dimanche 13 février 2011

Mexafrica 3e partie : Le chevalier au blanc harnois chapitre 24.

Chapitre 24

Maintenant seul, Sydney Greenstreet,

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ou plus exactement le clone du Commandeur Suprême, observait avec une délectation évidente un Arnould de Charmeleu hirsute, baignant dans une fange nauséabonde, vêtu encore de son haubert dont les mailles ternies et rouillées adhéraient désormais à même la peau, la chemise le couvrant autrefois ayant disparu. Oubliant la lourde grille du sinistre cul-de-basse-fosse, la sphère noire anthropomorphisée pénétra jusqu’à sa proie et lui expliqua froidement pourquoi elle allait l’éliminer.

- Pitoyable créature humaine, si dérisoire et si orgueilleuse à la fois! On ne fait pas appel à la Destruction en vain! Lorsqu’on s’inspire du Malin, lorsqu’on s’en réclame, on a tendance à oublier que le Mal absolu signifie la Destruction totale! Or, vois-tu, j’ai été conçue pour cette tâche justement, et, parce que toi, Charmeleu, tu as voué ton existence entière à ce Mal, il est logique que tu finisses ta vie dans la souffrance! Pendant que tu meurs à petit feu, que tu t’estompes dans le Néant, j’accumule toutes les informations que toi, modeste et ridicule unité carbone, tu t’es ingéniée à collecter pour mon plus grand profit.

Relevant alors la tête, une dernière lueur de défi dans le regard, Arnould cracha au visage de son tourmenteur et bourreau:

- Puisque vous êtes, messire Satan, un parfait hédoniste, j’accepte mon sort! Mon âme était perdue depuis longtemps, certes, je l’avoue, mais j’ai bien vécu. Rien ne m’a manqué. J’ai connu richesse, triomphe et puissance!

- Moui… Tout cela passe, trépasse, éphémère et fugace! Il n’y a point d’enfer, humain limité, seulement une grande unification au point zéro du Pantransmultivers de tous les possibles, là où toutes les potentialités se confondent! Es-tu déçu?

- Pourquoi le serai-je?

- Tu vas sombrer dans le Néant! Il ne restera rien de toi! Tu n’auras même plus conscience d’avoir été un si bref instant!

- Peu me chaut! Je ne souffrirai plus!

- Ah! Ma mission, dès le commencement du Tout a consisté à saboter la Vie! Aucun Univers possible ne doit voir le jour! J’aspire au Néant éternel! À l’Infinité du Rien! Cependant, pour connaître ce que chacun peu donner, je laisse un peu de temps à ces mondes… or, que signifie le Temps pour moi? Une illusion, un leurre! Ainsi, se pensant libres, leurs brides lâchées, ces potentialités poursuivent cahin-caha leur petit bonhomme de chemin. Mais lorsque j’ai collationné assez de renseignements, je les détruis! Avec la satisfaction du devoir accompli! Souviens-toi Arnould, avant de passer outre, de cette Unique Vérité: pour détruire le monde, pour l’effacer, pour annihiler le Pantransmultivers, pour l’empêcher d’être tout simplement, la Mort, plus exactement l’Entropie doit savoir ce qu’il y a eu ou ce qui pourrait être! Détruire sans connaître ne sert à rien! Alors, il me faut enregistrer, encore enregistrer, toujours enregistrer. Tel est mon lot, telle est ma Mission. Jusqu’à ce que je demeure Seule!

Ainsi s’acheva la réponse de la sphère noire qui disparut subitement dans un flash violet pour se rendre instantanément dans l’Empire de Texcoco afin d’aider et de surveiller tout à la fois Pavel Pavlovitch. Lorsque l’Entité atterrit à l’endroit prévu, elle se rematérialisa sous l’apparence anodine de Sydney Greenstreet.

Pendant ce temps, Charmeleu voyait filer ses ultimes instants. Son espace vital se mit à rétrécir inexplicablement. L’eau croupie dans laquelle il pataugeait depuis de trop longs jours remontait tandis que la muraille, rongée, sapée par les infiltrations du Nil, tremblait et s’ébranlait.

Mais il y avait pis! La sphère ne pouvait se contenter de cette fin des plus classiques. Des alter egos déphasés du baron, tout aussi pouilleux que lui, on reconnaissait bien là l’humour douteux du Commandeur Suprême, lui disputaient la place plus que réduite ainsi que les bouffées de plus en plus rares d’un air méphitique. En quelques secondes, ce furent des dizaines d’Arnould en loques qui s’entassèrent dans ces quelques mètres cubes, revivant par anticipation le supplice de la terrible chambre noire imaginé par un shah de Perse du XVIIIe siècle!

Puis, note macabre, s’ajoutèrent deux crocodiles sacrés du Nil, d’une taille des plus imposantes, entrés avec les eaux du fleuve par la brèche qui s’élargissait. Les sauriens se disputèrent frénétiquement leur proie. Ainsi périt Charmeleu à moitié dévoré, à moitié noyé! Enfin, rassasiés, les crocodiles moururent aussi, écrasés par les moellons du cul-de-basse-fosse en train de s’effondrer.

Pourtant…. Bientôt tout reprit un aspect habituel à l’ultime picoseconde! L’illusion du Commandeur Suprême cessa de fonctionner. Toutefois, il ne restait bien d’Arnould qu’un cadavre livide, au rictus horrible, aux yeux éteints fixant le vide pour l’éternité. En fait, le Grand Maître de la Buena Muerte avait succombé à une crise cardiaque provoquée par une peur intense.

***************

Par un de ses tours dont il était familier, le clone de l’Entité avait transporté le petit groupe de Daniel Wu à l’intérieur d’une nécropole souterraine labyrinthique dont il fallait rapidement découvrir l’issue sous peine de mort. Naturellement, Ufo n’avait pas été oublié. Une fois encore, Fermat laissa éclater son exaspération.

- Fichu type! Cet histrion a décidé de nous faire revivre les épreuves enregistrées et emmagasinées dans notre mémoire multiple! Les galeries des termitoïdes ou bien encore le temple mandala créé par Johann!

- Pardonnez-moi, messieurs, mais je ne saisis pas! Fit Stankin doucement. Vous avez déjà rencontré, jadis, cet être nuisible, je constate…

- En quelque sorte, lui répondit Daniel. Ailleurs, dans d’autres chrono lignes.

- Mmm. Vous avez omis de vous présenter… à part le fait évident que vous êtes des Terriens provenant d’un futur plus technicien que mon époque véritable, que l’un d’entre vous manifestement n’appartient pas à cette dimension ou à cette réalité-ci, que vous, Fermat, qui parlez et exprimez abondamment votre frustration, êtes d’origine française et certainement un ancien militaire ou soldat, j’ignore tout de vous ou presque! Ah! J’oubliais! Daniel dispose d’une force prodigieuse, surhumaine… sans doute la nanotechnologie a-t-elle à voir dans cette capacité…

- Stankin, vous faites un remarquable observateur! Rit le commandant Wu. Puisqu’il faut se montrer poli… voici le sire chevalier Philippe, bras armé de la Justice et du Bien dans ce XIIIe siècle merveilleux. André Fermat, ancien commandant dans la flotte des 1045 planètes, ambassadeur de l’Alliance habituellement et moi-même, Daniel Lin Wu, effectivement le seul daryl androïde existant dans ladite Alliance, du moins à ma connaissance, depuis le traité de Mowelle de 2354.

- Enchanté.

- Au fait, nous venons de l’an 2517, mandatés par l’amiral Trabinor. Dans notre monde, la Galaxie est sens dessus dessous… et subit une guerre…

- Trabinor… j’ai fréquenté un Trabinor à l’Académie des Sciences, il y a près de quatre-vingt ans… par rapport à l’an 2192 de l’ère chrétienne.

- C’est l’arrière-petit-fils qui commande la Flotte de l’Alliance.

- Dites, messieurs, laissons-là les mondanités et préoccupons-nous de trouver la sortie de ce maudit piège! S’impatienta l’ambassadeur.

- Vous avez tout à fait raison André. Ce Commandeur Suprême est une sangsue mâtinée de cobra particulièrement tenace, de la pire espèce.

- Hélas! Je pense que nous ne parviendrons à nous en défaire qu’en niant son existence! Soupira l’Hellados.

- Nier la Mort? Pourquoi pas? Cela me tente… mais il nous faudra une force d’esprit immense… En nous mettant en transe, en usant de l’enseignement du Bouddha, nous devons pouvoir…

- Oh! Si vous le souhaitez vraiment… proféra Stankin. Il suffit de se replonger dans l’innocence de l’enfance… et de conserver l’équanimité, une équanimité toute helladienne acquise après bien des décennies d’études. Êtes-vous entraînés à cela, mes libérateurs?

- Je renonce! Jeta André après quelques minutes. Je suis incapable d’un tel exploit mental! Tâchons plutôt de sortir d’ici classiquement.

- Bien. Mais qui porte d’Ibertin maintenant totalement aphasique?

- Moi! Sourit Philippe. Il ne pèse rien et c’est en partie à cause de moi que nous nous retrouvons présentement prisonniers dans cette nécropole. De plus, je vois dans l’obscurité comme sous le soleil. Tout comme vous, Daniel.

