jeudi 16 mars 2017

Un goût d'éternité 2e partie : Cécile : 1907.


1907



L’année 1907 voyait en France la révolte des vignerons dans le Midi. Georges Clemenceau n’hésita pas à envoyer l’armée mater les séditieux. Arthur de Mirecourt désapprouvait les mesures radicales du ministre et le faisait savoir à toutes ses connaissances. La riposte ne tarda pas. Il fut boudé dans les salons et on ne l’appela plus que l’officier rouge. Son colonel, avec un nom qui se décroche, le convoqua et le punit d’un mois de mise à pied. L’Armée, devenue la grande muette depuis l’Affaire Dreyfus, obligeait ses membres à conserver secrètes leurs opinions politiques.
Enfermé dans ses quartiers, Arthur eut tout le loisir de s’adonner à la lecture. Chose horrible, fort mal vue dans son milieu, il dévora l’œuvre de Zola, La Curée, l’Assommoir, la Bête Humaine, Germinal, etc. 
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Au contraire, chez les Grauillet, on applaudit aux mesures d’exception prises contre les vignerons. Il était rare que les parents de Cécile appuyassent ainsi le gouvernement de la Gueuse. Le père alla même jusqu’à déclarer qu’il fallait maintenant envoyer tous ces Communards à Cayenne.
En cette année 1907, Cécile avait atteint ses seize ans. C’était toujours la jeune fille de bonne famille, bien éduquée et polie. Mais devenue femme, sa taille frôlait désormais le mètre soixante-cinq, ce qui était élevé pour l’époque. Son visage et son sourire dénonçaient une profonde sérénité. Quant à ses propos, toujours feutrés, ils ne dénotaient pas les soucis que les Grauillet connaissaient.
La famille était quasiment au bord de la ruine, le père ayant mal placé ses économies. Alors, avec un pincement au cœur, il proposa à sa fille unique, fort bonne élève, douée pour les langues, de se placer comme contre maîtresse dans un pensionnat ses études achevées, ou, mieux encore, de devenir préceptrice d’enfants de la noblesse, et s’il le fallait, de se rendre en terre étrangère pour trouver une situation intéressante. Cécile accepta sans une larme. Ne devait-elle pas aider son père et sa mère sur le plan financier parce qu’ils lui avaient permis de faire de bonnes études ? Elle qui rêvait d’un grand mariage avec tout le tralala, savait que, désormais, cet espoir de petite fille était vain. Prenant son parti, elle fit face à l’adversité avec un sang-froid admirable.

*****

Ravensburg, 30 Juin 1907.

