samedi 22 mai 2010

Mexafrica 1ere partie : La collection fantastique de Lord Sanders : chapitre 2

Chapitre 2

Avant-poste de Garon IX, à environ un millier d’années lumière du système Sol. Sur la station, creusée au cœur d’une météorite depuis une vingtaine d’années, où la roche et le dur acier se mariaient harmonieusement, la nuit artificielle régnait. Tout était beaucoup trop calme, il n’y avait aucun signe d’activité, ce qui était plus qu’inhabituel. Un silence inquiétant filtrait.

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Une navette de reconnaissance appartenant à l’Empire des 1045 planètes, commandée par le capitaine Marl, un porcinoïde au tempérament grognon, natif de Marnous, constatait avec gêne qu’aucun signal de communication ne répondait à ses appels réitérés avec insistance depuis plusieurs heures déjà. Contrarié, voulant s’assurer de quoi il retournait précisément, Marl n’eut d’autre choix que de mettre en branle la procédure d’urgence. Il donna donc l’ordre à son pilote, un Mondanien aux cheveux bleus, de déclencher l’impulsion d’ouverture automatique des portes du sas d’entrée du poste avancé. Puis, lentement, ses moteurs coupés, la navette se posa silencieusement à l’intérieur du hangar prévu à cet effet. Toujours aucune présence, aucun bruit…

Une fois la pression et l’air rétablis, le capitaine, les yeux centrés sur les hublots de la navette, marmonna:

- Cette situation est des plus anormales. Il a dû se passer quelque chose! Les senseurs n’indiquent aucun signe de vie.

Les soies de son visage gouttaient d’anxiété.

- Holà! Reprit l’officier commandant. Six hommes en mission de reconnaissance dans la station! Armes de combat! Exécution!

Aussitôt, répondant à l’ordre du capitaine, un commando se prépara à sortir, armes et armures activées. Il était composé d’une félinoïde magnifique dans sa grâce prédatrice, d’un mètre quatre-vingt, aux yeux verts et au pelage noir lustré, une panthère musclée dont le QI dépassait les 200, d’un Kronkos, chef d’équipe, cousin éloigné d’un certain Kiku U Tu, tous crocs dehors, doté d’une mâchoire de gavial surdimensionnée, avide de passer sergent, capable cependant de contrôler ses instincts meurtriers, d’un lycanthropoïde à la fourrure et aux yeux gris, aux réflexes d’une rapidité foudroyante, d’un éléphantoïde dont l’apparence placide dissimulait le tempérament d’un guerrier implacable, d’un homme rapace au plumage mordoré et aux serres puissantes, compromis des fameux hommes ailés de Terrango, une planète imaginée dans la série BD Luc Orient et du Mégazoïde d’Au-delà du réel, et, enfin, d’un siliçoïde particulièrement vicieux.

Après moult précautions, repérages des lieux, arrêts, sécurisation des corridors enténébrés, le petit groupe parvint au centre de la station, sur « l’ops » selon l’appellation familière. Là, le spectacle qui s’offrit au commando appartenait à une représentation macabre inouïe.

Un peu partout, sur les consoles d’ordinateurs, sur les sièges, sur le sol métallique, des peaux humaines s’étalaient, visqueuses, exsangues, répugnantes, vidées de toute chair, de tout fluide et de tout squelette interne. L’odeur abominable, aux relents de décomposition avancée, - la peau même dépourvue de corps pourrissait-, n’était toutefois pas perceptible aux membres de la sécurité grâce au masque filtrant dont chaque armure était munie.

Des traînées de sang avaient giclé sur les parois et, parfois, avaient atteint le plafond. Enveloppés dans des filaments blanchâtres appartenant à des cocons fabriqués par des insectoïdes de grande taille, des restes de corps démembrés et mutilés étaient dispersés ça et là dans le centre des opérations, petits tas immondes sur un sol de plastacier devenu glissant. Par son unique jambe restante, une dépouille restait suspendue au plafond, les intestins à l’air libre, le tout dégageant naturellement une atroce odeur de putréfaction. Tout cela rappelait les jeux vicieux d’un Troodon non encore incorporé dans l’Alliance et qui n’avait donc pas prêté le serment de ne jamais se nourrir d’espèces parlantes et pensantes qualifiées cependant d’inférieures par la gent des Kronkos!

Sur la console principale de la salle, traînaient deux têtes sectionnées, coupées avec une précision toute chirurgicale par des pattes lames. Le crime était signé! Pour confirmer l’identité des auteurs de cette attaque, rendant ainsi caduc l’équilibre précaire existant entre l’Empire des 1045 planètes et celui des Insectoïdes, il y avait également la présence de sections circulaires de troncs humanoïdes, alignées avec soin sur le fauteuil du commandant de l’avant-poste. Enfin, touche d’horreur supplémentaire, dans un coin gisait une peau d’un lycanthrope dont le pelage rongé et gris vert dénonçait une décomposition plus qu’entamée.

Le Loup garou, Murdir gronda sa rage et sa colère.

- Mon jeune neveu! Que vais-je dire à sa mère? Les auteurs de ce massacre me le paieront!

Krim, le Troodon, approuva bruyamment. Cependant, la voix de son capitaine grésilla à ses oreilles, lui demandant des informations.

- Au rapport promptement, chef d’équipe!

En grognements brefs et hachés, le Kronkos s’exécuta, dressant un tableau de la situation précise de la station. Mais la félinoïde qui inspectait les moindres recoins avec précaution interrompit brutalement l’échange. L’angoisse au ventre, Michna haleta :

- Capitaine, le temps presse! Les assassins vont bientôt se multiplier! Ils nous ont laissé des œufs qui ne vont pas tarder à éclore. Ceux-ci présentent toutes les caractéristiques des Velkriss!

Avec une grimace, Marl hurla:

- Brûlez-les tous! Immédiatement! Puis, vous donnerez une sépulture descente à nos victimes.

La panthère désapprouva.

- Capitaine, ce n’est pas la bonne solution! Il nous faut détruire tout l’avant-poste en utilisant notre torpille plasmatique! Les Velkriss, puisqu’il s’agit d’eux, ont également pondu dans les restes de nos amis afin que leurs larves, arrivées à éclosion, puissent à la fois trouver nourriture et protection. Je me permets de vous rappeler leur méthode d’ensemencement…

- Soit! Marmotta Marl. Cette méthode de colonisation insectoïde est la plus efficace mais aussi la plus atroce. Le danger que court l’Empire ne fait plus de doute. J’en réfère immédiatement à l’amiral Venge!

***************

Dans son bureau à New Paris, Venge fulminait. Malgré ses quatre-vingt-dix ans et son abondante chevelure blanche, l’amiral restait bel homme. On lui aurait à peine donné cinquante ans, et encore! Ses yeux bleu acier, son sourire carnassier, sa verdeur faisaient des ravages auprès de la gent féminine. Depuis longtemps, il avait renoncé, et la presse à scandales également, à comptabiliser ses conquêtes, pas toutes humaines ou humanoïdes. D’origine australienne, Venge n’avait guère le loisir de revenir fouler le sol de sa terre natale. Comme tous les Blancs de sa nation, il était plutôt en froid avec les autochtones australasiens : en effet, depuis un demi-siècle, les Aborigènes avaient réussi à récupérer la direction de la Grande Île. Et ils avaient l’aplomb de maintenir une neutralité pas très bien vue avec les autres peuples de la Terre. Ainsi, ils ignoraient superbement la puissante nation chinoise dont le territoire s’étendait de l’Inde au Japon en passant par la Mongolie, la Russie asiatique, le Vietnam et la Corée!

Le bureau de l’amiral donnait sur l’ancien site de La Défense. Les bâtiments, fort laids, n’avaient pas franchi les siècles. Ils avaient été rasés et, à leur place, de gracieux immeubles, de style hispanisant, d’une hauteur raisonnable, pas plus de dix mètres, avaient été édifiés au milieu de parcs toujours verdoyants. L’ancienne La Défense était tombée en ruines en à peine un siècle et demi!

Venge se rongeait les ongles tant sa colère grondait. D’une voix glaciale, il ordonna à sa secrétaire, - par l’intermédiaire de l’intercom-, de ne pas le déranger. Puis, il se mit à réfléchir. Il lui fallait prendre des mesures d’urgence et, ensuite, convoquer l’état-major en son entier . Enfin, en dernier lieu, les gouvernements des différentes planètes devaient être alertés.

- Est-ce que tout cela fait parti d’un plan longuement mûri? Y aurait-il alliance entre les Castorii, cinq de leurs mondes viennent de nous lâcher, et les Velkriss? A nos frontières, l’Empire Haän s’agite si je dois en croire les rapports alarmants de nos agents. Ils évoquent le coup d’État d’un grand guerrier, survivant du bagne de Penkloss, qui serait parvenu à prendre le pouvoir pratiquement sans coup férir! Personne ne sait d’où il vient présentement, mais un de mes espions qui occupe un poste à responsabilité sur Hasücq suggère que ce noble personnage serait originaire du XXVIIIe siècle! Serions-nous devant un scénario quasi identique à celui de la première histoire? La dimension p nous trahirait-elle une fois encore?

Après la réunion extraordinaire, je contacterai mon meilleur homme. Avec sa fine équipe et ses autorisations spéciales, lui seul est à même de régler ce problème. Décidément, Daniel Wu mérite pleinement son surnom de Saint Bernard de la Galaxie! Mais comment va-t-il prendre la chose lui qui rêve depuis si longtemps de sa mission d’exploration de M33?

