jeudi 13 décembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution française : chapitre 19 2e partie.




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Une poignée d’heures après avoir reçu la visite d’Albriss, le commandant Wu se joignit à l’équipe qui réparait le Vaillant. Il se sentait coupable des dégâts subis par le vaisseau. Il lui fallait prêter main forte aux ingénieurs malgré la lassitude qui continuait à l’accabler. Nullement rancunier, Craddock l’accueillit avec le sourire tout en lui tendant un kit d’outils.
- Ravi de voir que vous êtes de retour dans le monde des vivants mon gars, lança joyeusement le Cachalot de l’espace. Désormais, cornes brouilles, ça va rouler vite ici! Ce n’est pas que cette équipe soit nulle, loin s’en faut, mais brouillard et gomme à mâcher, il vaut mieux avoir affaire directement à Dieu qu’à ses saints!
- Merci pour cet enthousiasme et la confiance que vous me manifestez Symphorien, répliqua Daniel Lin un ton en-dessous. Désolé, vraiment, de vous donner autant de travail. Alors, qu’en est-il du GPS temporel?
- Mort ou à peu près, souffla Andrew Lane. Sir, je me demande encore vous avez réussi à localiser l’Agartha dans cette année 2152 située dans une piste temporelle loin de celle dont vous veniez? Effectuer un saut transtemporel dans de telles conditions révèle de l’exploit ou encore du miracle…
- Disons que je connais par cœur le chemin de la cité, fit le daryl gêné. Parlons plutôt des réparations. Nous avons besoin, je pense, de fabriquer du biogel multicouches capable de supporter les sauts multidimensionnels. Normalement, en modifiant cinq brins d’ADN  à des nénuphars de Sestriss 5, puis, ensuite en greffant les nouveaux plants obtenus à des bourgeons de pélims originaires de Naor, nous devrions nous en sortir à peu près correctement et être en mesure de fournir au vaisseau un GPS à toute épreuve.
- Puisque vous le dites, sir, répondit doucement Mina, inclinant légèrement la tête sur le côté, marquant ainsi sa vénération et son approbation.
Daniel Lin s’approcha des câbles contenant lesdits biogels. Ne craignant pas de se tacher, il y plongea les mains et en retira quelques gouttes nauséabondes d’une couleur assez moche, bleu pétrole tourné. Habituellement, le biogel arborait un beau vert d’eau.
- Les biogels avaient déjà surchauffé lors de la panne provoquée sciemment par Opaline, rappela avec ammeistre le commandant Wu. Mon atterrissage raté n’a fait qu’aggraver les choses.
Le daryl androïde n’acheva pas; Fermat venait d’entrer dans le hangar. Il paraissait assez nerveux ce qui était insolite chez lui. Ne jetant pas même un regard rapide sur les ingénieurs et techniciens présents, il marcha tout droit jusqu’à Daniel Lin et lui dit d’une voix étouffée où perçait un certain soulagement:
- Ah! Vous allez bien. Tant mieux. Je pensais que Sitruk…
André s’arrêta net saisissant qu’il n’était pas réapparu aux bonnes coordonnées temporelles. En fait, il avait un peu d’avance. Or, le commandant Wu avait entendu le nom prononcé par son mentor. Quelque peu étonna, il lui demanda:
- Le commandant Sitruk du Cornwallis? Que je sache, il n’est point parmi nous. Même si la cité s’est enrichie de la présence de l’ingénieur Lane, de celles du psychologue Manoël et de Mina, sans que je comprenne exactement pourquoi précisément ils sont venus ici et se sont mis immédiatement à mon service, Benjamin brille par son absence. Pardonnez-moi, André, mais vous semblez… déphasé…
- C’est justement le cas, jeta Fermat sèchement.
- Je vois. Un problème d’ajustement sans doute. Cependant, permettez-moi de vous remercier pour votre désamorçage de la bombe de l’éléphant de plâtre puisqu’il y a eu, à l’évidence, une modification, minime, de la chronoligne.