- Vous aviez remarqué. Donc, vous savez que nous sommes enfermés à l’intérieur d’une immense nécropole, sans doute sise dans les environs du Caire, si j’en crois l’observation géologique du sol, un tombeau contenant des momies sacrées d’animaux tous sacrifiés, des taureaux apis, des béliers, des chats, des crocodiles, des ibis, des babouins et j’en passe.

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Ufo, nullement effrayé par l’atmosphère morbide et confinée du lieu, tournait autour des momies qui achevaient de pourrir là depuis des dizaines de siècles. Peut-être escomptait-il se nourrir de ces chairs poudreuses vu que son estomac gargouillait bruyamment!

- Pouvez-vous vraiment nous sortir de cette tombe avec vos dons de nyctalopes? Fit André très sceptique.

- Sans doute. La salle dans laquelle nous nous trouvons actuellement est entièrement consacrée aux oiseaux comme en témoignent les milliers de jarres entassées jusqu’au plafond. Renseigna Daniel sur un ton détaché.

- Mmm. Marmonna l’ambassadeur de plus en plus méfiant, reconnaissant l’attitude nonchalante prise par le daryl androïde pour chasser l’inquiétude.

- Et cette odeur méphitique? Rajouta Stankin. Respirer de tels relents ne comporte-t-il pas un danger pour notre santé?

- Mais nous disposons d’un mini respirateur! S’exclama Daniel. Tenez, Stankin.

Après le branchement de l’appareil, le daryl reprit sur un ton autoritaire:

- Ufo, ici! Ces débris putréfiés sont absolument immangeables, crois-moi!

Sous la punition mentale de son maître, le chat, penaud, s’en revint, la queue basse, près de Daniel. Toutefois, fort excité, il se mit à tourner sur lui-même, flairant de ci, de là, ressentant la proximité de ses congénères momifiés.

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Ce ne fut pas sans difficulté que fut appliqué l’appareil respiratoire sur le nez de d’Ibertin. Puis, cette tâche achevée, l’Hellados s’abaissa, brisa une jarre et fabriqua des torches afin de faciliter la progression de tous dans ce labyrinthe. Toutefois, le nouvel éclairage dégageait une senteur particulièrement âcre qui provoquait une toux sèche, car c’étaient des momies d’ibis toutes raidies dans un bitume multiséculaire qui brûlaient ainsi.

Ufo mit à profit la courte distraction de son maître pour filer comme une flèche. Naturellement, le félin ne cherchait pas qu’une hypothétique pitance! Il voulait trouver une issue, s’étant rendu compte qu’en ces sombres lieux, si nauséabonds, il n’y avait aucune nourriture goûteuse!

- Ah! Cet Ufo! Suivons donc mon animal familier! S’exclama Daniel. Faisons confiance à son instinct. Ses miaulements sont clairs.

Ainsi firent donc les quatre hommes évitant les pièges variés s’offrant à eux, c’est-à-dire fosses hérissées de pointes, pierres basculantes aux instants les plus inadéquats, culs de sac innombrables et bien d’autres encore. Les corridors s’enchaînaient et aux flammes vacillantes des torches, nos explorateurs malgré eux reconnaissaient des ossements entremêlés où adhéraient encore des restes de chair racornie, tout cela au milieu de débris de jarres, de tessons plus ou moins souillés par d’antiques liquides. Les momies étaient des babouins, des crocodiles ou des bovins.

André dut se frayer son chemin en manifestant son dégoût car parmi toutes ces dépouilles, il identifia plusieurs avortons ou cadavres d’origine humaine, des anencéphales considérés comme des cynocéphales sacrés. Parfois, même, des bras décharnés d’hamadryas s’agrippaient aux jambes des intrus comme dotés de vie. Nullement incommodé au contraire du Français, Stankin repoussait ces dépouilles alors que Fermat, avec une grimace explicite les faisaient tomber en poussière d’un coup de pied.

Mais les miaulements d’Ufo se rapprochaient, devenant plus distincts. Accélérant le pas malgré les obstacles, le groupe rejoignit enfin le félin qui courait d’une urne à l’autre, bondissait sur les jarres, se frottait contre elles pour revenir ensuite vers le tunnel dans un état de surexcitation incroyable! Pourquoi donc tant d’agitation? En fait, c’était là que les chats sacrés avaient trouvé leur dernière demeure!

Or, le plafond diffusait de la lumière. Manifestement, la présence d’un puits y était pour beaucoup. La clarté lunaire parut plus éclatante que mille soleils à nos enterrés vivants. Ils avaient hâte de quitter cette nécropole empuantie par les innombrables momies décomposées.

André et Daniel qui semblaient avoir tout prévu, déroulèrent des filins qu’ils accrochèrent à la bordure du puits et tous s’apprêtaient à l’ascension lorsque Jacques d’Ibertin fut soudain pris d’un délire furieux. Peut-être était-ce la faute aux émanations méphitiques de la salle?

Le moine chevalier était persuadé que la galerie renfermait un trésor constitué de poudre d’or, de pierreries, d’ambre et d’armes serties de joyaux. Il croyait également que les chats momifiés en étaient les gardiens intraitables.

Doté d’une force venue on ne sait d’où, avec une rage incontrôlable, il se mit à briser lesdites momies en lesquelles il voyait des créatures démoniaques s’agiter et l’attaquer. À ses oreilles, les miaulements d’Ufo se transformaient en appels stridents à la vengeance. Pour lui, le chat poussait ses frères à l’assaut contre le voleur, le profanateur qu’il fallait tuer!

L’illusion atteignit un degré tel qu’elle parut devenir collective! Les hordes momifiées de félins profanés se redressèrent malgré les bandelettes moisies qui les entouraient, des griffes acérées déchirèrent les tissus, puis les corps souples et décharnés bondirent à la curée en direction du chevalier sacrilège.

Or, au lieu de reculer sous l’attaque, d’Ibertin poursuivait sa folle et vaine destruction. Stankin tenta bien d’empoigner les bras du moine soldat mais ce dernier fut brutalement englouti par les milliers et milliers de dépouilles sacrées. Après le dernier souffle de d’Ibertin, les illusions se dissipèrent et regagnèrent les limbes tandis que la salle retrouvait son aspect originel.

N’ayant pas d’autre choix que d’abandonner là le corps de Jacques d’Ibertin, le quatuor entama l’ascension et, une fois à l’air libre, fit le point et s’orienta. C’était là une tâche assez facile pour qui connaissait la position des étoiles. À la lisière du désert, la nécropole était distante de cinq lieues du camp où Irina, Geoffroy et ses amis, sans oublier Violetta et Uruhu avaient trouvé refuge. Avant d’emprunter la direction du nord, Stankin prononça l’épitaphe de Jacques seigneur d’Ibertin d’une voix dépourvue d’émotion.

- Les humains ont bien du mal à contrôler le tumulte de leurs sentiments. Ainsi, trop souventes fois, ils poursuivent des chimères qui les terrassent. Tel a été le funeste sort de d’Ibertin. Qu’il connaisse enfin la paix!

***************

Après de chaudes retrouvailles, l’Hellados fut présenté dans les règles au capitaine Maïakovska, au chef pilote Uruhu ainsi qu’au trio d’adolescents. À la vue du K’Tou, Stankin leva un sourcil de surprise mais se reprit immédiatement. Sondant discrètement le Néandertalien, il sut pourquoi le commandant Wu l’avait sélectionné pour piloter son vaisseau.

Quant à Violetta, elle s’inclina cérémonieusement devant le scientifique, respectant le complexe protocole helladien à la lettre, mais comme si elle avait affaire au Président de la planète en chair et en os!

- Mademoiselle, fit Stankin en partie amusé, ma modeste personne ne mérite point tant d’honneur!

- Votre Grandeur, permettez-moi de ne point être de votre avis! Vous avez devant vous une de vos plus ferventes et sincères admiratrices, répliqua l’adolescente avec aplomb dans la langue maternelle du chercheur, langue qu’elle maîtrisait à la perfection bien qu’elle comprît des intonations musicales particulièrement difficiles pour des palais non Helladoï. De plus, vous êtes l’inspirateur et le maître à penser de Sarton, celui qui permit notre existence à tous! On enseigne vos théories à l’Académie de la Flotte et vos succès à l’école préparatoire permettant de passer le concours d’accès aux classes de diplomatie.

- Et vous y êtes une des meilleures élèves…

- Restons modeste!

De plus en plus amusé, Stankin évita cependant de sourire et préférant prendre Ufo dans ses bras, se mit à le caresser. Il s’était lié d’amitié avec le chat et celui-ci, pourtant capricieux et difficile à approcher généralement, se laissait faire et ronronnait d’aise.

Toute cette assemblée partagea ensemble une dernière collation. Il était temps de rejoindre enfin la Mexafrica. En effet, Daniel venait de capter un message mental d’Antor l’informant qu’il avait réussi à localiser précisément les Soviétiques. Mais Zoël Amsq n’était pas loin non plus!

- Et Kiku U Tu? S’inquiéta le daryl androïde.

- Ni vu ni senti! Avait répondu le vampire avec une mimique indéfinissable. Vous avez délivré Stankin, tant mieux! Au moins cela d’obtenu!