Au château des von Möll, on célébrait l’anniversaire de Wilhelmine, l’épouse de Waldemar. La jeune femme était enceinte de trois mois. Mais était-ce le repas de famille, riche et trop gras, ou autre chose ? la future mère se sentait mal. Un instant, elle se plaignit à haute voix. 
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- Mon chéri, dit-elle à son mari, je ne sais pas ce que j’ai. Une atroce migraine me vrille les tempes. Cela ne vient pourtant pas du champagne. Je n’en ai bu que deux petites gorgées.
-Veux-tu monter ? Répondit Waldemar avec sollicitude.
Il prit les mains de Wilhelmine et s’écria :
- Mais tu as les doigts glacés !
- Quelque chose ne va pas ? Questionna alors Rodolphe, soudain inquiet.
- Ce n’est sans doute rien, père, répondit la jeune femme, un simple mal de tête. Je monte m’allonger une heure ou deux. J’ai besoin de repos.
- Désirez-vous que je vous accompagne ? demanda aimablement sa belle-sœur.
- Bien volontiers, chère amie.
Magda se rendit dans la chambre de Wilhelmine tout en soutenant cette dernière. Elle l’aida à s’allonger sur le lit. Mais celle-ci, prise de violentes nausées, se mit tout d’abord à tousser. Vite, Magda prit une cuvette en faïence bleue et la tendit à sa belle-sœur. Alors, Wilhelmine rendit son repas, ne parvenant pas à s’arrêter.
Devant cette incommodité, Magda perdit son sang-froid.
- Oh ! Mon Dieu ! mais vous allez très mal. Je vais demander à Wilhelm qu’il téléphone au médecin. Grâce au ciel, notre beau-père est amateur de progrès. Le docteur sera vite là et vous donnera un émétique.
Laissant seule quelques minutes la malheureuse Wilhelmine, Magda redescendit précipitamment au rez-de-chaussée, là où il y avait un appareil téléphonique. Elle se heurta à Rodolphe qui avait anticipé la chose. Mais le docteur était absent, préoccupé par la naissance du septième enfant de l’épouse du facteur de la petite ville. L’accouchement s’annonçait difficile et le médecin ne serait de retour chez lui qu’au milieu de la nuit. Ce serait bien trop tard, le malaise de Wilhelmine s’étant aggravé.
Une fièvre cérébrale s’était emparée de la jeune femme. A son chevet, Waldemar, Magda mais aussi Maria Neürer, la tante, furent impuissants à soulager Wilhelmine qui souffrait sur son lit. Bientôt, elle délira. La délicate jeune mère avait le sentiment d’être la proie de millions et de millions de crapauds qui ne visaient qu’une chose : dévorer son cerveau et son cœur. Sa respiration de plus en plus saccadée laissait présager une fin prochaine. Elle transpirait abondamment, d’une suée malsaine, alors que ses mains étaient de plus en plus glacées et qu’au contraire, son front brûlait comme de la lave en fusion.
Son état s’aggrava encore si possible. Une écume blanchâtre sortit de sa bouche et ses lèvres et sa langue devinrent comme du bois dur. Des soubresauts réguliers la secouait et la faisait se cabrer, se crisper et se raidir. Wilhelmine n’avait plus conscience de la présence de Waldemar auprès d’elle. L’époux lui tenait pourtant les mains, mais la jeune femme les lui broyait lors de ses accès.
Le professeur tentait de calmer Wilhelmine en murmurant des mots tendres. En vain. Elle ne l’entendait plus.
Vers trois heures du matin, les crises cessèrent brutalement. Mais Wilhelmine n’allait pas mieux, bien au contraire. Elle avait sombré dans le coma, s’y enfonçant peu à peu, côtoyant désormais la mort toute proche. Cependant, elle n’en avait pas terminé avec les hallucinations. Elle croyait progresser au sein d’un couloir aux murs gluants et glacés, enténébré, un tunnel qui, au fur et à mesure qu’elle y progressait, se rétrécissait encore et encore. Sa marche se faisait plus pénible à chaque pas. Mais, après un coude, une lumière aveuglante l’éblouit et des personnes qu’elle n’avait pas vues depuis des années l’accueillirent avec tendresse et lui dirent :
- Viens, Wilhelmine. Ici, tu n’as plus rien à craindre. Suis la lumière, elle est ton guide.
Ne comprenant ce qui se passait, la jeune femme n’en tendit pas moins les bras vers une ombre familière, celle de sa grand-tante disparue alors qu’elle n’avait que six ans à peine. La vieille femme, la saisissant, l’entoura avec amour.
Or, à la même seconde, dans la chambre de la gentilhommière, Waldemar, plus blême et défait que jamais, s’écriait :
- Oh non ! Wilhelmine. Ce n’est pas possible… me quitter ainsi…
Gerta prit un miroir et le plaça devant la bouche de la jeune femme. Aucun souffle ne vint embuer la glace. D’une voix emplie de douleur, elle dit :
- Mon cher fils, c’est fini… Désolé, Wilhelmine est bien morte. 
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- Non ! Je ne veux pas le croire…
- C’est trop affreux, renchérit Magda.
- Hélas !
- Quelqu’un a tué mon épouse, enchaîna Waldemar avec un regard dur. J’ignore comment il s’y est pris. Pourquoi un tel acte a été commis. Pourquoi elle et pas moi ? ou père ? un poison a pu être versé dans son verre.
- Waldemar, tu racontes n’importe quoi, jeta Gerta d’une voix douce. C’est le chagrin, le refus de ce qui est qui te font parler ainsi.
- Non… Nierez-vous que le malheur s’est jadis abattu dans cette demeure ?
- Certes, mais il n’y a plus eu un seul incident depuis le mariage de ton frère, commença la baronne.
-Quel incident ? Demanda naïvement Magda.
Waldemar ne répondit pas à la légitime question de sa belle-sœur et se précipita dans la chambre de son père auquel il fit part de ses soupçons. Ce fut ainsi que Rodolphe apprit le décès de sa belle-fille. Aussitôt, le baron crut les déclarations de son fils. Alors, il prit la résolution d’appeler Stephen à la rescousse.
Cependant, fort loin de Ravensburg et dans l’espace et dans le temps, Johann van der Zelden n’en avait pas moins assisté en direct au trépas de Wilhelmine. Il avait savouré en esthète décadent tous les détails de son agonie et de sa mort anticipée, et ce, grâce à des micro caméras temporelles placées dans la chambre, des appareils indétectables par les autochtones.
- Parfait. Tout se déroule selon le plan. J’envoie l’enregistrement au Commandeur Suprême. Il sera content et me félicitera.
L’Ennemi termina par un rire glaçant.

