dimanche 13 septembre 2009

La gloire de Rama 2 : La valse à mille temps chapitre 14

Chapitre 14


Dans la ville de Lhassa, un soir comme tant d’autres, Li Wu jouait aux échecs avec son petit-fils. L’atmosphère paisible se prêtait à cette activité studieuse et ludique à la fois.
Le vieil homme initiait l’enfant au Xian Qi,
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lui apprenant toutes les subtilités qui lui échappaient encore car le jeune garçon, malgré ses prodigieuses capacités à calculer et à prévoir tous les coups logiques, n’était pas tout à fait apte à rivaliser avec les fulgurantes intuitions de son aïeul. Celui-ci pratiquait un jeu brillant, multipliant les risques et acculant son adversaire dans ses derniers retranchements.
Si Daniel était en train de perdre la partie, il avait cependant une excuse valable. Après tout, il n’était âgé que de six années standard!
- Mon enfant, disait Li Wu de sa faible voix chevrotante, il faut te mettre davantage dans la peau de ton adversaire. Non seulement il te faut prévoir les coups de celui qui te fait face, anticiper donc, mais également, penser comme lui! Tu ne dois surtout pas te laisser distraire par deux ou trois pièges que ton concurrent pourrait te tendre. Celui qui t’affronte peut te faire croire qu’il commet volontairement une erreur, t’offrir une ouverture qui s’avèrera n’être qu’une souricière dix ou douze coups plus tard. Tu n’auras plus alors comme unique solution que celle de sacrifier tes meilleures pièces.
- Je comprends tes propos, grand-père, mais si c’est la première fois que je joue avec mon adversaire?
- Dans ce cas, Daniel ne dévoile pas tes possibilités tout de suite. Montre-toi patient. Étudie les coups, la façon de jouer, de penser, d’être de celui qui te fait face. Observe le moindre battement de cils, écoute attentivement la respiration de ton adversaire. Bref, ne laisse rien échapper! Celui qui gagne la partie, c’est celui qui a su tout voir, tout comprendre, tout ressentir de l’autre.
- Et si j’usais de mes facultés télépathiques? Ce serait plus simple, non?
- Voyons Daniel, tu t’abaisserais à tricher?
- Grand-père, non pour lire dans les pensées intimes mais pour diminuer les capacités de réflexion de mon concurrent!
- Le résultat et la faute seraient les mêmes! Ah! Tu viens de tomber dans mon piège, mon enfant! Je prends ton mandarin, le dernier qui te restait. Tu vois, j’ai détourné ton attention, je t’ai fait parler et tu n’as plus été concentré sur le jeu! Retiens la leçon.
- Oui, grand-père, répondit l’élève docilement, quelque peu confus et humilié.

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Daniel Lin sortit de son rêve éveillé pour s’entendre dire:
- Désolé, cher ami. Mais je vous mets échec et mat. Visiblement, vous étiez distrait…
- Je le reconnais, Franz. Je me suis revu enfant en train de perdre une partie d’échecs chinois face à mon grand-père; parallèlement, je calculais aussi la position virtuelle du Langevin depuis mon départ. J’avoue mon inquiétude! Cette harmonique-ci est un peu trop éloignée pour que je puisse sans difficultés capter les messages mentaux d’Antor. Je n’ai plus reçu de nouvelles depuis tantôt dix jours. Je me demande si la mutation Alphaego a affecté d’autres membres de mon équipage. Je crains que mon vaisseau ne soit tombé entre les tentacules des Asturkruks.
- Je comprends. En quelques mots, vous regrettez de n’être pas resté à bord.
- C’est cela. J’ai l’impression d’avoir déserté. Certes, il m’est arrivé de déléguer mes fonctions à Irina en qui j’ai toute confiance, mais jamais dans une situation aussi délicate!
- Et l’ambassadeur?
- Je pense qu’il peut faire face à tout… ou presque. Je peux dire qu’il est un autre moi-même. Mais le doute me ronge malgré tout. Où sont-ils tous à cette heure? Dans quel état? Vivants, morts, prisonniers, assimilés?

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Vaisseau Langevin, quarantième jour depuis le départ précipité du commandant Wu. Comme le craignait le daryl androïde, l’épidémie avait encore progressé. George Wu avait été placé en isolement total. Le botaniste subissait de plein fouet une mutation accélérée. Désormais, il ressemblait à un gigantesque bébé de deux mois mais tout son corps se prolongeait par des appendices qui avaient poussé de manière anarchique. Il était nourri artificiellement, mais bientôt, cela ne suffirait plus à le maintenir en vie.
Son corps s’adaptait mal à la mutation. Par instant, il était secoué violemment par des spasmes incontrôlables sous l’effet d’une forte fièvre.
Le docteur di Fabbrini restait à son chevet, la mine sombre. Elle se demandait, à juste titre, combien de temps encore, elle réussirait à le maintenir en vie. Ses noires et funestes pensées furent interrompues par le professeur médusoïde qui l’appelait sur l’intercom.
- Docteur di Fabbrini, j’ai enfin de bonnes nouvelles! S’exclama la voix synthétique du xéno biologiste. Notre cygne Eloum est définitivement stabilisé au stade de l’archéoptéryx. L’expérience a réussi. Son organisme a parfaitement accepté l’ADN de synthèse imitant celui de notre pilote K’Tou.
- Une lueur d’espoir, professeur Schlffpt. Maintenant, ce qu’il nous faudrait, c’est le génome complet d’un Alphaego originel.