- Exactement. Il nous expliquera en détails en quoi consistent les deux pièces manquantes de son bio translateur.

- A propos, Daniel… j’ai appris qu’un des éléments était dissimulé dans la salle du trésor de Nanki Bembé Coatl!

- Bigre! Bravo! Mais comment es-tu parvenu à cette conclusion?

- En lisant dans les esprits des hauts dignitaires du Moro Naba, tout simplement mon frère!

- Il n’y a pas à dire! Sans toi je ne suis pas aussi efficace que Venge et Trabinor le croient!

- Ne va pas jusqu’à m’appeler « Père Joseph »!

Sur cette pointe, Antor interrompit brutalement le lien télépathique.

Le témoin de rappel permit à la navette Einstein, totalement fonctionnelle et efficiente, ce n’était pas trop tôt, de se rematérialiser. Puis, Daniel, André et l’Hellados, qui malgré son léger retard technique pouvait les épauler - après tout ne s’agissait-il pas d’un génie que le traité de Mowelle non encore signé n’entravait pas - s’attelèrent à la vérification des moteurs et de l’IA.

Cette tâche fort délicate ne prit pourtant que deux heures. Depuis que Zoël avait quitté cette chrono ligne et surtout depuis la mort de Charmeleu, le merveilleux et le fantastique s’estompaient à vitesse grand V. Seul restait le chevalier Philippe qui avait une importante mission à terminer.

Vinrent donc les adieux. Philippe serra fraternellement Daniel Wu contre sa poitrine, lui donnant l’accolade et lui dit:

- Messire Daniel je prierai pour la réussite de vos desseins et entreprises. Que Dieu vous ait, vous, votre femme, et tous vos amis en Sa sainte Garde! Ne vous en faites pas pour messire Kiku, votre lézard parlant! Il est sauf. Il y a peu, il est parvenu à s’échapper des mains des créatures malintentionnées qui l’avaient capturé.

- Mmm. Être un ange, même incarné a ses avantages! Soupira Irina.

- Capitaine Maïakovska! S’étrangla André.

- Et alors, pourquoi tant d’émoi? Ce n’est pas la vérité peut-être?

- Chevalier, reprit Daniel, que comptez-vous faire?

- Veiller tout d’abord à ce que notre Sire le roi Louis ait sa rançon versée. Que sa captivité ne soit point trop dure et qu’il sorte de cette épreuve sanctifié. Dieu y pourvoira. Je reste dans ces terres dans l’attente de sa délivrance prochaine.

- Que vous souhaiter? Proféra le daryl androïde. La protection du Bouddha? Je n’ose…

Alors, soudainement, Irina s’agenouilla demandant pour elle-même et Tatiana la bénédiction.

- Dame Irina, fit Philippe confus. Je ne puis…

- Les prêtres qui ne sont que des hommes le peuvent… en tant qu’envoyé de Dieu…

- J’expie un grave péché!

- Qui ne vous empêche pas toutefois de venir à bout des hordes du démon! Lança Geoffroy.

- Autrefois, ailleurs, j’ai sauvé Nicole Agathe des griffes d’Ogo et…

- Et vous en êtes tombé amoureux!

- Je dois aimer les humains comme des frères et non…

- Ne tergiversez pas tant! Dieu est Miséricorde et Pardon!

- Soit!

Philippe se rendit à l’insistance d’Irina et bénit la jeune femme et son enfant. Après cela, le chevalier quitta la navette qui, quelques secondes plus tard, décolla pour disparaître de cette réalité-ci. Désormais, le petit vaisseau courageux devait franchir les différents et multiples cercles spiralés de déviation jusqu’à rejoindre son objectif: l’an 2148 de l’Univers 1790 dans l’Empire de Texcoco!

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L’Égypte n’en avait pas terminé avec ses aléas politiques. Turan Shah, dernier des sultans Ayyubides, c’est-à-dire appartenant à la maison de Saladin, fut déposé et supplicié par le nouvel homme fort du pays, Baïbar. Celui-ci instaura alors la dynastie des mameluks.

Un guerrier cruel vint apporter à Louis IX, toujours prisonnier dans son cachot, le cœur du sultan torturé et mis à mort. Nouvelle épreuve pour le futur saint.

À la suite d’âpres négociations, Louis signa une convention prévoyant la capitulation de Damiette. Cependant, la rançon, énorme pour l’époque, de 400 000 livres fut versée et le souverain fut enfin libéré le 6 mai 1250.

Les Croisés rejoignirent donc la Terre Sainte où ils s’y établirent jusqu’en avril 1254. Tout d’abord, le roi s’installa à Saint Jean d’Acre et ce, dès la mi-mai 1250. Au mois de mars 1251, il changea de résidence, passant à Nazareth, Césarée, Jaffa et d’autres villes encore. Or, Philippe se tenait toujours à ses côtés.

Le départ de Daniel Lin avait définitivement mis un terme à ce XIIIe siècle dévié. De leur côté, TQT et la NSA avaient également fui ce monde et rejoint Texcoco grâce à l’aide des p et à leurs translateurs construits en série.

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samedi 5 février 2011

Mexafrica 3e partie : Le chevalier au blanc harnois chapitre 23.

Chapitre 23

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Le cygne noir était parvenu à tromper la vigilance des insectoïdes qui le gardaient en se plongeant en hypothermie douce, c’est-à-dire en sommeil contrôlé. Pour les Velkriss et les Pi, un volatile endormi ne représentait aucun danger. Alors, la surveillance s’était tout naturellement relâchée. Les occupants se méfiaient davantage des lycanthropes!

Sans état d’âme, les Velkriss s’étaient contentés de jeter le corps inanimé du cygne dans un réfrigérateur avec sans doute l’intention de s’en servir plus tard comme réserve alimentaire.

Eloum était sorti de sa glaciale prison et était parti à la recherche des enfants. Pensant à juste titre qu’ils s’étaient réfugiés dans la partie la moins attractive du vaisseau et non dans la salle des machines, du centre de maintenance de l’IA, de ses annexes ou encore de la chambre des moteurs d’appoint ultra surveillée, il fit mouche du premier coup! En effet, dans ces lieux, ne se rendaient que les esclaves ou assimilés de la dernière caste Haän, ainsi que les insectes ouvriers, programmés pour n’accomplir qu’une seule tâche, relativement simple. Ces êtres méprisés, à l’intelligence très limitée, étaient bien incapables de remarquer toute anomalie.

Cependant, l’alerte pourpre retentissait toujours, vrillant les oreilles, et des mouvements de soldats caparaçonnés se multipliaient à tous les niveaux du Langevin, que ce soit dans les hangars, les salles de transport, de maintenance des produits réfrigérants ou autres.

Dans cette agitation, cette fourmilière non encore affolée, personne ne fit attention à Eloum suivi par les enfants.

La petite troupe essayait d’atteindre l’infirmerie secondaire dans laquelle Lorenza était officiellement confinée. Aucun des quatre ne savait que la métamorphe avait emprunté l’apparence d’un Haän et, qu’ainsi, elle avait pu se faufiler jusqu’à un ordinateur lui permettant d’accéder aux fichiers secrets de Haäsucq!

Le cygne et les gamins changeaient de niveau par les tubes d’évacuation de secours. Malgré leur jeune âge, Mathieu, Isaac et Marie faisaient preuve d’un sang-froid remarquable. Sans difficultés, tous surgirent dans un hangar gardé par deux soldats Velkriss qui, à la vue des intrus, commencèrent à agiter frénétiquement leurs mandibules et leurs pattes terminées par des pinces artificielles. Tout en faisant cela, les insectes émettaient des crissements d’alerte, tout à fait insupportables ainsi que des phéromones, sans oublier des bruissements d’antennes et d’élytres.

Eloum ne se démonta pas et assomma proprement les deux gardes avec une vélocité qui dénonçait son grand professionnalisme. Puis, il brisa la nuque d’un troisième survenu inopinément, à coups de bec. Dans cette attaque d’une rapidité quasi merveilleuse, ses ailes l’avaient aidé!

Mais, à leur tour, les Velkriss prirent leur envol. Dans les airs, ils tentèrent de neutraliser le cygne noir. Or, le hangar s’avérait bien trop étroit pour permettre le vol de tant d’insectes, ceux-ci n’ayant pas assez de portance.

Désormais, dans ce lieu confiné, on comptait une vingtaine de Velkriss qui se heurtaient violemment, s’entrechoquaient, et, donc, devenaient totalement inefficaces dans leur contre-attaque!

Eloum mit à profit ce désordre pour atterrir. Puis, il manœuvra promptement l’ouverture de la soute; pendant ce temps, ce combat semi avorté, les enfants s’étaient mis à l’abri derrière des fûts. Aussitôt le sas ouvert, l’oxygène fut éjecté brutalement avec les insectoïdes qui avaient eu la stupidité de rester en vol. Certains des Velkriss essayèrent bien de se cramponner, qui à des conteneurs, qui à des piliers métalliques. Peine perdue! La plupart finirent coupés en deux! Il resta de ces guerriers de pitoyables troncs et quelques membres agrippés encore aux parois de dur acier. Les derniers survivants furent plaqués au plafond contre lequel ils s’écrasèrent! Leurs corps changèrent de teinte, leurs carapaces virant au marron, un marron terne et maladif!

