samedi 10 octobre 2009

La gloire de Rama 3 : Pavane pour un temps défunt chapitre 20


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Chapitre 20

Août 285. La bataille du Margus ensanglantait la plaine. A la tête d’une aile de cavalerie, Benjamin se retrouvait cerné comme prévu par des cataphractaires qui n’avaient qu’un but , le tuer. Ses adversaires portaient des jaserans de mailles renforcées de plaques de cuirasses anatomiques et brandissaient de longues lances ainsi que des sabres recourbés à la lame bien effilée. Leur tête était protégée par des casques emplumés munis de couvre-joues en cuir. Leurs faces s’ornaient de moustaches ou de barbes abondantes taillées pourtant avec soin. Leurs yeux lançaient des éclairs. Ah! Comme ils se montraient véritablement magnifiques dans leur haine et dans leur fureur! Quant à leurs chevaux, tout piaffants, ils étaient néanmoins lourdement caparaçonnés et armés, leur tête fine recouverte d’une cagoule maillée de fer tandis que leur poitrail supportait un rostre de bronze affûté destiné à éventrer les montures et les cavaliers adverses.
http://schnucks0.free.fr/Cataphractaire/dura6yd.gif
Dans un premier temps, ce fut là le sort réservé au cheval du bras droit de Dioclès. Le valeureux et superbe animal mourut comme les montures des picadors empalées par les cornes d’un taureau furieux. Sous la blessure effroyable, le fier destrier hennit de douleur et de désespoir mêlés, puis, s’effondra, chutant avec un bruit sourd sur le sol inégal, son cœur et ses poumons apparents par la plaie béante et sanglante. En tombant, la bête entraîna avec elle son cavalier pourtant aguerri.
Le cerveau de Benjamin Maximien tournait à plein régime. Le soldat du XXVIe siècle avait l’impression d’être dédoublé. Ce qu’il vivait lui rappelait un tableau ou une gravure fameuse de Goya provenant de la série « Les désastres de la guerre ». A l’instant où son cheval chutait lourdement, Benjamin parvint in extremis à se libérer. En athlète accompli, il effectua un roulé-boulé magnifique à un mètre à peine de sa monture qui gisait désormais morte.
Ne perdant pas son sang-froid, le capitaine Sitruk se releva prestement pour constater sans émoi qu’il état entouré de cavaliers acharnés à sa perte. Désarçonné, il représentait maintenant une proie de choix. Notre Benjamin aurait donné dix ans de son existence pour être muni d’un sabre laser, l’arme traditionnelle des Haäns, mais pas celle des Jedaï.
Mais notre héros malgré lui avait-il encore dix ans à vivre? Que pouvait-il faire avec un malheureux glaive bien trop court. Bref, il se savait perdu, mais il ne renonça pas pour autant.
Poussant un cri de rage, Sitruk se faufila à une vitesse remarquable sous les jambes d’un cheval noir et lui taillada les jarrets avec un sourire cruel. Foin de sa nature chevaleresque et généreuse! Franchement, ce n’était pas le moment! Après tout, il jouait sa vie.
Sous la douleur, la bête rua si violemment qu’elle désarçonna à son tour son cavalier. Au mieux, Benjamin Maximien n’avait gagné que quelques secondes car, de son côté, le chef des cataphractaires n’était pas resté immobile et inactif. L’homme, aux traits mongoloïdes prononcés avait saisi son carquois et bandé son arc. Avec soin il choisit une flèche destinée à Benjamin.
A quelques pas de là, un centurion se relevait après avoir égorgé son attaquant. Ses yeux faisaient le tour des différents combats ; le sous-officier avisa enfin celui qu’il prenait pour le général Maximien. Immédiatement, il comprit que celui-ci se trouvait dans une situation désespérée. Voyant le cataphractaire qui allait tirer et sans doute tuer le bras droit de Dioclès, comme possédant les ailes d’Hermès, il courut à perdre haleine, bousculant tout sur son passage. Il parvint d’extrême justesse près de Benjamin Maximien qu’il repoussa avec une vigueur insoupçonnée au dixième de seconde précis où le projectile mortel allait s’enfoncer dans la poitrine du capitaine Sitruk.
La réalité avait-elle été manipulée, ou du moins le temps personnel de certains des protagonistes?
Ce fut le dévoué centurion primipile qui reçut la flèche dans le cou en lieu et place de l’intrépide Benjamin. Le vaillant soldat s’était sacrifié Or, Sitruk n’était pas pour autant tiré d’affaire.
Alors que le téméraire capitaine s’apprêtait à faire payer chèrement sa vie, une rumeur enfla sur le champ de bataille, sourde, grondante, irrésistible : elle détourna la fureur des cataphractaires.
De rage, le mongol hurla :
« Carinus mort?! Celui qui devait me payer!!!Holà! Je ne travaille pas gratuitement, moi! Kong, Trong! Demi-tour! »
Saisissant ses rênes, ignorant Benjamin Maximien, imité par ses subordonnés, le Mongol quitta le champ de bataille, faisant demi-tour sur la plaine jonchée de cadavres.
Essoufflé, respirant à grand bruit, le capitaine Sitruk essuya d’un geste mécanique la sueur qui dégoulinait le long de son visage. Décidément, il n’arrivait pas à croire en sa chance, qui encore ici, se manifestait et ne le lâchait pas.
Au loin les olifants et les buccins sonnaient la fin des combats. La rumeur avait atteint son paroxysme.
« Carinus est mort! Carinus est mort! Il nous faut maintenant espérer en la mansuétude de Dioclès! »
En quelques minutes, toute résistance cessa. Un silence pesant s’abattit sur la vallée. Le sort de l’Empire romain venait de basculer.
***************
Tandis que Benjamin Maximien chargeait à la tête de son aile de cavalerie, Carinus, qui semblait avoir le dessus, ne s’était pas rendu compte de l’absence du consul Aristobulus. Or, ses renforts allaient lui faire gravement défaut. Le rival de Matronianus avait tourné casaque. Les augures, qu’il avait consultés secrètement, lui avaient conseillé de choisir le camp de Dioclès plutôt que de rester fidèle à Carinus. Le traître avait même été plus loin. Il avait osé charger un des ses affranchis d’assassiner l’empereur en titre moyennant une rente annuelle de deux cent mille sesterces.
Alors que les Romains s’entretuaient dans une guerre civile fratricide, Dioclès recevait l’hommage d’Aristobulus à deux kilomètres à peine du champ de bataille. Agenouillé, s’humiliant momentanément, le consul faisait amende honorable et jurait sa foi à Dioclès César Auguste. Son serment prononcé avec conviction, fut aussitôt repris par l’ensemble de ses hommes.
Et la plaine résonna des clameurs de joie répondant aux échos sinistres de « Carinus est mort »!
Comme on le voit, l’affranchi était parvenu à s’approcher de l’Empereur et de son préfet du prétoire sous le prétexte de leur communiquer un message important d’Aristobulus. Sans méfiance aucune, l’Empereur en titre tendait la main pour recevoir le rouleau de la missive lorsqu’une lueur d’acier surgit, accrochant son regard. Il n’eut pas le temps d’esquiver le coup mortel.
Carinus bascula en arrière sous la lame qui s’enfonçait dans sa chair, renversant son siège, la gorge ouverte vomissant le sang. Bientôt, il mourut. Bien évidemment, Matronianus voulut se précipiter pour porter secours à son Empereur mais il ne put qu’esquisser un mouvement, foudroyé à son tour par l’acier d’un poignard qu’il reçut en plein cœur.
L’assassin n’alla pas plus loin dans son chemin sanglant. Les légats l’entourèrent enfin et le massacrèrent. Trop tard! Cette vengeance apparaissait inutile!
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Dans la nuit douce et printanière, bien loin de ce temps, le ciel s’illuminait de lueurs rougeoyantes et sinistres provenant de l’incendie qui achevait de consumer le cirque Medra. Une fumée acre s’élevait en volutes épaisses qu’une brise chassait paresseusement vers le parc hanté du château de Versailles. Les clameurs sauvages et paniquées des fauves ajoutaient au tragique de la scène. Depuis longtemps, le public avait fui, s’égaillant dans les rues et les champs.
A une vingtaine de mètres de ce spectacle désolant, de cette tragédie, Aure-Elise s’était réfugiée dans les bras de Marie André qui n’en demandait pas tant. La jeune fille, blême, les cheveux emmêlés et noirs de suie, sanglotait, ne parvenant pas à retenir son chagrin.
A quelques pas, Marie et Violetta étaient adossées contre un arbre, l’inquiétude marquant leurs jeunes visages. Toutes deux se demandaient ce qu’il était advenu de Daniel Wu. Troublées, anxieuses, les deux fillettes n’osaient parler. Elles tentaient de scruter la semi obscurité qui les entourait.
Soudain, Violetta sursauta. Elle venait de sentir une main se poser légèrement sur son épaule.
- Ce n’est que moi, fit Mathieu doucement, répondant ainsi à la question muette de l’adolescente. Pamela a disparu. J’ai mis à profit la panique engendrée par l’incendie pour m’échapper.
- Et Papa? Demanda Marie dans un souffle timide. Que lui est-il arrivé? Que s’est-il passé?
- Je l’ignore! Murmura laconiquement le garçonnet.
Sur la place, les pompiers s’affairaient déjà. Le silence gagnait la nuit peu à peu, ajoutant à l’angoisse des trois exilés du temps. Perdus, déboussolés, les enfants bougeaient à peine, encore sous le choc visiblement. Sonnée, Violetta ne songeait pas à se renseigner sur le sort de Marie André et d’Aure-Elise. Plus âgée, elle avait pris de plein fouet l’horrible tragédie. Son cerveau refusait de fonctionner, du moins semblait-il. Elle paraissait vidée de toute énergie.
Pourtant, sa conscience lui disait que le petit groupe ne pouvait rester indéfiniment à attendre ici le retour éventuel de son oncle. Il lui fallait prendre une décision rapidement et se comporter en adulte! Nerveusement, elle se mit à fouiller dans son porte-monnaie. Elle ne savait pas si elle avait assez d’argent pour emprunter le tramway qui reliait Versailles à Paris.
Avec la nuit qui s’approfondissait, le froid augmentait et l’humidité enveloppait les enfants telle une couverture glacée. Et puis, un frémissement à peine perceptible. On marchait lentement, dans leur direction. Violetta scruta vainement l’obscurité. Son cœur battant follement dans sa poitrine, n’y tenant plus, elle lança d’une voix tremblante.
- Holà! Qui vient là? Montrez-vous!
Une voix posée lui répondit aussitôt, voix qu’elle identifia avec soulagement.
- Les enfants de Daniel Dumoulin sont bien ici, en bonne santé! Ils ont réchappé à l’incendie! Quelle heureuse nouvelle!
- Tant mieux, mademoiselle Aure-Elise! Renchérit Marie André. Mais… il y a un garçonnet avec les fillettes! C’est le jeune prodige! Que fais-tu là?
-J’ai retrouvé Violetta ainsi que ma petite sœur Marie. N’auriez-vous pas des nouvelles de mon père? Je suis si troublé que je ne perçois pas sa présence…
- Ah! Ton père est donc bien Daniel Dumoulin! Soupira le jeune étudiant en droit. Hélas, non, je ne puis te renseigner et te réconforter. Mademoiselle et moi ignorons ce qu’il est advenu de lui. Avec la panique…
- Les pompiers disent qu’il n’y a cependant aucun corps sous les décombres. Cela tient du miracle! Tenta de rassurer Aure-Elise. Daniel doit donc être en vie, du moins je le suppose!
- Allons, les enfants, n’affichez pas cette mine désespérée! Monsieur Dumoulin m’a paru être un homme plein de ressources, non?
- Vous vous montrez optimiste parce que vous ne saisissez pas l’enjeu! Rétorqua violemment Violetta.
- Cousine! Jeta marie. Tu ne dois rien révéler! Tu n’as pas l’autorisation! Tu connais comme moi la directive de discrétion qui régit l’Alliance…
- Marie, toi aussi tu en dis trop! Remarqua Mathieu avec sévérité.