****************

Le jeune explorateur, fort cependant de plusieurs expériences, progressait avec mille précautions dans la semi pénombre, à travers des couloirs étroits à l’atmosphère oppressante. Personne à sa connaissance n’avait pénétré dans ce lieu sacré depuis des millénaires. Une odeur entêtante de moisi l’enveloppait, et, parfois, le faisait tousser. Sa torche, dont la flamme vacillait, éclairait fugacement des fresques colorées représentant des quadriges étrusques en pleine action, des guerriers en cuirasse ou encore des athlètes nus s’affrontant à la lutte. Par instant, la lumière se portait sur des sarcophages surmontés de sculptures montrant, par-delà la mort, des couples unis, telle cette épouse à la carnation si claire, au sourire mystérieux, appuyée tendrement sur l’épaule de son mari.

Au fur et à mesure, l’explorateur découvrait des boucliers sculptés en bas-relief qui couraient le long des parois en stuc. Ainsi, il reconnut une peinture figurant Charon, le passeur des Enfers.

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Sans contestation possible, cette représentation indiquait l’entrée de la chambre mortuaire contenant sans nul doute des trésors longtemps dissimulés ayant réchappé à l’avidité des hommes.

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- Me voici donc dans le saint des saints, murmura l’aventurier avec respect.

Son visage aux traits réguliers et légèrement exotiques était en partie dissimulé par un grand chapeau aux bords larges, un peu dans le style d’Indiana Jones.

- Que de poussière! Cependant, je détecte une présence hostile. Habituellement, mes sens ne me trompent jamais. Quel monstre tapi dans l’obscurité me guette donc? Ah! Pourquoi me suis-je dévoué pour cette mission? J’aurais dû me taire et laisser aller Isaac. Il en avait tellement envie!

Les fresques de la chambre mortuaire avaient pour sujet la nature dans toute sa profusion: oiseaux, poissons, biches, sangliers, lierre, vignes, roses, rinceaux de palmes, de lauriers, branches d’oliviers, pommes, coings, pommes de pin, tout cela s’offrait devant les yeux de notre explorateur qui n’en pouvait mais de tant d’abondance…

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S’approchant du fond, celui-ci identifia la porte des Enfers, ouverte sur un magnifique sarcophage de marbre et de grès. Avec circonspection, il s’avança jusqu’au tombeau, se méfiant, pensant peut-être à juste titre qu’un piège l’attendait là. Le couvercle du sarcophage représentait un couple de banqueteurs dans une jeunesse idéalisée, l’homme torse nu, la barbe en pointe, les cheveux longs bouclés, retournés sur les épaules, la femme au long péplos grec drapé, retenu par des fibules. Tous deux étaient chaussés de cothurnes. Le sourire archaïque caractéristique permettait de dater sans difficulté la sépulture.

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- Cette reconstitution s’apparente à du grand art! Bravo pour la programmation de l’holosimulation, s’exclama Mathieu. Mais quelle forme a donc pris cousine Violetta? Où peut-elle bien se cacher? Je la détecte mais ne la vois pas…

A cet instant précis, un étrange solo de cor anglais retentit, sorte de mélopée évoquant les tombeaux étrusco romains, air mélancolique tiré des « Pins de Rome », de Respighi.

- Ah! Ça, c’est signé Violetta! Voilà une illustration sonore qui se marie bien avec le décor! Elle est à conserver absolument.

Au fur et à mesure que la musique s’amplifiait, thème de la Via Appia, la statue du banqueteur funèbre s’animait. Maintenant, l’être descendait subrepticement du couvercle du sarcophage, évitant de faire du bruit, respirant à peine. Mathieu, qui lui tournait le dos, ne vit pas l’incroyable manège de la créature. Un bras d’albâtre se saisit soudain de lui. L’enfant ne put retenir un cri de pure frayeur. Cependant, il eut toutefois la présence d’esprit de commander:

- IA, fin du programme!

Aussitôt, tout s’effaça ou presque tandis qu’une salle rectangulaire aux murs gris et neutres prenait la place du tombeau étrusque. Or, le bras maintenait toujours sa prise autour du torse du garçonnet! Bien entendu, Violetta, que ses gènes de métamorphe favorisaient, avait pris judicieusement l’apparence du défunt sculpté dans la pierre. Mais Mathieu réussit à se dégager après un pincement sournois. Il n’avait pas le choix.

- Holà! S’écria sa cousine. Tu pourrais y aller plus doucement! Je suis faite de chair, tout comme toi!

L’enfant se justifia.

- Euh… Tu ne voulais pas me lâcher malgré la fin du programme. Et comme tu es plus grande et plus forte que moi…

- Ouais! Ricana l’adolescente. Tu n’avais qu’à demander un niveau plus élevé de difficulté. Franchement, les obstacles s’adressaient plutôt à une enfant de cinq ans, comme ta sœur Marie par exemple! Aucun monstre! Aucun fantasme! Tu me déçois! A ta place, j’aurais programmé le niveau huit, celui de la nécropole labyrinthe du prêtre Horeb, celle pleine de momies…

- Je connais, rétorqua Mathieu avec ironie. Les momies animées, plus ou moins décomposées, attaquent le héros, surgissant à la fois du sol et du plafond!

- Certes! Mais la fin est une pure merveille! Lorsque le sarcophage est ouvert, le profanateur est englouti par des myriades et des myriades de scarabées affamés.

- Je déteste ce vieux scénario éculé, imitant les films de momies du XXe siècle, la « Malédiction de la momie », et toutes les séquelles qui ont suivi. L’Égypte pharaonique de carton-pâte, c’est… surfait.

- Ah! Dans ce cas, la prochaine fois, nous essaierons le niveau 15, les grottes lunaires, une simulation directement inspirée des psycho images programmées par Sarton pour protéger le translateur temporel. Expérience inoubliable. Demande à mon père!

- Ou au mien! Tu sous-entends surtout la partie où le héros se retrouve au cœur de la nécropole de Tsampang Randong, puis celle où il se trouve prisonnier d’un escalier sans commencement ni fin, montant, descendant, toujours, et ce dans tous les sens…

- Oui, Parfois, il n’y a pas de marche du tout et celui qui est tombé dans ce piège progresse dans le vide!

- Oh! Cependant, cette aventure a permis à nos deux pères de récupérer le translateur! Depuis, le vaisseau ne s’en porte que mieux.

- Cela dépend du point de vue. Nous suscitons de nombreuses convoitises, y compris au sein de notre propre flotte.

***************

Dans une salle d’holosimulation d’entraînement des officiers de la passerelle du vaisseau Langevin, les souterrains de la planète-mère des Kronkos avaient été reconstitués avec tout le réalisme adéquat. Chaque fois que le chef de la sécurité Kiku U Tu s’y rendait afin de superviser la progression de ses troupes, une bouffée de nostalgie l’envahissait et alors, il se remémorait sa mère avec, au coin de son œil une larme qui refusait de couler.

Grottes de glace, de gypse, de calcite alternaient, toutes comportant des caldeira, des geysers, des siphons d’une eau sulfurique irrespirable, des gouffres de cent cinquante mètres qui s’ouvraient sous vos pieds aux instants les plus inattendus, rivières souterraines aux montées brusques de niveau. Alors, gare à la boue et au limon qui vous emportaient, vous étouffant, vous engloutissant. Parois rougies par une lave fluide qui clapotait, coulées soudaines de magma dans les tunnels que, justement, vous étiez en train d’emprunter en rampant, coups de grisou, atmosphère délétère, éboulement imprévisibles, avalanches surprise et habitants inhospitaliers qui hantaient ces lieux paradisiaques, cette matrice chaleureuse.

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Vous deviez aussi affronter des créatures serpentiforme simulant la somnolence, à l’affût d’un hypothétique repas, « poissons » gourdes translucides aveugles, hérissés de pointes empoisonnées, électriques et carnivores à la fois, reptiles volants à tête de crevette, translucides, se nourrissant de l’effritement des roches, mousse de salpêtre anthropophage, capturant ses proies et les digérant en quelques secondes, - lorsque le festin était terminé il ne restait plus que des os parfaitement nettoyés -, on retrouvait les victimes amalgamées dans la pierre calcaire ou basaltique des parois à l’état de squelette, paramécies ventouses géantes vampires de teinte ocre ou vermillon, se confondant avec la lave, se nourrissant de tout ce qui se mettait malencontreusement à leur portée, squelettes ( voir plus haut ) momifiés et pétrifiés de Troodons, les gueules déformées par un rictus , victimes incontestables des mousses de salpêtres déjà citées, concrétions vivantes de gypse ou de calcite emprisonnant tout imprudent grâce à une pousse accélérée, cristaux de glace parasites s’incorporant aux intrus, ou, encore plus merveilleux, Migou Archosaure hibernant dans les profondeurs insondables , qu’un simple frémissement de l’air pouvait faire sortir de sa léthargie, avec un corps de singe surmonté d’une tête crocodilienne qui paraissait rapportée, sans oublier des araignées,bestioles surdimensionnées, des crabes pareillement trop grands, des pieuvres coraux du même acabit, des vers flammes toujours avides, et bien d’autres tout aussi charmants compagnons d’exploration!