*****


Mais ce ne fut pas Stephen qui répondit à l’appel au secours de Rodolphe, ce fut Michaël. En effet, le professeur, épuisé par la dure épreuve qu’il venait de traverser, se remettait lentement mais pas chez lui. Ayant obtenu un congé de maladie de la part des autorités de l’Université, il était parti prendre dix jours de vacances à Acapulco, en compagnie d’Inge, à la grande colère de Tamira qui avait l’impression que le chercheur la menait en bateau et trouvait tous les prétextes pour reporter son voyage dans le passé. Toutefois, la croisière japonaise n’était que partie remise. 
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Au chevet du corps de Wilhelmine, Michaël détermina aussitôt les raisons de la mort de celle-ci. Il développa son diagnostic aux membres de la famille encore au chevet de la jeune femme.
- Hem… méningite suraigüe, foudroyante, provoquée artificiellement et à distance…
- Comment une telle chose est-elle possible ? émit Rodolphe d’une voix rauque.
- Oh ! fit négligemment l’agent temporel, il suffit de « surchauffer » les neurones de la cible visée… comme avec un four micro-ondes. Le coupable ne peut être que l’Ennemi… Johann, donc.
- Johann. Vous nous effrayez, Michaël, balbutia Waldemar.
- Pourquoi un tel crime ? que vise l’Ennemi ? Reprit le baron.
- Je ne sais. Vous êtes tous en danger, lança Michaël. Je ne puis vous laisser sans défense.
- Quel est l’intérêt de ce dénommé Johann ? insista Waldemar. Je ne comprends toujours pas. Vous mentez en disant que vous ignorez le but de cet individu.
- Halte, Waldemar ! s’écria l’homme du futur. N’allez pas plus loin. Je n’ai pas laissé faire, Rodolphe. Non… J’ai été pris de court, voilà tout. J’ai en fait été préoccupé par ce qui s’est passé en 1993. Stephen, oui, le professeur, avait été enlevé par les agents secrets à la solde du Président Drangston. Le chef des Etats-Unis voulait en savoir un peu plus sur ses déplacements temporels… Sur moi également. J’ai été invité à la Maison Blanche, vous savez…
- Foutaises ! jeta Waldemar.
- Mon fils, reste poli…
- Je suis aussi désespéré que vous tous par la mort de Wilhelmine, poursuivit Michaël. Plus l’Ennemi accumule les crimes, plus je me rends compte que je ne suis peut-être pas à la hauteur.
- De belles paroles, sans plus, marmonna Rodolphe.
- Stephen vous a peut-être dit que je n’éprouvais aucun scrupule, que je ne ressentais aucun remords à la mort d’Homo Sapiens ordinaires. Voire ! maintenant, il va me falloir davantage prendre de risques. Dépasser en quelque sorte ma programmation de base… mais je ne suis ni un robot ni un androïde… alors… tant pis pour mes Supérieurs. Qu’ils me rattrapent s’ils le peuvent… tout d’abord, il va falloir mettre Otto à l’abri.
- Ah ! désormais, c’est mon fils qui est visé, siffla Waldemar.
- Oui… S’il venait à mourir précocement, Stephen son descendant, ne verrait pas le jour… et… par conséquent…
Michaël se tut, refusant d’en dévoiler davantage en présence de Waldemar.
- Il n’en reste pas moins que la mort de Wilhelmine est un crime gratuit, grommela le baron, ne relevant pas les propos de l’agent temporel.
- Euh… Je ne le crois pas… dit Michaël après avoir marqué une certaine hésitation.
- Comment cela ?
- Wilhelmine n’était-elle pas… enceinte ?