- Les gosses, fit l’adolescente amère, si oncle Daniel ne reparaît pas dans un délai raisonnable, nous sommes tous trois coincés ici! Mathieu, ne comprends-tu pas cela? Je ne sais pas faire fonctionner le translateur! Piloter une navette en sub-luminique, oui, cela j’en suis capable, mais pas plus!
- Cousine Violetta dit vrai, Mathieu! Aucun d’entre nous ne peut naviguer dans les univers parallèles, dans les chrono lignes
- Hélas! Il ne faut pas non plus oublier le danger représenté par Pamela! Rajouta la métamorphe. Mathieu tu nous certifies qu’elle a disparu, moi je veux bien te croire! Mais cela m’étonnerait qu’elle ait perdu la vie dans cet incendie! Après tout, c’est une Homuncula!
- Oh! Une minute, les petiots! J’ai besoin d’éclaircissements! Souffla Marie André. Et Aure-Elise également! Jouons franc. Tout d’abord, je vous croyais tous trois frère et sœur. Manifestement, ce n’est pas le cas.
- Hé bien, reconnut Violetta, je n’ai aucun lien de parenté avec Daniel Wu. Je l’appelle oncle par affection parce que je le connais depuis ma plus tendre enfance.
- D’accord, si monsieur Dumoulin, euh, Wu, n’est pas ton père, qui est-il, en fait? Et toi? Pourquoi l’accompagnes-tu? Demanda Aure-Elise avec une curiosité légitime.
- Euh… c’est une longue histoire… j’ai désobéi, tout simplement. Mon père se nomme le capitaine Sitruk. Oncle Daniel est le commandant du vaisseau à bord duquel mon paternel sert…
- Oui, la Marine alliée au deuxième bureau!
- Pas du tout! Lança sévèrement Violetta. Vous ne comprenez rien! Nous n’avons aucun lien avec les services secrets.
- Dans ce cas, explique-toi…
- Attendez… fit Aure-Elise. Je vois d’où vient le problème… de quel siècle êtes-vous originaires tous les trois?
- Mademoiselle Gronet, ne soyez donc pas ridicule! Vous ne pensez tout de même pas que les enfants viennent de l’an 2517?
Mathieu fixa alors Violetta et Marie André d’un air dur en pinçant les lèvres. Mais sa cousine ignora cette attitude de reproche et se jeta à l’eau.
- Au point où nous en sommes, soupira l’adolescente. Nous venons bien de l’avenir et précisément de l’année 2517... Mais pas du même futur que le vôtre… Enfin, c’est assez compliqué et j’ai peur de vous embrouiller avec mes explications… c’est que je ne suis pas une spécialiste du Temps, moi!
- Alors, les absurdités débitées tantôt par mademoiselle Aure-Elise étaient exactes!
- Elles ne sont en fait que les différentes facettes d’une réalité complexe, une réalité kaléidoscopique qu’on peut regarder chaque fois sous un angle nouveau et différent…
- Admettons. Et Mathieu avait été enlevé par cette dénommée Pamela, la dompteuse de l’homme têtard, formula Aure-Elise en hésitant un peu.
-Hélas oui, répondit le garçonnet.
- Mon frère, c’est fini. Désormais tu es libre.
- Non, je ne crois pas que tout danger provenant de cette fourbe Pamela soit à écarter! Souffla la métamorphe. Je vais brièvement résumer comment nous nous sommes retrouvés ici. Tout d’abord, nos parents servent à bord du même vaisseau spatial, le Langevin.
- Maman y est l’officier en second! Jeta avec fierté Marie.
- Le capitaine Irina Maïakovska, compléta l’adolescente. Mon oncle a la nationalité chinoise et son nom complet est Daniel Lin Wu Grimaud. Il commande le Langevin depuis tantôt sept années, un vaisseau scientifique d’exploration composé de deux cent cinquante membres d’équipage et d’officiers triés sur le volet.
- La maman de Violetta est le docteur en chef! Compléta toujours l’adorable fillette de cinq ans.
- C’est cela. Quant à mon père, le capitaine Benjamin Sitruk, il a disparu dans le passé. J’ignore ce qu’il a fait exactement mais ses actions ont engendré une série d’événements qui ont empêché la Tétrarchie romaine…
- La Tétrarchie romaine? Bigre! Il a remonté loin dans le temps!
- Précisément! Mais mon père a été piégé par cette maudite Pamela Johnson!
- En fait, l’être que nous nommons Pamela Johnson opère pour le compte de l’ennemi de l’Alliance dont fait partie la planète Terre, l’Archontat Asturkruk, renseigna Mathieu. Démasqué, le traître s’est enfui du vaisseau en me prenant en otage!
- Voilà pourquoi nous avons atterri ici, en ce 1900 qui n’appartient pas à notre réalité. Pour récupérer Mathieu. Oncle Daniel pistait l’agent double depuis plusieurs semaines.
- Il s’est écoulé près d’une heure depuis que l’incendie a éclaté, murmura Aure-Elise. Je m’inquiète…
- Nous ne pouvons nous attarder davantage, constata le jeune homme. Il nous faut réagir. Si nous allions d’abord nous réchauffer dans ce bistrot que j’ai vu plus loin, au bout de la rue menant à l’esplanade? Les enfants, vous devez avoir faim, non? Ensuite, nous aviserons…
- Pourquoi pas? Fit Aure-Elise conciliante.
Quelques minutes plus tard, dans le bistrot qui faisait aussi office de restaurant, Violetta, Marie et Mathieu recouvraient quelques forces en avalant une bonne et chaude soupe à l’oignon revigorante accompagnée de croque-monsieur. Tous les trois dévoraient à pleines dents. Aure-Elise, plus mesurée, se contentait de boire un thé et l’étudiant en droit d’un café. Par instant, le jeune homme jetait un coup d’œil furtif à sa montre de gousset. Il ne fallait pas rater le dernier tramway!
Aure-Elise, qui tournait distraitement sa cuiller dans sa tasse, suggéra.
- Et si nous essayions de téléphoner à Mère?
- Je n’ai pas aperçu de téléphone sur le comptoir ou à proximité. Il faudra nous rendre à la gendarmerie, répondit Marie André;
- Peut- être aurons-nous ainsi des nouvelles rassurantes! Soupira la jeune fille. Les gendarmes pourraient nous aider à retrouver Daniel Wu…
- Mmm… c’est qu’il était déjà suspect dans l’affaire de la disparition des documents tibétains, rappela Violetta.
- Nous n’avons pas réellement le choix! Conclut Aure-Elise.
- Papa est peut-être prisonnier dans une autre réalité, jeta Mathieu.
- Voilà pourquoi nous n’arrivons pas à sentir sa présence! S’écria Marie.
- En tout cas, je n’ai plus ce sentiment de perte, ce malaise, rassura Mathieu.
- Que faisons-nous? Comme vous l’avez suggéré, monsieur Delcourt?
- Vous avez terminé, les enfants? Oui? Voyons si les gendarmes nous seront utiles!
La suggestion de Marie André Delcourt porta ses fruits. A la gendarmerie, les deux jeunes gens et les trois exilés du temps eurent la surprise d’y découvrir Daniel Wu, les vêtements en désordre, ressemblant à un vagabond, menotté et solidement encadré par deux pandores! Ses traits tirés dénonçaient la dureté de l’épreuve subie. Visiblement, il avait souffert de son combat. Il avait été également soigneusement fouillé, plutôt brutalement, mais heureusement les gendarmes n’avaient rien trouvé d’interdit sur sa personne. A peine capable de se tenir debout, le commandant Wu n’en sourit pas moins à ses enfants et à Violetta qu’il considérait comme sa fille.
Daniel avait des difficultés à se disculper des soupçons qui pesaient sur lui. Les gendarmes voyaient en lui un incendiaire! Déjà mis en cause dans l’assassinat du gardien du Muséum d’Histoire naturelle, il paraissait être aux yeux des autorité un dangereux anarchiste qu’il fallait garder en cellule! Et ce, d’autant plus que son retour dans cet Univers s’était accompagné d’une violente lumière immédiatement suivie d’une chaleur infernale…
En fouillant les affaires du suspect, les gendarmes n’y avaient trouvé aucune arme immédiatement identifiable par eux, mais ils avaient récupéré une petite bourse en soie contenant une centaine de diamants ainsi qu’une cinquantaine d’émeraudes de la plus belle eau! Bref, il n’était absolument pas question de relâcher cet inquiétant et fort riche individu!
Certes, Daniel Lin avait réchappé à l’ire de Pamela, mais l’être mi- homuncula mi-Asturkruk avait eu, de son côté, tout le loisir de s’évaporer pour un ailleurs inconnu, ses facultés manifestement recouvrées! Le plus grave pour le daryl androïde n’était pas la fuite de Pamela. En mourant, l’Alphaego avait projeté sa lymphe sur le public et les gens du voyage. Or, rappelez-vous, il suffisait d’un simple contact pour que la mutation débutât! Peut-être que Pamela tenait sa vengeance en y réfléchissant?
Une épidémie sans précédent menaçait cette année 1900 déviée mais, hormis Daniel Lin, nul n’en avait conscience!
***************
Après l’échec patent de son commando, l’Amiral Asturkruk Key Rous, contrôlant difficilement sa rage, décida d’en finir une fois pour toutes avec le vaisseau de l’Alliance de Mille Planètes. Il entama donc la procédure de combat spatial à mort. D’une voix assourdie par la colère qui bouillait en lui, il ordonna aux Prédateurs et aux Rabatteurs de se positionner en tactique virtuelle classique d’hallali, leurs boucliers levés, leurs torpilles à bosons armées et leurs lance-lasers chargés. Quant aux cuirassiers, les « gavials », ils attendaient que les vaisseaux d’attaque aient fait leur office pour participer à la tuerie. Mais c’était oublier Antor et ses capacités de commandement!
Sur le centre névralgique du Langevin, l’ambassadeur se tenait assis, raide et particulièrement concentré sur le siège habituellement dévolu à Daniel Wu. D’une voix froide, sans aucune inflexion témoignant d’une angoisse quelconque, il demanda à Chtuh:
- Statut actuel du vaisseau?
- Bouclier arrière à 120% de ses capacités normatives. Déflecteur avant fluctuant entre 90 et 85%.
Ftampft rajouta:
- Excellence, nous avons en réserve vingt-deux torpilles à bosons opérationnelles, prêtes à être lancées. La première est déjà en place dans son tube. Six autres suivront en rafales dans un laps de temps d’un dixième de seconde!
- Ambassadeur, s’exclama alors le chef de la sécurité, je suggère l’attaque immédiate! Nous devons passer à l’offensive maintenant! Ils nous croient à leur merci et…
- Du calme, mon beau Kiku U Tu, jeta Antor. Utilisons la ruse! Nous allons faire croire à nos ennemis que nous tentons de fuir.
- Monsieur, il n’y a aucun courage dans la fuite! Gronda le Troodon.
- Silence, lieutenant! Vous n’écoutez pas mes ordres! Encore une objection et je vous relève de vos fonctions. Je sais parfaitement ce que je fais! Compris?
- A vos ordres, ambassadeur, souffla Kiku penaud.
- Excellence, puissance disponible des moteurs luminiques à 78%. Renseigna Uruhu. Quelle trajectoire, monsieur?
- Dans l’hyperespace, quadri dimensions: 123°; 18°;47°;130°. Lancez l’hyper luminique maintenant!
- Les moteurs sont encore trop froids. Il faut qu’ils montent en régime, objecta Chtuh. Nous devons d’abord passer par le luminique…
- La manœuvre est risquée, je n’en disconviens pas mais reste dans le domaine du possible! Fit l’ambassadeur très sèchement. Les superstructures du vaisseau tiendront. Exécution!
- Compris, monsieur! Obéit alors le petit dinosauroïde. Ordre effectué. Le vaisseau suit.
- La célèbre manœuvre Fermat, marmonna émerveillé le K’Tou. Elle fonctionne!
- Bien évidemment! Articula le vampire lentement.
