samedi 8 juillet 2017

Un goût d'éternité 2e partie : Cécile : 1914.



1914

18 Juin 1993.

Nous étions à la veille d’une nouvelle guerre mondiale et, cette fois-ci, c’était la Belgique qui prenait l’initiative de rester neutre afin de préserver autant que possible sa population.
Or, ce même jour – jour anniversaire de l’Appel du général de Gaulle – le Premier ministre israélien s’était enfin décidé à se rendre à la convocation du Président Drangston. A Washington, avec les conseillers de Malcolm, il mit la dernière main à l’expédition du mystérieux commando dont l’entraînement s’achevait.
Toutefois, le camp des Occidentaux venait de s’affaiblir durablement avec la défection de l’Italie. En effet, un Président du Conseil communiste, fraîchement élu, formait un gouvernement résolument hostile aux Etats-Unis et à l’OTAN. Comme il fallait s’y attendre, les grandes capitales européennes paniquèrent, Londres, Paris, Bonn, Madrid et ainsi de suite.
Alors, le Premier ministre britannique, qui ne représentait plus qu’une minorité, d’obédience conservatrice, rencontra secrètement le Président des Etats-Unis et tous deux convinrent d’arrangements qui resteraient ignorés de leurs peuples durant quelques semaines. L’abandon par la péninsule italienne du camp occidental était froidement envisagé.


*****

Le seuil de l’année 1914, fatale année s’il en fut dans l’histoire de l’humanité, venait d’être franchi.
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Rodolphe von Möll n’était plus qu’un vieil homme usé, démoralisé, qui n’attendait plus rien de la vie et de ses semblables. Il voyait lucidement, se profiler le conflit mondial désormais inévitable. Ce n’était plus qu’une question de mois.
Sans cesse, comme une ritournelle lancinante, les paroles terriblement chargées de sens de Franz résonnaient à ses oreilles. N’en pouvant plus, le cœur serré, souvent, Rodolphe s’enfermait dans ses appartements, refusant de communiquer les raisons de sa sombre humeur à Gerta et à ses proches. Personne ne pouvait le tirer de son apathie.
Wilhelm, le fils aîné, bénéficiait de la plus grande faveur à la cour impériale. Appelé par Guillaume II en personne, il avait été nommé colonel et commandait désormais un régiment de Uhlans, ce qui l’obligeait à abandonner son poste au Karlhost. 
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Il arrivait au colonel von Möll d’avoir des entrevues particulières avec Sa Majesté impériale. Alors, il faisait part au Kaiser de ses intentions d’éliminer la France au plus vite, avec tout ce qu’elle représentait. Guillaume II opinait, disait qu’il préparait une attaque imparable. Seul lui manquait le prétexte pour déclarer la guerre à la République française.
Dans le camp opposé, Arthur de Mirecourt, qui se portait beaucoup mieux, avait été muté avec une belle promotion au 33ème régiment d’infanterie en garnison à Arras. Désormais, il était commandant, sous les ordres du colonel Pétain. Il ne tarda pas à sympathiser avec un jeune lieutenant, fort prometteur, un officier remarquable de par sa haute stature et de par son intelligence. Il ne fallut que quelques semaines pour qu’Arthur nommât le lieutenant par son prénom en dehors des heures de service, un prénom commun à l’époque, Charles.

