vendredi 29 janvier 2010

La gloire de Rama 4 : l'apothéose du Migou chapitre 33 partie 2 : Parallèlement, Uruhu Gllump et Ufo...

Parallèlement, Uruhu Gllump et Ufo parcouraient d’étroits couloirs sombres, mal éclairés par des torches qui dégageaient une fumée malodorante. Les boyaux et les diverticules se multipliaient, se faisant labyrinthiques, compliquant encore le trajet.
Malgré son âge, trois mois, le chaton flairait à qui mieux mieux les étranges effluves qui assaillaient ses narines délicates. Il se comportait comme un chien de chasse. Déjà, en fait, son ventre gargouillait! Gllump s’arrêta soudainement devant ce qui paraissait être une fosse comblée sur laquelle reposait une énorme et puissante défense de mammouth. Nos trois piégés n’eurent d’autre choix que de contourner la tombe qui renfermait la dépouille d’un grand chasseur K’Tou postérieur à Uruhu.
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Un peu plus loin, le Néandertalien eut la surprise d’identifier, sur les parois de la caverne, des gravures martelées à la pointe de silex ; il s’agissait de cupules, d’encoches, de points, de traits silhouettant malhabilement des mammouths, des rennes, des aurochs, mais aussi des lions des cavernes. A terre, il y avait également un crâne d’ours, posé rituellement, remodelé avec de l’argile.
En haussant les épaules, le Néandertalien poursuivit son chemin. Le K’Tou ne s’interrogeait plus. Il trouvait cela inutile. Il se contentait de subir et d’observer son compagnon simiesque se comporter de façon étrange. Gllump passait son temps à écarter d’invisibles rideaux de végétation et à se déplacer un peu comme s’il était suspendu à des lianes!
Un peu plus tard, le trio déboucha au centre d’une immense grotte naturelle, éclairée par une cheminée. Là, s’accumulaient les dépouilles de gibier précipitées dans le vide. Les animaux, tout autour de la grotte, étaient reproduits avec soin, dans un calendrier de chasse destiné visiblement à l’initiation des jeunes chasseurs. C’était donc là le saint des saints du sanctuaire, le lieu vénéré et chargé de magie où, depuis des centaines de générations, les chamanes du Paléolithique formaient les néophytes. Notre K’Tou scrutait le tout avec attention.
Il repéra vite plusieurs anomalies anachroniques : des animaux surgis des terreurs ancestrales, terreurs transmises génétiquement. Uruhu ne put retenir un geste de recul. Il y avait de quoi être terrorisé. Sur les parois s’étalaient avec profusion des silhouettes de sauriens, d’oiseaux reptiles carnassiers, des Velociraptors, des T-Rex, des Allosaures, et… des Troodons, ancêtres des Kronkos.
Au sol, les ossement venaient confirmer ces visions d’horreur. Mêlés aux dépouilles de cerfs, de rennes et d’aurochs, on y retrouvait les squelettes de ces dinosaures prédateurs!
Gllump ne vivait pas la même chose. L’orang-outan s’imaginait dans une forêt cernée par les hommes, trafiquants et braconniers, allumant d’immenses incendies sur l’île de Bornéo. Ce crime était perpétré afin de prendre au piège les innocents singes roux! L’illusion était si réelle que Gllump percevait le bruit des tronçonneuses en action ainsi que le crépitement des flammes et le rugissement terrible de l’incendie.
Il va de soi que l’orang-outan s’affola. D’habitude, lui si doux, si calme, il s’excita tellement, qu’il passa au stade de la colère incontrôlée. Avisant la présence d’Uruhu qui marchait à l’avant, il sauta sur le Néandertalien avec le désir de le tuer!
Or, à l’instant précis où l’orang-outan allait en finir avec l’humain, une étrange lueur apparut sur la paroi de droite, comme filtrant de la pierre calcaire, s’amplifiant jusqu’à englober toute la grotte naturelle. Effrayé, Gllump se figea.
Alors, autour de nos amis, il sembla que les ossements éparpillés à terre se réassemblaient, s’emboîtaient, pour donner vie une fois encore aux antiques et cruelles créatures! Les squelettes reconstitués, les chairs et les muscles réapparurent, puis, ce fut bientôt le tour des peaux, des écailles et des poils. Enfin, Mammuthus Imperator, le premier, ouvrit les yeux. Toutefois, il s’agissait d’un animal encore jeune. Superbe, il se redressa avec un grondement menaçant, imité de peu par le rhinocéros laineux, le T-Rex avide, le cerf géant et ainsi de suite.
A peine nos amis prirent-ils les jambes ou les pattes à leur cou que le gibier chargea!

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Mathieu, Marie et Bing s’avançaient dans une galerie creusée à même la roche. Lentement, mais insidieusement, celle-ci se modifiait. Des niches apparaissaient, dans un style Renaissance italienne, avec des stucs, des pierres régulièrement appareillées et des marbres de Carrare. Et, dans le silence oppressant, quatre heures sonnèrent dans un carillonnement joyeux! Le bruit musical provenait d’une horloge à jaquemarts,
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fort bel ouvrage d’artisanat d’ivoire, serti d’or, de marbre, de porphyre et d’albâtre. Les jaquemarts, statues de bronze automates, représentant des hommes sauvages barbus vêtus de pagnes de peau, tapaient de leurs maillets en rythme sur une cloche afin de marquer les heures. Sous l’horloge, un cercle à demi dissimulé voyait défiler les quatre âges de l’homme : le bébé, l’enfant, l’adulte, le vieillard appelé par la Mort.
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Dans la salle, les statues de marbre étaient elles aussi dans le plus pur style Renaissance, immaculées, si belles dans leur perfection glacée! On pouvait y reconnaître Europe, pourchassée par le taureau, Hercule et l’hydre de Lerne, Diane, Vénus sortant de l’onde, Psyché et l’Amour,
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Apollon adolescent, des condottieri tels que Ludovic Sforza à cheval ou Cosme de Médicis.
Lorsque le quatrième coup eut fini de retentir, les niches s’ouvrirent, illuminées de l’intérieur, révélant de sublimes marionnettes siciliennes du XVIIe siècle, figurant, - en armure baroque-, Charlemagne et les Paladins de la Chanson de Roland : le neveu de l’Empereur à la barbe fleurie, l’évêque Turpin, Olivier le Pieux, le duc Naime, …, mais aussi, hélas, les traîtres Ganelon et Marsile. Tous ces personnages mêlaient l’inspiration de Turold et de l’Arioste.
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- Mathieu, demanda naïvement la petite fille, sont-ce là des automates comme il y en avait dans le passé?
- Cela ne se peut pas, rétorqua son frère. Je distingue les fils!
- Il n’empêche! Elles sont vraiment bien manipulées!
- Bizarre! Fit Mathieu. Ces marionnettes réagissent à nos paroles! Ne voilà-t-il pas que ce vieillard qui, je crois bien, ressemble au Charlemagne de la légende, dépose son épée et se retourne!
