samedi 24 avril 2010

Mexafrica : prologue


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Prison de Clairvaux, hiver 1871-1872

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Déjà, le soir tombait. Le soleil couchant teintait le ciel et la ville de pourpre et dor, conférant aux vieux toits dardoise des reflets mordorés. Sur les trottoirs, quelques plaques de neige perduraient bien que lair se radoucissait. A proximité de la prison, les gens, craintifs, hâtaient quelque peu le pas. Les passants se faisaient rares au fur et à mesure que lheure savançait.
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Dans sa cellule, relativement vaste, le socialiste révolutionnaire Auguste Blanqui, tout entier à sa tâche, navait cure du magnifique spectacle offert gratuitement par une mère nature généreuse. Lhomme ignorait superbement les agitations quotidiennes de ses concitoyens qui, eux, vaquaient librement à leurs affaires. Toutefois, lui, tout prisonnier quil était, avait des préoccupations moins triviales que de senquérir de ce quil mangerait bientôt. Lâge navait nullement diminué ses facultés de raisonnement, bien au contraire!
Notre écrivain rédigeait un texte au contenu non politique mais scientifique, un ouvrage intitulé, ô stupeur, « Léternité par les astres. Hypothèse astronomique ».
Sur la très ordinaire table de bois blanc, quelques feuillets noircis samoncelaient déjà. Régulièrement, Blanqui trempait sa plume dans lencrier, grattait quelques lignes, relevait la tête, puis recommençait son manège.
Dans une embrasure, un rat couinait, cherchant sa pitance. Franchement, tout était sordide dans ce lieu. Ainsi, le lit, - deux simples planches retenues par des chaînes de fer-, cachait un seau daisance qui dégageait une odeur des plus nauséabondes. Les murs, sombres et humides, suintaient tandis que des taches indéfinissables les maculaient.
Avec le temps, Auguste Blanqui avait fini par saccommoder de ce triste décor. Son cerveau parvenait à sévader et à atteindre des sphères très hautes. Peut-être escomptait-il obtenir une liberté plus tangible grâce à son ouvrage? Concentré, les yeux plissés, la barbe blanche et les cheveux mal coupés, le vieil homme déroulait sur le papier une hypothèse incongrue pour lépoque, celle selon laquelle la Terre existait en des milliers dexemplaires. Chacune, selon la pensée du révolutionnaire reclus, connaissait une évolution, une histoire différentes… prescience, génie ou folie? Au lecteur de trancher!
« On comptera des milliards de terres de cette espèce, avant de rencontrer une ressemblance entière. Tous ces globes auront comme nous des terrains étagés, une flore, une faune, des mers, une atmosphère, des hommes. Mais la durée des périodes géologiques, la répartition des eaux, des continents, des îles, des races animales et humaines, offriront des variétés innombrables…
Une Terre naît enfin avec notre humanité, qui déroule ses races, ses migrations, ses luttes, ses empires, ses catastrophes. Toutes ces péripéties vont changer ses destinées, la lancer sur des voies qui ne sont point celles de notre globe. A toute minute, à toute seconde, des milliers de directions différentes soffrent à ce genre humain. Il en choisit une, abandonne à jamais les autres… ».
Surprenant, hétérodoxe, mais authentique cependant!
Lheure du dîner vint interrompre linspiration de notre visionnaire. Le geôlier chargé de létage apportait le repas du prisonnier politique.
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Nuage de Oort, 2192, vers la mi-avril selon le calendrier chrétien terrestre.
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Un frêle astronef en matériaux polymères, en forme de scorpion et de libellule, de couleur argentée, fuyait dans lespace, fendant le vide relatif à vitesse luminique, évitant les débris stellaires. Pourchassé par des vaisseaux de guerre plus lourds, moins agiles, il avait une minuscule chance de sen sortir grâce à la virtuosité dont son pilote, qui appartenait à la pure et ancienne race des Helladoï, faisait preuve. Acculé, luttant pour sauver sa vie et son invention, lhumanoïde usait de toute sa dextérité afin que sa navette échappât à ses poursuivants. Celle-ci, loin dêtre un engin de combat, était démunie darmes offensives et ne disposait que dun bouclier multicouches qui la protégeait des impacts des météorites et des radiations. Toutefois, cette faiblesse était compensée par la présence de moyens de communications high tech bien supérieurs à ceux des Haäns, Velkriss et consorts.
Tout en pilotant, Stankin captait des conversations et des images provenant de la passerelle du vaisseau ennemi Velkriss. Ce quil entendait ne le rassurait nullement. LHellados se savait la proie dune meute sans pitié.