*****

20 Mars 1914.

Dans son bureau fermé à clé, Lepaïola visionnait avec un sentiment mitigé la célèbre allocution radiotélévisée du Président de la République française datant du 23 avril 1961. 
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Ses ordinateurs indiquaient l’heure avec une précision atomique. Nous étions un soir, à vingt heures d’après les relevés.
En grand uniforme de général, Charles de Gaulle s’adressait solennellement à tous les Français en ces heures sombres, qui mettaient le pays en danger.
« … un quarteron de généraux en retraite… j’ordonne que tous les moyens, je dis bien que tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ses hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter aucun de leurs ordres… ».
Tandis que le discours du chef de l’Etat se terminait, Lepaïola, tous ses sens en alerte, se retourna subitement. Stephen Möll se dressait devant elle, soudainement apparu, la menaçant d’un pistolet futuriste.
Comment diable le professeur Möll avait-il pu se déplacer dans le temps et venir à Ravensburg, juste dans le bureau de madame veuve Zimmermann ?
Pendant de longues heures, le chercheur américain avait médité sur la conversation qu’il avait eue avec Michaël, remâchant certains propos. Puis, tenant la solution, il s’était empressé de téléphoner à Mohamed Boulaïd. L’étudiant avait donné son accord pour une expédition éventuelle dans le passé.
Une fois dans les nouveaux locaux qui renfermaient le translateur, Stephen avait pénétré comme si de rien n’était dans le fabuleux engin.
- Euh… professeur, vous croyez que cela va marcher ?
- Il le faudra bien… Michaël n’est pas ici, pas à notre époque… le translateur est donc revenu à sa programmation originelle…
- Ce n’est qu’une supposition, objecta Mohamed.
- Non, l’aboutissement de mes réflexions logiques… Tiens… Vois donc… j’ai raison. L’appareil m’obéit… il est sous tension… allez… monte…
- Oui, Stephen… avec joie.
- Durant le voyage, tu enfileras cet uniforme de spahi…
- Je vais me faire remarquer…
- Nous atterrirons de nuit, à quelques toises de l’école. L’obscurité nous rendra quasiment invisibles… De plus, regarde bien ceci.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Un petit bricolage de mon invention… enfin… presque… j’ai emprunté l’idée à ce foutu Michaël… il avait laissé traîner quelques brouillons dans son repaire, sa chambre autrement dit.
- Euh… C’est trop beau pour être vrai.
- Mais non ! l’Homo Spiritus peut commettre des erreurs… et ceci en est la preuve… à sa décharge, il est fort occupé en ce moment… du moins, je le pense. Il court au moins après quatre lièvres à la fois.
Grâce au mystérieux engin, une sorte de téléporteur miniature, Stephen et Mohamed avaient donc pu se transporter directement dans les aîtres de l’école moyenne de jeunes filles sans déclencher la moindre alerte. Le champ de force mis en place par Lepaïola avait été franchi comme s’il n’avait jamais existé. 
Tandis que Mohamed faisait office de guetteur à l’extérieur, dans le couloir, juste derrière la porte du bureau de la directrice, le professeur Möll menaçait madame Zimmermann avec son arme anachronique. Au fait, vous a-t-on dit qu’elle provenait de Shalaryd ? En effet, Michaël avait ramené quelques menus objets après son séjour dans la cité souterraine. Stephen s’était autorisé à fouiller les affaires de l’agent temporel et à emprunter ce qui lui était nécessaire afin de mener à bien son expédition. A croire que l’homme du futur avait fait exprès de faciliter l’action de son ascendant.
- Madame, disait durement le professeur à Lepaïola, vous allez venir avec moi, jusqu’à Caltech. Nous devons avoir une conversation sérieuse. Mes étudiants en seront les témoins privilégiés.
La femme synthétique se contenta d’émettre un ricanement. Ensuite, eh bien, ensuite, ce fut le chaos. Un vent d’une violence inouïe s’éleva brusquement, une tempête magnétique assurément. Avalé par un tourbillon, le chercheur américain fut alors projeté avec force contre un écran de télévision qui explosa sous le choc, au contact du corps du professeur.
Cependant, mû par un réflexe prodigieux, Stephen avait eu la présence d’esprit de brancher un répulseur d’ondes, un appareil qu’il portait à la ceinture de son pantalon. En partie protégé, il en reçut que quelques éclats du poste de télévision.
