mercredi 21 mai 2014

Le Tombeau d'Adam 1ere partie : l'Introuvable chapitre 4.



Chapitre 4

Vaisseau Stankin en orbite autour de la planète Terre à soixante-dix mille kilomètres d’altitude, le 8 janvier 1931. 
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Posté devant la console scientifique, Sarton manipulait des curseurs et effleurait des touches sensitives bien mystérieuses pour obtenir certains résultats. L’écran affichait des diagrammes et des courbes complexes à la figuration tout à fait inhabituelle.
Mentalement, le prospectiviste récapitulait les dernières manœuvres qu’il lui restait à accomplir tout en calibrant un déviateur d’ondes cérébrales pour l’ajuster aux caractéristiques particulières humaines. Cependant, l’extraterrestre ne pouvait s’empêcher de se morigéner pour l’acte violent qui allait résulter de ses manipulations mentales. Transformer deux cents personnes aux mœurs paisibles en tueurs implacables lui pesait. Le sort de l’Univers justifiait-il pareil crime?
Après une légère hésitation, l’Hellados orienta l’engin dans la direction désirée. Thaddeus Von Kalmann n’allait pas tarder à mourir.
Puis, Sarton laissa là le poste qu’il occupait depuis plusieurs minutes pour rejoindre le siège du pilote et s’y installer. Sa mine démontrait qu’il était soucieux.
« Combien de temps faudra-t-il pour que ces humains soient suffisamment sous influence et deviennent les marionnettes de ma volonté? Une heure tout au plus. Ah! Il me faut un cœur d’airain pour mener à bien cette mission! En attendant, je vais me plonger dans la lecture d’un ouvrage de philosophie orientale ».
Plus tard, alors que l’Hellados lisait un passage particulièrement ardu concernant les différences entre Grand et Petit Véhicules de la philosophie bouddhiste, l’ordinateur de la console scientifique bipa enfin, indiquant que les configurations normatives étaient atteintes. Revenant au présent, le prospectiviste déposa soigneusement son livre sur une tablette et enclencha la mise à feu des moteurs euclidiens de son vaisseau.
Le Stankin quitta alors l’orbite terrestre pour se diriger vers la planète Mars à une vitesse d’un million de kilomètres à l’heure. Lorsque l’extraterrestre jugea qu’il était assez éloigné de Terra et d’un quelconque autre corps céleste, il alluma les moteurs principaux, ceux qui permettaient le déplacement dans l’hyperespace. En une nanoseconde, le vaisseau atteignit le luminique. Satisfait, le pilote poussa la puissance jusqu’à luminique 2 puis programma la trajectoire jusqu’à sa planète natale. Le voyage ne prendrait que deux semaines.
Sarton n’était pas pressé. Protégé par l’hyperespace, il réchappait à la substitution d’un univers par un autre. Il n’en serait pas de même pour le reste de la Galaxie.

