Le tout me paraît assez approximatif! Soupira-t-il déçu.

- Il m’est difficile d’affiner davantage! J’en suis sincèrement désolé, maître! L’inconnu a vu son visage remodelé plus de quinze fois!

- Tant pis! Je me contenterai de ce piètre résultat… ah! Si j’avais aussi son ADN? Mais il m’est interdit de rêver! Attends! Ne pars pas! Puisque tu parles d’extrapoler… nous allons maintenant vêtir la reproduction selon des modes vestimentaires différentes.

Diverses tenues furent alors superposées au corps par images holographiques créées par l’IA. Comme on le voit, un logiciel de mode avait été intégré au scanner. Ce logiciel avait été conçu en son temps pour l’usage des grands couturiers ayant pignon sur rue à Paris et à Londres. Selon les ordres de Sun Wu, apparurent les uniformes d’un officier SS, d’un capitaine du KGB, d’un lieutenant yankee en tenue de camouflage. Sans résultat!

Puis vinrent une robe de bonze d’un moine du petit Véhicule, l’armure d’un cavalier Mongol, la tunique d’un Mandarin, un costume Mao, et, enfin, tout simplement, un jean et un pull à col roulé!mine soucieuse, Sun Wu réfléchissait.


- Je sens que je suis proche du but. Pourtant… Lao, viens ici!

- Maître, je suis là.

- Tu as vu ce Zoël de très près. Son teint?

- Très pâle, maître… un peu comme celui d’un cadavre!

- Aucun poil?

- Aucun maître! Je suis formel! Et il ne s’agit pas d’une épilation ordinaire…

- Penses-tu que ce menteur ait eu à l’origine le cheveu brun?

- Pourquoi pas, maître?

- C’est que j’ai une idée… Inönü, pare-moi ce visage de cheveux noirs!

- Voilà, maître.

- Nous y sommes presque. Coupe les cheveux, mets-y une mèche sur le devant qui retombe et teinte-la d’un soupçon de roux foncé. C’est cela! Passe au corps et vêts-le d’un costume sport typique des années 1960, tu sais: blazer, chemise blanche, pantalon assorti… splendide! Maintenant, nous tenons Amsq! Mais ce que j’ai devant moi, cet individu, cela dépasse l’entendement!

Inönü et Lao King ne comprirent pas ce qui provoquait ainsi le trouble de leur maître.

- Merci pour ce travail accompli avec habileté! Vous serez tous deux récompensés. Sortez et laissez-moi prendre une décision.

Les deux serviteurs s’inclinèrent très bas et s’empressèrent d’obéir.

« Lui! Pensait Sun Wu. Que je sache, il ne possède pas le don d’ubiquité! Ou alors, il s’agit d’un clone retourné, qui a changé son allégeance! Comment peut-il manipuler tout un peuple et rouler deux Empereurs, Tsanu XIII et Tsanu XV? Que s’est-il passé? Qu’a-t-il subi? Non! Impossible! Je n’ai pas le même Daniel devant moi! Qu’est-il arrivé? Quel sort les siens lui ont-ils réservé pour qu’il les trahisse ainsi? C’est de Daniel Wu que je parle! Le parangon de la Vertu! Mais ici, j’ai devant moi un Daniel sans âge, beaucoup plus vieux et nettement moins naïf que celui que j’ai combattu en Bavière! Quelque chose a mal marché… j’opte pour le clone de Daniel Lin Wu. Je vais en référer à qui de droit.

- Inutile, Sun Wu, fit alors une voix suave et ironique à la fois qui eut pour conséquence de déclencher chez l’interpellé un sursaut de surprise suivi d’un tremblement.

Devant le Grand Maître du Dragon de Jade se tenait désormais un jeune homme blond de haute stature, paraissant vingt-cinq ans tout au plus, Brad Pitt en mieux, c’est vous dire! L’inconnu était vêtu d’une combinaison jaune paille du plus mauvais goût et portait autour du cou un collier en orichalque avec une mystérieuse inscription.

- Que comptiez-vous faire, mon ami?

- Bonsoir, Michaël… j’avais l’intention de demander des renseignements à Sydney Greenstreet.

- Mmm. Dangereux et indigne de vous, Sun Wu.

- Certes! Mais vous ne vous manifestiez pas depuis un certain temps déjà et je me sentais dépassé.

- Pourquoi donc?

- Euh… Zoël Amsq ressemble trop à Daniel Wu…

- Oh! Oh! Et vous êtes en train de supposer, à tort, que ledit Daniel, âgé de cinq cents ans ou à peu près, a retourné sa veste et cherche désormais à détruire l’humanité!

- Je n’aurais pas mieux dit!

- Je le répète, vous faites erreur!

- Mais, enfin…

- Daniel Wu est incapable d’une telle mascarade… mais Daniel Deng, oui!

- Je ne saisis pas!

- Là, vous mentez! Depuis le début de cette intrigue, il y a deux Daniel que tout oppose et qui s’affrontent! Mais l’aîné s’avance masqué, tout simplement.

- Oui, Daniel Deng Wu, le frère aîné, vous m’en aviez parlé. Mais vous m’aviez également dit…

- Je n’ai rien dit de la sorte, Sun Wu! Tout le monde l’a cru, et vous en dernier, c’est tout!

- Le Commandeur Suprême le sait-il?

- Il s’en doute! Or, ici, présentement, Johann Van der Zelden ne peut intervenir directement.

- Vous le faites bien, vous!

- Sun Wu, il m’en coûte, croyez-moi!

- Pourquoi m’avoir choisi? J’incarne tout ce que vous détestez!

- Parce que vous êtes insoupçonnable, Sun Wu! Parce que votre ambition rejoint mes desseins! Moi aussi, je puis rouler dans la farine les candides et les rusés! La fin justifie les moyens! Vous allez prendre langue avec le pseudo Sydney Greenstreet. Par l’intermédiaire de Yuan Li Xiao!

- Ah! Quel soudain revirement!

- Il nous faut désamorcer le Commandeur Suprême! Il vient de reconnaître Boris Koutchaï mais il n’a encore pris aucune décision le concernant. Alors, entrons davantage dans le jeu et éblouissons-le! Tel que je le connais, il va trouver le scénario compliqué à souhait et s’amuser. Il croira ramasser la donne mais c’est moi qui l’aurai!

- Euh… il va lire en moi!

- Impossible, cher allié de circonstance! Mon empreinte sur vous est indétectable! Ailleurs, hier, j’ai dupé l’Entropie elle-même et je puis recommencer! Suivez mes instructions à la lettre et vous aurez ce que vous souhaitez depuis votre naissance ou presque.

- Je n’ai pas d’autre choix que de vous croire…

- Non!

Sur cette réponse des plus laconiques, Michaël disparut, sans frémissement, sans manifestation lumineuse, sans… rien! Il était là un bref instant et, ensuite, il n’était plus, voilà tout!

« Pourquoi me soutient-il? Je représente tout ce qu’il exècre! Pour préserver l’humanité, la Vie peut-elle jouer avec le Mal? Faire alliance avec Lui? Bah! Dépêchons-nous d’envoyer un message à notre fidèle Yuan Li Xiao! Ce n’est pas l’heure de se creuser inutilement la cervelle! ».

***************

La teneur du message était la suivante: Yuan, sous l’identité de Boris Koutchaï, malgré le fait qu’il jouait sa vie, devait s’entretenir au plus vite avec le supérieur de Pavel Pavlovitch autrement dit, l’un des clones du Commandeur Suprême, afin de lui soumettre une mouture du plan d’attaque de la pyramide d’Ogo pour approbation. En fait, sous le prétexte de s’informer sur Axel Sovad et son « statut » actuel, il lui dirait la véritable identité de Zoël Amsq. Les réactions de l’Entité seraient passées au crible. Sydney Greenstreet ne pourrait faire autrement que d’accepter cette offre d’alliance. À lui de supposer qu’il pourrait avoir facilement le dessus sur Sun Wu! Le Commandeur Suprême, connaissant les multiples destins tortueux du Grand Maître du Dragon de Jade, ce qu’il avait subi de la part de Michaël Xidrù, ne serait pas capable d’envisager une quelconque traîtrise de la part du Chinois!

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Il était huit heures du matin et Pacal n’avait pas rejoint le camp. Plus grave encore, son signal restait muet comme s’il avait perdu son transpondeur! André Fermat fulminait de colère.

- Bravo! À cette heure, Pacal Despalions est l’otage d’un de nos adversaires! Il ne nous reste plus qu’à savoir lequel! À attendre que celui-ci se manifeste! Nous aurions dû partir à la recherche de cet imprudent dès hier soir!

- Nous pouvons apprendre qui l’a capturé, dit Stankin qui conservait son sang-froid au milieu de toute cette agitation.

- J’ai bien l’intention d’utiliser le chrono vision pour cela, répliqua Daniel Wu, tout aussi doucement.

- Je me demande ce qui a pu l’attirer ainsi dehors! Lança Irina. Dites, vous trois, fit-elle à l’adresse des adolescents, j’aimerais savoir pourquoi vous l’avez laissé filer! Vous auriez pu insister!

- Hier, vous n’en faisiez pas tout un plat! Jeta Violetta renfrognée.

- Oui, notre amie a raison! Articula Geoffroy lentement afin de recouvrer son contrôle. Il est inutile de nous renvoyer ainsi la balle.

- Tout à fait! Approuva Antor. Travaillons à localiser l’imprudent.

- Raisonnons logiquement: Uruhu, que vous a dit Pacal précisément?

- Euh… Maître Stankin, Pacal voulait prier pour ses parents et… les invoquer à ce que j’ai cru comprendre.

- Et, il nous a désigné cette direction! Compléta Geoffroy.

- Il savait que chaque soir il s’y déroulait des cérémonies cultuelles, rajouta Ivan. Alors, nous ne sommes responsables en rien de ce qui arrive à mon frère! J’en ai assez que ce soit toujours nous, les jeunes qui « morflions »!

- Oublions tous notre mauvaise humeur… Voilà, le chrono vision est réglé sur hier soir entre vingt heures et minuit.

Tandis que Daniel, secondé par Hillerman s’affairait, Fermat réfléchissait à haute voix.

- Fouchine n’a pas intérêt à s’encombrer d’un deuxième otage!

- Je partage votre avis, s’inclina Irina.

- Peut-être Zoël Amsq! Reprit André. Afin de remédier à l’évasion de Kiku U Tu.

- Depuis hier matin, ricana la métamorphe, nous savons que notre irremplaçable dinosauroïde a réussi l’évasion du siècle!

- Violetta, personne ne demande ton avis! Dit l’ambassadeur sévèrement. Antor, captez-vous quelque chose concernant le Kronkos?

- C’est difficile, André! Tout cela reste bien confus. Hormis le fait que je ressente, provenant de notre Kiku, une immense satisfaction, ce genre de satisfaction primitive suivant l’assouvissement d’une faim intense!

- Notre lieutenant n’est donc pas en danger! Soupira Irina.

- Certes! Mais il devrait faire un effort, oublier son bien-être béat et essayer de focaliser sur le lieu où il se trouve actuellement! Répliqua le vampire avec amertume.

