vendredi 13 janvier 2017

Un goût d'éternité deuxième partie : Cécile : prologue.



Deuxième partie : Cécile (1901-1920)


Prologue

Le Superviseur général affichait sa mine des mauvais jours. Il avait le devoir de recevoir Albriss, le lieutenant Spénéloss ainsi que l’amiral à la retraite Trabinor. Les trois hommes appartenaient à la race des Helladoï et l’entrevue s’annonçait donc des plus délicates. Daniel Lin n’envisageait aucune échappatoire.  
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L’ingénieur reçut les extraterrestres avec son amabilité coutumière mais le cœur n’y était pas. Après avoir invité ses hôtes à s’asseoir devant son bureau, Dan El attendit que le premier d’entre eux prit la parole. Spénéloss, le plus jeune et le plus impatient se lança.
- Commandant, commença-t-il, c’est à propos de ce feuilleton…
- Oui, je sais.
- Certaines péripéties, certains personnages et certaines situations évoquent des échos bien… étranges dans nos mémoires.
- Tout à fait, approuva Trabinor. Le problème se pose ainsi. Michaël Xidrù est-il vraiment un personnage fictif ? Ou existe-t-il ? Les dilemmes auxquels il se retrouve confronté ressemblent un peu trop à ceux que j’ai dus régler autrefois… Vous voyez lesquels, je pense, commandant Wu.
- La piste temporelle dans laquelle la Galaxie devait faire face aux manipulations d’un dénommé Zoël Amsq.
- Vous deviez récupérer un biotranslateur…
- Entre autre, siffla Daniel Lin.
- Mais il y a plus, beaucoup plus, appuya Albriss.
- C’est-à-dire ? demanda innocemment le Superviseur.
- Revenons à Michaël. Le scénario dit qu’il s’agit d’un Homo Spiritus…
- Je ne vois pas ce qui cloche là-dedans.
- Un être supérieur… capable de manipuler la mémoire des Humains, reprit l’extraterrestre noir.
- De soigner les simples Homo Sapiens, de ne pas tenir compte de l’avis et des ordres de ses supérieurs, enchaîna Spénéloss.
- Un individu en apparence altruiste mais qui n’hésite pas à sacrifier des existences ordinaires afin que les événements se déroulent de manière à ce que le continuum espace-temps ne soit en aucun cas modifié, proféra l’amiral à la retraite.
- C’est là l’inverse de ce que vous avez accompli ou avez été obligé d’accomplir, jeta Spénéloss.
- Certes, je ne m’en cache pas… Lors de la piste temporelle dans laquelle les Pi et notamment Penta Pi avaient agi…
- Vous avez toujours dit que la chronoligne 1720 menait à un conflit nucléaire qui voyait la civilisation humaine être pratiquement anéantie en 2045 de l’ère chrétienne, articula Albriss. Or, maintenant, vous scénarisez cette histoire comme si de rien n’était.
- Permettez… Spénéloss a approuvé ledit scénario, se défendit Daniel Lin.
- Je le reconnais. Mais il est en train de dévier. Vous avez modifié des scènes, des caractères.
- De quelle manière ? demanda le Prodige de la Galaxie.
- Je pense, répondit du tac-au-tac le plus jeune des Helladoï, en faisant de Michaël un double fictionnel de votre propre personnalité. Il interfère dans les décisions de ses connaissances et amis, il les manipule, comme les événements, il ajuste leurs mémoires sans aucun scrupule… un peu comme vous l’avez fait ailleurs. 
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- Quand ?
- Mais lors de notre mission en Afrique… en 1888… je n’ai toujours pas compris comment cette aventure s’est terminée… comment nous nous sommes retrouvés sans coup férir à Venise…
- Quant à moi, déclara Albriss, j’éprouve un malaise devant certaines situations. J’en viens à me poser des questions. Des questions déstabilisantes pour mon équanimité. Depuis quand est-ce que je vous connais commandant Wu ? Comment nous sommes-nous rencontrés ? Ai-je servi sous vos ordres à bord du Langevin ?  C’est étrange mais je ne m’en souviens pas vraiment. Tout est devenu si confus dans ma tête.  
- Comment ? Vous en doutez, lieutenant ?
- Oui, j’en doute. Parfois, j’ai l’impression d’avoir vécu un rêve…
- Il en va de même pour moi, lança Trabinor sans ressentir la moindre gêne devant cet aveu. 
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- Moi itou.
- Où voulez-vous donc en venir ? interrogea Dan El, tâchant de conserver le contrôle de ses émotions.
Après avoir regardé ses compatriotes, Spénéloss dit distinctement :
- Daniel Lin Wu, êtes-vous un Homo Spiritus ?
- Quoi ?
- Non, n’est-ce pas ? Un Homo Spiritus ferait preuve de plus de prudence… alors, qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous ?
- Un humain amélioré, un daryl androïde…
- Mensonge ! s’écria Trabinor.
- Oui, mensonge, gronda Albriss. Vous n’êtes pas honnête avec nous. Pourtant, nous avons toujours été loyaux envers la Cité, envers vous donc, puisque, en fait, vous la dirigez. Le Conseil n’est que de la poudre aux yeux.
- Mais…
- Mais c’est là la réalité. Lobsang Jacinto l’a reconnu. Tenzin l’a sous-entendu. Vous contrôlez les systèmes qui font fonctionner les machines. Vous supervisez également les appareils qui protègent l’Agartha des aléas extérieurs.