Ce jour-là, Kiku U Tu, d’humeur morose, comme à l’accoutumée, engueulait les nouvelles recrues de la sécurité qui, pourtant s’appliquaient à faire de leur mieux pour se sortir sans bobos de ce lieu de villégiature cinq étoiles au Guide Michelin de l’horreur. Notre Troodon ne pouvait sentir les espèces qui venaient renforcer le service, et ce ressentiment était atavique. Il s’agissait de lycanthropoïdes disciplinés, certes, mais manquant d’expérience et d’initiative. Kiku râlait donc de voir deux des loups hésiter à mettre les pattes sur les pierres brûlantes qui flottaient sur une rivière acide. Pourtant, c’était le seul moyen de franchir l’obstacle! U Tu rugissait littéralement, s’époumonant si fort que les vibrations sonores qu’il créait entraînaient des minis éboulements.

- Foutue bande d’avortons dégénérés! Larves à peine formées! Parlez-moi des loups! Des cancrelats douillets, oui, morts de peur! Alors? Vous vous décidez à avancer ou vous avez envie de tâter de ma griffe? S’il le faut, je suis à votre service!

Sur ces mots lourds de menace, le Kronkos claqua sa fameuse griffe sur le dos de l’enseigne Rhurr, un jeune lycanthrope de six ans au pelage argenté qui n’en demandait pas tant! Le louveteau sursauta puis se décida enfin.

- Pas trop tôt! Gronda le lieutenant.

Parmi les officiers qui entretenaient leur forme, il y avait aussi des humains. Ainsi, devant les loups-garous, Benjamin Sitruk, le numéro 3 du vaisseau, un simple Terrien de 48 ans, progressait, apparemment sans difficultés, les yeux aux aguets, les réflexes au top, se demandant intérieurement où donc pouvait se dissimuler le si redouté Migou Archosaure. Lui n’avait nullement envie de finir sous les crocs de ce carnivore aussi virtuel fût-il!

Derrière lui, un enseigne loup, Gueurreure, tomba malencontreusement dans une crevasse envahie de mygales crevettes transparentes et aveugles. Sans l’intervention de son frère, il ne s’en serait pas sorti vivant!

- Ah! S’exclama Kiku. Première leçon à enfoncer dans ce qui vous tient lieu de fichue cervelle: la solidarité est certes primordiale, mais la force également! Avancez! Vous prenez du retard sur le timing! Votre chrono est décevant!

Pendant ce temps, le capitaine Sitruk avait atteint une série de cheminées où des fumeroles et des solfatares empuantissaient davantage encore l’air pourtant confiné de la grotte. Juste à trois pas derrière, Irina suivait, tentant de conserver un équilibre précaire, une partie de son visage protégée par un masque chirurgical comme en portait le personnel médical au début du XXI e siècle. Un gémissement poignant, en fait le chant plaintif de la créature, fit stopper net la jeune femme. Benjamin se retourna, soudainement inquiet.

- Votre combinaison peau de type douze est-elle donc en panne qu’il vous faut donc vous affubler de cette antiquité?

- Non, Sitruk! Ce masque m’empêche tout simplement d’avoir des nausées! Dites… Est-ce un effet dû à ma fatigue, normale dans mon état, ou bien ai-je vraiment entendu une plainte?

Irina s’interrompit brutalement car elle vit alors le visage horrifié du capitaine Sitruk tentant de lui dire quelque chose. Trop tard! Brusquement, le sol se déroba sous leurs pas. Maïakovska réussit, difficilement, à se raccrocher à un surplomb rocheux constitué par de la lave refroidie, mais Benjamin n’eut pas cette chance. Il chuta lourdement au fond d’une fosse tapissée d’ossements divers. Toutes les espèces ou presque s’y retrouvaient: félinoïdes, humanoïdes, Kronkos, ovinoïdes, caninoïdes… il n’y manquait que les médusoïdes et les delphinoïdes. Le numéro 3 du Langevin, la sueur lui dégoulinant sur le cou, s’interrogeait. Le Migou Archosaure avait-il festoyé en ce lieu même?

Alors qu’il se redressait, il se vit entouré par une multitude de reptiles cavernicoles, mi translucides mi flammes. Et ces serpents répugnants et dangereux grouillaient, grouillaient tant qu’il semblait qu’il en sortait du néant! En une poignée de secondes, inévitablement, le capitaine allait être submergé! Il finirait assurément comme les dépouilles qui tapissaient le sol de ce trou infect.

- Ah non! Rugit le géant roux aux yeux bleus.

Alors, il enclencha un mécanisme camouflé dans sa combinaison. Une onde répulsive fut émise qui fit fuir tous les reptiles.

- Tant pis pour la consigne! Mais, moi, je ne suis pas un surhomme!

Devant, un peu plus loin, l’ambassadeur adjoint Antor avait fini par débusquer le monstre familier de ces lieux. Le Migou Archosaure méritait amplement sa réputation. Haut de quatre mètres cinquante, la fourrure couleur Sienne brûlée, les crocs jaunes apparents de trente centimètres, les yeux luminescents, - semi pénombre oblige -, l’animal avait comme qui dirait un petit creux. Il voulait mordre dans la chair fraîche. Mais la créature se rendit bien vite compte qu’elle avait eu tort de s’attaquer au diplomate. Pourtant doté d’une musculature impressionnante, le Migou ne parvint pas à prendre le dessus sur sa proie. Cette dernière rendait coup pour coup sans aucune morsure sur son corps ou ses membres!

Le combat fut rude, sans concession. L’ambassadeur adjoint luttait réellement afin de sauver sa vie et pour tuer la bête. Tandis que la créature se jetait encore une fois sur lui, grondant furieusement, Antor trouva enfin le point faible de son monstrueux assaillant. Avec une promptitude et une force inouïes, il lui tordit la patte avant droite selon un angle de 90°, et on entendit distinctement les os craquer! Fou de douleur, le Migou fit des bonds désordonnés avec, maintenant, la très nette envie d’échapper à cet humain trop coriace. Mais, sans pitié, le diplomate, sans marquer la moindre émotion, précipita la créature dans le fossé, trente mètres plus bas, là où des concrétions vivantes de gypse se nichaient.

Tout en rugissant de plus en plus faiblement, le singe reptile se débattait désespérément contre la cristallisation parasite qui proliférait sur sa fourrure. Peine perdue! En moins de deux minutes il ne resta plus de lui qu’une belle géode géante de gypse de laquelle émergeait dorénavant une tête crocodilienne grimaçante pourvue de poils de primate.

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Kiku U Tu s’approcha d’Antor arborant un sourire rictus qui se voulait affable.

- Bien, ambassadeur! Grogna le chef de la sécurité. Je n’en attendais pas moins de vous!

- Oh! Vous n’avez pas plus difficile? Souffla ce dernier en remettant de l’ordre dans sa tenue.

- Excellence, l’entraînement n’est pas achevé! Regardez sur votre gauche. Les paramécies vous attendent. Quant à vous, capitaine Sitruk, vous avez triché!

- Ah! Mais je fais avec ce que j’ai! Le but de tout ceci est bien de s’en sortir vivant, non? Alors… je m’y emploie!

- Oui… à la condition d’avoir toujours sur vous une combinaison intacte! Capitaine Maïakovska, malgré tout le respect que je vous dois, votre prestation est des plus moyennes! Vous me décevez grandement!

Irina se rebella.

- Lieutenant, normalement une femme enceinte de quatre mois n’a rien à faire en ce lieu! Je suis ici par souci professionnel. De plus, je trouve que les garde-fous de sécurité manquent!

- Ah! Mais j’ai l’ordre de créer un environnement le plus réaliste possible, rétorqua le Troodon en entrouvrant un soupçon de trop sa mâchoire aux cinq cents dents. Capitaine, sachez que les femelles de mon espèce venaient ici dissimuler leurs œufs!

- Par saint Wladimir, pourquoi donc?

- La sélection naturelle, madame! Seuls les plus forts des Kronkos devaient survivre!

- Mais, aujourd’hui, comment faites-vous?

- Nous avons nos rites secrets d’initiation… Quant à nos recrues actuelles, elles n’auraient pas survécu assurément! Leur espérance de vie n’aurait pas atteint l’heure dans nos cavernes! Rhurr, c’est honteux! Vous avez intérêt à progresser très vite! De mon temps, ce n’était pas si facile de postuler dans la sécurité!

Un rire frais vint interrompre les récriminations justifiées du Troodon. Tous se tournèrent alors vers le nouveau venu.

- Du calme, lieutenant U Tu. N’en rajoutez pas.

- A vos ordres, commandant!

- Ainsi, votre espèce appliquait Darwin bien avant que celui-ci vînt au monde? Ou alors les pratiques de Sparte? Passionnant! Les soleils sont différents mais les pensées restent les mêmes.

De toute la politesse dont il était capable, Kiku U Tu demanda:

- Commandant, joignez-vous donc à nous! Vous nous servirez de modèle…

- Oh! Hélas, je le voudrais bien, mais pas le temps! De plus, ce n’est qu’un niveau 10. En fait, je venais chercher les capitaines Maïakovska et Sitruk. Communication prioritaire de l’Amiral Venge…

- Dans ce cas, fit Kiku.

- Euh, commandant, hésita Sitruk tout en soupirant, - de soulagement, de déception-, permettez-moi de vous rappeler que le lieutenant Hillerman avait rendez-vous avec vous à 14 heures.

