jeudi 3 décembre 2009

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 27

Chapitre 27

Camp d’entraînement « militaire » des K’Tous. Sous la direction d’instructeurs Asturkruks et Maïermamaous, les Néandertaliens s’initiaient à l’usage de nouvelles armes qui leur permettraient de devenir, sur ce terrain, les égaux des Niek’Tous. Ils pratiquaient donc intensément le jet de lances par propulseurs, le lancer de haches, le tir à l’arc, avec près de cinquante mille ans d’avance!, et ainsi de suite. Il y avait aussi des poignards de toutes les formes, ancêtres des épées, et même une baliste qui avait été montée, permettant ainsi de lancer à deux cents mètres environ des faisceaux de flèches enflammées. Les Asturkruks avaient également communiqué aux K’Tous la recette du feu grégeois! A l’intérieur de boules creuses d’argile durcie au soleil, qu’ils jetaient à la main sur des cibles factices comme s’il s’agissait de grenades, les Néandertaliens disposaient donc d’une arme sans pareille et d’une avance certaine sur le plan technologique. Ces grenades avant l’heure allaient sans aucun doute faire des ravages chez les Sapiens!
Nos cyber calmars se moquaient éperdument de perturber l’évolution technologique des K’Tous. Après tout, n’allaient-ils pas leur offrir la Terre entière, du moins pour quelques millénaires supplémentaires? Ils pouvaient donc se permettre ce geste magnanime car ce n’était pas le propre de l’espèce néandertalienne de conquérir les étoiles. Proches de la Terre, vivant en symbiose avec leur environnement, les K’Tous se contenteraient de leur « maison planétaire ».
Le XX e siècle K’Tou avait déjà révélé à Daniel la stagnation technologique de cette civilisation proche à la fois de la nature et des pratiques magiques. Les Asturkruks savaient pertinemment que le concept de progrès technique n’était valable que si n’importe quelle espèce vivante en éprouvait le besoin! Cette idée était une vérité fondamentale sur tous les mondes, à toutes les époques. A preuve, ces chimpanzés Bonobos d’Afrique capables déjà de tailler grossièrement des pierres, puis, au lieu de les conserver, de les jeter une fois utilisées!
Or donc, la Terre, débarrassée des Sapiens modernes, allait devenir l’Eden des K’Tous! Pourquoi dans ce cas se donner la peine d’innover, d’inventer, puisque, avec le réchauffement climatique qui succèderait à la période glaciaire, la pénurie, tant vantée comme base de la théorie économique libérale par les adeptes de Thaddeus von Kalmann, cèderait la place à l’abondance?
Parmi tous les élèves guerriers, un jeune adolescent révélait de remarquables aptitudes. Il s’agissait d’Uruhu, toujours le premier à atteindre la cible, une sorte de pantin fait d’herbes, d’écorces de bouleaux et de peaux. Que ce soit à la lance ou à l’arc, ou encore à la hache, Uruhu comprenait vite le maniement de ces armes et venait à bout rapidement de l’adversaire virtuel. Quant au combat à mains nues, il ne le craignait point au contraire de ses congénères. Il s’y montrait même relativement vicieux et ne touchait que rarement le sol.
Pamela Johnson assistait de loin à l’entraînement des K’Tous. Le courage et l’habileté d’Uruhu ne l’étonnaient pas. Dans ce Néandertalien voûté mais audacieux, elle avait tout de suite identifié le futur pilote du Langevin. Cependant, intriguée, elle réfléchissait.
« Comment ce K’Tou va-t-il échouer au XXVI e siècle? Est-il la preuve que toutes mes manigances sont vouées à l’échec? Je pourrais le croire si je ne raisonnais qu’en quatre dimensions! En fait, il ne s’agit là que d’un paradoxe apparent. Il va de soi que Daniel va récupérer Uruhu dans un avenir proche, mais dans une autre chrono ligne de l’histoire! ».

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Dans le vaisseau scout Einstein, la navette retournait dans un passé relativement lointain grâce au translateur couplé avec les moteurs distorsionnels. Le pilotage automatique en fonction, Fermat et le commandant Wu discutaient ferme quant à la stratégie à suivre. Bien évidemment, ils n’étaient pas d’accord.
- La meilleure solution, disait André, c’est d’attaquer de front Pamela avant qu’elle ne transforme toutes les tribus K’Toues en machines à tuer! Pensez que, si elle réussit, nous, les descendants de Cro-Magnon, nous ne verrons jamais le jour!
- Oh! Ce n’est pas tout à fait vrai, objecta Daniel avec détachement. Les multiples Univers bulles peuvent permettre à la fois l’existence d’une Terre K’Toue et d’une Terre Sapiens moderne. Cet appareil nous facilite simplement le passage d’un monde à l’autre.
- Allons bon, s’écria Fermat. Alors, dans ce cas, pourquoi voulez-vous agir?
