jeudi 12 février 2015

Le Tombeau d'Adam 3e partie : Le Jeu de Daniel : prologue.



Le Tombeau d’Adam: troisième partie.

Le jeu de Daniel

Par Christian et Jocelyne Jannone


Prologue

Printemps 1970, île de Sovadia, quelque part  dans la mer des Caraïbes.
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c0/Tortuga_Island_NASA.jpg/280px-Tortuga_Island_NASA.jpg
Ce lieu de villégiature, habituellement tranquille, voyait ce jour-là des norias d’avions et d’hélicoptères privés se poser les uns après les autres en une agitation sans fin sur le petit aéroport, tandis que, dans la baie artificielle, des vedettes et des hors-bords aux puissants moteurs accostaient. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/47/Bateau_hors-bord_%E2%80%98%E2%80%99Ultra_420%E2%80%98%E2%80%99.JPG
Tous ces engins, plus bruyants les uns que les autres, déposaient sur l’île des personnes importantes appartenant au fleuron de la société occidentale capitaliste: responsables financiers qui œuvraient en coulisse dans les sphères du pouvoir politique,  évêques et rabbins, syndicalistes dits réformistes, PDG de grands trusts, économistes reconnus, enseignants d’Universités prestigieuses comme celle de Chicago, futurs prix Nobel, généraux et mécènes. La liste était fort longue et aurait pris l’épaisseur d’un annuaire téléphonique si j’avais eu à y énumérer tous ses membres.
Parmi les invités de choix du mystérieux et richissime Axel Sovad, il y avait Humphrey Grover, fondé de pouvoir et bras droit du banquier américain d’origine grecque, Athanocrassos. Le propriétaire de cette île de rêve vint en personne accueillir le gros homme qui se mouvait avec difficultés et le reçut comme son égal avec forces déférences. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/it/4/45/Victor_Buono_as_Honey_Fisher.jpg
L’hôte suivant, tout aussi influent, eut également droit aux honneurs rendus par Sovad. Il s’agissait du célèbre Thaddeus von Kalmann, récent Prix Nobel d’économie (1969), et auteur d’un ouvrage qui connaissait une renommée de plus en plus retentissante parmi les élites des Nations, Slavery Trek, livre déjà ancien puisque édité une première fois en 1947 aux Etats-Unis et qui, renvoyant dos à dos le keynésianisme et le communisme, était désormais en passe de devenir la Bible de tous les hommes d’Etat de l’OCDE. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/dc/Friedrich_August_von_Hayek_1981.jpg
Parmi les invités privilégiés de l’affable Sovad, comptant comme un de ses plus grands et fervents admirateurs, je m’en voudrais d’oublier le conseiller occulte du Président de la République française en exercice à cette époque, le rondouillard et bonhomme Bertrand Rollin, un individu d’un mètre soixante-quinze environ, à la calvitie déjà plus qu’apparente, portant lunettes et au ton quelque peu pédant. L’homme approchait de la cinquantaine.
Comment vous décrire Axel Sovad?
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/3/3a/Q_portrait.jpg
 Tâche ingrate en vérité puisque ce richissime homme d’affaires et mécène évitait autant que possible les objectifs des photographes et des cameramen. Tout ce que je puis en dire puisque l’ayant approché, est que le puissant et fort mystérieux Sovad était d’une stature impressionnante, une sorte de colosse jupitérien. Ses yeux noirs insondables paraissaient vous scruter et lire au fond de votre âme, ce qui vous mettait profondément mal à l’aise. Les cheveux bruns, coupés en brosse, le visage glabre, le grand nez, tout cela intimidait. Il s’exprimait sans accent aussi bien en anglais qu’en français ou encore en espagnol. Il pratiquait également le russe, l’allemand et le tchèque. De plus, il entretenait assidument sa forme physique, qui, alors, était olympique, malgré les quarante-cinq ans affichés par un état-civil quelque peu falsifié et c’était pourquoi personne ne l’avait vu fumer ou boire.
Même ses hôtes les plus intimes ignoraient ses origines. Etait-il Albanais, Grec ou Biélorusse? Nul ne savait répondre à cette question. Quant à sa fortune, incommensurable, elle était répartie dans de multiples branches économiques et sous diverses formes.
Bref, Sovad était le Crésus des temps modernes.
Parmi les derniers arrivants, se présenta Thomas Tampico Taylor, délégué du Parti républicain, gouverneur du Texas, autrefois célèbre à la télévision américaine pour y avoir vanté des dentifrices ou des savonnettes.
Mais pourquoi toute cette agitation?
Lorsque le représentant français était descendu de l’hélicoptère, son ami Axel Sovad lui avait fait cette confidence:
- Très cher, il est plus que temps d’appliquer à grande échelle les théories développées dans Slavery Trek. et quand je dis à grande échelle…
- Oui, cela veut dire que le monde entier est concerné, mon cher ami.
- Exactement. Désormais, toutes les conditions se trouvent réunies. Nous allons enfin gouverner le monde!
Bertrand Rollin acquiesça avec un sourire gras.