- Oui, balbutia Waldemar. Mais il n’y avait que mère qui le savait… nous désirions garder secrète la nouvelle encore quelques semaines… nous avions été fort affectés par le décès de notre petite-fille, il y a quelques années…
- Hum… Je vois… je comprends… Je compatis à cette double perte… vous auriez pu avoir d’autres enfants, Waldemar… ceux-ci auraient donc été des alliés supplémentaires pour les Möll, à travers tout le XXe siècle…
- Cela revient donc à dire, commença Rodolphe.
- Oui, tout à fait. Notre ennemi commun cherche à isoler Stephen Möll. Or, manifestement, Johann possède lui aussi des alliés disséminés dans le passé. Des hommes synthétiques, mais pas seulement… des contemporains…
- J’en frémis, lança le baron.
- Moi également. Mais vous ne nous dîtes pas tout, monsieur Michaël.
- Je le reconnais. Pour votre tranquillité d’esprit. Jamais je ne vous porterai tort, Waldemar, et il ne s’agit pas là d’une promesse en l’air. En attendant, je vais devoir m’absenter… afin d’enquêter… d’essayer d’anticiper les coups de l’Ennemi… je vais tâcher de persuader le professeur Möll de vous rejoindre au plus vite. Tant pis pour Acapulco !
- Acapulco ? s’étonna Waldemar.
- Oui, notre ami commun est allé se refaire une santé là-bas… pas tout seul, évidemment. Mais vous le connaissez depuis, non ?
Instantanément, Michaël s’évapora de ce continuum espace-temps pour s’en aller rejoindre Stephen en train de se dorer sur le sable en compagnie d’Inge Köpfer.
- Stephen, ordonna l’homme du futur. J’ai besoin de vous, illico presto.
- Quoi ? mais ça ne va pas la tête ?
- Encore vous ! gronda Inge. Malappris. Jamais vous ne nous laisserez tranquille.
- La situation est urgente. Wilhelmine Bayer est morte assassinée.
- Ah ? mais je m’en fiche… Vous le saviez, non, qu’elle allait mourir jeune. Vous aviez des fiches la concernant…
- Je ne comprends rien à vos propos à tous deux, gémit l’étudiante.
- Taisez-vous, vous le bibelot, fit Michaël d’un ton sec.
- Oui, tais-toi…
Furieuse, Inge se releva et gagna une cabine de douche afin d’ôter le sable adhérant sur son corps de rêve.
Pendant ce temps, Michaël expliquait à Stephen ce qui venait de se produire à Ravensburg en 1907. Il lui expliqua que l’épouse de Waldemar avait été en quelque sorte empoisonnée par l’Ennemi.
- Ouais… je m’en balance, mon cher… débrouillez-vous. A cause de votre apparition inopinée et de votre goujaterie habituelle, Inge vient de rompre définitivement avec moi.
- Alors, vous escomptez vous rabibocher avec Tamira…
- Bien vu. Je vais enfin tenir ma promesse. Le Japon de l’ère du Meiji nous attend. Adios, muchacho ! 
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Or, parallèlement, à Ravensburg, Waldemar avait une conversation avec son père. Rodolphe dut expliquer à son fils tout ce qu’il savait et sur Stephen et sur Michaël. Le professeur dut en convenir. L’agent temporel faisait de son mieux et ledit Johann van der Zelden n’était pas un simple humain. Quelque entité bien plus puissante que l’Homo Spiritus s’évertuait à éliminer les von Möll et donc, par ricochet, Michaël lui-même. Pourquoi donc ? pour éviter une Troisième Guerre mondiale ? Que non pas ! pour accélérer la venue de la civilisation des Homo Spiritus ? pas seulement… un mystère incompréhensible persistait…