Daniel interrompit son ami.

- Je crois que j’ai le déroulement de ce qui s’est passé hier soir. Observez avec moi. L’écran du chrono vision s’est stabilisé.

Toute l’équipe assista donc en différé aux mésaventures survenues à Pacal.

- TQT! Rugit presque Fermat. Là… je regrette de ne pas l’avoir éliminé physiquement!

- Nous l’avons simplement sous-estimé, admit Maïakovska.

Après quelques minutes, toute l’équipe de Daniel Wu participa à l’échafaudage d’un plan qui l’amènerait à récupérer à la fois Pacal Despalions et Franz Von Hauerstadt. Sans oublier le précieux disque, bien évidemment!

Pendant ce temps, le lieutenant U Tu, à des kilomètres du camp du commandant Wu, mais pas si éloigné au fond, terminait un nouveau festin de roi avant son entrevue avec le Moro Naba lui-même. Ainsi, ce qu’avait parfaitement ressenti Antor, il avait dévoré avec enthousiasme une carcasse entière d’hippopotame, tendre à souhait. Elle constituait le plat de résistance et avait été servie par des Pygmées difformes, atteints d’encéphalocèle,

c’est-à-dire de la non soudure des os du crâne et de la fontanelle. Ces créatures portaient toutes un masque à l’effigie du dieu Bès. Après la carcasse, étaient venus des poules d’eau, de la polenta et des cœurs de zébus! C’était là le dessert présenté dans un plat de dix mètres de circonférence!

***************

Revenons au siège de l’IA suprême des Olphéans. L’échec de l’assimilation du p, créature non biologique, n’affecta guère les machines vermiformes cuirassées. Alors que les membres de la Dimension attendaient une quelconque réaction punitive de l’IA première et que rien ne venait, les insectes nanites se dirigèrent vers une autre proie cible bien tentante, de plus petite taille. Or, celle-ci n’était pas aussi passive, aussi amorphe qu’elle le paraissait!

Alors que des tentacules artificiels se saisissaient de lui, Mathieu se débattit, et, avec une force surprenante pour un être aussi jeune, toujours sous le regard atone de l’équipage du Langevin, renversa les succédanés d’Hallucigenia qui se retrouvèrent en équilibre précaire sur leurs « piquants ».

Puis, excité, le jeune garçon courut sans peur en direction de l’IA suprême et cria à son adresse d’une voix autoritaire, en basic English

- Stop! Ça suffit!

Instantanément, l’Intelligence Artificielle envoya un ordre et les machines vermiformes s’immobilisèrent. Mathieu comprit avec justesse qu’on le comprenait et qu’on l’écoutait. Courageusement, il se lança:

- Je pense que je peux commencer à m’expliquer! Fit-il d’une voix certes juvénile mais imposante. Je ne subis pas votre influence, comme vous venez de le constater! Je suis un esprit libre, totalement et je compte le demeurer! Aucune manipulation ne peut me contraindre, qu’elle soit physique ou mentale! Mon père y a veillé! Seuls les êtres biologiques à cent pour cent sont les victimes de vos serviteurs artificiels! Voyez les p! Eux aussi vous échappent! Vous ne pouvez les assimiler car leurs corps ne sont qu’apparence! Ils n’ont jamais été matériels mais assez habiles à le faire croire! Ils ont repoussé la matière vile depuis déjà des millions d’années. Ces énergies pensent et ressentent pourtant! Dépassant ainsi votre entendement! Jamais vous n’atteindrez leur stade d’évolution car vous vous y prenez très mal! L’essentiel est en train de vous échapper!

Soudain, le visage de Mathieu se tendit et se tordit. Une pensée invasive essayait de forcer ses barrières mentales. Mais le garçonnet ne céda pas. Le langage de l’Entité artificielle reposait sur un code électronique multi phonique de base douze mais à cycles aléatoires. Ainsi donc, pour communiquer, les Olphéans employaient une langue informatique dodécadécimale, mais améliorée. Autrefois, ils avaient décrypté très facilement une certaine musique terrestre reposant sur des séries de douze sons, musique fort prisée par des compositeurs du début de la seconde moitié du XX e siècle, et transmises par ondes radio jusqu’au quadrant delta de la Galaxie!

Maintenant l’IA Première parlait au jeune prodige, communiquant avec lui. Mathieu s’était désormais habitué à ce langage particulier.

- Créature inaboutie, depuis des éons, j’explore les Univers et j’assimile ce qui peut l’être; telle est ma tâche! C’est la première fois que l’on me défie avec succès! Pourtant, ta nature organique reposant sur la biologie te rend faible; c’est là un paradoxe. À moins que tu ne sois de composition hybride… qui t’a créé, petit être? De quelle unité d’assemblage es-tu issu?

- Je suis un enfant humain comme bien de mes semblables, un point c’est tout! Lança Mathieu fièrement. Je vous retourne la question: qui est votre créateur? Vous n’avez certes pu vous engendrer vous-même. Vous avez un ancêtre. Quel est-il?

L’IA Suprême s’insinua plus profondément dans les schémas de pensées du jeune garçon, des schémas bien plus complexes qu’il y paraissait, sans parvenir toutefois à le contraindre. Cela était tout à fait extraordinaire!

Autour de ces deux êtres si dissemblables, tout restait immobile, comme figé, y compris les p qui, cependant, exultaient intérieurement tout en prenant garde d’afficher un profil bas. Visiblement, ils attendaient l’issue de cet échange exceptionnel.

- Tu ne raisonnes pas comme une larve en édification, émit l’IA après son exploration mentale inachevée, mais comme un adulte à l’intelligence remarquable. Si ce vocable n’était pas incongru dans ma bouche, je te qualifierais de prodige. Or, la vie basée sur le carbone n’est pas capable de prodige! Dans ces éléments qui infestent la Galaxie, il n’y a là qu’un phénomène d’échanges chimiques communs, phénomène qui court assurément vers l’Entropie selon un laps de temps fixé depuis les commencements!

- Mmm, répliqua Mathieu. Vous vous reproduisez, vous vous réparez, vous pratiquez l’auto entretien. Donc, tout autant que moi, vous êtes affectée par l’Entropie! Vous avez eu un Commencement tout comme le Panmultivers. Peut-être avez-vous occulté votre naissance par orgueil? Ou parce que cet instant unique remonte si loin dans le passé que toute trace en a été effacée, volontairement ou involontairement! Vos mémoires sont incomplètes.

- Je dois analyser ton organisme biologique, que tu le veuilles ou pas, fit l’IA Suprême, ignorant la diatribe de Mathieu.

Aussitôt, la Créature artificielle envoya des myriades de micro araignées et de micro épingles d’alliages les plus rares et des nuées de composants à base de nucléotides aux mémoires holographiques scanner et analyser le jeune garçon.

L’enfant ne baissa pas la garde; la preuve? Les serviteurs de l’IA réagissaient bizarrement à son contact, comme s’ils sentaient en lui une communauté de constitution.

Enfin, après un temps indéterminé, trop long pour l’Intelligence Artificielle, les araignées de graphène et les épingles s’assemblèrent en une silhouette humanoïde, tentant ainsi de reproduire les composants de Mathieu. Puis, leur tâche achevée, elles émirent des signaux modulés que l’IA Première traduisit pour le jeune rebelle.

- Mes nanites guerrières te croient leur frère! Elles ont vu en toi une forme de vie à intelligence collective! Tu es composé de milliards d’unités hybrides, tu es mi biologique, mi électronique! Qu’es-tu donc en fait?

De Mathieu sortit alors un léger flux, une onde ténue qui se recomposa en une image en 3D, macroscopique. Cette image représentait une bien étrange molécule d’ADN. Les nucléotides paraissaient réassemblés, alternant les éléments chimiques et la pico informatique! L’ADN de l’enfant était composé partiellement de nanites! De plus, il ne possédait pas une hélice double mais triple.

Pourtant, Mathieu avait vu le jour de façon tout à fait traditionnelle. Seulement, pour prolonger son espérance de vie, ses géniteurs étaient intervenus peu après sa conception et en avaient donc fait un être hybride, pas un daryl androïde comme son père toutefois. Le secret avait été bien gardé. Ni Daniel ni Irina ni Tchang Wu n’avait informé l’Alliance sur ces manipulations. Tant pis pour le traité de Mowelle!

Lorsque le jeune enfant était examiné par les médecins, y compris par Lorenza, ils ne soupçonnaient rien. Comme tous ceux de son âge, Mathieu s’enrhumait, se blessait en tombant, saignait, pouvait se montrer coléreux, capricieux ou ombrageux. Les pico nanites restaient indétectables et seule la technologie hyper performante des Olphéans avait pu mettre à jour ce secret.

L’IA reprit, perplexe pour la première fois depuis le début de son existence:

- Petit être, j’ai en mémoire toutes les formes de vie que mes guerriers ont assimilées. Or, tu ne corresponds à aucune d’entre elles!

- Je ne répondrai pas à votre question implicite! Sachez que le fait même que je sois, que j’existe, prouve que les êtres humanoïdes sont plus capables que ce que vous le supposez!

- Je… l’admets!

- Ah! Vous pouvez donc progresser! Dans ce cas, expliquez-moi donc pourquoi vous et votre peuple êtes semblables sur le plan extérieur à des animaux primitifs originaires de ma planète natale, la Terre, animaux remontant presque aux origines de la vie? Vous apparaissez comme les copies parfaites des créatures de l’explosion cambrienne. Mais vous avez muté jusqu’à ressembler à de monstrueux et imposants Cyborgs. Pour la dernière fois, qui vous a créés?

- Les Maachisons! Jeta l’IA Suprême des Olphéans qui s’était décidée. Elle seule savait car sa mémoire remontait aux origines de cet Empire fabuleux, cinq cent millions d’années dans le passé! Dans ce passé! Immortelle parce qu’elle se régénérait sans cesse, et emmagasinait toutes les informations provenant des quatre quadrants de la Galaxie, elle seule pouvait répondre à l’insatiable et insolente curiosité de Mathieu! Obligée de satisfaire la soif de connaissance de ’incroyable et surprenant enfant, elle expliqua tout!

Les plus grands trésors des Velkriss, des Haäns, Asturkruks de l’histoire précédente sur une autre piste temporelle, des Castorii, Mondaniens et p n’auraient suffi à faire parler l’IA, à acheter cette monstrueuse merveille qui incarnait dans cette réalité-ci la Mémoire Ultime de toutes les formes de vie de la Galaxie!

Ainsi donc, il apparaissait que l’IA première valait Daniel Lin Wu dont pourtant elle ignorait encore l’existence sous son identité actuelle, devrions-nous écrire Avatar, car, tout comme lui, elle contenait l’entière totipotence du vivant de la Galaxie.

