mercredi 25 janvier 2017

Un goût d'éternité deuxième partie : Cécile : 1901.



1901

En cette année, le roi Edouard VII
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 succédait à la reine Victoria, la grand-mère de l’Europe. A Ravensburg, Wilhelm était promu commandant. Satisfait, l’officier se montrait moins collé monté et sévère. D’autant plus qu’il s’inquiétait pour la santé de sa petite fille Johanna.
La demeure familiale se retrouvait transformée en nursery. Rodolphe, le maître des lieux, métamorphosé en grand-père gâteux et gâteau, passait désormais plus de temps avec ses petits-enfants qu’avec son épouse. Cependant, non sans une certaine tristesse, il s’apercevait que le bébé Johanna possédait déjà un caractère bien affirmé. La fillette prenait le jour pour la nuit et vice-versa, rejetait le lait de ses nourrices la plupart du temps, nourrices qu’il fallait régulièrement changer, réclamait les bras et voulait être bercée pour un oui ou pour un non, et détestait rester seule dans une pièce. Alors, ses cris perçants déstabilisaient toute la maisonnée.
Pendant ce temps, à l’école de jeunes filles, la directrice Lepaïola était entrée parfaitement dans la peau du rôle que Johann lui avait dévolu. La créature artificielle assumait toutes les responsabilités appartenant à sa fonction avec le plus grand zèle, un zèle tinté de cynisme.
Ainsi, la femme robot appliquait une discipline stricte dans son établissement, une discipline qui n’avait rien à envier à celle qui régnait dans les casernes du Reich. Ses élèves et ses pensionnaires craignaient l’excès de sévérité de la part de leurs professeurs, qu’ils fussent hommes ou femmes, mais ces derniers ne faisaient que mettre en vigueur les règles dictées par la directrice.
Lepaïola n’hésitait pas à recommander les châtiments corporels pour punir les plus récalcitrantes. Tant pis pour les traumatismes psychologiques dont devaient souffrir plus tard les adolescentes ! Tant pis également pour l’hypocrisie et la cruauté dont elles feraient preuve parvenues à l’âge adulte. Cela appartenait à un plan assurément.
Humiliées dans leur amour propre, les élèves punies devaient accomplir les tâches ménagères les moins ragoutantes, ou encore, être enfermées durant plusieurs heures dans un local privé de lumière et où il y régnait un froid mordant en hiver et une chaleur insoutenable en été.
Mais les internes qui constituaient la majorité des fillettes fréquentant l’établissement se plaignaient des mauvaises conditions de vie à leurs parents, dans des lettres qui étaient souvent censurées, du chauffage défaillant, de la nourriture exécrable, des cancrelats qui circulaient librement dans les aîtres, des corvées de nettoyage et de lessive qui revenaient trop souvent et étaient infligées aux bavardes et aux cancres.
En trois ans, on ne comptabilisait plus les démissions, les dépressions. Il y eut même un suicide, une pensionnaire décidant d’en finir en avalant de la soude caustique. La malheureuse jeune fille de douze ans mourut dans d’atroces souffrances.
Malgré ces incidents, Lepaïola resta à son poste, faisant fi des sonnettes d’alarme et des récriminations de quelques-uns des notables. Après tout, les personnes appartenant au sexe faible ne devaient-elles pas devenir adultes et faire des mères dociles, prêtes à servir et leur mari et leur Empereur en donnant de beaux et forts bébés à la Nation allemande ?
Quant à Joseph Rosenberg, depuis qu’il avait adopté Georgios Athanocrassos, il semblait avoir perdu sa générosité et son cœur endurci lui faisait se préoccuper encore davantage de gagner de l’argent. Or, justement, ses affaires s’avéraient particulièrement fructueuses en cette année 1901. Sa banque se mettait à ouvrir des filiales dans toute l’Allemagne mais aussi dans les quelques colonies que le Reich possédait.
De plus, Rosenberg spéculait avec succès au Moyen Orient et en Asie. Naturellement, les actions détenues par Rodolphe von Möll voyaient leur valeur augmenter de même. Le baron devenait l’homme le plus riche de Ravensburg, derrière toutefois son banquier Joseph.
Wilhelm savait pertinemment que la fortune paternelle s’accroissait d’une manière conséquente. Il se montrait plus raciste et nationaliste que jamais. Il répétait comme un leitmotiv les paroles suivantes :
« Il faut écraser sous notre joug les nègres et les Arabes ! le Kaiser a cent fois raison de prôner l’extension de notre hégémonie au Levant. La convention de décembre 1899 que nous avons signée avec les Turcs au sujet du chemin de fer de Bagdad concrétise nos ambitions ».
Cependant, les manipulations financières du banquier Rosenberg commençaient à dégoûter le baron en titre. Joseph affichait trop sa passion de l’argent, cette « création démoniaque » selon Waldemar. Pourtant, Wilhelm applaudissait au sens des affaires du sieur Rosenberg, bien que celui-ci fût Juif.
« L’argent let la guerre sont les deux seuls centres d’intérêt dignes de notre Univers ! ».
Avec de tels propos, on comprend que le commandant ne faisait qu’attiser la haine sous-jacente qui existait entre lui et son frère. Sans oublier son père.
*****