- Mais pour raisons éthiques! Il faut isoler cet Univers bulle tout comme celui des Alphaego. Ma sensibilité morale me pousse à dire, en effet, que le monde K’Tou vaut parfaitement le nôtre. Mais il ne doit pas contaminer les autres chrono lignes! Si je m’écoutais, je serais tenté, je l’avoue, de laisser faire Pamela. Mais, même si les valeurs de la civilisation néandertalienne m’attirent, je ne dois pas céder. Quels progrès pour l’humanité, quelle exploration de la galaxie s’il y avait disparition d’Homo Sapiens?
- Ah! Décidément! Je croyais que vous aviez changé, mûri, mais vous restez semblable à vous-même! S’exclama André.
- M’avez-vous bien écouté? Si j’étais vous, je n’en mettrais pas ma main au feu, vous savez!
- Soit! Cependant, êtes-vous prêt à suivre non mes ordres mais mes suggestions? Je vous rappelle que j’ai plus d’expérience tactique que vous! Avant tout, vous êtes un scientifique…
- Entendu, si vos conseils ne sacrifient pas trop d’êtres sensibles et intelligents et que la vie de Violetta ne soit pas menacée!
- Envisagez-vous donc sérieusement de vous encombrer de cette adolescente? Elle serait plus utile à surveiller la navette!
- Je ne suis pas d’accord! Mathieu peut très bien se charger de cette tâche de routine! Certes, il n’a que neuf ans, mais il ne s’agit pas d’un enfant humain ordinaire! Quant à Violetta, ses dons de métamorphe la feront passer avec facilité pour une jeune fille K’Toue! Ainsi, nous pourrons approcher une tribu, la tribu visée, en arguant du fait que notre compagne pourrait être offerte en cadeau au chef de celle-ci.
- Bravo, Daniel Lin! Et vous osez employer le terme éthique!
- Il n’est nullement question pour elle de passer à l’acte! Pour qui me prenez-vous, André?
- Admettons qu’elle sache se défendre! En attendant, voici ce que je vous propose: il faut que les Sapiens modernes fassent le vide devant l’ennemi K’Tou, mieux, anticipent leur attaque. Leur camp devra être évacué, voire détruit, bien avant la venue de leurs massacreurs. Vêtu d’une tenue adéquate, je me charge de ma mission de reconnaissance et d’information!
- Commandant, un petit instant. Vous oubliez deux détails. Premièrement, vous ne parlez pas la langue des Niek’Tous de cette contrée et de ce temps! Deuxième minuscule problème: la logistique des Asturkruks appuie les K’Tous! Pamela n’est pas venue seule. Vous serez détecté, identifié et puis désintégré en moins de temps qu’il me faut pour le dire! Vous partirez en fumée avant d’avoir compris ce qui vous arrive.
- Vous vous montrez fort pessimiste! Que faire dans ce cas? Comment procéder?
- Pour obtenir la plus grande probabilité de succès, nous allons utiliser las superstition des K’Tous et des Niek’Tous, à notre profit. Cette navette Einstein dispose de nombreuses ressources. Ainsi, par exemple, elle peut suggérer qu’un astéroïde est en train de s’écraser à quelques toises à peine du campement K’Tou. La population locale, effrayée, on le serait à moins, croira à un funeste présage et refusera alors d’attaquer les Niek’Tous.
- Ah! Vu ainsi, pourquoi pas? Quant aux Sapiens, ils feront certainement de même.
- Tout à fait. Vous jouerez le rôle de l’émissaire sorcier protecteur qui les aura prévenus du cataclysme imminent qui les menaçait. Quant à apprendre la langue des Cro-magnon de ce temps, mes archives possèdent huit cent trente dialectes paléolithiques de l’espèce. Avec les corrélations nécessaires et les quelques éventuelles modifications, je ne doute pas de vous trouver le bon idiome. Cependant, êtes-vous prêt, André, à ingurgiter cinq mille mots au moins d’une langue archaïque en quelques minutes à peine?
- Oui, évidemment! Pourquoi cette question absurde?
- Euh… n’étant pas doté comme moi d’un cerveau en partie positronique, vous allez ressentir quelques nausées durant quatre ou cinq heures à la suite de l’effort intellectuel fourni! Jeta Daniel assez gêné.

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Vêtu de peaux de bêtes parfaitement ajustées, cousues avec soin, le protégeant d’un vent vif, froid et coupant, Fermat avançait sur la plaine enneigée, les yeux aux aguets.
Il s’était armé d’un disrupteur dissimulé dans une de ses poches intérieures. Bientôt, il aborda un groupe d’arbres au sommet desquels s’étaient réfugiés des oiseaux à demi gelés. Trois carcasses attirèrent son attention. Il voyait parfaitement que ces squelettes d’animaux, d’ours et d’aurochs plus précisément, avaient été alignés comme pour délimiter une frontière. N’hésitant pas, il poursuivit sa marche, les sens plus que jamais en alerte. Alors, soudain, quelque chose déboula d’une branche d’arbre et le fit rouler brutalement à terre. Dans ce corps à corps bref, Fermat reconnut un homme de haute stature, au teint foncé, qui grognait et qui, doté d’une force impressionnante, pouvait présenter un réel danger.