- Surgeon, laissons cela. Quelle heure est-il précisément? Je dois adapter mon horloge interne au continuum local.
- Euh… seize heures quarante-cinq, amiral, répondit Craddock.
- Hum… l’erreur est minime. Je suis pardonnable. Quinze minutes tout au plus dans l’écart… voilà, je viens d’effectuer le réglage.
- Expliquez-vous, André.
- Commandant, c’est inutile, non? Vous avez compris de quoi il retournait. Shangri-La va comporter très bientôt deux nouveaux résidents. Daniel Lin, vous attirez comme un aimant tous les talents, même les plus improbables, tous ceux qui, un jour, ont croisé votre chemin.
- Certes oui, mais… oh! Vous avez raison. Maintenant je capte clairement une pensée familière. Une présence amicale, chaleureuse, naïve, entièrement dépouillée de malice. Uruhu! J’ignorais qu’il me manquait autant. Le K’Tou s’approche de la cité. Ainsi, lui aussi a entendu l’appel… que je n’ai point lancé, je vous l’assure. Moi-même, ailleurs, je lui ai donné l’autorisation de quitter le Langevin. Je ne pouvais faire moins. Désormais, je me souviens de cela. Mais Uruhu est à la fois heureux et inquiet. Il est rassuré d’avoir réussi à me localiser. Il regrette également d’avoir accordé sa confiance à ce Sitruk si différent de celui qu’il connaît. Quant au Britannique, il est fou furieux. Ah! La situation envenime apparemment. Il me faut m’en mêler…
- Daniel Lin, je vous l’interdit! S’écria Gana-El prêt à stopper le jeune Ying Lung. Vous êtes à peine rétabli et…
- Uruhu ne doit pas, ne peut pas mourir stupidement ici! Fit Dan El sur un ton sans réplique. Mon esprit ne peut accepter cette monstruosité. Vous le savez comme Je le sais!
Subjugué par l’autorité de son fils, Gana-El recula.
Le jeune et impétueux Ying Lung gagna donc l’ascenseur et s’y engouffra. Il se retrouva vite au niveau zéro. La suite, vous la connaissez. André ne pouvait qu’accepter ce qui devait advenir. Alors, il prit les mesures adéquates pour minimiser les actions téméraires de son fils. Incidemment, il calma également les instincts meurtriers de Sitruk, le ramenant lentement à la raison. Il n’a pas besoin non plus d’une longue explication pour recevoir l’aide de Craddock, Tellier et Marteau-pilon sans omettre celle de Denis O’Rourke. Lui aussi savait se montrer fort persuasif.

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Une semaine après l’installation de Sitruk et Uruhu dans la cité, le commandant Wu eut une explication avec son géniteur. Gana-El ne se déroba pas à celle-ci.
Ravalant sa fierté, foulant aux pieds son orgueil démesuré, Daniel Lin parlait, parlait encore, demandant des explications, recevant les éclaircissements attendus, s’excusant de son insatiable curiosité.
- Ainsi donc, dans la Supra Réalité, celle qui embrasse tous les potentiels, dans chacune de leurs circonvolutions, vous m’avez toujours accompagné jusqu’à ce que je prenne enfin conscience de mon identité.
- Je dirais plutôt que vous repreniez conscience, mon fils.
- Oui, bien sûr. Quitte à vous retrouver matériellement mon géniteur… vous n’avez pas hésité à vous incarner en André Fermat, Tchang Wu, Ali Husseini, Sirius Lane et j’en passe.
- Il le fallait, Dan El.
- Mon véritable nom.
- Tout à fait.
- Moi un Dragon défiant la Totalité! Voulant lui prouver quoi au juste? Que j’étais plus capable qu’Elle de réussir, de ciseler la Création alors que je n’étais qu’un enfançon vagissant?