Pour les observateurs ennemis, le Langevin se volatilisa tandis que les écrans des Asturkruks ne détectaient rien! Cependant, la manœuvre Fermat déclencha à seulement un petit millier de kilomètres de Prédateurs et des rabatteurs des calmaroïdes des vagues de distorsion si violentes qu’elles obligèrent les vaisseaux ennemis à se retirer momentanément afin de ne pas subir de plein fouet les bombardements de gravitons en folie!
Hors de lui, l’amiral Key Rous hurla:
- Qui commande donc ce fichu vaisseau? Quel chien humain? Que m’a-t-on dissimulé? Le commandant Wu n’est plus à bord que je sache! Son second plongé en stase… Quant au capitaine Sitruk, il est perdu quelque part dans les tréfonds du temps!
Le colonel Stork, bras droit de l’amiral, brava la colère rageuse de son supérieur et lui répondit d’une façon détachée.
- Il s’agit peut-être de l’ambassadeur Antor. Il a servi jadis sous Fermat. Ailleurs…
- Compris! Prédateurs et rabatteurs! Entamez la poursuite immédiatement! Écrans sur ondes gamma! Exécution!
Mais, déjà, le Langevin avait effectué son premier saut quantique, ce qui avait eu pour résultat de l’éloigner momentanément de la planète Aruspus. La transition n’avait posé aucun problème mais l’utilisation à froid des moteurs avait eu pour conséquence de renvoyer le vaisseau terrien dans le passé! Trois heures en arrière seulement
d’après les données affichées par la console de Ftampft.
Sur ses scanners, l’amiral Asturkruk n’en détectait pas moins les minimes traces ioniques laissées par le vaisseau scientifique de l’Alliance. Le haut officier était bien plus habitué à voyager dans l’hyperespace et dans le temps que les humains. Reconnaissant la manœuvre Fermat, il hurla à ses subordonnés:
- Déplacement trois grades en arrière!
Il fut obéi à la microseconde près.
Sur le Langevin, les consoles scientifiques affichaient avec un pourcentage d’erreur plus que minime les trajectoires entamées par les vaisseaux Asturkruks. Toujours aussi calme et froid, Antor demanda à Chtuh:
- Lieutenant, reconnaissez-vous la configuration du vaisseau amiral?
- Oui, parfaitement, Excellence. Je crois me souvenir que le commandant Fermat a déjà affronté celui qui commande cette flottille. Nous avons affaire à l’amiral Key Rous.
- Que vaut-il sur le plan tactique? Il a tout de suite réagi à la manœuvre Fermat!
- Et pour cause, Excellence! C’est contre lui justement que le défunt commandant a inauguré ce tour de passe- passe!
Uruhu rajouta son grain de sel.
- Key Rous! Le triste bourreau de Pi ‘Ou et du peuple K’Tou!
- Je vois… Soupira l’ambassadeur. Les déportations quadridimensionnelles d’hominiens de Terra à destination du sinistre bagne de Penkloss, le gigantesque mouroir de la Galaxie! L’Alliance se montre inefficace et impuissante face à ce génocide!
Chtuh approuva et compléta.
- Key Rous n’a pas d’équivalent en dehors des Asturkruks. Son subordonné, le colonel Kraksis, les humains diraient son âme damnée…
- Ah! Kraksis! Le commandant Wu ne l’avait-il cependant pas abattu, il y a une dizaine d’années environ lors d’un duel sans merci? Il est vrai que cet affrontement a eu lieu dans un autre cours de l’histoire… souffla Antor.
- Un seul exemplaire, monsieur, poursuivit le petit dinosauroïde vert. Cet Asturkruk est comme les lemmings! Il se multiplie à l’infini! Quoique originaire du XXVIIIe siècle, il peut franchir les portes du temps et des univers alternatifs! Il survit partout! Chacun de ses innombrables exemplaires a rencontré au moins une fois le commandant Daniel Wu!
- Monsieur, rappela Uruhu, nous avons les Prédateurs à nos trousses et ils se rapprochent dangereusement!
- Oui, assez palabré! Manœuvre Z28!
- Excellence! Trembla le néandertalien, celle-ci n’a jamais été testée qu’en simulation!
- Exécution! Poursuivit Antor, ignorant la remarque du K’Tou.
L’inquiétude d’Uruhu pouvait être excusée. Certes, la manœuvre Z28, audacieuse et brillante, permettrait au Langevin d’échapper à ses poursuivants, mais elle mettait en danger de rupture les superstructures de tout vaisseau se hasardant à y recourir! Ainsi, le Langevin devait accélérer à hypersupraluminique en continu en moins de six secondes, soit la « durée » maximale possible avant de se transformer en énergie, puis, tout en maintenant son accélération et sa lancée, se jeter vaillamment dans le cône d’ombre distorsionnel qu’il avait engendré de par sa vitesse effroyable! Au fur et à mesure que la poussée se poursuivait, ledit cône se transformait en trou de ver qui avalait goulûment tout objet, l’étirant à l’infini dans un temps désormais aboli! Cette expérience, traumatisante, paraissait durer l’éternité. A l’intérieur du cône, les lois de la physique s’annihilaient pour redevenir ce qu’elles étaient antérieurement, à l’origine du Pan multivers. Au bout de la trajectoire, mais y en avait-il encore une, tout était possible. La mort ou le jaillissement dans un monde autre, ou encore l’intrusion dans un passé incommensurablement lointain.
Courageusement, le vaisseau scientifique de l’Alliance des 1045 planètes se lança dans cette manœuvre sublime et désespérée à la fois et, à puissance maximale, déchirant la structure même du Pan multivers, déclencha les inévitables distorsions quantiques et gravitationnelles qui formèrent aussitôt l’effroyable cône du trou de ver attendu. Durant quelques longues et affreuses millisecondes, le Langevin parvint à surfer à la surface de cette boucle de l’enfer qui enflait, enflait d’une façon stupéfiante!
L’équilibre, fort précaire, ne pouvait durer davantage. Cependant, le vaisseau terrien luttait et résistait encore et encore contre l’inexorable. Seuls ses moteurs hyper puissants reconfigurés selon les ordres du commandant Wu, et cela Antor ne l’ignorait pas, en dépit de toutes les règles admises de sécurité, mais aussi, il faut l’admettre la dextérité prodigieuse d’Uruhu, unique dans ce monde, lui permirent d’échapper au triste sort qui aurait dû être le sien.
Quatre Prédateurs Asturkruks n’eurent pas la même chance. Eux furent avalés par le sombre et maléfique cône d’ombre, engloutis puis étirés au-delà de l’entendement! Les occupants n’eurent pas même conscience de mourir. Les particules composant les vaisseaux Asturkruks s’allongèrent jusqu’à vibrer harmoniquement avec la musique de l’Univers, en accord avec les super cordes D’ailleurs, quatre d’entre elles naquirent et enrichirent le maillage divin.
A bord du vaisseau amiral, Key Rous fulminait, au bord de la déraison. Son conseiller, toujours serein, lui murmura.
- Nous sommes dans l’obligation d’user de la tactique rétiaire!
- Stork, en configuration actuelle, c’est un suicide! Nous devrons vider nos réserves d’antimatière pour la mener à bien! Sans pour autant être assurés de capturer l’ennemi! Si le Langevin nous échappe, nous aurons fait cela pour rien! Nous ne pourrons pas regagner notre époque d’origine!
- Nous n’avons pas le choix, amiral. Nous devons tout tenter pour venir à bout de ces rebelles à l’Ordre Asturkruk! Nous serons toutefois toujours à même d’être récupérés plus tard par une de nos patrouilles temporelles. A ma connaissance, les humains n’ont pas l’expérience de cette manœuvre! Celle-ci n’a été expérimentée, avec succès, qu’une seule et unique fois, contre les Penkars!
- Très bien! Je m’en remets à votre conseil! Mais si nous échouons… Formation rétiaire!
Les rabatteurs baissèrent alors leurs boucliers d’invisibilité et entamèrent le processus prévu, testé par l’état-major. Ils se positionnèrent dans l’espace tout en maintenant leur vitesse, formant ainsi une étoile à cinq branches. Puis, le saut quantique les fit se dématérialiser et se réassembler frontalement, emprisonnant le Langevin, lui coupant toute possibilité de fuite.
A bord du vaisseau terrien, Antor comprit trop tard en quoi consistait le piège. Uruhu, au bord de la panique, s’écria d’une voix méconnaissable:
- Monsieur, nous sommes perdus! Il n’y a aucune issue! Nous allons être détruits!
- Du calme et du silence, lieutenant! Je réfléchis!
- Excellence, avertit Chtuh. Quelque chose d’inquiétant se passe. Il semble que de leurs canons jaillissent d’étranges filets lumineux.
- Mmm. J’ai compris! Les Asturkruks sont en train de tisser une toile d’énergie plasmatique. Nous sommes effectivement prisonniers, dans l’incapacité de nous déplacer en avant comme en arrière. Alors…
- Que décidez-vous, Excellence? Fit Chtuh conservant un ton professionnel.
- Est-il possible d’effectuer un saut quantique à pleine puissance alors que le Langevin se retrouve en position stationnaire?
- C’est un suicide! Jeta Uruhu. Mais, au moins, nous mourrons dignement et …
- Oui, nous mourrons en guerriers! Gronda Kiku, sortant ses crocs.
- Chtuh, j’attends toujours votre réponse! S’impatienta Antor.
- D’après ce que j’en sais et ce que l’Académie m’a enseigné…
- Abrégez, bon sang…
- Cela n’a jamais été essayé, Excellence! Théoriquement, nous n’aurons aucune chance d’en sortir vivants!
- Tant pis. Nous mourrons libres! Moteurs en poussée quantique, en surcharge maximale… Maintenant! Y Vaya con Dios!
Pendant ce temps, à bord du vaisseau amiral Asturkruk, le colonel Stork commentait d’une voix monocorde le déroulement de la manœuvre rétiaire:
- Enveloppement du vaisseau terrestre à 25% selon le schéma prévu. En accélération…
- Parfait, fit Key Rous en se grattant sa prothèse gauche… Mais… Par la barbe de Gandor! Que fabrique cet humain? On dirait que les moteurs du Langevin s’emballent. Ils sont fous, là-bas! Ils courent au suicide!
- La poussée impensable se poursuit! Souffla Stork éberlué. Leur vaisseau va exploser!
- Peut-être espèrent-ils ainsi nous faire cesser de tisser notre filet! Rugit Key Rous. Ils veulent nous entraîner avec eux dans la mort en nous faisant sauter! Jamais je ne céderai à cette intimidation!
- Amiral, je crois plutôt qu’Antor compte rompre nos liens d’énergie! Voyez les témoins de contrôle. Déjà, les tensions exercées sur les filins sont telles que nos rabatteurs commencent à peiner à maintenir la cohésion du filet.
Sur le Langevin, les mortelles micros secondes s’additionnaient tandis que les moteurs reconfigurés, ce qu’ignorait Key Rous, exerçaient toujours leurs poussées effroyables. Le vaisseau scientifique s’acharnait à demeurer immobile alors que tout craquait et gémissait à bord.
- Rupture des superstructures dans douze secondes, articula le petit dinosauroïde d’un ton détaché.
- Rupture du continuum espace-temps dans dix secondes, compléta le K’Tou de sa voix grave et hésitante. Que Broorh, miséricordieusement, accepte mes cendres!
- Compte à rebours précis du continuum, Ftampft, commanda le vampire.