Mais quelle pouvait être lapparence de ces cruels charognards? Les Velkriss sapparentaient à des insectoïdes géants dépassant les 3m50 de hauteur. Les chefs, quant à eux, atteignaient les quatre mètres. Mais ce détail nétait pas le plus effrayant, loin de là! La race présentait une chitine dune couleur mordorée, de longues antennes proéminentes, bref une ressemblance certaine avec les mantes religieuses dont, dailleurs, elle imitait les mœurs! Le langage des Velkriss, composé de vibrations, de crissements et de frottements ne surprenait que les naïfs incultes. Léquipage du vaisseau de guerre manipulait facilement les commandes des différentes consoles grâce à des pattes prolongées artificiellement par des pinces en titane.
Si le commandant Velkriss était en contact audio direct avec lHellados, le sommant de se rendre, il ignorait que ce dernier pouvait détailler la configuration de la passerelle ennemie. Or Stankin voyait ce quil ne devait point voir! Aux côtés de linsectoïde géant se tenait debout un humanoïde velu et roux, bombant fièrement le torse, invectivant, insultant son gibier dans une langue peu châtiée, celle de la 18e caste Haän. Il sagissait donc dun représentant de Haäsucq. Il répondait au nom de Zoël Amsq. Et, au contraire de ses congénères, qui revendiquaient haut et fort le fait dappartenir à la glorieuse caste des guerriers, et qui, pour cette raison, se vêtaient duniformes rutilants, barbares et fastueux, notre humanoïde portait, lui, un costume sobre, une longue robe grise à col montant, des bottes de la même couleur aux pieds. Ses cheveux mi-longs étaient retenus en catogan sur la nuque.
Les yeux perçants de lHellados remarquèrent rapidement le signe incongru fixé sur col de Amsq, , ce qui lidentifiait comme lhomme de confiance de lEmpereur. Mais le problème nétait pas là!
Malgré tout le poids de son éducation et sa retenue habituelle, Stankin ne put retenir cette exclamation.
« Par Stadull! Ce Haän nappartient pas à mon époque! Il vient dun temps futur, autre, que jai pu entrevoir en usant de mon chrono vision maintenant, je comprends cet acharnement des Velkriss à vouloir mappréhender! Ils veulent aussi mon appareil. Ainsi, lorsquils auront mis leurs pattes sur mon invention, ils domineront à coup sûr toute la Galaxie, et ce, dans nimporte quelle chrono ligne Inutile de tergiverser encore! Il me faut effectuer le saut quantique immédiatement alors que je nai pas encore achevé les ajustements nécessaires. »
Effectivement, pour sauvegarder son œuvre et, incidemment, des milliards de vies intelligents ou pas, lHellados navait dautre choix que de démonter son invention et den disperser les pièces dans lespace terrestre à laide de multiples sauts quantiques. Or, sa navette nétait pas conçue pour subir de tels heurts.
Pourtant, Stankin prit le risque et réussit à envoyer presque tous les éléments du mystérieux et précieux engin à bon port. Mais il ne pouvait piloter et téléporter à la fois les différentes parties de lappareil. Il nargua le sort une fois de trop.
Alors quil restait à lHellados à désintégrer et à rassembler quelque part sur Terra le dernier élément, - le plus important, la pièce maîtresse-, son frêle esquif fut frappé de plein fouet par un rayon phaseur. Les boucliers ne purent encaisser la totalité de leffroyable choc énergétique. Dans la cabine de pilotage tout crépita et lair pua lozone.
Mais, tentant le tout pour le tout, avec un sang-froid remarquable, pour ne pas tomber vivant entre les pinces des Velkriss, Stankin effectua lultime saut temporel.
Une sorte détoile filante, une flèche argentée se rematérialisa dans lespace terrestre avec un bruit de tonnerre. A la dérive, la navette vacillait. Puis, elle heurta durement la plaine, atterrissant en cassant du bois. Le silence se fit alors dans le vaisseau et de longues minutes sécoulèrent.
Lorsque Stankin reprit enfin connaissance, il tremblait de froid. Sans doute, le traumatisme, la secousse, car, à lextérieur, il régnait une véritable fournaise. Malgré lheure encore matinale, la température sélevait à 45°C. Les jambes peu sûres, le teint jaunâtre, les mains tremblantes, lHellados sapprocha du hublot fendu sur une grande longueur.
« Que Vestrak me vienne en aide! Je me suis bien écrasé sur Terra, mais les coordonnées ne sont pas les bonnes. Je me retrouve au cœur dun désert sec et chaud. Or, je visais une latitude plus polaire. »
A cet instant, avec un chuintement montrant que le téléporteur était endommagé, lélément maître disparut du plot de télé portation pour réapparaître à des milliers de kilomètres du lieu du crash. Presque en rampant, submergé par le désespoir, émotion jusqualors ignorée de lui, lhellados se déplaça tant bien que mal vers la console du téléporteur afin den lire les coordonnées. Il pâlit ou jaunit encore si possible puis sombra une nouvelle fois dans les ténèbres.
Pendant ce temps, si lon puit dire, une pièce octogonale, incongrue, anachronique même, forgée dans un métal inconnu par les humains de cette époque, senfouissait lentement sous la neige qui tombait drue, au milieu des bois, au cœur de lhiver, quelque part en Auvergne. Cétait lère féodale, celle des chevaliers, des châteaux forts et des croisades.
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