En se dévoilant, en racontant sa Genèse, l’Entité révéla qu’elle portait bien en elle un catalyseur de totipotence, catalyseur dissimulé sous la forme d’une bille irisée, sphère rayonnante qui pouvait activer n’importe quelle mémoire biologique stockée sous n’importe quelle forme - holographique, numérique, liquide, et ainsi de suite - . Elle était capable de créer et ne s’en privait pas. Elle ensemençait, elle dupliquait à satiété la « bille » catalyseur de totipotence, éparpillant alors les duplicata parfaits dans tout le Pantransmultivers selon un schéma préétabli. Pourquoi agissait-elle ainsi? Le faisait-elle de son plein gré? Ou obéissait-elle à une antique programmation?

Il était donc évident maintenant qu’une des sphères irisées avait été découverte sur Hellas par Stankin. Fortuitement? Bien évidemment, le chercheur étudia les étonnantes propriétés de la bille et eut la présence d’esprit de la coupler à un disque de mémoire biologique. Ses résultats dépassèrent ses espérances. La bille, spore ou œuf multidimensionnel et multi temporel de l’IA Première, « Grand Ensemenceur » du Panmultivers, « dicta » à Stankin la construction du bio translateur. L’introduction de la spore dans l’appareil en fut l’achèvement ultime. La boite de Pandore avait vu le jour!

Mathieu, fasciné, muet, conscient de la valeur des explications de l’Entité, écoutait, quasi religieusement. De leur côté, les p n’en perdaient pas une miette eux aussi et oubliaient toute velléités vengeresses des serviteurs de l’IA.

***************

Boris Koutchaï, de son véritable nom Yuan Li Xiao, coiffé par Pavel Pavlovitch, proposa son plan tordu au Commandeur Suprême, toujours sous l’apparence commode de Sydney Greenstreet. Une partie de poker menteur s’amorçait dont le perdant restait à déterminer.

Avec une relative assurance, Boris déclara:

- Faisons simple. Il faudrait utiliser un « cheval de Troie » pour s’introduire avec succès dans la pyramide d’Ogo. Celle-ci, si elle joue avant tout le rôle d’un Temple, sert également de tombeau aux grands prêtres successifs de la divinité susnommée. Les corps de ces dignitaires sont ensevelis dans une crypte prévue à cet effet. Ils y sont momifiés à la manière égyptienne et Guanche, puis bandelettés.

- Fort bien! Magistral cours d’anthropologie! Répondit le clone en se frottant ses mains grassouillettes. Je constate que vous avez étudié votre sujet à fond. Je m’en réjouis. Mais… pour que les funérailles du Grand Prêtre aient lieu, encore faudrait-il qu’il soit défunt! Or, aux dernières nouvelles, Koulibalyatlotl se portait comme un charme!

- Monsieur, cela ne va pas nous arrêter! Fit Fouchine. Assassinons-le! Par le poison…

- Nécessité oblige! Renchéris Boris. La Grande URSS a déjà usé de tels stratagèmes.

- L’URSS? Je pensais plutôt aux Chinois! Des Triades.

Avançant cela, Sydney Greenstreet dévisagea Boris, ses yeux ne cillant pas, jusqu’à ce que ce dernier baissât la tête. Fouchine reprit, choisissant de faire comme si rien n’avait eu lieu.

- Pour réussir notre coup, assurément, nous devons introduire un de nos hommes, grimé en esclave, il va de soi, auprès des officiers du culte. Notre factotum n’aura plus qu’à droguer les aliments du Grand Prêtre.

- Euh… Risqué! On pourrait tout aussi bien empoisonner une viande sacrificielle. Humaine si possible!

- Intéressant! Rétorqua le Commandeur Suprême. C’est là un plan subtil et odieux à la fois! Or, j’aime ce qui est vil, innommable et emberlificoté! Je me délecte du mal, je me nourris de la noirceur sans limites de l’âme humaine!

- L’Homo Sovieticus doit être une machine parfaite! Et tant que ce but n’est pas atteint, il doit recourir…

- Holà! Je vous sens vexé! Bon, je vous donne le feu vert à tous deux!

Tandis que le commandant du KGB commençait à s’éloigner, Boris demanda un entretien particulier au clone. Il lui fallait user de tout son courage pour cela car il savait à quoi s’en tenir sur le personnage. Celui-ci le lui accorda de bonne grâce et conduisit le lieutenant sous un arbre, à l’abri de toute oreille indiscrète.

- Mettons cartes sur tables, fit Sydney Greenstreet. Je sais que vous n’êtes pas Boris Koutchaï. Vous travaillez pour un certain Sun Wu.

- Je suis grillé, je vois…

- Depuis le début! Or, mon cher, vos manigances m’arrangent! Alors, vous pouvez poursuivre. Plus il y a de joueurs dans cette partie, plus je m’en réjouis! Qu’attendez-vous de moi? Mon appui? Il vous est garanti… pour l’instant!

- En fait, je veux des renseignements. Vous répondez loyalement et je vous apprends ce que vous ignorez encore.

- C’est-à-dire?

- L’identité réelle de Zoël Amsq!

- Broutilles! Déjà démasqué… Quoique… crachez votre supplique!

- Axel Sovad… Vous l’avez rencontré. Il a été un de vos alliés.

- Disons que je l’ai instrumentalisé, mon garçon! Ce n’est qu’un capitaliste nuisible qui tente d’imposer au monde un modèle économique qui le conduira à sa perte!

- Vous avez dit cartes sur tables! Et vous me contez là une fable connue de tous! Je veux plus, je veux mieux!

- Oh! Je constate avec plaisir que Sun Wu sait choisir les membres de sa bande!

- Actuellement, vous ne pouvez lire totalement dans mes pensées.

- Oui! Grâce à un brouilleur fourni par la civilisation post atomique numéro 2! Votre chef, décidément, est plein de ressources! Il use et abuse du translateur!

- Le jeu en vaut la chandelle, dit-on en Occident!

- Dans ce cas… Axel Sovad est un p qui a trahi les siens, jeune coq! Retourné par le commandant Daniel Wu! Dans la famille des Wu, on fait preuve de génie! Il a payé chèrement son retournement de veste car il a été exécuté!

- Mon maître s’en doutait.

- Mais ce n’est pas cela qui l’intéresse, n’est-ce pas? Sun, ce roublard, veut s’assurer de ma neutralité… Vous pouvez lui dire que son jeune parent est totalement distancé, qu’il n’a plus rien à craindre de sa part… Attendez! Le Chef du Dragon de Jade envisage en fait une alliance! Avec Zoël Amsq! Et vous vous voulez mon assentiment! Un triple jeu? Bravo pour cet humain retors!

- Sun Wu fait semblant de s’être rallié au Haän! Pour mieux le démasquer! Il n’a qu’un seul maître: lui-même!

- Il sait donc l’identité secrète du chercheur… magnifique! L’ingéniosité de ce Chinois me stupéfie!

- Pourquoi ce ton persifleur? Pourquoi ne me prenez-vous pas au sérieux? S’offusqua le faux Boris.

- Mais, je vous écoute! Zoël Amsq n’est pas un Haän… j’ai bien senti votre hésitation tantôt. Depuis que je pratique l’humanité, je puis tout détecter…

- Monsieur, Zoël Amsq est né au XXV e siècle! Il s’appelle en fait Daniel Deng Wu!

- Formidable! La chute tant attendue! Le rideau peut donc tomber!

- Vous vous en doutiez! Pâlit le Chinois.

- Un peu… que je m’amuse!

- Vous tiendrez compte de cette information? Vous ne nuirez pas à Sun Wu?

- Pour le laisser comploter librement? J’ai promis, faible créature qui pourtant n’a pas froid aux yeux. Ne me fais donc pas perdre d’autres précieuses secondes et va peaufiner ton plan avec le loyal et si malléable Pavel Pavlovitch!

Yuan Li Xiao ne se fit pas prier et se dépêcha de quitter l’abri de l’arbre. Resté seul, Sydney Greenstreet analysait toutes les données nouvelles.

- Sun Wu! Quel prodigieux tisseur de toiles! Il est donc parvenu à introduire ses pions partout, sauf chez son lointain parent! Si mon maître ne devait pas ramasser la mise à la fin, je déclarerais ce Chinois vainqueur! Allons bon! Encore ce S1 qui me contrôle!

Obligée de quitter momentanément Texcoco, l’Entité fulminait de rage mais ne pouvait faire autrement. Il ne fallait surtout pas alerter les S, leur mettre la puce à l’oreille. Chaque fois que cette Intelligence Artificielle s’incarnait, une légère fluctuation de puissance se produisait au sein de l’Ordinateur Terminal. Elle était alors aussitôt détectée par l’un des douze S. La survie de la quatrième civilisation post-atomique dépendait de ces contrôles et donc celle de Michaël également!

***************

Forts de leur otage, TQT et la NSA négociaient tant bien que mal une alliance avec le Makoko de Tlaxcala contre le Moro Naba de Texcoco. Déjà, la tentative auprès de l’Almamy d’Uxmal avait échoué. Restaient à aborder les caciques de Tenochtitlan et de Teotihuacan. Prévoyant une défection probable et prochaine de Heinrich Hinckel, les p avaient renforcé le camp des ultralibéraux par Lucien Pivert, ressuscité inopinément dans un temps alternatif dans lequel Daniel Wu n’avait pas agi. S’était également joint Augustus Geschenk, le leader conservateur allemand.

L’accord tant désiré fut conclu. Les guerriers de Tlaxcala apporteraient leur science de la guerre afro amérindienne à TQT, c’est-à-dire les costumes militaires « métamorphes » des chevaliers jaguars, les sarbacanes laser et bien d’autres objets. Les échanges de cadeaux pour forger l’alliance du côté des ultras capitalistes consistaient en des capsules d’énergie destinées aux Tlaxcaltèques rebelles, des créations d’art contemporain puisées dans les collections personnelles du gouverneur du Nouveau-Mexique: mobiles de Calder, tags authentiques de Basquiat, boites de chicken soup d’Andy Warhol, affiches du film « Independance Day ». Il fallait rajouter à ce bric-à-brac des esquisses authentiques de modèles de robes de Jean-Paul Gaultier. Là, Lucien Pivert avait mis son portefeuille à mal!

Les p insistèrent pour que chaque combattant et membre de la NSA soit muni de ceintures anentropiques faisant ici office de productrices de champ de force et de mini téléporteurs. Parmi l’équipement militaire ultrasophistiqué, il y avait des simulateurs d’entraînement capables de reconstituer virtuellement n’importe quel milieu. Ces simulateurs étaient intradermiques, personnalisés et modulables presque à l’infini. Le programme principal adapté à cette configuration -ci consistait en une pyramide aztèque ou maya à l’intérieur labyrinthique truffé de pièges dignes de l’Inquisition tels qu’imaginés dans les romans de Pardaillan de Michel Zévaco.

La conception du programme se basait de la tradition orale tlaxcaltèque qui rapportait que plusieurs esclaves afro amérindiens ayant tenté de voler le trésor d’Ogo aux Grands Prêtres étaient morts déchiquetés dans les méandres de ladite pyramide. Les rares survivants, il y en avait donc et ils faisaient office de héros, étaient revenus fort diminués et traumatisés pour le reste de leur existence.