- 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1,0! Barrit l’éléphantoïde, se substituant au néandertalien
Il sembla alors que le Langevin tombait… oui, il tombait dans les abîmes d’un enfer à sa mesure, dans le Néant, un néant tourmenté, un chaos fait du Tout et du Rien, de hurlements, de gémissements, de plaintes, d’un maelström de couleurs, de noirceur, d’énergie, de vibrations, de perles irisées, lumineuses, de grumeaux agglutinés… Les oreilles des officiers se mirent à siffler et à saigner. Tous furent et ne furent pas à la fois, alternant, comme tout à bord, la matérialité et l’immatérialité, l’essence et le non état. Conscience… Silence… Vide… Souffrance… Halètement…Calme, sérénité du rien… Anéantissement dans le gouffre, battement d’un cœur qui refusait l’inéluctable… Dans une saltarelle qui ne voulait pas, qui ne pouvait pas s’achever…
Lorsque, après un laps de temps impossible à évaluer, cette ritournelle impensable, in appréhendable s’arrêta, que les conditions normales de vie se rétablirent dans et à l’extérieur du vaisseau, Uruhu, les yeux braqués sur sa console hurla:
- Monsieur! Aruspus à trente mille kilomètres à peine! Nous tombons en chute libre. Les moteurs ne répondent plus! Nous allons nous écraser sur cette planète!
Toujours impavide, Chtuh rajouta:
- Impact dans vingt-et-une seconde, Excellence! A moins que nous périssions carbonisés d’abord!
- Lieutenant, inversez la position du vaisseau! Boucliers au maximum! Enclenchez les rétro freins!
- Ordres exécutés! Souffla Chtuh.
- Bien, soupira l’ambassadeur. Messieurs, si vous désirez prier…
C’était le premier, l’authentique signe d’émotion qu’Antor manifestait depuis qu’il avait pris le commandement du vaisseau. Fermant les yeux, il lança son message mental, destiné à son ami, son frère, concentré. Malgré la distance d’univers et de temps, Daniel Lin le reçut cinq sur cinq, au milieu de la séance de spiritisme…
Tandis que le Langevin parvenait ainsi à échapper aux rets des Asturkruks, trois de leurs cinq vaisseaux rabatteurs ne purent réagir à temps et éviter le saut quantique non préparé. Les liens énergétiques rompus, ils furent entraînés dans un maelström démoniaque qui eut pour conséquence de les déstructurer. Ils implosèrent et ce fut tout.
Sur Aruspus, le Langevin atterrit, non en se fracassant, mais en cassant du bois, labourant durement le sol, ses niveaux inférieurs subissant toute la violence de l’impact du crash. Sur la passerelle, le silence s’abattit comme une chape de plomb. Y avait-il encore des survivants dans le centre de commandement?
***************
A Paris, la capitale se préparait à fêter dignement le 14-Juillet. Cependant, ce n’était somme toute pas cet événement, assez banal, qui faisait la une des quotidiens. Les journaux, toutes tendances politiques confondues, titraient sur la mystérieuse et inquiétante épidémie qui se répandait inexorablement sur le sol français, gagnant les coins les plus reculés et les plus isolés du territoire!
La mort de l’Alphaego était responsable de la contagion. En explosant, la créature avait projeté sa lymphe et ses cellules sur une partie du public qui, ainsi, avait été contaminée. Les autorités sanitaires comptabilisaient déjà une centaine de Versaillais victimes de mutations incompréhensibles et se refusaient à divulguer le nombre de décès. La majorité des infectés ne survivait pas en effet à l’abominable bouleversement de leur organisme. Les cadavres s’accumulaient, revêtant un aspect extrêmement repoussant. Les corps présentaient des surgeons hideux qui n’étaient autre que des tentacules anarchiques et des plaques de peau blanchâtres, photosensibles à la lumière.
Un spécimen, qui, autrefois, avait été un trompettiste du cirque Medra, fut expédié, conservé dans du formol, à la Faculté de médecine de Paris afin d’être étudié et disséqué.
Plus grave encore: une trentaine d’individus mutants avaient supporté la terrible mutation et s’étaient évanouis subitement dans la nature! En fait, les nouveaux monstres se mouvaient désormais dans un autre plan dimensionnel. Affamés, ils partaient en chasse, entraînant l’accélération de l’épidémie!
Dans la cuisine de madame Gronet, ce matin-là, le commandant Wu parcourait la presse avec une attention fébrile. A peine remis de ses blessures, il ne pouvait encore songer à quitter ce temps dévié, des scrupules l’obligeant aussi à mettre la main sur Pamela. Il lui fallait également connaître précisément à quels points de l’histoire humaine les Asturkruks avaient agi pour s’emparer d’une Terre tombée entre leurs tentacules comme un fruit trop mûr. Winka était la Némésis de Daniel Lin dans cette chrono ligne. Notre daryl ignorait qu’une autre possibilité s’offrait à lui, du moins l’ignorait-il consciemment. Un détail venait le gratter, l’irriter, un peu telle une vieille blessure ou une trace fantôme d’un membre amputé. Y avait-il réellement plusieurs mois d’écoulés depuis la désastreuse représentation du cirque Medra? Parfois, le temps semblait courir, se bousculer, ou, au contraire, se distendre.
Mais revenons à la réalité de cette piste temporelle déviée. Non sans mal, Daniel Wu était parvenu, une fois encore, à se disculper de l’absurde accusation qui pesait sur lui. Notre voyageur avait donc passé quelques semaines en prison, ne songeant nullement à s’enfuir, craignant pour ses enfants et Violetta que Pamela agisse. Sa faiblesse provisoire le faisait enrager. Mais il devait apprendre la patience, c’était plus que vital!
Seule l’accumulation du nombre de victimes Alphaego avait permis qu’il fût relâché et placé en liberté surveillée. Daniel Lin avait eu le temps de récupérer partiellement ses facultés prodigieuses. Mais la tragédie qu’il découvrait dans la presse l’accablait.
Tout en s’informant anxieusement, le commandant Wu analysait à toute vitesse les nouvelles données. Il comprit instantanément que, sur ce 1900 dévié, dont l’actuelle harmonique avait débuté deux années auparavant par le coup d’État anticipé de Déroulède, venait de se greffer une nouvelle divergence avec l’annihilation de l’Aruspussien.
Daniel Lin soupira. Lui appartenait-il d’essayer de mettre un terme à l’épidémie? Certes, en tant que xéno biologiste, il pouvait résoudre ce problème! Mais voilà! Le chrono vision avait montré que cette ligne temporelle était condamnée, quoi qu’il fît. Devait-il cependant refuser d’étudier la question et se transformer en saint Bernard de la Galaxie?
Notre génie devait sérier les priorités, faire des choix, mûrir, lui qui, jamais, n’avait connu de véritables difficultés dans sa vie. Or, sa conscience, et ce n’était pas la première fois!, le tourmentait. Condamner toute une planète, intervenir, laisser faire, décider. Quel problème!
- Bon sang! Se fustigeait-il intérieurement. Je suis maudit comme Prométhée! Chacun de mes déplacements au sein du Pan multivers déclenche inévitablement des harmoniques non désirées et des catastrophes pour les êtres vivants! Ah! Je possède bel et bien la boîte de Pandore! S’il ne tenait qu’à moi, j’éviterais que toute intelligence utilise le translateur! Je ferais en sorte que nul ne pût se déplacer dans le temps et sur les multiples chrono lignes!
Décidément! Seul cet ineffable Zorglub est plus gaffeur que toi! Voilà ce que me dirait avec raison ma chère Violetta si elle osait. Mais elle me porte une affection telle qu’elle ne me reproche rien! En attendant, je dois résoudre un sacré dilemme.
Laisser cette histoire sans espoir s’écouler jusqu’à son terme avec cet appendice surajouté, par ma faute indirectement, même si elle ne me plaît pas, donc appliquer la directive première de l’Alliance, et m’en laver les mains! Voilà ce que m’ordonnerait l’amiral Prentiss et Venge l’imiterait. Ah! La lettre de la directive! La Bible, le Coran de l’Alliance! Belle couverture morale!
Pour moi, cela revient à fuir ses responsabilités! Agir, ou plutôt ne pas agir, c’est se déshonorer!
Coupable, vous l’êtes assurément, poursuivrait le même Prentiss. Mais, pour une fois, réfléchissez objectivement, logiquement, ignorez vos émotions, commandant Wu. Sans votre poursuite insensée à la recherche de l’agent double Winka, jamais ce 1900 n’aurait vu le jour! Alors, pourquoi ces scrupules?
Peut-être avez-vous raison, répondrais-je. Ce monde, je ne l’ai pas créé, mais, pour moi, il est bien réel, bien tangible. Les créatures qui y vivent pensent, souffrent, meurent. Ce temps conduit à une guerre européenne en 1905...
La belle affaire! Éclaterait alors Prentiss. N’oubliez pas le premier conflit mondial, commandant!
Ah! Mais une seconde guerre plus effroyable encore suivrait, et ce, dès 1916! Or, pendant toutes ces atroces années, les mutants se multiplieraient, deviendraient légions, multitudes! Cela, je ne le veux pas! Dans la seconde moitié de ce XXe siècle, les nations affaiblies et exsangues seraient impuissantes pour lutter efficacement contre le fléau du virus Alphaego!
Daniel Lin Wu, cessez de vous torturer! Vous êtes agaçant!
- Laissez-moi achever, m’obstinerais-je. En 2037, toujours sur cette piste temporelle, la disparition du genre Homo sera définitive! Je ne puis accepter cette horreur! Le triomphe des Asturkruks assuré dans ce monde non désiré, c’en est trop! Je me suis pris d’une affection sans bornes pour mes frères humains… Cryogénisez-moi pour cet exploit! Ressentir de l’amour pour des créatures si faibles et si imparfaites, cela vous étonne de la part d’un daryl androïde, du Génie de la Galaxie! Oui, j’ai progressé jusque-là!
Pourtant, cet Univers n’est qu’un minuscule fragment de la Réalité, du Tout! Et vous n’êtes pas Dieu! Non! Amiral, je ne le suis pas! Les possibilités infinies dans le Pan multi monde… chantent à mes oreilles, font vibrer quelque chose en moi…
Dois-je donc renoncer? Accepter l’inéluctable? Apprendre à faire des sacrifices? A supporter la perte d’êtres chers? La… mort? L’entropie? Ou plus précisément l’Entropie?
La lassitude m’accable…. Irina! Que n’ai-je en cette seconde tes bras pour m’y réfugier et ne plus penser à mes responsabilités?
Quant à Pamela Johnson, le chrono vision refuse obstinément de la capter, de la suivre… Bizarre! Suis-je sot? Évidemment! Elle n’appartient pas à la physique « normale »! Pourtant, il me faut savoir précisément ce qu’elle complote. Vais-je me résoudre à débrider mes facultés transdimensionnelles? Je ne puis décemment errer dans toutes les trames du Multivers! Pas me dérober encore! Winka incarne, je ne puis me le dissimuler le danger ultime, l’Entropie de ce Monde…
Une autre épine vient chatouiller mon épiderme si sensible. Marie André Delcourt! Pour faire bonne mesure, ajoutons-y Aure-Elise Gronet. A cause de mes inconséquences, l’avenir qui les attend tous deux ici, est pitoyable. Je ne vais pas les abandonner dans cet univers condamné… Je puis au moins cela. Ils en savent trop sur mon compte. Si, de plus, j’ai bien interprété les différentes séquences du chrono vision les concernant, le jeune avocat et sa future épouse ont leur place dans mon XXVIe siècle…
Quant à Madame Gronet… l’histoire n’a conservé nulle trace d’elle. M’encombrer de sa personne serait plus que charitable! Mais… mais j’en ai plus qu’assez de me transformer en terre-neuve! Suis-je odieux? Lâche? Ne me trouvé-je pas un prétexte en m’appuyant sur le chrono vision pour ne pas l’emmener sur la navette?
Ah! Comme en cet instant je comprends Franz et son immense lassitude! Si Adeline était un être éminemment sympathique, bien sûr… Où serait la BA dirait un scout si les choses étaient aussi simples? Où serait l’effort? Une fois encore, je me dérobe…
Des clameurs vinrent interrompre ce douloureux examen de conscience d’un être bridé qui en avait conscience cruellement. Des messieurs très comme il faut, des bourgeois, se promenant rue Beaubourg, portant canotier et costume de serge, s’indignaient à haute voix.
-Quelle honte, vraiment! S’exclamait un paisible retraité muni de lorgnons et d’une barbiche en éventail.
- Exactement, monsieur Versaint, renchérissait un rentier. J’en rougis!
