samedi 20 août 2016

Un goût d'éternité première partie : Rodolphe : 1877 (2).



À Ravensburg, Stephen, démonté, venait de subir la vision des derniers instants du chevalier. Il avait également assisté, mais malgré lui, à la rencontre d’Antonio et de Joop.
- Fuck ! Michaël ! Pourquoi m’avoir infligé cela ? Pour me faire revenir à plus de raison ?
- Exactement.
- Alors, vous avez tout faux. Désormais, j’envisage d’empêcher ce meurtre.
- Hem…
- Pas seulement. Je désire rencontrer le chevalier afin qu’il m’explique sa théorie. Elle ne me semble pas très claire.
- A vous aussi ?
- Oui ! Je ne suis pas si demeuré.
- Puisque nous sommes momentanément d’accord, battons le fer pendant qu’il est chaud.
- C’est-à-dire ?
- Cela signifie que nous partons pour Naples dans une heure.
- Sans préparation ?
- Quelle préparation ? Vous oubliez ma véritable nature, Stephen. Pour moi, c’est un jeu d’enfant de programmer votre module temporel.
- Mais les vêtements, et tout le toutim ?
- Oh ! Un simple emprunt suffira… tenez, chez un marquis vénitien… voilà qui est fait…
- Bon sang ! Comment vous y prenez-vous pour accomplir ce tour ?
- Un transfert dans l’inter dimensionnalité. Le B.A. BA chez les Homo Spiritus. J’ai procédé ainsi chez votre mère.
- Ah. La rose ?
- Tout à fait.