Nous devons ajouter que la pyramide servait également de nécropole aux hauts dignitaires religieux ainsi qu’aux membres de la famille impériale du Moro Naba. Les crânes des victimes sacrifiées s’entassaient dans une salle circulaire faisant office de catacombes.

Une légende courait. Elle concernait la pièce la plus précieuse du trésor de la divinité. S’il fallait en croire la rumeur, elle était localisée au sommet de la pyramide, sous une coupole observatoire qui ne pouvait s’ouvrir que mue par un mystérieux et mortel mécanisme. Cet objet n’était autre qu’un disque irisé couleur d’opale contenu dans le masque représentant le visage de l’Homme Dieu primordial.

À chaque solstice d’été, le soleil alors à son zénith éclairait la sphère visage sacré qui, miracle, se mettait à parler en produisant d’étranges sons tandis que des images fantomatiques apparaissaient également. Les Grands Prêtres d’Ogo se penchaient sur ces messages divins et tâchaient de les interpréter à leur façon.

Pendant que TQT complotait, que devenait Pacal?

Ligoté, en partie suspendu à des lianes, l’adolescent avait repris conscience avec la cruelle réalité; des sangsues répugnantes glissaient sur son corps, le faisant frissonner de dégoût.

Le matin et le soir, l’otage était nourri de force d’un brouet infâme dans lequel il avait identifié des chenilles écrasées et des vers.

Au début de sa captivité, l’imprudent avait espéré être rapidement délivré par ses amis. Mais comme rien de tel ne se produisait, il avait abandonné tout espoir. Il avait fini par comprendre qu’on l’avait dépourvu de son transpondeur localisateur. Alors, résigné à son sort, il remâchait muettement son sentiment de culpabilité.

« Je l’ai cherché, après tout! Ressassait-il. J’ai refusé de tenir compte des conseils avisés de mes amis et de Violetta! ».

Si le plan des Russes aidés par l’un des clones du Commandeur consistait à éliminer le Grand Prêtre d’Ogo et, à l’occasion de ses funérailles, de s’introduire dans la pyramide tombeau, dissimulés dans les catafalques - de jeunes esclaves seraient sacrifiés pour tenir compagnie au Pontife dans l’au-delà - celui des ultras libéraux et des Tlaxcaltèques se montrait encore plus brutal! Une attaque frontale mêlant guerriers et troupes de commandos assistées de conseillers techniques de la NSA était froidement envisagée.

Il Condottiere, Augustus Geschenk et Tobias Nobengula, ces trois-là ne doutaient de rien décidément, insistèrent abondamment pour revêtir une tenue de combat et participer à l’assaut prévu! L’équipement militaire amélioré donnait à ces sexagénaires l’agilité et les réflexes d’un soldat d’élite de vingt ans! Au contraire, le Français Lucien Pivert choisit de rester en retrait. Le courage physique n’était pas son fort.

Heinrich Hinckel, de son côté, semblait se désintéresser de cette attaque prochaine pourtant commandée par son ami sudiste. Insidieusement, l’homme de main de Sun Wu, introduit dans le camp du gouverneur du Nouveau -Mexique, accomplissait son travail de sape. Ping Taï poussait Heinrich à rejoindre ses alliés « naturels » du IIIe Reich!

L’inévitable survint. Un beau soir, Hinckel fut porté manquant ainsi que Ping Taï qui avait endossé l’identité d’un Sino Américain membre de la NSA. Les deux hommes, chargés de renseignements de première main, allèrent proposer leurs services à Dieter Karl Hinckel et à son égérie, Lady Pirrott Neville. Bien évidemment, TQT ne pardonna pas cette défection.

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Ce matin-là, enfin, Kiku U Tu fut présenté par le Grand Vizir N’Kongo Utlaln au seigneur suprême Nanki Bembé Coatl, cinquième du nom, quinzième souverain de la dynastie de Texcoco, Vie, Force et Santé, Lumière et Soleil de tous les peuples de la Terre.

L’Empereur Dieu était juché sur un trône ordinateur à reconnaissance vocale, tout incrusté de jade, lapis-lazuli, obsidienne et sculpté dans l’or le plus pur. Sur les accoudoirs et le dossier de ce siège somptueux et somptuaire, des données s’affichaient sans cesse, dans un langage basé sur des cycles de cinquante-deux unités. Malgré son poids, le trône paraissait flotter à quelques cinquante centimètres du sol.

Le Moro Naba s’exprimait indirectement par une voix synthétique produite par le siège impérial. À l’aide de chasse-mouches, il masquait sa bouche. En effet, aucun mortel ne devait voir ses lèvres remuer ni entendre le son de sa véritable voix sous peine de sacrilège puni aussitôt de mort!

Le divin personnage était revêtu d’une peau de jaguar des plus traditionnelles, mais aussi d’une dalmatique d’alpaga, de plumes, de soie et de fils d’or. Si sa main gauche tenait le chasse-mouches, sa droite arborait l’incontournable sceptre du roi fécondateur, symbole de son pouvoir régénérateur sur la terre. Selon la croyance en vigueur, si le Moro Naba mourait avant les récoltes, ou plutôt s’il se fondait dans le Soleil son Père, la famine, à coup sûr, frapperait l’Empire!

La coiffure, démesurée et grotesque, rappelait les pschents égyptiens mais avec quelque chose d’aztèque.

Nanki Bembé Coatl, sans le moindre tressaillement sur sa figure figée, dévisageait le Troodon, s’attardant sur sa gueule monstrueuse, admirait les muscles qui roulaient sous la cuirasse, revenait sur les cinq cents dents aiguisées, faisait descendre ses yeux sur la formidable queue balancier, les griffes effrayantes et efficaces, qui, ensuite, remontaient jusqu’au rictus du Kronkos, et, enfin, affrontaient sans frémir le regard reptilien, cruel et méprisant à la fois du dinosauroïde.

Pour l’Empereur, manifestement, le Kronkos était le résultat abouti du génie génétique qui, dans son monde, servait à faire naître les nains esclaves atteints d’encéphalocèle. Lorsqu’un Bès ne satisfaisait plus son maître pour maintes raisons, il était mis à mort de la façon la plus sanglante: son crâne était alors broyé par une sorte de carcan selon un rituel précis et horrible auquel tous les serviteurs se devaient d’assister.

Dans les nombreux laboratoires de l’Empire, des milliers et des milliers de fœtus de nains à fontanelle hypertrophiée étaient cultivés et élevés. Ce spectacle offert au Troodon avait rappelé à Kiku les récits du commandant Wu sur l’univers alternatif Asturkruk avec ses cuves à Alphaego!

Dans une autre chrono ligne, les Haäns agissaient de même. Là résidait l’origine d’Antor! En revanche, ce que Daniel s’était bien gardé de révéler, c’était que lui aussi était né artificiellement, dans une cuve! Il en gardait une blessure intime qui jamais ne se refermerait, qui, trop souventes fois le démangeait, et ce, d’autant plus que sa mémoire de daryl androïde lui restituait intégralement tous les détails des premiers jours de son existence alors qu’il n’était qu’un embryon âgé de quelques semaines à peine!

Kiku U Tu, perçu comme un demi-dieu par le Moro Naba, la voix artificielle daigna donc s’adresser à lui.

- Lézard terrible, serpent Coatl sans plumes ou presque, tu dois nous faire part des techniques admirables qui ont assuré ton existence!

Sous l’ordre, les écailles du Kronkos frémirent et changèrent de couleur tandis que son duvet se hérissait.

- Allons bon! Pensa le lieutenant de la sécurité. Que vais-je raconter, moi? Je suis embarrassé, là! Je ne suis pas un scientifique, par Kaärl! De plus, je suis né d’un œuf comme tout Kronkos qui se respecte!

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Heinrich Hinckel se présenta donc à son grand-père vénéré et tâcha de le persuader de la véracité de ses propos. Cela n’aurait pas été si difficile si Lady Alexandra n’avait pas été dans les parages!

- Je reconnais que vous nous rejoignez avec des informations revêtant une certaine importance, fit la Walkyrie britannique de sa voix coupante. Mais qui peut me garantir de votre bonne foi et de l’authenticité de ce que vous apportez? Les vôtres ne vous auraient-ils pas choisi pour nous tendre un piège?

- Je ne saisis absolument pas, bégaya Heinrich.

- Pourtant, je m’exprime clairement, non? Votre Américain tente d’éliminer ses rivaux! Et s’il s’attaque d’abord à nous, c’est qu’il pense, à tort, que nous sommes le maillon faible!

- Mais pas du tout! Objecta l’Autrichien de la fin du XX e siècle! Si je ne me trompe, vous bénéficiez du soutien actif des membres de la Dimension p!

- Tout comme vous!

- Certes! Ces êtres sont interconnectés. Demandez-leur de lire en moi! Je n’ai rien à cacher!

- Ah! Je vais de ce pas informer leur représentant parmi nous de votre arrivée. Selon la réponse obtenue, j’aviserai!

Jetant avec mépris et morgue une bouffée de fumée de sa cigarette au visage d’Heinrich, Lady Alexandra s’éloigna, faisant claquer haut et fort ses talons, laissant l’aïeul et le petit-fils faire plus ample connaissance.

Après quelques minutes émouvantes, Heinrich, désireux de modifier le destin de son grand-père, transgressait un tabou et le mettait en garde sur ce qui l’attendait en 1937 tout d’abord, et en 1945 ensuite s’il parvenait à se sortir du danger qui le menaçait en premier.

- Mmm… Apparemment, ce qui adviendra le 9 avril 1937 n’est pas certain…

- Tu as en effet 70% de chance d’y réchapper! Par contre, évite Brême le 13 février 1945...

- Serait-ce là la date la plus probable de ma mort?

- Oui, exactement! Une bombe t’y attend. Non pas celle d’un terroriste, mais, hélas, celle d’un bombardier américain!

- Par le Diable, pourquoi? La guerre atteindra-t-elle donc le IIIe Reich? Et, si cela était, personne ne peut vaincre le Führer!

- Je le voudrais bien, grand-père! Mais, dans ma chrono ligne, ce n’est pas le cas! La perfidie et l’argent de la ploutocratie forgeront les armes qui vaincront sans gloire le Führer et sa vision sans égale d’un monde parfait!

- Sachant cela, tu as osé t’allier avec le représentant le plus symptomatique du monde de l’argent?

- Alliance de circonstance, grand-père, je te l’affirme! J’avais besoin de la logistique de cet Américain, c’est tout!

Pendant cet échange qui paraissait tourner au vinaigre, tout le monde avait oublié Ping Taï qui, de son côté, tenait conciliabule avec son homologue du Dragon de Jade, placé auprès des Nazis, le dénommé Cheng Du. Ainsi, Sun Wu avait accompli l’exploit de manipuler presque tous les camps en présence sous l’œil amusé et complaisant du Commandeur Suprême et avec la bénédiction des p!

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Après quelques minutes, Lady Alexandra rejoignit les deux Hinckel. Apparemment, elle avait été rassurée par un des membres de la Dimension. À en croire l’entité décadimensionnelle, on pouvait accorder toute sa confiance à Heinrich qui était un nazi pur jus!