Une marchande des quatre saisons se cachait le visage tout en soupirant.
- Comment peut-on tolérer une telle impudence? Ajoutait un professeur de lycée. N’y a-t-il aucun sergent de ville pour faire cesser ce scandale?
Sur le trottoir opposé, un jeune milicien, les yeux exorbités, sifflait, ne pouvant s’empêcher de témoigner de l’admiration à la vue des mollets bien galbés de la jeune fille impudique qui avait eu l’outrecuidance de se balader à onze heures du matin, en pleine ville, en simple pantalon de coton blanc de dessous et en cache-corset de la même couleur!
Des petits pas précipités, une respiration haletante, et, Violetta fit son entrée dans la cuisine, en coup de vent, accueillie par les aboiements joyeux de Bing.
- Oncle Daniel, veux-tu m’expliquer? Hacha-t-elle.
Essoufflée, l’adolescente s’affala sur le premier tabouret venu, s’éventant bruyamment, victime visiblement d’un coup de chaleur.
- Ma grande, fit Daniel Lin, pourquoi es-tu sortie en pareille tenue?
Avec un sourire quelque peu amusé, le commandant Wu détailla la jeune fille qui présentait, innocemment, un spectacle réjouissant. Imaginez-vous, en effet, une jolie brunette, au corps souple de gymnaste, coiffée d’une capeline gigantesque, un cache-corset en lin dissimulant une poitrine bien formée, un pantalon de coton moulant des fesses et des cuisses arrondies, des bas de soie couleur chair galbant des jambes parfaites et des bottines emprisonnant des pieds insolemment mutins! Vous aurez alors un timide aperçu de l’effet produit! Pour rajouter à ce tableau, le cache-corset bâillait quelque peu, révélant une poitrine de femme de taille 85. Cependant, Violetta avait toutefois pris garde à passer un soutien-gorge, mais il était taillé dans un tissu si fin, si arachnéen, qui imitait si bien la chair, qu’on pouvait croire qu’elle n’avait rien en dessous!
- Oncle Daniel, s’offusqua la quart de métamorphe, pourquoi ris-tu? Je suis décente, ce me semble! On ne voit que mes bras nus!
- Ma chère enfant, tu représentes un morceau de choix pour les libidineux bourgeois frustrés de cette époque.
- Ah! Mais… dehors, il fait 32°C, et il n’y a pas un souffle d’air! Rétorqua l’adolescente. Je n’allais pas enfiler en plus un jupon, une jupe, une sur jupe et j’en oublie! Les gens réagissent comme si j’avais commis un crime de lèse pudeur!
- Presque, ma fille! Tu es un peu jeune et naïve pour comprendre. Il y a que tu titilles les hormones de mâles, que tu excites leur désir…
- Bah! N’exagères-tu pas un peu?
- Non, pas du tout. Tu ignores ton pouvoir. Tu sais, nous sommes à une époque très pudibonde où dévoiler une cheville met en pâmoison le sexe masculin…
- Ah oui? Tous, ils m’ont plutôt l’air d’affreux hypocrites! Je ne suis pas nue que je sache!
- Non, Violetta, effectivement, mais c’est pis… Va changer de tenue avant que Madame Gronet ne te voie. Ma chère patronne ne s’en relèverait pas, surtout après mon séjour en prison…
- Oui… Euh… Pourquoi est-ce que j’attire les hommes?
- Simple question de chimie corporelle. C’est normal, naturel. La prochaine fois, passe donc une robe et donne-toi une apparence moins baby doll ou lolita!
- Entendu. A propos, oncle Daniel, dans la rue, j’ai vu des chiens; il y en avait beaucoup de la race de Bing. J’ai aussi compté pas mal de dogues, de bouledogues français ainsi que des braques. Par contre, il n’y avait aucun Yorkshire, aucun Westie, aucun griffon. Marie s’exclamerait: les chiens, ici, ne sont pas les mêmes!
- Dépêche-toi donc au lieu de bavasser! Tu dois me terminer tes exercices de langue naorienne.
- A tes ordres, commandant! Répondit Violetta malicieusement en claquant des talons et en saluant militairement.
- Ma nièce, pour répondre à ta question non formulée, Antor t’aime bien… Il t’apprécie…
- C’est tout?
- Pour l’instant… Toutefois, il n’est pas hostile à ton projet…
- Il te l’a dit?
- Il me l’a fait comprendre…
- Merci, oncle Daniel. Je t’adore!
Vivement, l’adolescente gagna le deuxième étage, le cœur battant la chamade. Si elle regagnait son siècle, elle pourrait envisager un avenir à deux avec l’ambassadeur. Elle était aux anges!
***************
Sur le triste et sordide bagne de Penkloss, les torchères avaient été éteintes. Une semaine s’était écoulée depuis que l’humain Maximien avait courageusement affronté en combat singulier le dinosauroïde Troodon Kaalk. Contre toute attente, le Romain avait vaincu son monstrueux adversaire, non pas grâce à sa force physique, mais en ayant recours à la ruse et à l’intelligence. Désormais, malgré l’obstacle de la langue, mais Maximien apprenait vite, toute la chiourme le considérait comme son chef. Saktar, qui servait de bras droit au Romain, avait donné le feu vert pour la révolte projetée. Le caninoïde Delmn et les deux Haäns, avec l’aide de fausses clés électroniques, ainsi qu’au moyen d’empreintes palmaires contrefaites, étaient parvenus à forcer la réserve d’armements et d’outils de forage. Ainsi, les sabres laser, les fusils disrupteurs, les brassards mitrailleurs, les fouets d’énergie, sans oublier les puissantes armures foreuses, avaient été dissimulées avec dextérité au milieu des machines outils et des nombreux déchets des veines de charpakium et des gravats de toutes sortes.
Les premiers pillages se déroulèrent sans problème. Par la suite, il n’en fut pas de même. Deux gardes Asturkruks zélés commencèrent leur ronde avec quelques minutes d’avance. Ils tombèrent vite sur Kaalk et ses amis en train de faire le plein de chargeurs. Hélas, le Troodon réagit instinctivement! Tête première, il chargea tout en tirant sur un des gardes. Le sergent Asturkruk reçut de plein fouet la brûlante lumière orange qui, se frayant un chemin à travers l’armure non activée, atteignit la poitrine de l’alien et le consuma à la vitesse de l’éclair. Cependant, le deuxième garde eut le temps d’alerter ses congénères avant de brancher le bouclier champ de force incorporé à sa carapace.
Inévitablement, répondant au signal d’alerte, une dizaine de soldats Asturkruks arrivèrent dans le souterrain en ultra vitesse, leurs silhouettes à peine perceptibles à cause d’une légère distorsion de l’atmosphère.
Mais déjà, Delmn, le caninoïde, avait réussi à grimper jusqu’à une capsule sphère de forage et mettait en route ses rayons perceurs. La boule ressemblait à un hérisson lumineux dont les rais, lorsqu’ils frappaient un obstacle, le transperçaient, que celui-ci fût humanoïde, dinosauroïde ou encore, tout simplement de la roche métamorphique!
Deux soldats Asturkruks, malgré l’usage de l’hyper vitesse, furent atteints par les rayons meurtriers et chutèrent brutalement à terre, leurs armures fumantes. Alors que ses compatriotes agonisaient, se tordant de douleur, un des guerriers déphasés parvint à s’introduire dans la capsule foreuse de Delmn et, sans scrupule, utilisa, malgré l’espace fort réduit de l’habitacle, la terrible tactique formica, afin d’en finir avec le caninoïde. Or, le faible volume disponible se prêtait fort mal à ce type de combat! Il résulta de ce duel que la capsule elle-même fut atteinte par les effets quantiques, les « fractales » de ladite tactique formica. La sphère subit une déstructuration logique de son continuum espace-temps, rouillant et rajeunissant tout à la fois, se démontant, se fragilisant sous l’usure, à la fois objet obsolète et novateur. Bien évidemment la matière qui composait la sphère ne pouvait supporter de telles variations internes. Inéluctablement, la bulle se désagrégea, entraînant dans son funeste sort, dans une sorte de choc en retour fort prévisible, Delmn. Toutefois, de son côté, grâce à son armure activée, l’Asturkruk put éviter la distorsion totale et se réassembla quelques mètres plus loin, sans dommage, toujours aussi insensible.
Pendant ce temps, d’autres rebelles avaient succombé alors que de nouveaux renforts venaient secourir le premier détachement. Certains bagnards étaient victimes de la tactique Anomalocaris Enserrés par les appendices serpentins jetés par les armures, les malheureux finissaient par éclater, leur squelette jaillissant hors de leur enveloppe de chair avec une brutalité et une soudaineté inouïes, les os portant des traces sanguinolentes et lymphatiques.
Dans l’étroit boyau enténébré, l’air puait la mort, les chairs grillées et les armures surchauffées.
Le bras droit du baron Haän, magnifique guerrier hyper entraîné, voyait, à chaque seconde qui passait, son tableau de chasse s’enrichir d’Asturkruks tant haïs. Un rictus de rage et de satisfaction déformant son visage velu, il hachait menu, à l’aide de ses brassards mitrailleurs laser les carapaces pourtant renforcées des gardes, réussissant à passer outre les codes de sécurité des protections artificielles ailleurs efficaces des maudits calmaroïdes.
Malgré leur supériorité numérique, bientôt, les Asturkruks se retrouvèrent acculés, sur la défensive, optant pour la tactique Archelon. Désormais, les rebelles pouvaient progresser, ayant à leur disposition tout l’arsenal du bagne.
Par milliers, les prisonniers brisaient leurs chaînes, venant ainsi renforcer les chefs de la révolte. Quant à Maximien, muni d’un sabre laser, sous l’empire de la fureur guerrière, il attaquait et se battait, transfiguré, par la bataille, ressemblant à un Titan.
Lentement, pas à pas, les Asturkruks reculaient à l’extérieur de la mine, se résolvant à isoler une salle à peine distante de quarante mètres de la surface glacée. Le plus haut gradé survivant leva un champ de protection magnétique que les insurgés ne purent ni franchir ni briser. Ainsi isolés, les rebelles hurlèrent de rage et de frustration puis évacuèrent leur colère sur les machines.
Le combat qui n’avait duré que deux minutes, pas plus, se soldait par une centaine de victimes du côté des Asturkruks et six cent vingt-et-un morts pour les insurgés.
Le colonel qui commandait le bagne, Greuler, communiqua par ondes subspatiales avec ses supérieurs et obtint des renforts. Il fallait mater la révolte au plus vite! Or, l’Archontat devait amener dans le système des bios blindés scarabées semi conscients et autonomes, capables seuls de venir à bout des armes les plus sophistiquées de l’Empire. Des canons plasmatiques et REM étaient également attendus. Les bios blindés alliaient la nanotechnologie à la biologie la plus sophistiquée. C’étaient des sortes de scarabées taupes, des taupes grillons intelligentes plutôt que des robots. On pouvait parler dans leur cas de quasi daryl
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En ce début d’après-midi d’été, Madame Gronet, tout endimanchée, conduisait ses hôtes et ses serviteurs dans les beaux quartiers de la capitale avant de leur faire visiter l’Exposition universelle.
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Il lui tardait de voir et d’admirer le Grand Palais et le Petit Palais, le palais de l’électricité,
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la Grande roue, et, surtout, les bâtiments vantant l’Empire français à travers le monde. Monsieur Raoul, lui, souhaitait voir le pavillon de l’Allemagne. En effet, on lui avait dit du bien de l’extraordinaire technologie teutonne. Il lui tardait donc de contempler les imposantes machines-outils, les presses d’une puissance formidable et les moteurs Diesel améliorés.
Le petit groupe s’achemina lentement vers le bâtiment germanique qui alliait, non sans une certaine audace, le fer, la fonte, au ciment. Adeline s’exclama naïvement:
- Tiens! Des miliciens qui nous barrent le passage et qui chantent, ma foi, fort bien, un air patriotique!