*****

Rodolphe abandonné aux bons soins de son épouse et de Maria, Stephen Möll et Michaël se retrouvèrent donc à Naples, la veille de la mort du chevalier della Chiesa.   
L’agent temporel n’eut aucune difficulté à s’introduire chez le chevalier. Pour lui, c’était comme si les portes n’existaient pas. Pour le professeur Möll, néanmoins, ce fut plus délicat. Michaël dut forcer les serrures pour permettre à Stephen de pénétrer dans la demeure de della Chiesa.
Ensuite, à l’intérieur, la domesticité endormie, l’homme du futur fit comme s’il était chez lui. Montant jusqu’au cabinet de travail, il ne jeta qu’un coup d’œil rapide au manuscrit presque achevé d’Antonio. Puis, il en résuma le contenu à Stephen.
- Alors, que dit ce texte ?
- Ceci. Mais je vous résume. Le temps serait un cercle fermé.
- Bah ! Pourquoi pas ? En physique quantique, le temps n’existe pas.
- Certes, mais laissez-moi terminer. Donc, toujours d’après le raisonnement de della Chiesa, la mort ne serait pas définitive puisque lorsqu’une personne meurt, aussitôt elle renaît, instantanément, mais ailleurs, à une autre époque.
- Là, c’est tout à fait absurde! Jeta le chercheur.
- Toutefois, il ne s’agit pas là de la théorie hindouiste de la réincarnation. 
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- Vous me faites rire. Vous y croyez, vous à cela?
- Là n’est pas la question, Stephen. Je poursuis. Tout est, tout a été, tout sera, mais en même temps, au même moment, puisque tout est à la fois.
- Pff ! Quelle rigolade !
- Je vous donne un exemple tiré des écrits du chevalier. 1763 a lieu parallèlement à 1660. Il suffirait de trouver la porte adéquate pour se retrouver sous le règne de Louis XIV. 
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- N’importe quoi !
- Hum… Pas tout à fait.
- Bon… que dit ensuite della Chiesa ?
- Dieu, qui existe de toute éternité, est le Temps.
- Pourquoi ?
- Parce qu’Il le possède dans sa totalité. Il le crée et le contrôle. De plus, la Terre, incluse dans l’Univers, est mortelle. Mais elle renaît indéfiniment tout comme son contenant.
- Ce della Chiesa est fou.
- Je n’irais pas jusqu’à dire cela. Le chevalier ignore, bien sûr, les découvertes des prochains siècles, celles justement concernant les mutations répétées et l’Univers en perpétuel mouvement.
- Oui, je vois ça.
- Cependant, Antonio a mal assimilé les écrits des gnostiques antiques. Notamment tout ce qui fait allusion au Pan Chronos et au Pan Physis.
- Que me contez-vous là ?
- Ah ! J’oubliais que vous n’avez jamais eu vent des pensées philosophiques de Cléophradès et d’Euthyphron, pourtant des avancées majeures dans le domaine de la métaphysique, qui, ici, rejoint la physique quantique.
- Vous voulez rire, sans doute? Votre humour m’échappe, Michaël.
- La flèche du temps peut être inversée puisque, comme vous l’avez rappelé, en physique quantique, le temps n’existe pas. Donc, foin d’un temps linéaire…
- Mais en cercle, en cycle…
- Pour une Supra intelligence, ce n’est pas impensable… réfléchissez… les rebonds du Big Bang… les Univers bulles d’Andreï Linde… 
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- Ouais…
- Votre translateur ne peut fonctionner que parce qu’il met en pratique ces… théories, Stephen.
- Mais de là à croire en l’existence de… Dieu…
- Hem… disons une Intelligence qui a fini par voir le jour à la fin d’un des cycles d’un Big Bang… et qui, ne voulant pas s’effacer, a truqué le... Jeu…
- Je suis de plus en plus sceptique.
- Je n’insiste pas. Mes propos vous troublent.
- Ah ça ! Pas qu’un peu. Je pensais les Homo Spiritus au-delà de toute forme de religion.
- Ce n’est pas de la religion, le hasard n’explique pas tout.
- Ne me ressortez pas le principe erroné anthropique.