Le carillon se mit à sonner « J’ai du bon tabac » et enchaîna avec « Le bon roi Dagobert ». Tandis qu’il accélérait sur un rythme endiablé, des timbres venus de nulle part s’amplifiaient, tentant de le couvrir. On pouvait y reconnaître, si on avait l’oreille éduquée, le son particulier des sacqueboutes, des cromornes, des cornets à bouquin et du psaltérion.
Alors, comme s’ils recevaient un ordre, les pantins se jetèrent de la scène, bondissant dans la grotte aménagée avec un bel ensemble! Ils avancèrent vers les enfants et le chien d’un pas saccadé, devenus indépendants, échappant à leurs manipulateurs invisibles. C’était à qui brandissait ou une lance ou une rapière, ou un bâton. Leur main gauche était protégée par une rondache.
Inquiet, Bing réagit le premier. Il commença par aboyer furieusement, puis émit des petits cris plaintifs. Enfin, tirant violemment sur sa laisse, il parvint à échapper à Marie et, sans se préoccuper du sort des enfants, il s’enfuit à toutes pattes dans le labyrinthe.
Or, pendant cet incident, les marionnettes siciliennes, à la bouche articulée et à la barbe sculptée, poursuivaient leur progression mécanique en même temps qu’elles dialoguaient entre elles avec des voix caverneuses désincarnées. Elles exprimaient leur colère dans un italien archaïque.
« Nous ne voulons plus être les esclaves des enfants! Pour cela, il nous faut les tuer! A mort, les petits d’humains! ».
Mathieu mit du temps à comprendre le langage ancien.
- Cours, Marie, cours! Ces êtres de bois nous en veulent!
Et, sans aucun ménagement, il poussa sa jeune sœur violemment dans d’autres pièces qui s’enfilaient en rétrécissant tandis, qu’inversement, l’obscurité s’accroissait.
Après une longue course haletante et éperdue, Mathieu et Marie avaient creusé la distance avec leurs poursuivants de bois. Ralentissant, ils aboutirent devant la devanture d’un magasin de jouets à l’apparence anodine, accolé à une boutique de confiseries à l’ancienne, aux bonbonnières débordant de sucres d’orge, de guimauves, d’ours en gomme, de pâtes à mâcher, de réglisses, de sucettes au lait ou aux fruits, de poudre mistral qui pique, de caramels et de bonbons de chocolat.
Oubliant sa peur, Marie, les yeux écarquillés, détaillait la vitrine, se pourléchant les lèvres par avance, examinant de près chaque bonbonnière au contenu si tentant! Un ours en peluche faisait la réclame des confiseries.
« Mangez tant qu’il vous plaira, les enfants! Il n’y a rien de meilleur! Les bonbons enchantés font les enfants en pleine santé! ».
Joignant le geste à la parole, montrant l’exemple, l’ours s’empiffrait de douceurs.
- Oh! S’enthousiasma la fillette. Ici, c’est la véritable caverne d’Ali Baba! Tu savais, toi, qu’il existait des bonbons en gomme de formes variées et de toutes les couleurs? Tortues, requins, araignées, dauphins, lézards, crocodiles, bananes, bouteilles de soda…
- A chaque couleur et à chaque forme, son parfum. Toutes ces confiseries me tentent. Pourtant, papa n’apprécie pas lorsque je mange un bonbon!
- Oui, mais si moi, je n’en prends qu’un seul, un tout petit, crois-tu, grand frère qu’il se fâcherait?
L’ours tentateur ajouta:
- Les enfants, c’est gratuit! Prenez tout ce que vous voulez!
Timidement, Marie tendit une main vers une bonbonnière.
- Halte, petite sœur! Je te le déconseille vivement! Ainsi se fabriquent les caries! Le piège est trop grossier. Voyons plutôt l’autre magasin!
Le garçonnet désignait ainsi la boutique de jouets. Une fois à l’intérieur, le magasin apparut immense, donnant sur une galerie marchande à l’infini, imitant parfaitement les Galeries La Fayette ou le Printemps parisien de la piste 1721.
Au fait, avez-vous compris à quoi avaient réchappé les enfants? Non pas à l’empoisonnement mais à l’indigestion mortelle!
Maintenant, devant le frère et la sœur s’offrait une profusion de jouets divers : peluches de tout ce qui avait vécu, respiré, rampé, nagé, marché, volé, sur Terra et dans son atmosphère, en toutes les tailles, dans une palette de couleurs plus riche que l’arc-en-ciel, allant des écureuils, des lapins, des agneaux, des souris jusqu’aux libellules, scarabées, coccinelles, serpents, gorilles, mouettes, corbeaux, pinsons, poissons demi-lune, ou encore des mers du Sud, dinosaures, tortues, grenouilles, cochons, panthères roses(bien évidemment!), sans oublier les personnages des bandes dessinées célèbres tels que le Marsupilami, Astérix et Obélix, et tant d’autres encore… Mathieu n’en revenait pas!
- Marie, tu apprécierais, toi, dans ta chambre, posé sur ton lit, un boa constrictor en peluche, ou bien un scorpion noir géant ou une mygale venimeuse? Tiens, là, ce méchant de BD, particulièrement réussi, Olrik! Il existe des enfants qui ont un esprit mal tourné! Papa n’aimerait pas!
Marie soupira.
- Oh, moi, tu sais ce qui me plaît? Ce stand spécial où il n’y a que des ours en peluche!
- C’est de ton âge!
Effectivement, devant la fillette se dressaient des étagères et encore des étagères, des présentoirs, des gondoles emplis d’ours, joujoux ayant existé depuis le XIX e siècle. Tous ces « Teddy Bears » avaient été popularisés par la réclame et… surtout par un ancien président des États-Unis…
Imitant sa sœur, Mathieu béait devant des rayonnages où s’alignaient, comme à la parade, diverses races de chiens en peluche rendus vrais avec un grand luxe de détails. Plus loin, les enfants s’arrêtèrent devant les stands de poupées, qui résumaient toutes l’histoire de ces représentations humaines de l’âge néolithique à l’Empire galactique! Les célèbres poupées Barbie ne dépareillaient pas dans cet étalage, de la mythique numéro 1 jusqu’aux top models en vigueur un peu avant l’horreur post atomique. Ainsi, le célèbre mannequin réduit arborait les tenues et les vêtements de tous les pays, sur plus d’un siècle. Un peu partout, sur des étagères spéciales et à l’abri, étaient présentés les modèles les plus coûteux, portant les répliques exactes des vêtements griffés par les grands couturiers, Dior, Balenciaga, Balmain, Givenchy…L’énumération étant trop longue, nous la stoppons là!
- Mathieu! Je rêve! S’exclama la fillette. Violetta ne pourrait supporter de se retrouver ici! A coup sûr, elle volerait au moins une centaine de ces poupées! Là, je reconnais la collection 1947 de Dior, dans son entier avec le fameux et mythique modèle 0!
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Ma cousine m’avait montré le tout dans la bibliothèque holographique du vaisseau. Un peu plus loin derrière, il y a même une robe Mondrian et à côté un smoking 1968 de Yves Saint-Laurent! Cette robe est un bijou de précision. Elle est signée Christian Lacroix, je le parierais! Tu sais, sa période provençale!
Mathieu, quant à lui, était plus cinéphile.