Cependant, le commandant parvint à esquiver les coups les plus traîtres mais il sentait bien que son adversaire, beaucoup plus jeune que lui, et entraîné à se battre contre des bêtes féroces, allait finir par avoir le dessus.
- Tant pis! Se dit André.
Il trouva facilement le nerf derrière le cou et put pincer l’homme préhistorique. Instantanément, l’ancêtre du Cro Magnon perdit connaissance, oh, pas longtemps! Une minute pas plus! Il était d’une résistance remarquable. Lorsqu’il reprit ses sens, tout étonné, le chasseur eut le geste de soumission universel, identifiable entre tous.
- Naïshimi! Naïshimi! ( Ne me tue pas! Ne me tue pas!)
- Anaemaou. ( Moi venir en paix.)
- Poloplosingui? ( Ennemi des fronts bas?)
- Ma! Ta! Aïshima « K’Tous », va ta! ( Moi, toi, tuer les k’Tous avec toi!)
- Malemele t’arakava! ( Suis-moi pour parler au grand chef!)
Essuyant ses vêtements gorgés d’eau et maculés de boue, Fermat se releva et suivit le chasseur cueilleur Comme on le constate, sa mission était en bonne voie de réussite.

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A une vingtaine de kilomètres en amont, de son côté, Daniel tentait d’entrer en contact avec la tribu des K’Tous. Il avait près de lui Violetta métamorphosée en jeune fille autochtone. Ainsi, l’adolescente arborait un front bas, des cheveux noirs filasses en désordre, un corps relativement massif, protégé du froid par des peaux assez bien cousues. Elle avait également le cou orné d’un collier de pierres, de coquillages et de dents. Son visage était enduit de graisse rance. En tant que femelle K’Toue, elle n’était pas mal. De plus, fort crédible dans ce rôle, elle parlait la langue couramment, sans avoir eu besoin de l’inducteur utilisé par Fermat, ayant mis à profit les leçons d’Uruhu à bord du Langevin.
A quelques centaines de mètres à peine du campement, les intrus furent vite entourés. Tandis que la bande d’enfants piaillait et sautillait, trois jeunes chasseurs s’amenèrent, une hache à la main. Rapidement, la conversation s’engagea entre Daniel et le plus âgé des K’Tous. Le ton n’était pas aimable, loin de là!
- Que viens-tu faire ici? Demanda le Néandertalien avec hostilité. Ce n’est ni ton camp ni ton territoire! Tu es un Niek’Tou! Où as-tu volé cette femelle? A quel clan appartient-elle?
- J’ai trouvé cette enfant il y a quelques lunes déjà, mourante de faim. Je l’ai soignée, nourrie, et puis, j’ai décidé de l’amener à une famille K’Toue. En effet, elle n’arrivait pas à s’adapter parmi les miens. Elle a peur de nous, les « Niek’Tous ». Je viens en toute amitié. Vois! Je ne porte aucune arme sur moi.
Les deux autres chasseurs s’assurèrent des propos du Niek’Tou en le fouillant consciencieusement. Naturellement, ils ne trouvèrent ni lance, ni hache, ni couteau. Satisfait, le plus âgé conduisit alors les nouveaux venus jusque sous la tente du vieux sorcier qui, pendant l’absence du chef - il s’entraînait durement - dirigeait le campement. Après avoir salué, Daniel entra dans le vif du sujet.
- Puissant sorcier, je viens en paix! Je t’offre cette femelle. Mes compagnons ne la trouvent pas attirante.
- Ah? Pourtant cette femelle est jeune et semble en parfaite santé! Elle n’a point encore porté, n'est-ce pas? Assure-t-en Makar!
La vieille Makar, la matriarche de la tribu, respectée par tous, faisait office de sage-femme. Elle s’approcha de Violetta et la força brutalement à ouvrir la bouche. Puis, elle examina attentivement sa dentition.
- Ses dents sont saines! Jeta-t-elle avec la plus grande satisfaction.
Ensuite, tout aussi violemment, elle lui arracha ses vêtements afin de se rendre compte si la jeune fille ne présentait pas quelques malformations. Violetta, on le comprend, s’empourpra de colère et de honte, surtout lorsque Makar la tâta sans aucune gêne dans ses parties intimes!
- Oh! Oh! Elle est vierge et pourra porter beaucoup de K’Tous! C’est là un beau cadeau! Tu peux l’accepter, sorcier, claqua de la langue la vieille matriarche.
- Sale vieille puante! Laisse-moi tranquille avec tes pattes griffues, pleines de terre et de microbes! Éclata de colère la métamorphe qui ne supportait pas d’être ainsi tripotée.
Mais la jeune fille croisa alors le regard à la fois moqueur et sévère de Daniel et comprit qu’elle avait gaffé. Piteusement, elle baissa la tête, prenant une mine contrite. Toutefois, elle reçut un coup de pied sournois de Makar qui la rappelait à l’ordre sans ménagement.