- Capitaine, la convocation tient toujours. Quant à vous lieutenant Kiku U Tu, ne vous montrez pas si sévère avec nos recrues. Voyez l’enseigne Grarv, il saigne abondamment, victime de crevettes araignées vampires. Je vous mets en garde. Les loups sont des êtres intelligents et… rancuniers.

- Commandant, j’en suis conscient! Gronda U Tu quelque peu vexé.

Depuis deux décennies environ, les deux espèces cohabitaient difficilement au sein de la flotte interstellaire. Généralement, les commandants des vaisseaux d’exploration évitaient d’avoir à la fois des Troodons et des lycanthropes à leur bord. Sur le Langevin, c’était un vrai miracle que les vingt Kronkos de la sécurité n’aient pas encore dévoré les six recrues loups-garous! En fait, Kiku craignait par dessus tout la colère de Daniel Wu. Ce dernier pouvait le mettre K.O. en une milliseconde tout au plus et ainsi lui faire perdre son autorité sur ses troupes!

S’approchant d’une console qui apparut comme par magie dans les souterrains, Irina désactiva la simulation et ôta partiellement la combinaison peau qui la protégeait tout en récupérant son masque chirurgical. La jeune femme transpirait à grosses gouttes.

- Hé bien, cette simulation de niveau 10, siffla-t-elle entre ses dents, il nous faudra y retourner sans doute! Cela ne fera pas plaisir à Gronkt!

- Ma chérie, la prochaine fois, si tu te sens trop lasse, je t’en dispenserai…

- Merci pour ta sollicitude, mais je dois pouvoir encore être capable de me défendre! Daniel, je ne suis pas en sucre et j’ai horreur du favoritisme!

***************

Dans le bureau du commandant Wu, situé au même niveau que la passerelle, tandis qu’Uruhu pilotait et que Chérifi aux senseurs, vérifiait que le vaisseau pouvait emprunter sans heurts la trajectoire passant par la nébuleuse 0X- 2148- AJ, l’écran sphérique tridimensionnel était activé, montrant l’Amiral Venge l’air préoccupé, donnant ses ultimes ordres.

- … donc, vous comprenez que dans les conditions actuelles, la mission d’exploration de la Galaxie M33 est momentanément ajournée…

Sitruk grimaça et Irina articula silencieusement une insulte dans sa langue natale. Daniel, lui, n’afficha aucun signe de dépit.

Venge, à qui rien n’échappait, poursuivit.

- Il faudra que le Langevin accoste à la base 650 dans cinquante et une heures au maximum!

- Mmm… Dans ce cas, permission d’utiliser les moteurs trans distorsionnels? En hyper supra luminique, il nous faudrait quatre semaines pour rejoindre la station!

- Bien évidemment, commandant! Les Velkriss se sont encore rendus coupables d’un crime de guerre! Notre guerre froide semble se transformer en guerre tout court! Je croyais que vous l’aviez compris! Hier, en temps universel, Marl nous a relaté leur attaque contre l’avant-poste de Garon IX. Ils y ont massacré tout le personnel. Leur prochaine cible devrait être…

- Naor! Conclut Daniel.

Benjamin marmonna dans sa barbe.

- Tout à fait le comportement habituel de ces foutus insectes!

- D’accord avec vous, Sitruk! Mais le plus terrible n’est pas là, hélas! Les Castorii commencent à faire sécession.

- Ceux-là sentent souffler le vent!

- D’après nos espions, les Haäns auraient signé un traité de neutralité avec les Castorii, prélude certainement à une alliance militaire en bonne et due forme! L’Empereur Tsanu XIII Gaachak, originaire du XXVIIIe siècle, serait responsable de cette nouvelle donne géostratégique.

- Oh ! Le traité du Mowelle est caduc! Jeta Daniel Wu avec un sourire mi-figue mi-raisin.

- Précisément! Les Haäns ont désormais à leur disposition une technologie fournie par la dimension p.

- Pourtant, Penta p m’avait garanti, objecta Daniel Lin…

Mais le commandant interrompit sa phrase, laissant poursuivre l’Amiral dont il lisait les pensées malgré l’incroyable distance.

- Le coup ne vient pas de lui! Ce p a été exilé de sa dimension par les siens pour trahison après un « procès » bâclé! Il nous a demandé l’asile politique!

- Quoi!? S’étrangla Sitruk.

- Je n’ai eu d’autre choix que d’accepter. Le conseil interplanétaire a entériné ma décision. Bref, vous devez récupérer l’être déca dimensionnel sur la base 650 ; ensuite, vous rejoignez New Paris dans un délai de quatre jours. Là, avec Prentiss, Trabinor et Sarreboiun, nous conviendrons de la mise en œuvre d’un plan de riposte.

- Est-ce tout, Amiral? Demanda Daniel.

- Hélas non! Vous voyez juste! Naor vient de lancer un SOS ce matin même. Ses lunes subiraient les attaques de pirates Velkriss.

Irina fit la moue.

- Déjà? Nos adversaires n’ont pas perdu de temps! Que peuvent-ils trouver d’intéressant à ce système? Les Naoriens répugnent à utiliser toute technologie de pointe. Leur seul atout réside en la télépathie…

L’Amiral répondit de sa voix sévère.

- Capitaine Maïakovska, les Naoriens constituent une nourriture de choix pour les insectoïdes!

Légèrement écoeuré mais n’en montrant rien, Daniel Wu compléta.

- Si les Naoriens ressemblent extérieurement à des humanoïdes, en réalité, ils s’apparentent à des plantes intelligentes, un peu comme celles de ce vieux film bidimensionnel du XX e siècle, « L’invasion des profanateurs de sépultures »…

Benjamin frissonna.

- Brou! Tout cela, à mon goût, rappelle un peu trop un roman d’horreur!

- Amiral, pardon, une question encore, souffla Maïakovska.

- Allez-y, capitaine.

- Nous n’avons pas le choix, bien entendu. Nous devrons accueillir Penta p. Mais pourrons-nous compter sur son aide?

- Sur ses renseignements tout au moins! Il a prêté serment. Mais sur ses pouvoirs, que nenni. Les siens les lui ont ôtés!

- Je vois! Mais alors, le Langevin va se retrouver en première ligne! Or, ce n’est qu’un vaisseau scientifique d’exploration!

- J’en ai conscience, capitaine, croyez-moi! Je sais aussi que lui et tout l’équipage en ont vu d’autres! Votre mari, le commandant Wu, vous-même, le capitaine Sitruk, l’ambassadeur adjoint Antor, et l’ex-commandant Fermat comptez parmi les meilleurs éléments de l’Alliance! Vous saurez faire face.

- Fermat, fit Daniel Wu. Il se joint donc à nous. A quel titre?

- Celui de conseiller. Vous assurerez le commandement de cette mission. Et il est bien clair que vous userez de toutes vos capacités tant intellectuelles que mentales et physiques!

- Compris, monsieur!

Venge termina sa communication par cette phrase énigmatique.

- Commandant Wu, il me reste quelque chose à vous dire. Mais je ne puis le faire sur ce canal ; il n’est pas suffisamment sécurisé. Il faut que je vous voie en chair et en os, seul. Où en est l’entraînement du lieutenant Tony Hillerman, l’historien nouvellement affecté à votre bord?

A cette question, Daniel daigna hausser un sourcil. Étonné, il comprenait toutefois où voulait en venir l’Amiral.

- Hillerman me donne entière satisfaction tant au niveau intellectuel que physique! Il vient d’atteindre le niveau 8 d’entraînement et ce, en cinq semaines, ce qui est tout à fait remarquable pour un humain non modifié.

- Pour un humain ordinaire, sans nul doute! Vous avez quatre jours pour le pousser au niveau 10 comme les capitaines Sitruk et Maïakovska. Débrouillez-vous! Quant à vous, je veux que vous fassiez exploser tous les tests! Communication terminée!

L’écran tridimensionnel s’éteignit brusquement, laissant la sphère totalement opaque. Daniel la fit disparaître tandis qu’Irina, troublée, se demandait en quoi la présence de Tony Hillerman à bord du Langevin pouvait désormais s’avérer vitale alors que la mission d’exploration de M33 venait d’être annulée. Son mari en avait une certaine idée.

-Irina, fit Daniel Lin, n’affiche pas ainsi tes émotions. Notre voyage sera peut-être plus passionnant que tu le supposes!

- Ah oui? Nous battre alors que nous sommes des scientifiques dans l’âme!

- Ni Fermat ni Sitruk!

- C’est vrai, commandant! Approuva Benjamin. J’aime l’action.

- Alors, je pense que vous serez servi amplement.

- Prémonition, divination?

- Non, la logique tout simplement.

***************

14 heures, heure du Langevin. Assis sur son siège des plus confortables, de couleur bleue, recouvert d’une matière aussi souple et douce que le cuir, caressant machinalement Ufo, lové en boule sur ses genoux, - le chat, ravi, ronronnait les yeux fermés-, le commandant Wu accordait une entrevue à Tony Hillerman, faisant le point avec son nouvel officier.