L’explosion avait retenti dans tous les bâtiments de l’école, réveillant les gardiens, les pensionnaires et le concierge, sans oublier le personnel enseignant qui y résidait.
Quant à Mohamed, alors que l’explosion avait lieu, il avait tenté de forcer la porte du bureau. Mais celle-ci restait obstinément et inexplicablement close. Le jeune homme eut beau s’acharner à forcer la serrure, à se projeter contre le battant en bois, rien n’y fit.
Cette perte de temps permit aux élèves de parvenir les premières jusque devant la porte de leur chère directrice. S’avisant de la présence de ce type à la peau basanée et à l’uniforme manifestement étranger, elles l’entourèrent en piaillant, le gênant dans ses gestes, le paralysant. Tandis que Mohamed tentait de se libérer de cette marmaille en chemise de nuit et coiffée de boucles anglaises, les professeurs, arrivés à leur tour, maîtrisèrent l’étranger en moins de deux secondes.
Interrogé sur un ton sans réplique par le plus âgé des membres du corps enseignant, Mohamed se retrouva dans l’impossibilité de répondre au feu des questions, ne comprenant pas l’allemand.
Or, pendant ce temps, dans le bureau de la directrice, un semblant de lutte paraissait se dérouler. Quelques adultes voulurent pénétrer à l’intérieur. Efforts bien inutiles. Un gardien eut alors la présence d’esprit de descendre au rez-de-chaussée afin d’appeler les forces de l’ordre. Le brigadier Fritz Grass, de service, promit de se hâter et d’être là dans cinq minutes.
Dans la pièce close, Lepaïola avait usé de toutes les ressources à sa disposition, bombardant Stephen d’objets hétéroclites, d’ondes et ainsi de suite. En vain.
Ce bombardement déclencha un incendie qui rugit et s’en prit aux câbles et installations électriques anachroniques. La fumée empuantissait le bureau, faisant tousser ses occupants. La chaleur entourait nos deux protagonistes, déjà, les vêtements grésillaient et les peaux cloquaient.
A l’extérieur, les forces de police essayaient de forcer la porte de madame la directrice. On entendait les hommes en uniforme cogner sur le bois, le heurter de puissants coups d’épaules, revenir à la charge, improviser un bélier… sans résultat aucun.
Alors que l’incendie gagnait les meubles, Lepaïola disparut subitement. Stephen, toussant comme un poitrinaire, était au bord de l’évanouissement. Allait-il périr sottement ?
Dans le couloir, Fritz Grass, de rage, frappait Mohamed et commençait à piétiner l’étudiant qui suppliait qu’on l’interrogeât ou en anglais ou en français.
- Bon ! On ne tirera rien de ce macaque, jeta le brigadier. Oust ! au poste. On verra là-bas.
- Mais, chef, dedans, c’est le feu de l’enfer…
- Je sais. Les pompiers sont prévenus, non ?
- Euh… oui…, fit l’enseignant le plus âgé. Je les ais prévenus.
- Espérons qu’ils soient là bientôt.
- Il nous faut mettre les pensionnaires à l’abri.
- Les évacuer si jamais l’incendie se propageait, compléta Fritz Grass. D’accord. Mesdemoiselles, vous avez entendu ? Dehors ! En rangs et sans courir. Nous avons le temps.
- Mais… madame la directrice ? S’inquiéta une élève.
- Nous ne pouvons pas entrer… nous avons tout essayé…
- Je ne pense pas que madame Zimmermann soit encore en vie, émit une des professeures, des larmes coulant de ses yeux.
Ces tristes paroles déclenchèrent des cris et des pleurs chez les jeunes filles et les fillettes. Toutefois, sous la bienveillance des policiers, toutes gagnèrent la cour alors que les pompiers arrivaient enfin.
L’incendie ne fut pas maîtrisé avant de longues heures. Il détruisit tous les appareils de Lepaïola, toutes les preuves que la femme synthétique avait accumulées depuis plus de seize ans de bons et loyaux services.
Notre agent de Johann était parvenu à se dématérialiser et, sous une fausse identité, escomptait bien réchapper à Michaël qu’elle soupçonnait d’être sur ses traces.
Stephen, évanoui, ne se rendait plus compte de tout le ramdam extérieur. Le temps filait… les secondes du chercheur étaient comptées…
Or, en 1993, Michaël, qui s’était absenté quelques heures afin de poursuivre son enquête sur les hommes robots, aides de Johann van der Zelden, de retour à LA, découvrit la petite ville de Stephen vide. Il en allait de même pour son laboratoire. Le translateur avait disparu.
Comprenant de quoi il retournait, l’agent temporel se transporta mentalement huit heures en arrière et assista, à l’état d’hologramme si on peut dire, à ce que le professeur Möll avait manigancé.