- Cette femelle a manifestement besoin d’une mise au pas! S’exclama la matriarche. Elle a failli me rendre mon coup!
- Bah! Fit le sorcier. Elle a du caractère, voilà tout! Le chef aime assez cela!
- En attendant, elle va rejoindre le groupe de femmes et travailler à la confection des vêtements. Sait-elle coudre au moins?
- Bien sûr! S’avança le commandant Wu, le supposant.
- Je le saurai vite!
- Toi, tu peux repartir! Déclara le sorcier vivement. Il ne te sera fait aucun mal si tu t’aventures une nouvelle fois dans notre campement.
- Merci pour cette invitation. Conclut Daniel en saluant.
Un léger sourire en coin, il se retira.
« Je me demande si Violetta tiendra le coup… pensa-t-il toutefois. Elle est de taille à se défendre, certes, mais… »
Pendant que Daniel regagnait le vaisseau scout, Makar avait poussé brutalement Violetta hors de la tente du sorcier. La métamorphe parcourut donc tout le campement à demi dévêtue, cramoisie. Les enfants tournaient autour de la nouvelle venue et, évidemment, se moquaient d’elle!
« Quel rôle difficile m’a donné oncle Daniel! » soupira l’adolescente.
Sous la tente dévolue aux femmes, la jeune fille découvrit avec une répulsion certaine qu’elle allait devoir arracher des lambeaux de chair plus que faisandée avec ses dents afin d’apprêter les peaux pour les rendre portables!
Les débuts de Violetta dans la tribu K’Toue s’avérèrent laborieux. Les mâles la convoitaient, mais elle ne se laissait pas approcher! Non seulement, elle montrait les dents mais elle était également capable d’envoyer au sol tous ceux qui se montraient trop entreprenants! L’adolescente pratiquait avec maestria les arts de défense et d’attaque Haäns!
Le chef à qui on rapporta ces faits, se contenta de déclarer:
- Cette femelle est encore jeune pour connaître un mâle! Nous attendrons que le Soleil soit à son zénith dans le ciel pour cela!
La cachette de Violetta était bonne car les Asturkruks n’allaient jamais dans la partie du camp réservée aux femmes. Pamela quant à elle, méprisait profondément ces femelles qui, à ses yeux, étaient à peine plus évoluées que des grenouilles! De toute manière, les K’Toues n’avaient pas le droit de décision concernant l’avenir de la horde, hormis Makar, alors Winka s’en désintéressait.
Avec patience cependant, Violetta parvint à incorporer le clan grâce à ses dons médiumniques. Le soir, elle feignait souvent d’entrer en transe, après le repas de préférence, et prédisait avec justesse les chasses du lendemain!
On s’en doute, il y avait là une aide du chrono vision! Dans la navette déphasée, Daniel Wu était en contact permanent non seulement avec la jeune fille mais également avec Fermat.
Ce fut par télépathie mais aussi par transducteurs implantés dans les avant-bras que le daryl androïde apprit la date projetée de la grande bataille des K’Tous contre les Niek’Tous, ce combat abominable dont le chrono vision lui avait déjà offert un terrible et sanglant aperçu.
De son côté, Fermat jouait son rôle à la perfection. Lui aussi était doté du don de prophétie et il en usait avec un à propos admirable! Maintenant, le chef, le « Briggs », lui accordait toute sa confiance et l’écoutait fasciné lorsque, les yeux roulant dans les orbites, le visage enduit de craie, d’ocre et de graisse, les cheveux coiffés d’un chef de plumes, André contrefaisait le possédé et annonçait de sa voix caverneuse le départ du Soleil, le ciel qui se coupait en deux et les éclairs qui allaient anéantir la tribu des Cro Magnons si les cueilleurs chasseurs ne partaient pas s’installer plus au nord!

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Sur Aruspus, les Alphaego étaient revenus et allaient lancer un nouvel assaut afin de s’emparer de l’équipage du Langevin. Surgissant d’un autre espace temps, ils se matérialisèrent autour du vaisseau mais s’aperçurent alors que toute sa coque était recouverte d’une concrétion cristalline! Immédiatement, ils comprirent à quel ennemi ils avaient affaire! Repassant alors dans l’espace inter dimensionnel, ils espérèrent utiliser une fois encore les super cordes pour réapparaître à l’intérieur du Langevin.
Mais cela ne se passa pas ainsi! Les coraux cristallins qui avaient bien évidemment détecté la venue des fœtus larves, avaient aussitôt réagi, trouvant la parade adéquate. Alors que la tempête s’était pourtant calmée depuis quelques minutes déjà, un blizzard naquit soudain et souffla à la vitesse prodigieuse de cinq cents kilomètres à l’heure! Heureusement que le Langevin était bien arrimé au sol, une partie de sa coque malléable amalgamée à la roche.