Toutefois, deux ou trois soldats parvinrent à entrer en hibernation en plein vide spatial et finirent ainsi en orbite autour du Langevin. Si le commandement les récupérait assez vite, peut-être seraient-ils sauvés!

Tandis que les enfants, à demi gelés et asphyxiés, se tenaient tant bien que mal derrière les fûts arrimés et commençaient à sombrer dans l’engourdissement, Eloum n’était pas tiré d’affaire pour autant.

En effet, une patrouille mixte Haän/Castorii arrivait d’un corridor. Elle fit feu sur le cygne noir, tous ses disrupteurs chargés à bloc. Mais le lieutenant de la sécurité usa de sa fluidité naturelle pour esquiver les rais mortels.

Cependant, Eloum pensait ses instants comptés. Or, la chance était avec lui car, un groupe de loups conduit par l’enseigne Rhurr venait en renfort. Les lycanthropes placèrent les enfants sous leur protection. Ils étaient parvenus à se libérer de leur cellule en égorgeant leurs gardes, mettant à profit la panique résultant de l’alerte pourpre.

Ensuite, Rhurr ordonna à tous de se réfugier dans la salle d’holosimulation numéro 3 où les attendait le Kronkos Kiiv.

Lors de cette retraite ordonnée, un lycanthropoïde du nom de Shuir fut tué par une concentration de tirs de disrupteurs Haäns. Toute roussie, la fourrure du défunt dégageait une odeur âcre. Rhurr jura de venger son compagnon. Pour lui-même, il gronda:

« L’entraînement de mon chef Kiku U Tu m’a été utile! S’il pouvait voir comment je m’en sors maintenant dans les simulations et dans la réalité! ».

Continuant à essuyer des tirs brûlants, le cygne, les loups et les enfants réussirent néanmoins à atteindre l’holo salle 3. Derrière eux, la porte se referma automatiquement dans un chuintement à peine perceptible. Les secondes s’ajoutèrent alors aux secondes, aucun Haän ne parvenant à violer le code de sécurité du portail. Le sergent de Tsanu XIII qui commandait le peloton réclama l’aide d’un p. Omicron se dévoua.

Or, Mathieu, doté de facultés extra-sensorielles sentit l’arrivée de la semi-entité et donna l’alerte.

- Aïe! S’écria l’enfant de Daniel. Derrière la porte, un p vient juste de se matérialiser! Il ne lui faudra pas trente secondes pour forcer la sécurité de l’holo salle! Même si mon père a trafiqué le code!

- Que pouvons-nous faire? S’inquiéta Eloum.

- Mourir avec courage! Rugit le Troodon en ajustant son arme.

- Non! J’ai mieux! Fit alors Mathieu avec assurance. Ordinateur, code urgence 1200! Jeta-t-il sèchement sur un ton de commandement sans réplique. Imbrique tous les programmes niveaux 10 à 15 en un seul!

Sans transition aucune, subitement, la réalité de la salle nue, quadrillée de carrés transparents formant un cube, bascula, se modifia pour laisser apparaître un kaléidoscope fantastique où se mêlaient tous les programmes d’entraînements extrêmes, à la limite de la survie, qu’elle fût humaine ou pas!

***************

Lorsque Omicron Pi, le sous-officier Castorii Servius, le sergent Haän et le reste des soldats pénétrèrent enfin dans l’holo salle, les ténèbres les plus profondes y régnaient! Pour mémoire, il est utile de rappeler que le commandant Wu était l’auteur de ces programmes d’entraînement et que ceux-ci s’adaptaient, en utilisation normale, aux capacités physiques et intellectuelles des demandeurs. Or, là, un p était présent et allait être testé, rendant tout à fait impossible la survie à ses compagnons!

Inopinément, soudain, brillèrent dans le noir d’étranges bouteilles du format jéroboam. Elles contenaient des liquides inconnus dans lesquels flottaient des choses abjectes. Parallèlement, des sifflements envahissaient la salle, allant en s’amplifiant à chaque seconde, atteignant un aigu insoutenable.

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Mais qu’y avait-il donc à l’intérieur de ces maxi bouteilles? Une horreur, naturellement, la touche macabre de la demoiselle Violetta Sitruk! Des têtes hypertrophiées, embryonnaires, présentées de face, aux différents stades de développement et de fusion, des réminiscences d’Alphaego avec des bourgeons de visages.

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Soumis à un intense bombardement d’ultrasons, leurs oreilles par trop sensibles, les Haäns voyaient leurs malaises s’accentuer. Le sergent Haän, sous la douleur lancinante, rugit des insultes incompréhensibles et, à bout de forces, sortit son disrupteur afin de mettre fin à ce cauchemar. Immédiatement imité par ses congénères, il n’avait qu’une idée: tirer sur les bouteilles au contenu monstrueux.

Alors que les saignements d’oreilles et de nez se multipliaient, et que les rais lumineux des armes de poing brisaient les flacons, les ultrasons, parvenus à la puissance et à l’intensité nécessaires, rendirent totalement fous les vaillants guerriers de Haäsucq.

Or, des débris des jéroboams surgirent des têtes gonflées et déformées d’embryons qui attaquèrent aussitôt leurs agresseurs et ce, dans une semi pénombre qui ajoutait encore à l’atmosphère fantasmagorique de l’holo reconstitution. Les succédanés d’Alphaego tournèrent autour des soldats devenus à leur tour les agressés, mordant ceux-ci sauvagement, leurs dents pointues perçant leurs broignes.

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Mais les assaillants se défendaient et chaque fois qu’un Haän faisait éclater une horrible tête, celle-ci se recomposait aussitôt mais en quatre exemplaires! Les guerriers roux avaient ouvert la boîte de Pandore!

La situation empirait à chaque seconde. Des minis cavités engendrées par les armes plasmiques, des légions d’acariens jaillirent, comme vomies par l’enfer. Puis, elles s’insinuèrent dans les cuirasses des Haäns, atteignant les chairs sensibles. Dévorés de l’intérieur, de nombreux guerriers succombèrent, d’autres furent transformés en viande particulièrement attendrie et grouillante de parasites immondes.

Désormais submergés, pratiquement vaincus, leurs vêtements réduits à l’état de loques, les soldats de Tsanu XIII se comptaient sur les doigts d’une seule main!

Cependant, Omicron p, durant ce premier assaut, n’était pas resté inactif ; il avait appelé des troupes en renfort. Ainsi, les Castorii, les Haäns et les Velkriss se bousculaient dans l’holo salle. Comme il se doit, la simulation passa à un stade supérieur…

Brutalement, sans aucune transition, tous ces admirables champions basculèrent à l’envers dans une dimension déviée pour rebondir de l’extrême profondeur abyssale de l’unique océan de Haäsucq jusqu’aux sommets d’Hellas, passant ainsi de moins vingt mille mètres à plus de vingt-sept mille avec les conséquences prévisibles.

Sous le changement quasi instantané de pression, les carapaces des Velkriss éclatèrent d’une façon non artistique, tandis que, sous le regard d’Omicron p, les corps disloqués des Castorii et des Haäns étaient violemment propulsés dans tous les sens. Toutefois, la semi-entité n’était pas incommodée par le réalisme de la simulation. En effet, créature décadimensionnelle, le p pouvait théoriquement se mouvoir sans danger pour son intégrité à peu près partout dans le Panmultivers, y compris au sein des réalités virtuelles les plus extrêmes.

Or, justement, le décor et la partie venaient de changer une fois encore…

Maintenant, des Haäns qui étaient parvenus à survivre par miracle s’égaraient dans des labyrinthes protéiformes, des souterrains Kronkos qui se remodelaient sans cesse. De partout, le grisou jaillissait, fusait. Les multiples projections enflammées prenaient pour cibles les guerriers prisonniers des boyaux souterrains. Ainsi, cinq soldats Velkriss, pourtant parmi les plus aguerris chutèrent dans des gouffres de mille mètres de profondeur, gouffres subitement formés sous les pattes des insectoïdes. Ces derniers, pris au dépourvu, n’avaient pas eu le temps de passer en vol plané! D’autres encore furent aspirés violemment par des cheminées ou des conduits latéraux à l’intérieur desquels le frottement de l’air conjugué à la force de projection accélérée embrasait les corps des imprudents.

Aveuglé, n’en pouvant mais de souffrance, son visage atrocement brûlé par les geysers et les solfatares, le Castorii Servius tirait au hasard sous les stalactites. Or, son action irréfléchie eu pour résultat de déclencher un éboulement qui fit cinq nouveaux cadavres.

Sans émotion aucune, Omicron Pi abandonna Servius à son sort. Le sous-officier gémissait, ne se rendant pas même compte qu’il pleurait, les jambes broyées par les éboulis.

Les morts n’en finissaient pas de s’accumuler. Des insectoïdes, décidément malchanceux ou particulièrement malhabiles, furent engloutis, qui, par la lave, qui, par les siphons d’eau sulfurique, qui par les caldeiras, qui par la montée brutale de rivières souterraines fumantes.