***************

Ce même jour splendide où le ciel d’azur lumineux embaumait l’air marin et le sable tiède, à soixante-cinq kilomètres à vol d’oiseau de Sovadia Island, dans la direction Ouest-Sud-ouest plus précisément, à la même heure, sur un îlot qui ne payait pas de mine mais néanmoins doté d’une grande propriété, un petit groupe de personnes s’affairait lui aussi.
La propriété appartenait au duc von Hauerstadt, ingénieur diplômé en aéronautique, responsable de la balistique des fusées lanceurs européens en projet qui devaient être prochainement testées à Kourou en Guyane.
Sur la petite île aménagée comprenant un port artificiel, une plage de sable fin digne des films hollywoodiens, Franz y avait fait élever un bungalow à la Mies van der Rohe de vingt-cinq pièces, doté d’un court de tennis, d’un terrain de golf, d’un manège, d’un jardin exotique, d’une serre et d’une piscine. 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2c/Mies_van_der_Rohe_photo_Farnsworth_House_Plano_USA_7.jpg/300px-Mies_van_der_Rohe_photo_Farnsworth_House_Plano_USA_7.jpg
Von Hauerstadt, malgré le début de la cinquantaine, restait d’une fort belle prestance avec son mètre quatre-vingt-cinq, son corps élancé, ses yeux gris tirant vers le bleu, ses cheveux châtain clair, son élégance raffinée en n’importe quelle circonstance, qu’il portât un costume trois-pièces confectionné à Saville Row ou un ensemble sport signé Lacoste, son sourire engageant et son regard d’une franchise désarmante.
Son épouse Elisabeth aurait pu faire pâlir d’envie les stars de l’époque tant elle incarnait le summum de la beauté et de l’élégance. Elle n’avait rien à envier à Kim Novak de Vertigo ou encore à la princesse Grace de Monaco.
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b2/Vertigo_1958_trailer_embrace.jpg
 Sa chevelure d’un blond vénitien à damner un saint, sa taille si fine qu’on pouvait en faire le tour de deux paumes de la main, ses jambes parfaitement galbées, son merveilleux teint de pêche, ses prunelles noires, tout en elle suscitait l’admiration. Ainsi, tous les hommes se retournaient sur son passage, de l’adolescent à lunettes au gentleman en chapeau melon, et restaient sous le charme longtemps après l’avoir perdue de vue. Elle ne provoquait pas ces messieurs, tout au contraire. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’évoquer la plénitude de la perfection.
Ah! J’aurais tout donné pour la connaître, la côtoyer à vingt ans car la femme que je décris avait déjà quarante ans lorsque je la vis pour la première fois.
Euh… peut-être vaut-il mieux que je ne m’étende pas davantage sur la présentation d’Elisabeth car mon épouse va supposer des choses qui ne sont pas et qui n’ont jamais effleuré mes pensées.
Mais quelles étaient les autres personnes composant le reste du groupe?
Il comptait encore trois adultes et une fillette de six ans passés.
Tout d’abord André Fermat, militaire dans sa façon d’être et ce, jusqu’au bout de ses cheveux coupés en brosse. Il avait beaucoup de mal à porter des vêtements civils. Il ne s’y sentait pas à l’aise. Imaginez-vous un homme de cinquante-cinq ans à peu près, très grand et très maigre, mais d’une nature nerveuse, une sorte de sosie de l’acteur Michaël Rennie.
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9f/Michael_Rennie.JPG/220px-Michael_Rennie.JPG
 Dès le premier coup d’œil, tout le monde comprenait qu’il était habitué à commander qu’il était capable de garder son sang-froid dans les pires circonstances. Il paraissait froid mais dans ses yeux bleus transparaissait une rage désespérée pour moi qui le connaissais bien.
Avec son hôte, Fermat préférait s’exprimer en français, sa langue maternelle, bien qu’il parlât parfaitement l’anglais et d’autres idiomes bien plus exotiques.
