dimanche 11 juillet 2010

Mexafrica 1ere partie : La collection fantastique de Lord Sanders chapitre 7

Chapitre 7


Le noble Lord fut conduit sans ménagement dans un des salons de lhôtel particulier loué par Frédéric Tellier et le daryl androïde. Depuis quelques minutes déjà, Antor avait jeté le masque du domestique affable et attentionné, et poussait Percy à avancer, le menaçant dun lourd et solide revolver. Lord Sanders, quelque peu dégrisé par la peur quil éprouvait, ne comprenait pas doù pouvait surgir ce vampire qui, pour lheure, à sa connaissance, croupissait dans les caves spéciales de Sir Charles.

Antor jouait son rôle de garde-chiourme à la perfection. Au fond de lui-même, il se réjouissait de la mise en scène préparée par ses amis.

Tentant de conserver un restant de dignité, Lord Percy pénétra dans le salon aménagé en tribunal. Celui-ci était composé de Daniel Wu qui, évidemment, présidait, dAndré Fermat en procureur de la Reine, de Frédéric Tellier en assesseur, de Violetta en greffière, de Tony Hillerman en avocat de la défense, et de presque toute la bande du danseur de cordes en jurés, témoins et public.

Marteau Pilon et Uruhu encadrèrent le prévenu à son arrivée. Leurs poings ainsi que les dents et larme dAntor constituaient des arguments plus que dissuasifs pour le prisonnier qui ne tenta pas de séchapper. La nombreuse assistance gardait un silence hostile qui effraya davantage encore si possible Lord Sanders.

Pourtant, dans cette foule, quelquun manquait. Kiku U Tu. Avait-il été jugé trop monstrueux pour figurer dans cette comédie macabre? Assurément! Pour linstant, à bord de la navette Einstein, notre Troodon sennuyait ferme. Un petit interrogatoire musclé de Lord Percy naurait pas déplus au Kronkos belliqueux.

Lorsque Percival fut installé, les bras solidement ligotés, Daniel Lin prit la parole dune voix calme, sur un ton détaché.

- Je déclare solennellement ouverte la séance de ce tribunal habilité par nous-même à juger le criminel Lord Percival Sanders, ci-devant comte!

- Je ne comprends pas ce jeu! Balbutia lintéressé. Dabord, qui êtes-vous? Ce me semble, nous navons pas été présentés! De quel droit vous arrogez-vous….

- Prévenu, inutile de monter sur vos grands chevaux! Toutefois, je veux bien satisfaire votre légitime curiosité. Mon identité vous éclairera. Je suis lheureux époux dIrina de Plesenskaïa Maïakovska!

- Daniel Wu! Bégaya de plus bel laccusé.

- Cest cela!

- Je vous assure que je nai rien à voir avec lenlèvement de la duchesse… tenta de se disculper Lord Percival.

- La chose sera jugée… André, vous pouvez officier…

Fermat se leva alors, respira lentement et profondément, puis sexprima dun ton sec et précis non dépourvu cependant dune certaine ironie.

- My Lord, mais méritez-vous encore ce titre après toutes vos exactions?, telle est la terrible réalité: vous êtes désormais notre otage! Vous ne serez délivré que lorsque nous aurons délivré Irina Maïakovska Wu et la comtesse Louise de Frontignac! Nous exigeons également la libération du vampire des docks capturé par votre ami et complice, Sir Charles Merritt!

- Euh… nest-il point ici, brandissant son revolver?

- My Lord, je vous conseille de faire attention à vos propos, souligna Hillerman. Vous venez dadmettre connaître Antor et ainsi votre implication dans sa détention actuelle! Vous acceptez donc être reconnu comme complice de Sir Charles?

- Mais… Pas du tout! Aïe! Ma tête me lance! Je ny comprends plus rien dans tout ce mic mac! Quelle embrouille!

- Pff! Souffla Violetta. Jai presque pitié de lui! Il se mêle les pinceaux avec les paradoxes temporels, le pauvre!

- Silence dans la salle! Rappela Daniel Wu sévèrement, frappant de son marteau la table doù il officiait.

- Ne nous égarons pas! Reprit Fermat parfaitement maître de lui, et dominant son rôle. Nous allons vous faire rédiger un ultimatum que nous transmettrons à Sir Charles. Votre ami et complice disposera de douze heures pour libérer les personnes sus nommées. Ce délai expiré, si les prisonniers ne sont pas entre nos mains, eh bien, vous serez… exécuté!

Chose plutôt surprenante, Lord Sanders reprit alors courage. Il haussa ostensiblement les épaules croyant que les liens qui lunissaient au mathématicien étaient indéfectibles! Or, il se trompait lourdement!

- Vous vous contenteriez donc de ce simple échange? Sétonna laristocrate. Trois contre un? Ce compte me paraît peu équitable! Cependant, tant mieux pour moi!

- Les prisonniers seront échangés près de Hyde Market selon une procédure prédéterminée. Votre ami Tsarong Gundrup, de son véritable nom Zoël Amsq, conduira la transaction, compléta Tony Hillerman.

- Zoël Amsq… Il ne cèdera jamais! Murmura Lord Percy, transpirant maintenant à grosses gouttes.

- Ce nest pas tout! Fit André. Léchange sera complété par une rançon en nature!

- Nous y voilà! Jeta le prévenu avec mépris! Quelle rançon en nature? De largent? Des pièces de collection? Des bons au porteur? Vous vous révélez enfin! Vous nêtes que de vulgaires voleurs!

- Cessez donc de nous insulter! Dit Fermat, le visage fermé Livrez-nous le moteur de votre appareil temporel avec lautel de la Vierge dEu, appelé plus communément télé porteur, ainsi que le chrono vision que vous connaissez sous le nom de miroir égyptien!

- Ah! Je vois! Sinclina Lord Sanders. Vous êtes donc la bande adverse numéro Un évoquée par lAtlante Zoël… Amsq. Et vous convoitez les trésors des civilisations perdues de Mû, lAtlantide et la Lémurie!

- Quel fatras dineptie! Pouffa Violetta, ny tenant plus.

- Tais-toi! Jeta Daniel Lin, agacé. Tu es à gifler!

- Messieurs, reprit Lord Percy avec une grâce certaine, jaccepte de rédiger votre ultimatum, mais vous vous trompez en croyant ainsi obtenir lappareil à voyager dans le temps! Certes, Merritt me délivrera, mais…

Marteau Pilon sapprocha alors de lotage, montrant ses poings énormes, ce qui eut pour résultat de faire taire laccusé! LArtiste précisa la menace implicite.