- L’idée d’amour que vous n’aviez pas encore expérimentée vous menait, vous aveuglait mon enfant. Vous avez outrepassé les ordres de l’Unicité. Franchissant le pas, vous avez mis tout le Réseau Mondes en émoi. Alors, l’inévitable s’est produit. La Création à venir a vacillé, oscillé entre le possible et le probable.
- Je vois… je me suis lancé dans une Expérience simulée d’une réalité époustouflante.
- Une sorte de pré reconstitution. Sans vous poser la question des conséquences. Vous fuyiez vos responsabilités. Enfant rebelle, brillant et fier, vous avez anticipé la création du Système Sol, puis modelé la Terre, encore et encore, éternel insatisfait. Une fois ensemencée, vous avez attendu les résultats.
- Je fus déçu par ce que je voyais… soupira le jeune Ying Lung.
- Comment pouvait-il en être autrement, Dan El? Vous n’aviez pas trois ans d’âge mental. Vous intervîntes une fois, cent fois, des milliers de fois. Vous multipliâtes les coups de balai. Tout comme les coups de pouce d’ailleurs. Vous ouvrîtes un boulevard à Homo Sapiens. Naturellement, vous fîtes jaillir un être à votre image, imbu de lui-même, persuadé de sa supériorité, brillant, certes, mais violent, capricieux, immature, cruel, gâtant tout ce qu’il accomplissait de grandiose, capable de s’autodétruire et son berceau avec lui.
- Oui, tout comme moi, à ma semblance… murmura Dan El humblement.
- Votre portrait moral tout craché. Génial et inconséquent. Vous comprenez que cette Expérience à échelle réduite devait être effacée. Le Temps allait naître. Le véritable Panmultivers avec.
- Or, il advint quelque chose d’imprévisible. Mon Expérience, si imparfaite fût-elle, permit de révéler la Faille.
- Plus précisément, de réveiller l’Inversé, mon fils. Acculée, l’Unicité n’eut pas d’autre choix que de chercher à vous sacrifier afin de satisfaire la faim du Ying Lung noir, et, à terme, de le résorber. 
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- Ah! Le Chœur Multiple me tendit un piège et moi, comme un benêt, je courus m’y précipiter.
- Ensuite, vous affrontâtes la colère de la Totalité. Expérimentateur, beaucoup de mes frères penchaient pour votre annihilation.
- Mais vous, vous plaidâtes ma cause. Longuement, sans vous décourager. Avec habileté, vous fîtes valoir que j’étais l’accomplissement du Tout, qu’il manquait quelque chose à l’Unicité, que c’était un sentiment appelé l’Amour. Après tout, ce que j’avais fait ne relevait que d’une erreur de jeunesse! Comprenant l’étendue de ma faute, je pouvais m’amender.
- Oui, c’est cela que je plaidais.
- Tout tremblant, écartelé, souffrant mille morts, je reçus la sentence. Moi seul aurait pour tâche, pour devoir d’affronter l’Inversé! Car moi seul pourrais en triompher.
- Vous acceptâtes pour vos petites vies Dan El. Telle était la douloureuse contrepartie. Cependant, il fallait vous améliorer encore, vous sculpter, vous ciseler, expurger ce qui avait permis l’Existence de l’Inversé.
- Mon père, je ne suis pas le seul fautif de cette éclosion!
- Non, mais vous en fûtes bien le catalyseur. Après votre consentement, une nouvelle Simulation commença.
- Le plus terrible m’attendait. Je fus mutilé, ma mémoire vidée. Puis je fus expulsé et me retrouvai tombant dans le Shéol, l’Enfer matériel. Mon essence fut projetée sur cette Terre si instable, si menteuse et si barbare. Handicapé, réduit à n’être qu’un Surhumain, envahi par la colère, la rage même, conduit par la haine, une haine inassouvie et inexplicable, je n’eus de cesse que de vouloir me venger de mes frères, du moins ceux que je prenais pour tels. Ne désirant que faire le mal, torturer, m’abreuver de sang, de douleur, je m’incarnais une première fois dans l’Avatar de Daniel Deng. Sybarite odieux, vil tyran, assassin manipulateur, menteur cruel, je me complus dans le meurtre, l’abjection et l’horreur. 