Désorienté et paniqué, un centurion Castorii tomba victime d’un piège effroyable ; croyant apercevoir de classiques sables mouvants, il se mit à longer une paroi afin de les contourner. Mais celle-ci était recouverte d’une mousse des plus cannibales! Ces ventouses vampires se collèrent sur son corps et se nourrirent de tous les sucs de l’inconscient. Bientôt, même le squelette y passa!

Le massacre se poursuivit.

À travers les dédales de grottes de gypse, de soufre, de calcite, de cristal de roche ou de glace, les troupes Velkriss, Castorii et Haäns qui avaient perdu leur qualificatif de vaillantes, succombaient avec une belle régularité. Dire que, par comparaison, les officiers du Langevin, se sortaient sans casse ou presque de cette simulation à part quelques bobos ridicules!

Ici, les crocs redoutables du Migou-Archosaure mordaient sans répit les broignes, les chitines, avalant les guerriers, frôlant l’indigestion. Les envahisseurs, pourtant entraînés, il ne faut pas croire qu’ils n’étaient que des enfançons, étaient imparablement colonisés par des cristaux, et ce, intérieurement et extérieurement. Malgré leurs cris de terreur, les soldats se retrouvaient emprisonnés à l’intérieur d’une gangue impossible à briser ou finissaient entièrement dissous, ou plus abominable encore, voyaient leurs membres et leurs corps parasités d’infects et maladifs bourgeons cristallins qui surgissaient de tous leurs organes désormais infestés.

Un Haän à la stature imposante éclata sans prévenir, un arbre de quartz rose sortant de sa bouche. De même, un corail de calcite ayant poussé en lui, un Velkriss se désagrégea, éclaboussant de pulpe et de chitine ses compagnons d’infortune.

Cette hécatombe n’avait pas duré cinq minutes! Il ne restait plus qu’Omicron Pi. A lui d’affronter les loups. Pour rajouter à la difficulté, la simulation sauta plusieurs niveaux et, bien fait pour l’audacieux, atteignit le stade ultime!

Aussitôt, l’entité fut ballottée jusqu’au noyau d’une étoile, participant, malgré elle, à la synthèse de l’hydrogène et de l’hélium. Mais il en fallait plus pour vaincre le Pi!

La simulation dut le sentir puisqu’elle se compliqua. Alors, Omicron fut téléporté au sein d’un micro-univers, à l’échelle du quark. Essayant de se débattre, l’être décadimensionnel se retrouva prisonnier à l’intérieur d’une proto particule de laquelle poussaient et se développaient des super cordes qui ligotaient l’intrus et l’enfermaient dans un filet incassable.

Mathieu pouvait croire avoir affaibli durablement l’ennemi. Pourtant, l’enfant se trompait car il ne s’agissait encore que d’une recréation en quatre dimensions seulement!

Comme attendu, se mouvant à l’échelle des mémoires de l’holo salle, Omicron p les parasita sans coup férir!

Alors, bientôt, et quasi simultanément, un réseau de miroirs se forma autour des lycanthropes d’où s’écoulèrent, suintant des glaces, une myriade de doubles d’Omicron. Tout était devenu p, verre reflétant, plafond, murs et sol. Cette multitude se mit à arroser de rayons létaux les gardes de la sécurité! À leur tour enfermés mais cette fois-ci au sein de micro bulles temporelles déphasées, les loups subirent l’écartèlement quantique, c’est-à-dire rajeunissement, vieillissement, ralentissement, accélération, compression, étirement de leurs cellules et atomes.

Plusieurs gardes finirent par éclater, trop distendus. Dans ce fauchage de vies, ne subsistèrent que les enfants, Eloum, Kiiv, et Rhurr.

Comment vaincre Omicron? Cela était-il d’ailleurs possible?

Or, l’IA avait été préprogrammée par Daniel Wu avec cette loi de base fondamentale: protéger coûte que coûte Mathieu, Isaac et Marie. Il semblait que le commandant du Langevin avait anticipé cette attaque.

Réagissant en moins d’une femto seconde, l’intelligence artificielle isola le petit groupe de survivants au sein d’un micro-univers coupé du reste de la réalité, micro-univers tout à fait impénétrable. Pour trouver une faille dans cette bulle, il fallait que l’envahisseur fût capable de se mouvoir sur seize plans d’existence à la fois, ce qu’un p ne pouvait accomplir!

Notre Omicron orgueilleux eut beau abandonner son enveloppe leurre humaine et se démultiplier, se déphaser au maximum de ses possibilités, il ne parvint pas à forcer le champ de confinement du micro-univers. Il n’obtint pas la moindre petite fêlure, le plus infime trou!

Transformé, par sa volonté, en une mosaïque d’ondes, de gouttes d’énergie venant se fracasser contre les champs d’acier de contention, l’être décadimensionnel multiplia en vain les assauts. Tous ses efforts n’aboutirent qu’à miner ses forces.

Au bout de quelques trop longues minutes, la semi-entité dut se résoudre à se recomposer.

Une fois encore, Omicron tenta de parasiter les programmes de l’holo simulation. Devant son échec patent, il choisit une nouvelle tactique: déclencher toute une série de contre simulations de sûreté imaginées par le commandant Wu.

On s’en doute, Daniel avait prévu la parade! Par qui s’était-il donc fait aider?

Plus Omicron p s’acharnait, plus il perdait en fait de son intégrité physique! Sentant enfin qu’il ne pouvait s’affaiblir davantage, il reprit son enveloppe humanoïde habituelle avec un certain soulagement.

Mais Omicron, présomptueux, avait mis bien trop de temps à réagir. Désormais, il devrait conserver son apparence une année durant.

Cependant, l’holo simulation n’était pas éteinte. Une coupole de mosaïques byzantines apparut. Les personnages représentés, impériaux ou bibliques, semblaient doués de vie. Justinien et Théodora son épouse foudroyaient de leurs regards sombres l’importun qui osait s’attarder dans l’holo salle.

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Une pareille puérilité dans la mise en scène aurait été parfaitement inutile si elle ne s’était pas accompagnée de décharges de charpakium à l’état pur, décharges qui provenaient du chrisme et qui bombardaient continûment le corps désormais mortel d’Omicron!

Sous les vagues de douleur qui le submergeaient le p pleura! Pour la première fois de sa longue existence, il expérimentait la souffrance physique.

Se moquant de ces manifestations de faiblesse, la torture se prolongea, implacable. Maintenant, l’être qui n’était plus tout à fait décadimensionnel était criblé par les milliers de tesselles qui constituaient les mosaïques virtuelles. Les œuvres d’art se détruisaient, se désagrégeaient dans le seul but d’en finir avec l’intrus.

Presque aveugle, éperdu de douleurs et sanglant, Omicron courut ; sous ses pas, le décor changea, se métamorphosant en un labyrinthe bouddhique, un mandala gigantesque où s’alignaient, en une fausse perspective d’infini, des statues de bronze doré et de bois paré d’origine thaï du saint homme.

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Mais, chaque fois qu’Omicron tentait de fixer le décor mouvant de ses yeux brouillés, il voyait les éléments le composant se modifier toujours. Les couleurs s’altéraient, inexorablement pâlissaient ou, au contraire, devenaient criardes, voire fluorescentes, ou, encore, s’estompaient dans de doux pastels pour se fondre dans le néant.

Cependant, sur des feuilles d’or appliquées le long des cimaises, une phrase en Pali du VIIe siècle revenait tel un leitmotiv. Les statues du Sakyamuni, dotées de vie, psalmodiaient désormais cette sentence en échos tandis qu’au milieu du corridor protéiforme apparaissait une armoire Ming de bois laqué représentant un vol de grues cendrées au-dessus d’un étang recouvert par des nénuphars. De ce meuble, sortit Li Wu, qui, en chinois littéraire, égrena la sentence de sa voix musicale.

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« De toutes les choses issues d’une cause, le Tathâgata a dit la cause et il en a aussi révélé la cessation, lui, le grand Religieux ».

Puis, se taisant, Li Wu claqua des doigts. À son commandement sonore, les statues se métamorphosèrent une ultime fois. Uruhu avait participé à la touche finale du programme. Des dieux hybrides hommes gibiers encadrèrent, grondant, le p impuissant et débile. Certaines de ces divinités composites, aux attributs dignes de Cernunnos, de Broohr ou de Minga présentaient des traits fortement Erectus.

Or, ceci était tout à fait compréhensible car la religion K’Toue plongeait ses racines parmi les premiers éveils de la conscience communs aux Homo Ergaster, Erectus de Java, de Pékin, de Dali, de Solo, de l’Atlas, de la Rhodésie, de Ma-Pa, de Mojokerto, de Terra-Amata, de Mauer, de Tautavel, de Swanscombe, de Heidelberg et de tant d’autres oubliés ou pas. On peut dire que tous ces dieux appartenaient à l’inconscient collectif de la première espèce unique. Ce que savait pertinemment le concepteur de ce programme hors normes!

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Affamés, les êtres divins se jetèrent sur Omicron et lui firent subir les pires tourments.

***************

Les stridulations épuisantes de l’alerte pourpre retentissaient sur la passerelle du Langevin. Le vaisseau avait violé la zone neutre de l’Empire Olphéan. Velkriss, Haäns et Castorii ne comprenaient pas comment ils étaient parvenus jusque là.