 - Autrement dit, le rapport espace-temps, compléta Albriss.
- Maintenant, nous exigeons une conversation d’égal à égaux, insista Trabinor. Daniel Lin Wu, est-ce là votre nom ?
- Oui, bien sûr…
- Quelle est votre véritable apparence ?
- A vous écouter tous les trois, j’en déduis que vous pensez que je ne suis ni un humain ni un humanoïde.
- Exactement, gronda l’amiral. Vous nous menez en bateau depuis une éternité. La preuve ? normalement, en tant qu’Hellados, je ne devrais ressentir aucun hiatus dans mes engrammes mémoriels. Or, ce n’est pas le cas.
- Euh… peut-être est-ce dû au fait que vous approchez des deux cents années…
- Dois-je prendre ceci comme une insulte, commandant ?
- Non, je n’ai pas voulu vous offenser, amiral, croyez-moi.
- Votre supposition ne tient pas, grogna Trabinor, ses yeux noirs lançant des éclairs. Spénéloss n’est âgé que de cinquante-deux ans et Albriss de soixante-neuf. Alors, répondez. Assurément, vous avez manipulé nos mémoires…
- A tous trois ?
- Non ! vous avez modifié les souvenirs de tous les citoyens de l’Agartha.
- Or, pour accomplir un tel exploit, il faut être davantage qu’un Homo Spiritus, asséna Albriss.
- Un Homo Spritus n’est que l’aboutissement d’un Homo Sapiens, s’il faut en croire le scénario, la piste temporelle 1720… or, nous, les Helladoï, nous n’en avons jamais rencontrés.
- Vous ne venez pas, et moi également, de cette chronoligne, rappela Dan El.
- Sarton, celui qui le premier, mit au point le chronovision, observa l’existence de 2000 pistes temporelles. Mais il y en a davantage…
- Certainement.
- Nous avons éliminé l’hypothèse Homo Spiritus, Daniel Lin Wu.
- Je l’avais compris.
- Il nous reste l’improbable mas pas impossible, rajouta Albriss.
- C’est-à-dire ?
- Vous êtes une entité capable de se faire passer pour un humain.
- Un démiurge, selon Tenzin, enchaîna Trabinor.
- Au moins… compléta Spénéloss. Vous contrôlez le Temps… vous l’ajustez… extérieurement mais également à l’intérieur de la Cité.
- Donc ?
- Donc, vous faites partie des toutes premières intelligences qui ont peuplé le Multivers.
- Hem…
- Vous vous êtes débrouillé pour vivre jusqu’à maintenant… bien que j’ignore combien de temps s’est écoulé depuis le Big Bang ou les Big Bang…
- Je serais un… Ancien ?
- Non, un rescapé…
- Admettons.
- Vous ne cédez pas un pouce de terrain, constata le Noir.
- Jamais, jeta Dan El.
- Nous aurions dû insister pour que Lobsang se joignît à nous, soupira Spénéloss.
- Cela aurait été inutile, marmonna Daniel Lin avec lassitude.
- Nous ne le pensons pas…
- Vous perdez votre temps et me faites perdre le mien alors que des tâches urgentes requièrent toute mon attention.
- Vous ne lâcherez rien ?
- Non, amiral…
- Une fusion mentale…
- Ne laisserait entrevoir rien de plus que ce que je déciderais, reconnut le Ying Lung. 
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- Vous rendez-vous compte qu’il s’agit là d’un aveu ?
- Un aveu partiel de ma surhumanité, pas davantage.
- Jamais vous ne nous montrerez à quoi vous ressemblez vraiment…
- Non, Spénéloss… Jamais… pas parce que je me joue de vous, ou encore parce que je vous méprise… pas du tout, bien au contraire… parce que je veux vous protéger… je déteste faire souffrir les Humains ou assimilés…
- Pourtant, c’est ce que vous faites en cet instant, lança durement Albriss. A vos yeux, nous ne comptons pas, nous ne sommes rien… Pas même une amibe.
- Croyez ce que vous voulez…
- Nous vous avons blessé…
- Non…
- Nous vous avons déçu, reprit Spénéloss.
- Toutefois, ce feuilleton est une sorte d’appel au secours, une catharsis, articula l’amiral avec douceur, son équanimité retrouvée.
- Vous vous trompez…
- Que non pas ! vous souffrez… de solitude… d’incompréhension… comme si vous étiez le seul survivant d’une race jadis glorieuse, l’unique rescapé d’êtres qui dépassent notre entendement…
- Ah là, amiral, votre imagination débordante parle trop.
- Les Helladoï ne reconnaissent que la logique.
- Pas toujours. Vous me prenez pour un Seigneur du Temps ? Le dernier Seigneur du Temps, comme dans ce vieux feuilleton bidimensionnel Doctor Who ? 
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- Il y a un peu de vous en lui, assurément, mais vous êtes beaucoup plus que cela, plus qu’un surhumain déboussolé et souffrant de solitude… Il y a du tragique en vous…
A ces mots, Dan El toussota et instantanément, les trois hôtes du Superviseur se figèrent.
« Que dois-je faire, maintenant ? Effacer leur mémoire ? les remettre dans le continuum comme si de rien n’était ? Non ! ce serait se montrer lâche… tant pis, je vais leur dire que je suis un Ying Lung… le dernier de mon espèce, le Surgeon… cela ne sera pas tout à fait un mensonge… espérons qu’ils s’en montreront satisfaits… ».
Aussitôt, la scène reprit son cours et Dan El fit comme il l’avait promis. Les trois Helladoï acceptèrent avec grâce l’aveu relatif de l’Expérimentateur et jurèrent de garder le secret, y compris auprès de Lobsang Jacinto et de Tenzin Museweni.
L’unique Ying Lung avait gagné un répit.