L’homme était un Noir d’une taille imposante, un mètre quatre-vingt-quinze, à la carrure impressionnante. Il présentait une mâchoire carrée, un sourire qualifié de carnassier, des yeux souvent dissimulés par une paire de lunettes noires, - un genre qu’il voulait se donner, imitant ainsi un certain Laurence Fishburne, son idole, connu plus spécifiquement pour son rôle dans Matrix, un vieux machin remontant à cinq cents ans -, bref tous ces détails annonçaient haut et fort l’assurance dudit officier.

Toutefois, Tony n’était pas un m’as-tu-vu, un rouleur de mécanique. Loin de là! Si cela avait été le cas, Daniel Wu ne l’aurait pas pris à bord.

Natif de Chicago, diplômé de l’Université de Pretoria, dixième dan de taekwondo, - excusez du peu!-, il cumulait tous les talents: archéologue réputé, historien, numismate amateur éclairé, ethnologue, polyglotte maniant sans difficultés vingt-quatre langues et… divorcé!

Notre Tony portait l’uniforme en vigueur sur le vaisseau, - un pantalon, un pull et une veste à haut col d’un vert très sombre -, mais avec une certaine désinvolture des plus élégantes. Contrairement au capitaine Sitruk, le lieutenant n’avait aucun gène modifié et, exiger de lui, malgré ses grandes qualités et son fort potentiel athlétique d’atteindre le niveau 10 d’entraînement mis au point par André Fermat lui-même autrefois, s’apparentait pour notre personnage à un authentique exploit! Mais Tony avait accepté le défi.

L’officier était tout à fait conscient de la chance qu’il avait d’être affecté sur le Langevin. Un nommé pour six mille demandes en moyenne! Malgré le peu de temps qu’il venait de passer sur le vaisseau, il ne pouvait déjà s’empêcher d’admirer son commandant. En effet, il avait entendu sur lui quelques détails qui l’apparentaient à un être fabuleux.

Pour rappel, Daniel Lin Wu était le premier et unique daryl androïde de l’Alliance car il possédait un cerveau mi positronique mi humain. Le commandant était né à la suite de manipulations génétiques avancées, officiellement interdites depuis plus d’un siècle et demi, et son intelligence et sa capacité de réflexions équivalaient à toutes les IA existantes de la Galaxie connectées entre elles. De plus, il pouvait se mouvoir en hyper vitesse, communiquer directement avec n’importe quel ordinateur, avait une espérance de vie de mille années au bas mot, jouait du clavecin et du piano ou de l’orgue mieux que Don Moss et Arthur Rubinstein, peignait à la manière de Raphaël, du Titien ou de Leonard de Vinci, pratiquait avec une facilité déconcertante des milliers d’idiomes tous plus exotiques les uns que les autres, pouvait affronter cinq cents Haäns et Velkriss au corps à corps et à mains nues avec cent pour cent de chances de l’emporter. Biologiste et bio informaticien de formation, il était à la source de découvertes importantes et avait démontré l'apparentement des Haäns, des Castorii, des Helladoï, des Mingoniens, des Mondaniens et des Humains grâce à la panspermie. Il pouvait aussi incidemment réviser et réparer n’importe quelle IA en moins de six jours, travail qui, habituellement prenait un mois à toute une équipe d’ingénieurs, s’intéressait à l’astronomie, l’astrophysique, la physique et à toutes les sciences.

S’il l’avait voulu, Daniel Lin aurait pu se dupliquer. Mais, volontairement, il souhaitait rester unique et maintenait bridées quelques unes de ses facultés comme sa capacité à se mouvoir dans les couloirs transdimensionnels. L’ingénierie de pointe n’était pas ignorée de lui et Anderson, faisait souvent appel à lui pour quelques améliorations requises aux moteurs quantiques.

Bref, le « génie de la galaxie » aurait pu être tout à fait invivable, mais il n’était pas insensible à l’humour et il ne rêvait que d’une existence des plus ordinaires auprès de son épouse Irina, de son fils Mathieu, de sa fille Marie et bientôt auprès de son bébé Tatiana.

Ce qui poussait Daniel Lin, ce n’était pas l’esprit d’aventure, mais la quête de la connaissance. Il voulait en repousser les limites, non pas percer tous les secrets du Pan Multivers, il savait cela impossible même pour lui. Résoudre le plus grand nombre d’énigmes lui suffisait. Pour atteindre son but, il s’était engagé dans la flotte interstellaire de l’Alliance et était parvenu à s’entourer des meilleurs officiers et chercheurs de la Galaxie.

L’être parfait Daniel Lin Wu? Que non pas! Toutefois il cultivait l’amitié, la fidélité, la tendresse, l’amour, la rigueur et la discipline aussi, et, parfois, trop souvent à son goût, cédait au spleen, à l’angoisse de la solitude.

Mais il acceptait ce qu’il était, du moins il le pensait sincèrement, cueillant au jour le jour ce que la vie lui offrait. Son meilleur ami, son frère dans les étoiles s’appelait Antor et sa famille cachait quelques hideux squelettes dans ses placards, notamment un frère aîné, prénommé comme lui Daniel, dont il était le clone, mort à vingt ans, abattu par des trafiquants, mais également une mère, Catherine, qui l’avait persécuté durant toute sa petite enfance, lui reprochant d’être la copie améliorée du premier Daniel, mère avec laquelle il s’était réconcilié cinq ans avant sa disparition.

Mais revenons à Tony Hillerman. Il s’était rendu célèbre dans les milieux universitaires par sa thèse hétérodoxe xéno historico ethnologique portant sur un sujet des plus « casse-gueule », celui de l’origine des Alphaego, peuple de vampires dotés de la capacité de se déplacer dans les dimensions, disparus depuis un million d’années, dont la néoténie contaminait les espèces intelligentes qu’ils croisaient durant leurs pérégrinations trans planétaires et trans temporelles. Tous ceux atteints par ce virus sans remède mutaient et, à leur tour, devenaient des sortes de larves ou de fœtus qui s’en allaient rejoindre et grossir les hordes prédatrices des Alphaego.

Aruspus avait été à la fois leur dernière escale et leur tombeau. La race s’y était éteinte brutalement, d’une manière mystérieuse, du moins pour les chercheurs et Hillerman ne possédant pas l’accès de sécurité adéquat aux dossiers ultra secrets de la flotte. Seuls quelques très rares individus auraient pu lever le voile sur cette fin. Daniel Wu et Antor comptaient parmi ces heureux élus. En fait, dans une chrono ligne proche, le Langevin avait participé à l’extinction de l’espèce prédatrice qui avait mis en danger la biodiversité dans toute la Galaxie.

Là, en cet instant, prodigieusement intéressé par la démonstration sans faille de l’historien qui avait conclu à une intervention extérieure dans la disparition des Alphaego, intervention qui les avait poussés au suicide, le commandant Wu écoutait sans révéler toutefois son rôle de premier plan dans ce génocide. Daniel avait usé de toute son influence, immense, pour s’attacher Hillerman.

En plus de mille pages, l’archéologue avait également démontré que les Alphaego étaient les descendants directs et dégénérés de la première civilisation humanoïde de la Galaxie, une civilisation remontant à un milliard d’années. L’espèce était originaire de l’actuel amas de planétésimaux d’Alpharun IX, sis à sept millions d’années lumière de l’étoile Sol. Trois générations d’astrophysiciens s’étaient cassé les dents pour résoudre l’énigme de la présence d’un amas dont les fragments rocheux, au lieu de s’agglutiner en planètes, semblaient, tout au contraire, s’éloigner les uns des autres à une vitesse légèrement supérieure à celle de l’expansion de l’Univers.

Ainsi, il y avait un milliard d’années, Alpharun IX était bel et bien un système solaire des plus ordinaires, dont sept des dix planètes avaient été colonisées par le peuple humanoïde connu dorénavant sous le nom de « Maachisons » grâce aux chroniques odaraïennes décryptées. Opabinia et consorts ne s’apparentaient nullement aux humains ou aux humanoïdes.

Les yeux scrutant le plafond, le visage des plus sereins, Daniel écoutait avec un ravissement évident les propos de Tony Hillerman. En cette seconde, il aurait tout donné pour n’être qu’un archéologue! Mais il avait dû faire un tout autre choix.

- Songez qu’à cette époque, poursuivait le lieutenant, les « Maachisons » constituaient la seule civilisation humanoïde chordé avancée! Pour mémoire, les Castorii et les Helladoï n’en étaient qu’au stade des lémuriens, tels les makis de Madagascar. Quant à l’espèce humaine, elle ne faisait partie que d’une très vague et fort lointaine probabilité.

- Oui, tout à fait; une potentialité qu’on a aidé à concrétiser…

- Certes… Les civilisations arthropoïdes régnaient alors sans partage dans la galaxie et nul n’aurait pensé, en ces temps reculés, que des cousins des singes pouvaient un jour les supplanter. Ainsi, les Odaraïens avaient déjà conquis la planète Kalidasa 3 d’où est originaire notre officier siliçoïde Kinktankt, et, à huit années lumière, le système de Gal mu où le professeur Schlffpt a vu le jour.

- Fatalement et logiquement, murmura Daniel observant d’imperceptibles motifs dissimulés au plafond, ces Odaraïens se sont intéressés au système Alpharun IX, étant loin de prévoir les conséquences de cette guerre d’invasion…

- Oui monsieur, vous cernez bien le problème. La guerre s’éternisa, remettant en cause les prévisions les plus pessimistes des envahisseurs. Elle durait déjà depuis un bon demi millénaire lorsque Odonto Grii Pâa, l’Empereur prêtre d’Odaraïa,

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se résolut, par dépit, à empoisonner la planète et à condamner ainsi tous ses habitants à la mort puisqu’il était impossible d’en venir à bout! Tant pis pour les esclaves qui avaient refusé la domination!