- Sur l’étagère la plus basse, il y a mieux, Marie: le tailleurs gris perle de « Fenêtre sur cour » et la robe pseudo Louis XV de « La main au collet ». Bref, toutes les tenues de Grace Kelly dans tous les films qu’elle a tournés.
- Si je raconte tout cela à Violetta, elle va nous jalouser! Plus je regarde, plus je reconnais les costumes: ceux d’Elizabeth Taylor dans le rôle de Cléopâtre, de Rita Hayworth dans « Gilda », ou « La dame de Shanghai », de Lauren Bacall dans « Key Largo », …
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Mathieu interrompit sa sœur.
- Je croyais à un simple effet de miroir, mais non! Ce magasin s’étend bien à l’infini! Les Barbie K’Toue, Inuit, tibétaine, bantoue, micronésienne… Et, après les poupées ethniques, les poupées historiques! Perse, sumérienne, Ancien Empire Égyptien, Grèce archaïque Rome républicaine et tant d’autres! Naturellement, il y a aussi les Ken! Ken Toutankhamon est magnifique avec sa barbe postiche et son pschent Basse et Haute Égypte! Quant au Ken Louis XIV, il ne dépareillerait pas à la cour de Versailles! Naturellement, tu reconnais le Ken Henry VIII, avec son ventre proéminent et son regard antipathique.
- Il y a pire ici! Gengis Khan! Son sourire me fait frémir! Nicolas II, Lénine…
- Rhoo! Le Ken Fouchine! Ils ont osé! Tu te souviens, Marie?
- Oh oui! Le vilain méchant pilote d’avion supersonique qui s’en était pris à Uruhu.
- Tu veux dire que Violetta était dans de mauvais draps…
- Comme d’habitude!
- … et que notre K’Tou, heureusement, sachant tout piloter…
- C’était l’été dernier, non?
- Façon de parler!
Sur la dernière étagère visible, la plus haute, s’alignaient, impeccables, comme à une parade militaire, des GI’ Joe, présentant l’évolution du costume militaire depuis l’aube de la civilisation. Mathieu, qui abhorrait la guerre, préféra passer vite.
Plus les enfants avançaient dans ce magasin merveilleux, plus ils s’ahurissaient. Après les poupées et l’histoire du costume, c’était maintenant le défilé des voitures miniatures au 1/43e, du chariot à vapeur du père Verbiest (1681),
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jusqu’à l’auto volante désormais classique du XXVe siècle, du magnéto porteur ( Paris-Séoul en deux heures à peine), au fardier de Cugnot. En résumé, tous les modèles, même ceux construits en un seul exemplaire, et toutes les marques ayant jamais existé de transports individuels ou en commun! Avec une touche d’humour certaine, figuraient de plus les véhicules imaginaires tirés des bandes dessinées ou autres : la voiture de Gaston Lagaffe, la Zorglumobile, la Batmobile, et ainsi de suite. Les séries télévisées n’étaient pas oubliées. Et il en allait de même pour les avions, les navettes, les vaisseaux spatiaux, les bateaux, du premier tronc d’arbre évidé en vague forme de pirogue jusqu’au porte-avions Entreprise!
Clin d’œil aux invités malgré eux de ce lieu, Mathieu identifia également des maquettes qui, habituellement, ornaient le bureau de travail de son père, reproductions du Langevin, du Sakharov, du Résolution, assemblées par André Fermat, fervent modéliste!
Après les maquettes de bateaux, ce furent les reproductions miniatures de villas et de maisons cossues, les locomotives ainsi que les wagons des trains mythiques, Orient Express, Pacific 231, … rame TGV modèle 1981, Shinkanzen,…
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les châteaux forts, les temples, les bâtiments les plus caractéristiques des grandes civilisations de la Voie Lactée, et tant d’autres encore!
Mathieu marqua un temps d’arrêt appréciable devant la reproduction en coupe, au 1/50e du musée du Louvre, avec tous les trésors qu’il contenait (!), tel qu’il se présentait encore au XXI e siècle ( Scribe accroupi, Victoire de Samothrace, Vénus de Milo, la Joconde, le sacre de Napoléon), les tableaux étant réduits à la taille de cases de BD!
Toujours fascinés, les enfants empruntèrent une porte tournante qui les conduisit apparemment à l’extérieur, dans une longue rue enneigée, dans laquelle se tenait un immense et merveilleux marché de Noël, comme il en existait tant en Allemagne ou en Alsace au début du XXe siècle. Les trottoirs étroits et la chaussée pavée étaient éclairés par des sapins de Noël tout décorés, d’une hauteur faramineuse, illuminés par des milliers de bougies, avec une profusion de papiers dorés et scintillants en formes d’étoiles, d’anges ou portant encore des pommes de pin. Des cheveux d’anges, délicats, s’accrochaient également aux branches.
Les étals des boutiquiers offraient une variété de produits sans équivalent. Ainsi, les nombreux clients pouvaient acheter des décorations en papier mâché, en carton pâte, en verre, des fragiles boules multicolores à suspendre, des glaçons, des pains d’épice, des sucres d’orge, des chocolats, des biscuits, des gâteaux secs, bref, tout un assortiment capable de satisfaire leurs chères têtes blondes!
La rue féerique s’étendait au-delà du visible. Mathieu eut alors le sentiment d’être écrasé par cette infinité de possibilités.
- Marie, je crains bien que nous ne soyons pas prêts de sortir d’ici! Plus on avance, plus c’est immense!
- Bah! C’est si beau!
Haussant les épaules, la fillette préféra humer un air embaumé où elle discernait les senteurs particulières de la neige, du miel et du marron grillé. Là-haut, tout là-haut, le ciel se teintait d’un bleu nuit profond, mais les étoiles ne scintillaient pas, absentes, comme si les constellations avaient été oubliées par le maître des lieux!

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Violetta progressait de son côté. Elle essayait de se donner du courage. Pour cela, elle sifflait la valse de la Traviata, un air que pourtant elle détestait. Lorsqu’elle en était réduite à cela, cela signifiait que l’adolescente était morte de trouille! Tout en avançant dans ce tunnel opaque, elle se demandait si elle devait encore conserver son apparence humaine. Elle envisageait de se métamorphoser en ver luisant, afin de mieux se diriger dans cette obscurité qui l’oppressait, tout en sachant pertinemment qu’elle ne pourrait maintenir cette forme indéfiniment.
La valse achevée, Violetta enchaîna par le 2e mouvement de « Jazz Suite », rendu populaire en France par une publicité sur les assurances qui passait à la télévision à la fin des années 1990 de la piste 1721. Ce fut alors qu’elle sentit quelque chose de surprenant, quelque chose qui agissait avec goujaterie puisque cela lui tâtait les fesses! En même temps, un grognement s’éleva sur sa gauche! Le geste ô combien osé! Lui déplut intensément, et ce d’autant plus que le contact s’avérait tout à la fois être visqueux, gluant, et velu.
Outrée, l’adolescente s’arrêta, essayant de discerner l’être ou la créature se permettant de telles privautés. Or, le grognement s’amplifia pour devenir un véritable hurlement. A un mètre devant elle à peine, notre métamorphe aperçut enfin une infime lueur. Deux taches rougeoyantes l’observaient assurément! Les yeux tout à faits inhumains appartenaient évidemment à une créature maléfique fort prisée des scénaristes de films fantastiques.