- Certainement pas… toutefois, pour que cette Intelligence Ultime voie le jour et soit pérenne, il a bien fallu… améliorer la donne. Mais revenons au chevalier.
- Oui, nous dérivons, nous perdons de vue pourquoi nous sommes ici.
- Les écrits de della Chiesa sont dangereux. Ils viennent beaucoup trop tôt. Si sa théorie était diffusée et comprise, une théorie tout à fait incomplète et donc encore imparfaite, elle jetterait à bas les fondements des civilisations ayant précédé la mienne.
- Vous m’inquiétez grandement. Je vois où vous voulez en venir, Michaël. Je m’oppose fortement à ce que vous envisagez.
- Stephen, cela m’est autant douloureux qu’à vous, mais il nous faut laisser le chevalier être assassiné.
- En disant cela, vous êtes autant coupable que les deux spadassins qui ont exécuté della Chiesa !
- Encore vos enfantillages ?
- Non ! Je réagis en tant qu’être humain…
- Stephen, ce n’est pas parce que nous sommes à la veille de la mort d’Antonio que ce dernier est encore en vie par rapport à nous, nos existences.
- Pff ! Sophisme !
- C’est reparti pour un tour, soupira l’agent temporel. Si nous faisons en sorte de préserver la vie de della Chiesa, nous ne pourrons plus regagner nos époques respectives… ou du moins, les données auront changé et… nous nous trouverions dans des harmoniques temporelles déviées… sans garantie de voir nos existences perdurer.
- Je me refuse à vous croire, à accepter de ne pas porter secours à Antonio !
- Tant pis pour vous. Nous n’allons pas nous éterniser ici, d’autant plus que quelqu’un est en train de monter l’escalier.
- Vous mentez ! Vous aviez endormi tout le monde.
- Oui, mais le chevalier est de retour. Alors, partons.
- Non !
- Cessez de faire l’enfant !
Sur ces dures paroles, Michaël et Stephen se retrouvèrent instantanément en 1877, chez le baron von Möll, sans translateur. Néanmoins, l’improbable engin retourna également à son point de départ, ayant été programmé automatiquement par l’Homo Spiritus.
- Comment avez-vous fait ? S’exclama le professeur lorsqu’il se rendit compte qu’il avait brusquement changé d’époque et de lieu.
- Stephen, ah ! Stephen ! Mais je n’ai nul besoin de toute cette antiquaillerie, module temporel, translateur et tout le toutim pour me déplacer dans le temps. Je pensais que vous l’aviez compris.
- Alors, depuis le début, vous me menez en bateau ?
- Non… sachez que je préfère voyager avec votre appareil cependant. Ainsi, j’économise mon énergie.
- A d’autres !
- Pourtant, c’est l’exacte vérité. Nous, les Homo Spiritus, nous avons dépassé depuis longtemps le stade de la matière. Nous sommes faits d’énergie pure. Pour passer de janvier 40 120 à février 1993, je ne me suis servi que de ma seule pensée…
- Hum… Mais vous mangez, vous dormez… je vous ai vu…
- Transfert, modification de ce qui me constitue en cellules et atomes… pour l’utilité de ma mission… mais lorsque c’est nécessaire, je reviens à mon état premier.
- Vous métamorphoser en Homo Sapiens ordinaire doit… vous coûter…
- Un peu… En fait, cela me… dégoûte, mais je n’ai pas le choix. Pour préserver la quatrième civilisation post-atomique, je puis bien faire cet effort.
- Quatrième civilisation post-atomique ?
- Mais oui. Voyez qu’il y a encore de l’espoir pour la race humaine. De mutation en mutation, s’adaptant aux nouvelles contraintes de son environnement, elle aboutira à l’Homo Spiritus…
Sidéré, Stephen Möll en oublia momentanément sa colère. Après un haussement d’épaules, il se rendit dans les appartements de Rodolphe afin de s’enquérir de la santé de son ancêtre. Là, il fut vite rassuré. Le baron se rétablissait à une rapidité prodigieuse, la preuve que Michaël s’investissait dans la guérison du maître des lieux.