- Il vous appartient de vous montrer persuasif, sinon, nous vous tuerons sans remords aucun!

- Sinon quoi? Vous seriez prêts à aller jusquà lassassinat? Mais, que diable, nous sommes dans un monde civilisé que je sache et…

- Un monde civilisé, dîtes vous? Vous ignorez le sens de ce mot, Percival Sanders, violeur, tourmenteur, suborneur denfants! Gronda Tellier.

- Qui êtes-vous, monsieur, pour oser maccuser ainsi, pour vous octroyer le rôle de juge? Jadmets que vos cheveux blancs et vos lunettes vous confèrent un air de respectabilité indéniable mais…

- Mon nom importe peu! Mais sachez que je suis en droit de réclamer par héritage cinquante pour cent de vos précieuses collections! La plupart des objets ont appartenu au comte di Fabbrini nest-ce pas?

- Exact! Euh… je vous ai identifié… Vous êtes lélève ingrat, le disciple qui a trahi son maître, Frédéric Tellier… La statue de Ganesh, cétait vous, le nierez-vous? Le vol porte votre marque! Ainsi, vous avez rameuté votre ancienne bande et vous vous trouvez en concurrence avec Sir Charles!

- Oh! Oh! Mais vous connaissez parfaitement les agissements occultes de Charles Merritt! Siffla le danseur de cordes.

Des murmures emplirent alors le tribunal.

- Vous avez donc percé à jour mon identité, poursuivit lancien malfrat. Bien…

- Bien? Monsieur le Voleur, que signifie?

- Un peu de silence, je vous prie, réclama le président. Frédéric, jai à vous parler! La séance est suspendue cinq minutes!

Daniel Wu se leva et entraîna lArtiste derrière une tenture.

- Mon ami, attention à ne pas franchir la ligne! Nous jouons une partie commune, ne loubliez pas! Jai lu dans vos pensées la condamnation immédiate de notre otage! Jabhorre la vengeance! Je lexècre au plus au point. Elle nous ferait perdre la partie!

- Mais, vous-même, si nécessaire, êtes-vous prêt à aller jusquau bout et à exécuter ce pervers?

- Il est vrai que je répugne à ôter toute vie, même si je lai déjà fait auparavant… A mes yeux, Lord Percy nest quun pion dont nous disposons… manoeuvrons-le… En cas déchec, nous appliquerons le plan de rechange…

- Jai compris… je me chargerai de lexécution de ce dépravé lorsque vous me lautoriserez.

- Vous mobéirez?

-Oui…

- Cette réponse me suffit.

Les deux hommes regagnèrent leurs places respectives.

- Lord Sanders, vous allez maintenant rédiger lultimatum, ordonna le président.

Du papier ainsi quun stylographe à pompe furent apportés au prisonnier qui écrivit sous la dictée de Fermat le texte demandé. Le pistolet dAntor restait braqué sur la tempe de Percival tandis que celui-ci écrivait nerveusement, faisant crisser désagréablement la plume en or. Une fois cette tâche terminée, la lettre fut glissée dans une enveloppe et cachetée avec le sceau de la bague de lotage. Ensuite, Tony Hillerman la prit, la posa délicatement sur le plateau dun mini téléporteur réglé aux coordonnées du domicile de Sir Charles. Lorsque lappareil entra en action, lenveloppe disparut instantanément.

Tou cela eut lieu sous lœil morne de lord Percy. Désormais, plus rien ne létonnait. Une poignée de fer sabattit soudain sur son épaule. La large main de Marteau-pilon lincita à se lever.

- Mène-le jusquau placard à balais, siffla Don Iñigo avec perfidie. Dans deux heures, tu lui servira un léger repas, soupe, pain et eau, cela suffira.

- Oui, maître, répondit le colosse avec soumission.

Solidement bâillonné et ligoté, lord Sanders se retrouva bientôt dans un obscur et étroit réduit. Malgré sa situation des plus inconfortables, il parvint à sendormir.

Daniel et ses mais nentretenaient aucune illusion. Charles Merritt ne cèderait pas. Toutefois, le commandant Wu avait établi un contact télépathique avec Irina. Le plan de rechange était prêt.

***************

Comme prévu, la lettre se matérialisa dans le bureau même de Merritt, sur un fragile guéridon. Admirez la précision des coordonnées! Pourtant, il était impossible de téléporter des humains avec succès à cause des brouilleurs mis en place par lextraterrestre. Sir Charles venait justement de recevoir un coup de fil de Amsq qui linformait de la disparition de lord Percy. Ce fut pourquoi, à la lecture de lultimatum, Merritt pâlit à peine. Il attendit la venue du Haän. Bientôt, le problème Sanders serait résolu.

Moins de dix minutes plus tard, Zoël fut introduit dans le bureau de son complice. Avec une mine renfrognée, il prit connaissance de la missive.

- Ils se sont décidés! Il y a du Fermat là-dessous!

- Et cest tout ce que vous trouvez à dire!

- Très cher, jai placé un champ magnétique de force 24 pour protéger la demeure de lord Sanders. Jai agi de même chez vous. Ainsi, toute tentative dintrusion technologique sera vouée à léchec. En clair, Daniel Wu et Frédéric Tellier ne pourront semparer du bio translateur. Mais permettez-moi une réflexion : quest-ce que cela consomme en énergie!

- Naurait-il pas été préférable de transférer lengin ici, chez moi?

- Ah, mais il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier! Quenvisagiez-vous de faire après cet ultimatum?

- Il va de soi que je refuse de céder! Lord Sanders devenait encombrant!

- Bravo! Mais maintenant, il nous faut parer le prochain coup de nos adversaires! Daniel Wu a brouillé ses signaux biologiques et ceux de ses amis. Il me rend la monnaie de ma pièce. Impossible donc de localiser où ils nichent. Quant à la navette qui les a transportés, elle est indétectable. Vous avez compris, jespère, que, ne pas capituler, cest subir lattaque de Daniel Lin et de ses lieutenants!

- On dirait que vous les craignez! Sétonna Sir Charles.

- Je suis averti des risques. De plus, je ne puis compter sur des renforts extérieurs.

- Pourquoi? Sinquiéta le professeur émérite.

- Mes guerriers sont partis à la recherche des cristaux dorona.

- Mais cétait inutile, puisque des entités amies sont venues vous réapprovisionner.

- Il vaut mieux faire le plein. Les cristaux susent à une vitesse époustouflante.