Avril 1901

La petite Johanna attrapa la rougeole. Voyant déjà l’héritage paternel entre les mains de son frère détesté, en désespoir de cause, Wilhelm fit appel au nouveau docteur installé en ville. Une excellente réputation le précédait.
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Le singulier médecin rassura à la fois le père et le grand-père.
- Monsieur le baron, ce bébé n’est nullement perdu, vous savez. Je vais lui administrer une nouvelle thérapie. Elle a déjà fait ses preuves à Berlin et à Londres. En quelques jours, Johanna recouvrera la santé.
- Une thérapie nouvelle ? Comment cela ? interrogea Wilhelm.
- Un remède récemment découvert qui permettra de sauver des centaines et des centaines de vies. Toutefois, le secret scientifique m’interdit d’en dévoiler la nature. D’autant plus que je vais l’employer pour la toute première fois sur une enfant aussi jeune.
- Euh… et le risque d’un rejet ? bredouilla Rodolphe.
- N’ayez crainte, je sais ce que je fais.
L’étrange médecin se rendit alors au chevet de Johanna dans une chambre du premier étage du château. Après s’être penché sur le berceau, il s’adressa à la nourrice et lui dit :
- Je désir rester seul avec l’enfant. J’ai besoin de quiétude.
- Bien, docteur, répondit la domestique.
La porte fut refermée et le médecin put soigner la petite en toute tranquillité.
Cependant, le baron se posait des questions.
« Ce docteur a une attitude fort étrange. Il cultive par trop le secret. Pourquoi tient-il tant à dissimuler en quoi consiste sa thérapie ? si Johanna lui servait de cobaye ? Mein Gott ! je m’inquiète de plus en plus. Les paroles de Michaël me reviennent. S’il s’agissait d’un imposteur venu du futur ? un empoisonneur comme celui auquel je fus jadis confronté ? Un agent temporel qui ne serait pas celui que je connais et qui aurait encore moins de scrupules que ledit Michaël… en supprimant ma petite-fille, les guerres qui ensanglanteront ce siècle s’effaceront… ».
Pris de panique, ému au-delà du possible, Rodolphe grimpa l’escalier conduisant à la chambre du bébé. La porte n’étant pas verrouillée, il l’ouvrit en coup de vent.
- Docteur ! arrêtez ! Qu’étiez-vous en train de faire à ma petite-fille ?
- Monsieur le baron, s’offusqua le médecin, pourquoi cette intrusion ? Pourquoi cette méfiance ?
- Vous êtes venu empoisonner Johanna. Votre secret scientifique n’est qu’un leurre.
- Monsieur von Möll, vous perdez l’esprit ! La petite dort paisiblement. Ecoutez comme sa respiration est régulière désormais. Je viens de lui administrer une potion, c’est tout.
- Pardonnez-moi… nous avons tant souffert dans cette demeure. Je vois des êtres malfaisants partout… j’ai cru…
- A tort, oui, à tort. Je vous garantis que le bébé ira mieux dès ce soir. Je reviendrai dans deux heures lui administrer d’autres soins. Ne vous mettez plus dans des états pareils. Tâchez de conserver votre sang-froid. Vous devriez consulter un spécialiste, vous savez…