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Quinze jours terrestres avaient passé. 
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Le vaisseau Stankin, rendu invisible grâce à son bouclier occulteur, avait pu se poser sans difficultés sur la troisième lune d’Hellas, le satellite le plus inhospitalier de la planète. Mais aux yeux de Sarton, Vells présentait un avantage incomparable: la lune, trop petite, n’avait pas été colonisée par les Helladoï.
Rassuré quant au sort de sa planète natale, le scientifique mit en route tous les senseurs et radars de son patrouilleur amélioré. Il scanna méthodiquement Hellas afin d’étudier précisément toutes les modifications engendrées par la naissance de ce temps alternatif qui, pour lui, était le seul réel.
En cette année 2222, Hellas ne se complaisait plus dans sa hautaine solitude. La capitale Deltanis fourmillait désormais d’étrangers venus de tous les mondes habités de la Galaxie explorés par les Helladoï.
Cependant, une espèce humanoïde paraissait être plus privilégiée que les autres. Ses représentants pouvaient se rendre librement partout sur la planète, y compris dans les sanctuaires multimillénaires pourtant interdits aux profanes. Les Humains n’abusaient pas de ce droit, préférant déambuler dans les cités plus agréables aménagées pour les touristes.
Hellas respirait la prospérité. Les produits les plus recherchés par les compatriotes de Sarton foisonnaient: tissus vivants de Kiss, métaux précieux de Mondani, tri lithium de Tetris IV, bois de Tronn et ainsi de suite…
Le gouvernement de la planète avait changé. C’en était bien fini de l’oligarchie. Une république démocratique s’était imposée depuis près de cent années standard. Le clan Senriss se contentait de postes honorifiques ou encore officiait dans la diplomatie. L’alter ego de Sarton, nommé Premier Conseiller du corps diplomatique, assistait Vastrak, l’ambassadeur en titre sur Terra.
L’Alliance des 1045 Planètes avait vu le jour en 2063. Terra avait été contactée par les Helladoï une décennie plus tôt alors qu’elle se relevait d’une guerre civile qui avait fait suite aux terribles et sanglants conflits eugéniques.
Le succès de Sarton était total, mais à quel prix! Il lui était désormais impossible de vivre sur Hellas, sa planète natale n’ayant pas connu la même trame historique. De plus, il y avait deux Sarton. Celui qui était l’auteur de ce bouleversement n’aurait pu être qu’un double fantomatique qui n’avait plus sa place dans cet univers dévié.
Notre prospectiviste n’avait d’autre choix que de retourner sur la Terre, la Terre du passé, bien sûr. Son cœur d’airain et son entraînement lui interdisaient toute manifestation extérieure d’une émotion pourtant légitime. Ce fut pourquoi, d’une main qui ne tremblait pas, l’Hellados mit à feu les moteurs secondaires de son patrouilleur, quittant définitivement son système planétaire natal.

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Une nouvelle fois, le vaisseau helladien tournait en orbite autour de la troisième planète du système Sol. Bien installé dans le minuscule laboratoire scientifique, Sarton regardait des actualités holographiques du nouveau XX e siècle terrestre. Les événements se succédaient sous les yeux de l’Hellados, déjà quelque peu différents de ceux mémorisés par l’ordinateur.
- Première Guerre mondiale: 1914-1918. Les Alliés vainqueurs, l’Allemagne humiliée par le Diktat de Versailles.
Sarton ne put s’empêcher d’esquisser un vague sourire. Mais les difficultés allaient commencer.
- Crise économique des années 1930. Pourtant, des améliorations techniques surprenantes marquaient la décennie. Le scientifique se promit alors de visionner plus en détails cette période un peu plus tard. Il lui fallait aller à l’essentiel.
- Seconde Guerre mondiale: 1939-1943. On y était! Enfin! Quel soulagement! L’Histoire concordait avec celle voulue par l’Hellados. Le conflit avait pu être écourté grâce aux avions à réaction possédés par les Alliés mais aussi, hélas, par l’emploi plus précoce de la bombe atomique, une démonstration de force faite devant les diplomates et un panel de journalistes de toutes les nations en guerre et ce, dès 1943.
- L’URSS sortait affaiblie du conflit tandis que la Chine se lançait dans les recherches interdites. Celles-ci aboutissaient à la naissance de daryls qui, une fois parvenus à l’âge adulte, s’empressaient de prendre le pouvoir.
- L’inévitable Troisième Guerre mondiale éclatait en 1992. Ce furent les conflits eugéniques. Bilan désastreux. Cinquante-sept millions de morts.
La projection s’acheva par la victoire des humains et non des améliorés. Timour Singh finissait les armes à la main. Du moins s’agissait-il de son clone. Le vrai étant empoisonné par son fidèle serviteur. 
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Ce fait ne sembla pas troubler Sarton plus que nécessaire. Relativement satisfait, l’Hellados choisit une autre bande d’actualités consacrée aux années 1930 et déclencha la vidéo holographique tout en savourant un thé Lapsang Souchong auquel il avait pris goût.