- Pff! Surfait! Franchement, un vulgaire loup-garou! Siffla Violetta quelque peu soulagée.
L’adolescente s’attendait à un obstacle beaucoup plus dangereux! Sa remarque eut toutefois pour effet de vexer cruellement le monstre! La main velue, aux ongles démesurés, se balada seule dans l’obscurité, gratta la paroi du labyrinthe pour finalement venir griffer la cuisse droite de notre téméraire jeune fille!
- Holà! Quelle brute! Voilà que je saigne! Tiens, mais c’est une nouveauté! Cette main s’anime seule! Qu’est devenu le corps? Un loup-garou en pièces détachées! Mieux que les trains fantômes ordinaires! L’esprit cynique du maître des lieux se moque de moi avec cette grotesque attraction! Il veut sans doute reproduire, MALADROITEMENT, les tours de la bête aux cinq doigts! Voyez, mister van der Zelden comme je connais mes classiques!
Téméraire, Violetta compléta avec une ironie blessante:
- Dis, guignol, tourmenteur de carnaval! Inutile de passer aux vampires! Ils me sont plutôt sympathiques, je te le rappelle!
A cet instant précis, une lumière pourpre éclaira par en dessous un cercueil dont le couvercle se soulevait avec un grincement du plus mauvais aloi! La métamorphe vit alors lentement une main décharnée émerger de la boîte macabre. deux candélabres, suspendus dans les airs, couverts de toiles d’araignée, fumaient et jetaient sur le décor une lumière chiche. Mais les fragiles lueurs vacillantes tremblèrent et s’éteignirent sous un courant glacial.
Le vampire, le Nosferatu, à peine revenu d’entre les morts, affamé, se releva de son cercueil. Chauve, hideux, livide, ses lèvres dépareillées par des canines démesurées, il correspondait tout à fait aux canons établis par les légendes originaires d’Europe centrale.
Pour ceux qui ne la connaissaient pas, Violetta eut une réaction inattendue. Elle éclata d’un rire frais et enfantin, puis fit un pied de nez à la caricature, très chargée à ses yeux, du buveur de sang.
- Quel manque d’imagination! Soupira la métamorphe, blasée. Elle s’adressait toujours à son tourmenteur invisible.
Elle reprit, sur un ton de plus en plus sarcastique:
- Malveillant Ennemi, manifestement, vous avez perdu de vue que, depuis ma plus tendre enfance, je côtoie un vampire, un vrai et non pas cette stupide illusion! J’avais à peine deux ans que je jouais déjà sur ses genoux. Mon ami s’amusait à me faire peur la nuit! Sans succès, évidemment! Alors, essayez quelque chose d’autre! A moins que vous ne déclariez forfait?
Mais le souhait de l’adolescente ne fut pas exaucé. A la créature nocturne, succéda un insecte géant, une mante religieuse menaçante, aux mandibules cliquetant bruyamment, à la monstrueuse bouche surdimensionnée ouverte, prête à aspirer les flux vitaux de sa proie! Malfaisants et énormes, les yeux ronds de l’insecte phosphoraient dans la nuit. Les effluves dégagés par la mante religieuse, mélange d’acide et de chairs en putréfaction, avaient de quoi faire défaillir. Avec un souci du détail tout à son honneur, Johann avait aussi matérialisé des restes de festins de l’insecte, recrachés à demi digérés, entourés d’un cocon blanchâtre. Les victimes appartenaient aux quatre quadrants de la galaxie. S’y mêlaient Asturkruks, Castorii, Haän, Helladoï, humains, ayant enfin fraternisé dans la mort égalitaire.
Violetta recula, non pas horrifiée et écœurée par la terrible apparition, mais pour échapper à l’haleine fétide de la créature! Poussant un second soupir, elle marmonna :
- Une mante religieuse de la planète Velkriss! C’est d’un commun! Pff! Je vais finir par m’ennuyer … Vous n’avez pas autre chose de plus excitant?
Après une pause, l’insolente rajouta:
- Peut-être voulez-vous un coup de main? Je puis vous suggérer quelques monstres, vous savez!
Piquée au vif, l’Entité enchaîna, mais sans succès, les freaks siamois non aboutis et microcéphales dont une partie du double être émergeait du ventre de l’adulte, le rat géant de Sumatra digne d’une aventure de Sherlock Homes, le ver Empereur Dieu de « Dune », un Alphaego à l’état de momie fœtale, un ancêtre primitif de Kiku U Tu, plus proche du T-Rex que du Kronkos, un siliçoïde flamme qui carbonisait tout sur son passage, la chimère d’Arezzo, le cyclope de bronze, les sirènes d’Ulysse, le Kraken et enfin, un affreux gorille blanc de trois mètres au front surmonté d’une corne qui rappelait vaguement une créature de Star Trek!
Notre Violetta s’impatientait:
- Bon, dites, ça commence à durer tout ça! Je veux faire carrière dans la diplomatie, vous vous en souvenez tout de même, non? Donc je m’y connais en extraterrestres moches et peu gâtés par Dame Nature! Ah! Tiens? Si je me métamorphosais à mon tour? Ce serait plus amusant! En quoi? Pourquoi pas une jolie mygale d’Amérique du Sud, bien venimeuse et mortelle?
Peine perdue! L’adolescente dut se rendre à l’évidence; avec toutes ses mésaventures, elle avait perdu ses capacités à se transformer. Mais cela ne durerait pas, cher lecteur, rassurez-vous!
Un ricanement fit écho au cri de dépit de Violetta. A la place du gorille manqué, se dressa alors devant la jeune fille, une vieille femme tout à fait ordinaire, défigurée et enlaidie par un âge avancé. La nouvelle venue présentait un visage tout ridé et raviné, un nez devenu crochu et saillant, une bouche tordue et édentée qui paraissait sourire cruellement, des yeux torves atteints de cataracte, des mains déformées et arthritiques se terminant par des ongles griffus et sales. Dans cette incarnation, l’adolescente reconnut la vilaine sorcière de Blanche Neige qui tentait de dissimuler son corps difforme sous une pèlerine noire surmonté d’un capuchon, vêtement si usé qu’on aurait dit qu’elle portait un haillon de près de cent ans d’âge!
La vielle femme résumait un des tableaux de Goya, « Que Tal? »,les gravures de Gustave Doré mais aussi et avant tout le célèbre DA de Walt Disney.
Cette fois-ci, la créature sembla déclencher une réaction de peur. Transpirant abondamment, Violetta recula. L’adolescente allait-elle paniquer? Johann avait trouvé la faille.

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Sans qu’il sentît la transition et qu’il comprît comment, le capitaine Sitruk était maintenant ligoté à même un autel sacrificiel taillé dans une pierre rugueuse. Malgré le choc du transfert et sa position inconfortable, Benjamin parvint à identifier, incrustées dans la roche, des taches non de rouille mais de sang. S’y mêlaient également des moisissures. La pierre désagréablement humide collait à sa chair dénudée. Puis, Sitruk élargit son champ de vision et s’intéressa à ce qui l’entourait. Ses narines étaient agressées par une épouvantable et inquiétante odeur de chair calcinée, de graisse trop cuite. Il toussa.