- La Dimension p ne peut-elle nous aider davantage?

- Oh, elle fait comme elle lentend! Pour lheure, je pense quelle est plongée dans une bataille stellaire plus passionnante que tous les récits de Jules Verne.

- Ah, lord Percy, je tai condamné, car la police commençait à te serrer de trop près…la faute à ton homosexualité!

- Cest la vie, jeta Amsq en français avec ironie.

- Zoël, pardonnez-moi de vous donner un ordre, mais il vous appartient de communiquer mon rejet de lultimatum à la presse, selon les instructions de la lettre. Je men vais rédiger le message pour la New London Tribune.

- Très cher, vous êtes un allié précieux quaucun scrupule ne ralentit, siffla Zoël avec délectation.

- Nêtes-vous point taillé dans la même étoffe?

- Je nai plus rien dhumain.

- Oui, depuis le temps. Mais les Atlantes étaient des humains au début.

Amsq répondit avec colère :

- Je vis sur Haäsucq et suis donc un Haän comme tous les autres!

Sir Charles comprit quil ne devait point insister.

***************

Quelques deux heures plus tard, lenlèvement de lord Percival Sanders faisait la une de la presse matinale. Cependant, le journal de Shelton Seagrove avait une longueur davance. Il publiait en exclusivité la réponse de Sir Charles Merritt à lultimatum, selon un texte codé très anodin.

Toutefois, le directeur de la New London Tribune avait pris la plume en personne pour rédiger un éditorial dans lequel il accusait explicitement le mathématicien honoraire de se livrer à des pratiques illicites. Le scandale fut énorme et samplifia encore quand le Yard, qui se doutait depuis quelques années que Merritt nétait pas ce quil paraissait être, décida à son tour dentamer une enquête plus approfondie. La position de Sir Charles devenait intenable. Dans son salon, le scientifique jeta avec rage ce quil qualifiait de feuille de chou.

- Ce Seagrove me déçoit! Quant à son torchon, ce nest quun ramassis de potins récoltés dans le caniveau!

- Du calme mon ami, sécria Amsq, jouant à la perfection le respectueux féal.

- Je vais de ce pas attaquer la New London Tribune en diffamation!

- Certes, mais à quoi cela servira-t-il? Le délai est expiré!

- Peu me chaut!! Depuis son enlèvement, le sort de Sanders était scellé!

- Requiescat in pace!

Telle fut la courte épitaphe du noble lord.

Attaques et contre-attaques dans la presse se succédèrent au fil des éditions durant quarante-huit heures. Scotland Yard envoya deux inspecteurs chez Sir Charles, en vain. Les accès importants de la demeure étant parfaitement dissimulés, ils ne purent donc connaître lexistence des cachots, des machines, des cobayes et du laboratoire.

A la fin de cette même semaine cruciale, le procès en diffamation se tint. Le jury, grassement payé en sous-main, condamna Shelton Seagrove à verser une amende de cinq cents livres au plaignant. Quant à lord Percival Sanders, sa mort était désormais de lhistoire ancienne.

Comme convenu, Daniel avait abandonné le lord dépravé à Antor. Le commandant Wu ne se vengeait pas : ce sentiment lui était inconnu. Du moins, cest-ce quil consentait à reconnaître. Le corps horriblement exsangue de lord Percy fut retrouvé dans un égout de la gare de Lexington, le lundi suivant le procès.

**************

Ce même jour, dans la propriété de Sir Charles Merritt, Daisy Neville recevait un nouveau Bébé Jumeau muni dun trousseau complet, le tout enfermé dans une petite malle en cuir. Rien ne manquait, y compris les pantaloons. La gouvernante, elle, sétait fendue dune dînette en porcelaine. Ces cadeaux lui étaient offerts pour son anniversaire. La fillette, fort capricieuse comme nous le savons déjà, se montra déçue par la teinte des cheveux de la précieuse poupée. Autre défaut : les yeux du Bébé ne bougeaient pas.

http://www.restauration-de-poupees.fr/restauration-poupees-images/illustration/poupee-jumeau-1907.JPEG

Trépignant devant Sir Charles, elle jeta :

- Mon oncle, je naime que les brunes, je croyais vous lavoir fait comprendre!

Merritt, toujours distingué et élégant, revêtu dune jaquette gris perle, et dont le cou marqué par lâge était entouré par une délicate cravate ornée dune épingle en or surmontée dun diamant de la plus belle eau, fronça les sourcils et répondit :

- Ma nièce, tu as tort! Tu ne sais pas identifier ce qui est vraiment beau! Ce cadeau vient de Paris, pour toi exclusivement. Sil ne te plaît pas, tant pis! Je le donne de ce pas à la fille de ta nourrice, Annabelle.

- Non mon oncle, cela ne se peut pas! Maintenant, cette poupée est à moi, car vous me lavez donnée en premier!

De colère et de rage, Daisy pleura.

- Là, tout doux, ma nièce! Tout à lheure, tu dois paraître à la petite réception prévue en ton honneur. Il faut que tu sois la plus belle des petites filles. Pour cela, aucune larme ne doit venir gonfler tes paupières et rougir tes yeux.

- Pour ce goûter, il y aura de lorangeade, des gâteaux à la crème, du chocolat chaud?

- Mais oui, Daisy, et plus que cela encore! Je connais bien ta gourmandise!

Sa colère envolée - lenfant changeait vite dhumeur - la fillette embrassa son oncle affectueusement. Pendant que ladulte se laissait aller à un mouvement de tendresse très paternel, et samusait à entortiller les cheveux raides de sa nièces très difficiles à coiffer car rebelles à tout fer à friser, un valet apporta sur un plateau le journal du jour.

A la une du quotidien habituellement si pondéré, un titre énorme attira immanquablement lattention du mathématicien honoraire.

Le retour du Saigneur!

Après une pause inexpliquée de plusieurs semaines, le Saigneur a recommencé à frapper! Un nouveau corps exsangue a été retrouvé. Une illustre famille du royaume subit le deuil le plus affreux. Lord Percival Sanders, le célèbre et apprécié collectionneur, âgé de trente-sept ans à peine, a été hélas la nouvelle victime du tueur nocturne. Que fait notre police?

Avec une rage soudaine, le professeur jeta violemment le journal sur le tapis.