Certains des mutants ne furent pas assez protégés par l’inter dimensionnalité. Le vent glacial, aveugle et sans pitié, les emporta à plus de trois cents mètres d’altitude pour les précipiter ensuite avec une violence inouïe sur le sol de la planète, à une vitesse fantastique! La rapidité et le changement brutal de pression firent éclater et enflammer ces Alphaego. D’autres furent entourés de nuées de cristaux pensants qui, non seulement s’aggloméraient à eux, mais en même temps paralysaient leurs ondes cérébrales, les empêchant d’émettre.
Affolés, certains membres du groupe, parmi les moins expérimentés, s’en prirent à eux-mêmes. Leurs tentacules les auto étranglèrent ou encore percèrent la chair blanchâtre pour se repaître de leur propre suc vital!
Dans le centre de commandement du vaisseau scientifique, Antor captait les pensées diffuses des mutants en train de s’autodétruire. Son visage, habituellement inexpressif trahissait son contentement et son soulagement. Il souriait discrètement. A ses côtés, Irina, qui avait repris ses fonctions, demanda:
- Que se passe-t-il donc Antor qui te réjouit à ce point?
- Oh! Une ironie bien cruelle! Les Alphaego sont en train de se suicider par auto vampirisme! Ainsi, leurs dépouilles, vidées de sang et de liquide lymphatique, retombent en cet instant sur le sol d’Aruspus, réduites à l’état de momies fœtales. Avec le climat inhospitalier de la planète, elles vont bientôt atteindre le stade de la fossilisation.
A l’extérieur, les fœtus qui échappaient au suicide ou à l’éclatement, n’avaient plus que deux choix possibles: soit le saut quantique désespéré, soit, selon les lois établies par Stephen Jay Gould à la fin du XXe siècle, la mutation accélérée, le « mutationnisme ».
Certains tentèrent les deux à la fois!
Il n’était pas dit que tous devaient échouer. La plupart, entourés de concrétions qui allaient en s’épaississant, se métamorphosèrent en silhouettes pétrifiées grotesques, comme absurdement sculptées par les aléas d’une nature profondément hostile. Saisies dans leur mort, elles rappelaient les tristement célèbres victimes de Pompéi.
A l’intérieur du moule empreinte ainsi pris, les chairs des fœtus emprisonnés se décomposeraient, ne laissant qu’un squelette fossilisé. Malgré tout, un des Alphaego parvint à réapparaître à l’intérieur du vaisseau scientifique, dans la salle des machines, alors que Kinktankt, faisant office d’ingénieur, était en train de recristalliser le charpakium. Instantanément, le siliçoïde se retourna et avisa l’intrus en piteux état. En effet, les concrétions terminaient d’enfermer l’Alphaego. Cela n’empêcha pourtant pas l’officier de s’approcher et d’écraser sans pitié le mutant grâce à sa masse impressionnante. De l’être monstrueux, il ne resta qu’une vague trace sur le sol de plastacier. Les acides du siliçoïde vengeur l’avaient rongé.
A l’extérieur, les mésaventures du groupe Alphaego couraient à leur achèvement. Pris d’une danse de Saint Guy incontrôlable, les battements de leur cœur s’accélérant, les survivants se transformèrent inexorablement, poussés par un instinct puissant de survie. Quelques uns d’entre eux devinrent des blastulas, boules de cellules qui s’immobilisèrent, se figèrent pour ressembler à des bulles de pierre à la sphéricité parfaite.
D’autres moururent au stade de la neurula. Ayant revêtu des formes tubulaires extravagantes, tourmentées, fendues par le milieu, ils périrent également, leur mutation les ayant entraînés trop loin dans le stade de la néoténie. Comme aucun organe n’était encore constitué à ce niveau embryonnaire, en mutant une fois de trop, les Alphaego avaient perdu leur capacité à respirer et à s’adapter au milieu ambiant. Désormais, leurs talents transdimensionnels leur étaient devenus inutiles.
Antor comprit ce qui se passait. Il pouvait résoudre le mystère archéologique. Ces dépouilles tubulaires n’étaient autres que les restes recueillis par les expéditions de l’Alliance. Le vaisseau Langevin, dans sa fuite éperdue, ne s’était pas écrasé sur Aruspus an XXVIe siècle, mais bien dans un passé lointain encore indéterminé.
Les rares survivants, après un saut transdimensionnel effectué soit dans l’extrême passé, soit dans un futur lointain, perpétueraient l’espèce, puis s’allieraient avec les Asturkruks. La boucle était bouclée. Les fossiles ultra néoténiques allant jusqu’à la neurula, résultaient donc des combats qu’avait livrés l’espèce pour sa seule survie contre les cristalloïdes.
Quelques rares exemplaires devinrent des fœtus spinaux. Expulsant leur matière cervicale et leur moelle épinière, réduits à une simple enveloppe vide, ils moururent brutalement. Une vingtaine d’Alphaego périrent également, à mi-chemin de leur effrayante métamorphose, revêtant l’aspect de spina bifida : de leur dos ouvert, pendaient des restes organiques de moelle et de nerfs, et de l’arrière de leur crâne enflait une cervelle expulsée.