Benjamin réprima un « oh » d’épouvante lorsqu’il identifia, dressée à peine à une toise de lui, une terrible statue de huit mètres de haut, toute en bronze et en or. Elle représentait la divinité maléfique et insatiable de l’antique Carthage Baal Moloch!
« Vais-je donc finir offert en sacrifice à cette idole impie et monstrueuse? » se rebella Benjamin.
Dans un effort désespéré, refusant cette mort absurde et cruelle, le capitaine gonfla son torse, tentant de défaire les liens qui le maintenaient pourtant solidement attaché à l’autel sacrificiel. Cependant, l’officier avait oublié que les sacrifices avaient lieu en public! Les spectateurs, fanatisés et enragés, hurlaient des imprécations à son encontre dans des langues qui heurtaient ses oreilles. Tous avaient soif de violence et de sang. Ils voulaient qu’on apaisât le dieu courroucé. Carthage n’était-elle pas en guerre contre Rome? Il fallait amadouer Baal Moloch et obtenir de lui un soutien nécessaire.
- A mort le sectateur de Juda! A mort le Juif! Criait la foule hors d’elle;
Sur les gradins de pierre, de marbre ou de bois, les gens s’agitaient, formant une étrange vague bigarrée. Il y avait là des Puniques à la barbe soigneusement taillée, aux vêtements de laine chamarrés, aux jambes nues, mais aussi, assez surprenant, des Aztèques aux robes de plumes et aux casques reproduisant des têtes d’aigles, de jaguars, ou de caïmans. Il ne fallait pas non plus omettre des SS Totenkopf dans leur sinistre uniforme noir, arrogants et cruels, des inquisiteurs espagnols en robe monastique de l’ordre de Saint Dominique, psalmodiant des cantiques, Des Telmans, c’est-à-dire des extraterrestres porcinoïdes intolérants, ce que n’était pas le défunt Groonkt, refusant toute forme de science, des mollahs de l’Islam le plus intégriste, qui marmonnaient, « Dieu le veut » en langue perse, et ainsi de suite…
Enfin, les clameurs se turent car le grand prêtre officiant approchait. Certes, ses traits présentaient le type carthaginois, mais sa tenue mélangeait allègrement tous les styles, toutes les époques, s’adaptant ainsi parfaitement à la foule composite. Sa coiffe, son couteau d’obsidienne étaient Mexicas, ses sandales semblables à celles d’un moine espagnol du XVI e siècle, sa chemise noire était taillée dans la soie la plus fine, et son pantalon bouffant arborait des crevés comme l’exigeait la mode des Telmans de l’ère obscurantiste. Sa barbe noire elle aussi comme celles des ayatollahs dissimulait le bas de son visage.
Persuadé de sa mort prochaine, Benjamin ne se résigna pas! Il bandit ses muscles de toutes ses forces afin de faire éclater les torons des cordes qui le ligotaient. Hurlant sa foi à la face de la foule déchaînée, magnifique dans sa colère, il lança en hébreu:
- Ô toi, Dieu de Josué, Montre Ta puissance! Arrête le soleil!
A cet instant, une éclipse commença…

***************

Un mendiant lépreux prit à partie le commandant Fermat, s’accrochant à ses basques. André avait du mal à se dégager de la prise puissante du vieillard. Il ne se demandait pas ce qu’il faisait là. Il savait pertinemment qu’il s’agissait d’un tour de l’Ennemi. Après tout, il avait vécu de nombreuses situations absurdes dont il conservait le souvenir.
Dans ce cloaque nauséabond, encadré par des murs de torchis suintant d’humidité et tachés de moisissures, les odeurs puissantes qui agressaient les badauds mélangeaient la crasse de corps jamais lavés, la vase, la décomposition de chairs animales, et les excréments de toutes sortes. Un peu partout, la volaille vaquait en liberté tandis que des cochons fouissaient avec gourmandise la fange, la boue noirâtre, acide et tenace qui montait à mi mollets et qui vous abîmait chaussures et chausses. Rares étaient les maisons à croisillons et à encorbellements dans cette venelle qui, sans doute, appartenait à l’une des Cours des Miracles sises dans Paris. Nulle lanterne pour éclairer la nuit sordide, dépourvue de clair de lune, nul garde pour faire le guet ou protéger le petit peuple de la capitale!
Sur le mur qui lui faisait face, tout rongé de salpêtre et de salissures, Fermat put néanmoins reconnaître des bulles qui éclataient sous l’effet de gaz délétères verdâtres produits par une mystérieuse alchimie. Le mendiant lépreux s’agitait de plus belle, faisant tinter sa sébile, ne lâchant pas l’intrus. De sa bouche édentée et déformée, il chuintait d’abondance:
« Allons, messire, un bon geste! Un liard, une petite pièce de billon, de monnaie blanche! Pour vous, ce n’est rien! ».
Ses moignons pitoyables, entourés de bandages et de linges souillés, se tendaient, agrippant maladroitement mais fermement la tenue anachronique de survie de Fermat. Le pauvre hère dégageait un parfum presque insoutenable fait avant tout de pourrissement de chairs. Le commandant, avec un léger dégoût, reconnaissait vaguement ce qui avait été des mains, restes pathétiques et grotesques, crispés et presque simiens. Un halo se dégageait de la misérable créature. Dépourvue de nez et de paupières, la face du mendiant provoquait à la fois l’horreur et la pitié. Sous la peau desquamée, telle celles des momies grimaçantes et repoussantes, André devinait une chair blanchâtre et rongée de laquelle le pus s’écoulait.
« Messire, une petite pièce de cuivre! Insistait l’être ainsi éprouvé. Pitié! Sinon les sergents de la maréchaussée vont me jeter dans les geôles de Philippe le Bel! ».
Le mendiant secouait sa crécelle et sa sébile avec opiniâtreté mais Fermat ne pouvait satisfaire cette demande légitime. Il n’avait pas une pièce, si petite fût-elle, sur lui! Il n’eut d’autre choix que de reculer jusqu’à un mur qui se déroba derrière lui. En fait, c’était juste un portail qui s’était entrouvert sous son poids. Poussé par la curiosité, le commandant pénétra sous le porche et eut le réflexe de refermer la porte.
A l’intérieur de la cour, l’air paraissait plus doux et moins fétide. André laissa ses yeux s’accoutumer à la nouvelle obscurité. Peu à peu, il put voir qu’il se trouvait bien à l’intérieur de la cour d’un hôtel particulier. Tous les éléments y étaient: tours gothiques, créneaux, pignons, échauguettes, sol pavé, dépendances…
Et, tout à coup, la lune se leva. Un rayon pâle se posa fortuitement sur du métal. Contre la margelle d’un puits, une silhouette était affaissée, se tordant de douleur. L’inconnu avait la poitrine transpercée par une longue colichemarde. Or, la victime ne correspondait pas du tout à l’époque révélée par le mendiant: le XIV e siècle!