Le groupe ainsi renforcé envisagea la meilleure façon de contrer le plan de TQT. Les SS de Dieter Karl devaient prendre de vitesse l’alliance de Tlaxcala et des néo ultra capitalistes cosmopolites de la fin du XX e siècle. De bonne grâce, Heinrich révélait tout ce qu’il savait.

- Il paraît que la pièce que nous convoitons tous si ardemment, une sorte de disque translucide, est renfermée dans une simple boule d’argile esquissant très grossièrement un visage! Deux trous pour les yeux, un pour le nez et une encoche pour la bouche. J’ai appris cela grâce au témoignage d’un esclave tlaxcaltèque qui s’est perdu dans la salle du trésor. Il est parvenu à s’enfuir, mais, grièvement blessé, récupéré par ses frères, n’a survécu que moins de quarante-huit heures avant de succomber.

Lady Pirrott Neville acquiesça et enchaîna:

- C’est cela! De notre côté, nous savons qu’il existe un passage secret reliant, via les égouts, la cloaca maxima des Afro Aztèques, le palais de Nanki Bembé Coatl au temple d’Ogo.

- Comment avez-vous obtenu cette information capitale? S’enquit Heinrich.

- En volant les plans contenus dans différents codex! Rétorqua la jeune femme. À la guerre comme à la guerre, très cher rallié!

- Nos vaillantes troupes de la mort, rajouta Dieter Karl, piaffent d’impatience! Nous sommes prêts à passer à l’action. Devons-nous en informer Matsushita, le conseiller japonais qui s’est joint à nous dernièrement, sur la recommandation de la Dimension p?

- Cela va de soi! Clama Lady Alexandra. Nous agirons dans quarante-huit heures!

Grave erreur commise par les sbires du IIIe Reich! Matsushita, le vrai, effectivement conduit dans ce 2148 par la Dimension, avait été assassiné par Cheng Du qui, ensuite, s’était substitué à sa victime sans problème, en se grimant un peu toutefois. De toute manière, les Nazis étaient incapables de distinguer un Chinois d’un Japonais!

Or, les Entités décadimensionnelles savaient cet échange! Elles observaient le jeu, donnaient des coups de pouce par-ci par-là… embrouillaient davantage la partie en cours… ce qui leur importait, c’était la destruction du genre humain en général et de Daniel Lin Wu Grimaud en particulier!

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samedi 2 avril 2011

Mexafrica 4e partie : Mexica mfecane chapitre 27.

Chapitre 27

Entouré par une armada de chevaliers emplumés, Kiku U Tu fut conduit jusqu’au palais du Moro Naba de Texcoco où il fut reçu, après un court délai, par le Grand Vizir en personne, N’Kongo Utlaln. Pour l’occasion, le lieutenant dinosauroïde avait été paré d’une dalmatique de plumes d’oiseaux Quetzal, Hoazin et d’aras importées d’Amazonie et du Yucatan.

Le Grand Vizir lui-même, dans toute sa munificence, daigna accueillir somptueusement le demi-dieu à sa table dans une immense salle de parade où un banquet pantagruélique était offert en son honneur, banquet qui mêlait viandes, fruits et légumes exotiques, qu’ils fussent mi américains mi africains. Le vin de palme et le pulque coulaient à flots. Musiciens et danseurs à profusion égayaient le repas.

Parmi les morceaux carnés de choix, dindons, alpagas, tatous, singes et j’en oublie, le dinosauroïde, surpris et… choqué, reconnut de la viande humaine!

On ne comptait plus les iguanes rôtis, les colibris en brochettes, les singes en brioches, les ragondins en sauces épicées, les caïmans grillés, les poissons multicolores sautés à l’ail et au persil, les goyaves, les plats de mil, les ignames au four, le maïs, les haricots rouges servis sur des tortillas, les bols de chocolat et les tasses de café.

Après avoir dégusté quelques mets et étanché sa soif, un esclave Totonaque servait le haut personnage et l’abreuvait régulièrement de vin de palme dans un récipient adapté et rituel, un crâne humain aux orbites ornées de jade et de lapis lazuli, N’Kongo Utlaln interrogea enfin Kiku U Tu posément. Avec grâce, le ventre tendu, plus que repu, celui-ci répondit.

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Mais revenons dans le quartier Varègue de Texcoco. Les événements allaient s’y précipiter. Daniel Wu et les siens étaient partis repérer le lieu de détention de Franz Von Hauerstadt. Les mille senteurs interlopes du lieu agressaient les narines. Des vigiles, aux casques ornés de dents de porc et de défenses de sanglier, en cuir bouilli ou en bronze, assuraient le service d’ordre. Sur les places, des chamanes Yakoutes, Toungouzes ou Anasazi dansaient, en costumes bariolés, tambour en main, leurs visages parfois masqués d’écorce rugueuse, afin de « bénir » les marchandises!

Outre les Varègues et Rous de Moscovie, d’Ukraine et de Biélorussie, il y avait des marchands baltes qui proposaient de l’ambre gris et des cornes de licornes - en fait des défenses de narvals - . Des Mongols, des Tatars de Kazan vantaient les mérites des montures et animaux de traits variés comme les yacks, les petits chevaux de Sibérie ou encore les alpagas. Ils allaient jusqu’à offrir aux chalands des peaux « authentiques » de migous et d’Almastys!

Les Varègues, disséminés parmi tous ces commerçants et maquignons, vendaient, eux, des fourrures, le plus souvent nauséabondes et mal tannées, de loups, d’ours, de castors, de loutres, de tigres blancs, d’hermines, de belettes, de furets et de bien d’autres bêtes poilues.

Irina se disait, à propos, qu’avec tous ces chasseurs en action dans sa patrie, celle-ci serait bientôt une terre désolée dépourvue de toute faune!

Sur les nombreux étals, à la vue des clients, s’offraient des bois de différents qualités, de l’ambre jaune, de la pechblende, et sur les estrades, des esclaves Indiens, séminoles, Arapaho, Navajos, Tainos, Caraïbes, Arawak, Caucasiens, Tchétchènes, Moldaves, Ossètes, Sibériens, Mongols et Tibétains.

Et encore des chevaux et du bétail dans un choix qui dépassait l’entendement! Zébus d’Afrique noire à la bosse caractéristique et aux longues cornes en forme de lyre, chameaux de Samarkand, yacks, décidément très courus, buffles de l’Asie des moussons, bisons géants, et ainsi de suite. Il ne fallait pas omettre les singes vivants ou en train de griller et de rôtir dont les chairs parfois faisandées empuantissaient l’atmosphère. Les cuisiniers improvisés accommodaient des tranches de Sajous, de Sapajous, de capucins, de ouistitis et d’atèles, sur des claies où les flammes venaient calciner les chairs irrégulièrement. Plus loin, le cuir travaillé, le fer, l’offre et les gemmes, la vaisselle et les étoffes plus ou moins légères et brodées.

Il fallait négocier chaque achat longuement avec force sacs de poudre d’or ou d’argent pour les plus riches, de cauris, de lingots de fer, de bronze ou de cuivre pour les classes moyennes, tous estampillés du sceau du Moro Naba, de fèves de cacao également qui servaient de monnaie d’échange très prisée par les petits artisans ou cultivateurs.

Pour la forme et pour passer inaperçus parmi la foule qui allait et venait, s’agglutinait parfois devant un étal alléchant, bref se mouvait dans le plus grand désordre, nos amis s’étaient munis de lourds sacs à dos contenant toute cette « monnaie ». Or, dans cette société sexiste et machiste, il appartenait aux femmes de porter lesdits fardeaux. Violetta, on la comprend, rechignait à la charge. Elle le faisait savoir vertement.

- Non, mais depuis quand, les faibles demoiselles comme moi servent-elles de bêtes de somme à des mâles vigoureux, en pleine santé, qui paradent, les doigts de pieds ornés de bagues, et parfumés de telle sorte que vous avez envie de rendre votre déjeuner?

- Ne te plains donc pas ainsi, Violetta! La rappela à l’ordre Irina. Je suis logée à la même enseigne tout comme Uruhu qui, ici, fait figure d’esclave!

- Ouais! Mais notre K’Tou est fort comme cinq bœufs au moins!

Pacal, Ivan et Geoffroy n’avaient d’yeux que pour les marchandises amérindiennes, les produits artisanaux locaux tels les paniers, vanneries des « basket markers », les étoffes en alpaga et en laine, les ornements de plumes, les mosaïques et les peintures, les bijoux de jade, d’améthyste, de lapis lazuli, de corail… certains, des plus magnifiques, étaient incontestablement de facture maya.

Tandis que Violetta suait et ployait sous la charge, Irina expliquait:

- Dans un premier temps, nous cherchons à repérer des comparses de Fouchine. Connaissant nos agents du KGB, ils doivent plutôt se faire passer pour des marchands de produits destinés à l’armement.

- Des armes plus ou moins prohibées! Souffla la métamorphe. Super!

Enfin, devant, en éclaireurs, Antor et Daniel avisèrent une tente à l’écart des autres sous laquelle un « Varègue » falot, encadré par de solides malabars slaves, à la mâchoire carrée et au regard éteint, négociait à coup de poudre d’or de la pechblende et de l’uranium au gramme à un Anasazi rusé, blasé, tout édenté, au visage buriné, qui en avait vu bien d’autres, et qui ne se faisait pas prier pour échanger, à des prix plus que prohibitifs une marchandise aussi sensible! Même les meilleurs espions du Moro Naba ignoraient l’usage qui en était fait dans les forges secrètes, camouflées et enterrées des Pueblos du Nord-Ouest!

- Fouchine! Il essaie de vendre de l’uranium à un Indien Anasazi! Transmit Antor mentalement à Tony Hillerman. Et il est en train de se faire rouler! Deux grammes d’uranium contre un demi-gramme de poudre d’or!

- Oh! Excellence, dans cette civilisation, les Anasazi n’ont pas disparu et sont devenus des trafiquants de matières dangereuses, des insoumis qui cherchent à mettre au point des armes terrifiantes et qui, donc, fomentent une révolte généralisée contre le pouvoir africain. Ils fédèrent les nations indiennes contre tous les étrangers. Poursuivit l’historien. Le KGB, allié aux rebelles, espère, peut-être, faire chanter Nanki Bembé Coatl et obtenir ainsi la pièce convoitée du trésor.

- Le disque mémoire est localisé dans la chambre royale de la pyramide temple du dieu Ogo, c’est bien cela Stankin? Demanda Daniel sur le même mode mental.

- Oui, Sinkar Daniel, répondit aussitôt l’Hellados qui venait juste de rejoindre les éclaireurs. Mais vos Soviétiques jouent avec le feu! Ici, les peuples dominés ne possèdent point la technologie adéquate pour s’assurer du bon fonctionnement de leur bombe!

- Certes! Je comprends! Dans cette civilisation très inégalitaire, seules les hautes castes disposent du confort, des armements sophistiqués, de l’informatique et maîtrisent l’atome.

- Autrement dit les souverains, les prêtres, les chevaliers, presque tous Africains ou métis.

- Mon senseur vient d’identifier le duc! S’écria Irina. Il se tient dans cette modeste maison de marchands Varègues en terre crue, là, vers la gauche.