- Un génocide à l’échelle planétaire qui n’était certes pas le premier! Soupira Daniel Lin comme s’il détenait des informations auxquelles les mortels n’avaient pas accès.

- Les scientifiques crustaçoïdes avaient mis au point une bactérie artificielle, reprit Tony, ne relevant pas la remarque du daryl androïde, qui, chose abominable, provoquait le vieillissement accéléré de tous les êtres contaminés. Il n’y avait aucune parade. Atteints, les Maachisons se transformaient en momies vivantes qui se décomposaient en une période de temps relativement brève, un quart de cycle…

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Pendant un millénaire, les rescapés, qui se terraient dans des laboratoires prisons souterrains aseptisés, cherchèrent vainement un remède, puis, miraculeusement, ils réussirent à synthétiser un mutagène…

- Oh! Je ne parlerais pas de miracle! Ce mutagène dépassa grandement les effets escomptés. Atroce et … fascinant!

- Il avait la particularité d’ignorer la frontière entre les espèces, qu’elles reposent sur la silice, le végétal, ou qu’elles soient humanoïdes… Une manipulation accidentelle…

- Vraiment?

- Pour moi, elle l’est manifestement, une manipulation accidentelle sur contamina les planètes alentours parce que les Maachisons possédaient les techniques embryonnaires du voyage spatial.

- Malencontreuse circonstance! Cette technique ressemblait à celle des humains de la fin du XXIe siècle, non?

- Oui, monsieur! Sur Alpharun IX, toute la biosphère et la lithosphère régressèrent ontogénétiquement comme phylogénétiquement. Les vertébrés redevinrent fœtaux,

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les invertébrés larves, les plantes graines, l’eau gaz, les roches lave et ainsi de suite. Ce fut l’ère de la grande régression. Mais la mutation des Maachisons leur fit acquérir, chose non prévue par les Odaraïens, à terme, la faculté d’interdimensionnalité. Poussés par l’instinct de survie, ils durent abandonner leur système solaire, devenu tout à fait inhospitalier à la suite de la contamination, système réduit, lentement mais inexorablement au stade de planétoïdes.

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- Oui, je vois ce qu’il en est. La suite coule de source. Les Maachisons atterrirent sur diverses planètes au fil des millénaires, dont… Aruspus! Ils dégénérèrent jusqu’au stade final, transformés en prédateurs pour toutes les formes de vie y compris la leur! Hillerman, les chroniques d’Odaraïa que vous avez sues traduire ont révélé autre chose…

- Vous avez donc lu ma thèse ainsi que les articles complémentaires qui ont suivi!

- Bien évidemment! Voyez-vous, je fais en sorte que le commandement ne m’accapare pas entièrement!

- Il y avait un traître parmi les Maachisons. Il communiqua à l’ennemi millénaire le mutagène. Avec ce dernier, les Odaraïens dopèrent leur informatique en y introduisant des éléments biologiques.

- Mmm… méthode extrêmement en avance pour l’époque et… non dépourvue de risques!

- Ils firent plus! Ils voulurent utiliser le mutagène pour ensemencer des planètes et créer ainsi des populations arthropoïdes à leur image… Mais l’expérience échappa à tout contrôle.

- Dieu joue au bilboquet… Soupira Daniel Lin.

- Pardon, monsieur? Je ne saisis pas… balbutia Hillerman peu accoutumé à l’humour spécial du daryl androïde.

- Oh! Veuillez m’excuser, lieutenant… Vous vous ferez à mon humour particulier… Avec le temps, cela viendra… Poursuivez, vous m’intéressez prodigieusement.

- A vos ordres, monsieur! Merci! Une de ces mutations aboutit aux Velkriss voici huit cent mille ans.

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Du même coup, les Odaraïens s’étaient condamnés à disparaître, progressivement il est vrai.

- Et vous pensez encore qu’il n’y a nul dessein derrière? Bah! Mais je vous écoute…

- Jetant leurs derniers feux dans la conquête de Haasucq, il y a quelque trois mille cinq cents ans, les Odaraïens s’y cassèrent les dents! Enfin, c’est une façon de parler! Les Haäns firent semblant de se soumettre, puis se révoltèrent.

- Et les Odaraïens terminèrent dans les oubliettes de l’Histoire! « Tout Empire périra »! La bio informatique odaraïenne a donc été la première des recherches interdites attestée dans les archives galactiques. Si, de plus, on doit prendre pour argent comptant les récits des chroniques, elle aurait abouti à la constitution de biosphères arthropoïdes alternatives. En effet, le but ultime des Odaraïens n’était-il pas la fusion de l’informatique, de la biologie et de la transtemporalité? Nos conquérants voulaient façonner des Univers bulles uniquement peuplés d’êtres à leur image. Ainsi, sur Terre, un de ces univers a failli exister dans une autre chrono ligne! Le chrono vision de Sarton l’a révélé… Dois-je dire dommage que cela soit resté potentiel?

- Je vois, monsieur! Je ne suis donc pas le seul à avoir déchiffré l’écriture odaraïenne!

- Tony, ne soyez donc pas déçu! Aucune langue, aucune écriture ne peuvent longtemps se dérober à moi lorsque je m’attelle à leur déchiffrage! Revenez aux Odaraïens plutôt…

- Ceux-ci avaient découvert l’ADN transtemporel et transdimensionnel à partir du mutagène volé. Or, cet ADN était capable de se dupliquer sur plusieurs temps alternatifs à la fois et de choisir également les chrono lignes parallèles comprenant des biosphères favorables à son développement afin de les ensemencer! Le but était d’aboutir à des biosphères odaraïennes, uniformes, dans tout le Pan Multivers…

- Nos propres ensemenceurs ont heureusement su éviter ce piège d’orgueil.

- Oui, évidemment… Ce genre de recherches a été formellement proscrit depuis le traité du Mowelle signé en 2354 entre l’Alliance des 1045 planètes, les Castorii, les Haäns et bien d’autres factions.

- Certes, lieutenant, dit Daniel en souriant. Mais cela ne signifie pas que, précédemment audit traité des scientifiques ne se soient pas aventurés dans ces recherches et n’aient pas redécouvert le principe pour le mettre en application!

- Effectivement, monsieur. Cependant, l’identité de ces redécouvreurs reste dissimulée au plus grand nombre… Sans parler des autres, postérieurs à la signature dudit traité…

- Ah! Vous faites allusion à mon père le bio informaticien Tchang Wu mais aussi à Sarton, son mentor et ami…

- Euh… Excusez-moi, monsieur! Balbutia Tony.

- Vous ne m’avez pas vexé... Tous ici, à bord connaissent plus ou moins les circonstances extraordinaires de ma conception et vénèrent l’Hellados. Sans lui, voyez-vous, nous serions restés, au propre comme au figuré, dans les limbes! Je vous raconterai tout cela bientôt, vous le méritez Hillerman. Mais soyez sûr que mon potentiel a été bridé, et ce, dès ma naissance! Je n’ai donc pas la faculté de me déplacer librement dans les tunnels de la trans dimension au contraire de l’Homunculus danikinensis ou encore comme pouvait le faire, dans un cours alternatif de l’histoire, la dénommée Pamela Johnson, l’espionne.

- Oui, monsieur. Il faudra m’éclairer sur cette personne.

- Je le ferai dès que ce vaisseau aura rempli sa mission… actuelle.

- Toutefois, pour en revenir aux Odaraïens, ils n’envisageaient pas la création de daryls homunculi mais bien l’exploitation d’un ADN « nu », sans le moindre support organique.

- Tout à fait, lieutenant. Si l’on parvenait à isoler l’une de mes molécules d’ADN bionique et à en réveiller toutes les facultés, les conséquences en seraient désastreuses, soyez-en certain. Cependant, nul dans cette dimension-ci, dans ce temps-ci, n’a pu jusqu’à aujourd’hui s’emparer de moi vivant ou mort. Or, si cela devait survenir un jour, ce qu’il ne faut absolument pas, et je ferai tout pour empêcher que cela advienne, l’agresseur devrait également posséder le catalyseur capable de réactiver le processus infernal… processus que je puis stopper consciemment ou subliminalement, je vous le garantis!

- Alors, commandant…

- Alors, si je l’avais voulu, il y a longtemps que je me serais libéré de toutes les entraves placées comme garde-fou par mon père et par Sarton.