Mais, désormais, les multiples écrans du niveau de commandement affichaient les coordonnées exactes du périple.

Tsanu XIII rageait et se mordait les poings sauvagement car il avait enfin pris conscience que l’IA du Langevin l’avait roulé! Mais inutile, n’est-ce pas, de perdre son temps et de fulminer de colère!

Tous les officiers disponibles se tenaient sur le pied de guerre, prêts à entendre les premières sommations et à subir les attaques conventionnelles qui ne tarderaient pas ensuite.

Mais ce fut tout le contraire qui advint! De soudains et brutaux ultrasons et sifflements firent saigner les oreilles fragiles des grands guerriers roux; parallèlement des centaines et des centaines de bulles translucides irisées, aux douze couleurs de l’arc-en-ciel de l’Univers de la Quatrième Civilisation post-atomique, celle de Michaël Xidrù, vibrantes, hululant et particulièrement agaçantes, se télé portèrent dans tous les niveaux du vaisseau, et, surtout dans les centres vitaux, passerelle, IA, salle principale des machines, qu’elles avaient au préalable scannés, dans le but de les occuper et de les parasiter. Ici, nul besoin de raptors, de chasseurs, de bombardiers! Inutiles également les classiques et dépassés rayons tracteurs! L’efficacité des Olphéans n’était plus à démontrer.

Après cette première étape de l’abordage, les bulles gardiens, prenant le contrôle de leurs cibles proies, dotées de facultés quadridimensionnelles, créèrent un trou de ver qui emprisonna le Langevin et l’expédia instantanément au cœur même de l’Empire des machines. Ah, la chasse avait été bonne ! Il fallait maintenant étudier ce nouveau gibier, puis l’assimiler ou le détruire!

À bord cependant, dans le plus grand désordre, Haäns et Castorii tentaient de riposter au fuseur et à l’arme blanche, essayant de découper, de taillader ce qui ne pouvait l’être, ces structures inconnues. Promptes à la parade, les bulles gardiens qui pouvaient si nécessité l’imposait s’allonger, se déformer, emprunter des formes ellipsoïdales, un peu comme les célèbres montres molles du peintre catalan Dali, ripostèrent en avalant les fous et les imprudents, les ingérant avec la plus parfaite indifférence dans leur protoplasme.

À l’intérieur des bulles, les téméraires humanoïdes voyaient leurs structures biologiques analysées. Or, seules les conceptions artificielles seraient tolérées, acceptées.

Des micro scanners ultra performants parcoururent les moindres cellules des guerriers maladroits et présomptueux, des flux colorés bizarrement les bombardèrent. Une fois l’analyse achevée, insatisfaites, les bulles brûlèrent leur contenu, disséquant l’intrus non assimilable, le déstructurant jusqu’à l’atome. Puis, enfin, des résidus de poudre grise, composés de carbones bruts furent recrachés avec dédain!

Dépassé, démoralisé et effrayé, Tsanu XIII jeta d’une voix désormais chevrotante:

- Daniel Wu est un Rooga, une sorte de démon démiurge surpuissant, un dragon de feu et de glace face auquel, nous, pauvres Haäns mortels, sommes impuissants! Pourquoi ai-je écouté ce maudit Zoël Amsq? Pourquoi ai-je succombé à ses paroles venimeuses si séduisantes me promettant gloire, puissance et richesse? Benjamin Sitruk, digne second du commandant, a su nous entraîner au sein d’un piège imparable! Tsanu Premier, le Fondateur mythique, le Surpuissant, le Fédérateur! Je t’implore! Accueille-moi près de toi! Octroie-nous ta Miséricorde!

***************

Les mailles des hauberts des Croisés aux gencives attaquées par le scorbut s’échauffaient et se faisaient cuisantes sous les rayons d’un soleil implacable. Affaiblis, rongés par la dysenterie, parcourus par des parasites qui banquetaient à loisirs sur ces corps non lavés, privés de nourriture saine depuis de trop longs mois, les Francs n’étaient plus que les ombres amaigries et enfiévrées d’eux-mêmes. C’était à peine si les chevaliers se tenaient sur leurs montures et supportaient le poids de leurs cottes de mailles. La colonne souffrante, en retraite, s’étirait sur plusieurs lieues et les traînards succombaient, les membres gonflés, immédiatement harcelés par les charognards.

Le groupe de Daniel Wu ne s’était pas joint à cette armée en déroute, composée de fantômes. Présentement, l’occasion s’offrait enfin de délivrer Stankin des geôles de Turan Shah et de regagner Damiette. Puis, il faudrait remettre en route l’Einstein et son IA qui, partiellement désactivée, avait pourtant pu maintenir le vaisseau en déphasage. Ce XIIIe siècle fantastique, légèrement dévié du nôtre, allait en s’estompant, manifestement devenu inutile au Grand Meneur de jeu anonyme. Désormais, et il le savait, en n’importe quel point du globe, muni d’un ordinaire témoin de rappel, Daniel parviendrait en un instant à appeler la navette.

En attendant, comment libérer Stankin qui, depuis la mort tragique d’Ayyub était plus que jamais surveillé? Fallait-il également revêtir une fois de plus la pelure du saint Bernard galactique et sauver Jacques d’Ibertin et Arnould de Charmeleu? Philippe s’opposait à la volonté du daryl androïde d’abandonner à leur sort funeste les deux maîtres de la Buena Muerte. Quels qu’aient été leurs péchés, ils méritaient pardon et miséricorde!

C’était d’ailleurs étonnant que le sultan ne les ait pas encore suppliciés, se contentant de les faire mourir à petit feu, d’Ibertin dans un in-pace, Charmeleu dans un cul-de-basse-fosse où bientôt, lors de la prochaine saison, la crue du Nil le noierait!

Pour Daniel Wu, il était plus qu’évident que Stankin était ménagé, incarcéré qu’il était dans un cachot ordinaire, presque anodin. Quant au Baphomet, il appartenait désormais aux Templiers et servirait de preuve à leur encontre dans quelques décennies. Amsq, heureux possesseur de la mandorle, semblait quasiment triompher. Mais cela n’affectait pas plus que cela Daniel. Il le taisait mais il avait un plan de rechange. Peut-être s’était-il résolu à faire appel à l’Homunculus qui sommeillait en lui…

Philippe sut se montrer persuasif. Daniel dut se résoudre à libérer les trois prisonniers.

Mais qu’advenait-il de Kiku U Tu, lui aussi captif, mais à bord du Raptor de feu de Zoël Amsq?

Le vaisseau ennemi avait rejoint sans difficultés la Mexafrica à cette heure, même avec le temps plus que relatif et élastique ambiant. Le commandant Wu ne remettait pas en cause les ressources de son chef de la sécurité. Kiku avait beaucoup d’expérience et n’était pas aussi obtus qu’il le laissait croire ou paraître. Assurément, il finirait par s’évader et retrouver Antor et Tony Hillerman. Restaient cependant Fouchine et son otage Von Hauerstadt.

À quelques lieues du campement des tempsnautes, un imprévu se produisit; les Croisés en déroute subirent un nouvel assaut, une embuscade des Égyptiens. Les musulmans s’emparèrent de la personne du roi, reconnaissable par ses armoiries et son porte-étendard.

Belle rançon en perspective pour ce podagre de Turan Shah qui passait son temps entre le harem, le haschich de son narguilé et les prises de poudre de momie sensées pour ces dernières raviver sa langueur coïtale!

Le tyran eut l’idée saugrenue d’enfermer Louis IX dans le même cachot que l’Hellados. Une étonnante confrontation devait en résulter qui aurait pu inspirer les scénaristes de Hollywood en mal d’imagination au début du XXIe siècle! Ils en étaient réduits, jugez un peu, à recycler de vieilles BD comme Spiderman ou X-Men!

***************

À l’arrivée de son nouveau compagnon de misère, Stankin sortit de sa transe méditative. Observant le chrétien avec attention, il fut soulagé de constater qu’il n’avait pas affaire à une brute avinée mais à un chevalier éduqué qui approchait de la quarantaine, une espèce de géant blond aux yeux clairs. Toutefois, comme tous les humains de cette époque, et certainement à cause de la température - un petit 47°C à l’ombre tout à fait supportable pour l’Hellados - et des circonstances, l’homme puait. Ce détail n’enlevait rien à sa civilité.

L’inconnu salua le prisonnier plus ancien d’une voix douce et ferme à la fois, prenant Stankin pour un Syriaque converti au christianisme. L’extraterrestre retourna la politesse, maîtrisant le moyen français à la perfection. Cependant, son impassibilité coutumière se craquela lorsqu’il identifia son compagnon.

- Oh! Mais vous êtes… le roi de France, Louis le Neuvième! Mon humble et modeste personne se trouve fort honorée par votre présence!

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Connaissant le cérémonial, Stankin allait s’agenouiller lorsque le roi lui fit signe de rester debout.

- Messire, laissons là toute forme de courtoisie. Nous ne sommes pas en mon palais du Louvre! Ces salutations et ces accolades ne siéent pas à ces lieux.