- Assurons-nous en avec précaution, jeta le commandant. J’active la micro IA de recherche guidée.

Une sorte de micro sonde espion, de la taille d’un acarien, se dématérialisa du témoin de rappel pour se retrouver à l’intérieur même de la maison Varègue. Elle enregistra, ni vu ni connu, toutes les données du lieu. Puis, sa mission accomplie, elle revint jusqu’à l’envoyeur. Connectée directement au cerveau positronique de Daniel, la micro sonde lui communiqua la situation de Franz. Au premier étage, dans une chambre de l’angle sud, mal gardé par deux armoires à glace qui préféraient cuver leur vin, leur pulque Mexica particulièrement fort en alcool au lieu de maintenir leurs doigts sur leurs fusils mitrailleurs. Ainsi, les kalachnikovs étaient portées en bandoulière, et le duc à peine attaché; lorsque les gardes ne tournaient pas en rond dans la pièce, ne sommeillaient pas, ils fumaient nerveusement, mâchonnant longuement leurs mégots.

Daniel Wu renseigna ses amis.

- Ouf! S’exclama Ivan à trop forte voix. Il nous sera donc facile de libérer Von Hauerstadt! Enfin une bonne nouvelle!

- Mmm… cela sent le piège! Souffla le daryl.

- Bien vu! Lui répondit une voix de stentor sur le mode ironique. Je veillerai à ce que votre échec soit patent!

Tous se retournèrent, apostrophés et fouettés par cet inconnu qui s’exprimait en un anglais courant. Ils firent alors face à un homme ventripotent qui présentait encore les traits de Sydney Greenstreet, mais cette fois-ci vêtu à la russe, comme au XVI e siècle, portant donc une tunique croisée en velours, damas, et des broderies de soie et d’or rajoutant au mauvais goût de la tenue ostentatoire! Le Commandeur Suprême, déguisé en boyard d’Ivan IV, malgré le port d’une large et longue barbe lui mangeant le visage et une toque d’astrakan lui dissimulant son front, restait parfaitement identifiable!


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Face aux questions plus ou moins discrètes du Grand Vizir, Kiku U Tu se montrait peu disert. Après tout, ce silence relatif était peut-être dû à une déficience partielle de son traducteur qui devait assimiler la logique et la grammaire d’une langue mixte, mi aztèque mi mandingue! Ou bien, contrairement à son habitude, le lieutenant de la sécurité faisait preuve d’une sacrée bonne dose de prudence et de pudibonderie! Kiku, dont la mémoire restait un des points forts, se souvenait fort bien des leçons d’histoire données par son commandant, leçons concernant les Univers parallèles dans lesquels les langues et les civilisations se métissaient avec une incroyable facilité. Perplexe, le dinosauroïde écoutait et répondait peu.

Ah! Si Tony Hillerman avait été à ses côtés! Assurément, cet humain lui aurait fourni toutes les informations dont il avait besoin. Et ce, en termes simples, tout à fait accessibles pour lui. D’un côté, il y avait la chrono ligne où Abu Bakari II, le roi mandingue échouait dans sa conquête de l’Atlantique en l’an 1311 de l’ère chrétienne, cédant ainsi la place à l’Empire de Kongo Moussa, et de l’autre, une histoire différente, dans laquelle un coup de pouce perse ou carthaginois, bref remontant à l’Antiquité, avait permis audit Abou Bakari de réussir car transformé en Pharaon Noir héritier de Pianki et Taharka, les glorieux Horus Nubiens de la XXVe dynastie! Or, cette piste avait abouti à la Mexafrica.

Devant l’insistance de N’Kongo Utlaln, le Troodon ne put que se contenter de soupirer et de répéter:

- Je suis venu de l’espace. Je me suis échappé d’un vaisseau ennemi sur lequel j’étais prisonnier. Auparavant, j’avais été capturé en Égypte, dans une année fort lointaine. Je ne suis ni un dieu ni un demi-dieu! Je me contente du titre de guerrier, un guerrier fidèle à son maître à qui il a prêté serment. C’est là la tâche de tout honorable Kronkos, l’espèce à laquelle j’appartiens! Mon supérieur, le commandant Wu, combat une alliance redoutable, celle des p, Castorii et Haän! Ah! J’oubliais les Velkriss dans cette énumération!

Et notre Kiku soupirait ou plutôt grondait de plus belle, d’un air las.

- Mmm… ton discours n’est guère divin, constata le Grand Vizir, assez déçu. De plus, tu emploies des termes incompréhensibles même pour un aussi haut dignitaire que moi! Cependant, grâce à ta force peu commune, tu as tenu tête aux chevaliers totems! Tu es donc, bien que tu le nies, un envoyé d’Ogo ou encore de Tezcatlipoca!

À cet instant, un esclave chichimèque qui s’affairait auprès des puissants personnages, eut le malheur de commettre une maladresse résultant de la fatigue. Il renversa du vin de palme sur la dalmatique du Troodon. De surprise, mouillé et contrarié, Kiku gronda sourdement. La réaction du Grand Vizir fut fort prompte et des plus cruelles. Sortant de sa tunique un poignard d’obsidienne à la lame effilée, il égorgea le maladroit d’un seul coup de son rasoir et ce, à une vitesse et avec une habileté qui dénonçaient l’habitude! Puis, toujours aussi maître de lui, l’humain recueillit le sang de la victime dans le crâne qui lui servait de gobelet.

Ensuite, il but ce liquide pourpre avec délectation! Revigoré par ce cordial, N’Kongo Utlaln se retourna vers son hôte et lui dit, le plus naturellement du monde:

- Pardonnez-moi… peut-être en auriez vous voulu quelques gouttes?

- Euh… balbutia Kiku, l’œil brillant de regret, j’ai juré de ne point me nourrir ni de m’abreuver du sang des humains! Mon commandant ne me pardonnerait pas un tel manquement.

N’Kongo Utlaln hocha la tête comme s’il comprenait et s’enfonça dans une profonde méditation. Désormais, en pleine possession de ses moyens, la preuve, son teint vermeil, ses yeux vifs, ses lèvres rouges et ses rides estompées , ce qui faisait supposer qu’il n’était âgé que d’une petite soixantaine d’années, il pesait le pour et le contre de la présence du Troodon dans l’Empire de Texcoco. Quelle pouvait être la raison de cette venue?

Notre Grand Vizir avait en fait dépassé allègrement les cent vingt années! On pouvait désormais l’assimiler à un vampire ou à une goule! Depuis le temps qu’il absorbait de la chair humaine lors des cérémonies cultuelles, il en avait pris le goût et ne pouvait plus s’en passer.

Après quelques minutes de silence respectées par Kiku, N’Kongo Utlaln reprit:

- Cette larve sacrilège a payé!

- Je n’ai émis aucune remarque de désapprobation! Constata le Troodon.

- Mon attitude est des plus normales! La hiérarchie et le respect sont les bases de notre société! Sinon tout s’écroulerait! Poursuivons. De quelle noble famille es-tu issu?

- Euh… dans le sens de guerrier qui n’a jamais failli à l’honneur?

- Si tu veux!

Alors, Kiku se lança, ne racontant que la stricte vérité. Il ne pouvait faire la preuve de son ascendance divine ce qui gêna beaucoup le haut dignitaire; N’kongo devait s’en remettre à la sagesse de son souverain, ne pouvant lui-même prendre une décision. De plus, le Grand Vizir trouvait la vaillante race des Kronkos d’une sauvagerie extrême, particulièrement lors des épreuves d’initiation, épreuves qui avaient lieu lorsque le futur guerrier atteignait sept ans révolus!

- Soit… j’admets pour l’instant la véracité de tes propos. Il appartient au Moro Naba, Vie, Force et Santé, Fils du Soleil, Fils de la Lumière, Sage d’entre les Sages, de choisir les ordalies qui prouveront ta divinité! Acceptes-tu?

- Je ne me déroberai point! Cracha Kiku superbement. La lâcheté n’est pas une valeur que les Kronkos vénèrent!

- Bien! Dans ce cas, chevalier Hoazin et chevalier Nandi, accompagnez le seigneur Kiku U Tu dans les appartements que nous lui avons réservés! Jeta N’Kongo Utlaln après avoir frappé dans ses mains. Que tous ses désirs soient momentanément satisfaits!

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Au cœur du marché du quartier Varègue, le Commandeur Suprême défiait une fois encore Daniel Wu et ses amis. Cela commençait à devenir lassant, ne jugez-vous pas?

- Ah! Je me réjouis en constatant que vous n’avez pas encore remporté une seule manche! Lança l’entité artificielle pleine d’une ironie blessante. Et certainement pas la prochaine! Von Hauerstadt restera aux mains de Pavel Pavlovitch quoi que vous tentiez! De toute manière, il prend sa captivité avec philosophie. Tenez! Voyez!

Tandis que le Temps avait été suspendu, le gros clone avait fait apparaître une image en 3D réduite de moitié au centre même de la place, image que seuls lui-même et ses souffre-douleur pouvaient voir. Toujours attaché, le duc se gaussait ouvertement de l’ivrognerie et de la stupidité de ses gardes. Or, à cet instant, Fouchine revenait bredouille. Il n’avait rien obtenu ou presque de l’Anasazi trop cupide et trop malin. Franz lui jeta quelques paroles acerbes. Devant l’insulte faite à son supérieur, un Ivan voulut frapper le prisonnier mais Pavel Pavlovitch s’interposa. N’avait-il pas reçu l’ordre express de ménager cet otage de marque?

Cependant, la mine quelque peu soucieuse, l’agent du KGB envisageait un plan de rechange. Il attendait des propositions concrètes de ses hommes qui venaient de le rejoindre. Un lieutenant, aux traits Tatars, plutôt baraqué, suggéra, fort à propos, une incursion surprise à l’intérieur de la pyramide consacrée à Ogo. Pavel sembla approuver le principe. Mais il lui fallait étoffer cette idée. Cela parut étrange à Daniel qu’un simple subordonné pût ainsi persuader le commandant soviétique. Mais il n’en pipa mot.

Or, de son côté, le Commandeur Suprême réagissait lui aussi. Il sentait là comme une anomalie. Analysant l’unité carbone Boris Koutchaï, il n’en reconnut pas l’ADN! Les mémoires du clone hurlèrent.

- Attention! Piège! Intrus identifié!

Inopinément, Sydney Greenstreet interrompit brutalement sa retransmission 3D, planta là ses cobayes et s’évapora pour un ailleurs sans un seul clignement d’œil. Métamorphosé en une langue onde violette, il émit l’avertissement suivant:

- Gardez bien vos trois adolescents casse-cou! Surveillez-les de près! La partie est plus compliquée que ce que vous croyez!

Le clone n’avait pas identifié Boris Koutchaï mais bien un certain Yuan Li Xiao! Le véritable Boris avait été assassiné, discrètement, et remplacé par un habile agent de Sun Wu, grimé avec art. Peut-être pensez-vous que Sydney Greenstreet


allait informer Fouchine de cette substitution! Que non pas! Il n’en avait pas l’intention. Accaparé par un contrôle surprise de S1, le Sage originaire de la chrono ligne menant aux Homo Spiritus, il dut faire le dos rond.