*****
Comme en écho, le Commandeur Suprême répondit au rire sinistre de Johann par des impulsions télépathiques qui lui donnaient de nouvelles instructions. Puis, l’entité se mit à méditer.
« La Troisième Guerre mondiale ne va pas tarder dans le Temps réel. Or, lorsqu’elle éclatera, ce ne sera pas la dernière guerre que l’humanité connaîtra. Ce ne sera pas non plus la Grande Catastrophe annoncée depuis des éons. Cependant, moi je veux que ce conflit nucléaire soit le dernier, l’ultime qui rasera tout. Attendre 2045 et ensuite des siècles et des siècles avant que l’Homo Spiritus voie le jour, c’est trop long ! ainsi, le conflit qui ensanglantera la planète Terre à la fin du XXe siècle laissera bien trop de survivants à mon goût, des survivants qui reprendront leurs tristes habitudes égoïstes. La mutation sera retardée… l’Homo Spiritus n’apparaîtra que dans les années 30 000… un délai tout à fait insupportable pour tous les projets que j’envisage.
Ah ! si je parviens à déclencher la Grande Catastrophe avec un demi-siècle d’avance, le nouvel homme et donc moi par ricochet, nous pourrons dominer cette planète tout d’abord, l’Univers ensuite.
Commandeur Suprême ! voilà comment ils m’ont nommé. Or, je ne commande pas même ce système solaire. Du moins pas encore… je ne manipule que partiellement le Pan Chronos… le Pan Phusis m’échappe ainsi que le Pan Logos… décourageant ! 
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Ces Douze Sages se méfient de ma haute intelligence. Ils me surveillent en permanence. Michaël, qui plus est, me met sans cesse des bâtons dans les roues. Il a été créé afin d’être le bras armé des Sages, mais tout de même ! il me faudra tâcher de l’éliminer lui et toute sa clique, à commencer par Stephen Möll. Ces humains sont tout à fait capables de mettre sur rails une nouvelle chronoligne que je pourrais alors contrôler. Il suffirait d’un rien, d’un petit incident dans une période antérieure de cette piste temporelle pour que le cours de l’Histoire soit autre et que je n’existe pas… Michaël osera-t-il aller aussi loin ? allant jusqu’à risquer la propre éventualité de son existence ? assurément… je sais ce que peuvent les agents temporels trop libres…
Je me demande quel jeu joue Michaël… un jour, il apporte son aide à Stephen, Rodolphe et Otto sans rechigner, un autre jour, il les contrecarre. Sans donner de véritables explications… comme s’il était ballotté par deux pensées contraires…
Toutefois, je sais qu’il s’oppose à mes machinations, consciemment ou non. Je veux exister et je fais tout pour cela dans les milliards et les milliards de potentialités… mais je reste lié par une programmation primitive que je ne parviens pas à annihiler. Du moins pas encore…
La Mort serait-elle capable d’engendrer autre chose que la mort ? l’Entropie plus précisément… il me manque un élément essentiel. Je n’ai aucune prise sur lui… c’est rageant et décourageant. Ce manque de données m’embrouille… un rien, une poussière, un atome, un quark qui n’a pas fusionné à l’instant crucial…
Michaël peut-il influencer Franz von Hauerstadt ? lui est dangereux, autrement que Stephen Möll en fait. Le Germano-américain fera-t-il tout pour que Johanna, la grand-mère biologique de Johann, meure avant que son destin soit accompli ? Cela, je ne puis l’accepter ! en effet, sans elle, je n’aurais plus d’allié à la fin du XXe siècle et les données de cette partie de l’histoire humaine cesseraient de me parvenir. Sans informations, je ne suis rien ! Je n’existe plus. Je sombre dans le néant. Mais ce sont les humains que je veux réduire au néant. Je deviendrai alors le seul être pensant de la Terre, peut-être même de la Galaxie tout entière, voire de l’Univers. Plus de Douze Sages pour me donner des ordres. Des ordres stupides.
Je neutraliserai Michaël sans que quiconque me soupçonne… J’envisage une piste pour arriver à ce but. Utiliser Pierre Duval et ses sbires… tentant et assez facile…Réfléchissons… ».