- L’ambassadeur Antor s’en occupe. Il est parti en chasse depuis ce matin. Il est parvenu à circonscrire l’endroit précis où se cache celui qu’il nomme l’Alphaego numéro 3. L’être s’est réfugié dans une simulation virtuelle informatique de l’IA endommagée.
- Sans doute les programmes d’entraînement extrême.
- Effectivement.
- Malgré tout, je ne suis pas rassurée à cent pour cent! Comment Antor va-t-il s’introduire dans cette autre réalité?
- Docteur, il ne s’agira pas d’une intrusion physique, mais psychique! Comme une sorte de court-circuit, de programme parallèle, un peu comme un virus. Disons, un programme reformaté.
- Il n’empêche! N’oubliez pas, professeur que l’ambassadeur peut être victime dans ce cas d’une attaque cérébrale! Il devra faire face à un tel flux de données!
- Oui, j’en ai conscience, un flux conséquent de données qui lui parviendra directement dans le cortex et ce, à la vitesse de la lumière!

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Antor venait de transférer ses pensées dans le programme d’entraînement d’escalade de la planète Alyscam. C’était le niveau 15 de la simulation. Cette planète était réputée pour ses très hautes cimes qui culminaient à plus de vingt-sept mille mètres d’altitude, dans une atmosphère composée de méthane, d’hydrogène sulfuré et d’hélium. L’oxygène n’était présent que sous forme de traces à peine perceptibles . A cette altitude, il régnait un froid mortel, même pour un être génétiquement modifié comme l’était le diplomate.
Antor avait cependant pris ses précautions. Il avait revêtu une combinaison thermique dont le tissu, issu de la nanotechnologie, avait à peine l’épaisseur d’un micron. Ce tissu peau extensible avait la particularité de générer sa propre thermorégulation et sa propre oxygénation.
Tandis qu’Antor s’agrippait psychiquement à une anfractuosité bien opportune, il réfléchissait à toute vitesse.
« Comment un Alphaego peut-il survivre dans des conditions aussi extrêmes, où seul, théoriquement Daniel Wu s’en sort? ».
Un vent à la violence inouïe, soufflant à près de trois cents kilomètres à l’heure, rugissait aux oreilles sensibles du vampire. Malgré sa combinaison, Antor ressentait ce froid mordant qui agressait et mettait à mal sa seconde peau.
Cependant, une ombre indistincte se profilait à quatre cents mètres sur la droite du refuge de l’ambassadeur. Elle ne pouvait appartenir qu’à l’intrus!
« Qu’est-ce que je fais? Se demanda alors le diplomate. Je me projette directement vers l’Alphaego ou je grimpe virtuellement? ».
Antor choisit la première solution, avec tort, raison? En un millième de seconde, le mutant se retrouva à portée de l’Alphaego et, allongeant un de ses membres démesurés, tenta de se saisir du monstre. La riposte vint. Deux tentacules tournoyèrent alors, menaçants, au-dessus de la tête du téméraire!
Cependant, les deux êtres étaient à peine gênés par la paroi abrupte. Le vampire évita de justesse les boyaux collants écoeurants, puis, nullement démonté par l’attaque, parvint à resserrer sa prise sur la créature affamée.
Un combat dantesque commença entre deux monstres dotés tous deux d’une force et de capacités surhumaines équivalentes. Après de longues secondes, l’Alphaego se rendit compte qu’il ne pourrait pas se débarrasser de son adversaire de la manière qui lui était habituelle.
Il changea soudainement de stratégie et se précipita dans l’abîme impressionnant donnant sur une vallée située à plus de vingt mille mètres plus bas. Cette gorge était à l’heure présente dissimulée par d’épaisses couches nuageuses.
Aussitôt, Antor plongea derrière l’être multidimensionnel. Le vampire avait saisi la tactique de son adversaire. Il lui fallait reprendre l’initiative. Mais ce fut l’Alphaego, plus rapide, qui décida du lieu d’atterrissage. Lui avait plus l’habitude de se mouvoir d’une virtualité à l’autre. Cela ne lui coûtait aucun effort d’adaptation.
Ainsi les deux êtres hors nature amérirent au fin fond d’une fosse abyssale profonde de onze mille mètres. Le changement de pression fut tel que, malgré sa combinaison protectrice, Antor fut sonné durement pendant quelques secondes. Ses oreilles se mirent à saigner et imbibèrent de sang sa seconde peau.
L’Alphaego profita de ce laps de temps et commença à coller ses effroyables tentacules à même la chair de sa future victime!
Instinctivement, Antor réagit. L’océan abyssal devint instantanément un étang d’acide charriant des basaltes qui, peu à peu, devenaient de la lave en fusion. A l’abri grâce à sa combinaison peau, le diplomate supporta ce changement dont il était l’auteur. Mais ce ne fut pas le cas de l’Alphaego qui, sous la douleur, hurla tout en relâchant sa proie.
Reprenant l’avantage, l’ambassadeur enfonça sauvagement la tête difforme du nourrisson gigantesque dans le liquide visqueux à 1200 degrés Celsius, avec l’intention visible d’en finir. Lorenza n’avait pas spécifié que l’Alphaego devait être capturé vivant!
Se sentant perdu, l’être transdimensionnel effectua un autre saut virtuel. Immédiatement, le paysage de désolation se modifia une fois encore. Les deux antagonistes se retrouvèrent enfermés au cœur même d’un noyau magmatique ferreux. Mêlés à cette matière visqueuse, ultra chaude, les adversaires couraient le risque de périr brûlés et étouffés à la fois.