- Pardon…
Sans vouloir en entendre davantage, le médecin s’esquiva. Angoissé, Rodolphe marmonnait :
- Est-il ce qu’il paraît être ? UN bon docteur, réellement soucieux de la santé de Johanna ? je vois des ennemis partout. Ah ! cette angoisse qui me ronge…
Pendant ce temps, le médecin s’éloignait du château dans sa calèche. Enfin, parvenu derrière un bouquet d’arbres, l’homme activa sa micro montre améliorée.
- Ici Johann, fit-il à son mystérieux correspondant. Rodolphe est rongé par les soupçons. Il a cru que j’allais attenter à la vie de ma grand-mère. Le sot !
- Johanna réchappera à la mort grâce à votre dévouement, répondit le Commandeur Suprême sur le mode ironique. Je plains cet Homo Sapiens, en fait.
- Comment cela ?
- Réfléchissez, mon cher. Nous n’avons même plus besoin d’influencer son psychisme. Le baron von Möll est fou, ou à tout le moins déséquilibré. Il n’est plus capable d’avoir des pensées cohérentes. Pourtant, il ignore que son petit-fils Otto et l’ami de ce dernier, Franz, s’acharneront contre ce petit être frêle…
- Oui, certes… Mais, à mon tour, je suis inquiet. Parviendrons-nous à les contrer ?
- Johann, je m’y emploie et vous aussi ! répondit sévèrement le Commandeur. N’oubliez pas que le duc et Otto passeront à l’attaque lorsque Johanna sera aux portes de l’adolescence. Nos archives en témoignent.
- Cela nous laisse un peu de délai.
- Exactement. Alors, Lepaïola montrera toute son utilité.
Le Commandeur Suprême coupa le contact alors que van der Zelden s’apprêtait à le saluer.
« J’espère de tout cœur qu’il ne se trompe pas… murmurait l’Ennemi. Mon existence dépend de celle de ma grand-mère après tout. J’aurais préféré qu’elle bénéficiât d’une bonne santé… ce bébé attrape tous les microbes qui traînent dans le coin… c’est épuisant… ».
Au fait, pour guérir le bébé Johanna, Johann a tout simplement utilisé des antibiotiques. Voilà qui explique son besoin de dissimuler la thérapie employée. Il ne faut pas modifier le cours de l’histoire médicale, n’est-ce pas ?
Sous son déguisement, l’Ennemi retourna soigner Johanna. En moins d’une semaine, la petite fut sauvée. Les scrupules de Rodolphe s’envolèrent et le baron ne proféra plus que des éloges lorsqu’il parlait du médecin.
Le reste de cette année 1901 fut moins tumultueux pour la famille von Möll. Entre deux trimestres universitaires, Waldemar, qui enseignait à Berlin, revenait dans la demeure familiale afin de s’adonner à son hobby, la construction d’une voiture automobile de sport. Wilhelmine, qui supportait mal le climat de la capitale, se réjouissait de ces quelques jours de détente.
Or, en ce mois de juillet 1902, Wilhelm trouva que sa belle-sœur avait mauvaise mine. Cela le réjouit mais, naturellement, il n’en montra rien.
Parmi les événements marquants de l’année 1902, relevons l’éruption de la montagne Pelée, la fin de la guerre des Boers ainsi que la mort d’Emile Zola.