« Amsq mavait prévenu! Ce Daniel na aucun scrupule! Il dispose lui aussi dun vampire! Comment sy est-il pris? Si je nagis pas immédiatement, tout est perdu! Ah, bon sang, mes hommes pourtant bien plus efficaces que les policiers de Scotland Yard ne parviennent pas à débusquer cet Eurasien et son complice le Danseur de cordes! Après mon maître, mon modèle, mon mentor, Galeazzo di Fabbrini, je ne vais pas succomber à mon tour sous les coups de ce maudit Tellier! Jexcelle à manier la ruse. Je suis passé maître à utiliser la force. Et puisque Amsq se montre indifférent, je vais passer à la contre-attaque! Le piège suprême est prêt. »

Sir Charles avait soliloqué en présence de Daisy qui navait pas saisi ses propos. Toutefois, le chef de la racaille de Londres aurait dû faire preuve de plus de prudence car Raoul, dissimulé dans une autre pièce, lespionnait discrètement grâce à un appareil semblable à celui dIrina.

***************

Dans le cachot qui était devenu désormais son domicile, Antor tenait compagnie à Irina et à Louise. Il avait compris rapidement le parti quil pouvait tirer de la présence de lenfant géophage. Quant au capitaine Maïakovska, certes, elle avait reconnu lami de son mari, mais elle se garda bien de le manifester ; en effet, elle savait que le vampire quelle avait face à elle venait dune dimension parallèle. Elle ne lavait jamais rencontré tel quil se présentait actuellement, sauf à lire dans les pensées de Daniel.

Est-il bon de rappeler au lecteur que Penta pi était le seul responsable de la présence dAntor en 1890? Il serait récupéré quelques jours ou quelques heures plus tard et regagnerait 1969.[1]

Un lien empathique sétait noué entre la Russe et lenfant. Le jeune géophage avait accepté de creuser un chemin pour les humains, un étroit boyau qui les conduirait à la liberté. Après de nombreuses heures de travail, le groupe put sengager dans des galeries toutes fraîches. La comtesse de Frontignac peinait à suivre ses amis. Il y avait longtemps quelle avait perdu sa silhouette de liane tout en conservant son opulente poitrine. La peur la paralysait quelque peu. Mais elle sengouffra dans les dédales étroits, les boyaux qui senchevêtraient, senroulaient, montaient ou descendaient sans aucune logique, faisant contre mauvaise fortune bon cœur.

Au hasard de leurs pérégrinations, les fugitifs croisèrent des galeries de taupes et des terriers de rats. Quelques rongeurs même passèrent sous les jambes et les pantalons de nos personnages, les frôlant, ce qui eut pour résultat de déclencher chez Louise des frissons de répulsion. Notre Brelan navait vécu que dans les ors depuis plus de vingt-cinq ans! Elle avait fini par oublier les bouges et les tapis-francs innommables de son adolescence.

Un court moment, le groupe longea un ancien cimetière. Une odeur âcre les saisit à la gorge, dautant plus insupportable que latmosphère de ces boyaux était particulièrement confinée. Malgré la pénombre, nos amis devinèrent, mêlés à la terre meuble et noire, des lambeaux de vêtements, des ossements divoire, des cheveux qui adhéraient encore à des têtes décomposées. Lai se raréfiait de plus belle, et le manque doxygène altérait les sensations, rendant cette expédition encore plus morbide.

Toujours sous la conduite du géophage, le quatuor mal assorti crut enfin déboucher à lair libre. Hélas, ce nétait pas le cas! Une construction en pierres, dune facture récente, leur barrait le passage. Avec philosophie, Antor, aidé du mangeur de terre, sattaqua au descellement du mur appareillé. Sous les efforts des deux parias, une cinquantaine de pierres céda, permettant aux fugitifs daboutir dans une salle qui nétait en fait quun tunnel voûté parcouru par des rails et éclairé à intervalles réguliers par des lampes à arc.

- Le métro de Londres! Sexclama Louise au bord de la suffocation.

- Je ne le pense pas, répliqua Irina qui avait mémorisé toutes les constructions victoriennes de la vieille mégalopole. Réfléchissez nous nentendons aucun vrombissement. De plus, le tunnel est trop étroit pour une rame de métro. Lécartement des rails ne correspond pas et, si mes souvenirs sont bons, ledit métro nest pas encore électrifié.

Louise sétonna de cette connaissance approfondie.

- Vous êtes bien renseignée! Jeta-t-elle.

- Oh, ce nest pas mon premier voyage dans le passé, ma chère. Je prépare toujours avec soin les expéditions auxquelles je participe.

Haussant les épaules, trouvant que lon perdait du temps, Antor savança résolument dans la galerie éclairée. Ses compagnons limitèrent. Peu après, ils entendirent quelque chose se rapprocher. La lueur dun phare sajouta à léclairage. Avec prudence, le quatre fugitifs se dissimulèrent tant bien que mal dans un renfoncement de la galerie humide.

- Ce trou dhomme est le bienvenu! Soupira Louise de Frontignac.

- Il ne sagit certainement pas de votre époux! Fit le vampire avec détachement.

Irina se contenta de lever un sourcil pour toute réponse.

Les vibrations samplifièrent et le groupe vit passer un charroi surprenant. Une motrice étroite, en bois, de couleur verte, dont la porte souvrait par un système hydropneumatique, comportant un gros phare central avant qui rappelait lomnibus à vapeur de Scotte, pourtant construit deux ans plus tard, projet auquel collaborerait Albin de Saint-Aubain.

A bord de la motrice se trouvait un conducteur en blouse bleue douvrier. Identifiable par sa casquette aux taches grasses et à sa belle moustache poivre et sel, il manipulait avec dextérité un volant droit et des leviers. La locomotive électrique tirait un wagon réduit à une simple plate-forme ; celle-ci supportait un chargement retenu par de larges sangles. Des yeux avertis auraient identifié une sorte de turbine et deviné la présence dun très grand miroir à facettes ainsi que celle dune imposante sculpture à sujet religieux. Lensemble hétéroclite était enveloppé dans des toiles mal jointes. Irina ne put retenir un cri de dépit en découvrant le chargement :

- Par Saint Wladimir! Le bio translateur! Amsq le déménage pour le mettre à labri, mais où?

Antor répondit à cette question qui ne lui état pas adressée.

- Merritt a fait construire un métro secret qui relie sa demeure à celle de lord Sanders.[2]

- Si nous suivions le convoi? Proposa Louise.

- Cela veut dire faire demi-tour! Objecta Irina. Non! Ce serait nous jeter dans la gueule du loup! Merritt sattend à une attaque de Daniel.

- Ah, mais pourquoi ne pas vous être munies de transpondeurs de secours? Ragea Antor.