Dans la salle de commandement de l’IA, à l’extérieur donc de la simulation, Antor avait branché directement son cerveau à l’ordinateur central du vaisseau. Ce qui avait tué Nadine Lancet ne lui causait, apparemment, qu’un léger malaise, une migraine à peine perceptible. Mais Lorenza aurait remarqué que son ami avait les traits crispés sous l’effort mental.
Tout entier plongé dans cette simulation, l’ambassadeur était insensible à tout parasitage provenant du monde extérieur. Psychiquement, le combat se poursuivait.
Maintenant, le noyau ferreux était devenu une gangue isolat qui remontait les différentes couches de la lithosphère à cinq mille kilomètres à l’heure; l’Alphaego et le diplomate subissaient des accélérations telles que leurs poumons cherchaient désespérément un air pourtant absent! La combinaison peau d’Antor suffisait tout juste à le maintenir en vie.
Or, un autre danger se profilait. Le vampire, en tant qu’acteur involontaire de cette éruption volcanique simulée, pouvait se retrouver amalgamé à une gangue de lave qui se refroidissait tout en se solidifiant.
Jouant son va-tout, Antor n’eut pas d’autre choix que de sauter dans une autre réalité virtuelle, se transférant lui-même ainsi que son adversaire au milieu du vide absolu! Dans ce non lieu, aucune présence de particule ou d’antiparticule, aucun rayonnement, aucune force. Rien! Le néant, total, effrayant. Même pas un pré monde!
Ici, bien entendu, les lois de la physique quantique ne s’appliquaient plus, ou du moins pas encore. La Vie, la création de la matière, de l’énergie et du temps y apparaissaient impossibles!
Logiquement, les deux intrus auraient dû se désintégrer instantanément dans cet anti-univers. Leur disparition aurait généré les particules absentes engendrant alors un proto univers où le temps serait apparu lui aussi.
Mais ce scénario ne fut pas car l’Alphaego commença par s’étirer, s’étirer encore, presque jusqu’à l’infini. De son côté, croyant avoir échoué, Antor voulut rejoindre la réalité. Il savait que son ennemi, pour échapper à cette fin interminable, allait tenter de modifier ce néant environnemental. Il devait sortir de cette non création, de cette folie qui terrifiait tant le vampire!
L’ambassadeur, haletant, au bord de l’effondrement, émergea dans le vrai monde. Aussitôt, dans la salle des ordinateurs du Langevin, un autre Alphaego l’attaqua!

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20 novembre 284.
L’armée de Dioclès venait d’entrer à Nicomédie.
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Le général empereur avait ordonné l’arrestation d’Aper ; elle avait été effectuée par ses propres prétoriens, et sa comparution immédiate en justice devant le conseil extraordinaire avait suivi tout naturellement. Ce conseil se composait de Dioclès, bien évidemment, du gouverneur de Bithynie, de son ami et comes Maximianus, de généraux, proconsuls, légats propréteurs et procurateurs.
La basilique où le procès se déroulait retentissait de clameurs, de cris et de huées tous dirigés contre Aper. Les sénateurs, les décurions de la curie de Nicomédie siégeaient sur des bancs à part, à l’écart de la plèbe.
Aper, digne et impassible, se tenait debout devant le prétoire, drapé dans sa toge angusticlave. Il savait la partie perdue mais il se défendait pied à pied. S’il évitait de croiser le regard de Dioclès, il dévisageait Maximianus, montrant sur sa figure tout le venin qu’il aurait voulu cracher sur ce personnage qu’il n’estimait pas. Il se doutait du rôle plus qu’équivoque joué par ce dernier.
Néanmoins, Aper plaidait dans un latin châtié qui sonnait quelque peu archaïque aux oreilles de Dioclès.
- Citoyen général, s’il y a eu complot, cela ne venait pas de moi mais de tes commensaux et clients ! Jeta l’accusé avec aplomb. J’ai toujours été fidèle à l’Empire, mes actions le prouvent. J’ai servi loyalement l’empereur Carus César Auguste et ses fils. Si seulement la foudre ne l’avait occis sur le chemin du retour de sa victorieuse expédition contre les Perses, ce ne serait pas moi qui me trouverais ici, en accusé, mais toi Dioclès qui fais fi du serment juré!
Romains et sénateurs, qu’avez-vous donc fait de l’âge d’or des divins Antonins où la légitimité impériale reposait sur l’investiture sénatoriale et non sur l’acclamation des légions achetées à prix d’or? Dioclès, que va-t-il advenir de l’Empire, sous ton règne et principat? Dans quelle ornière le conduiras-tu?
- Tu as toi-même, Aper, servi un usurpateur. Sur quoi reposait le pouvoir de Carus?
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Sur l’assassinat de son prédécesseur! Je veux en finir pour toujours avec cette absence de loi successorale claire!
- Ta parole n’est que fiel et mensonges, répliqua Aper avec hargne. Dioclès, seule l’ambition te guide. Probus tomba victime de la colère de ses propres soldats!
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- Cesse de tromper la foule! Avec moi, c’en est fini de l’instabilité à la tête de l’État! Au principat se substituera le dominat! Consenti librement. Seuls l’équilibre des forces, la fusion des ordres et des carrières, la réorganisation administrative de l’Empire permettront à l’Imperium de perdurer face aux Barbares postés à nos frontières. La grandeur de Rome l’exige! La Pax Romana le veut! Que le génie du divin César Auguste m’assiste! A partir de ce jour, je me considère comme l’héritier de Claude le Gothique, le vainqueur des Barbares!
A ces mots, la salle se leva tout entière et fit une ovation au nouvel empereur autoproclamé.
- Dioclès Imperator! Dioclès Auguste! Justicia! Dioclès Pater Patriae!