*****
Au courant du mois de mai 1993, Stephen Möll se fâcha avec son frère Franck. En effet, le pilote, de retour aux Etats-Unis pour une semaine, avoua à son aîné qu’il avait tout révélé au Pentagone en ce qui concernait les recherches temporelles du professeur. Il avait même été jusqu’à dire que Stephen avait pu voyager dans le passé et qu’il hébergeait un homme du futur. N’en revenant pas, assommé, le chercheur jeta Franck à la porte.
- Cela ne te servira à rien, éructa le cadet. Attends-toi désormais à être pris au saut du lit soit par la CIA, soit par la NSA.
- Salaud ! Pourquoi m’as-tu trahi ?
- Je ne t’ai pas trahi. C’est toi qui le fais, rétorqua le pilote de l’US Air Force. Une guerre se prépare et toi tu gardes pour toi une arme secrète.
- Le translateur n’est pas une arme. Tu ne comprends rien avec ton intelligence bornée et ton esprit belliciste.
- Bon, je me tire. Sache que le Président Drangston meurt d’envie de mettre la main sur ton engin.
- Ceci veut dire qu’il n’y a pas réussi jusqu’à maintenant.
- Tu sais très bien pourquoi. L’appareil est introuvable. Tu l’as dissimulé dans une cachette certainement improbable.
- Dans un temps déphasé légèrement par rapport au nôtre, pauvre idiot.
- Dans ce cas, Michaël va avoir également aux trousses tous nos agents secrets.
- Je leur souhaite bien du courage pour parvenir à l’appréhender.
- Adieu, mon frère.
- C’est ça, va te faire voir…
Ce fut ainsi que les deux frères se séparèrent.
Lorsque Franck quitta la demeure de Stephen, le chercheur était rouge comme une pivoine tant il était furieux.
« Espèce d’enfoiré ! jamais je n’aurais cru Franck capable de me donner ainsi… qu’il aille au diable ! ».