André s’approcha à petits pas afin d’identifier l’homme. Costume rayé Prince de Galles, trois pièces, parfaitement coupé, petites lunettes cerclées à monture dorée, chapeau mou 1930, un rien d’accent guttural dans les plaintes et les gémissements… Ah! Aucun doute à avoir! Fermat avait devant lui, à l’article de la mort ou presque, Thaddeus von Kalmann en personne, l’être que le commandant cherchait à éliminer depuis de longues années déjà, bref le chantre de la réaction ultralibérale, l’idéologie qui avait causé tant de mal à la Terre dont il était originaire!
Mais André n’était pas un monstre quoi que l’on pouvait en penser. Dans un réflexe humanitaire, il se pencha vers l’agonisant et demanda :
- Monsieur von Kalmann, articula-t-il lentement en français, me comprenez-vous? Qui vous a agressé?
- Mein Herr, ich wisse nicht! Le Commandeur Suprême du Temps venait enfin d’accéder à ma requête, reprit le blessé dans la même langue que son interlocuteur, me transporter à l’ère bénie du non État, au temps où tout était privé, la monnaie, la justice, l’armée et la guerre… Mais je crois que l’Entité s’est trompée de siècle ou bien qu’elle m’a abusé!
- Ah! S’exclama Fermat, la loi du plus fort! Je saisis!
- Adonc, je me retrouvais sur les terres du Sire de Coucy, le sieur Thomas de Marle, poursuivit von Kalmann, oubliant qu’il gaspillait le peu de forces qui lui restait, dans le Nord de la France, non loin de la rivière Aisne. Ce seigneur terrible et puissant, haut-justicier, était craint à vingt lieues à la ronde par ses commensaux et ses serfs.
- Le Sire de Coucy, j’ai lu quelque chose sur lui… Cela remonte au XII e siècle, mais…
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- J’avisais un gibet où étaient pendus deux manants, reprit Thaddeus dans un souffle, qui avaient sans doute refusé de payer l’impôt, la taille seigneuriale ou encore le droit de mainmorte. Les marauds puaient tandis que les corbeaux s’en donnaient à cœur joie! Ils arrachaient ce qui restait de leurs yeux crevés avec une régularité métronomique. Puis, j’entendis une galopade derrière moi. Huit cavaliers s’arrêtèrent abruptement. Ils portaient des broignes grossières, des mailles treslies, des casques plats ou coniques à nasal. Ils dégageaient une puissante odeur de crasse, de sueur rance et de mauvais vin. Celui qui paraissait commander le groupe descendit de sa monture et me jeta à terre avec une violence aussi inattendue qu’incompréhensible. Ensuite, il me frappa et fit mes poches, comme si j’avais commis un crime. Je n’y entendais mie! Tout en s’adressant à moi, il me rouait de coups. « Chien, maraud, vilain, foutraille, faquin, ribaudaille ! Que fais-tu sur mes terres, voleur, sans avoir acquitté le droit de passage? Pourquoi, de plus, dépends-tu ces serfs? Il faut qu’ils servent d’exemple à tout le village! Mon sergent qui a tout vu de loin m’a signalé ton impudence! Tu ne portes sur toi aucun liard, aucune monnaie de bon aloi, mais d’étranges pièces qui ne sont espèces ni de cuivre, ni d’argent! Aurais-tu partie liée avec une bande de faux monnayeurs? Attention! Ta monnaie ne porte pas la marque de mon seigneuriage! Et que sont ces étranges feuilles colorées? »
Tout à son récit, revivant les instants les plus décisifs de sa vie, von Kalmann balbutia:
- Monsieur, vous vous exprimez dans une langue que je ne comprends point!
- Holà, valetaille! Adresse-toi à moi en disant Seigneur! Je suis Thomas de Marle, le Sire de Coucy, ribaud, manant! Toute la cour du roi Louis tremble à l’évocation de mon nom! Ce gros balourd n’est pas prêt de me chasser de mon droit! Je ne crains ni Dieu ni diable! Je m’en vais t’occire, maraud ; ensuite, je me régalerai de ton cœur!
- Voilà ce que me jeta au visage le sire de Coucy! Il ne me fit pas même l’honneur de me transpercer de son épée. Il prit celle de son garde pour ne pas avoir à souiller son arme de mon sang roturier!
- Sans doute, répondit Fermat qui ne s’étonnait pas de voir von Kalmann ayant quelque peu repris des forces et assez de souffle pour terminer son récit. Cependant, vous étiez dans les forêts de l’Aisne lorsque ceci vous est arrivé. Or, présentement, vous vous trouvez à Paris, mais près de deux cents ans plus tard!
- Vous faites erreur, Fermat, résonna alors une voix mordante qui ne pouvait appartenir qu’au sieur van der Zelden.
Von Kalmann avant de s’estomper dans le néant, enchaîna:
- Bienvenu chez mes héritiers… mes héritiers… mes…
Sa voix mourut en même temps qu’il disparut.

***************

Le décor avait changé. Un salon du plus pur style victorien était désormais devenu la réalité. Des meubles d’acajou et en chêne, des plantes vertes disséminées un peu partout, aspidistra, rhododendron, des tapis d’Ispahan, des tapisseries sombres accrochées aux murs, des armures de collection dont une de samouraï aux emplacements stratégiques, des tentures de velours pourpres devant les hautes fenêtres, mangeant au trois quart la lumière diurne… Tout cela rapetissait la pièce.
Un tableau académique anglais portraiturait un « homme » dans une attitude figée avec des couleurs à plat, froides, accentuant encore davantage les traits déformés du sujet. Cette peinture était l’œuvre d’un artiste hispano-américain ayant travaillé pour Hollywood, - donc quelque peu anachronique si l’on avait réellement affaire à un décor des années 1890 -, Henrique Médina, qui avait peint le comédien Hurd Hatfield dans le rôle de Dorian Gray.
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Malgré la facture hyper classique du tableau, qui, de par l’inspiration de l’artiste et la pose du personnage, n’était pas sans rappeler, par exemple, le portrait du maréchal Lyautey, par Laszlo de Lombos,
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l’aspect surnaturel voire épouvantable de l’œuvre l’emportait.
Il s’agissait donc d’un être monstrueux bicéphale, comme le Janus, qui, en plus des deux têtes, était pourvu de deux troncs, de quatre bras, mais d’une seule paire de jambes, bref un siamois inabouti. L’homme double ressemblait à la fois à Gladstone,
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pour la première tête, et à Disraeli pour la seconde.
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Les détails venaient renforcer cette ressemblance: redingote sombre, cravate en soie ivoire, col montant, une feuille de papier à la main. L’ “homme » se tenait debout devant un feu de cheminée et, sur la gauche, on pouvait deviner une fenêtre aux rideaux tirés ainsi qu’une porte entrouverte laissant au spectateur la liberté de son imagination.
Non sans ironie, Johann van der Zelden avait reproduit, à la boiserie près, le salon de Lord Percival Sanders,
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mécène et archéologue amateur à ses heures, mort assassiné dans une banlieue huppée de Londres dans des conditions mystérieuses au début des années 1890. D’autres touches dans le décor dénonçaient que le propriétaire de ces lieux était un esthète décadent dans la droite lignée d’Oscar Wilde; une collection de papillons ornait un des murs du salon ovale, une crédence portait un narguilé turc tandis que sur une table basse un service à thé en porcelaine entourait un livre manifeste orné de fer, « Confessions d’un fumeur d’opium » de Thomas de Quincey.