- Écoute, Aper! Le peuple romain le demande: justice doit être rendue!
Se levant alors, Dioclès enfonça son glaive dans le corps du préfet du prétoire déchu, sans faillir, sous les acclamations redoublées de l’assistance. Sur son banc, Benjamin Maximianus dissimula une grimace de dégoût.

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Décembre 1940, Hollywood.
Franz Von Hauerstadt et Daniel Wu, accompagnés des enfants, sortaient du bureau d’Adolph Zuckor, arborant un air d’intense satisfaction. Le patron de la Paramount les suivait, un fume-cigarette en ivoire aux lèvres. Tout joyeux, il se frottait les mains, voyant déjà teinter les dollars d’argent dans sa caisse enregistreuse!
- Votre scénario surprenant me garantit le succès! Enfin du neuf! Du comique non-sense plus fort que les Marx Brothers! Mais il y a un tout petit problème: vous tenez absolument à George Sanders? Il n’appartient pas à ma compagnie.
- Oui, il nous le faut. Répliqua Franz d’un ton péremptoire. Le rôle de John Steed est écrit pour lui explicitement!
- Tant pis! Je le débaucherai donc en y mettant le prix! Vous me promettez que l’automate qui doit apparaître au milieu du film sera prêt à la date du tournage?
- Je n’ai qu’une parole et j’ai signé, fit Daniel avec assurance.
- Oh! A propos, monsieur Von Hauerstadt… je viens d’engager un de vos compatriotes qui a comme vous fui le nazisme.
- Un comédien? Paul Henreidt?
- Non, un scénariste. Billy Wilder.
- Ah! Mais il est autrichien. Il me semble bien l’avoir rencontré en 38, à Vienne, lors de ma triste aventure avec Anna Von Wissburg.
- Et votre petit prodige, là, votre nièce?
- Prodige! Dit Daniel en levant un sourcil. Attention! Violetta a de grandes oreilles qui vont lui siffler!
- Actuellement, Billy travaille sur un scénario très intéressant, plein de sous-entendus, celui d’Uniformes et jupons courts.
- Oh! S’exclama le commandant Wu se retenant de rire. Le rôle doit revenir à Ginger Rogers, n’est-ce pas? A moins que vous n’envisagiez Violetta? Oui? Oh lala!
- Pourquoi cette réaction? Votre nièce n’a-t-elle pas vingt-et-un ans? N’est-elle pas majeure?
- En convertissant largement… Oui, de justesse.
- Très bien. Nous verrons donc après « The Avengers ». Mais voici une de mes valeurs sûres, Bing Crosby qui s’avance vers nous. J’avais oublié que je lui avais donné rendez-vous.
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Effectivement, le crooner comédien s’amenait à grands pas, vêtu avec élégance d’un costume clair, un peu léger pour la saison, et d’un large chapeau. Le reconnaissant, Violetta, Mathieu et Marie se précipitèrent vers la vedette, lui réclamant à grands cris un autographe.
Souriant, Bing s’exécuta avec grâce tandis que Zuckor l’interpellait.
- Cher ami, il m’est venu une nouvelle idée. Après le tournage du film « En route pour Cuba », que dirais-tu d’enchaîner une comédie sentimentale avec cette jeune demoiselle?
- Encore une découverte! Fit le chanteur avec une ironie certaine. Adolph, tu exagères, ne crois-tu pas? Le public va s’imaginer que je cours après les minettes! Pas plus tard que la semaine dernière, tu m’as présenté une starlette maigre aux cheveux d’un blond terne, en me spécifiant qu’elle n’était pas très douée pour la comédie. Décidément, sa coiffure ne lui sied pas. Elle n’est pas mise en valeur. Elle faudra qu’elle en change!
- Pardon, monsieur Crosby, se permit Violetta, ne s’agirait-il pas de l’incomparable Veronica Lake? Elle sera sublime dans « La clé de verre ».
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- « La clé de verre »? J’ai bien un contrat avec Dashiel Hammett, mais pour l’instant, je n’envisage pas d’adapter ce roman!
- Ah bon? Vous avez tort! Ce sera un film marquant qui traversera les siècles et les modes! J’ai un peu d’avance, j’en suis parfaitement consciente, mon oncle, poursuivit Violetta à l’égard de Daniel qui lui jetait des regards courroucés et ne savait que faire pour faire taire cette terrible et incorrigible adolescente.
De son côté, Bing se taisait, observant la jeune fille, ne perdant aucun mot de l’échange entre elle et l’individu châtain roux à la mèche rebelle. Il sentait que quelque chose clochait et pensait, à juste titre, que la jolie inconnue semblait déplacée, anachronique, en ce lieu. Il trouvait que Violetta faisait preuve à la fois de candeur naïve et de culot. Et puis, il ne faut pas avoir honte de l’écrire, le chanteur n’était pas de bois!
Pour sa défense, il avait en face de lui une jeune fille au look ravageur. Les cheveux auburn de la métamorphe retombaient librement en cascades sur ses épaules dénudées au galbe parfait. Ses magnifiques yeux verts jetaient des éclairs magnétiques et ses lèvres carminées laissaient entrevoir une dentition d’un blanc éclatant. Quant à son corps de sirène, doté d’une poitrine agréable à la vue, il était innocemment moulé dans un fourreau lamé or! A onze heures du matin, il fallait oser porter une semblable tenue!
Quelques remarques bien senties et des recommandations de plus en plus vives n’avaient nullement dissuadé l’adolescente d’arborer une telle toilette. Daniel et Franz avaient renoncé, après une vive altercation, à faire céder la capricieuse adolescente. A la décharge de cette dernière, il faut avouer qu’elle ne s’y connaissait pas aussi bien qu’elle le proclamait en mode des années 40!