Cependant, une centaine de créatures parvint à se transférer ailleurs : l’une d’elle « atterrit » du côté de Lyon dans les années 1880 sous l’aspect d’un géant obèse atteint d’une alopécie générale. Il aurait la chance de devenir l’assistant privilégié de l’éminent physiologiste et anatomiste Maubert de Lapparent, sous l’identité de Hubeau, avant de succomber sous les « coups » de la redoutée Aurore-Marie de Saint-Aubain, personnage que nous aurons un jour l’occasion de croiser dans un de ces innombrables XIXe siècle des chrono lignes parallèles.
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Un autre rescapé s’acclimata aussi sur Terre, dans une dimension fantastique, au sein d’un château sis en Haute-Normandie, là où les démons et les anges s’affrontaient en 1920. Trois exemplaires, à peine reconnaissables, servirent de modèles à l’élaboration de marionnettes d’une émission enfantine passant sur une chaîne cryptée au soir d’un XXe siècle dit normal. Par une métamorphose incompréhensible, ces monstres assoiffés de sang et de chair étaient devenus des peluches sympathiques. Pourtant, leurs instincts pouvaient toujours se réveiller, n’est-ce pas?
Plusieurs autres Alphaego réussirent aussi leur seconde vie, se translatant qui dans la constellation du Cygne, qui sur une des planètes d’Aldebaran ou Arcturus ou mieux, jusque dans un des bras du Sagittaire.
Dans le Langevin, toutes les machines et les ordinateurs redevenaient fonctionnels. Le visage soucieux, Irina faisait le point.
- Donc, les cristaux de charpakium seront à 100% opérationnels dans une heure environ.
- C’est cela, capitaine, émit Schlffpt. Kinktankt vient de terminer. Maintenant, il vérifie la cristallisation.
- Mais le problème ne réside pas là. Compléta Antor.
- Exact, ajouta Lorenza. Nos réserves énergétiques…
- J’en suis terriblement consciente, soupira Irina. Quant à nos repères chronologiques, ils sont faussés.
- Ah oui, j’aimerais connaître la date, renchérit la doctoresse. Comment la savoir? Nos appels radio restent muets ainsi que nos signaux.
- Quant à notre balise lancée à vitesse distorsionnelle, fit Antor, elle n’a rien capté de remarquable, hormis le rayonnement fossile de l’Univers. Si, d’aventure, quelqu’un passe près d’elle, ce sera dans un siècle au moins.
- Ce système est désert, en effet, compléta Irina. Pourtant, nous devrions recevoir des signaux helladiens. A ma connaissance, les Helladoï étaient plus avancés que nous technologiquement.
- Espérer une réponse de leur part, je n’y crois pas, articula Lorenza. Nous ignorons l’amplitude du saut temporel effectué.
- Ne vous montrez pas si pessimiste, ma chère. Répliqua Maïakovska.
- Ce que je sais, moi, c’est que nos amis voyageaient dans les différents systèmes solaires, jusqu’à deux parsecs de leur planète natale, cinq mille ans avant d’établir un contact avec nous. Objecta Antor.
- Or, Aruspus se trouve bien au-delà de cette limite!
Uruhu, qui avait écouté cet échange sans prononcer un mot, recouvra soudain sa langue maternelle. Apeuré, bouleversé, ses mains tournoyant et se tordant, il s’écria :
« Bro’or abin’ak-kin! Niek’Tous! Niek’Tous! Muta Niek’Tous! »
Lorenza s’approcha de lui et lui ordonna sans succès.
- Uruhu, reprenez-vous! Passez au basic English! Que voyez-vous?
- Niek’Tous! Niek’Tous! Hurla le Néandertalien en renversant son siège.
Ses yeux hagards reflétaient son angoisse soudaine.

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Penkloss. Un caninoïde en train de monter la garde devant la porte des appartements de Saktar, s’inquiétait de voir que celui-ci allait être en retard au débriefing de la nuit. Après avoir tambouriné quelques secondes à la porte, il prit sur lui de pénétrer chez l’Hellados. Il découvrit alors le corps de Saktar, atrocement mutilé, reposant sur une peau de Gaar - sorte d’ours à dents de sabre au poil irisé natif de Penkloss - . Aussitôt, le garde alerta Maximien qui vint examiner de près le cadavre. L’enquête médico-légale conclut à l’assassinat par une arme guerrière classique. Les formes des multiples plaies dénonçaient sans nul doute l’utilisation d’un poignard Kahr, arme remarquable faisant habituellement partie de la panoplie des sicaires Haäns. Il s’agissait d’un poignard à la double lame dentelée dont les pointes se recourbaient. Il n’était possédé que par la haute caste guerrière après dix années d’un entraînement militaire intensif comprenant de multiples corps à corps avec toutes les espèces humanoïdes possibles mais également avec les dinosauroïdes et les autres races brutales et violentes. Saktar ne s’était pas défendu. A l’évidence, on avait affaire à un meurtre prémédité.