- L’imbécile ! S’exclama Michaël, perdant son impassibilité coutumière. Il n’est pas de taille. Qui plus est, il a débauché Mohamed. C’est risible.
Aussitôt, l’Homo Spiritus partit sauver les deux imprudents. Il arriva pile au moment le plus critique, alors que l’incendie allait griller Stephen Möll asphyxié et inconscient. Ne comptant ni une ni deux, l’agent temporel enveloppa le chercheur dans une sorte de gangue protectrice et le sortit de cet enfer, au nez et à la barbe de quelques témoins éventuels. Les deux hommes étaient en effet tout à fait invisibles pour les autochtones de 1914.
Toutefois, alors que Michaël allait transporter le chercheur en direction de 1993, ce dernier reprit connaissance. Il fit faiblement :
- Mohamed Boulaïd… sauvez-le lui aussi. Je n’étais pas seul.
Cela, l’homme du futur le savait parfaitement.
- D’abord vous, répondit-il à son ascendant. Ensuite, je verrai…
Tandis que les bâtiments de l’école s’effondraient, à la même seconde, Mohamed, prisonnier dans un des locaux de la gendarmerie, était passé à tabac devant des Teutons fort satisfaits de cet acte de sauvage. Bien entendu, son interrogatoire musclé n’aboutit à rien.
Au fait, parmi les élèves évacuées, il y avait mademoiselle von Möll. Ebranlée par les terribles événements, saisissant que sa bien-aimée directrice avait sans doute péri dans l’incendie, la jeune fille, prise d’une faiblesse soudaine, dut regagner au plus vite le château de son grand-père. A l’aube, secouée par une forte fièvre, elle gisait, toute trempée de sueur dans son mignon lit laqué de blanc, orné de dentelles et de rubans roses.
Ce même matin, Mohamed reprit connaissance dans son cachot, le visage tuméfié, le corps perclus de douleurs. Avisant un grabat, il essaya d’y ramper. A proximité, il y avait un broc à eau. Il pourrait y étancher sa soif. Mais encore fallait-il qu’il parvînt jusque-là !
Tout gémissant, le malheureux étudiant commença sa reptation.
Alors, Michaël se matérialisa enfin dans la cellule du prisonnier. A l’extérieur, le chien-loup du garde se mit à grogner sourdement.
- Ruhe ! S’écria le sergent.
Le militaire voulut calmer la bête.
- Was ist das ?  Le prisonnier ne peut pas s’enfuir, Wolf. Alors, tais-toi.
Toutefois, le sergent eut le souci de s’assurer qu’il ne se passait rien d’anormal dans le cachot. Prudemment, il ouvrit la porte de la cellule et là, stupéfait, il vit un inconnu, lumineux, en train de prendre dans ses bras le prisonnier. Puis, les deux silhouettes disparurent subitement.
Le gendarme n’eut pas même le temps de lancer l’alerte. Immobilisé par la volonté de Michaël, il resta figé dans le temps de précieuses secondes. Lorsqu’il recouvra sa liberté de mouvement, l’agent temporel et Mohamed avaient depuis longtemps quitté l’année 1914.
A LA, l’étudiant fut couché dans la chambre d’ami de Stephen.
Non sans ironie, il jeta à l’adresse de l’Homo Spiritus :
- Je ne vous attendais plus, Michaël.
Piqué au vif, l’agent temporel répliqua :
- Mieux vaut tard que jamais. Si votre reconnaissance se borne à cela…
- Le translateur…
- Est de retour… cette fois-ci, Stephen ne pourra s’en approcher durant mon absence… j’y ai veillé.
- Vous voyez que le professeur n’est pas aussi stupide que vous le pensez. Il est parvenu à trouver la faille de votre programmation pas si sécurisée.
- Désormais, il ne le pourra plus, lança Michaël durement. Trêve de plaisanterie. Comment vous sentez-vous ?
- Perclus de douleurs…
- N’exagérez pas, Mohamed. Vous êtes assez vaillant pour surveiller Stephen.
- Que lui est-il arrivé ?
- Trois fois rien. Il a été brûlé et asphyxié. Mais il s’en remettra. Vous allez veiller sur lui… d’ici deux heures environ.
- Ah ? Bien… mais vous ne pouvez le faire vous-même ?
- Non ! Je repars aux trousses de Lepaïola. Il me faut réparer la gaffe de mon descendant.
- Je n’ai pas mon mot à dire, naturellement…
- Exact.
 Ayant compris qu’il était inutile de discuter les ordres de l’agent temporel, Mohamed esquissa un sourire désabusé et s’étira sur sa couche. Il se rendit compte alors, avec soulagement, que ses douleurs se faisaient moins vives. Le temps de remercier Michaël, il était déjà dans l’autre chambre, celle de Stephen, afin de s’assurer de la bonne voie dans le rétablissement de celui-ci.