Effectivement, coiffés du béret de chasseur alpin, les lourds godillots parfaitement lacés et cirés, l’uniforme impeccable, deux cents jeunes gens, se tenant par la main, entonnaient d’un air martial, le célèbre « En passant par la Lorraine avec mes sabots ». Puis, ce fut « le Régiment de Sambre et Meuse » qui suivit.
« Le régiment de Sambre et Meuse
Marchait toujours au cri de Liberté
Cherchant la route glorieuse
Qui l’a conduit à l’immortalité! ».
Imperturbable et affable, Monsieur Raoul s’avança.
- Excusez-moi, jeune homme, dit-il en s’adressant à celui qui paraissait commander la troupe, pouvons-nous passer?
- Monsieur, répondit alors outré le milicien, qui arborait fièrement quelques décorations de fantaisie, tenez-vous tant que cela à visiter ce qui est manifestement la honte de l’Europe? Ne vous souvenez-vous donc plus de ce que l’Allemagne nous a fait subir en 70?
- Hé bien jeune homme, si vous voulez le savoir, je l’ai vécu! Mais cela ne m’empêchera point de m’assurer de la supériorité technique de nos belliqueux voisins! Car ce n’est pas en criant « au loup » qu’on vainc l’ennemi! C’est au contraire en s’armant et en se montrant plus efficace et plus déterminé que lui! Le Kaiser Guillaume rirait de vos rodomontades à la noix!
Le milicien blêmit sous l’affront qu’il sentait justifié confusément.
- Un traître! Un traître ici! Un admirateur de ces barbares!
- Holà, mon ami! On se calme! Poursuivit Raoul. Vous ignorez à qui vous parlez. J’ai fait Baume la Rolande où j’y ai reçu une noble blessure qui marque encore ma chair. J’ai même été cité à l’ordre de mon régiment et, mes vingt ans, je les ai passés dans un sanatorium!
Nullement convaincu par le récit de Monsieur Raoul, le milicien allait ajouter une méchanceté, mais il croisa alors le regard froid, sidérant du commandant Wu. Aussitôt, sa colère retombant comme un soufflet, il changea d’attitude. Devenu soudain fort aimable et souriant, il ouvrit le passage, permettant à Madame Gronet et à ses hôtes de pénétrer dans le pavillon. Quelques curieux et badauds profitèrent également de l’aubaine.
Un peu plus tard, toujours mené par Monsieur Raoul, le petit groupe visita l’immense pavillon colonial. Adeline oscillait entre l’admiration, la répulsion et le frisson. L’Afrique ne l’étonna point, l’Annam non plus, mais elle s’arrêta, stupéfaite, devant la reconstitution d’un village canaque de Nouvelle-Calédonie. Les huttes avaient été construites à l’authentique, et pour cause! Une quinzaine d’autochtones vivaient dans ce village, comme s’ils se trouvaient réellement sur leur île.
Pour l’heure, les femmes préparaient la tambouille. Sur l’un des toits d’une masure mêlant le bois, le bambou ou le raphia, une pancarte litigieuse informait les visiteurs. Elle portait l’inscription: « authentique village cannibale de Canaky. Ne pas approcher. Danger ».
Lisant cette pancarte, Madame Gronet recula, une frayeur subite inscrite sur son visage. Elle se heurta alors à Violetta qui, elle, afficha sa colère.
- C’est une honte! S’écria l’adolescente ulcérée. Ce panneau insultant et dégradant les fait passer pour des sauvages mangeurs d’hommes! Alors qu’ils ne pratiquent, comme bien d’autres, qu’un rite cultuel!
Une dame très comme il faut, son chapeau épinglé gracieusement sur la tête, vint se mêler à la conversation.
- Ah! Mon Dieu! Que ces êtres sont laids et repoussants! Ils ne sont que des créatures intermédiaires entre l’homme et le singe! Heureusement que nous n’avons rien de commun avec elles!
- Oui, renchérit son mari, un bourgeois satisfait et ventru. Nous avons là, offerts à la vue de tous, des hommes singes! Leur face prognathe démontre justement et parfaitement combien ils se complaisent à manger de la chair humaine! Leur allure bestiale ne ment pas. Comme toutes les races nègres, évidemment, ils sont anthropophages. Je me demande si, d’ailleurs, ils possèdent un langage!
- hélas, Marcel, mon ami, pourquoi devons-nous apporter la civilisation à de telles créatures placées si bas aux yeux de Dieu?
- « Le fardeau de l’homme blanc », ma douce…
- Ce n’est pas possible, frémit Violetta. Je rêve! Ces gens n’ont aucune instruction ou quoi? Tout le monde sait pourtant que le cannibalisme n’est pas propre à une culture particulière! Et la couleur de la peau n’a rien à voir là-dedans. Ainsi, les Celtes, par exemple, après avoir exécuté rituellement leur victime, s’en partageaient la dépouille qu’ils consommaient lors d’un banquet auquel toute la tribu participait. Hé oui, Marie, il n’y avait pas de sanglier à table!
La dame d’un âge certain, chapeautée, gantée et parfumée comme l’exigeait la bienséance poussa un « oh » d’indignation en entendant les propos de la jeune métamorphe, puis, reprenant ses esprits, proféra.
- Pour qui se prend cette jeune demoiselle? Je la trouve bien impertinente! Ne va-t-elle pas bientôt déclarer que nos ancêtres les Gaulois doivent être placés sur le même barreau de l’échelle de l’évolution que ces négroïdes bestiaux?
- Chère Madame, fit alors Daniel Wu, espiègle, avec un sourire engageant, les Anasazi ont disparu parce qu’ils pratiquaient par trop le cannibalisme! Pourtant, aux dires des ethnologues, il s’agissait d’Amérindien fort sage et fort savant. Mais le problème n’est pas là, bien sûr. Tiens, une inspiration me vient… Si je vous faisais ressembler à vos ancêtres les plus lointains, que diriez-vous? Apprécieriez-vous ce petit tour de magie? J’ai envie de m’amuser… Il va de soi que je n’envisage de vous transformer qu’à l’image de vos ancêtres directs et non pas y incorporer tous les embranchements du genre Homo! Ah! C’est terminé. Courez donc vite vous admirer dans ce miroir!
Suggestionnée par le daryl androïde, la bourgeoise ou la victime, au choix, obéit et se pressa d’aller se contempler devant une glace qui se trouvait à proximité. Naturellement, elle ne se reconnut pas, s’effrayant de son nouvel aspect. Elle poussa un cri de terreur pure tout en se cachant le visage.
- Sainte Mère de Dieu! Jésus! Que m’avez-vous fait, démon? Vous ne m’avez pourtant pas touchée! Quel Est-ce sortilège? Rendez-moi mon visage d’autrefois!
- Ma chérie, tenta de temporiser Marcel, ne comprenant manifestement pas pourquoi son épouse s’affolait et devenait hystérique. Pourquoi cette frayeur? Tu es comme d’habitude, tu te ressembles!
- Mais, Marcel, lui objecta sa femme, en sanglotant de plus belle, tu ne t’aperçois donc de rien? Je suis devenue noire! J’ai la peau aussi noire que du charbon et mes cheveux sont tout crépus!
- Mais non, ma tendre moitié! Tu n’as pas changé, je te l’assure! Tu t’imagines être métamorphosée en Africaine ou en Canaque, voilà tout!
- Je te dis que je suis devenue une horrible et repoussante «négresse »!
- Allons, tout cela c’est dans ta tête! Cela va te passer. Calme-toi un peu, ma chérie; tu te donnes en spectacle et tu nous fais remarquer!
Abandonnant là le couple, Daniel Wu entraîna Adeline Gronet un peu plus loin. La logeuse réclama, à juste titre, des explications.
- Qu’a-t-il pris à cette pauvre dame? Elle paraissait bouleversée! Que lui avez-vous donc fait croire, monsieur Wu?
- Rien de méchant de ma part, une simple farce… Cela ne durera pas… je lui ai suggérée qu’elle ressemblait à son ancêtre, l’Ève mitochondriale!
- Ah! Dans ce cas, pourquoi ce tapage? Je ne saisis pas…
- Oh, d’après une théorie controversée et obsolète qui aura cours à la fin de ce siècle, vers les années 1990, la première Ève aurait été noire, voilà!
- Daniel, vous jouez cruellement avec les certitudes des gens bien pensants! Vous vous croyez fort, supérieur et…
- Je le reconnais… Mais, stop! Ne m’accablez pas! En fait, la fatuité et la bêtise m’agacent prodigieusement.
- Parce que vous, vous n’êtes pas fat? Vous jouez de vos connaissances pour humilier des personnes moins bien pourvues de dons que vous…
- Euh, je voulais tout simplement remettre les choses en perspectives, Adeline. Or, c’est vous qui me donnez une leçon, méritée, je l’avoue…
Violetta, constatant l’embarras de son oncle, vint l’aider en rajoutant son grain de sel.
- Ce que Daniel n’ose dire, c’est que tout n’est qu’une question de degré et de culture! Votre siècle croit en la suprématie de la « race » blanche parce que la civilisation occidentale a opté pour la technologie… Mais d’autres chemins empruntés auraient été tout aussi honorables. Et si on doit accepter le terme « race », il n’y a sur Terre aucune « race » pure, hormis celle des Pygmées Aka! Ainsi, si dans nos contrées, je suis en partie italienne, l’homme a, peu à peu, vu sa pigmentation s’éclaircir, c’était pour mieux s’adapter au climat, entre autres… Je vous passe les détails car ma démonstration pourrait durer de longues minutes… Jusqu’à mon XXVIe siècle, huit théories différentes se sont amalgamées pour aboutir à une explication qui tienne la route.
- Aure-Elise m’a dit que vous étiez originaires de l’an 2517.
- Tout à fait, soupira Daniel Lin, mais ne l’ébruitez pas!
- Tu permets que je reprenne, oncle Daniel? Vous savez, Madame Gronet, la preuve absolue qu’il n’y a pas de « races » différentes, c’est que vous pouvez recevoir une transfusion sanguine aussi bien d’une Masaï, d’une Bantoue que d’une Tibétaine!
- A condition d’avoir le même groupe et le même rhésus, Violetta!
- J’oubliais ce détail. Bref, pour en revenir à ces peuples que vous jugez si mal, tenez, les Aborigènes d’Australie, par exemple…
- Ah! Qu’ont-ils donc de remarquable?
- Ils descendent d’un Homo Erectus, de l’Homme de Solo qui s’est métissé avec des Sapiens d’Asie! Et ce métissage a fonctionné.
- Ce que Violetta veut dire, c’est que tous les hommes modernes sont en fait des « Pithécanthropes » mutants.
- Soit! Éclairez-moi sur un autre point, moins scientifique. Qui sont exactement les parents de Violetta?
- Ma mère, répondit l’adolescente, est mi-italienne, mi-métamorphe…
- Jamais entendu parler de cette nationalité!
- Tout à fait normal en 1900. Mais je préfère ne pas insister. Quant à mon père, il est Canadien…
- Mais ce nom, Sitruk, ça sonne juif!
- Oui, et alors? S’exclama Daniel. Lorenza di Fabbrini est catholique!
- J’ai opté pour la religion de ma mère et mon frère a chois celle de père, na!
- Madame Gronet, dois-je vous rappeler qu’un individu ne se juge ni par son appartenance à une nation ni à une religion, mais par ses actes et son cœur?
- Ah! Là, c’est vous qui me donnez la leçon! Après tout, j’ai bien des ancêtres protestants!
- Hé bien, sourit le commandant Wu, vous progressez Adeline!
A une dizaine de mètres du petit groupe, tapie dans un interstice d’espace-temps déphasé, l’ex-lieutenant Johnson ne perdait rien des propos tenus. Dans son for intérieur, elle fulminait.
- Non seulement Daniel Wu le prend de haut et se moque de tout le monde, humiliant tout un chacun, assénant des leçons de morale, mais en plus, son exaspérante nièce en rajoute! Vanter l’usurpateur Sapiens d’Afrique qui détruisit la race K’Toue! Tous deux ne vont pas tarder à payer de m’avoir échappé. J’ai pris garde à dresser un bouclier mental renforcé ce qui m’a permis de ne pas être détectée par ce bâtard, ce couard d’androïde! A propos, où se trouve donc son rejeton? Je ne parviens pas à le localiser. Je rage de ce contretemps!