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- Pourtant, mon fils…
- Pourtant, au plus profond de ce que j’étais réellement, subsistait l’aspiration à la pureté. Ne devais-je pas me vaincre moi-même avant de vaincre l’Autre?
- Le faux temps passa. Plus tard, vous vîtes le jour sous l’identité de Daniel Lin Wu Grimaud. Cela sur près de deux mille chronolignes potentielles.
- Mon père, quel mal vous vous étiez donné pour que cela advint enfin!
- Certes. Mais alors, tout s’accéléra, Dan El.
- Je comprends. Ce fut moi-même que je combattis en tant que Daniel Deng. La Totalité ne manque pas d’humour…
- Un humour involontaire, mon enfant.
- Toutefois, cette épreuve était nécessaire, reprit le jeune Ying Lung après un temps de réflexion.
- Une répétition du duel futur…
- Lorsque je tentais de m’annihiler moi-même sous les traits du pseudo Zoël Amsq, saviez-vous, mon père, ce qui se passait vraiment au niveau de la Supra Réalité?
- Pas entièrement car, voyez-vous, il y avait bien trop longtemps que j’avais quitté le Réseau.
- Hum. Je vous crois. J’ai fusionné avec vous, je sais que vous dîtes la vérité. J’ai aussi parfaitement conscience du sacrifice auquel vous avez consenti en me suivant dans cet exil. Tout cela pour me permettre de me racheter une conduite.
- Mais surtout, de parvenir au But, mon fils.
- Je vous en suis reconnaissant, sincèrement. Je ne faillirai pas, je vous le promets. J’assume le devoir d’éradiquer la Lumière inversée. Je prends sur mes épaules la charge de l’incongrue création.
- Dan El, je devrais me montrer heureux, approuver votre résolution… cependant, en vous limitant à la Terre, à l’humanité, vous vous liez pour l’Eternité! Vous ne pourrez plus créer. Ainsi, vous vous privez d’autres expériences plus abouties, plus gratifiantes. Vous vous retrouvez prisonnier de ces animalcules imparfaits.
- Mon père, j’en ai une conscience aiguë. Ne les méprisez donc point autant. Ces humains, de l’Homo Habilis à l’Homo Spiritus, d’Adam à Michaël, en passant par le mythique Pi’Ou, Uruhu, Benjamin et tant d’autres tout aussi précieux et chers à mon cœur… je serai avec eux, je serai eux! Je vivrai tout ce qu’ils vivront. Ils apprendront, j’apprendrai. N’est-ce pas merveilleux? Ils expérimenteront, eh bien, j’expérimenterai également. Je progresserai avec eux, voilà tout, jusqu’à n’être plus qu’Amour, oui, entièrement, totalement! Je n’ai point honte de le reconnaître. L’idée d’amour fut ma faiblesse. Elle sera ma force, elle triomphera et s’imposera à tout le Chœur Multiple. Elle seule anéantira le Dragon Noir!
- Hum… vous en êtes convaincu, Dan El.
- Oui et vous aussi! Puisque vous m’avez accompagné, puisque vous me laissez la bride sur le cou, puisque l’Unicité a autorisé tout cela.
Daniel Lin se leva de son siège et avec hardiesse embrassa son père sur le front.
- Mon père, ce simple geste doit vous rendre heureux.
- Il me comble Surgeon, en effet. Bien plus qu’une fusion.
À son tour, André étreignit le commandant Wu. Or, ce dernier savait pertinemment que cette démonstration d’affection coûtait au vice amiral. Depuis son retour dans la cité, le plus âgé des Yings Lungs peinait à conserver sa matérialité de chair. L’unicité n’avait effectivement que partiellement cédé à sa prière d’un ultime avatar.

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Dans la caverne secrète, le duc de Chartres leva une main; il ne savait s’il devait autoriser ce duel ou s’y opposer. Après une rapide réflexion, il opta pour la première solution mais réclama ce qui était son droit et sa prérogative. 