*****

En 1914, les événements se précipitaient.
Le 28 juin, avait lieu l’attentat contre l’archiduc Français-Ferdinand, héritier de l’Empereur d’Autriche-Hongrie François-Joseph. C’était le début d’une réaction en chaîne que personne ne pouvait ou n’avait la volonté de stopper.
Ultimatum de l’Autriche à la Serbie ;
Appui de l’Empire allemand à l’Empire autrichien ;
Mobilisation de la Russie alors que les Allemands avaient depuis longtemps mobilisé ;
- Mobilisation de la France, fidèle à ses engagements…
Et ainsi de suite…
Allant contre la parole donnée, les troupes impériales prussiennes envahirent la Belgique. Ce fait déclencha alors la mobilisation des Anglais. Au début du mois d’août 1914, toute l’Europe ou presque se retrouva donc en guerre. Il faut y rajouter les colonies et le Japon à cette triste énumération.  
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Arthur de Mirecourt et son 33ème régiment d’infanterie combattaient en Belgique. Dès les premiers échanges de coups de feu, les Français s’aperçurent de la supériorité matérielle de leurs ennemis. De plus, il apparaissait manifestement que le fantassin français était désavantagé par rapport à son adversaire allemand. Pourquoi donc ? Eh bien à cause du port d’un uniforme trop voyant qui faisait du soldat français une cible privilégiée. Le pantalon couleur garance, autrement dit d’un beau rouge vif, permettait aux fantassins d’abattre l’ennemi comme s’il s’agissait simplement d’un tir de baraque foraine. 
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Après l’invasion de la Belgique, le nord de la France connut l’exode puis l’occupation teutonne. L’Artois, la Champagne, la Picardie connurent une fois encore le défilé au pas de l’oie des troupes allemandes. Etait-ce là le sort qui attendait Paris ? Le déshonneur comme en 1870 ou en 1814 ?
Non. Le général Gallieni, gouverneur militaire de la capitale française, blanchi sous le harnais, il avait été gouverneur de Madagascar, mobilisa les taxis afin de porter secours aux troupes positionnées sur la Marne. La célèbre bataille de la Marne stoppa donc l’avancée allemande en France. 
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Puis, après deux mois de durs et sanglants combats, des millions de soldats étaient déjà tombés au champ d’honneur, le front sembla se stabiliser.
Arthur de Mirecourt avait miraculeusement échappé à cette horrible moisson.
Profitant de ses rares heures de détente, le jeune commandant écrivit à Cécile une longue lettre.  Mademoiselle Grauillet s’était engagée comme infirmière volontaire à l’arrière. Elle prenait même des leçons de conduite afin de devenir ambulancière.
Le fougueux commandant décrivait à sa fiancée l’âpreté des premiers combats, la vaillance de ses hommes, le courage exemplaire des officiers face au rouleau compresseur allemand, rouleau compresseur pourtant stoppé grâce à la ténacité du simple soldat mobilisé.
Dans ce courrier, Arthur révélait en détails ses sentiments intimes sur le conflit en cours. Il croyait, naïvement, que la guerre ne passerait pas l’hiver car les Français s’étaient brillamment ressaisis. Plein d’espoir, il disait que tous deux se marieraient au printemps 1915 car, dans une missive précédente, Cécile l’avait informé de l’assentiment définitif de son père à cette union.
Or, parallèlement, de l’autre côté du front, Wilhelm lui aussi écrivait une lettre, adressée à son père.
Il apprenait à Rodolphe von Möll que Waldemar, son cadet, avait été blessé, une blessure non mortelle, heureusement. Mais celle-ci nécessitait plusieurs mois de repos. Le colonel von Möll croyait lui aussi à une fin rapide du conflit avec, à la clé, bien sûr, la victoire de l’Allemagne !
Mais, à la réception de cette lettre, le baron von Möll, sachant pertinemment que Wilhelm se faisait des illusions, attristé par la blessure de Waldemar, eut une attaque cérébrale. Nous étions le 18 octobre 1914.