- Ce nest pas si simple! Rétorqua Irina. Amsq a établi un écran qui brouille toutes les communications sauf télépathiques.

- Alors, il ne nous reste plus quune solution, conclut Louise : suivre les rails jusquà la demeure de lord Sanders. Nest-ce pas là que votre mari nous attend?

- Pas tout à fait.

- Et si nous rencontrons une autre motrice? Proposa Antor avec humour. Dois-je la mettre en pièces détachées?

***************

Comme Sir Charles et Zoël Amsq sy attendaient, lattaque avait débuté. Mais elle avait lieu sur deux fronts opposés. Lun destiné à récupérer le bio translateur, lautre à délivrer les captifs du mathématicien.

Uruhu était resté à soccuper de la maintenance de la navette Einstein, remplaçant également Tony Hillerman qui avait rejoint son commandant. Le KTou répugnait à se battre contre des NieksTous; il ne le faisait quen dernier recours. Au contraire, Kiku U Tu se sentait dans les batailles comme un poisson dans leau.

« Enfin de laction, du sang et de la violence! », pensait-il avec satisfaction.

Toutefois, le Troodon se demandait pourquoi les deux hommes quil admirait le plus sétaient encombrés dhumains vieillissants, inefficaces au combat, incapables absolument de venir à bout de hordes de Haäns! Effectivement, dans le groupe du danseur de cordes, Pieds Légers frôlait la quarantaine alors que le Piscator allait sur ses cinquante-quatre ans et que Tellier affichait soixante-et-un ans au compteur, dans parler de Marteau Pilon qui atteignait soixante-sept ans. Toutefois, le colosse pouvait encore soulever une charrette pleine de foin ; cétait pour cela quil avait suivi son maître vénéré. Splendide Marteau Pilon! Comme Porthos, il pouvait abattre son bœuf dun coup de poing sur le crâne bien quil neût jamais lu une ligne de Dumas!

Toute la troupe dapaches avait suivi la même voie que Raoul et Harry et avait pris soin de se munir de grappins, de cordes à nœuds, de rossignols, de diamants, de rats de cave et bien sûr de surins. Leurs pieds étaient chaussés de chaussons à semelles de caoutchouc. Nous avions là lattirail du parfait cambrioleur tel que le décrivaient Ponson du Terrail et Paul Féval.

Fermat avait choisi de sencombrer de tubes de relais de signaux et dappareils de décryptage des codes biologiques. Cette technologie devait téléporter le bio translateur dans la navette Einstein. Même si au XXVIe siècle, la miniaturisation avait atteint des sommets, le tout pesait un poids certain.

La bande, commandée par lambassadeur, sintroduisit à létage des collections de lord Sanders, plus précisément dans la partie tératologique. Le rat de cave du Piscator éclaira fugitivement les vitrines hideuses peuplées de boîtes crâniennes de dépouilles grimaçantes et de fœtus difformes. Malgré ses habitudes de rapines, le Marseillais était ému. Que craignait-il donc? Les monstruosités soigneusement alignées, classées et étiquetées par lord Percy, plus ou moins composites -simples, doubles ou triples - le tout rendu encore plus effrayant par la tremblotante lueur, ou bien la gueule puante de Kiku U Tu avec ses cinq cents crocs menaçants, sa bave immonde qui gouttait de ses babines impatientes et ses yeux luisants et phosphorescents auxquels rien néchappait?

Sous ladrénaline, notre Troodon exhalait une subtile odeur de vase et de chairs bien attendries. Bref, mettons-nous dans la peau du Piscator : il nétait pas à la fête.

« Je ne vais tout de même pas lui servir de hors dœuvre! », bégayait le Marseillais.

Léquipe de Fermat ignorait bien entendu que le confident de lEmpereur Tsanu XV avait introduit dans la demeure de lord Sanders des détecteurs bioniques, lun dissimulé dans une tsantsa Achuar, lautre derrière un masque dapplique, une sorte de sculpture médiévale aux orbites caves et à la barbe de buis, figurant le masque mortuaire dun grand maître de lordre de La Buena Muerte.

Tout naturellement, la présence des importuns déclencha le signal dalarme muet tout en activant les automates piégés. Ce qui, à première vue, paraissait être un innocent couple de squelettes reliquaires du XVIIIe siècle, chamarrés dor, sertis de gemmes, de cabochons, recouverts de velours et divoire -squelettes de Saint Prosper en gisant et de Saint Pancrace dressé - nétait autre quune paire dautomates conçus par le génial Merritt. Comme dans les pires sous-productions de la Universal, les deux dépouilles quittèrent mécaniquement leur châsse pour avancer par saccades, leur estramaçon brandi en direction des intrus. Les visières de leur armet relevées laissaient entrapercevoir linquiétante lueur rouge de leurs orbites. Manifestement, ces créatures étaient mues à lélectricité.

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Envahi par une terreur sans nom, le Piscator rebroussa chemin pour se heurter violemment à Kiku U Tu lui-même. Furieux, le Troodon rugit :

« Mauviette dhumain! Gronda-t-il. Ah, ne me barre pas le chemin! Laisse-moi donc passer! Je vais te montrer comment je ne fais quune bouchée de ces os-là! »

Avec une agilité admirable vue sa masse, le lieutenant de la sécurité bondit, ses terribles griffes postérieures sorties. Il culbuta facilement les squelettes en armures qui chutèrent brutalement sur le sol avec un bruit de ferraille. Sous le choc, les pitoyables automates se réduisirent à un amas confus de pièces détachées, de lampes clignotantes et de câbles sectionnés. Sapprochant, Fermat fronça les sourcils.

- Vous auriez pu vous montrer plus discret! Reprocha-t-il dun ton sec au Kronkos.

Pragmatique, Pieds Légers questionna :

- Rappelez-moi donc où se trouve lengin à voler.

- Mais en direction des sous-sols! Du moins était-ce le cas il y a deux heures. Les sondages de lEinstein on localisé le bio translateur du côté dune cave servant de laboratoire située un peu après un grand bassin profond de huit mètres.

Comme à son habitude, le Piscator sinquiéta.

- Sacrebleu! Vous auriez pu nous le dire! Nous navons emporté aucun scaphandre! Comment allons-nous traverser?

- Pas daffolement. Merritt a conçu une sphère sous-marine. Nous lemprunterons!

- Ah! Ça me fait une belle jambe! La carline ne fera quune bouchée de nous!