*****

Portsmouth, 19 août 1907.

Un richissime touriste américain, accompagné de sa jeune épouse d’origine japonaise, vêtue d’un charmant kimono de soie, montait à bord du paquebot l’Orgueil des Mers qui allait appareiller pour un périple de rêve. Les Baléares, Alexandrie, la Mer Rouge, l’Océan Indien, Calcutta, Singapour, et Tokyo, destination finale du luxueux navire. 
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Stephen Möll, c’était lui, avait choisi la croisière la plus longue et la plus onéreuse afin de se faire pardonner sa légèreté. Tamira avait accepté du bout des lèvres les excuses de son amant mais avait sauté de joie en voyant pour la première fois l’impressionnant paquebot.
Encore une fois, le professeur américain faisait preuve d’immaturité. Où avait-il pris l’argent nécessaire pour financer une telle croisière ? en première classe évidemment… eh bien, c’est délicat à avouer, mais le chercheur avait obtenu un prêt pour la mise au point d’un quelconque engin de physique appliquée et il en avait détourné une partie à son profit. Un acte peu reluisant, n’est-ce pas ? mais il n’avait pas eu le choix, Michaël lui refusant la somme nécessaire. Or, il aurait été facile à l’agent temporel de se procurer l’argent quémandé par Stephen.
L’escale aux Îles Baléares fut un véritable enchantement. A Alexandrie, Tamira fit l’emplette de quelques souvenirs typiques, pas encore fabriqués en Chine, comme à la fin de ce siècle.
Sur le navire, l’ambiance était fort gaie, relativement décontractée, pour l’époque. Tous les jours, le commandant de bord dînait à la table de ses convives les plus fortunés, et chacun avait pu lier amitié avec des hôtes aimables, bien nés et bien éduqués. L’officier était un homme affable que rien ne désarçonnait car il avait beaucoup voyagé et beaucoup vu. Agé d’une cinquantaine d’années, il était encore assez loin de prendre sa retraite. Cependant, s’il avait su que le professeur et son épouse venaient de l’avenir, assurément, il en aurait avalé sa pipe !
Stephen devait faire attention afin de ne commettre aucune bourde, de ne pas prononcer d’incongruité lorsqu’il décrivait son pays natal, les USA. Toutefois, il avait raconté une fable concernant les circonstances dans lesquelles il avait rencontré Tamira. Puis, en confidence, il avait avoué au commandant Osborne que son épouse n’avait jamais vu le pays de ses ancêtres. C’était pourquoi, pour le premier anniversaire de leur mariage qu’il lui offrait cette croisière.
Peu méfiant, ne soupçonnant nul mensonge, Osborne mit en garde cependant Stephen sur les risques éventuels de ladite croisière. En effet, l’Océan Indien n’était pas si sûr depuis quelques temps déjà, des pirates écumant les mers et rançonnant les navires comme au bon vieux temps de la flibuste.
- C’est une plaisanterie ? s’exclama alors Stephen. Je croyais que la Royal Navy était la flotte la plus puissante du monde… euh… votre paquebot n’est-il pas armé ?
- Oui, bien sûr. Mais les pirates sont de plus en plus hardis.
- Les autorités ne font rien ? bigre ! Et Sa Majesté, le roi Edward VII ?
- Nous sommes loin des navires de guerre, vous savez… enfin, prions le ciel de ne pas rencontrer ces pirates…
- Vous ne me rassurez guère…
- Désolé…