Ainsi, pour Violetta, un maillot de bain nageur faisait parfaitement l’affaire à 15 heures dans un salon de thé! Très jeune encore, totalement inconsciente de sa beauté, des hormones qu’elle dégageait, elle ignorait superbement la gent masculine qui la détaillait de A jusqu’à Z. A bord du Langevin, ses programmes holographiques préférés se rattachaient aux films noirs de cette époque. Nous pourrions citer « Le Faucon maltais », « Le Dahlia bleu », « La Dame du lac », et l’incontournable et sublime « Assurance sur la mort ». A force de reconstituer ce policier, notre métamorphe en était venue à imiter à la perfection Barbara Stanwyck! Pour Violetta, toutes les femmes américaines de ce temps présentaient cette allure de femme fatale. Dans sa naïveté, elle en rajoutait. En fait, un seul homme comptait à ses yeux: Antor!

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Quatre jours, très chargés, s’étaient écoulés dans cette année 1940 créée de toutes pièces par l’agent terminal. Nos personnages devaient se rendre, pas franchement en simples curieux, sur le plateau 17 du tournage du film « En route pour Cuba », dans les studios de la Paramount.
Il était 15h30.
Dans sa loge caravane, Bob Hope se détendait en fumant un énorme cigare tandis que le jeune premier répétait une scène romantique avec sa partenaire Dorothy Lamour.
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Un obscur tâcheron s’époumonait dans un porte-voix.
- L’éclairage, bon sang! Faites attention à l’éclairage! Jamais le spectateur ne croira que nos comédiens se trouvent sur une plage au clair de lune! Le fond sonore non plus ne va pas. Les vagues, le ressac! Je n’ai pas demandé une tempête, que diable! Quant à toi, Dorothy, ma chérie, un peu plus de naturel, ok?
- Ah non! Cela suffit! Je suis épuisée à force de recommencer! Mon rouge bave! Il faut, à tout prix, que j’aille faire un raccord de maquillage.
- D’accord. Dieu de Dieu, jamais ce film sera en boîte à temps! Rugit le réalisateur qui n’en pouvait mais. Tant pis, enchaînons. Séquence 72.
- Euh… Fit la scripte, le chien…
- Ah! Où est cet animal? J’avais dit qu’il ne devait pas quitter le plateau! Il est prêt? Oui? Quel affreux roquet! Pourquoi aboie-t-il? Et son dresseur? Ah! Vous connaissez la scène et savez ce que j’attends de votre bête. Ok?
- Oui, mais…
- Dans ce cas, silence! On tourne!
- Scène 72, une! Cria le clapman.
La séquence 72 consistait en un duo comique entre Bing Crosby et un fox terrier qui avait la répartie acide avec des phrases de ce type: « Cette sottise va encore durer longtemps? ». « Jeune premier? Mon œil! On voit ses rides! ». « Les scènes d’amour guimauve sous un clair de lune romantique, j’en ai ma claque… ».
Bing Crosby portait, avec son élégance habituelle, un smoking blanc immaculé et n’hésitait pas à pousser la romance sous un ciel étoilé de carton pâte. Dissimulé derrière un faux rocher, le fox terrier lui répondait en une série de jappements mixés. Au fond du décor, sous les palmiers dont les branches s’agitaient mollement sous la brise, une douzaine de jeunes filles tournoyaient en mesure, menées par Lilian Johnson!
Puis, le coryphée s’avançait en se balançant vers le crooner et le couronnait de fleurs de magnolias. Ensuite, le chien était censé voler la parure fleurie. Mais, visiblement, le canidé capricieux refusait d’obéir. En fait, le fox terrier venait de humer l’air environnant. Ainsi, il avait remarqué que plus loin, en dehors du plateau et en retrait, une jeune femme à la peau sombre évitait soigneusement les sunlights. De plus en plus agressif, l’animal échappa soudain au contrôle de son dresseur et se précipita, babines retroussées, vers Pamela Johnson. Le chien avait parfaitement senti qu’elle n’était pas humaine! Dans le porte-voix, le réalisateur hurla:
- Stoppez! Coupez la caméra! Décidément, cette journée est maudite!
Le fox terrier parvint à seulement vingt centimètres de sa victime.
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Il s’immobilisa puis émit d’étranges jappements, comme s’il était soumis à une peur intense ou encore comme s’il souffrait. La queue entre les pattes, il s’assit et haleta. Baissant les yeux, il gémit de plus belle.
- Bon sang! Que se passe-t-il encore? S’exclama le réalisateur.
Alors, une voix jeune, enjouée, masculine, lui fit écho, s’exprimant dans un anglais châtié
- Miss Johnson, vous en êtes donc là? Faire souffrir un animal innocent? Vous me décevez.
Pamela hésita à répondre non pas verbalement mais en action. Elle craignait de dévoiler tous ses talents, se demandant s’il ne valait pas mieux disparaître dans un autre univers alternatif, sans coup férir. Mais voilà, elle ne connaissait pas précisément les coordonnées de ce monde-ci et ouvrir une brèche dans les harmoniques divergentes alors qu’elle n’avait pas anticipé le coup, sous les yeux de son ex-commandant qui sans doute possédait les mêmes facultés qu’elle, cela lui paraissait extrêmement risqué. Elle songeait, non sans raison, qu’avec toutes les manipulations temporelles que le Multivers avait subies, Daniel Wu n’aurait dû subsister qu’à l’état de vagues traces et non l’apostropher avec cette ironie humiliante!
