13 Septembre 1993.
Michaël et Stephen
regardaient sur l’écran de télévision la séance retransmise en direct de l’ONU

par la chaîne CNN. L’assemblée avait été réunie en session extraordinaire par
le secrétaire général. Devant le spectacle assez violent ou cocasse donné par ces
Homo Sapiens Politicus de la fin du XXe siècle, l’agent temporel ne put
s’empêcher d’ironiser une nouvelle fois.

- Ah ! Que
j’admire l’intelligence de vos contemporains, Stephen ! Ils se tirent par
la cravate, s’insultent, se battent, se donnent en spectacle… quelle dignité
dans tout cela… quelle édification pour vos enfants ! Vous appelez ces
gens-là des êtres civilisés ? Allons donc ! Ne me faites pas rire…
prendre…comment dit-on déjà… ah oui… des vessies pour des lanternes. Oui, l’Homo
Sapiens ne peut nier son origine animale… je croirais assister à une querelle
entre six groupes de chimpanzés au moins… tous plus coléreux les uns que les
autres… Il n’y a pas de quoi en être fier.
Vexé, le professeur
américain répliqua tout en finissant son pot de pop-corn :
-Ouais… mais c’est
toutefois grâce à l’Homo Sapiens que l’Homo Spiritus a fini par voir le
jour…CQFD… sans nous, vous seriez encore dans les choux, Michaël !
- Hum… ça va… je
n’insiste pas… j’aurais toujours tort à vos yeux…
- Heureusement qu’Aliette
est allée faire un tour dans un centre commercial avec Cynthia et Inge… la
pauvre petite va se fringuer de neuf avec mon flouze…
-Euh… Vous auriez
sans doute voulu que je participe aux frais ?
- Pas qu’un
peu ! Dois-je vous rappeler que, maintenant, je dois nourrir deux
personnes supplémentaires ? Enfin, quand je dis nourrir pour vous… Mes
factures d’électricité crèvent le plafond !
- Vous voulez donc
que je vous… rembourse ?
- Un geste de votre
part, ce ne serait pas de refus…
- Tenez…
- Qu’est-ce que
c’est ?
- Des dollars… en
argent… authentiques… dix devraient suffire, non ?
- Montrez…
Devil ! Ils datent de 1872… d’où sortent-ils ?
- Eh bien, de la
Monnaie américaine…
- Mais… ça vaut un
paquet, ça !
- Je pense… selon le
cours actuel, vous êtes riche, Stephen.
- Vous les avez
volés ?
- Hum… disons
empruntés.
- Vous feriez un
fameux cambrioleur, mon vieux.
- Vous les
acceptez ?
- Je ne serais pas
inquiété ?
- Non… Ils sont en ma
possession depuis… deux minutes, mais ils proviennent bien de l’an 1872…
- Oui, bon… je ne
crache pas dessus.
Sur ce, haussant les
épaules, Stephen Möll se préoccupa du contenu de son bol de pop-corn, laissant
Michaël ouvrir la porte d’entrée de son pavillon. Aliette, Inge et Cynthia
étaient de retour de leurs petites emplettes. Elles avaient acheté trois jeans,
cinq T-Shirt, autant de sweat-shirt, deux pulls, deux écharpes, trois paires de
chaussures, une robe, trois jupes et ainsi de suite. Bref, de quoi mettre
largement à plat le compte bancaire du professeur !
*****
14 Octobre 1993, 52
minutes et 23 secondes avant le déclenchement officiel de la Troisième Guerre
mondiale.
Stephen vit
apparaître avec horreur un Michaël dans un état de détresse absolu. L’agent
temporel était soutenu par une sorte de spectre bleuté. Alors, que terrifié, le
professeur reculait, ledit fantôme lui transmit télépathiquement son identité.
- S3, pour vous
servir, professeur Möll.
Puis le 3ème
Sage expliqua à l’aide d’une succession d’images mentales ce qui était arrivé à
son hôte, tout en lui recommandant de le soigner d’une manière tout à fait
inhabituelle.
- Comment ?
Bégaya l’Américain.
- Plongez-le au cœur
d’un réacteur atomique.
- Sans rire ?
- Je suis extrêmement
sérieux, jeune homme…
- Oui… évidemment…
- Ou alors, mettez-le
dans une cuve de régénération. Il y en a dans votre Institut…
- Euh… ma foi…
- Bon… vous avez
moins de quarante minutes, professeur.
Sans que Stephen eût
le temps de répliquer, S3 avait déjà disparu pour retourner à son époque, l’an
40 120.
*****
15 Février 1943.
Ce jour-là, le
gouvernement de Vichy créait le Service du travail obligatoire, le STO en
abrégé, destiné aux classes 1940, 1941 et 1942. Tout naturellement, les jeunes
Français allaient essayer d’y réchapper et beaucoup n’allaient avoir d’autre
ressource que de se cacher dans le maquis, grossissant ainsi les rangs de la
Résistance.


