jeudi 5 mai 2016

Un goût d'éternité : prologue général.



Un goût d’éternité

Roman de SF adapté en feuilleton en 9 parties



Par Christian et Jocelyne Jannone


Prologue


Dans la salle de conférence numéro 5, il régnait une véritable agitation. Tous les sièges autour des tables étaient occupés par une foule disparate, venue de tous les horizons. Pour faire cesser ce brouhaha, il fallait disposer d’un bel organe vocal ou d’une grande autorité naturelle.
C’était un peu comme un jour de rentrée.
Les hommes et les femmes s’étaient regroupés par affinité et papotaient, racontant les derniers potins, donnant des nouvelles de leurs familles.
En fait, tous attendaient le maître d’oeuvre, celui qui les avait réunis en ce matin afin de lancer le fameux projet attendu avec la plus grande impatience par tous les résidents de la cité.
Enfin, un homme âgé d’une quarantaine d’années mais faisant dix ans de moins, les cheveux auburn à la célèbre mèche rebelle, les yeux bleu gris, vêtu avec une certaine nonchalance, fit son entrée aux côtés de quelques célébrités. Celles-ci furent applaudies avec une spontanéité de bon aloi pour ce qui s’annonçait.
- Bonjour mesdames, mesdemoiselles et messieurs, commença le commandant Daniel Lin Wu, le Superviseur général de l’Agartha. Veuillez pardonner mon retard… mais il m’a fallu convaincre notre cher Erich de se joindre à cette petite cérémonie…
Des échos emplis d’approbation accueillirent Erich von Stroheim. Le comédien et réalisateur génial des Rapaces était connu pour sa propension à se laisser désirer. 
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L’Américain fit comme si de rien n’était et s’en vint s’asseoir auprès du Superviseur général. À leurs côtés, se tenaient déjà Robert Wise,
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 Jean-Pierre Decourt, Marcel Bluwall, Henri Verneuil, Claude Santelli, Stellio Lorenzi et Leonard Nimoy.
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Légèrement en retrait, on pouvait reconnaître les compositeurs et musiciens qui faisaient la gloire de l’Agartha, c’est-à-dire Leonard Bernstein, Bernard Hermann, Wolfgang Amadeus Mozart, qui pour une fois, arborait une tenue vestimentaire des plus sobres, Roland de Lassus, Nino Rota, Antonio Vivaldi, coiffé de son éternelle perruque si caractéristique, Gustav Mahler, Miklos Rozsa
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 et James Horner, nouveau venu dans la cité. À la gauche de Daniel Lin, on pouvait se douter du rôle tenu par les sieurs Spénéloss, Alexandre Dumas père, Alain Decaux, André Castelot et Léo Mallet. 
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- Bien. Je crois qu’il est temps de débuter la réunion, non ? Jeta le commandant Wu avec un sourire.
Aussitôt comme par magie, le silence s’établit dans la salle aux murs bleus et beige.
- Vous savez pourquoi vous êtes ici, n’est-ce pas ? Je pense que vous éprouvez tous le plus grand enthousiasme…
- Oui, évidemment, répondit Delphine Darmont qui s’était bombardée porte-parole de tous ses collègues professionnels ou pas. Mais… 
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- Mais ? Il y a donc un mais ? S’étonna Spénéloss. Pourquoi donc, madame ?
- Mademoiselle, s’il vous plaît, lieutenant, le reprit l’actrice en minaudant. Je suis venue tout d’abord mue par la curiosité. Ensuite, pour formuler quelques remarques quant à mon rôle dans ce feuilleton…
- Delphine, nous sommes entre amis, jeta Daniel Lin avec un sourire désarmant. Vous aviez donné tantôt votre accord, ce me semble.
- C’est tout à fait certain, monsieur Wu. Mais je pensais que…
- Le rôle qui vous est dévolu ne vous satisfait donc pas ?
- En fait, je ne le trouve pas assez étendu… je n’ai que peu de scènes et encore moins de dialogues…
- Justement. Vous serez créditée au générique en tant que guest star… en français, en tant qu’invitée…, sous l’appellation bien connue de « avec la participation exceptionnelle de… » … vous voyez bien.