- Sous-lieutenant Johnson, entendit ensuite Pamela dans sa tête, ou plutôt capitaine Asturkruk Winka, - hé oui, je sais votre véritable identité!-, vous n’appartenez ni à cet univers, ni à mon époque! Vous êtes manifestement la créature et le bras droit du sinistre colonel Kraksis que j’ai déjà affronté à quatre reprises. La dernière fois, c’était dans un temps manipulé par Penta . Il vous a sans doute informé qu’une bio armure, dans mon cas, s’avérait inutile!
- A moi aussi, une pareille protection est superflue! Commandant Wu, je ne suis qu’en partie Asturkruk, comme vous n’êtes qu’à demi humain! Ainsi, vous avez réussi à récupérer votre fils. Bravo! Mais moi, j’ai Liliane! Désormais, entre nous deux, c’est une partie d’échecs où le vainqueur anéantira non seulement son adversaire mais également son monde!
- Holà, chère ennemie! Je compte bien être ce vainqueur! Mais je ne souhaite nullement vous détruire vous et les vôtres. Ce qui désignera le gagnant, ce sera la rapidité de réaction et l’initiative la plus judicieuse!
- Sans doute. Or, aux échecs, vous n’êtes pas infaillible! Un humain tout à fait ordinaire peut vous battre! Nous discutons, devisons tranquillement, en créatures civilisées, ici, en ce lieu, mais ailleurs, votre vaisseau intergalactique, le Langevin, part à la dérive, contrôlé par mes alliés, les Alphaego! 90% de votre équipage est contaminé! Votre frère George n’en a plus, au mieux, que pour quelques heures… Quant à votre femme, Irina… Je préfère ne pas achever et savourer votre désarroi.
- Vous avez été à bonne école avec le colonel Kraksis Je ne peux le nier! Cependant, je ne suis pas abattu, chère Winka! La preuve? Maintenant, Liliane échappe à votre influence hypnotique! Voyez: toute troublée, elle se demande ce qu’elle fait sur ce plateau. Elle ne reconnaît pas les lieux. Mais voilà qu’elle s’avise de la présence de son père. Elle court se jeter dans ses bras, riant et pleurant de bonheur à la fois.
- Piètre victoire, Daniel Wu! Toutefois, ayant en ma possession le génome de vos ancêtres maternels, je puis manipuler votre lignée…
- Oh! J’en ai conscience! Mais il vous faudrait d’abord effacer cet univers aberrant créé par l’Homo Spiritus terminal!
- Hé bien, soit! Je commence!
- Winka, présomptueuse adversaire! Tous vos efforts ne serviront qu’à vous épuiser, à vous vider de votre énergie! Regardez ce que je porte! Constatez que j’ai songé à tout!
Sous sa chemise, Daniel dévoila une ceinture de maintenance biologique.
- Apprenez qu’également Franz Von Hauerstadt, Liliane, mes enfants ainsi que Violetta en ont une semblable. Le duc a pensé à me les apporter. Tout ce que vous tenterez ici, dans ce 1940, échouera!
- Commandant Wu! Vous m’avez mis en échec, mais c’est momentané! La partie n’est qu’entamée! Nous nous affronterons encore!
- Je relève le défi, muchacha . En attendant, vaya con Dios!
Daniel n’eut pas le temps d’en dire plus. Pamela Johnson venait de s’évaporer pour sauter dans une autre réalité malgré les risques.

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Le lendemain de ce jour mémorable à plus d’un titre, le producteur Adolph Zukor
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dut se rendre à l’évidence. « En route pour Cuba » devait être annulé. Mais le système du studio était tel que son directeur n’avait aucun problème pour mettre en chantier un film de remplacement. Alors, « En route pour Cuba » laissa la place à « En route pour Zanzibar », avec, bien évidemment, le même trio de vedettes. Mais cette fois-ci, nul chien parlant dans le scénario.
Le dresseur du fox terrier, qui avait vu son contrat rompu avec la Paramount, s’était débarrassé de son animal qu’il avait soudainement pris en aversion et l’avait donné à Bing Crosby! Le comédien chanteur, qui avait d’autres obligations, cherchait, à son tour, à se décharger du canidé. Rencontrant Violetta dans l’antichambre d’Adolph Zukor, il s’empressa de lui faire don de la grincheuse bête.
- Oh! Quelle créature adorable! Fit Violetta ravie du cadeau. Et quelle délicate attention!Vraiment, c’est absolument chou de votre part! Depuis le temps que je désirais un chien!
- Vous m’en voyez soulagé! A propos, êtes-vous occupé en ce moment? Nous pourrions prendre un drink au bar du studio. Le martini y est divin.
- De l’alcool? Pouah! De plus, mon père et mon oncle ne seraient pas d’accord!
- Votre père? Votre oncle? Mademoiselle Violetta, vous êtes majeure!
- Euh… Oui, sans doute. Mais là n’est pas le problème! Je suis habituée à une hygiène de vie saine! Je veux vivre jusqu’à trois cents ans, moi! Pour cela, je pratique la gymnastique, la danse moderne. Je fais également du théâtre hellados et je joue de la harpe métamorphe! Pour garder la forme et la ligne, je suis végétarienne, du moins, la plupart du temps, lorsque je ne m’invite pas à dîner chez Daniel! Et il me faut les huit heures de sommeil par nuit afin que mon cerveau puisse apprendre quatre langues étrangères alien par an!
- Quatre langues! Chère Violetta, vous me faites marcher!