Pamela avait raison de pester ainsi. Sur ses gardes, le commandant Wu avait pris la précaution de laisser Mathieu à bord de la navette Einstein qui orbitait à cent cinquante mille kilomètres de la Terre au sein d’une légère distorsion temporelle. Le garçonnet, sous la protection de codes de sécurité de niveau 1200, était à l’abri des coups fourrés de Winka. L’enfant avait à sa charge Ufo et Bing, au grand soulagement d’Adeline.
Daniel Lin avait cependant gardé Marie auprès de lui, non par caprice. Il savait pertinemment que jamais Pamela Johnson ne s’attaquerait à sa petite fille. A ses yeux, l’enfant ne comptait pas, n’ayant pas hérité de toutes les facultés prodigieuses de son père. Or, à cause de cela, Marie n’en était que plus chère à Daniel. Pamela ignorait ce détail… heureusement!
***************
Le soir venu, la petite troupe avait pu visiter les pavillons italien, britannique, américain, russe, japonais, mexicain, ottoman et argentin, le Grand Palais avec sa verrière et ses sculptures d’art pompier officiel, et, bien entendu, le pavillon célébrant l’électricité. Ce dernier émerveilla Aure-Elise et Madame Gronet qui se disaient que le XX e siècle qui s’amorçait n’allait apporter que des miracles à l’espèce humaine et améliorer la vie de chacun. Marie André se montrait plus sceptique et discutait avec monsieur Raoul.
- Je ne sais pas pourquoi ces dames espèrent tant en l’avenir! L’histoire, pourtant, nous apprend qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’âge d’or. Observez le contexte international actuel. Il me fait douter. Voyez ce qui se passe en Chine ou en Afrique australe. Les Boxers, les Boers… Le président Kruger s’est rendu à Paris afin d’implorer le secours de l’Europe.
- Oui, hélas! Cela ne va pas arranger nos relations déjà tendues avec la Grande-Bretagne. Rappelez-vous Fachoda. Nous avons alors frôlé la guerre d’un cheveu. Bon sang! Je vais croire que celle-ci est le propre de l’homme! Et notre premier ministre qui n’est que rodomontades nationalistes! Se rend-il compte que la guerre peut détruire la civilisation?
- Prudence, Monsieur Raoul. Je connais votre pacifisme et je le partage. Mais méfiez-vous de notre hôtesse!
L’heure avançait. Monsieur Raoul prit l’initiative d’entraîner le petit monde de Madame Gronet vers la Tour Eiffel toute illuminée. La féerie incroyable de ce spectacle encore neuf pour beaucoup déclencha des « oh » d’émerveillement sincère de l’assistance. Naturellement, Adeline et son équipage empruntèrent l’ascenseur pour se rendre jusqu’au troisième étage. On ne se bousculait pas à ce niveau car la Tour passait pour démodée. Les touristes préféraient s’extasier d’en bas devant l’illumination électrique.
A plus de deux cent quatre-vingt mètres d’altitude, Violetta jouait la blasée. Marie, elle, dans son innocence, ne dissimulait pas sa joie.
- Pourquoi n’as-tu pas l’air contente, cousine Violetta? Moi, je trouve qu’ils étaient forts pour l’époque, qu’ils se défendaient techniquement!
- Euh, je suis déjà venue ici, moi! J’étais plus jeune que toi! En face, en bas, au lieu de l’horrible pâtisserie du Trocadéro, il y avait le palais de Chaillot et le Musée de l’Homme! Je m’en souviens parfaitement bien que cet événement eût lieu durant ma vie parallèle!
- Ah! S’exclama Adeline qui avait écouté les propos fantasques de l’adolescente mais qui ne s’en étonnait plus guère. Comme c’est magnifique, vraiment! Paris est bien la plus belle ville du monde! Et j’ai la chance d’y habiter! On ne s’en rend pas compte de là-haut! Vous qui avez beaucoup voyagé, Daniel Wu, ne pensez-vous pas que j’ai raison?
- Cela dépend de quel Paris il s’agit, fit le commandant d’un ton qui se voulait apaisant et diplomate. Un Paris assaini, où la Seine ne charrie pas des immondices, d’accord! Mais, là, sentez donc ces effluves nauséabonds remontant des eaux profondes du fleuve!
- Monsieur Wu, décidément, vous êtes déstabilisant! Tout authentique Parisien est habitué à ces senteurs fortes! N’auriez-vous pas le nez trop délicat?
- Adeline, apprenez que ma mère était française, parisienne même! Alors! Cependant, je ne suis pas chauvin. Je connais un autre Paris, plus propre et tout aussi beau, croyez-moi. Mais je m’identifie avant tout comme un fils des étoiles et ce qui m’importe c’est le contact avec les autres, les esprits différents, les cultures étrangères. Dans un certain sens, vous êtes pour moi un sujet exotique fort riche d’enseignements…
- Vous me qualifiez d’objet d’étude, ai-je bien compris? S’offusqua Adeline. Dieu du ciel! Vous faites preuve de goujaterie! Voilà Monsieur Wu!
- Pardonnez-moi, mais c’est tout à fait involontaire de ma part si je vous ai vexée… Mettez-vous à ma place une seconde si vous voulez saisir pourquoi je commets autant d’impairs… Supposez que vous vous trouviez vers 1300... Dans le Paris du roi Philippe le Bel… Comment réagiriez-vous?
Après une minute de silence et de réflexion, Madame Gronet jeta tout de go:
- Je l’ignore!
- En ce temps relativement éloigné de votre époque, les rues étaient étroites, sales, et, la plupart non pavées. L’obscurité y régnait la nuit ainsi que les malandrins. Les animaux erraient en liberté dans la ville. Les églises seules permettaient de distinguer les différents quartiers et il y avait des couvents et des monastères en quantité. Peu de constructions en pierre. Mais, le plus intéressant, c’étaient les gens! Craintifs, joyeux, violents, expansifs, couverts de parasites, atteints d’affreuses maladies, frustes, déroutants, mais… si attachants, je l’avoue, si… enrichissants!
- Vous en parlez comme si vous les aviez côtoyés… Est-ce le cas?
- Pas tout à fait. Mais j’ai effectué plusieurs voyages au XIIIe siècle. A quelques détails près, c’était presque pareil.
Une demi-heure plus tard, tout le petit groupe s’était engouffré dans les escaliers du métropolitain tout neuf et avait emprunté la ligne Porte Maillot, Porte de Vincennes afin de regagner la pension de familles proche des Halles. Les wagons en bois, sans pneu, le personnel efficace enchantèrent les enfants. Ils avaient devant les yeux une antiquité roulante. Adeline s’était contentée de prendre des billets de seconde classe jugeant les dépenses de la journée plus que suffisantes!
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Violetta ne put s’empêcher de soupirer.
- Je vais finir par le connaître par cœur ce métro et à toutes les époques! Celui du XXVIe siècle, aseptisé… Une sorte de magnéto porteur reliant Paris à Séoul en deux heures avec quelques rares arrêts à Rome, à Calcutta et à Shanghai… Celui de 1995, dégradé, tagué, puant parfois l’urine et… dangereux à cause de l’insécurité engendrée par la délinquance… Celui de 1990 qui le valait pratiquement… Celui de 1968 ou de 1966, encore correct, avec beaucoup de personnels, des poinçonneurs, des contrôleurs, avant que l’ultralibéralisme supprime tous ces emplois inutiles… Et celui-ci, l’Ancêtre! Pardonnez-moi, Madame Gronet mais je croyais que les premières classes existaient déjà! Je serais plus confortablement assise sur des sièges plus rembourrés. Vous aussi, non?
- Mademoiselle Violetta, émit Adeline sentencieusement, l’air pincé, ne connaissez-vous pas cette vertu cardinale qui a pour nom l’économie?
- Pas réellement! Mais je suis tout à fait excusable car, d’où je viens, plus personne ne se préoccupe de ce détail! L’argent n’a plus cours, tout simplement!
- Et comment paie-t-on le travail ou le service rendu?
- Tout le monde a plus que le nécessaire pour vivre… Le profit ne motive plus les gens, du moins le profit matériel… Sur notre planète, il n’y a plus d’économie capitaliste, mais chez les Otnikaï, par contre! Ou encore chez les trafiquants de tous bords et de toutes espèces…
- Plus de mendiants, ni de voleurs, ni d’assassins? Impossible, mon enfant!
- Oh! Il existe bien quelques réprouvés, des asociaux notoires, mais un petit séjour sur les planètes en terra formation et ces personnes reviennent à la raison et acceptent le système! A ce prix, nous avons trouvé la société idéale, basée sur le partage équitable. Plus de guerre, plus de convoitise, plus de pauvreté, plus de pollution! Le rêve quoi!
- Utopie irréaliste, mademoiselle. La médaille doit avoir un revers que vous me taisez. Vous vous enthousiasmez pour votre monde car vous faites partie des privilégiés, voilà tout!
- Mais justement, il n’y a plus de caste privilégiée! Nous avons su dépasser nos égoïsmes et nos mesquineries.
- Daniel Wu, cette enfant dit-elle vrai?
- Au niveau de la perception générale de notre société, oui…
- Mmm… réponse de Normand, emplie d’ambiguïté.
- Effectivement, Madame Gronet et cela vous l’avez compris, cette utopie a un revers. L’absence de véritable démocratie! Une oligarchie scientifique composée également de penseurs, de philosophes et de linguistes dirige l’Alliance.
Tandis que le métro fonçait à trente kilomètres à l’heure dans le tunnel qui le conduisait à la station Palais Royal, le commandant Wu cessa brusquement de s’intéresser à la conversation. Il se renferma dans un mutisme profond, loin de son comportement habituel, à l’étonnement de ses compagnons, ressentant un malaise indéfinissable. Ses sens exacerbés identifiaient peu à peu les imperceptibles modifications d’une atmosphère devenant insensiblement étouffante et délétère. Il eut l’impression d’avoir déjà vécu une scène analogue. Haussant les épaules, il pensa « absurde! ». Pourtant, quelque chose lui disait d’agir au plus vite.
Mais comment? Où?
Alors que le train souterrain s’engouffrait dans la station et que des passagers s’apprêtaient à descendre à l’arrêt tout proche, au contraire, inexplicablement, le conducteur de la motrice accéléra, poursuivant son trajet dans le boyau! L’accélération fut telle que beaucoup furent projetés sur les sièges opposés, ou encore, chutèrent brutalement sur le plancher.
- Qui diable conduit cette rame? Demanda Monsieur Raoul avec colère. Quelle brute incapable! Je m’en vais voir ce qui se passe! Continua-t-il décidé.
Excédé, le veuf se leva, aussitôt imité par Daniel Lin. D’un pas vif et, malgré les secousses, les deux hommes se dirigèrent vers la cabine du conducteur. Par bonheur, la petite troupe de Madame Gronet s’était installée dans le wagon de tête. Ce fut l’horreur qui accueillit nos deux héros. Elle surgit violemment, sans transition, faisant basculer la réalité.
Le malheureux conducteur était réduit à l’état de momie desséchée, ressemblant quelque peu à celle de la mythique reproduction de Rascar Capac des « Sept Boules de Cristal » d’Hergé. Et l’être qui conduisait la motrice à la place de l’humain défunt présentait les traits d’Antor! Naturellement, il ne s’agissait pas de lui…
Or, dans le tunnel, le train accélérait toujours, brûlant les stations, défilant et fuyant en trombe, comme pris d’une folie infernale. Le temps subit une sorte de distorsion.
Daniel Lin Wu capta alors les pensées du faux vampire.
« J’ai encore un creux. Ce misérable en-cas ne m’a pas suffi! Magnifique! Le plat de résistance est venu jusqu’à moi! ».
La caricature hideuse se retourna soudainement avec l’évidente intention de s’attaquer aux intrus. Les babines retroussées dévoilaient des dents maculées de sang, comme dans les films hollywoodiens pour adolescents des années 1990-2000!