Son bras droit paraissait un individu tout à fait ordinaire, entre trente-cinq et quarante ans, avec une chevelure auburn dont une mèche rebelle retombait sans cesse sur le front, des yeux bleu-gris auxquels rien n’échappait, des gestes très mesurés, le visage et le nez un peu longs. Rien dans ses traits ne dénonçait une origine asiatique ou artificielle. Il répondait au nom entier de Daniel Lin Wu Grimaud, autrement dit votre narrateur. En général un chat noir et blanc appelé avec humour Ufo ne le quittait jamais soit qu’il se lovât dans ses bras, soit qu’il le suivît de près. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/ae/Black_and_white_Norwegian_Forest_Cat.jpg/250px-Black_and_white_Norwegian_Forest_Cat.jpg
Ce trio d’adultes était complété par une petite jeune femme brune, aux hanches un soupçon trop larges ( un abus de chocolat sans doute ), dont les yeux marron clair dégageaient une tristesse infinie. Ses trente ans en avaient trop vu. Lorenza di Fabbrini, le médecin chef du vaisseau Sakharov pleurait la disparition de Benjamin son époux et la présence de sa fille unique Violetta ne parvenait pas à la consoler de son deuil. Son annulaire portait avec obstination deux alliances. Parfois, le soir, à la brume, elle chantait des mélodies italiennes avec des accents douloureux à vous faire frissonner.
Que vous dire de la fillette à part que c’était à la fois une gamine attachante, enjouée, adorable et intenable? Ne gardant aucun souvenir conscient de son père, elle avait néanmoins tenu à lui ressembler le plus possible et c’était pourquoi à cette époque, elle avait opté pour les yeux bleus, les cheveux noirs, longs et crantés tout de même, elle avait le souci de l’élégance, le teint clair. Depuis, elle imite à la perfection soit les jumelles de Franz, Liliane et Sylviane, soit Irina ce qui agace prodigieusement mon épouse.
Dans cette liste il manque encore un homme, mon ami Antor. Mais vous ferez sa connaissance bien assez tôt. Pour l’heure, il est bon que vous sachiez qu’il était photosensible et craignait la lumière du soleil. Il ne se montrait qu’au crépuscule ou alors par temps de pluie.
À cette heure-ci, il sommeillait dans une des chambres, à l’abri du soleil grâce à des volets roulants et à des rideaux fort épais.
Dans la serre, un appareillage très sophistiqué pour cette fin du XX e siècle, quelque peu encombrant était entreposé à des fins mystérieuses. Une partie de l’étrange engin pouvait passer pour un ananas géant redessiné par Braque ou Picasso. Il comportait des cristaux synthétiques capables de générer un champ magnétique émettant une énergie à travers l’éther de plusieurs millions de gigawatts. En fait, lesdits cristaux servaient à contrôler l’échange matière-antimatière, le tout protégé par un champ de force de deux cents G.
À proprement parler il ne s’agissait pas d’une arme quoique… 
Appelons la chose matérialisateur transtemporel transpatial. Le dernier stade avant le translateur. 
 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/e/e5/The_Time_Machine_Classics_Illustrated_133.jpg
On s’en doute, ses applications pouvaient être infinies, cela dépendait des besoins que l’on en avait, et ledit matérialisateur faisait partie du champ des recherches interdites de l’Alliance à laquelle Fermat, di Fabbrini et Daniel Wu appartenaient.
Les ultimes tests s’étaient avérés satisfaisants. Il était temps maintenant et urgent de passer à l’action.
- Alors? Demanda Franz d’une voix sereine.     
- Tout est prêt, confirma le capitaine. Nous pouvons agir dès ce soir si le commandant l’ordonne.
- Daniel, André sera satisfait par cette nouvelle.
- Assurément mais…
- Ayez confiance, tout ira bien…
- Franz, le problème n’est pas là, vous le savez tout comme moi… Ce que je dois accomplir…
- Ce sera la dernière fois, Daniel.
- Ah! Souhaitons-le.
Le capitaine Wu se montrait réticent mais il avait de sérieuses raisons pour cela. Avait d’ailleurs le choix?
Les souvenirs douloureux des cinq dernières années refluèrent à sa mémoire lui permettant ainsi de comprendre pourquoi lui et ses compagnons en avaient été réduits à de telles extrémités.

***************