À son tour, sans s’en cacher, le souverain examina l’Hellados. L’étranger avait su garder toute sa dignité ainsi qu’une propreté relative. Dans ce cachot sordide, cela tenait de l’exploit! Les préceptes de Vestrak obligeaient Stankin à tout tenter pour conserver la supériorité de l’être pensant et civilisé sur l’animal quelle que soit la situation. Tout plutôt que retourner à l’état de nature dégradant!

Au fond de la cellule, il y avait un cruchon d’eau. Or, le souverain avait soif. Depuis combien de temps n’avait-il pas bu? Il commença donc à se rapprocher du pot afin d’éteindre le feu de sa gorge. Stankin comprit et s’interposa, osant poser une main sur l’épaule royale.

- Sire, pardonnez mon impudence, mais cette eau est pour nous deux désormais! Elle ne doit point servir qu’à étancher sa soif. Rafraîchissez-vous la bouche régulièrement en vous contentant d’une seule gorgée, c’est tout. Nos geôliers ne nous apporteront un nouveau cruchon qu’après demain soir.

Aussi impensable que cela puisse être, Louis obéit. Stankin imposait par son regard et sa dignité.

Le roi s’interrogea sur l’identité de son compagnon. Un chevalier syriaque, certes… mais point un de ses féaux de France ou un vassal de l’Anglois. Éduqué, cultivé, l’inconnu s’exprimait avec une aisance certaine dans la langue de l’Île-de-France et sans accent encore! Ce qui intriguait le souverain.

N’y tenant plus, Louis tenta une question.

- Messire chevalier, je l’avoue, je m’interroge sur vous. Vous n’êtes point un de mes sujets, manifestement. Peut-être appartenez-vous à la noblesse de Bretagne? Non… cela ne va point. Votre teint est trop mat, trop foncé. Venez-vous de Léon?

- Nenni, seigneur roi. Ma nation ne vous dirait rien. Je suis un parfait étranger pour ces contrées, y compris pour les Indes et le Cathay. Oh! Ne craignez rien! Il n’y a rien de magique ou de sorcier en moi. Je ne pratique point la magie noire, la nécromancie que je condamne autant que vous! J’ai atterri ici à la suite d’un fâcheux contretemps, c’est tout. J’ignore si, un jour, quelqu’un viendra à mon secours. Le nouveau sultan, Turan Shah me ménage, espérant recevoir de mes amis une rançon conséquente. Je ne puis que me montrer patient et me résigner à mon sort.

- Dans ce cas, cet Infidèle sera comblé par ma capture. Dès que la régente, ma mère, aura appris la nouvelle, elle mettra le royaume à contribution.

- Madame Blanche est connue pour sa grande résolution!

- Précisément! Approuva avec un sourire Louis. Depuis combien de temps êtes-vous captif?

- Bien plus d’une année si je ne me trompe pas dans mes calculs.

- Ah! Il court des bruits malgré l’épaisseur de ces murailles. Le précédent sultan infidèle, Ayyub, aurait connu une mort bien cruelle. Comme si, Nostre Seigneur l’avait frappé…

- Ayyub a convoité des secrets interdits, dit laconiquement Stankin. Il s’est puni tout seul!

Comprenant que son compagnon n’ajouterait rien, le roi se contenta de cette réponse.

Les heures, monotones, s’écoulèrent. Les deux hommes finirent par faire plus ample connaissance. Louis IX était fasciné par la conversation et les connaissances de l’Hellados. Stankin maîtrisait toutes les philosophies terrestres. Il avait lu Saint Augustin, Averroès, Saint Thomas d’Aquin, dont la renommée grandissait, Platon, Aristote, les pré socratiques, les cyniques, Épictète, Marc-Aurèle, Isidore de Séville, Avicenne, mais également des penseurs dont les noms ne disaient rien au roi: Confucius, Zarathoustra, Mencius, Lao-Tseu, le Bouddha…

- Vous possédez la science de Cathay et une érudition universelle! Auriez-vous parcouru toutes ces contrées merveilleuses et étranges à défaut d’y être né?

- Oui et non, Sire. Cathay vous paraît loin, je le comprends, mais pour moi, ce royaume n’est qu’à un jet de pierre! J’avoue aussi que mes meilleurs amis sur cette Terre sont chinois. Je pense notamment à un certain Deng Wu, mon contemporain qui œuvre pour remettre en valeur l’art de la calligraphie.

Un long silence se fit alors. Louis IX méditait. Il lui déplaisait profondément d’accepter les conséquences des paroles de Stankin. Selon l’étranger, chaque religion, chaque philosophie possédaient des côtés positifs, qu’il fallait conserver et cultiver. Volontairement, il en ignorait les aspects négatifs.

Or, l’Hellados savait pertinemment qu’à cette époque croire exigeait de convertir l’autre ou, en cas d’impossibilité, de le tuer, physiquement, afin de sauver son âme! La tolérance, concept tout à fait improbable et inenvisageable, ne pouvait exister en ce siècle parce que, sinon, c’était permettre au Malin de cueillir librement des âmes humaines bien faibles, puis de les tourmenter pour l’Éternité, après le Jugement Dernier.

Aux yeux de Stankin, les torts étaient partagés entre les chrétiens et les musulmans. Le temps n’était pas venu pour l’humanité d’accéder à une autre marche dans l’échelle de son évolution mentale. Comprendre pourquoi le roi de France avait détruit les Cathares, s’était acharné sur eux, ne signifiait nullement qu’il approuvât cela! Hélas, sur cette planète chronologique, chacun faisait preuve de fanatisme et il ne pouvait en être autrement!

Sentant qu’il s’était un peu trop dévoilé et qu’il ne fallait en aucun cas s’aliéner l’amitié du monarque, Stankin fit marche arrière. L’extraterrestre calma donc le jeu.

À la question de Louis:

- Êtes-vous donc mahométan?

Il répondit d’une voix égale:

- Oh! Certes non, sire roi.

- En ce cas, embrassez-vous la foi en Nostre Seigneur Jésus Christ?

- Je respecte et j’aime mon prochain. Je pardonne à mes ennemis. Je vénère mon père et ma mère et ne me prosterne point devant les idoles! Répliqua l’Hellados en souriant.

Louis IX réfléchit longuement à cette réponse et l’accepta. Cela l’ennuyait de creuser plus avant. Stankin lui paraissait un compagnon de misère des plus honorables.

Pour l’extraterrestre, le message de Jésus était admirable. Mais il avait été détourné par des fanatiques et des personnes qui ne visaient que le pouvoir.

****************

Quarante-huit heures s’étaient écoulées et les geôliers n’allaient pas tarder à renouveler les maigres rations des prisonniers. Adossé contre le mur de son cachot, accablé par la forte chaleur, le roi somnolait, les yeux clos. Même les rats qui couraient sur ses jambes ne parvenaient pas à le tirer de sa torpeur.

Sentant qu’il n’était pas humain, les rongeurs évitaient Stankin.

Les lourdes clefs de la porte de la cellule tintèrent enfin tandis que l’huis s’ouvrait en grinçant sinistrement. Trois silhouettes se découpèrent dans la semi pénombre. Trois geôliers, c’était trop d’honneur!

Immédiatement, l’Hellados perçut la singularité des nouveaux venus. Incontestablement, ils n’avaient pas une mine patibulaire, et, surtout, ils ne puaient pas! De plus, leurs traits caucasiens détonaient et l’un d’eux, malgré le turban qui le dissimulait partiellement avait un regard brûlant, inhumain. Aussitôt, Stankin pensa que cet individu était un être provenant d’une autre réalité et se mouvait habituellement au niveau subatomique. Pour se camoufler dans ce monde-ci, il arborait une image, un leurre, un masque qui parvenait à tromper la plupart des humains de cette époque.

Dans cette description, vous aurez reconnu le chevalier Philippe! Encadré par Daniel Wu et André Fermat, il allait délivrer l’Hellados. Les geôliers avaient été promptement endormis par une prise neurale quelques instants plus tôt. En moins de deux, les chaînes de Stankin tombèrent sur le sol crasseux et grouillant. Ce bruit incongru éveilla le roi. Celui-ci vit alors les chaînes brisées de son compagnon de captivité. Elles avaient été découpées au disrupteur par Fermat. Dévisageant attentivement Philippe, il reconnut en lui un de ses fidèles chevaliers. À son tour, il attendait d’être libéré.

- Délivrez-moi, messire, et vous serez récompensé non point par du vil argent mais par des terres.

- Ah! Seigneur roi, je le voudrais! Mais je ne puis! Cela compliquerait trop les desseins de Dieu! La Divine Providence, en Sa Sagesse infinie, a décidé que vous deviez subir cette épreuve. Votre âme est assez forte pour supporter les tourments d’une dure captivité. Elle en sortira plus belle encore, purifiée. Croyez en ma promesse, en mes paroles. Votre place est déjà réservée auprès de Nostre Seigneur Christ.

Louis IX acquiesça, soudain résigné. Le regard de Philippe l’avait convaincu. Si Dieu le voulait ainsi…

En féal, se soumettant devant le suzerain terrestre, le chevalier blanc s’agenouilla et baisa respectueusement l’anneau royal. Louis n’était-il pas l’Oint du Seigneur?

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Mais Fermat le rappela sèchement à la réalité actuelle.