*****

25 Juillet 1902, Ravensburg.

Waldemar avait enfin achevé la construction de son bolide.
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 Il était fort impatient de le tester sur les routes poussiéreuses de la campagne environnante. Cet engin démoniaque, au moteur bien trop lourd, à la cylindrée élevée, n’allait entraîner que des accidents à son chauffeur. Chaque fois que Waldemar essayait son véhicule, celui-ci s’avérait quasiment incontrôlable. Ainsi, la voiture quitta plusieurs fois la route, dérapa dans un fossé, ou, suprême humiliation, se retrouva en panne de carburant !
Wilhelm, avec une hypocrisie consommée, faisait mine de se soucier de la santé et des expériences de son frère. Quant à Rodolphe, il conseillait à Waldemar d’abandonner avant qu’un événement fatal ne survînt. Mais l’obstination du professeur plongeait Wilhelmine dans la plus grande angoisse. La jeune femme ne comprenait pas pourquoi son mari se montrait aussi acharné à voir son engin rouler coûte que coûte. Le plus souvent, Wilhelmine restait prostrée dans sa chambre, secouée de sanglots. A table, lors des dîners, elle peinait à dissimuler son chagrin et sa peur. Mais Waldemar ne voyait rien de tout cela.
Quant à Wilhelm, il se réjouissait secrètement et en venait à espérer le pire.
« Si le prochain accident de Waldemar l’envoie à l’hôpital ou mieux, au tombeau, la raison de Wilhelmine cèdera et père sera alors bien obligé de me reconnaître comme son unique héritier ».
Odieuses réflexions, n’est-ce pas ?
Le 20 Août, le commandant von Möll quitta Ravensburg afin d’assurer son service. Or, deux jours plus tard, les espérances mauvaises de l’aîné se réalisèrent partiellement. Un accident plus spectaculaire que les précédents expédia Waldemar au lit pour une durée de deux mois. Les multiples fractures dont il souffrait furent délicates à réduire. Encore heureux qu’il fût en vie ! jugez-en un peu.
Son bolide s’était fracassé contre un chêne après avoir défoncé une barrière à la suite d’un dérapage non contrôlé. Une sortie de route dans toute sa splendeur. Le véhicule fut entièrement détruit. Le moteur avait été détruit et était irréparable.
Lors de la lente guérison de son époux, Wilhelmine lui interdira de recommencer. Son ton véhément persuadera Waldemar.
Le jeune enseignant promit et tint bon. Mais une autre folle passion s’empara de lui.
Eté 1903.
Après l’automobile, ce fut l’aviation à laquelle s’intéressa Waldemar. Il se mit à aider son père dans ses recherches aéronautiques. En avril 1903, le baron avait construit la Libellule, un étrange appareil, à mi-chemin entre la caisse de savon et les ailes volantes. L’aspect archaïque d’un tel engin aurait fait rire Stephen.
De retour à Ravensburg, Waldemar participa à la finalisation de la Libellule.
Puis, le 17 juillet 1903, quelques mois donc avant les frères Wright, le premier vol d’un plus lourd que l’air allait être tenté par le baron von Möll. Rappelons que l’engin des frères Wright ne prendrait son essor que le 17 décembre suivant.
Mais la puissance développée par le moteur de l’avion construit par Rodolphe était bien insuffisante pour pouvoir espérer un vol remarquable. L’aéronef ne parvint qu’à parcourir deux mètres, pas davantage, à une hauteur tout à fait ridicule, trente centimètres du sol, et s’en alla se fracasser contre un arbre. Ses ailes furent brisées.
Cet accident remarquable eut pour spectateur le petit Otto, âgé de quatre ans à peine. Le jeune enfant n’oublia pas cette scène. Elle allait le marquer durant toute son existence et susciter une vocation au lieu d’une frayeur.
« Moi aussi, père, lorsque je serai grand, je construirai des libellules volantes », dit l’enfant à son père.
Quant au baron, sain et sauf, un miracle, il quitta l’appareil d’un pas chancelant.
Aussitôt, se dirigeant vers Waldemar, nullement découragé, il lui lança :
- Dès demain, nous remettrons ça, mon fils.
- Comme vous voudrez…
Le lendemain, après une nuit de dur labeur, les ailes de l’aéronef avaient été sommairement ressoudées. Waldemar, à son tour, prit la place du pilote dans l’aéroplane. Cette fois-ci, l’engin bondit de quarante centimètres au-dessus de l’herbe avant de retomber et de se disloquer. La réparation effectuée par Waldemar n’avait pas tenue. Ce dernier, le pied cassé et le bras fracturé, allait devoir supporter une nouvelle fois quelques semaines d’immobilité.
Mais que devenait Johanna, ce bébé malingre qui donnait des sueurs froides à ses parents ?
L’enfant avait grandi vaille que vaille. Fillette blonde au teint maladif, malgré tous les soins prodigués par Magda, la petite attrapa les oreillons lors des premiers jours froids d’octobre 1903. Mais grâce à Johann, toujours là lorsque sa présence était nécessaire, la fillette s’en remit fort bien.
Pour ses trois ans, Johanna
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 présentait déjà un caractère assez pervers et cruel. Chouchoutée par son grand-père, dorlotée par sa mère qui voyait en elle une fragile poupée de porcelaine, adorée par son père, c’était une enfant trop gâtée qui savait la puissance de de son sourire et de ses quintes de toux. Bref, une véritable petite Sophie sortie des œuvres de la comtesse de Ségur.
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 Quand elle commettait une faute, vite, elle accusait son cousin Otto. Mais lorsque l’enfant repartit pour Berlin, la donzelle en fut fort contrariée. Les punitions allaient pleuvoir sur elle.
Mais Magda s’inquiétait avant tout de la santé de Johanna et s’opposait à la volonté de sa belle-mère lorsque Gerta voulait punir la fillette.
Capricieuse au possible, Johanna mangeait très peu, chipotant sa nourriture, refusant le plus souvent les légumes, la soupe, et mordillant à peine les fruits telles les pommes, les oranges, les poires et les prunes. Par contre, elle se gavait de fraises et de framboises lorsque c’était la saison et se faisait un ventre des sucres d’orge et des crèmes glacées lorsqu’on servait ce dessert à table durant l’été.