Ainsi, le maire de
Sainte-Marie-Les-Monts vit se gonfler les rangs de son réseau avec la plus
grande satisfaction. Antoine Fargeau fut nommé instructeur de ces bleus. Après
tout, n’était-il pas le technicien et le poseur de bombes attitré du
groupe ? Mais, hélas pour Gaspard Fontane, les SS renforcèrent leur chasse
aux terroristes.
Début avril, sur le
front russe, quelque part entre Dniepr et Donetz, une dépêche signée par le
Reichsführer Himmler en personne tombait sur le bureau du quartier général des
SS. Gustav Zimmermann était désormais affecté en Normandie avec un dénommé
Ludwig Hans. Il s’agissait là d’une mutation promotionnelle. En effet,
Zimmermann était confirmé au grade de Standartenführer. Il aurait pour tâche
redoutable d’éliminer les résistants de la région. Son poste à Caen ne serait
donc pas de tout repos. Ce fanatique se voyait ainsi récompensé pour ses
efforts à maintenir l’ordre et ce, quels qu’en fussent les moyens… par rapport
à l’URSS, la Normandie c’était la planque assurée, le confort, la bonne bouffe
et les parties fines.
L’arrivée de
Zimmermann inquiéta Gaspard Fontane et son fils. Les deux hommes avaient appris
par Londres la sale réputation de cet assassin, de ce monstre tueur d’enfants
et de civils. La lutte entre les deux camps s’annonçait âpre, cruelle, sans
concession ni pause.
Entre les 19 et 27
mai, l’ex-préfet Jean Moulin, mettant à exécution les instructions données par
le général de Gaulle, après de longs mois d’un difficile et dangereux labeur,
mettait enfin sur pied le Conseil National de la Résistance, qui regroupait
tous les mouvements intérieurs des deux zones, mais aussi les représentants des
partis et des syndicats opposés au régime de Vichy.
Au cours de la
première séance du CNR présidée par Jean Moulin, de Gaulle fut nommé chef
politique de la résistance et le général Giraud commandant en chef de l’armée.

Mais, livré aux
Allemands à la suite d’une odieuse trahison, Jean Moulin serait arrêté à
Caluire le 21 Juin. Ce héros ne parlerait pas sous la torture. Déporté, il
mourait dans le train le transférant dans un camp de concentration.
Quelques semaines
plus tard, les Alliés débarquaient en Sicile. Déjà, nous étions le 10 juillet
1943. Or, à la fin de ce même mois, le dictateur italien, Mussolini, était mis
en minorité par le Grand Conseil fasciste. Renvoyé, son arrestation fut ordonnée
par le roi Victor-Emmanuel III. Le Duce fut
ensuite remplacé par le maréchal Badoglio.


Pendant ce temps,
vers le milieu de juillet, avait lieu la plus grande bataille de chars de tous
les temps à Koursk en URSS. Plus de trois mille tanks s’affrontaient. Un
certain Nicolaï Diubinov, jeune lieutenant, y prit part et se couvrit de
gloire. Agé de vingt-quatre ans, il allait conserver un souvenir ému de ce fait
d’armes et saurait tirer profit, plus tard, de sa présence lors de cette
victoire soviétique.
*****
20 Août 1943. Québec.
Churchill et
Roosevelt se rencontraient et mettaient au point le plan Overlord pour le
printemps de l’année suivante. 15 heures 30 venaient de sonner à la petite
pendulette.il était temps pour le Président américain de recevoir les banquiers
Athanocrassos et Rosenberg. Le plus âgé des financiers, après avoir salué le
Président, fit part à ce dernier de l’accord intervenu entre tous ses
confrères.
- Monsieur le
Président, nous sommes prêts, et ce nous signifie toutes les banques du pays
mais aussi celles du monde libre, à vous aider financièrement à abattre le
nazisme ainsi que toutes les forces de l’Axe. Ne doutez pas de la largesse de
nos subsides. Ainsi l’ensemble de vos chercheurs, techniciens et ingénieurs
sera à même de mettre au point, de finaliser la construction de nouveaux
bombardiers, d’avions à réaction et d’autres armes secrètes. J’ai ouï dire
qu’il existait quelque part sur le territoire américain un groupe en train de
s’atteler à la construction d’une arme redoutable, en fait de l’arme la plus
redoutable jamais envisagée…
Franklin Delano
Roosevelt se contenta d’opiner et de répondre assez vaguement.
- Monsieur Rosenberg,
je vois que vous êtes assez bien informé. Je vous remercie chaleureusement pour
votre aide. Le monde entier vous en sera reconnaissant.