*****

28 Mai 1993.

Le Président des Etats-Unis avait deux fers au feu. A Camp David, il accueillit dans le plus grand secret le Premier Ministre israélien Mosché Charem en compagnie du chef du Mossad. Assistaient également à cette entrevue le directeur de la NSA, celui de la CIA – incroyable, les deux agences collaboraient sans le moindre heurt – et le général Gregory Williamson.
Pour la galerie et les médias, Drangston s’était alité à la suite d’un mauvais rhume.
Mais pourquoi un tel secret ? Que se tramait-il donc ? Le déclenchement d’un conflit de taille mondiale ?
Le directeur du Mossad promettait de mettre à la disposition de l’Américain un véhicule extraordinaire qui avait la faculté de changer le cours des événements. Bref, un translateur. Comment les Israéliens avaient-ils mis la main sur un tel appareil ?
Pour résoudre cette énigme, il fallait remonter au temps du U2, de la Baie de Cochons et de la crise des fusées de Cuba, donc au tout début des années 1960… 
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- D’accord. Mais vous dites que l’engin ne fonctionne pas, objecta Malcolm. Qu’il y manque des pièces et que les plans sont incomplets.
- Cela par la faute de ce foutu Allemand… il a volontairement saboté l’exemplaire fourni aux Communistes…
- Ah ! nous savons comment remédier à ce problème, fit Williamson. N’est-ce pas, Spencer ?
- En effet, acquiesça le chef de la NSA. Un petit tour dans le labo du professeur Möll.
- Certes. Mais son exemplaire reste hors de portée, appuya le directeur de la CIA.
- Qu’importe si nous avons les ordinateurs !
- C’est vrai. Dans ce cas, vous avez carte blanche, reprit le Président.
- Malcolm, mon ami, dit alors le Premier Ministre israélien, je vous félicite pour votre idée originale. Mais comment avez-vous su que nous détenions un prototype ? Que nous acceptons de mettre à votre disposition…
- Par des indiscrétions mais également après avoir étudié attentivement les archives de nos services, ceux de la NSA et de la CIA, répondit le chef du monde libre.
- Des indiscrétions, dites-vous… J’en tremble…
- Rassurez-vous… nous sommes alliés dans cette histoire. Nous œuvrons en commun pour la paix du monde…
- Oui, osa proférer le général. Il nous reste encore à trouver les hommes nécessaires pour voir notre projet aboutir.
- Une dizaine, pas plus, compléta Spencer.
- Des soldats qui n’auront pas froid aux yeux et ne se poseront pas de question, siffla Charem. Prêts à tout. Fanatisés.
- J’entrevois déjà qui sélectionner, lança le chef du Mossad.
- Très bien. Mais il faut faire vite…, conclut Drangston. En face, l’adversaire avance ses pions.

*****

A la même seconde, Johann van der Zelden ricana. Tout en se servant un drink, il avait assisté à la conversation secrète de Camp David. 
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« Quel imbécile, ce Malcolm ! franchement, j’ai eu raison de t’aider à gravir les marches du pouvoir. Pour garantir la sécurité de l’Etat d’Israël, tu es prêt à mettre en route le processus qui risque de l’effacer à jamais. Un essai grandeur nature pour modifier le cours de l’histoire… pas mal. Je vais te laisser la bride sur le cou à toi et à tes alliés… mais, à la fin, je ferai tout capoter… ».
*****