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Après la disparition soudaine et inexpliquée du clone du Commandeur Suprême, Daniel André, Irina et Antor s’entretinrent brièvement sur ce qu’il convenait de faire.

- Regagnons notre camp terrestre, fit le vampire et consultons une nouvelle fois le chrono vision.

- Il va nous montrer toutes les probabilités déjà entrevues! Objecta Irina.

- Certes! Mais la donne vient d’être changée! Répliqua son mari. Nous aurons droit à un plus grand choix d’images.

- En effet, compléta Fermat. Par son intervention, le Commandeur Suprême a modifié le futur proche!

- Exactement! Approuva Stankin.

- Je rajouterai, fit Daniel, que ce Sydney Greenstreet de pacotille m’a paru surpris, contrarié, irai-je jusqu’à dire.

- Par qui? Par quoi? Demanda André.

Antor resté silencieux quelques secondes, lança:

- Franz n’est pas immédiatement en danger. Sa délivrance peut attendre!

- Moui… tu as raison. Même Johann Van der Zelden ne peut prendre le risque de l’éliminer physiquement! Déclara le daryl androïde. Il nous faut connaître tous les nouveaux paramètres avant de tenter quoi que ce soit.

Fermat acquiesça puis conclut:

- Si Michaël nous aidait? Cela changerait la situation en notre faveur! Nous nous refusons à l’admettre, mais nous nous trouvons en mauvaise posture!

- Pas d’accord! Jeta sèchement le commandant Wu. Nous n’avons pas perdu la partie! L’ultime femto seconde n’est pas advenue! Le gong n’a pas retenti! Vous croyez que l’agent terminal reste inactif, vous faites erreur!

- Une intuition? Suggéra l’ambassadeur.

- Une certitude!

Sur cette parole des plus réconfortantes, le groupe quitta enfin le quartier Varègue et rejoignit le camp de base établi à l’extérieur de Texcoco. Uruhu et Antor s’étaient chargés de le sécuriser.

Les heures passèrent ajoutant à l’impatience des plus jeunes. Le trio d’adolescents et Violetta partageaient la même tente. Tous discutaient ferme, ne comprenant pas cette immobilité apparente.

Geoffroy, qui arpentait l’espace sous abri d’un pas nerveux, de plus en plus bougon, jeta:

- Moi, je n’aime pas les avertissements; surtout donnés par cette espèce de gros clown! D’abord, qui est cet histrion? Un extraterrestre? Un super p?

Violetta répondit tout en mâchouillant un bâton de réglisse.

- Euh, d’après oncle Daniel mais aussi mon expérience personnelle, il paraît que c’est l’un des clones humains d’un ordinateur gigantesque. Je rajoute: de la taille de la Terre se présentant sous l’aspect d’une sinistre sphère noire!

- Tu nous racontes des blagues, là! Dit Pacal n’osant pas sourire cependant.

- Pas du tout, mon vieux! J’ai déjà eu affaire à un de ses frères, ailleurs, dans une piste temporelle parallèle! Là-bas, il avait eu le culot de prendre l’apparence du… Père Joseph! Excusez du peu!

- Bigre! S’exclama Ivan. Alors, il peut être n’importe qui!

- Pas tout à fait! En tout cas, il n’est pas parmi nous!

- Comment peux-tu te montrer si affirmative? S’inquiéta Geoffroy, ne croyant pas la métamorphe.

- Antor le détecte à cent lieues!

- Admettons! Fit Ivan. En le voyant disparaître ainsi, j’ai cru à une sorte de démon ou de djinn malfaisant.

- Je préfèrerais, crois-moi!

- Vu l’époque d’où je viens, marmonna Geoffroy, je connais des moines et des prêtres familiers des manifestations dites démoniaques. Je peux vous dire que le Diable relève plus de l’esprit tordu de celui qui y pense ou l’invoque, comme nous avons pu en juger avec Charmeleu, que de l’existence propre d’un quelconque Satan. Bref, il est d’abord dans les têtes!

- Satan vient de Shaitan, souffla la jeune fille, autrement dit, le Juge!

- Merci pour cette seconde de culture, ma grande! S’inclina ironiquement le blond adolescent.

- Il n’y a pas de quoi! Répondit Violetta sur le même ton. Le Commandeur Suprême et l’Ennemi, autrement dit Johann, sont vraiment les incarnations les plus abouties du Mal!

Ces paroles jetèrent un froid.

- Tu veux rigoler? Siffla Ivan entre ses dents après une minute d’un silence pesant.

- Hélas! Jamais je n’ai été aussi sérieuse! Ah! Si j’avais le temps de vous raconter ce que Van der Zelden nous a fait subir à Daniel, André, mon père et moi, ailleurs…

- C’est si long? Interrogea Geoffroy qui voulait savoir malgré tout.

- Assez!

- Raconte mais abrège si possible! Reprit le brun adolescent.

- Ben… Johann avait été défié par une certaine Pamela Johnson, Winka de son véritable nom, et par mon oncle. Il s’est magistralement vengé en nous envoyant tous ou presque dans un Univers Panmultivers mosaïque qu’il avait recréé à notre intention! Impossible d’en sortir! Alors, nous avons dû affronter une flore démente, une faune hyper dangereuse, le froid le plus intense, la chaleur la plus accablante, la peur, l’angoisse, la mort, et j’en passe! Tiens, le Sucuriju par exemple…

- Le Sucuriju? S’exclama Pacal. Je connais! Il s’agit d’un serpent mythique de dix mètres de long au moins, au corps aussi large que le tronc d’un séquoia.

- Le nôtre mesurait 11 mètres 98 et n’avait pas fini de grandir! Mais le plus terrible, c’était le poison qui suintait de ses piquants! Hé oui! On aurait dit un monstrueux hérisson serpentiforme muni d’une queue de dragon. Or, Daniel a dû l’affronter et il a failli y rester!

- Pff! Tu en rajoutes! Fit l’Amérindien en haussant les épaules. Le commandant Wu est invincible!

- Non Pacal, pas dans ce cas-là! À sa décharge, la partie hyper positronique de son cerveau était en panne… petit supplice supplémentaire de Johann qui se distrayait comme il pouvait!

- Soit, grommela Ivan. Mais tu cherches à nous impressionner Violetta! Reconnais-le!

- Or, c’est raté! Compléta Pacal!

- Je me contente de vous mettre en garde, un point c’est tout!

- Alors, tu perds ton temps et use ta salive en vain! Renchérit Geoffroy.

- Moi, fit brusquement le jeune Amérindien, ce monde aztèque mâtiné d’Afrique noire m’intrigue! Il me fascine aussi! J’y retrouve un peu mes racines! Et j’ai bien envie d’en savoir plus dessus!

- Ah! Tu en as assez de te sentir en cage! Jeta Ivan en suçotant lui aussi un bâton de réglisse.

- Ouais! Tu me connais bien! Je n’aime pas être tenu en laisse!

- Que comptes-tu faire?

- Rassure-toi, Violetta, mère poule! Je ne vais pas affronter tout seul ton croquemitaine! Je vais me contenter de faire un peu de tourisme et explorer, discrètement, le quartier des temples…

- Euh…, hasarda la jeune fille, d’après Tony Hillerman, le lieu est interdit aux simples mortels!

- Oh! Mais c’est là le sel de l’aventure, ma grande!

- Pacal! Tu oublies la mise en garde du clone!

- Je m’en fiche! Il paraît que le soir les prêtres officient dans des cérémonies dans lesquelles ils invoquent les ancêtres; j’ai vu un documentaire à la télé qui en parlait! Je veux vivre, connaître cet instant magique et prier pour mes parents. Peut-être m’apparaîtront-ils?

- Là, Pacal, tu deviens fou! S’écria Ivan. À mon avis, c’est le Commandeur Suprême qui est en train de t’influencer!

- Encore ce guignol! Il ne me fait pas peur!

- Tu es inconscient! Grommela Geoffroy.

- Vous vous inquiétez trop pour moi, les amis! Vous oubliez que je suis un pur Indien Maya Quiché! Je passerai donc inaperçu parmi les autochtones. Ici, il vaut mieux appartenir à mon ethnie qu’à celle des compradores russes!

- J’avoue que les gens du coin sont plutôt racistes, émit le jeune comte.

- Pacal, articula lentement Ivan qui tentait de se calmer, à Texcoco, les esclaves indiens sont monnaie courante!

- Peuh! Des peuples vaincus et soumis, voilà tout! Siffla le jeune Amérindien têtu. Les Mayas, quant à eux, demeurent estimés en tant que savants ou astrologues! C’est le lieutenant Hillerman qui m’a informé. Il a réussi à déchiffrer et à étudier les codex mis à sa disposition. Ivan, je te répète que je ne risque rien. Et, mon frère, je te promets de rester prudent!

- Je ne puis te faire changer d’avis, je vois… Méfie-toi cependant.

- A plus tard, tous!

Un léger sourire de satisfaction sur les lèvres, l’Amérindien sortit de dessous la tente comme si de rien n’était et, en sifflotant, s’éloigna.

Trépignant, furieux contre lui-même et contre Pacal, Geoffroy jeta:

- Mon vieux, tu es trop coulant! Tu n’as pas réellement insisté pour le décourager, ton frère!

- Et toi? S’offusqua le blond adolescent.

- Il vaut mieux informer le commandant Wu du départ de Pacal! Conseilla le jeune noble.

- Je m’en charge! S’écria Violetta. J’ai besoin de prendre l’air!

- Tu ne vas pas le suivre, au moins? Déguisée en autochtone? S’insurgea Geoffroy.

- Pour qui me prends-tu? Promis, juré! En fait, je souhaite prendre le pouls, sentir l’atmosphère qui règne chez les adultes.

- Ah! Tu veux les espionner et en tirer des conclusions personnelles!

- Bien vu! À la revoyure!

Sur ce, la jeune fille s’esquiva à son tour afin de gagner la tente principale. Elle n’avait pas fait vingt pas qu’elle tomba sur Ufo qui miaulait désespérément tout en se frottant contre ses jambes.

- Holà! Que t’arrive-t-il donc, mon gros? S’inquiéta-t-elle. Mais, tu saignes!

Effectivement, le chat avait une oreille déchirée tandis qu’une de ses pattes présentait une plaie assez profonde.

- Qui t’a fait cela, mon minou? Avec qui t’es-tu battu, mon pauvre chat?

Naturellement, le félin ne put répondre! Ayant eu un petit creux comme à son habitude, il avait gagné une ferme proche et, pénétrant dans le poulailler, avait eu l’intention de croquer quelques œufs frais. Las! Il s’était heurté au paysan et à son chien! Pour une fois, pas assez rapide, et ce, à cause des coups de bec cruels du coq, il avait reçu des blessures douloureuses et n’avait réchappé à la mort que par miracle! Penaud et boitillant, il s’en était revenu cherchant un réconfort non mérité près de son maître!

- Décidément, tu es fort amoché, mon gros matou! Je vais te soigner!