Daniel Lin se tut, préférant ne pas révéler qu’il lui était déjà arrivé de se retrouver, brièvement, dans l’interdimensionnalité, d’en être enivré mais d’avoir su revenir à une réalité plus prosaïque et moins dangereuse. Il désirait tant conserver sa part d’humanité! Mais la mission que Venge venait de lui confier allait l’amener bien près de la tentation suprême…

***************

La base 650 fut atteinte en moins de quarante-huit heures. Fermat rejoignit le Langevin, chaleureusement accueilli par tout l’équipage. En effet, la plupart des membres du vaisseau avaient déjà servi sous ses ordres du temps du Sakharov. Daniel Wu lui-même avait été le premier officier d’André. Ainsi, les deux hommes se connaissaient bien, leurs forces et leurs faiblesses respectives se complétant pour former un commandement des plus efficients. Le Français allait sur ces cinquante-huit ans, mais paraissait facilement dix ans de moins, sans traitement anti sénescent. De haute taille, il dépassait Daniel de huit bons centimètres, la figure taillée à la serpe, les cheveux grisonnants coupés en brosse, les yeux d’un bleu foncé assez glacial, on ne pouvait nier, en le voyant, qu’on avait affaire à un militaire, ce que Fermat était dans l’âme! Froid de nature, peu commode, même pour ses amis, l’homme parvenait parfois à se dégeler, une fois mis en confiance. C’était le cas avec Daniel Lin, les enfants de ce dernier, mais aussi avec l’adolescente Violetta Sitruk qui ne l’appelait qu’oncle André avec une affection toute sincère.

Après le Sakharov, Fermat s’était engagé dans les corps diplomatiques et il fallait mettre à son actif quelques beaux succès: les adhésions de Mingo, Tsarm et de Pirmii à l’Alliance des 1045 planètes.

- Cela fait longtemps, dit André en descendant du téléporteur.

- Un longtemps relatif, commandant, répliqua Daniel tout en s’inclinant avec respect et politesse devant son ancien supérieur.

- Pas de formalisme entre nous, Daniel Lin…

Fermat tendit sa main qui fut serrée franchement.

- Vous n’avez pas changé, poursuivit André à l’adresse de Daniel. Toujours votre mèche rebelle, votre sourire mi-figue mi-raisin. Pas une ride supplémentaire…

- Tout comme vous.

- Vilain flatteur!

- Non, mon cher ami, c’est vrai!

- Soit! Vous avez bonne mine malgré le fardeau du commandement.

- Fardeau que nous allons partager une fois encore, André! Soupira le daryl androïde. Et dès maintenant! Warchifi, télé portez Penta p.

- Tout de suite, monsieur, répondit l’officier africain.

Moins d’une seconde après l’exécution de l’ordre, un homme brun, paraissant des plus ordinaires, ce qu’il n’était pas, aux cheveux coiffés impeccablement, à la mâchoire carrée, aux yeux noirs, se matérialisa à son tour dans la salle de transfert. Tandis que dix gardes de la sécurité s’avançaient afin d’entourer le nouveau venu, parmi eux Eloum le cygne noir et Kutu, le sergent Troodon, le dénommé Penta p dévisagea comme si de rien n’était les officiers supérieurs du Langevin. Instantanément, il identifia les humains ou apparentés. Uruhu, le Néandertalien, tout dévoué à son commandant, Antor, l’ambassadeur adjoint, un mutant qui lui rendit son regard glacial, Benjamin Sitruk qui sifflotait entre ses dents une marche militaire, Lorenza di Fabbrini l’officier médical en chef, Denis O’Rourke son adjoint, Irina Maïakovska, le numéro deux du Langevin, Daniel Wu et enfin, André Fermat.

L’ex entité ignora ostensiblement Warchifi et eut un léger sourire ironique.

- Tout ce monde pour m’accueillir? Quel honneur! Mais… Comment dirais-je? L’atmosphère me semble quelque peu tendue! Oui, voilà le terme adéquat, fit Penta p, plus connu autrefois sous le nom d’Axel Sovad.

- Mes officiers sont là pour l’ambassadeur Fermat, répliqua Daniel Wu sans aménité. Vous, vous ne méritez que la cellule de contention qui vous attend après un examen médical complet!

- Daniel ! Ah! Daniel Lin! Comme vous me décevez! Vous agissez comme si j’étais un criminel, Jack l’Éventreur en personne!

- Tout à fait exact, Penta p!

- Pourtant, j’ai respecté ma part de marché, je vous l’assure! Mais les miens ont pensé que j’avais abusé de ma liberté en permettant à l’espèce humaine de poursuivre son existence. Qu’ai-je reçu en récompense? Un exil éternel!

- Rien n’est éternel, Penta p! Vous le savez autant que nous!

- Tiens donc!

- Je ne vous fait nullement confiance! Vous pouvez simuler à la perfection l’apparence humaine! Antor?

- Pour l’instant, j’insiste sur ce point, Penta p possède bien des schémas de pensées que je déchiffre sans difficultés.

- Dois-je me sentir rassuré?

- Daniel, je le sonde de toute ma puissance…

- Je m’accommoderai de ton expertise. Docteur di Fabbrini, Sovad est à vous. Je veux un rapport complet le plus tôt possible.

- Compris, commandant. Répondit Lorenza. Bien; suivez-moi Sovad. Vous verrez, ce ne sera pas douloureux, juste un peu gênant et… humiliant!

- Ma chère Lorenza, appelez-moi donc Axel, tout simplement! Il y a si longtemps que je porte ce prénom que je m’y suis attaché!

- Holà! S’interposa bruyamment Benjamin. Tenteriez-vous de faire du charme mon épouse? Vous voulez recevoir mon poing sur votre sale gueule de play boy?

- Du calme Sitruk! Du calme! J’ai le statut de réfugié politique! Alors, de grâce, point de violence sur ma personne! Et ce, d’autant plus que j’éprouve un petit creux… Je dégusterais volontiers une soupière ce caviar Beluga accompagnée d’une cinquantaine de blinis! Arrosés de vodka Poliakov!

Irina répliqua sèchement.

- Axel Sovad, vous serez soumis au même régime alimentaire que tous les officiers à bord! Nous ne sommes ni le Ritz ni l’Excelsior!

La jeune femme était si furieuse que son accent russe ressortait davantage que d’habitude.

- Ah! Décidément, je suis tombé bien bas! Soupira Axel, faisant semblant de s’apitoyer sur son sort. Rejeté par les miens, méprisé par des animaux qui, il y a quelques millions d’années à peine, se balançaient encore aux branches des arbres ou s’essuyaient leur postérieur, lorsqu’ils y pensaient, avec des feuilles!

- Des animaux qui vous ont tenu en échec! Jeta Fermat.

- C’est plutôt là l’exploit de votre ancien capitaine, André! Il a pris depuis de l’assurance ; il m’en est redevable et il ose me jeter en cellule! Quelle splendide ingratitude!

- Un homme averti en vaut deux! Siffla Daniel Lin.

- Sans doute, mon ami… Cependant, je vous ai rendu Irina, et… amélioré cet Univers, non? Le nierez-vous? Grâce à moi, l’espèce humaine a compris que le péché d’orgueil la conduisait à sa perte! J’ai su l’éclairer.

- Assez discuté! Reprit Daniel Wu. En route pour l’infirmerie. Dépêchez-vous sinon je vous y traîne de force.

- C’est que vous en seriez tout à fait capable! Bien! Dans ce cas, j’obéis à un ordre aussi délicatement formulé.

Pratiquement deux fuseurs entre les mains, Penta p fut poussé jusqu’à l’infirmerie principale, escorté par l’élite des gardes de la sécurité.

Après un examen de trois heures, Lorenza rendit son verdict.

- Commandant, Penta p est réellement devenu un humain. Il possède des organes, du sang, un squelette, de la peau. Il ressent la douleur. Il connaît la faim, la soif…

- Et ses capacités psi?

- Antor confirme qu’il n’atteint que le niveau 200...

- Autrement dit un télépathe très moyen… Comme l’enseigne Stamon.

- Exactement.

- Bien. Vous pouvez lui permettre de se nourrir. Quelque chose de simple, de raisonnable: une salade composée, du poulet, un fruit et de l’eau. Pas d’alcool.

- Il n’y en a pas à bord à ma connaissance!

- Pourtant, pas plus tard qu’avant-hier, j’ai démantelé un alambic clandestin dans la salle des machines! Nos trois engagés Otnikaï!

- Compris, commandant, émit la doctoresse tout en se retenant de rire. Et son escorte?

- Kutu et Ftampft suffiront. Qu’O’Rourke suive pas à pas notre « invité »…

- Oui monsieur!

L’écran de communication personnel s’éteignit. Daniel Lin se tourna vers Irina.

- Je ne suis pas franchement rassurée, murmura cette dernière.

- Tu crains un coup fourré.

- Tu l’as pratiqué davantage que moi…

- Le danger ne viendra pas de lui mais des siens. Lorsqu’il aura craché le morceau, ils voudront le punir davantage. Pour l’instant, gagnons la Terre conformément aux ordres. Nous réglerons les problèmes au fur et à mesure.

Puis, le commandant Wu s’adressa à un de ses subordonnés.

- Chérifi, cap sur le Système Sol. Hyper supra luminique 15!

- A vos ordres, monsieur! Dit l’Irakien de service au poste de navigateur.

***************

Soixante-douze heures avaient encore passé. De source officielle, Naor était tombée entre les pinces des Velkriss. Le temps pressait. Tandis que le Langevin, en orbite haute autour de Terra, subissait une révision accélérée et voyait son armement tant défensif qu’offensif amélioré, que le capitaine Sitruk mettait à jour ses connaissances tactiques auprès des amiraux Prentiss et Sarduin, le commandant Wu, le capitaine Maïakovska, l’ambassadeur Fermat et son adjoint Antor étaient reçus par les deux plus hauts gradés de l’Amirauté, Trabinor d’Hellas et Venge. La pièce qui les accueillait était à l’abri de toute forme de détection, située au vingtième sous-sol de l’amirauté, sécurisée par tous les moyens techniques possibles, y compris psi.