Le commandant Wu n’était pas le moins du monde effrayé par cette ridicule mise en scène de pacotille dont l’auteur ne pouvait être que Pamela Johnson qui, là, s’était surpassée dans le mauvais goût! Visiblement, ses pouvoirs recouvrés, Winka s’amusait. Mais il y avait eu mort d’homme!
- Qui crois-tu terroriser ainsi? Lança Daniel mentalement. Pâle imitation, tu n’es sans doute qu’une psycho simulation émise par l’homuncula!
- Peut-être ai-je plus de consistance que tu ne l’imagines!
Pourtant, la créature, dépitée par l’apostrophe de Daniel Lin changea d’apparence pour revêtir un aspect plus terrifiant si possible car plus réaliste.
Raoul, quant à lui, ne comprenait pas ce qui se passait. Il avait le sentiment d’être plongé dans un cauchemar généré par un repas trop copieux.
Maintenant, l’être protéiforme ressemblait au grand-père du commandant, le vénéré Li Wu. Mais il était devenu un vieillard repoussant, un bonze ascète desséché vivant, un adepte inconditionnel du tristement célèbre Tsampang Randong! Il suivait apparemment strictement les rites de Kukaï importés du Japon par le terrible Randong.
- Mon enfant, viens avec moi, psalmodia-t-il de sa voix chevrotante, doucereuse et envoûtante. En te confondant avec ma personne, tu accèderas au repos tant envié, à l’absence de toute souffrance, de tout sentiment, ce que tu recherches intensément depuis les origines.
- Absolument faux! Objecta le daryl androïde. J’ai repoussé depuis longtemps cette voie qui n’était pas pour moi. Ces tours de la Lune qui recommencent m’exaspèrent!
Daniel Lin eut alors un geste brusque qui ne fit pas évanouir l’apparition, bien au contraire.
Or, tout ce qui advenait n’avait débuté que depuis une dizaine de secondes tout au plus!
La dépouille du « vieux sage » entama un chant religieux en infrasons qui eut pour conséquence de briser tout ce qui était en verre à l’intérieur de la rame. Les vitres, les dessus de montre, les bésicles, les monocles et les lunettes n’y réchappèrent pas. Puis, les infrasons augmentèrent en nombre et en intensité, faisant « écho » dans cet espace réduit, confiné, où, désormais, le temps réel était aboli. Le degré d’intensité atteint fut tel que Monsieur Raoul ressentit un violent malaise qui finit par le terrasser. Il se mit alors à suffoquer, au bord de l’évanouissement. Daniel se rendit compte, bien évidemment de l’état de son compagnon; il tenta de lui porter secours avec l’intention de lui masser le cœur.
Dans le wagon de tête, Marie, la plus réceptive, affichait son inquiétude. Sanglotant, au grand dam de Violetta, elle se réfugia sur les genoux de sa cousine. Elle lui murmura:
- J’ai peur! Tout recommence comme au Musée Grévin!
Soudain, surgissant du boyau enténébré, une horrible face livide se mira à la fenêtre du compartiment. La tête de mort grimaçait dans un rictus qui mettait à jour une mâchoire édentée. Un bras décharné fit jouer le loquet et ouvrit la porte. Tous les passagers, à la vue de ce monstre, s’étaient figés, sans réaction, envahis par une panique sans nom.
S’appuyant sur le montant, le mort-vivant voulut se saisir du cou grassouillet de madame Gronet! La logeuse, hors d’elle, se contenta d’émettre des gloussements puis perdit connaissance. Son corps bien en chair s’affala sur la banquette de bois. Marie André, sortant enfin de sa semi torpeur, essaya de ranimer Adeline. Aure-Elise, tétanisée, s’était transformée en statue vivante. C’était à peine si on percevait son souffle.
Comme multipliées à l’infini, sortant manifestement des rêves éthyliques d’un fêtard du 31 décembre, des momies décomposées de moines tibétains dissidents, ceux appartenant au rite Kukaï, leurs robes rouges souillées de terre impure et de vers annelés, pénétrèrent à cet instant dans le wagon, envahissant ainsi toute la rame. L’une de ces apparitions porta à sa bouche une trompe tibétaine elle aussi, et, à ce son exotique, les fantômes entamèrent une lente et étrange danse macabre où le cliquètement irrégulier des os se mêlait à la musique cuivrée.
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Dans la cabine du conducteur, dix nouvelles secondes s’étaient écoulées. Daniel Lin savait pertinemment que toutes ces manifestations surnaturelles n’étaient qu’un leurre. Tandis qu’il tentait de ranimer Monsieur Raoul, s’activant sur le torse du vieux soldat, il jeta:
- Mensonge que tout cela! Cruel amusement qui est en train de tuer un homme!
Un ricanement lui fit écho et….sans raison, les fantômes s’évaporèrent en fumée grise! Aussitôt, comme pour répondre à l’injonction du daryl androïde, le métropolitain accéléra encore et atteignit la vitesse relative du supra luminique!
Bien évidemment, il était inutile d’arrêter la motrice mue par une volonté extraterrestre. Tous les humains enfermés malgré eux dans ce train fou, soumis à une influence maléfique, appartenaient désormais à une bulle de temps d’un Univers déphasé, autre, à une sphère recréée, livrée au caprice de l’homuncula.
Inévitablement, prévisibles, les effets quantiques débutèrent. Les voyageurs subirent donc logiquement les distorsions provoquées par le déplacement dans un hyper espace clos reconstitué, mais il s’agissait de distorsions fantaisistes, à la carte! Certains des cobayes semblèrent s’étirer à l’infini tandis que le spectre lumineux se fractionnait dans les sept couleurs visibles de l’arc-en-ciel, puis se fragmentait encore pour atteindre le chiffre fatidique de douze!
D’autres humains, soumis à un phénomène de divisionnisme qui aurait émerveillé Seurat et Chevreul, se divisèrent en une mosaïque de carrés et de points du plus bel effet, littéralement pixélisés avant la lettre! Certaines distorsions furent plus imaginatives encore.
Sur la banquette qui faisait face à celle où se tenaient Marie et Violetta, une vénérable matrone régressa jusqu’à l’état de fillette et, ce, pour l’éternité, tandis que son mari, atteint phylogénétiquement comme Kiku U Tu, égrenait à l’envers le cours de l’évolution humaine, tour à tour Néandertalien, pithécanthrope, et ainsi de suite…
Dans cet hallucinant morphing inversé, le corps de l’infortuné se métamorphosait presque subliminalement, devenant un singe de moins en moins bipède, un primate de moins en moins simien, puis un lémurien toujours plus proche de l’insectivore ancestral, mammifère primitif, cynodonte aux crocs impressionnants, au museau orné de vibrisses mais au corps encore proche de celui des lézards, tout en étant déjà, de ci, de là, recouvert d’un commencement de fourrure, Seymouria,
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Stégocéphale, Acanthostega, Crossoptérygien, Agnathe, Pikaïa… Bientôt, cependant, car privé d’élément liquide, un curieux pluricellulaire primitif, au corps maintenant ressemblant à celui d’un édredon piqué, issu de la faune d’Ediacara, agonisa et se putréfia telle une méduse morte rejetée sur le rivage…
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Pamela jouait cruellement, subtilement avec ces humains qu’elle méprisait et haïssait tout à la fois. En procédant ainsi, elle voulait donner une leçon à Daniel, lui démontrer ce dont elle était capable, mais aussi le tourmenter, l’acculer. Tant pis si, au passage, des innocents payaient!
A chaque seconde, l’atmosphère de la rame s’épaississait, et tous les occupants encore plus ou moins conscients avaient l’impression de se mouvoir au sein d’une eau poisseuse et lourde. Or, la vitesse acquise par la rame faisait que cette eau ne pénétrait pas par les fenêtres des voitures. Pourtant, ou à cause de ce phénomène, le train perdu ralentissait…
A moins que ce ne fût par l’action de Daniel Lin qui usait enfin de ses facultés prodigieuses? Hélas! Que non pas! Le commandant Wu n’en avait pas encore le courage et la force.
La rame ne tarda pas à stopper au milieu d’un « tunnel » liquide. Dans ce lieu fantasmagorique, il régnait un froid si intense que l’atmosphère s’était littéralement liquéfiée. En fait, il n’y avait plus à bord un atome d’oxygène, mais du méthane et de l’hydrogène sulfuré.
Tous les humains baignaient dans ces gaz aqueux issus de l’atmosphère primitive semblable à celle de la Terre au début de son existence. Presque immédiatement après le déclenchement et la manifestation de ce phénomène, le lieu pourtant clos fut envahi par des nuées d’archéobactéries. Logiquement, la température monta.
Or, il n’y avait que vingt secondes de passées. La rame se retrouvait au milieu d’un Océan, le premier que notre planète connut, soit trois milliards huit cent millions d’années auparavant. Cette soupe chaude avait permis jadis que la vie naquît!
Pourtant, mensonge et apparence que ce que voyait Daniel Lin! Pamela avait recréé à l’intention du daryl androïde un leurre, un isolat limité des conditions permettant l’émergence du vivant au sein même du métropolitain. Or, ce dernier se matérialisait progressivement dans la réalité, la tromperie s’effaçant inexplicablement.
Alors, l’asphyxie commença à faire des ravages auprès des victimes humaines ordinaires qui avaient eu la malchance d’emprunter le métropolitain au même moment que le commandant Wu.
Notre invincible officier de la flotte interstellaire, faisant fi de la douleur qu’il ressentait avec une acuité aigue, non une souffrance physique mais morale, allez savoir pourquoi, parvint à substituer à ce monde démentiel et non plus simplement virtuel un autre dont il tressa les innombrables mailles au fur et à mesure d’une imagination qui conservait néanmoins un schéma logique! Après tout, il descendait de l’Homunculus! Il devait accepter cet héritage!
Particule après particule, l’atmosphère redevint tout à fait respirable. Sitôt cette modification achevée, Daniel se précipita dans le premier wagon afin de constater les ravages commis par la maléfique Winka. Une dizaine de passagers avaient succombé et gisaient morts sur des sièges ou dans le couloir, allongé à même le plancher. D’autres respiraient encore et avaient besoin d’un massage cardiaque et d’une assistance respiratoire. Si le commandant Wu ne put ramener à la vie le malheureux Monsieur Raoul, grâce à Bouddha, Madame Gronet Aure-Elise sa fille, Marie André, Violetta et Marie ne connurent pas ce triste sort. Tous reprirent lentement conscience sous les yeux hantés du commandant.
Un peu plus loin, la matrone métamorphosée en fillette était étendue de tout son long sur la banquette, une légère traînée sanglante visible à la commissure de ses lèvres. Quant à son mari, le saint Bernard de la Galaxie ne pouvait plus rien tenter pour lui non plus!
Alors que Daniel Lin se redressait et portait son regard vers d’autres victimes, une voix bourrue masculine appela dans le tunnel tandis qu’une lueur tremblotante, provenant d’une lampe tempête, avançait en oscillant. Cette lampe était tenue à bout de bras par un honnête poinçonneur.
- Ohé! Que se passe-t-il ici? Pourquoi le train s’est-il arrêté à une centaine de mètres de la station «Châtelet »?
- Un grave incident s’est produit, renseigna Daniel Wu. Le conducteur est mort et dans ce wagon de tête, nous comptons une douzaine de victimes ayant péri par asphyxie.
- Bigre! Mais c’est tout à fait impossible! La loco est électrique!
Assez rapidement, l’employé du métropolitain fut rejoint par un commissaire accompagné de quelques policiers en uniforme. Aussitôt, l’enquête débuta.
Tous les survivants furent interrogés longuement afin d’éclaircir cet irritant mystère. Après plusieurs heures de troisième degré, tous les témoins furent relâchés, y compris Daniel Wu qui dut toutefois promettre de ne pas quitter la capitale. Cela ne l’engageait nullement car le daryl androïde disposait de la navette Einstein.
Le bilan de la dernière facétie de l’agent Asturkruk se soldait par cent dix-sept morts. Fermez le ban!
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