Avec tendresse, Violetta prit le chat dans ses bras et gagna une petite tente dans laquelle du matériel varié était entreposé. Or, toute à sa tâche de vétérinaire, elle en oublia sa première mission! Lorsqu’elle se rappela enfin ce qu’elle devait faire tout d’abord, trente minutes avaient passé et Pacal, qui avait franchi sans mal le périmètre sécurisé - son ADN avait été identifié et alors le champ de force s’était ouvert - était déjà loin!

- Ben, réfléchit l’adolescente, si Pacal est sorti du camp, c’est qu’Uruhu lui a donné l’autorisation! Mais je vais m’en assurer.

Le chat lové dans ses bras et ronronnant doucement, Violetta s’en alla donc auprès du Néandertalien.

- …soir! Tu as vu Pacal? Lança-t-elle négligemment.

- Oui, mademoiselle, il est passé.

- Tu l’as laissé franchir le mur?

- Il m’a promis de revenir avant minuit! Il avait besoin de prier! C’est bien de prier pour ses parents!

- T’a-t-il dit où il allait exactement?

- Au sanctuaire qu’on voit là, juste au fond.

- Merci!

Rassurée, l’adolescente revint sur ses pas. Puis, elle pénétra sous la tente des adultes et se mit à écouter les échanges. Après quelques minutes, elle dit:

- Pacal est parti invoquer ses ancêtres!

- Ah! Oui? Où cela? Interrogea Antor.

- Pas loin!

- Mmm. Son signal est toujours clair!

- Il n’a pas quitté le périmètre protégé, au moins? Fit Irina.

- Euh…

- Quoi?! S’inquiéta Fermat. Il a franchi le champ de force?

- Uruhu l’a laissé passer.

- Tu connaissais ses intentions? Demanda Daniel.

- Ben oui! Répondit en boudant l’adolescente.

- Il ne manquerait plus que les paroles de Sydney Greenstreet s’accomplissent! Soupira la Russe.

- Mektoub! Souffla Hillerman entre ses dents.

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Pacal s’était éloigné à pas furtifs du camp et avait gagné les faubourgs de la ville. De jour, l’adolescent savait se diriger parfaitement dans les labyrinthes des lagunes. De nuit, par temps clair, il était capable de se guider grâce aux étoiles, mais, cette nuit-là, la lune ne parvenait pas à percer la brume qui s’élevait du sol et aucune étoile n’était visible.

Cependant, Texcoco n’était qu’à mille cinq cents mètres et le quartier sacré où il comptait se rendre à huit minutes de marche en pressant le pas. Il fallait emprunter la direction du sud. Ce fut ce qu’il fit. Il vérifia l’heure à sa montre: neuf heures d’après les cristaux liquides. Les portes du temple ne seraient fermées qu’à une heure du matin. Il avait donc le temps. De plus, Pacal savait que les cérémonies d’invocation se déroulaient toutes les nuits entre dix et onze heures, soit largement avant l’extinction des feux.

Petit détail technique instructif: cette civilisation mixte possédait des horloges à silicium, des sortes de clepsydres électroniques. Ce matériel, des plus précis, ponctuait les heures de la journée, sonnant avec une régularité monotone les moments cérémoniels incontournables.

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Malgré le ululement inquiétant des chouettes, les craquements sinistres des bois, le bruissement des feuilles sous une brise tiède, les ombres mystérieuses qu’on devinait et que l’on pouvait prendre pour quelques créatures inconnues, sans oublier l’odeur de décomposition de charognes flottant à la surface des eaux noires, Pacal évita avec une facilité déconcertante les différents obstacles de la lagune, les jaguars et les pumas feulant dans le lointain - les fauves digéraient leur repas vespéral - les serpents qui rôdaient sous les herbes hautes et les caïmans qui espéraient quelques proies imprudentes.

Ainsi, doucement, l’Amérindien atteignit la porte Sud qu’il franchit tel un habitué des lieux. Cependant, très décontracté, ce n’était sans doute qu’une apparence, il demanda aux gardes en nahuatl sur quelle esplanade la cérémonie du soir devait se dérouler. Par chance, les soldats appartenaient aux ethnies de la région et comprenaient tous les dialectes pratiqués à Texcoco.

Muni de son précieux renseignement, Pacal rejoignit l’esplanade principale toute pavée de porphyre. Déjà, la foule compacte s’assemblait. Le lieu cultuel était illuminé par des braseros et des feux de Bengale importés d’Asie. Des hommes oiseaux, singes et jaguars dansaient, masqués, recouverts d’un justaucorps imitant la peau, le poil ou le plumage de l’animal emblème, des bracelets précieux tintinnabulant aux chevilles, aux poignets et au cou grâce à la magie de minuscules clochettes. Ils agitaient également en cadence des masses d’obsidienne, des « bolas » en pierre provenant du Popocatépetl.

De grands Noirs, le crâne rasé, torse nu, un poignard glissé à la ceinture, assuraient le service d’ordre. Ils étaient partiellement casqués de bronze et de cuir bouilli. Très attendus, les prêtres couverts de plumes multicolores firent leur entrée tandis que la transe des Afro Amérindiens, sans doute drogués, atteignit un premier paroxysme, au rythme des tam-tams, des grelots et des tambours joués par des Bambaras, des Sérères ou encore des Malinkés vêtus de peaux de sapajous et de cercopithèques. Un homme chimpanzé porteur d’un masque figurant les forces chtoniennes - son masque « imitait » parfaitement ceux des arts d’Afrique de l’Ouest visibles dans les musées de notre chrono ligne - accompagnait les prêtres.

Puis, deux initiés circoncis, presque nus, leur peau recouverte d’une épaisse couche de kaolin, conduisant une escorte d’esclaves traînant des animaux en cage, eux aussi visiblement drogués, entrèrent en scène.

Les sacrifices purent alors commencer. Les prêtres, tout en égorgeant à la chaîne, psalmodiant, invoquaient les esprits des ancêtres défunts, les suppliant de protéger les vivants et de les aider à gagner les champs d’Ialou lorsque les temps seraient venus. Les premières victimes furent des perroquets verts et des aras. Vinrent ensuite des animaux plus grands, plus gros, plus imposants, les singes, les zébus, les caïmans et un hippopotame!

Les couteaux laser, imitant à la perfection l’antique obsidienne, meurtrissaient, découpaient et tranchaient les chairs avec un ensemble et une régularité remarquables. Le visage impavide, comme figé, les prêtres officiaient, plongeaient leurs mains nues dans les poitrines sanglantes des victimes sacrificielles pour en arracher le cœur tout chaud et encore palpitant, qu’ils brandissaient ensuite aux yeux de la foule excitée, plongée dans une transe violente à la suite d’abondantes libations de peyotl. Les participants chantaient et dansaient en se trémoussant ou en se penchant, en cadence, frappant entre leurs mains, scandant de mystérieuses strophes.

Cette musique envoûtante et presque immatérielle, d’un style indéfinissable, rappelait par instants les chants amérindiens des Grandes Plaines ou les récitatifs des chamanes d’Amazonie ou de Sibérie ainsi que les polyphonies pygmées d’Afrique centrale, les mélodies des Zoulous ou des Wolofs. Des instruments divers, y compris africains, tels les harpes et les balafons, accompagnaient la mélopée, ajoutant à son étrangeté.

Il y eut un partage des dépouilles. Chaque assistant devait mordre dans la chair crue! Pacal crut alors se trouver mal. Était-ce la chaleur, le peyotl ou bien l’absorption de la viande sanguinolente de singe, de caïman ou d’hippopotame?

Tout autour de lui, le bruit s’amplifiait, devenait douloureux, le tintamarre insupportable tandis que le peuple, fanatisé, au zénith de l’exaltation, se déchaînait, croyant voir se matérialiser toute une cohorte de spectres ricanant, squelettiques, blanchâtres ou momiformes!

Victime d’un malaise, Pacal ne put en supporter davantage. Blême, le cœur au bord des lèvres, il se traîna tant bien que mal à l’extérieur du lieu cérémoniel. Sans façon, il vomit dans un buisson, essayant de recouvrer ses esprits, secouant sa tête sous les yeux moqueurs des gardes qui l’observaient. Tandis que le jeune homme se redressait, le front moite, il fut chassé cruellement à coups de pierres.

Toujours sous l’emprise de cette drogue traîtresse, l’imprudent quitta d’un pas chancelant la ville, persuadé être poursuivi par une foule de harpies, d’Erinyes hurlant au sacrilège, créatures maléfiques reconnaissables à leurs longues mains crochues et décharnées, mains qui s’agrippaient à lui et tentaient de lui crever sournoisement les yeux!

Sous l’angoisse engendrée par la drogue ingurgitée, presque aveugle, Pacal s’égara! Il avait perdu depuis de longues minutes déjà toute notion de la réalité. Maintenant, il était persuadé être entouré par des ronces animées, des lierres, des sphaignes particulièrement agressifs, mus par un sentiment de vengeance envers celui qui avait failli! Pour lui, alors que la brume s’était justement levée, il n’y avait plus ni lune, ni étoile, seule l’obscurité dominait le monde et régnait dans son esprit.

Était-il passé par ici? Par là? Il lui était tout à fait impossible de s’orienter dans ce labyrinthe de verdure. Ses narines flairaient des odeurs de pourritures qui flottant, s’accrochaient à lui, s’insinuaient dans les pores de sa peau, dans son nez, tenaces, achevant de lui faire perdre l’entendement.

Désormais, Pacal, marionnette soumise au caprice du peyotl, avait le sentiment de se retrouver prisonnier d’une boucle temporelle. À sept ou huit reprises, il crut voir le même carrefour dans lequel trônait, grotesque et grimaçante, une dépouille putréfiée de renard ou de chien!

Son hallucination augmentait. Ligoté par les effluves mortifères, il ne parvenait plus à sortir de ce maudit carrefour! Confronté une fois encore à l’atroce dépouille, il entendit la charogne s’adresser à lui en anglais!

En fait, le jeune Amérindien était soulevé du sol, les mailles d’un filet l’enserrant. Devenu quasiment amorphe, ne se débattant pas, l’adolescent se laissa hisser jusqu’à une plate-forme où des GI’s en treillis l’accueillirent! Le plus âgé d’entre eux, le cheveu gris, la bouille ronde, s’exclama joyeux, dans un américain déformé par l’accent sudiste et les syllabes avalées:

- Well done, old chaps! Here is à good game!

( Bravo les gars! Voilà une belle proie!).

Pour les anglicistes avertis, ce n’est là qu’un jeu de mot facile entre proie, gibier et jeu!

Dans cette façon inimitable de s’exprimer, vous aurez reconnu TQT lui-même qui tenait enfin son otage tant désiré! Sous l’effet des vapeurs du peyotl, Pacal était donc tombé dans le piège tendu par les ultralibéraux, ce qu’avait anticipé le Commandeur Suprême. À sa décharge, l’imprudent avait été suivi depuis quelques heures par les espions de Thomas Quincy Taylor qui n’attendaient qu’une occasion pour s’emparer de lui.

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