- Holà! Chevalier! Ce n’est point l’heure de vénérer un futur saint! Nous avons encore deux personnes à récupérer.

- Effectivement, hâtons-nous! Renchérit Daniel. L’in-pace de Jacques d’Ibertin se trouve à vingt pieds sous terre. Et, lorsqu’elle est bien administrée, la prise helladienne n’assure l’inconscience que cinq minutes au maximum!

Abandonnant là le roi et refermant la porte du cachot, le quatuor parvint sans obstacle à l’in-pace, endormant de ci de là les mameluks lorsque cela s’avérait nécessaire. André pulvérisa la lourde porte qui s’offrait à eux et tira d’Ibertin de son ignoble trou à rats. L’homme était terriblement affaibli par sa captivité.

- Il faut lui administrer immédiatement un cocktail vitaminé! Constata l’ambassadeur.

Aussitôt dit, aussitôt fait, et ce, grâce à un spray spécial. Restait maintenant à atteindre le cul-de-basse-fosse d’Arnould, au dernier sous-sol, c’est-à-dire au niveau même du Nil, là où les crues saisonnières noyaient les détenus encombrants.

Or, non seulement il y avait une nouvelle porte à détruire, jeu d’enfant pour qui possédait un disrupteur, mais également une lourde grille scellée à même le sol ainsi qu’un lourd et cruel carcan.

D’une chiquenaude, Daniel se chargeait déjà de la porte devant les yeux ébahis de d’Ibertin et de Stankin. L’extraterrestre s’interrogeait sur l’identité de ses sauveteurs.

Malheureusement, malgré l’absence de bruit, les gardes se réveillèrent brutalement; l’alerte générale fut lancée et les quatre hommes valides durent affronter au corps à corps tout un régiment de mameluks armés jusqu’aux dents et particulièrement musclés.

Daniel Wu et Fermat, qui ne désiraient pas s’attarder, usèrent de leurs disrupteurs désintégrateurs pour neutraliser les Turcs. Toutefois, les armes étaient réglées sur le mode inconscience. Philippe, quant à lui, en blessa plus d’un avec son estoc. Lorsque l’occasion se présentait, Stankin utilisait la fameuse prise helladienne avec une maestria qui ne pouvait que susciter les plus sincères éloges.

Au fur et à mesure que l’ennemi était neutralisé, il fallait faire avancer Jacques d’Ibertin et vérifier qu’Ufo suivait! En effet, malgré l’interdit de son maître, le chat transgénique s’était mêlé au petit groupe avec sans doute le chimérique espoir de déguster un délicieux zakouski. Hélas! Le goinfre était fortement déçu et, pour l’heure, miaulait de dépit devant l’inconfort du lieu, l’humidité, les abominables odeurs de vase et de moisissure qui agressaient ses narines particulièrement sensibles. Il ne fallait pas non plus omettre la présence de rats d’une taille monstrueuse ce qui avait l’heur d’effrayer l’animal.

Alors que la troupe était parvenue à un corridor barré par une porte en plomb de dix centimètres d’épaisseur, celle-ci se volatilisa soudainement; le quatuor, médusé, stoppa net! Un personnage des plus inattendus encadrait l’ouverture nouvelle, toisant Daniel Wu et ses compagnons. L’homme apparaissait comme un sexagénaire d’une taille appréciable, 1m 90, corpulent, à la calvitie marquée, les yeux enfoncés dans un visage aux traits peu avenants, vêtu d’un luxueux costume prince de Galles mais froissé, coiffé d’un feutre et tenant sous un bras un lourd pardessus de laine.

- Sydney Greenstreet! S’exclama Daniel en grinçant des dents. Ou, plutôt, ici, monsieur Peter, dans Le Masque de Dimitrios!

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- Bravo pour votre érudition cinématographique, mon cher commandant Wu! Applaudit la réplique du personnage. Comme vous le savez aussi sans doute, la tirade favorite de mon avatar est: « Le monde manque de bonté »!

- Tiens donc! Hilarant de votre part! répliqua le daryl androïde. Commandeur Suprême du temps vous tirez les ficelles de Pavel Pavlovitch Fouchine! Celui-ci a déjà essayé de me contrecarrer. Voyez! Je sais tout!

- Ou presque! Aujourd’hui encore, hélas pour vous, et croyez que j’en suis navré, je dois vous retarder afin de favoriser l’action de mon poulain présentement rendu chez le Moro Naba de Texcoco. Von Hauerstadt ne peut échapper au regard de son gardien haineux.

- Je vois. Fouchine se montre particulièrement opiniâtre!

- Ne le seriez-vous point à sa place? Siffla Greenstreet.

- Un commando du KGB tout entier aux petits soins pour le duc! Persifla André. On dirait plutôt que votre Pavel est mort de trouille!

- Vous avez Stankin! Reprit l’avatar.

- Vous le convoitez, comme Zoël…

- Nullement, cher Daniel Lin! Pourquoi m’encombrer ainsi? Charmeleu suffira amplement à mon amusement; j’ai si peu de distractions… je vous conseille d’arrêter là et de regagner votre futur.

Rageur, Fermat gronda:

- Qui que vous soyez réellement, quoi que vous soyez, clone, avatar, machine folle, quel que soit votre pouvoir sur les choses et les êtres, votre cynisme cultivé et faux, ne vous autorise pas à nous défier, encore moins à nous ridiculiser!

- Oh! Oh! Comme cela m’est jeté à la figure! Bravo pour votre aplomb, votre courage et votre impertinence! Cependant, monsieur Fermat, je vous conseille d’obéir à mon ordre. Car, si vous ne me laissez pas régler le destin d’Arnould, qui, reconnaissez-le, ne sera pour vous qu’un boulet, mon ami Johann se fera une joie de perturber jusqu’à l’anéantissement l’Univers bulle de la Mexafrica! Alors, Von Hauerstadt basculera dans les limbes de la non existence, tout simplement! Réfléchissez-y à deux fois! Choisissez: le duc ou cette espèce de fanatique dévoué au démon!

- Je vous accorde la dévotion au démon, fit le chevalier négligemment. M’affronteriez-vous en ordalie?

- Holà messire Philippe! Ne vous mêlez point de ce combat! S’écria Daniel.

- Je ne suis pas certain moi aussi que vous le vaincriez! Rajouta André.

- Représentant de sire Ogo, l’Entropie comme elle a l’outrecuidance de se nommer, je me dois de tenter de sauver cette âme!

- Chevalier Philippe, vous perdez votre temps! Halte! Un pas de plus et je détruis tout! Ce décor et vous tous!

- Je vous mets au défi! Lança alors Daniel. Le Neutre dispersé, vous disparaissez également!

- Le Neutre? Vous vous êtes baptisé le Neutre, Daniel Lin? Vous vous trompez!

- Une seconde encore… je commande ce groupe…

- Et plus encore… marmonna Greenstreet in petto.

Le daryl androïde l’entendit mais préféra ne pas relever. Il reprit.

- Je cède à votre demande!

- Pourquoi ce soudain retournement? S’étonna André furieux.

- Parce que Fouchine et Amsq ont plus d’une longueur d’avance sur nous! Conclut froidement le commandant Wu. Je n’ai jamais été véritablement convaincu du bien fondé de la délivrance de Charmeleu! Nous avons libéré Stankin, mais Von Hauerstadt est toujours l’otage de Fouchine et donc indirectement de ce triste sire! De plus, la mandorle et Kiku sont en possession de Zoël Amsq!

- A propos de ce… Zoël… Daniel Lin, il vous battra à plate couture!

- Une prédiction? Une projection de ce qui doit advenir avec certitude?

- Non… Une assurance logique. Et lorsqu’il croira être devenu omnipuissant, il tombera de haut! Johann n’aime pas que l’on piétine ses plates-bandes. Tel est son destin et ce, sur toutes les chrono lignes!

- Je saisi… l’Entropie ne peut accepter qu’un simple humanoïde triomphe…

- Tout à fait! Elle ne vise que la Destruction du Tout! Une fois assimilé, le Pantransmultivers disparaîtra…

- Si personne ne s’oppose à Elle! Dit Daniel en hochant la tête. La Vie par exemple…

L’Hellados qui était resté silencieux jusqu’à maintenant conclut:

- Monsieur Peter, fit-il en anglais, vous représentez le mal, la mort, en son état le plus abouti.

- Vous me flattez!

- Cela n’est pas un compliment mais un constat, sans plus. Au cours de mes voyages, j’ai entendu parler du duc. N’a-t-il pas déclaré un jour: « il y a des morts utiles »? Vestrak a dit, lui: « La cause est suffisante ». Alors, puisque le sort du Pantransmultivers est en jeu, que Charmeleu soit à vous!

- Merci, Stankin le sage, s’inclina en ricanant le représentant de l’Entropie. Je n’en attendais pas moins de vous!

Le quatuor s’était donc décidé à abandonner Charmeleu. Le Commandeur Suprême enveloppa alors le groupe d’une onde anentropique qui, une fois encore, se retrouva piégé au cœur d’une nécropole labyrinthique! L’Entité savait depuis quelques secondes comment l’affaire se conclurait et elle avait anticipé la réaction du daryl androïde. Elle avait trompé avec un art consommé l’ange et Daniel Lin.

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