De part et d’autre du seuil du salon, on rencontrait, ornements incongrus, abritées dans une vitrine, une reconstitution du projet de scaphandre du chevalier de Beauve, scaphandrier conçu en 1715, et une momie canarienne au bandelettage influencé par l’Égypte des pharaons. Sur les bandelettes de la momie, on distinguait encore des glyphes mayas! L’objet impossible dans toute sa splendeur!
Une des armures bougea et descendit de son socle. Elle parla avec la voix de Fermat.
« Si le style s’y prêtait, je dirais que je me trouve plongé dans un roman gothique anglais juste un peu avant Victoria! Mais tout cela n’est qu’illusion! Mon tourmenteur s’amuse à manipuler les symboles, comme si je n’étais pas capable de les lire! Ainsi, ce portrait représente deux conceptions de l’Angleterre qui ont fini par se rejoindre et se confondre. En effet, pour un malheureux habitant de Whitechapel ou de Limehouse, il n’existait aucune différence entre les ministres Gladstone et Disraeli, puisque, de toute façon, quel que soit le parti au pouvoir, les sans travail en étaient réduits à la mendicité ou à la crapulerie! D’où l’opinion émise, plus que valable à mes yeux, par le monstre communiste du XXe siècle, concernant la démocratie formelle, comparée à la démocratie réelle.
Bizarre! Je me sens moins à l’aise maintenant qu’il y a quelques instants. Pourquoi est-ce que je ressens comme une gêne au niveau de mes mouvements? Bon sang! J’ai saisi! Je suis revêtu d’une armure Asturkruk désactivée! »
A peine le commandant eut-il pensé cela que l’armure reçut de l’énergie ce qui permit immédiatement à André de mieux respirer. Parallèlement, sa vue s’élargit. Des différents corridors surgirent des couples de siamois figurant des personnalités célèbres de la fin du XX e siècle. Fermat avait changé de niveau de perception. Parmi les nouveaux venus, il reconnut des politiciens, des membres de la « jet set » que Daniel, son Daniel, était sensé avoir tués dans la seconde histoire, dans un autre 1995, mais également leurs successeurs, cibles de Pamela Johnson dans la période 1996-1998.
Il y avait là Olivier Saint Jean, accolé à l’inénarrable Gaétan de Sermeuil, ainsi que Lucien Pivert et Toussaint Spirito, le gargantuesque Hans Gemüse, soudé à son successeur Kurt Donner, et enfin, James Peacock rattaché à Jerry Sinclair! Puis vint le sublime Benoît Fréjac, dédoublé en sa marionnette des Pantins de l’Actu!
Tous ces grands personnages qui avaient vocation à gouverner le monde, ricanaient et se congratulaient! Pourquoi donc tant de réjouissance? Ils venaient tout simplement de trouver un nouveau moyen d’augmenter les impôts sur les classes moyennes sans le dire! Modifier l’assiette, supprimer une nouvelle tranche, rehausser les taxes sur les drogues officielles autorisées, l’alcool, le tabac, bien évidemment, mais aussi la loterie et tous les jeux de grattages, augmenter une fois encore le prix de l’essence, ne rien faire pour encourager la mise au point d’une voiture véritablement propre, poursuivre les privatisations des groupes d’assurances, bancaires, des services publics comme la poste, le chemin de fer, prôner la flexibilité de l’emploi, et, appliquer, si possible, une austérité budgétaire éternelle que n’aurait pas reniée Louis XVIII lui-même!
La marionnette de Fréjac, autonome, ouvrit avec précaution la vitrine d’une bibliothèque tout en déclamant de sa voix éraillée: « Les arts premiers, il n’y a que ça de vrai! ».
Pourtant, contredisant cette déclaration, le pantin sortit deux ouvrages, clairement racistes: « l’Essai sur l’Inégalité des races humaines » de Gobineau et « Inquiries into Human Faculty and its Development » de Francis Galton, « pape » de l’eugénisme, publié en 1883. Puis, il dit avec satisfaction: « Ah! Mes livres de chevet! ».
Ne sommes-nous pas trop durs avec ce personnage? La caricature se doit d’être cruelle mais enfin!
Au milieu de tous ces grands hommes, il y avait aussi un « sportif », ou prétendu tel, tout hérissé de seringues ou de cathéters, un footballeur mondialement connu, Marcello di Pietri, qui avait joué pour le Real Madrid et la Juventus de Turin. Il allait de soi qu’il carburait, entre autre, à l’argent! S’il n’avait pas au moins six millions de dollars par mois, il ratait systématiquement tous ses buts ou encore souffrait de tendinite! Il possédait trente Ferrari, dix-huit chaînes de pizzerias, sept à huit îles, une plage privée à Miami, des parts dans tous les grands palaces européens,…
Fermat, que la colère envahissait, s’écria:
- Tous les mêmes! Jusqu’au sportif gangrené par le profit!
Cela, il ne pouvait l’accepter. Ainsi, il faisait le jeu de Johann!
Sans que le commandant s’en rendît compte, son armure frémit et passa en phase d’attaque. Des flammes jaillirent de sa cuirasse. Les incarnations des véritables hommes politiques et autres du XX e siècle, les bibelots, les objets de collection, les meubles, furent la proie de ce lance-flammes ultra perfectionné. L’incendie calcina jusqu’aux tentures, tapis, boiserie, qui avaient constitué le confortable salon victorien.
Lorsque le tempsnaute égaré recouvra sa raison, il était à son tour cerné par les flammes qui rugissaient. Pour sortir de ce piège qu’il avait inconsidérément enclenché, il dut activer l’ultra vitesse et courir presque en aveugle droit devant lui!
Au bout d’un laps de temps qu’il lui était impossible de mesurer, Fermat aboutit dans une espèce de boyau non issu d’une technologie humaine. C’était une architecture qu’il avait déjà rencontrée, et qui lui rappelait des souvenirs plutôt pénibles. Pour confirmer son angoisse qui sourdait, André vit à ses pieds la dépouille parfaitement identifiable d’un dinosauroïde de la Sécurité, appartenant à la flotte de l’Alliance. Des lambeaux d’uniforme adhéraient encore aux chairs racornies. C’était là tout ce qu’il restait d’une proie ingurgitée et dégurgitée par les gigantesques termitoïdes originaires de la planète Sestris 9.
D’un geste suspicieux - il avait donc peur- Fermat s’appuya sur la galerie de terre. Il voulait s’assurer si les prédateurs avaient emprunté ce passage peu de temps auparavant. La réponse qu’il obtint ne lui plut pas! Sous ses doigts gantés, il sentait la paroi vibrer. Des guerriers approchaient assurément!
Revenir en arrière? Impensable! Là-bas, tout brûlait! De plus, fort à propos, le passage venait de s’obstruer! André n’avait donc plus que d’autre choix que de fuir toujours droit devant et de se jeter par désespoir dans la gueule des monstres car, pour couronner le tout, son armure venait naturellement de se désactiver!