Malgré les jérémiades du Marseillais, la bande sengagea vaillamment dans un escalier et descendit vers le rez-de-chaussée. Las! Elle ignorait quelle était attendue par Varami et quelques sous-fifres pygmées cachés dans un faux plafond. LAmérindien ne perdait pas de vue lavancée de la troupe. Habilement et silencieusement, il manoeuvra une série de clapets, découvrant ainsi des orifices au-dessus de lescalier, minuscules trous dans lesquels glissèrent des batteries de sarbacanes. Les Pygmées et leur chef Achuar actionnaient les armes avec leurs pieds.

Une pluie de fléchettes au curare sabattit sur les intrus. Cela neut aucun effet sur la troupe car tous avaient revêtu une combinaison de protection. Malgré langoisse qui nouait son estomac, le Piscator poursuivit sa progression avec ses compagnons.

Ces combinaisons peaux sajustaient parfaitement à la silhouette, y compris celle de Kiku U Tu pourtant munie dun appendice caudal conséquent.

Nullement incommodés par ce piège de dernière catégorie, nos amis atteignirent bientôt le rez-de-chaussée pour se retrouver dans le salon aux armures. Dépité, Varami envisagea une autre tactique. Ce fut pourquoi, toujours muettement, il ordonna un repli à ses Pygmées.

Pendant ce temps, Pieds Légers, qui ici méritait mal son nom, butta maladroitement sur un beau et profond tapis persan, déclenchant une nouvelle diablerie. Sans coup férir, deux tableaux automates animés, dun mauvais Rococo XVIIIe siècle, descendirent de part et dautre du mur. Ils représentaient les batailles de Culloden et de Fontenoy, toutes deux de 1745. Les deux représentations prirent vie ; les canons et les fusils à pierre tirèrent pour de vrai. Si Fermat et ses compagnons navaient pas été protégés par leurs combinaisons, ils auraient sans nul doute succombé à la mitraille, leurs corps criblés de micro billes de fer.

Shoshigu, le maître de thé, embusqué lui aussi, passa à la deuxième phase de lattaque. Dissimulé dans larmure Tokugawa de samouraï moustachu, il dégaina imperceptiblement du sabre à double lame dont le tranchant avait été au préalable enduit de suc de fugu. Notre Japonais avait depuis longtemps jeté le Bushido aux orties. Cependant, il eut le tort de lancer le cri qui tue pour paralyser ladversaire. Il neffraya que ce poltron de Piscator qui, tremblant de tous ses membres, se réfugia derrière la queue de lencombrant Kiku.

Dédaignant Fermat, Shoshigu se jeta avec fougue sur Antor. Grave erreur! Décidément, notre Asiatique nétait pas né sous une bonne étoile, car son antagoniste, doté dune souplesse prodigieuse, esquiva prestement les moulinets effrayants du double sabre. Décontenancé, le samouraï hésita une seconde de trop. Saisissant loccasion, le vampire passa derrière le Nippon, se saisit de sa nuque et lui dévissa la tête avec un craquement sinistre. Ses vertèbres cervicales brisées, Shoshigu retomba sans grâce sur le dallage, telle une poupée de chiffons. Cependant, en dernier réflexe végétatif, sa main eut le temps de sabattre sur un levier.

Fermat félicita Antor :

« Beau coup, cher ami! » (en français dans le texte!)

Mais notre diplomate naurait pas dû se réjouir aussi vite. Un autre mécanisme fut actionné. Le lustre remonta subrepticement, sans même émettre un tintement de girandole, pour sestomper dans le plafond. Il fut remplacé par une plate forme sur laquelle se tenait dressé un remarquable sumotori automate coulé dans la cire, le corps blafard, la face lunaire à la semblance dun masque de théâtre Nô de lépoque de Nara,

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et les reins ceints dun pagne rouge de combat! Il sagissait de leffigie du maître de Sumo de Sapporo Hoshi Ukuguné, qui avait vécu au début du XIXe siècle. Merritt sétait surpassé dans son art factice, nest-ce pas, car aucun mécanisme darticulation ne déformait les bras de landroïde. On eût pu croire que Zoël Amsq lavait aidé dans la conception de cet humanoïde animé. Après linévitable salut dusage - décidément, ce Haän se montrait plus quattaché aux antiques traditions asiates, et, pour un fourbe de son envergure, il faisait là preuve dune faiblesse rédhibitoire - Hoshi engagea le combat contre lex commandant Fermat.

Tout en soulevant un sourcil détonnement, le Français ne se déroba pas. La créature hybride était imposante bien quun peu lente. Les attaques senchaînèrent, impeccables, les esquives également. En son for intérieur, André simpatientait.

« Je perds mon temps! »

Toutefois, sa combinaison protectrice lui permettait dappliquer ses mains sur la peau même du sumotori. Pensant avoir affaire à un épiderme synthétique, il ne marqua nul dégoût.

Un bref instant, les doigts du Français se recourbèrent sur le nez du Japonais. Lappendice nasal lui resta alors dans les mains! Alors, tout le masque constituant le visage se désagrégea, révélant une atroce réalité. A lintérieur de lenveloppe de cire, il y avait un cadavre décomposé mû par des servomoteurs. Un corps néoténique triploïde dépourvu de toute pilosité. Le masque tombé, une odeur de nécrose se répandit dans le salon aux armures, tandis quun court-circuit déclenchait lauto combustion de lautomate sumotori. Hors de lui, tombant à genoux, le Piscator hurla à pleins poumons :

« Le monstre de Frankenstein! »

Se signant, le Marseillais commença à réciter en bredouillant la prière de la Bonne Mère :

« Priez pour nous, Notre Dame de La Garde.

Priez pour nous, pauvres pécheurs! »

Sous le coup de lauto allumage, le cadavre zombie sétait immobilisé alors que sa cire fondait presque instantanément. Au contact de lair, le corps mis à nu se ratatina, dévoilant son horrible secret. Labominable dépouille comportait des organes mécaniques greffés un peu partout. Il ny avait rien à redire : Charles Merritt, génie dévoyé, démontrait ainsi quil était un paria amoral à légal de Galeazzo di Fabbrini.

Pieds Légers en avait vu dautres. Il se rappelait encore la sinistre année 1867 où il avait affronté le comte italien assassin. Cest pourquoi, sans trembler, il tendait son rat de cave afin de chercher lissue du salon. Il illumina furtivement le narguilé, éclaira brièvement le portrait siamois de Gladstone-Disraeli et fit de même pour la momie Guanche. Grâce à lui, la bande traversa le fumoir puis le salon de musique qui contenait linsolite orchestre du gamelan javanais.