Pour corroborer cette hypothèse, on retrouva des traces d’un narcotique puissant dans le sang jaune de l’Hellados. Pourtant, après les conclusions de cette enquête minutieuse, Maximien préféra ignorer le principal suspect : le baron Haän Opalaanka. Ce dernier, redoutant la justice de l’humain, justice expéditive le plus souvent, préféra prendre les devants et s’enfuit.
Opalaanka rejoignit donc le système Haän. Dans un premier temps, il dut subir les geôles de Induk IX avant de retourner en grâce auprès de l’Empereur. Fort de ce ralliement, l’Empereur Induk, malgré son affaiblissement qu’il estimait provisoire à la suite des incessantes guerres civiles pour s’emparer du pouvoir - quinze empereurs, tous assassinés, dans le dernier demi-siècle - avait décidé de déclarer la guerre à la guilde pirate qui menaçait ses intérêts économiques déjà fort malmenés. Montant rapidement les barreaux de l’échelle des favoris, Opalaanka se retrouva bientôt Premier Amiral de la flotte spatiale. Naturellement, tous ces préparatifs militaires ne passèrent pas inaperçus.
Dans ce XXVIII e siècle légèrement dévié, l’amiral éléphantoïde Harduin de l’Alliance impériale des 1045 planètes, avait à son tour lancé un ordre de mobilisation générale. La Voie Lactée allait donc être ensanglantée par une guerre tripartite qui faisait le jeu des Asturkruks. Ainsi, Pamela avait commis une gaffe monumentale, même si pour l’instant, ses géniteurs semblaient tirer les marrons du feu. Effectivement, si, par la présence de Benjamin dans le monde antique de la Terre, l’humanité se montrerait une proie pacifique vite conquise en amont, en aval, ce ne serait pas le cas. A moyen terme, les Asturkruks devraient affronter une Alliance militarisée à l’excès avec comme conseiller stratégique Daniel Lin Wu lui-même! Devenu le bras droit d’Harduin, occupant le poste en second de la flotte, notre daryl androïde savait raisonner en seize dimensions, dépassant sur ce plan les Asturkruks.
Faisant fi des paradoxes, le vice-amiral Wu déclenchait les batailles bien avant que les calmars cybernétiques ne songeassent à la riposte. Seul le colonel Kraksis représentait une épine empoisonnée pour l’Alliance. Il s’avérait donc urgent pour les Asturkruks d’éliminer cette légère distorsion de la chrono ligne. De même, Maximien devait réintégrer son propre espace-temps. La guilde, dirigée par le Romain, alternant pillages et trafics d’armes, devenait une puissance commerciale galactique incontournable, y compris pour les Otnikaï. Jamais Maximien n’avait rêvé d’une telle destinée, rivalisant avec Jupiter lui-même!
Le deuxième ricochet de la maladresse de Winka faisait que Daniel était capable d’assumer les pouvoirs de l’Homunculus. Plus intelligent que Pamela, véritablement indestructible, personne, aucune entité ne pourrait en venir à bout.
Kraksis, tout à sa haine, avait torturé Sarton et le cube de Moëbius s’était rouvert, permettant la création de l’Homuncula. Les actions de Kraksis avaient engendré Pamela qui elle-même avait déclenché le paradoxe. Le serpent se mordait la queue.
Or, deux entités hostiles dans l’Univers, c’était une de trop! L’Archonte Keleur, étudiant les dégâts de l’affrontement des deux puissances, pouvait, s’il le voulait, ordonner au colonel Kraksis de faire marche arrière, d’annihiler la mission de la capture de Sarton, ce qui automatiquement entraînerait l’effacement de Pamela, mais aussi, par effet de fronde, rayerait des tablettes de l’Histoire tous ses actes, du moins au niveau d’une réalité partielle. Une remise en place d’un des temps antérieurs était parfaitement envisageable au sein d’un multivers élastique.
Le Langevin partirait tranquillement pour sa mission d’exploration de la galaxie M 33 et il n’y aurait jamais de Pamela Johnson accueillie à son bord. A sa place se présenterait un certain Tony Hillerman, historien et exo ethnologue afro-américain.
C’était oublier quatre minuscules grains de poussière dans une réalité tronquée :
- la mémoire à tiroirs de Daniel Lin Wu ;
- la résurrection opportune d’André Fermat, qui n’était pas celui auquel vous pouvez penser ;
- l’entropie Johann ou supposée telle, qui se délectait à assembler la mosaïque de tous ses possibles, afin de les détruire ensuite (l’échec de l’attentat de Kintu Guptao Yi Ka contre Otto Möll impliquait définitivement Van der Zelden dans cette intrigue) ;
- last but not least, le plus important la supra réalité complexe du pan multivers, de celui qui tirait les ficelles de tout cela et qui avait volontairement occulté sa conscience afin de se perfectionner!!!