*****

Lors du Congrès de Berlin qui eut lieu du 15 juin au 14 juillet 1878, l’hégémonie allemande en sortit renforcée. Le baron von Möll, en pleine possession de ses moyens tant physiques qu’intellectuels s’y était rendu pour voir ce qu’il en était de la géopolitique européenne en cette fin de décennie. Pacifiste convaincu, il assista donc, dubitatif, à la naissance des Etats balkaniques, premier chaînon de la Première Guerre mondiale. Mais qui en avait conscience à cette heure ? 
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Cette même année 1878, le professeur Holstein succombait à une grave maladie. Le 28 octobre, Isaac Rosenberg fondait une banque d’affaires dans la paisible ville de Ravensburg. Aussitôt, Rodolphe von Möll en devint un des premiers et principaux actionnaires.
Certain d’avoir placé son argent entre de bonnes mains, le baron décida de reprendre son périple européen. Cette fois-ci, nul étudiant à ses côtés, mais Michaël était en contact mental ininterrompu avec lui afin de s’assurer de sa bonne santé.
Au fait, l’agent temporel et Stephen avaient rejoint LA en cette triste année 1993.
Rodolphe parcourut des centaines de kilomètres et des centaines de kilomètres, se rendant tant à Paris qu’à Londres, à Madrid qu’à Rome. Partout, il prêchait la paix auprès des politiciens qu’il parvenait à rencontrer. Son inquiétude grandissait lorsqu’il trouvait porte close.
Von Möll avait été choqué par l’attitude de son ancien ami Otto von Bismarck lors du Congrès de Berlin. Le chancelier allemand avait eu des échanges avec Salisbury,
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 le ministre britannique chargé du Foreign Office ainsi qu’avec le Ministre français des Affaires étrangères, Waddington.
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 Certains propos dont Rodolphe avait eu vent avaient été rapportés dans les couloirs.
- Je crois que la poire tunisienne est mûre et que vous devriez la cueillir.
Waddington avait acquiescé.
Lors de ce Congrès, la Grande-Bretagne obtint de la Turquie la mainmise sur Chypre ; comme la France ne pouvait apprécier cela, Bismarck lui offrait donc une sorte de compensation. Ainsi, il espérait canaliser les intérêts français, faire oublier au peuple son esprit de revanche. L’Alsace-Lorraine était mise entre parenthèses.
Ceci dit, l’Italie se sentit lésée dans ce marché sordide. Mais Bismarck avait anticipé ce mécontentement. Le sentiment francophobe augmentant, les Italiens n’eurent alors de cesse que de s’allier avec le Reich. Un nouveau réseau d’alliances était en train de voir le jour en Europe, et la France en était exclue ; isolée, elle devait trouver le moyen de rompre d’une manière ou d’une autre cet isolement.
Tandis que Bismarck triomphait, Rodolphe avait compris le jeu auquel se prêtait le chancelier.
Ce fut pourquoi, après le Congrès de Berlin, le premier objectif du baron von Möll fut celui de se rendre en Italie afin d’avoir une entrevue avec Humbert 1er
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Les inquiétudes de Rodolphe étaient d’autant plus justifiées concernant un prochain conflit que le 7 octobre 1879 une alliance secrète venait d’être conclue entre le Reich et l’Autriche-Hongrie. La Duplice se mettait en place, rompant ainsi l’entente des trois empereurs, c’est-à-dire Guillaume Premier, François-Joseph et le tsar Alexandre II.