Bagne Grisouteux dévoila, dissimulé derrière une tenture, lescalier à vis agrémenté de niches préhistoriques ou de cages, escalier dont les marches, rappelez-vous, lecteurs, menait au bassin souterrain.

Fermat retint à peine une sourde exclamation :

« Les cages sont ouvertes! Où diables sont passés leurs hôtes? Quelles créatures renfermaient-elles donc? »

Or, tapis dans lobscurité, lHomo pongoïde et Taïaut préparaient leur attaque. Grâce à Merritt, le dinosaure était un véritable phénomène de dressage, puisquil était capable de rester caché et de guetter patiemment sa proie!

Cependant, Kiku flaira lodeur soufrée du Raptor tandis que de son côté, Antor captait des remugles simiesques. Brusquement, un souffle dair éteignit les rats de cave : cétait le signal tant attendu par le Velociraptor qui, avec une joie féroce, la bave dégoulinant abondamment de sa gueule, bondit sur le Piscator, cible désignée, facile et sacrifiable. Du moins, cest à quoi vous vous attendez, amis lecteurs.

LHomo pongoïde, quant à lui, eut le tort de se jeter sur Fermat, tentant de le broyer entre les muscles puissants de ses bras. Lêtre hybride, mélange de néandertalien et de gigantopithèque, croyait ne faire quune bouchée de cet homme dâge mûr. Salivant à lavance, il émettait déjà des borborygmes et des gloussements de joie, tandis que sa face, rendue difforme par un torus sus-orbitaire marqué, reflétait ses bas instincts. De quelle manipulation impensable ce déchet dhominidé anthropophage était-il donc issu?

La délicate situation néchappa pas à Antor, quune longue amitié liait à André. Toutefois, le militaire neut pas besoin du secours du vampire. Mais quarrivait-il à notre Troodon favori? Kiku hésitait. Devait-il protéger Bagne Grisouteux et Monte à Regret ou bien apporter son aide au vieil apache marseillais en fort mauvaise posture?

Déjà, Taïaut sapprêtait à éventrer le Piscator, dont le corps était profondément griffé. Le Raptor nen eut pas le loisir, car, brutalement tiré par la queue, il retourna sa gueule béante tout en rugissant de colère. Ainsi, il laissa échapper son goûter, qui rampa aussi vite quil le put jusquà un renfoncement. Les deux espèces prédatrices concurrentes allaient saffronter dans un duel sanglant. Pour un simple repas, ou pour sauver la vie dun ridicule et pitoyable humain?

Deux combats sans merci débutèrent, mêlant avec art le Pléistocène, le Crétacé et les monstres convenus de la Hammer. Le Piscator fut rejoint dans son abri par Pieds Légers et les deux chevaux de retour. Bagne Grisouteux constata que son ami brûlait de fièvre. La terreur le faisait presque délirer.

Il était écrit que le Yéti KTou devait succomber le premier. Pourtant, son duel fut magnifique. Plusieurs fois, lHomo pongoïde tenta de se saisir dAntor et de le projeter au loin. Mais le vampire, utilisant avec dextérité ses armes naturelles, mit hors détat de nuire son adversaire en une minute. Il est vrai quil avait été secondé par un Fermat expert en combat rapproché et en arts martiaux plus ou moins exotiques. Parmi ces techniques, il y avait celle du Harrtang. Hunga acheva sa triste vie, une plaie béante à la gorge, la cage thoracique brisée par les coups portés par André. Durant les ultimes secondes de son existence, ses membres furent parcourus de spasmes végétatifs dagonie.

Bien évidemment, il était difficile à André dimaginer la réaction de Merritt face à la perte dune créature de foire lucrative, qui lui avait coûté la bagatelle de mille livres payées comptant en souverains.

Lodeur ferrugineuse et douceâtre du sang qui se répandit dans latmosphère, détourna quelques instants lattention de Taïaut. Kiku senhardit. Dun coup de son pouce sabre meurtrier, il fendit le poitrail du Velociraptor de haut en bas. Aussitôt, poumons, tripes, cœur, foie, se répandirent sur le dallage. Mmm! Quels mets délicieux! Quels envoûtants et succulents arômes pour notre Kronkos affamé dont le dernier repas remontait à trois heures! Ah, pourquoi donc lanthropophagie était-elle interdite dans lAlliance des 1045 planètes? Mais bah, après tout, cette règle ne sappliquait pas ici, nest-ce pas?

Ny tenant plus, notre Kiku commença à se repaître avec délice des entrailles fumantes de son adversaire vaincu. A ce répugnant spectacle, Bagne Grisouteux se cacha le visage. Mais Fermat, impavide, sapprocha de lofficier de sécurité et lui intima lordre de cesser sur un ton qui ne pouvait être discuté. Némettant quun rot de dépit, notre Troodon obéit aussitôt.

« Je sais bien que jai bravé un interdit, éructa-t-il. Mais la meilleur chair nest-elle pas celle de ma propre race? Quel dommage dêtre devenu civilisé!!! »

Il cracha ce dernier mot comme une insulte Voyant que le Kronkos était dompté, Pieds Légers, Bagne Grisouteux, Monte à Regret et le Piscator, bien que sanglant, réapparurent miraculeusement de leur cachette. Malgré lui, le Marseillais ne put réchapper à la fascination quexerçait sur lui le cadavre de Taïaut. Il recracha de la bile sur sa manche.

Après cet intermède, la bande suivit lescalier à vis et parvint au bassin où lattendait la sphère sous-marine. Lengin était déjà sous tension, son écoutille ouverte, et ses lampes clignotantes. Cela puait le piège! Nos héros allaient pénétrer dans le bathyscaphe avant lheure, lorsque trois paires de bras jaillirent des eaux noires et empoignèrent avec force les jambes de Pieds Légers ainsi que celles des diplomates.

Ces bras appartenaient à trois scaphandriers armés de couteaux et de harpons. Il sagissait du majordome birman de lord Sanders, dénommé Sudrâ Chandrâ, qui avait revêtu le scaphandre du chevalier de Beauve, du cockney Jerry, qui portait le modèle plus perfectionné de Siebe et enfin, de lapache français Lucien, le plus redoutable, protégé par la combinaison autonome de Rouquayrol, qui avait servi de modèle à Jules Verne dans son roman Vingt mille lieues sous les mers.