Arthur de Mirecourt et Wilhelm von Möll ne pouvaient savoir que le front s’était stabilisé pour quatre longues années. Tous deux allaient vivre une guerre d’usure avec, à la clé, les tranchées, la pluie, la boue, la neige, les rats, la vermine, le froid, la faim, la pourriture des cadavres mal enterrés, la mitraille, les shrapnels, les canonnades, les barbelés, les assauts absurdes pour gagner quelques mètres, les gaz asphyxiants, le typhus, la dysenterie, la lassitude, le doute, la peur qui vous tiraillait le ventre, le découragement et la haine du planqué à l’arrière. 
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A Ravensburg, le baron von Möll ne se remit pas entièrement de son AVC. Il resta paralysé du côté gauche, ne pouvant presque plus parler. Le vieil homme était donc ainsi condamné à rester alité le restant de ses jours.
Or, si Rodolphe était diminué physiquement, mentalement, il n’en allait pas de même. Plus lucide que jamais, il avait tout le loisir de ressasser les événements.
Il reçut un autre courrier de son fils aîné. Wilhelm avait changé de ton. Dans sa lettre, il décrivait minutieusement les conditions quasi inhumaines de casernement des soldats et des officiers, obligés de camper en plein air dans la boue, manquant du confort le plus élémentaire, confrontés à des problèmes d’hygiène graves.
A travers ces lignes, rédigées d’une plume amère, il était manifeste que Wilhelm n’était plus autant persuadé d’une victoire rapide de l’Empire allemand. Non pas qu’il sombrât dans le défaitisme, ce n’était pas son style, loin de là, d’ailleurs, il n’y sombra jamais.
Si le baron en titre avait des ennuis de santé, sa petite fille Johanna également.
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 Choquée par la mort atroce de madame veuve Zimmermann, dont on n’avait pas retrouvé la dépouille, une fois l’incendie éteint, l’adolescente avait sombré dans une profonde mélancolie. Mademoiselle von Möll avait perdu le goût de vivre. Elève dans un collège huppé d’une grande agglomération, elle dut regagner bientôt la demeure familiale et cesser ses études. Son humeur morose la rendait fragile à toute infection. Ainsi, une simple bronchite dégénéra en maladie bien plus grave. Secouée de quintes de toux d’une extrême violence, minée par une fièvre qui refusait de la lâcher, Johanna ne quittait plus son lit.
 Rongée par la plus grande inquiétude, Magda dut se résoudre à en informer son époux. Cet officier, si orgueilleux, si dur pour lui-même et pour les autres, qui avait appris avec le plus grand sang-froid l’attaque de son père, fut bouleversé lorsqu’il connut l’état de santé de sa chère enfant.

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Le 20 juin 1993, Stephen Möll sortit enfin de son sommeil artificiel. Avisant Mohamed agenouillé sur le tapis de sa chambre, en train d’effectuer ses prières, il attendit patiemment que ce dernier eût achevé pour s’enquérir des dernières nouvelles.
- Ah… Mohamed… Tu es donc de retour… sais-tu où est Michaël ?
- Ton parent ne me fait pas ce genre de confidence… il a simplement déclaré qu’il partait réparer ton erreur.
Le professeur n’insista pas. Toutefois, voulant connaître où en était précisément la situation internationale, il alluma son poste de télé et tomba alors sur un flash spécial annonçant le départ de la VIe flotte américaine pour la Méditerranée orientale. Puis, le journaliste enchaînait sur le Japon. Un début de révolution avait lieu. Dans les grandes villes de l’archipel nippon, des émeutes venaient d’éclater. Ainsi, à Tokyo, on dénombrait déjà cent-vingt morts. Les Etats-Unis, à la demande du Premier Ministre japonais, envoyaient la VIIe flotte naviguer au large de l’archipel.

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