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Les actualités cinématographiques alternaient les séquences politiques avec les reportages de société. Notre Hellados regardait avec une attention marquée les extraits consacrés aux sujets scientifiques.
En un peu plus de deux heures, le prospectiviste eut une vision assez précise de ces nouvelles années 30.
Ce fut à partir de 1936 que les documents montrèrent de nettes divergences. Dans ce 1936 bis, un reportage s’attarda sur les premiers essais en vol de prototypes d’avions à réaction capables de dépasser les 500 km/h. le journaliste américain ne parvenait pas à dissimuler son enthousiasme dans son commentaire pourtant professionnel. 
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Dans le domaine de la vie quotidienne, les progrès techniques semblaient moins spectaculaires mais ils n’en étaient pas moins réels. L’exemple du nylon était représentatif. Désormais, même les femmes aux revenus modestes pourraient gainer leurs jambes de bas splendides sans pour autant se ruiner. Le nylon entamait sa fabrication industrielle sur une grande échelle. Bientôt, il inonderait le monde entier.
Toujours aux Etats-Unis, un reporter de la Paramount avait pu approcher Albert Einstein. Celui-ci reconnaissait à demi-mot avoir commencé des recherches sur une bombe d’un type nouveau reposant sur sa célèbre formule, E= mc2. Auprès du chercheur se tenaient l’Italien Fermi et un certain… Dick Simons!
Se reconnaissant sur l’écran, Sarton sourit une seconde fois puis passa à un autre document.
Cette fois-ci, il s’agissait d’archives top secrètes provenant des services de l’armée américaine. Les images montraient la construction dans un lieu inconnu, apparemment dans les Montagnes Rocheuses, d’une pile atomique au graphite. Le centre de recherches ressemblait assez à celui dessiné par Hergé dans l’album de Tintin Objectif Lune. Mais ici, nous étions à la fin de l’année 1936 et non pas dans les années 1940 ou plus.
Pour l’Hellados c’était la preuve tangible que les sciences connaissaient une accélération remarquable. Les télécommunications progressaient également. La France commercialisait son millième poste de télévision en novembre. En médecine, la pénicilline, déjà connue, était fabriquée par tonnes dans les laboratoires pharmaceutiques du monde entier.
Quant à la chirurgie, elle n’était pas en reste. Des spécialistes américains tentaient, pour l’heure sans résultat, les premières greffes rénales. Malgré les décès des malades à cause du phénomène de rejet, les chirurgiens s’obstinaient. La victoire était proche.
Le prospectiviste passa enfin au domaine économique.
Sarton voulait ainsi s’assurer que son influence auprès de John Maynard Keynes avait été grande. Le célèbre économiste voyait triompher ses théories non seulement aux Etats-Unis mais aussi en France et en Suède.
Ici, le New Deal de Franklin D. Roosevelt enregistrait un succès total. Le chômage poursuivait sa longue diminution tandis que toutes les productions étaient à la hausse. Dès l’année 1937, tous les indicateurs retrouvaient leurs niveaux de 1928. La crise économique paraissait bel et bien terminée.
Devant ces résultats qui tenaient du miracle, à son tour, la Grande-Bretagne s’intéressait au keynésianisme. L’économiste entamait alors une grande tournée européenne qui le conduisait d’abord en France. Seules l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste voulaient ignorer John Maynard Keynes.
Or, c’était là commettre une grande faute. En effet, aux yeux de l’observateur éclairé qu’était Sarton, le retard technologique avec le monde anglo-saxon ne cessait de s’accentuer. Ce n’était certainement pas l’avancée en chimie des dictatures qui leur ferait gagner le prochain conflit.    
Comme l’Hellados le constatait, ses actions n’avaient pas transformé notablement la trame politique du monde terrestre, du moins pour l’instant. Roosevelt, président des Etats-Unis, était réélu pour un nouveau mandat de quatre ans. Hitler et Mussolini dirigeaient toujours d’une main de fer et de sang l’Allemagne et l’Italie. Il en allait de même pour l’URSS de Staline.
En France, les élections législatives du printemps 1936 voyaient l’arrivée au pouvoir du Front Populaire avec un gouvernement présidé par le socialiste Léon Blum.
Alors que les actualités Pathé s’attardaient sur le nouveau Président du Conseil, Sarton remarqua un fait qui le rassura: les images montraient Léon Blum recevant chez lui l’économiste britannique John Maynard Keynes.
Puis, sautant du coq à l’âne, les mêmes actualités passèrent à la Grande-Bretagne avec, cette fois-ci, sur l’écran, Oswald Mosley, ancien membre du parti travailliste, devenu fasciste, provoquant des manifestations violentes  contre l’Etat et défilant à Londres à la tête du B.U.F. dont il était le fondateur. Le leader se rendait ensuite à Birmingham avec ses troupes, puis à Newcastle et enfin à Liverpool. 
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Parmi les bras droits de l’admirateur de Hitler un homme de haute stature se détachait. Véritable colosse, le poil roux, les yeux étroits d’une couleur indéfinie, les traits épais, il s’agissait bien là d’un Haän qui était parvenu à infiltrer le parti de Mosley.
Stoppant momentanément le film holographique, le prospectiviste demanda à l’ordinateur de plus amples renseignements sur l’individu. Après quelques secondes de recherches, la mémoire artificielle identifia l’être sous le nom de Gustav Zerling, né à Dresde en 1900, installé à Londres depuis 1934. Le Haän occupait un poste important auprès de Mosley sans être inquiété par les autorités.
Mais l’ordinateur poursuivit ses investigations. Parvenu au terme de celles-ci, il fournit à Sarton des renseignements fort précieux.
Gustav Zerling n’était autre que l’amiral Opalaand, commandant de la flotte interstellaire de l’Empereur Tsanu XV. Si l’IA pouvait être aussi précise c’était grâce au transmetteur interdimensionnel mis au point par Stankin il y avait déjà quelques décennies.
Sarton venait d’identifier son assassin en puissance. Dans la chronoligne précédente, c’était bien le Haän qui avait tenté de l’éliminer, quel que fût alors son nom. Agité par une émotion aussi soudaine que compréhensible, le prospectiviste ordonna alors:
- IA, scannez à court terme les projets de l’envoyé Haän. Extrapolez si nécessaire…
- Oui, conseiller… Voici les résultats. Opalaand a pour but la restauration de la puissance Haän. Il ignore pour l’instant où vous vous dissimulez. Il compte agir en France durant les semaines du mois d’août 1936. L’économiste Keynes séjourne alors à Paris. Il veut l’assassiner. Les probabilités s’élèvent à 97,95%. Mais il n’agira pas lui-même. Il va mandater un homme de main. Or, il m’est impossible de connaître l’identité du tueur à la suite d’interférences temporelles qui parasitent mes circuits.
- Soit. IA, calculez la trajectoire la plus rapide pour rejoindre l’année 1936. J’aviserai sur place.
- Bien Conseiller.