*****

Rome, 15 avril 1880.

Après maintes démarches, Rodolphe fut enfin reçu par le souverain italien. Le baron s’exprimait désormais couramment dans la langue de Dante. Cela lui facilita l’entretien. Il n’eut aucune difficulté à comprendre le scepticisme de Humbert 1er.
- Monsieur von Möll, les utopies pacifistes ne réussiront pas à fléchir notre volonté de rompre avec la France. Nos intérêts en Tunisie sont trop importants pour que nous puissions y accepter l’ingérence d’un rival. Notre voisin, en agissant présentement comme il le fait, nous trahit. Ce serait un casus belli si des troupes françaises se trouvaient actuellement sur le territoire tunisien.
- Oui, sire, je saisis. Toutefois, je conjure Votre Majesté de ne signer aucun pacte avec Guillaume Premier. Il y va du sort de millions d’êtres humains. Je suis certain que vous êtes un souverain soucieux du bien-être de ses sujets. Vous ne pouvez souhaiter la guerre…
- Signore, inutile d’insister. Vous êtes un rêveur utopiste. Nous sommes désolés de ne pouvoir accepter vos propositions si incongrues…
- Votre Majesté, je comprends parfaitement…
- Dans ce cas, retirez-vous, monsieur von Möll.
Après une révérence, Rodolphe sortit du bureau personnel du roi et, nullement découragé, d’un pas vif, descendit les marches du palais royal. Dans sa tête, il envisageait déjà de se rendre à Vienne.
Là-bas, il obtint la même réponse négative, formulée à peine plus poliment.
Comme attendu, l’inévitable se produisit. La France envahit la Tunisie et le traité du Bardo fut signé le 12 mai 1881, instituant le protectorat tunisien. Ainsi, le Bey se retrouvait placé sous la tutelle française.

*****

Londres, 27 juin 1881.

Cependant, il restait un infime espoir au baron von Möll de repousser l’inévitable : une intervention de l’Angleterre pour réconcilier la France et l’Italie. Ce fut pourquoi il se rendit à Londres afin d’y rencontrer le Premier Ministre, Gladstone. 
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Bien que l’entrevue durât près d’une heure, rien de concret n’en ressortit. Dépité, l’Allemand était au bord du découragement.
« Herr Gladstone m’a pris pour un doux illuminé. Il ne m’a pas cru un seul instant. Inutile d’insister. Mes voyages ne se soldent que par des échecs ».
Déçu, ô combien, Rodolphe s’en revint à son hôtel. Dès le lendemain, il prenait le bateau pour le continent.
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Ce que le baron redoutait tant se réalisa. Le 20 mai 1882, la Triplice fut conclue à Vienne entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Ainsi, elle complétait l’alliance des trois Empereurs qui avait été renouvelée malgré tout, et ce, dès le 18 juin 1881 malgré les orages du Congrès de Berlin.
À la suite de tant de déceptions, le baron von Möll s’enferma dans la morosité et, peu à peu, une forme intense de dépression le gagna. Comme son médecin attitré ne parvenait pas le soigner, Rodolphe le congédia en mai 1883.