*****

Après l’échec lamentable de sa Libellule, Rodolphe sollicita Michaël. Avec nonchalance, le jeune homme se pointa, mâchonnant un chewing-gum parfumé à la pomme verte.
- Monsieur le baron, je suis à votre service…
- Ah ! Michaël. Merci d’être venu aussi rapidement.
- Hem… Vous semblez connaître quelques problèmes. S’agirait-il une fois encore de l’intervention d’un sbire de Johann ? Seriez-vous menacé ?
- Non, vous n’y êtes pas du tout. Laissez-moi vous expliquer.
Alors, Rodolphe raconta avec forces détails les circonstances de l’accident de l’aéroplane qu’il avait construit.
- Si vous pouviez m’aider à améliorer l’appareil, conclut-il.
- Mon cher Rodolphe, l’interrompit aussitôt l’agent temporel, ce que vous me demandez est impossible. Vous savez pertinemment que je n’ai pas le droit de faire progresser les techniques de l’aéronautique. Ce serait commettre un crime.
- Comment cela ?
- Je serais l’auteur d’un anachronisme… les guerres qui suivraient seraient encore plus meurtrières.
- Mais, Michaël, je vous demande seulement de revoir mes calculs ! Pas de construire un de vos engins futuristes. Voici d’ailleurs les plans. Examinez-les et trouvez ce qui ne va pas.
Le baron étala alors sous les yeux de l’agent temporel quelques feuilles où des schémas emplis de calculs étaient griffonnés avec soin.
- Ces plans ont été dessinés par mon fils Waldemar. J’ai simplement effectué les équations complémentaires.
- Oui, je vois. Ma conclusion est simple. Changez de moteur. Ce dernier développe une poussée insuffisante.
- Mais si je change de moteur comme vous me le conseillez, il sera alors trop lourd… la portance des ailes sera justement insuffisante et jamais l’appareil ne volera.
- C’est tout le contraire, monsieur le baron.
Sur ces paroles pleines de bon sang, Michaël s’éclipsa sans prévenir. Durant cet échange, il n’avait pas cessé de mâchouiller son chewing-gum. Stephen déteignait-il sur l’agent temporel ? On aurait pu le croire.
Vexé, le baron accepta de revoir la conception de son moteur. Après en avoir mis au point un autre cinq fois plus puissant que le précédent, Rodolphe s’apprêtait à l’essayer.
Ainsi, la Libellule II, pilotée par Waldemar, décidément casse-cou, réussit à s’envoler le 13 novembre 1903, soit un peu plus d’un mois avant les frères Wright, et parcourut, exploit pour l’époque, mais non homologué, la distance faramineuse de huit kilomètres cent cinquante mètres à une altitude de soixante-dix mètres. Toutefois, à l’atterrissage, Waldemar eut juste le temps de fuir car l’aéroplane explosa inexplicablement. 
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Mais il ne s’agissait pas d’un sabotage de Johann. Michaël était intervenu à distance, ne souhaitant pas modifier l’histoire de l’aviation.
Waldemar dut regagner Berlin le cœur lourd. Remué par cet échec, il renonça définitivement à sa passion pour l’aviation. Rodolphe, en colère et contre lui-même et contre Michaël – le vieil homme avait fini par comprendre que l’Homo Spiritus avait agi – brûla les plans de son engin volant.
Le 17 décembre 1903, à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, Orvile Wright,
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 à la grande stupéfaction des cinq spectateurs venus « pour ne pas voir voler un homme », selon les mots de Wilbur Wright, 
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tint l’air pendant quarante mètres à trois mètres d’altitude. Une photographie témoigna de ce vol. 
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Lorsque le baron von Möll apprit la nouvelle, il déchira d’un geste rageur son journal. Pendant quelques mois, il fulmina contre Michaël et ne voulut plus parler de lui ni entendre prononcer son nom.

*****

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