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Juillet 1936, studio de la MGM. Plateau 17, 28ème jour de tournage du film Thunder of China Sea. Le long métrage était réalisé par Michaël Curtiss et avait pour vedettes le nouveau jeune premier d’origine néo-zélandaise Chester Flynt et la très belle, très glamour, l’incomparable Jean Harlow. 
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La comédienne venait de changer de couleur de cheveux après avoir subi avec succès une opération des seins. Amincie, plus lumineuse et éclatante de santé que jamais, elle portait sur ses épaules un magnifique rôle de composition, celui d’une prostituée rachetée par l’amour et qui sacrifiait sa vie pour celui qu’elle aimait, le capitaine de la malle de la mer de Chine, autrement dit Chester Flynt.
La scène qui, pour l’heure, devait être mise en boîte, était celle où le héros combattait seul, sabre au poing, une horde de pirates chinois joués caricaturalement par des Coréens, Hawaïens et des Japonais. Le chef des Chinois n’était autre qu’un jeune comédien débutant d’origine mexicaine jusque là catalogué dans les rôles d’Indien. Hollywood, nous le savons, n’était pas à une invraisemblance près.
Chester Flynt affrontait donc avec courage et brio une dizaine de malfrats exotiques à la trogne plus ou moins réussie car son passager, un pasteur couard et alcoolique, interprété par le futur père de Scarlett O’Hara, Thomas Mitchell, s’était planqué dans le canot de secours. 
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Tout le reste de la distribution était à l’avenant: Donald Meek, Peter Lorre, Hattie Mac Daniel… 
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Sur le plateau, il régnait une chaleur étouffante que la proximité de l’océan ne parvenait pas à atténuer. Or, toute l’équipe était exténuée par une longue journée de travail. Enfin, Curtiss jugea que cela suffisait. L’équipe était dans les temps.
- Très bien, les gars. Demain à six heures sur le plateau.
Flynt poussa un soupir de soulagement. Il était en sueur. Prenant une serviette éponge, il essuya son visage d’où de fines gouttelettes perlaient et qu’une moustache brune ornait. Ses cheveux brillaient également de transpiration.
- Tu as été parfait, lui dit le réalisateur avec sincérité.
- Comme toujours, rétorqua avec un sourire le néo-zélandais.
- A ce train-là, je pense pouvoir terminer le tournage dans deux jours.
- Tant mieux, répliqua Flynt. Mais n’ai-je pas encore deux raccords avec Jean?
- Je te confirmerai cela demain matin. Ce soir, couche-toi assez tôt afin d’être au mieux de ta forme. J’aborde la scène où tu nages vingt kilomètres avant d’être récupéré par l’hydravion.       
- N’aies crainte. Je suis un nageur hors pair.
Sur ce, Chester Flynt prit congé de toute l’équipe de tournage. Le comédien était pressé. Il lui tardait de rejoindre sa villa sur les hauteurs de Santa Monica.