29 Mai 1993.
L’Institut de Caltech venait d’être cambriolée. Divers ordinateurs, dont la plupart appartenaient au professeur Möll avaient été volés. Sur ordre express du Président Drangston, des agents de la CIA étaient entrés en action. Heureusement, toutefois, le translateur de Stephen restait dissimulé dans une dimension proche et il était impossible de mettre la main dessus.
Cependant, lorsque le lendemain matin, les étudiants se rendirent compte du vol, ils paniquèrent bien que le Français Antoine leur dît que cela n’était pas si grave.
- Oui, mais les ordinateurs contenant les derniers calculs, les ultimes équations ont été volés, jeta Mohamed Boulaïd, au bord du stress.
- Qui avait intérêt à commettre ce vol ? Lança Inge.
- Ma vieille, réfléchis un peu, fit Antoine avec condescendance. Notre professeur a été enlevé, il nous l’a dit. Mais il a refusé de livrer son module temporel. Alors, les autorités sont passées à l’action.
- Moi, ça m’étonne que Drangston ait mis autant de temps à réagir, murmura Cynthia.
- Nous risquons désormais d’être kidnappés à notre tour, trembla Mohamed.
- Penses-tu ! je crois que tu t’en fais pour rien, reprit Fargeau.
- Quant à moi, je crains plutôt la mise au point bâclée d’un autre translateur, proféra Juan.
- Et tout ce qui s’ensuivra. Tu as raison, le Chilien, grommela Antoine.
- Que faisons-nous ? Demanda Inge.
- Eh bien, commençons par avertir notre prof, proposa le prodige.
- Nous allons recevoir une bordée d’insultes, dit l’Allemande avec un sourire jaune.
- Peut-être. Mais pour obtenir le contact audio, nous aurons besoin du concours de l’agent temporel, rappela Juan.
- Or, Michaël reste invisible…
- Ma foi, où est-il passé, celui-là ? Juste au moment où il pourrait nous sortir de ce mauvais pas et remettre les choses en place, constata Inge.
- Nous savons depuis longtemps que l’homme du futur agit comme bon lui semble…
- Pensez-vous qu’il sache déjà que nous avons été cambriolés ? questionna l’ex-petite amie de Stephen.
- Tu dis une sottise, persifla Antoine. J’en suis certain.
- Alors, il devrait intervenir, non ?
- Penses-tu ! il s’en fout…
- Pas du tout, jeunes gens, fit Michaël apparu comme une fleur dans le laboratoire sens dessus dessous.
- Enfin, vous voici parmi nous, salua Antoine.
- Qu’escomptez-vous faire ? Demanda Cynthia.
- Surveiller de près la construction d’un deuxième exemplaire du module. Ensuite, voir si sa mise en marche ne bouleversera pas trop le cours de cette chronoligne.
- C’est tout ?
- Oui, pour l’instant. A vrai dire, je suis également occupé ailleurs mais je ne vous en révélerai pas plus.
- Oh ! nous saisissons parfaitement, ironisa Juan.
- Dans ce cas, je vous laisse établir le contact avec Stephen.
- Merci.
- Ah ! tout de même. Bravo pour votre savoir-vivre, Cynthia. Vous ne perdez jamais de vue les bonnes manières…
- Lorsque cela m’arrange.
- Vous pourrez informer Stephen mais dépêchez-vous. Je dois me déplacer dans le temps…
- On a compris. On profite de votre générosité et ensuite, vous partez, conclut Antoine.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Bien évidemment, le professeur Möll prit très mal la nouvelle. Mais comme Michaël s’en mêla et promit qu’il n’y aurait aucune conséquence dramatique, il y veillait personnellement, le professeur dut faire contre mauvaise fortune bon cœur.
- Poursuivez votre croisière et oubliez ce léger désagrément, fit aimablement Antoine.
- Oui, c’est ça, aux frais de la princesse, jeta Inge sarcastique.
- Jalouse, sourit Juan.
- A la revoyure, vous tous, acheva le chercheur. A bientôt.
- Pff. Vous croyez qu’il mûrira un jour ? demanda Cynthia.
- C’est cela le génie, marmonna Mohamed.
- Hem… toussota Michaël. Bon, le message a été envoyé. Alors, jeunes gens, à dans trois jours…
Sans prévenir, l’agent temporel partit, en fait, c’était comme s’il n’avait jamais été présent. En réalité, il accélérait son biorythme et paraissait s’évaporer pour les témoins de cette disparition.

*****

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