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- Messieurs, c’est entendu. Cet affrontement aura lieu. Toutefois, vous cesserez au premier sang.
Alors, ne se le faisant pas répéter, les deux gentilshommes se mirent en garde après s’être salués selon les règles de l’escrime. Les premières passes et bottes furent rapides. Tout le monde faisait silence ce qui permettait d’entendre distinctement le cliquetis de l’acier contre l’acier.
Des deux escrimeurs, Beauharnais semblait le plus aguerri.
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 Il montrait plus de technique et plus de sang-froid que son adversaire. Cependant, le vicomte de Noailles avait pour lui la fougue, l’assurance et la morgue. 
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Mais le futur général ne reculait pas. Qui plus est, lentement mais sûrement, il marquait des points, obligeant son adversaire à parer les attaques et les assauts plus ou moins hétérodoxes. Dernièrement, Beauharnais avait pris quelques leçons chez un maître d’armes en vogue, un certain Gaston de la Renardière. L’homme, un géant aux cheveux blond roux, pouvait obliger ses meilleurs élèves à aller jusqu’au bout de leurs possibilités.
Bientôt, les deux bretteurs furent obligés d’élargir le cercle de leur affrontement. Un instant, Noailles regretta d’avoir déclenché ce duel. Les passes s’enchaînaient, les lames se liaient et se déliaient, les fers se croisaient tandis que le vicomte transpirait abondamment malgré la fraîcheur de la température. Seul son orgueil lui imposait de poursuivre. Il était évident que Beauharnais le ménageait.
Cela n’échappa pas non plus aux spectateurs et particulièrement à Galeazzo di Fabbrini. Le comte italien pensait.
- Ce Beauharnais a fait de grands progrès dans le noble art de l’escrime. Décidément, il faudra que moi aussi je fréquente davantage les salles d’armes et cultive l’amitié de maître de la Renardière. Cette esquisse de Porthos me plaît. Je pourrais l’appâter en lui présentant mes dernières inventions, lui faire une démonstration gratuite, pour le plaisir. Peut-être l’aurais-je comme allié.
Beauharnais estimait maintenant qu’il était temps d’en finir. Il se lassait d’amuser la galerie. Sans que le vicomte de Noailles comprît comment son adversaire s’y prit, la lame de ce dernier s’en vint directement le toucher sous la clavicule de l’épaule gauche et lui érafla les chairs. Aussitôt, la blanche chemise s’imprégna de sang tandis que le comte français rompait son combat.
- Monsieur, fit le futur général, Monseigneur a dit « au premier sang ». Cela vous satisfait-il? Quant à moi, je reste votre ami.
Légèrement pâle, le vicomte de Noailles lâcha son épée et prononça d’une voix claire les paroles de la réconciliation.
- Monsieur, je suis fier d’avoir été vaincu par votre lame. Mon amitié vous reste acquise.
Le duc de Chartres approuva vivement cette fin heureuse. Quant à Galeazzo, il ne put se retenir d’applaudir comme s’il se trouvait au théâtre.
- Je ne sais pas pourquoi mais ces deux-là me font penser à deux loups de haut lignage essayant de se prouver mutuellement leur supériorité. Et le vaincu, sous la lune, présente tout naturellement son ventre et sa gorge au vainqueur. Celui-ci, magnanime, l’épargne à la condition que, plus jamais, il ne le défiera. Des loups de haut lignage… me voilà bien généreux. Moi, je suis le loup blanc, aux cruels yeux gris jaune qui voit plus loin, ô combien, que l’orée de la forêt et que la steppe enneigée.
Cependant, le prince réclamait le silence. Les acclamations cessant, Philippe articula distinctement ce qui suit.
- Messieurs, êtes-vous d’accord pour entériner l’identité du véritable descendant de la seule lignée légitime des rois de France? Quant à vous, madame, votre avis est également requis.
- Oui-da, nous le sommes, s’écrièrent avec un bel ensemble tous les nobles.