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Depuis une douzaine de jours, les généraux romains recherchaient vainement le César. Dans la grotte prison, Elien sympathisait peu à peu avec son hôte forcé. Durant les longues veillées, Benjamin n’avait pas son pareil pour influencer insensiblement les pensées du chef bagaude. Il avait le don de la flagornerie, flattant autant qu’il pouvait l’ego du rebelle. Après le souper, le capitaine Sitruk, qui ne perdait jamais son objectif de vue, ne manquait pas de faire certaines réflexions qui atteignaient leur cible :
- Tu sais, Elien j’éprouve quelques scrupules.
- Pourquoi donc?
- Si mes troupes me retrouvent, ce n’est qu’une question de temps, ce sera le massacre pour les tiens. Or, comme elles sont menées par Gaius Marcus, mon légat, je ne donne pas cher de la peau de tes hommes! Imagine : la mise en croix, la tête à l’envers, mais auparavant la torture, avec la poix bouillie, brûlante, versée sur les membres, ou encore l’écartèlement jusqu’à distendre tous les tendons du corps, la décapitation à la hache, les emmurés vivants… Tu as le choix des supplices! Ah! Et pour les rares survivants obligés, - ne faut-il pas satisfaire une populace qui s’ennuie et qui a faim? - , un petit tour dans le circus Maximus où les lions pourront festoyer tout leur soûl durant des jours et des jours. Sort peu enviable, crois-moi! Dioclès, bien qu’il soit mon ami, bien que je l’apprécie, est un homme cruel qui n’oublie rien et ne pardonne rien. Il est le fruit de son époque. Moi seul puis lui suggérer la Clementia, une des quatre vertus du divin Auguste. Souviens-toi de Cinna ; médite mes propos.
- Je connais les Romains! Mais je ne suis pas une mauviette! Je veux vivre libre, mes hommes également! Comprends-tu cela?
- Certes! Certes… Tu as aussi une femme, des enfants, des compagnons que tu chéris…
- Toi qui parles tant, qui parles si bien, qui m’enrobe de farine, je te rappelle que c’est pour être un homme libre que je mène la guerre contre Rome. Tous, ici, nous sommes d’anciens esclaves qui avons réussi à rompre nos chaînes. A supposer que j’aie la vie sauve…
- Ah, sans doute! Mais pas seulement! Rome sait se montrer magnanime lorsqu’elle a reconnu la valeur des chefs qui se sont ralliés à elle. Alors, choisis, mais choisis vite! Rends-toi à moi, va à Dioclès. Nous t’en serons reconnaissants. Tu vivras riche et honoré, au grand jour, et tu ne croupiras point au fond d’un sombre cachot en attendant une mort indigne. L’acte de Caracalla fera de toi et des tiens des citoyens, pleinement, sans distinction. Je m’en porte garant. Apprécie la générosité de Rome. Dioclès te versera une pension royale. Tu connaîtras les délices de Capoue, et, qui sait, si tes enfants se montrent loyaux, ils parviendront aux plus hautes charges de la res publica. Je puis même te proposer l’adoption, puisque ici je n’ai aucune charge familiale.
- Maximien, tu me troubles.
- La carrière des honneurs s’ouvrira à tes compagnons. Tes fils seront sénateurs… Attention, je parle du sénat de Rome.
- Comment te croire? Tu me fais miroiter un avenir radieux!
- Eh! Tu as bien des devins et des augures? Consulte-les!
Pendant que Benjamin parlait, il pensait à une vitesse faramineuse. Intérieurement, son cœur se réjouissait.
« Ma présence ici implique que le temps a déjà dévié. Je sais pertinemment que les augures sont des charlatans, qu’on peut leur faire dire ce qu’on veut. Ah, si j’étais dans le temps réel, s’il me fallait croire ces inepties, les présages seraient mauvais et annonceraient la mort d’Elien au combat. Or, maintenant, les auspices vont se montrer favorables et annoncer une destinée mirifique au chef des Bagaudes. Je n’ai qu’à m’arranger pour que les signes divins aillent dans ce sens. Les mages n’ont pas à annoncer des catastrophes à Elien, sinon je ne donne pas cher de leur peau et de la mienne d’ailleurs! »
Durant ces réflexions, Elien, pressé de consulter les augures, avait tapé dans ses mains. Un serviteur était accouru presque aussitôt.
- Rufio, s’écria le Bagaude impatient, va me chercher les deux mages avec le brasero et l’oie rituelle.
Le jeune garçon s’empressa d’obéir tandis que Benjamin lançait sarcastique :
- Ne serait-ce pas plutôt un sanglier ou un cerf, qu’il faudrait sacrifier? Tu es bien plus romanisé que tu l’admets.
Pour toute réponse, Elien se contenta de hausser les épaules. Comme tous les Gaulois, il était superstitieux. Quelques minutes plus tard, deux mages suivis de tout le matériel nécessaire à leur office, commencèrent à s’affairer. De haute stature, leurs épaules étaient protégées soit par une peau de sanglier, soit par une peau de loup tandis que le plus âgé était coiffé de cornouillers de cerfs à l’image de Cernunos. L’un montrait un visage ascétique à la barbe rare, l’autre une figure taillée à la serpe. Le plus grand rappelait un vague souvenir à Benjamin.

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