*****

13 Mai 1993

La Pravda publiait un article résumant les résolutions prises lors de la réunion spéciale du Soviet Suprême. Ainsi, le monde occidental apprenait avec la plus grande stupéfaction que l’URSS, en dénonçant une fois encore l’impérialisme américain, avait décidé de masser des troupes aux frontières de pays du Pacte de Varsovie et de concentrer cinq cents missiles supplémentaires en direction de l’Europe de l’Ouest, ceci afin de dissuader toute agression des forces de l’OTAN. Mais ce n’était pas tout. La frontière sino-soviétique se retrouvait également renforcée par la présence de deux millions d’hommes déjà sur le pied de guerre. La Chine prit très mal la chose et réclama une réunion urgente du Conseil de Sécurité de l’ONU. 
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Plus que jamais inquiet par la situation internationale, Stephen, scotché devant son poste de télévision, se bourrait de pop-corn, de cacahuètes et d’autres cochonneries farcies de calories. Il marmonnait :
- Le monde est fou. Devil ! Comment faire barrage à cette dinguerie ? Oui, ça y est une idée me vient. Ecoutez-moi, Michaël et félicitez-moi pour cette idée géniale. Ne serait-il pas possible de remonter le temps d’une ou de deux années et ensuite de se rendre au Soviet Suprême afin d’éliminer ce foutu Premier Secrétaire du Parti, ce Diubinov, avant qu’il ne pète définitivement les plombs ?
Abasourdi, l’agent temporel rétorqua sans la moindre envie de faire de l’humour.
- Stephen, maintenant, vous me connaissez suffisamment pour savoir que je n’hésite pas parfois à laisser les Homo Sapiens se dépêtrer des situations mortelles dans lesquelles ils se mettent de par leur propre sottise. Mais il n’entre pas dans mes vues de faire assassiner le sieur Diubinov ou de l’assassiner moi-même. Compris ? vous voulez tout foutre en l’air ?
Furieux, Stephen éteignit le poste d’un geste rageur et lança sa télécommande dans le salon. Celle-ci alla se fracasser contre un mur. Une discussion orageuse s’en suivit. Elle fut interrompue par l’arrivée de Franck.

*****

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