Johann était sans conteste Le maître du suspens! Avant que le commandant réagît, un termitoïde décida pour lui. Une énorme langue blanchâtre l’avala ; un insecte soldat éclaireur venait de le prendre à revers, surgi du néant. Sa poitrine à demi broyée, déchirée, Fermat eut juste le sentiment de se voir gobé par le termitoïde avant de sombrer dans l’inconscience bienheureuse.
Plus tard, bien plus tard, le commandant rouvrit les yeux dans un lieu inattendu. Des odeurs alléchantes de cuisine assaillaient ses narines. Le cobaye s’aperçut qu’il avait bien faim. De la volaille rôtissait, des oignons roussissaient, des épices variées parfumaient les mets. Déboussolé, André tâta devant lui. Ses mains rencontrèrent le bois d’une table, puis la porcelaine fine de plats fumants qui lui étaient destinés. Un serveur vêtu de soie sombre, s’inclina cérémonieusement devant lui.
- L’honorable étranger est servi, dit-il en anglais avec une pointe d’accent de Hong Kong. Je vous conseille de commencer par les rouleaux de printemps. Ils ont été confectionnés ce matin même.
- Un restaurant chinois! S’exclama Fermat qui ne comprenait plus rien. Comment ai-je atterri ici? Pourquoi donc? Je croyais avoir succombé! Quelle est la logique suivie par van der Zelden?
- L’honorable étranger se trompe, fit le serveur suavement. Ce restaurant est international, spécialisé dans les plats asiatiques. Notre carte très variée offre à nos clients venus de tous les continents, des plats thaï, cambodgiens, vietnamiens, japonais, indiens, et chinois de Canton ou encore de la Cour impériale. Et, pour la première fois, je suis fier de vous annoncer la possibilité de choisir des mets inuit ou iakoutes.
- Ai-je déjà commandé? S’enquit André.
- Un plat typique de chaque pays ou contrée. Mon maître vénéré, vous voyant si curieux et si gourmet vous offre les différentes boissons nationales. Appréciez. Votre menu se compose de sushi, fugu, boules de riz au miel, crevettes à la sauce pékinoise, je vous préviens, c’est fort piquant, bouchées de porc siomaï, boulettes de coco à la vapeur, poulet farci à la façon de Saigon, cuisse de poulet sauce thaï, porc au curry de Madras, scorpions grillés aromatisés à la cannelle, présentés en brochettes, tranches de serpent en beignets, riz indien , shop suey, samossa de bœuf, banh bao, beignets de poulet coréens, raviolis vapeur farcis aux crevettes et au porc, phoque faisandé Inuit, ailerons de requin du Groenland (!), litchi nature, nougat chinois, bière Tiger de Singapour, cocktail de fruits et thé au jasmin!
- Êtes-vous bien certain que j’ai commandé tout cela? Gargantua lui-même peinerait à avaler autant de nourriture!
- Pourtant, noble étranger, de nombreux autres clients ont désiré goûter davantage encore! Constatez!
Fermat jeta alors un coup d’œil autour de lui. Il sursauta en reconnaissant, juste à la table qui lui faisait face, Louis XIV en chair et en os, coiffé d’une énorme perruque rousse, vêtu d’un habit bleu en satin et en velours, orné du cordon du Saint-Esprit, en train d’avaler potage aux crevettes, soupe de grenouilles, potage aux asperges, beignets de requins, samossa de porc, poulet tika massala, etc. à une vitesse prodigieuse! Sur la desserte, les plats vides s’amoncelaient, formant bientôt des colonnes branlantes.
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« Ah! Ce faquin de Vatel qui a d’abord servi ce triste sire de Fouquet et qui a ensuite préféré se suicider parce que la marée était en retard! Marmonnait le souverain entre deux bouchées. Heureusement que j’ai trouvé ce maître d’hôtel! Nulle table n’est plus succulente que la sienne! ».
Le Roy Soleil soupait en bonne compagnie, oubliant ainsi l’étiquette qui exigeait qu’il dînât seul! La star hollywoodienne Deanna Shirley De Beaver de Beauregard,
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assise à ses côtés, battait le souverain à son propre jeu en se goinfrant de tourtes au sanglier, aux perdreaux, à la volaille, aux anguilles, au cygne, aux faisans, aux lièvres et ainsi de suite. La belle faisait preuve d’un appétit d’ogresse, réussissant, sans sourciller à se goberger d’une vingtaine de ces monstrueux pâtés en croûte. Miss DS De B de B avait exigé de manger selon ses habitudes et non de la façon exotique de ce restaurant. Minaudant, menaçant et roucoulant, elle avait obtenu satisfaction.
Plus loin encore était attablé un personnage remarquable, surgi visiblement de l’Empire romain universel hérité des manipulations de Benjamin Maximien. L’individu portait une toge de nylon couleur orange fluo, toge angusticlave. Le digne chevalier se gavait de cous d’oies farcis aux airelles et aux morilles, de langues d’oiseaux, d’anguilles à la crème et de tripes de marcassin frites dans de la graisse d’aurochs. Visiblement, le noble personnage qui, lui aussi, avait dérogé au menu classique de ce restaurant asiatique, jugeait que ces mets n’étaient pas suffisamment assaisonnés. Il héla le serviteur en criant:
- Garçon! Ces plats sont bien fades! Encore du garum de Cathay!
- Honorable client, je vous suggère plutôt de rajouter du piment et des baies noires.
- Que veut dire ce Romain par « garum de Cathay »? Questionna Fermat.
- Il s’agit du nioc-mam, le condiment asiatique fabriqué à partir de suc de poisson fermenté.
Poliment, André accepta de goûter à chaque plat. Cependant, bien qu’affamé, il n’en avala qu’une bouchée. Enfin, lorsque vint le tour du phoque à la façon Inuit, qui dégageait une odeur puissante de chair faisandée et de graisse rance, la viande étant crue de surcroît, le commandant eut un haut le cœur malgré tout son stoïcisme. Verdâtre, il se leva précipitamment de sa chaise et courut jusqu’à la sortie. Se déplaçant rapidement, il faisait osciller les lanternes de papier qui diffusaient une lumière tamisée dans la salle du restaurant. Bien évidemment, Fermat ne s’attendait pas à ce qui lui arriva.
Ouvrant brutalement la porte, il dut faire face à une dépressurisation soudaine! Ses oreilles sifflèrent et saignèrent. Toutefois, son instinct le poussa à se raccrocher juste à temps à la rampe de bois tandis qu’il avait déjà un pied dans le vide. Autour de lui, il n’y avait que le néant! Une météorite voguant au hasard dans l’espace, voilà ce qu’était le restaurant chinois! Or, pendant qu’André luttait, l’air du bâtiment continuait de s’échapper et la pression intérieure de baisser!
Après avoir recouvré son équilibre, Fermat referma la porte. Puis, s’adossant à celle-ci, il souffla bruyamment tout en s’épongeant le front. Il venait de voir passer la mort d’un cheveu. Mais cela lui avait permis de comprendre dans quelle cage il était enfermé, quels tourments lui étaient réservés.

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