- Monsieur le
Président, reprit Joseph Rosenberg, si j’ai réussi à convaincre nombre de mes
collègues, c’est parce que je leur ai décrit la tragique situation vécue par
mes coreligionnaires en Europe occupée. Le bon droit et la justice doivent
triompher. Nous espérons en être un de leurs leviers…
- Oui, avec l’aide de
Dieu.
Ainsi donc Albert
Einstein, Oppenheimer et consorts allaient bénéficier d’un crédit illimité. De
son côté, Otto était déjà financé par Athanocrassos alors qu’il s’attelait à la
construction de nouveaux modèles d’avions bombardiers.
A terme, la victoire
mécanique des Etats-Unis ne faisait aucun doute pour ceux qui savaient y voir,
et Georges anticipait déjà les mirifiques débouchés offerts à sa banque une
fois l’Europe libérée. Mais ce n’était pas tout. L’héritier de Rosenberg
songeait à implanter des filiales dans les colonies françaises et britanniques.
Ainsi, l’Empire Athanocrassos avait déjà de solides fondations, fondations dont
tirerait partie Johann van der Zelden quelques décennies plus tard.
Mais en 1943, la
banque allemande des Rosenberg était sous le contrôle des nazis, prise en
charge par un directeur entièrement à la solde du gouvernement hitlérien.
Cependant, après le Deuxième Conflit mondial, Rosenberg et Athanocrassos
remettraient la main sur la banque mère localisée à Ravensburg.
Le 26 août 1943, les
armées alliées débarquaient dans le sud de l’Italie. Quelques jours plus tard,
le 3 septembre plus précisément, un armistice était signé entre le maréchal
Badoglio et les forces alliées.
Cependant, les
Allemands contrôlaient toujours la plus grande partie de la péninsule. De plus,
ils avaient remplacé les Italiens, jugés peu sûrs, dans les départements du
Sud-Est de la France ainsi qu’en Yougoslavie.
*****
Pendant ce temps, à
Berlin, chez les von Hauerstadt, l’atmosphère était plus qu’électrique. Le fils
cadet, Peter, chose incroyable, venait d’obtenir une permission de quatre
jours. Vite, il s’était empressé de rejoindre le domicile familial. Le jeune
homme si aimable, si poli, si doux, avait bien changé. Les traits durcis, le
regard mauvais, il n’était que colère rentrée, insultes et raideur. Il refusa
que sa mère l’embrassât lorsqu’il fut accueilli par elle sur le seuil de
l’appartement. Ce fut tout juste s’il accepta la poignée de main de son père
avant que ce dernier ne se rendît chez son médecin. Lorsqu’il vit le chat
Sonntag,
qui, curieux, était venu se frotter contre les jambes de la duchesse, il grommela et lança son pied en direction du félin. Heureusement, ce dernier parvint à esquiver le coup.

qui, curieux, était venu se frotter contre les jambes de la duchesse, il grommela et lança son pied en direction du félin. Heureusement, ce dernier parvint à esquiver le coup.
- Mais… Peter, fit
Amélie, qu’est-ce qu’il te prend ? Sonntag est affectueux comme tout…
- Rien à foutre.
C’est le chat de Franz. Alors, si tu pouvais me le servir en civet…
- Que dis-tu là, mon
Dieu !
- Holà ! Arrête
tes simagrées espèce de pétasse !
- Peter… Je ne
t’autorise pas à me parler ainsi. Je suis ta mère… tu me dois le respect…
- Pff ! Le
respect… mais tu rêves, la vieille…
- Si Karl t’entend,
tu peux être certain qu’il va te jeter dehors…
- Ouais, c’est ça…
j’en crois pas un mot… faudrait d’abord qu’il en ait un peu plus dans le
falzar…
- Mais… que
t’arrive-t-il, mon fils ?
- Rien… La porte est
toujours ouverte pour mon cher frère, ce fumier, mais pas pour moi ? Hein,
j’ai bien compris ?
- Peter… ce n’est pas
ce que tu crois… Franz évite Karl… la plupart du temps, il est dans sa chambre
en train de rêver ou de potasser des livres de physiques… tous les deux ne se
parlent plus.
- A d’autres… à ce
que je sache, mon saligaud d’aîné n’est toujours pas déshérité… quant à moi, je
ne suis pas en odeur de sainteté… surtout auprès de toi, la traînée…
- Tu m’en veux ?
Mais de quoi ?
- D’avoir toujours
préféré ce faux-frère, cet hypocrite, à moi… toi et père m’avez laissé presque
crever là-bas, dans cet enfer… et dans trois jours, faut que j’y retourne…
tiens… la salope, tu veux voir mes blessures ?