Antor ne perdit pas son sang froid. A leur vue, il avait immédiatement compris la vulnérabilité de Sudrâ et Jerry du fait quils étaient pourvus dun tuyau dair communiquant avec une pompe extérieure. Cette dernière fonctionnait grâce au système Babbage amélioré par Merritt. Avant que sa tête disparût dans leau sombre, il transmit télépathiquement à Kiku lordre de sectionner lesdits tuyaux avec ses griffes. A coups de harpon et de couteaux, les trois âmes damnées de Sir Charles tentaient den finir avec leurs victimes, essayant de les empaler. Les secondes ségrenaient, sallongeaient insidieusement, car le lieutenant U Tu ne parvenait pas à saisir les arrivées dair des scaphandres. La seule solution consistait à saboter la pompe elle-même. Après plus dune minute de mûre réflexion - pour mémoire, le Kronkos ne brillait pas par son intelligence - Kiku le comprit enfin! Sans état dâme, il sortit un minuscule disrupteur de sa ceinture et tira sur le mécanisme dapport dair des scaphandriers.

Lappareil du chevalier de Beauve était le moins perfectionné. Le visage dissimulé derrière un curieux masque métallique rappelant ceux des expériences de Lavoisier, Sudrâ Chandrâ, qui avait conservé son turban, succomba logiquement le premier. Sa combinaison semplit dair, puis, sous la terrible pression, son corps gonfla démesurément pour éclater. LHindou se vit mourir! Peu après, une enveloppe caoutchouteuse grotesque et déchirée, flotta à la surface du lac artificiel, répandant sa bouillie infâme.

Jerry subit un sort contraire. Était-ce une mort plus douce? Fasciné par lhorrible spectacle qui se présentait derrière le hublot du casque Siebe, Fermat fut le témoin privilégié de lasphyxie de lAnglais. Ses yeux emplis de terreur, le cockney bleuit pour passer au plus beau violet de la cyanose. Son compère Lucien eut le temps de réagir. Témérairement, il tenta de noyer André, mais il ignorait, bien sûr, que le commandant pouvait rester cinq minutes sous leau grâce à un entraînement intensif. De rage, lapache français porta un coup de poignard au flanc de Pieds Léger, qui sétait dangereusement rapproché. Sa liberté daction ne sauva aucunement ce passé-singe. Certes, son casque de cuir et de cuivre était trop pesant et trop bien fixé pour quun humain normalement constitué larrachât, mais son appareil respiratoire constituait la faille du dispositif, ce quAntor avait compris. Jaillissant de leau, telle une malfaisante sirène, le visage toujours blême, ne haletant même pas, il exécuta le pervers Lucien de la façon suivante :

passant derrière lui, dun geste brusque et puissant, il déconnecta les tuyaux dair. Privé doxygène, le pègre de Paris passa larme à gauche. Telle une masse, le cadavre alourdi par les semelles de plomb coula au fond du bassin.

Comme si de rien nétait, toute léquipe entra gaillardement dans la sphère submersible. Après la mort de lapache, le Piscator avait repris du poil de la bête. Le système de pilotage de lengin savéra enfantin pour André. Assis dans le poste avant, il manoeuvra facilement lancêtre du bathysphère. A larrière, debout, en équilibre, avec sa longue queue, Kiku encombrait, bien quil fût installé précairement sur léchelle menant à lécoutille. Les intrus neurent pas le temps de sémerveiller au spectacle des poissons automates et des méduses gracieuses et transparentes qui se déplaçaient dans londe, projection animée mélange de praxinoscope, de fantascope et de lanterne magique. Le bassin, traversé en quelques minutes à peine, le petit groupe quitta la sphère et sengagea avec circonspection dans les laboratoires. Bien évidemment, le bio translateur nétait visible nulle part. Antor sinquiéta.

- Serions-nous arrivés trop tard?

- Non, pas du tout, répondit Fermat. Daniel avait prévu le coup. Même éteint, le bio translateur dégage quelques radiations tout à fait incongrues pour ce lieu et pour cette époque. Je porte en permanence ce petit appareil qui me permettra de le localiser précisément.

Effectivement, à la ceinture dAndré pendait une sorte de stylet dont la fonction était de détecter lesdites radiations. A cet instant précis, lappareil capta un signal faible provenant des profondeurs londoniennes.

- Ah! Cela fonctionne! Fit le vampire avec soulagement. Cest par là que se situe le souterrain qui communique avec la demeure de Merritt.

- Tout à fait! Ajouta le Français. De plus, il emprunte plus ou moins la direction des tunnels du métro.

Toute léquipe chercha où se dissimulait laccès au souterrain. Pieds légers, béni des dieux, fut le premier à découvrir une fausse paroi quil suffisait de basculer pour quelle dévoile un vaste monte-charges.

- Nous progressons, reprit Fermat. Le signal se précise. Empruntons donc lascenseur comme le bio translateur a dû le faire.

Quelques minutes plus tard, lascenseur automatique sarrêta à lembouchure dun tunnel qui servait de gare. Un grondement lointain puis une lueur jaune émise par un phare vinrent confirmer que la piste était encore chaude. La rame déjà entraperçue par Irina et ses amis apparut, cette fois-ci vidée de sa charge.

Las! Le conducteur de la locomotive était aux aguets. Devinant des intrus, il eut le temps de faire feu avec son revolver. Toutefois, la balle se perdit dans le vide car Antor avait agi avec une promptitude et une souplesse remarquables, bondissant jusque dans la cabine. Impavide, sans le moindre rictus démotion, il brisa la nuque du sbire de Sir Charles. Ce crime némut pas la bande, sauf le Piscator, qui esquissa une grimace de réprobation.

Il appartenait à Fermat de semparer du volant de la motrice antédiluvienne. Pour mémoire, lex commandant excellait à piloter tout ce qui avait pu rouler, naviguer ou voler dans le passé de la Terre.

- Ah! Je retrouve mon élément, siffla-t-il de satisfaction. Après tout, ce métro archaïque fonctionne comme les rames Sprague Thomson parisiennes.

- Hé! Y a pas de métro à Paris, que je sache? Jeta étonné Pieds Légers.

- Mon jeune ami, cela ne saurait tarder, rétorqua le Français avec un sourire.

Doucement, mais sûrement, la rame sengagea dans le tunnel labyrinthique faiblement éclairé.

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[1] Ces péripéties vous sont racontées dans la troisième partie du roman « Le tombeau d’Adam », partie intitulée « le jeu de Daniel. »

[2] Durant sa captivité, Antor avait usé abondamment de ses dons de télépathe et capté les pensées de son geôlier.