- Mais je m’attendais à davantage.
- Oh ! Cessez-là, lança Birgit Langström avec son accent américain prononcé qu’elle n’adoucissait pas. Moi aussi, je n’ai qu’un rôle mineur dans cette immense production. Je m’en accommode fort bien.
- Certes, mais d’après ce que j’ai pu lire du scénario, vos scènes sont plus intéressantes que les miennes, objecta la Française. 
- Désirez-vous donc vous retirer ? Demanda perfidement Léo Mallet.
- Pas du tout. Il y a longtemps que je veux reprendre la scène, les tournages.
- Dans ce cas, ne nous faites pas perdre notre temps, répliqua l’écrivain sans aménité. La séance de lecture qui s’annonce promet d’être longue.
Ainsi mise en boîte, Delphine Darmont en prit son partie et, tenant ses feuilles de transplas dans ses mains, se mit à suivre la première lecture du feuilleton.
 Les minutes s’écoulèrent, studieuses, entrecoupées également de remarques professionnelles.
Au bout d’une heure environ, la star en devenir DS de B de B afficha sa mine des mauvais jours. Comme à l’école, elle leva une main pour prendre la parole. 
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- Puis-je m’exprimer en toute liberté ?
- Vous êtes ici pour cela, miss.
- Ne dites pas que vous aussi, vous êtes mécontente du rôle qui vous est dévolu, marmonna Marcel.
- Pas quant à sa longueur ni quant à sa durée…
- Tout de même, soupira le réalisateur.
- C’est donc vous, mister qui me dirigerez.
- Tout à fait…
- Je n’y vois rien à redire… toutefois, je n’apparais pas comme une personne sympathique dans cette partie…
- Bien entendu puisqu’il s’agit d’un rôle de composition, répondit Daniel Lin avec le plus grand sérieux.
- Je m’en accommoderai. Il y a un autre point qui me turlupine. D’après ce que je lis, je ne prends le personnage qu’en cours d’évolution, vers 1919... Or…
- Or, miss ?
- Je puis fort bien incarner cette Johanna avant ses vingt ans… dès ses douze ans…
- Pff ! Ricana Lise de Saint-Aubain. Elle ne craint pas le ridicule Deanna Shirley. 
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- Vous, mademoiselle l’enfant gâtée, taisez-vous ! L’apostropha DS de B de B. J’ai l’habitude de jouer les adolescentes. J’y réussis fort bien.
- Hum… pour sûr ! Soupira Benjamin qui se souvenait des avanies de la miss lors de la mission au Congo dans une Afrique devenue folle.
Une dispute s’amorçait qu’il fallait faire cesser immédiatement.
- Miss Deanna, expliqua Daniel Lin, je suis l’un des auteurs du scénario et, en accord avec mes confrères professionnels, nous avons décidé que vous endosseriez le rôle de Johanna van der Zelden alors qu’elle approcherait de ses vingt ans. Il faut rester crédible, que diable ! Lise fera une Johanna enfant avec juste ce qu’il faut pour que les spectateurs puissent légitimement non la prendre en haine mais avec la pitié nécessaire. De toute manière, il me semble que vous avez assez de scènes pour montrer toute l’étendue de votre talent.
- Ah ! La réplique « je reste seule avec ma mort » …
- Oui, c’est cela. Bien. D’autres objections ?
- Tant que je n’ai pas de scènes communes avec Daisy Belle… non… 
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- Aucun risque, souffla l’intéressée. Tu ne joues pas dans la même partie que moi. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai fini par donner mon accord.
- Tais-toi, perfide. Tu as hérité du rôle d’Elisabeth, cette Française au cœur d’artichaut qui s’éprend du premier pantalon venu !
- Il est tout à fait vrai que j’incarne une jeune femme des plus sympathiques sur qui s’abattent tous les malheurs ou presque…
- Elle se retrouve orpheline, enceinte, abandonnée par son amant qui est un coureur de première… de quoi faire pleurer dans les chaumières. Je sens que nombreuses seront les spectatrices qui vont sortir leurs mouchoirs. Ce n’est pas avec Elisabeth Granier que tu pourras concourir pour un prix d’interprétation, ma sœur ! Pour un prix d’élégance peut-être ? Mais j’en doute !
