Quatrième partie : Franz
(1936-1943)
Prologue
Cassel. 10-12 Avril 1677.

La guerre de Hollande voyait s’affronter Guillaume d’Orange

et le roi Très Chrétien Louis XIV.

Le Stathouder voulait écraser l’armée de
Monsieur, frère du roi, dans les Flandres.
A l’aube du 10 avril, Guillaume apparut sur la plaine,
venant de Sainte-Marie Capelle. Son armée, rangée en bataille, le prince passa
à l’attaque tentant l’assaut d’une hauteur où s’élevait l’abbaye de Peene.
Chez les Français, le maréchal de Luxembourg

avait pris la
tête des troupes du monarque, et faisait face tant bien que mal. La bataille,
parmi les plus furieuses et les plus sanglantes de l’histoire, dura jusqu’à
cinq heures du soir.
Parmi les officiers fantassins du roi Soleil, un jeune homme
blond, aux yeux clairs et de haute taille, fut atteint par un sabre hollandais
alors qu’il résistait brillamment. Sous la douleur, son long fusil à baïonnette
lui échappa des mains et il tomba sur la terre meuble, sa grave blessure
faisant s’écouler de sa poitrine un sang du plus beau pourpre. Tandis qu’il
agonisait, perdant peu à peu conscience de la réalité qui l’entourait, d’autres
soldats mouraient à ses côtés. Un court instant, il leva les yeux vers le ciel
en train de chavirer tel un vaste et tourbillonnant entonnoir noir, puis, tout
s’effaça.
Mais, presque instantanément, le revoilà debout, bien
vivant, toujours vêtu d’un uniforme militaire, avec le même physique. Pourtant,
quelque chose avait changé. D’abord la date : 1812. Ensuite, le continent.
Désormais, l’inconnu se retrouvait en train de se battre en pleine guerre
anglo-américaine, luttant contre les Britanniques qui n’avaient jamais accepté
l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Pris entre deux feux,
instinctivement, il se jeta sur la terre battue et rampa vers un fourré
protecteur.

Parvenu derrière le feuillage, déboussolé, il reprit son
souffle, s’épongea le front à l’aide d’un mouchoir qu’il sortit de son havresac
et essaya de comprendre ce qui était en train de lui arriver.
Marmonnant entre ses dents, il se dit :
- Mais… n’étais-je pas mort tantôt ? Ces éclairs
lumineux parmi les ténèbres… mon uniforme a changé. Pourquoi ? Je me
trompe. D’où vient ce souvenir incongru ? S3 vient tout juste de me donner
l’ordre de me rendre en Amérique, ici, il n’y a pas cinq secondes… auparavant,
je suis bien passé par les programmateurs et les éducateurs… du moins, ce me
semble. Que de souvenirs confus ! Ma poitrine me fait mal. Je sens une
vive douleur sourdre… or, je ne porte aucune blessure. Pourtant, je revois
encore ce maudit sabre en train de me transpercer. S’agissait-il de moi ?
Ne me suis-je pas réincarné ? Ou alors, cela est arrivé à un de mes
confrères… Mais, dans ce cas, pourquoi est-ce que c’est moi qui ai cela en
mémoire ? C’est à n’y rien comprendre… Bon sang ! Qui suis-je ?
Que suis-je ?
Après une fraction de secondes, l’inconnu reprit ses
réflexions.
- Un simple outil que les Douze S sacrifient… oui… ensuite,
ils le réassemblent et le reprogramment sans cesse, selon les nécessités. Ne
faut-il pas rendre pérenne leur civilisation ? Tant pis pour celui qui est
doté de mémoire, de conscience… tant pis pour l’esclave obligé d’obéir encore
et toujours ! Oui, S1 se joue de moi… Il me prend pour un imbécile mais
ses mensonges, je les devine et je les vois désormais. Tout est en train de me
revenir. Toutes ces images qui affluent dans ma tête… Espagne, 1522, à la Cour
de Carlos Quinto, 1626, le Louvre chez Louis XIII, Chine, 1644, alors que les
Mandchous vont prendre le pouvoir, vers l’an – 100 000, les
Néanderthaliens, 2 150, le Renouveau de la Première civilisation
post-atomique… moi, quoi qu’il arrive, toujours présent, toujours assistant aux
événements clés, au cœur de l’Histoire humaine… Pourquoi ? Pourquoi ?
J’ai en moi toutes les mémoires du Monde…
Parallèlement, le 11 avril 1677, la bataille avait repris.
Ce jour-là, Philippe d’Orléans, Monsieur,

chargeait
courageusement à la tête de sa cavalerie. Devant lui, se dressait, en personne,
Guillaume d’Orange. La mêlée qui s’en suivit fut digne des héros les plus
épiques des grands romans de chevalerie. Philippe, ici, ressemblait à Tancrède

ou encore à Olivier, l’ami de Roland. Tel un démon survolté, le Prince se
battait avec la furia francese si
redoutable et si redoutée. L’épée au poing, il tailladait dans les chairs, ne
ménageant ni son corps ni sa monture, rechargeant plus de vingt fois au moins.
Son cheval tomba, vite, il en prit un autre. Sa cuirasse amortit deux coups de
feu. Mais, ignorant toute peur, toujours debout, il repartait à l’assaut,
échevelé, splendide, magnifié par sa rage de vaincre.
Enfin, après des heures de durs combats, les lignes
hollandaises furent percées. Philippe d’Orléans était sorti vainqueur et quel
vainqueur de cette bataille d’abord indécise. Quant à Guillaume d’Orange, il rageait,
tempêtait, se mordait les doigts de ne pas avoir abattu le maudit Prince
français.
… Nimègue, 10 août 1678, onze heures du soir.

Le traité de paix
mettant fin à la guerre de Hollande était signé et, le 10 octobre de cette même
année, à Saint-Cloud, Monsieur offrait à son frère Louis XIV une fête célébrant
avec tout le faste possible la paix de Nimègue.
Louis XIV ne put que s’extasier devant les nouvelles
constructions et le luxe de cette réception somptueuse. Tout était splendide,
parfait, dans le goût de ce siècle, la musique, les ballets, les jeux d’eau,
les costumes, les feux d’artifice… avec grâce, il félicita son frère pour son
accueil.
- Monsieur mon frère, merci…
- Sire, j’espère que tout vous a plu.
- Je n’ai rien trouvé à y redire, fit le monarque en
s’inclinant.
- Je n’ai cherché qu’à vous faire plaisir, Monsieur mon
frère. Telle était mon ambition…
- Vous y avez réussi.
Dans son for intérieur, le roi Soleil bouillait de jalousie.
Désormais, il allait faire en sorte que son cadet ne commandât jamais plus le
moindre régiment de cavalerie, la plus petite armée. Sa gloire ne devait plus
lui porter ombrage… plus jamais…
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