Puis, tous remirent en place leurs masques d’oiseaux de proie.
Les vivats fusèrent. L’Ultramontain avait la joie au cœur. S’approchant du hibou grand-duc, il lui murmura à l’oreille fort discrètement: 
- Monseigneur, il y a peu de jours, je me suis rendu en Corse, à Ajaccio. Ensuite, j’ai regagné le continent pour rejoindre l’école de Brienne. J’ai ainsi pu sonder l’âme des hoirs de Charles Marie de Buonaparte. Je vous conseille de favoriser le second des fils, le puîné et non l’aîné. Il se nomme Napoleone. 
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- Oui, comte, je verrai.

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Été 2478, île d’Hokkaido, piste temporelle 1721 bis. 
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Le vieux philosophe et lettré Li Wu tentait une nouvelle expérience qui dépassait l’entendement de son petit-fils. Tchang quant à lui, avait renoncé à tempérer la curiosité du chef de famille.
Quittant les alentours de la vaste propriété, Li Wu s’était engagé jusqu’à une mare que peu de personnes fréquentaient. Il y avait de quoi car, le lieu, assez inhospitalier, était envahi par les moustiques. Parvenu devant la berge, le vieil homme se déshabilla méticuleusement et plia ses vêtements. Ensuite, il s’allongea sur la terre mouillée malgré le bourdonnement agaçant des milliers de diptères affamés.
Que cherchait donc à prouver le grand-père de Daniel Lin?
Selon les préceptes jaïnistes, toute forme de vie méritait le respect et ainsi la préservation, y compris celles qui portaient atteinte au confort humain. C’était pourquoi Li Wu reprenait cette expérience d’ascèse jaïn consistant à demeurer la proie consentante des moustiques une journée entière, sans tenter de tuer les agresseurs qui le piquaient dans tout le corps, jusqu’aux moindres replis les plus sensibles ou les plus chatouilleux.
En fait, Li Wu ne ressentait rien, aucune gêne. Il avait détaché son esprit de son enveloppe corporelle.
Enfin, lorsqu’il estima que l’expérience avait assez duré, le vieux sage rouvrit les yeux. Vingt-quatre heures s’étaient écoulées et le philosophe arborait désormais des boursouflures, des plaques rouges à profusion sur toute la peau.
Bien évidemment, repasser sa robe et ses chaussures lui coûta. Mais déterminé, Li Wu y parvint, repoussant dans le néant non seulement la douleur bien réelle mais également la fierté de ce succès sur lui-même.
Tandis que l’ancêtre se rapprochait de la villa, un enfant s’en vint à sa rencontre. Les yeux bleu gris du garçonnet brillaient d’excitation.
En voyant son grand-père ainsi défiguré et se déplaçant avec difficultés, Daniel Lin réprima un cri de stupeur où la compassion n’était pas absente.
- Grand-père, fit l’enfant, que t’est-il arrivé? Pourquoi t’es-tu ainsi offert à de vils insectes?
- Daniel Lin, tu as encore lu dans mon esprit alors que je ne t’avais pas autorisé à le faire. Sache qu’il ne s’agissait que de moustiques, mon garçon. Eux aussi jouent un rôle précieux dans l’équilibre de l’écosystème. Alors, respecte-les.
- Certes, grand-père, c’est entendu. Mais puis-je donner mon avis? Oui? Ah! Tu as peut-être détruit justement cet équilibre en les nourrissant, en les gavant comme tu l’as fait! Reconnais-le.
- Hum… veux-tu tenter toi aussi l’expérience? Tu devrais, cela dompterait ton énergie. Ainsi tu apprendrais à la fois la discipline et la nécessaire idée du sacrifice.
- Grand-père, je ne pense pas être déjà prêt. Je suis encore trop jeune. Cependant, je ne refuse pas ta proposition. Ce soir, je vais prier le Bouddha et, bientôt, sans doute, je t’imiterai. Je t’en fais le serment.

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