- Vous avez fini toutes les deux ? S’informa Daniel Lin.
- Oui, mais c’est elle qui a commencé, constata Daisy Belle.
- Sale menteuse !
- Mesdemoiselles, nous devons mener cette tâche à bien, vous en avez conscience.
- Exactement, renchérit Spénéloss. Le navire ne doit pas couler alors qu’il n’a pas encore quitté le port.
- Vous avez compris ? Dans ce cas, reprenons.
- Entendu, Superviseur, répliquèrent les deux comédiennes à l’unisson.
La lecture reprit sans autres remarques acides ou emplies d’acrimonie.
Le temps s’écoula et, au bout de deux heures, une pause fut la bienvenue.
Des rafraîchissements furent servis, thé, café, chocolat froid ou chaud, orangeade, citronnade, jus de fruit, eau plate ou gazeuse, le tout accompagné de biscuits, croissants, pains au chocolat, brioches ou encore galettes et pain azyme.
Lorsque la lecture du scénario retrouva ses droits, Scott qui avait hérité du principal rôle dit :
- J’ai un doute subitement. À propos du scénario… 
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- Allez-y. Formulez votre remarque, mon cher ami.
- Je trouve tout ceci fort long et fort alambiqué. Compliqué, quoi. Les spectateurs vont-ils pouvoir s’y retrouver avec tous ces rebondissements et ces personnages pléthoriques ? Surtout que certains arborent de fausses identités.
- Le scénario a été approuvé par ces messieurs. Il ne fait que refléter la complexité de la chronoligne 1720.
- Entendu, Superviseur. Nous allons donc tourner un feuilleton historique…
- Je ne dirais pas cela. Un feuilleton de SF où se mêle un soupçon de fantaisie…
- De philosophie aussi, non ?
- C’est vrai, Scott, mon ami. Je ne vous remercierai jamais assez d’avoir accepté d’endosser pareil rôle.
- Je ne pouvais laisser passer une telle occasion, Daniel Lin. Par certains côtés, il me rappelle celui de Sam Beckett… 
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- Sam Beckett était un homme plus altruiste que le personnage de Stephen Möll.
- Vous avez raison. Heureusement qu’il ne m’a pas été dévolu celui Michaël Xidrù.
- Vous avez raison, approuva Claude. Depuis que j’ai eu en mains les feuilles de mes répliques, je m’interroge encore sur lui. Est-il sympathique, menteur, roublard ou sincère ?
- Michaël est à la recherche de lui-même, de son identité réelle. Toute l’histoire repose sur une mise en abyme, la preuve ? La réplique qui revient comme un leitmotiv « miroir qui déforme, qui transforme, qui ment… » conclut le commandant Wu avec le plus franc sourire. Nous pouvons reprendre ?
- Oui, absolument, acquiesça Claude.
La longue tâche reprit, cette fois-ci dans la bonne humeur et dans la décontraction. Les réalisateurs avaient laissé tomber depuis un bon moment la veste et même Erich, si collet monté, avait détaché le nœud de sa cravate.
À la fin de la séance, tous s’étaient mis plus ou moins d’accord avec ce qui devait être réalisé et par qui. Comme de bien entendu, Erich von Stroheim avait hérité des années précédant la Grande Guerre, à charge pour lui de ne point trop en rajouter dans le grandiose et la démesure. Henri Verneuil était heureux de devoir s’occuper des années concernant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide. Robert Wise se voyait en train de réaliser une resucée de Star Trek, le film, mais il comprit bien vite que ce n’était pas tout à fait ce que l’on attendait de lui. Plutôt un remake de Planète interdite, quoique… Quant à Leonard Nimoy, il devait s’accommoder de la tâche de mettre en boite tout ce qui concernait les prémisses de la Troisième Guerre mondiale et ses confrères s’acquitter des parties historiques, Antiquité pour Stellio Lorenzi,
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 Moyen Âge pour Claude Santelli, Jean-Pierre Decourt pour le XVIIIe siècle. Quant à Marcel Bluwall, son travail était tout aussi délicat puisqu’il devait réaliser tout ce qui concernait la période cruciale 1920-1939.      

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