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Il était 21h30, heure locale de Los Angeles. Après avoir pris un bain parfumé aux senteurs vivifiantes de pin, et s’être rasé de près, Chester Flynt avait revêtu un smoking. Il avait complété sa tenue par un classique œillet blanc. Un bourdonnement vint interrompre la chanson tirée du film Chercheuses d’or 1935, la célèbre Berceuse de Broadway qu’il sifflait plutôt maladroitement. La contrariété marquant alors son visage de séducteur, le comédien ferma alors à clé sa chambre puis appuya sur une des moulures du mur blanc tarabiscoté qui lui faisait face. Aussitôt, un espace secret apparut, une sorte d’étroit cagibi contenant une table sur laquelle reposait un poste de radio émetteur récepteur et une chaise tout à fait ordinaire. Le tout pouvait être éclairé par une ampoule qui délivrait une maigre lumière néanmoins suffisante aux occupations occultes de Chester Flynt.
S’asseyant, l’acteur mit en marche l’appareil sur le mode réception. Malgré les grésillements résultant de la distance conséquente qui le séparait de son mystérieux interlocuteur, la vedette montante d’Hollywood reconnut la voix basse et profonde si caractéristique de Gustav Zerling.
- Enfin, s’exclama depuis Londres le pseudo Nazi. Il était temps. J’ai de nouvelles instructions à vous communiquer. Flynt, cette fois-ci, j’espère que vous suivrez mes ordres à la lettre. Je ne veux aucune fantaisie de votre part.
- Herr Hauptmann, je ne comprends pas les raisons de votre colère. Il me semble que je me suis parfaitement acquitté de ma mission précédente. Je vous ai fait parvenir la liste des personnalités d’Hollywood qui éprouvaient une bienveillante sympathie envers l’Allemagne et notre Führer bien-aimé.
- Je sais tout cela Leutnant. Mais maintenant, il vous faut aller encore plus loin. Le Reich exige davantage de vous. Il est plus que jamais nécessaire d’être la discrétion même. Je veux que vous surveilliez de près les acteurs Dick Powell et Cary Grant.
- Dick Powell, Herr Hauptmann! Mais ce n’est qu’un chanteur gominé!
- Peut-être. Pour l’Anglais cependant, il pourrait y avoir anguille sous roche.
- Justement, je dois me rendre à une partie à dix heures ce soir. Je surveillerai mes confrères et les collerai aux basques.
- Bien Leutnant. Ach! Un dernier mot. Gardez la tête claire.
- Pour qui me prenez-vous Herr Hauptmann?
- Pour un amateur de tous les plaisirs de la table et de la chair. Communication terminée. Heil Hitler!
- Heil Hitler!
Chester Flynt, la mine sévère s’empressa d’éteindre l’appareil. Les sourcils froncés, il se mit à réfléchir.
- Comment diable exécuter les ordres? L’Anglais n’a pas du tout les mêmes goûts sexuels que moi. Il serait plutôt du côté de la pédale. Partons à cette soirée. J’aviserai selon les circonstances.
Refermant soigneusement la cachette, l’acteur prit une écharpe de soie blanche, l’enroula savamment autour de son cou puis quitta la propriété au volant d’une somptueuse Duesenberg bleu nuit décapotable.