- Non, c’est l’entière vérité! Répliqua avec innocence l’adolescente. L’anglais que nous parlons en cet instant, justement, c’est une langue étrangère! Mais je me débrouille.
- En effet, je n’entends aucune inflexion française ou autre dans votre bouche. Vous n’êtes donc pas native du Québec…
- Moi? Absolument pas! J’ai vu le jour à bord du Sakharov, quelque part entre Saturne et Jupiter! Il est exact que j’aurais dû naître sur Terre. Mais j’avais un peu d’avance, dix mois de gestation et non onze! La faute à mes gènes humains dominants!
- Quoi! Holà! Je ne comprends plus vos propos!
- Ah! J’ai oublié de vous signaler que je parlais de la gestation métamorphe! Tiens, mon look présent vous plaît-il tant que cela? Je m’en lasse quant à moi… La teinte de mes cheveux me semble un rien trop foncée. Je préfèrerais plutôt une sorte de blond vénitien comme celui de Liliane ou d’Irina, l’épouse de Daniel. Mais mon rôle d’Emma Peel exige cette couleur.
- Voulez-vous que je vous accompagne chez le coiffeur? Le dernier à la mode se nomme Louis. Il ne tient pas qu’un simple salon de coiffure. On peut y boire du thé et déguster des sorbets à la poire, à la fraise ou encore à l’abricot…
- Teindre mes cheveux avec des produits décapants! Quelle horreur! Je n’ai nul besoin de ces artifices! Tenez… Voilà! Ne suis-je pas mieux ainsi? Plus naturelle? Admirez-moi et soyez franc…
- Quel tour de magie m’avez-vous joué?
- Il n’y a aucun tour là-dessous! J’ai seulement réassemblé les photons et les cellules de ma chevelure! C’est un processus très simple. A dix-huit mois à peine, j’en maîtrisais déjà parfaitement la technique alors que je ne suis qu’à un quart métamorphe! Le plus difficile, ce serait de tâcher de vous ressembler, de devenir votre copie… Voyez-vous, vous dégagez un charme inimitable… Que vous gâchez en fumant!
Bing Crosby eut du mal à dissimuler son dépit à ces paroles prononcées avec un aplomb d’une impolitesse inouïe. Il était évident que la jeune fille se moquait de lui, mais il était désarmé par ses réparties. Jamais il n’avait croisé tant de candeur et tant de franc parler. Il ne savait quoi répondre à cette étrange Violetta.
Cependant, après quelques secondes, l’adolescente reprit.
- Mais, cher ami, puisque vous m’offrez à boire aussi civilement, je ne refuse pas un jus de fruits, sans sucres ajoutés!
Souriant et prenant cela comme une victoire, Bing répondit, totalement inconscient de commettre le crime de détournement de mineure!
- Entendu. Je vous emmène dans ma Cadillac décapotable.
- Chic! C’est mon frère qui sera jaloux lorsqu’il saura que je suis montée dans un authentique tacot!

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Dans un bar à la mode, Bing commandait les consommations à un serveur gominé à souhait lorsqu’il remarqua la jeune comédienne qui tentait de se faire un nom, une blonde un peu maigre et osseuse au visage triangulaire. L’apprentie starlette était pourvue d’une identité un peu compliquée. En effet, elle se nommait Deanna Shirley De Beaver de Beauregard, excusez du peu!
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A l’approche du crooner, la jeune fille se leva, dévoilant ainsi une tenue quelque peu extravagante: une robe de pré adolescente Regency bleu et jaune pastel, avec un châle dissimulant la maigreur de ses bras, un panty blanc ou plutôt des pantalons comme on appelait ces dessous à l’époque du futur George IV, dépassant de son ourlet un peu court et de fines chaussures vernies noires à talons plats. Une pareille tenue était portée par les fillettes innocentes ou encore les prostituées sous la Régence britannique!
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La plate « demoiselle » adorait ressembler à l’une des sœurs Montagu portraiturées par Ingres. Nullement intimidée, fière de son petit rôle dans un film ayant pour titre « Man of Conquest », elle osa aborder la star.
- Dear Bing, commença Deanna Shirley minaudant avec un accent fort snob dénonçant ses origines patriciennes, vous rappelez-vous que vous m’avez promis de vous entremettre auprès de Cukor et de Selznick?
- Certes, très chère Deanna, mais je ne suis pas réellement intime avec ces messieurs, répondit le chanteur assez gêné. De plus, en cet instant, je ne suis pas seul. Tenez, voici mon numéro de téléphone. Rappelez-moi dans la soirée ou, mieux, demain avant huit heures du matin…
- Oh! Je comprends très bien! Répliqua l’incorrigible Deanna Shirley. Mais je croyais que vous les aimiez plus… mûres!
- Pardonnez-moi, fit alors Violetta d’une voix doucereuse. Jouez-vous à la teenager? Ou à l’évaporée de service? A moins que cette tenue du plus mauvais goût n’ait pour objectif que d’émoustiller les barbons impuissants?
Là, notre Deanna Shirley ne put répliquer. La métamorphe, avec son franc parler, lui avait coupé le sifflet!
Après cet échange assez vinaigre, le couple assez mal assorti prit place devant une des tables et s’empressa de commander. Dépitée, l’apprentie comédienne se retira, décidée toutefois à relancer le crooner dès la première heure le lendemain.
Plus tard, et ailleurs, les deux donzelles auront du mal à ne serait-ce que se côtoyer! Mais cela est une autre histoire.
Violetta ne regagna le logis de Von Hauerstadt qu’à plus de vingt heures, les bras encombrés par la laisse du chien Bing,- ainsi avait-elle appelé le fox terrier,- et par tout un lot de 78 tours dédicacés!