Avant que la duchesse
n’eût eu le temps de protester, sans pudeur Peter retira sa chemise et montra à
sa génitrice la terrible blessure qui marquait d’une profonde cicatrice son
épaule droite. Il y manquait un morceau de chair.
- Alors, la greluche,
ça t’en bouche un coin…
- Peter, je ne savais
pas… je te le jure…
- Ah oui ? Mais
tu me prends pour le dernier des cons ! Et les lettres que je vous ai
envoyés, que sont-elles devenues ? A la poubelle ? Parce qu’elles
n’avaient pas été écrites par ce connard de Franz… pardon… je veux dire… François.
- Peter…Tu te
trompes… ce sont justement les lettres de ton aîné qui ont fini aux ordures…
sauf la dernière… qui nous prévenait de sa venue… mais comme elle émanait de
l’OKW, Karl ne l’a pas détruite.
- Bravo ! Un
nouveau bobard… la mère, tu ne manques pas d’imagination dans ta petite tête de
piaf…
- Peter, ton père a
été mis en demeure de recevoir ton frère…
- Quel foutu
mensonge, la vieille… bon… ça veut dire que Franz est ici, alors ?
- Euh… il est sorti…
pour une des rares fois où il met le nez dehors… il s’est rendu à la
bibliothèque emprunter des revues et des livres… des recueils de poèmes d’après
ce qu’il m’a dit…
- Des poèmes…
toujours à côté de la plaque… toujours dans son rêve merveilleux où tout n’est
que luxe, calme et volupté, c’est
cela… ridicule… bon… Ce n’est pas tout, mais j’ai la dalle, la mère.
Qu’y-a-t-il à se mettre dans l’estomac ?
- Pas grand-chose… le
rationnement…
- Hum… mais encore…
- Des pommes de terre
en robe des champs… des fèves et un peu de porc…
- La viande, c’est
pour moi. Comme boisson ?
- Il n’y a pas
d’alcool ici. Le médecin l’a interdit à ton père… et Franz ne boit pas non
plus. Il suit un régime strict à vrai dire…
- Pas de
schnaps ? Pas de bière ? Eh, j’ai pas signé pour faire carême, moi…
débrouille-toi pour me trouver de quoi réchauffer mon ventre sinon… gare…
- Tu oserais lever la
main sur moi, ta mère ?
- Tiens… comme si le
fait d’avoir un jour écarté les cuisses pour te trouver en cloques de moi avait
été un exploit, la daronne…
- Peter, va dans ta
chambre… je ne vais pas dire à ton père que tu n’as fait que m’insulter pendant
une heure… ce soir, je te demanderai de faire attention…
- J’crains personne,
traînée… personne…
- Mais tu ne veux pas
te retrouver à dormir sous les ponts cette nuit, non ?
- Tant que je sais où
se trouve le bordel, cela me va, la mère…
Sans rajouter quoi
que ce soit, Peter, en sifflotant une chanson leste, emprunta le corridor et
choisit sa chambre…celle-ci faisait face à celle de son frère… la soirée promettait
d’être mémorable…
Deux ans de guerre
avaient détruit Peter. Il était devenu haineux, mauvais, pourri jusqu’à la
moelle. A force de fréquenter la lie de la société, les laissés pour compte,
les dépravés, cela avait fini par déteindre sur lui… plus souvent qu’à son
tour, il s’enivrait, avalant sans la moindre hésitation un litre de schnaps, ou
bien, il fumait comme un pompier deux à trois paquets de cigarettes dans la
journée, se saoulait aussi avec du laudanum, se piquait avec de la morphine
lorsque quelques flacons lui tombaient sous la main… bref, il brûlait la vie
par les deux bouts, ne voulant plus se rappeler les atrocités qu’il avait dues
commettre là-bas, sur le front russe. Combien de types avait-il
descendus ? Combien de civils enterrés ? Combien de femmes violées,
égorgées et dépecées avec sadisme ? Toutes ces horreurs perpétrées d’abord
la honte et le dégoût au ventre, ensuite sous l’emprise de l’alcool et de
stupéfiants… mais tous ces excitants étaient devenus inutiles à la longue…
Peter s’était habitué à tous ces forfaits, ses nerfs endormis, son esprit
vérolé par la violence ambiante. L’anormalité sauvage était devenue chez lui la
normalité, la drogue dont il avait besoin pour continuer à respirer, à vivre…
sinon, il se serait effondré…
Bien sûr ni Amélie ni
Karl ne pouvaient comprendre cette terrible et fatale évolution… seul Franz,
peut-être…
Une heure avant le
dîner, Peter était déjà plus que parti non parce qu’il avait bu mais parce
qu’il s’était piqué. Sous les effets nocifs de la morphine, il se sentait un
dieu… alors, il ne fallait surtout pas lui chercher des poux…
*****
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