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Au même instant, à Londres, dans son appartement cossu de Marble Arch, Gustav Zerling, ou plutôt l’amiral Opalaand, mettait au point l’assassinat de l’économiste John Maynard Keynes. Il ne pouvait s’empêcher d’exprimer à haute voix les décisions qu’il prenait. Mais il parlait dans la langue Haän de la cinquième caste.
- Je pense avoir trouvé l’imbécile idéal pour cette tâche. Une Founky en fait. Une comédienne polyglotte de la Royal Shakespeare Company. La troupe doit opportunément se rendre en France la semaine prochaine pour y effectuer une tournée de trois mois. La dénommé Lilian Hartley me semble toute indiquée. J’ai étudié son profil psychologique de près. Un femelle instable, au psychisme fragile, facilement influençable. C’est dit. Entreprenons l’affaire et guidons son joli bras. 
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Décidément, le Haän était un triste sire, un individu sans scrupules, qui aurait bien mérité d’être soumis au décerveleur qu’il se proposait d’utiliser sur la ô combien charmante, ô combien délicieuse Lilian Hartley! Quelle merveilleuse comédienne elle était! Combien elle promettait! Quelle carrière magnifique l’aurait attendue si ce monstre d’Opalaand ne s’en était pas mêlé!
Imaginez une brune aux yeux verts, à l’ovale du visage parfait, à la bouche mutine, aux mains fines et racées, à la poitrine menue mais sexy. L’éternel féminin bien mieux incarné que cette surfaite de Marilyn! La distinction pure… un caractère certes bien affirmé, un tempérament de feu et un talent immense. Mais pourquoi a-t-il fallu sacrifier tant de beauté sur l’autel de la cruelle nécessité? Pourquoi ai-je laissé s’accomplir ce crime?

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- Oncle Daniel, fit une voix fâchée d’adolescente, tes réflexions hors de propos viennent interrompre la suite de ton récit. Tu exagères comme toujours. J’ai vu un portrait de cette Lilian. Elle m’est apparue bien quelconque.
- Petite sotte! Répondit l’interpellé vexé. C’est parce que tu ne l’as pas connue vivante. Tu ne l’as pas entendue réciter les vers incomparables de Shakespeare. Elle était plus que prodigieuse dans Lady Macbeth. Et adorable dans celui de Catherine l’épouse française du roi Henry V.
- Avoue donc que tu es amoureux d’elle. Mais c’est une ombre oncle Daniel. Elle est morte il y a près de six cents ans. Je vais tout raconter à tante Irina. Elle va se moquer de toi.
- Ah! Violetta, tu ne changes pas. L’âge ne t’améliore pas le moins du monde. Tu restes une véritable petite peste. Je me montre trop faible envers toi. Jamais je n’ose te punir…
- Papa, reprends ton histoire, s’il te plaît, supplia la voix de Mathieu, un garçonnet d’une huitaine d’années.
- Oui, je veux la suite, enchérit Violetta, la terrible adolescente.
- Demain soir; il se fait tard. 22h32. J’ai à faire. Le vaisseau arrive à proximité de la nébuleuse TC 151. Je dois donner des ordres. J’aimerais assez observer de près les anomalies engendrées par ce phénomène.
- Promis, oncle Daniel? Tu reprends ton récit demain?
- Promis, ma grande, et sans rancune.
- Une bise avant de dormir, quémanda Mathieu.
- Un bisou à tous les deux.
Le commandant Daniel Lin Wu embrassa affectueusement son fils et Violetta avant de se rendre sur la passerelle de commandement du vaisseau scientifique Langevin. Originaire de la Terre, le navire se dirigeait à vitesse supra luminique vers la nébuleuse susnommée avec à son bord deux cent cinquante officiers et membres d’équipage parmi les meilleurs des 1045 Planètes de l’Alliance.
Daniel Wu avait su attirer sur le Langevin le dessus du panier des cinquante académies de l’union. Son équipage multiracial, comprenant aussi bien des humanoïdes, des dinosauroïdes, des siliçoïdes que des ovinoïdes, sans oublier les médusoïdes, les insectoïdes, les Lycanthropes et les porcinoïdes, devait accomplir des prouesses dans les années à venir.
Enfin, c’était ce qui était écrit, ce à quoi aspirait Daniel Lin Wu à cette époque, avant que l’inévitable force des choses s’abattît sur lui…

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