L’adolescente ne s’était pas contentée de déguster un jus de fruits. Elle avait réussi à se faire offrir deux sorbets et une énorme part d’un délicieux gâteau au citron. Voyant ses avances de plus en plus explicites tomber à l’eau, le crooner avait finalement renoncé à flirter avec la jeune métamorphe. Pas rancunière, cette dernière avait avoué qu’en réalité, elle n’avait pas plus de quatorze ans! Horrifié, Bing s’était empressé de reconduire l’adolescente « chez elle ».
Franz accueillit Violetta l’air sévère.
- Nous n’attendions plus que vous pour regagner 1969!
- Oh! Tout doux! Il n’y a pas le feu! Et mon rôle dans « The Avengers »?
- Vous aviez donc pris au sérieux cette histoire!
- Bien évidemment! Que je sache, Daniel n’a qu’une parole et…
- Votre oncle m’a expliqué, et je veux bien lui donner raison, que cette harmonique n’est qu’un temps parallèle de circonstance. Elle s’effacera donc après notre départ. Le commandant désire que nous quittions cet univers au plus tard à vingt-et-une heures, heure locale… C’est un peu juste et…
- Daniel Wu n’est pas mon oncle! Et je ne reçois aucun ordre!
- Ah! Violetta, ne faites pas votre rebelle! Vous devez écouter ce que j’ai à vous dire. Une fois que Daniel aura terminé son inspection des ceintures biologiques, nous repartirons avec la navette.
- Pourtant, je m’amusais si bien, ici! Soupira l’adolescente essuyant une larme de crocodile.
- Cette comédie ne prend pas, miss Sitruk. Désormais, l’objectif du commandant est de retrouver votre père puisque Mathieu et Liliane sont sains et saufs.
- D’accord! Je ne veux pas que vous pensiez que je ne m’inquiète pas du sort de mon paternel! Un détail me tracasse, cependant. Ce temps-ci, créé pour nous par l’Homo Spiritus, n’est nullement affecté par les agissements de mon père dans l’Empire romain, en amont de ce point du Multivers…
- Vous désirez réellement une explication ou tout simplement vous cherchez à vous éterniser dans cette pseudo piste?
- Je n’insiste pas! Au fait, dans quel 1969 pensez-vous pouvoir atterrir?
- Dans le mien, dans le bon. Violetta, il existe autant de 1969 qu’il est nécessaire! Une infinité au sein d’un supra monde. Grâce au chrono vision nous sommes parvenus, Daniel et moi-même à cerner l’année 1969 souhaitée. J’admets que les Helladoï Stankin et Sarton étaient de purs génies!
- Je vois que je n’ai plus qu’à me rendre! Salua l’adolescente en une révérence amusée.
- Escomptez-vous ramener ce chien avec vous? S’inquiéta Franz.
- Oh! Oui! J’y tiens. C’est un cadeau de ce chanteur de charme!
- Comment croyez-vous que le commandant prendra la chose?
-Bof! Je m’en moque!
- Et Ufo?
- Ufo appartient à Daniel Wu, pas à moi. Le chat se débrouillera avec le fox. Je parie que le premier qui rendra les armes ce sera le chien Bing!
- Ah! Vous possédez un caractère bien trempé, Violetta! Si cela vous intéresse, apprenez que ce maudit chat refuse toute nourriture depuis que son maître a disparu! En début de journée, nous avons capté une scène tragi-comique. Dans la cuisine des Malicourt, Ufo dédaignait obstinément des rognons de bœufs cuisinés avec des oignons et des champignons. Or, ce plat ne provenait pas d’une boîte de conserves! Cependant, cet incident nous a permis d’ajuster les coordonnées de notre point d’atterrissage. En fait, mon absence n’aura duré qu’un peu plus d’une journée.
- Heureusement, lança Violetta avec dédain. Sinon, vous auriez pu vous retrouver nez à nez avec vous-même! Vous avez bien mis trois semaines à nous capter, n’est-ce pas?
- Petit paradoxe vite résolu! Bien, assez discuté. Ce n’est pas le moment que je vous fasse un cours de physique quantique…
- Pff! Si vous aussi, vous vous y mettez!
- Dépêchez-vous de ranger vos affaires au lieu de jouer les martyres et de souffler!
- Ouais, je me grouille! Jeta la métamorphe boudeuse.
Comme elle l’avait affirmé haut et fort, l’adolescente n’aimait pas être commandée!

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Le retour en 1969 s’effectua sans incidents. A la vue du chien, Daniel s’était contenté de hausser les épaules. Par contre, lorsque Bing pénétra dans la gentilhommière, il flaira immédiatement la présence de Ufo. Alors, il partit comme une flèche à la recherche du chat. Le découvrant réfugié sous le piano, il se mit à aboyer de toute la force de ses poumons. De son côté, Ufo feula, faisant le gros dos, ses longs poils noirs et blancs gonflés par la colère et la peur. Bing allait sauter sur le tablier de l’instrument, nullement intimidé par la démonstration du félin lorsqu’il se sentit happé dans un étau.
- Bing! Fit une voix à l’accent autoritaire manifeste. Si tu veux que je te garde, tu as intérêt à laisser mon chat tranquille! Ne fais pas celui qui ne comprend pas. Je peux te casser en deux!
Le fox terrier saisit-il la menace? Sans doute. Daniel était fort doué pour communiquer directement avec la gent animale. Sans plus montrer la moindre hostilité envers Ufo, le chien accepta la domination du commandant Wu, le considérant comme le chef de la meute.

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