*****

Ce matin-là, dans la cité souterraine, le Superviseur général, convoqué par le Président du conseil des sages, se tortillant sur son siège, n’en menait pas large.
À raison, Lobsang Jacinto tançait durement Daniel Lin Wu alors qu’il savait la véritable nature du Gardien de l’Agartha. Toutefois, il pouvait se le permettre, comptant parmi les intimes de Dan El.
Les yeux noirs de l’Amérindien bouddhiste ne quittaient pas des yeux le Prodige. Il voyait sa gêne. Intérieurement, il le remerciait d’accepter cette admonestation.
Ses mains en forme de pyramide sous son menton, Lobsang ne mâchait pas ses mots. Quant à Daniel Lin, il encaissait l’algarade sans rien dire.
- Superviseur… avec tout le respect que je vous dois, je me demande où vous aviez la tête, pour user d’une expression populaire, pour oser écrire pareils dialogues. Ils sont plus que dangereux, ne trouvez-vous pas ?
- Euh…
- Certes, je veux bien mettre ceci sur le compte de votre jeune âge…
- Hum… par rapport à vous, je suis tout de même plus… âgé…
- A votre aune, cela ne signifie rien. En termes humains, vous n’avez pas plus de quinze ans. Je ne me trompe pas…
- Non… j’atteins quinze ans et trois mois.
- Alors, pourquoi faire allusion aux Tétra épiphanes dans ce scénario ?
- J’ai éprouvé la nécessité de le faire, pour plus de vraisemblance, commença le Ying Lung.
- Ah ! En vous faisant violence, vous pouviez éteindre cette… envie.
- Vous pensez caprice, Maître très Précieux.
- Oui, effectivement. Dan El, il est tout à fait inutile de me donner des titres vénérés.
- Pourtant, celui-ci ne fait que refléter ce que j’éprouve à votre égard. Vous êtes un guide pour moi, un mentor…
- Alors, rectifiez cette erreur au plus vite.
- Cela signifie effacer la mémoire des spectateurs ou remettre en quelque sorte les compteurs à zéro…
- C’est cela.
- Cependant, la plupart des résidents n’auront pas compris de quoi il était question, objecta Dan El.
- Vous omettez sciemment de faire allusion aux Helladoï, comme Albriss, Spénéloss ou encore Trabinor…
- Maître, parfois, je me sens si seul… je voudrais tant partager ce qui pèse si lourdement sur mes épaules…
- Je suis là, ma porte vous est toujours ouverte.
- Oui, je le sais fort bien mais…
- Mais vous avez envie d’être… découvert… c’est pourquoi vous semez des indices… visibles pour les esprits les plus acérés de la cité… s’il n’y avait que les Helladoï… Kontiko se pose déjà certaines questions. Il est venu se confier à moi hier au soir, après la diffusion du feuilleton.
- Naturellement, ses questions portaient sur la nature du temps, du Pantransmultivers et ainsi de suite…
- Superviseur, pas seulement! Jeta sévèrement Jacinto.
- Ouille ! Ça va mal alors…
- Lui qui n’est pas porté sur le mysticisme, il en est venu à penser qu’il se pourrait que, et là, je ne mets pas de guillemets, qu’il existât une Supra Entité qui ait fini par voir le jour et qui, espiègle, jouerait avec les vies inférieures… non pas comme le Dieu coléreux de l’Ancien Testament chez les Juifs, mais bien comme l’Intelligence supérieure à la recherche d’Elle-même… vous reconnaissez-vous dans cette description, Dan El ?
- Entièrement… toutefois, il faudrait y rajouter que…
- Par Bouddha, vous êtes incorrigible. Voyez. Votre attitude entêtée me fait perdre mon équanimité.
- Pardon.
- Donc, Kontiko est en train de vous cerner.
- Mais il ignore encore ma véritable identité.
- Heureusement ! Quant au professeur Schlffpt, lui ne se pose plus aucune question vous concernant. Désormais, il sait.
- Il saura garder le secret.
- Certes.
- Vous ne lui avez rien dit.
- Naturellement. J’avais renforcé mes boucliers mentaux.
- Merci.
- Mais ces précautions n’ont pas suffi.
- Notre médusoïde dispose d’une intelligence hors norme.
- Superviseur, c’est peu de le dire.
- Encore une centaine de générations et elle vaudra l’IA des Olphéans.
- Voilà que vous recommencez.
- Il faudra que je me décide à lui permettre de voir le jour. Là est la clé de la fin de ma solitude… je le sens et l’anticipe…
- Pour l’heure, je vous demande de revenir à cette réalité-ci, Dan El.
- Vous vous inquiétez… pour moi…
- Oui, d’abord pour vous. Êtes-vous absolument certain d’être parvenu à vaincre vos démons intérieurs ? Ce Fu par exemple ?
- Maître, avec vos leçons, je suis parvenu à faire taire le côté sombre de ma personnalité.
- Plus de piste temporelle non désirée, alors ?
- Non, plus jamais… Ni d’Aurore-Marie.
- Néanmoins, Il nous reste sa fille Lise.
- Je l’ai recueillie car elle méritait de figurer parmi les résidents de la cité.
- C’est vous qui jugez, Dan El. Sur ce point, je ne vous contredirai pas. Qu’allez-vous faire concernant ce scénario ?
- Je ne vais rien effacer…
- Vous ne remettrez rien en cause ?
- Non…
- Vous allez poursuivre comme le Petit Poucet et semer de nouveaux indices ?
- Je vais embrouiller les cartes.
- Néanmoins, en faisant perdurer cet Homo Spiritus qui vous ressemble comme un jumeau… en laissant la part belle à ce Johann…
- Chut ! C’est là un spoiler pour parler comme un fan…
- Vous êtes un ado…
- Un ado têtu et hédoniste… oui, je l’assume.
- Vous aimez jouer avec le feu. Un jour, il vous brûlera.
- Je suis prêt à en payer le prix.
- En nous laissant sur le chemin ?
- Je me débrouillerai pour que cela ne soit pas. Jamais.
- J’ai l’impression que toutes mes leçons se sont avérées… inutiles, Ying Lung.
- Lobsang… Vous êtes dur avec moi.
- Pas suffisamment, Daniel Lin.
- Je n’ai eu ni père ni mère, je me suis forgé tout seul…
- C’est là où le bât blesse. Corrigez-vous tant qu’il en est encore temps Superviseur. Il ne faut pas que vous regrettiez de ne pas avoir agi lorsque cela était encore faisable.
- Président, j’essaierai.
- Faites mieux qu’essayer. Réussissez !
- Ma reconnaissance vous est et restera acquise pour l’éternité, mon ami très précieux.
Se levant, Dan El salua très bas le vieil Amérindien et sortit de la pièce qui servait de bureau au Président du conseil de l’Agartha. Le Ying Lung n’éprouvait aucune rancune à l’égard de Lobsang qui lui avait donné une belle leçon à la fois sur le courage et sur la responsabilité. Il était son ami et le demeurerait quoi qu’il advienne. Il se l’était promis. Il comprenait également les inquiétudes du Bouddhiste à son égard mais aussi à l’égard de la sécurité de la Création en son entier.
Son Avatar hâtant le pas, le prodigieux adolescent laissa son esprit flotter dans l’inter dimensionnalité avec l’intention d’enclencher une simulation qui comporterait la possible apparition de la vie sur Wqia.

*****

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