Trabinor ne se montrait pas souvent au public humain. Il évitait le plus possible de fréquenter les Terriens, un peuple qu’il jugeait immature et violent. Pourtant, il faisait une exception pour Venge qu’il appréciait grandement à la suite d’une longue coopération. L’Hellados, à peine âgé de cent vingt ans, était dans la force de l’âge. Sa peau noire, sa taille imposante, dépassant les deux mètres dix, ses yeux gris clair rappelaient son lien de parenté avec l’explorateur mythique Albriss qu’Irina avait rencontré quelques mois plus tôt dans une histoire alternative dont cependant elle conservait quelques souvenirs vagues.

Bien évidemment, comme tous les représentants de son espèce, Trabinor ne souriait jamais, affichait un visage indéchiffrable et… se permettait sans vergogne de sonder mentalement les officiers humains convoqués.

Apparemment, il fut satisfait de son évaluation car, après quelques secondes, il permit aux membres du Langevin de s’asseoir. Ni Daniel ni Antor n’avaient été dupes du manège de l’Hellados.

- Merci de m’avoir laissé faire, dit ce dernier avec un hochement de tête dirigé vers les deux télépathes.

- Nous comprenons et ne sommes point formalisés, répondit Daniel Lin poliment.

- Je voulais m’assurer que vous méritiez tous votre niveau de sécurité actuel, 12 pour vous, commandant Wu, comme Venge et moi-même… Cela signifie qu’en cas d’alerte pourpre, si nous sommes dans l’incapacité d’assumer nos fonctions, vous pouvez diriger toute la flotte de l’Alliance…

- J’espère sincèrement que ce scénario ne se présentera pas!

- Certes! Vous, commandant Fermat, et vous Antor, avec le niveau 10, vous avez barre sur Prentiss, Sarduin, Riff, Clarembert, et tous les autres…

- S’ils acceptent la discussion… souffla discrètement Fermat.

- Naturellement. Quant à vous, capitaine Maïakovska, …

- Amiral, que fais-je ici?

- Votre niveau a été porté à 9 depuis hier soir vingt-trois heures!

- Merci, monsieur.

- J’ai hésité, je vous l’accorde. Vous n’êtes pas une Helladienne et…

- Je suis enceinte! Vous redoutez grandement que je me laisse conduire par des émotions primitives.

- C’est cela! Mais Venge m’a convaincu du contraire! J’ai cédé, pour le bien de l’Alliance.

- Vous ne le regretterez pas, Amiral; je vous en fais le serment.

- Ce qui m’a déterminé, c’est votre conduite face aux Asturkruks dans la chrono ligne 1721 ter… Quant à vos tests, ils démontrent que vous possédez un potentiel psychologique équivalent. Passons maintenant aux détails de votre mission.

Alors, Venge prit la parole, appuyant sa démonstration à l’aide d’holo projections d’un réalisme époustouflant.

- Voici l’avancée des colonies Velkriss telle qu’elle a été portée à notre connaissance par nos satellites, relais espions et informateurs. ces informations datent de moins d’une heure en temps galactique universel. Maintenant, la prochaine cible apparaît nettement.

- Sertari IV… émit Fermat, dubitatif.

Trabinor compléta.

- Oui, mais tout évolue très vite! Trop vite à mon goût! Les frontières de l’Alliance sont partout enfoncées et ce, avec une facilité surprenante pour un non averti.

Il était rare qu’un Hellados du rang et de l’éducation de l’Amiral affichât ainsi devant témoins de pareils sentiments. Cela dénonçait la gravité de la situation.

- A ce train-là, reprit André, notre Empire s’effondre en un an! Bon sang! Que fait donc notre flotte? Les vaisseaux de la génération du Sakharov, les Ambassadeur, les Liberté, les Laplace, les Jay Gould?

- Ils résistent autant qu’ils le peuvent! Mais, eux, ne disposent du moteur transdimensionnel, répondit Venge d’un ton sec.

- Nous y voilà enfin! Pensa Daniel.

Une fois encore, le sort de la Galaxie reposait sur ses épaules ainsi que sur celles de tout son équipage. Or, le daryl androïde commençait à ressentir un sentiment de lassitude dans lequel la contrariété avait sa part.

Irina se permit une question.

- Ne pourrions-nous pas équiper quelques vaisseaux de la même technologie vu l’urgence?

- A nos meilleurs techniciens et ingénieurs, il faudrait six mois, renseigna Venge froidement. Et, dans l’état actuel, nous ne pouvons retirer du front le moindre navire, fût-il de la taille d’une corvette! Il est évident que les Velkriss et les Castorii dissidents jouissent de l’appui de la Dimension p. Ah! Rajoutons le soutien des Haäns!

- Comment cela? Questionna Antor.

- Il s’agit des Haäns du futur, pas des nôtres! Ils sont à la fois originaires du XXVIII e siècle, conduits par Tsanu XIII, et du XXXe siècle! Ces derniers, incontestablement les plus dangereux, ont dans leur manche un atout majeur: le chercheurs spécialisé en déplacements chrono lignes inter temporels Zoël Amsq!

- Comment avez-vous obtenu une telle information? S’enquit Daniel Lin étonné.

- Une bouée inter temporelle nous est tombée par mégarde (?) entre nos mains.

- Heureuse coïncidence! Reprit le daryl androïde.

- Ce Zoël Amsq est celui à qui je dois en quelque sorte mon existence, jeta Antor amèrement. Je ne l’en remercie pas!

- Penta p vous a donc renseignés… émit Venge songeur…

- C’est cela!

- Donc, les p, rompant le contrat passé autrefois ailleurs avec le commandant Wu, poursuivit l’Australien, ont donné un nouveau coup de pouce afin de rétablir l’unité de l’Empire Haän et ce, pour les cinq prochains siècles pour le moins.

- Logique! Conclut Trabinor. Ils veulent un retour et une stabilisation de la chrono ligne la plus probable.

- Ici, la chrono ligne la plus probable est celle où la Terre explose en 2045, jeta Daniel Wu avec désinvolture… or, cela …

Le daryl stoppa net. Nul ne s’aperçut de cette interruption. Qu’allait-il dire de fatidique? « or, cela je ne puis le tolérer! »? Peut-être. Bien des anomalies allaient encore s’accumuler dans le déroulement de cette intrigue, anomalies que nous ne soulignerons plus… A vous de les relever et de comprendre où nous désirons en venir, cher lecteur…

- Certes, commandant Wu, articula Trabinor, mais les possibilités, illimitées, existent ailleurs, au sein d’univers bulles raccordés par des super cordes …

- Le labyrinthe boyaux du motard qui me poursuit en rêve…

- Comme vous le dites si poétiquement! Proféra Venge avec un léger sourire.

- Commandant Wu, dois-je vous rappeler que l’heure n’est pas à donner un cours de physique avancée transdimensionnelle dans un hyper espace remodelé sans cesse au sein d’un Chaos multiforme, éternel, illimité et insaisissable? Vous connaissez maintenant la véritable raison de l’affectation à bord du Langevin du lieutenant Tony Hillerman! Mais vous ignorez encore précisément l’aboutissement des recherches finales de Stankin, le maître de Sarton.

- Amiral Trabinor, je m’en doute! Sans ces recherches, je n’existerai pas! Il n’y a pas de hasard. Tout est déterminé, oh, pas dans les moindres détails, mais…

- Poursuivons sur quelque chose de plus concret! Stankin redécouvrit en 2190 du calendrier chrétien la synthèse biologique informatique transtemporelle des Odaraïens. Puis, passant de la théorie à la pratique, il construisit un appareil que nous avons appelé translateur bio temporel à déplacement instantané dans les probabilités du Pan Multivers.

- Sans doute cet appareil avait-il également la faculté de remodeler n’importe quelle biosphère par l’utilisation d’un élément catalyseur, compléta Daniel Lin.

- Après les révélations d’Axel Sovad, vous vous êtes penché sur la question! Poursuivit Trabinor. Fascinant! En si peu de temps, tirer de telles conclusions abouties! Or, cet élément catalyseur, vous l’avez évidemment compris, activait un ADN transtemporel « bionique ». Mais, Stankin n’avait pas mesuré toute la portée de sa découverte. Il n’avait pas assez… réfléchi… Pour un Hellados, c’est une faute impardonnable. Au contraire, nos ennemis qui espionnaient le passé dans le but évident d’améliorer leur part, saisirent immédiatement l’opportunité des travaux de mon compatriote.

L’Hellados se retint d’afficher davantage son regret.

- La suite, c’est de l’histoire! Fit Fermat en baissant les paupières.
- Comme vous dites. Stankin et son translateur bio temporel furent portés disparus après avoir franchi la ceinture de Oort dans des conditions aléatoires le 12 avril 2192 selon l’ancien calendrier! Ajouta Venge sur un ton indéfinissable.

- Belle précision, remarqua alors Irina. Nonobstant le fait que le pseudo Axel Sovad a parlé, vous l’avez obtenue comment?

- Par nos chrono visions branchés en permanence en direction du passé depuis que les Velkriss nous menacent, fit Trabinor redevenu impassible.

- Être amiral en chef de la flotte de l’Alliance a ses privilèges, déclara Fermat avec un humour pince-sans-rire.

- Effectivement! Toutefois dois-je vous rappeler que nos ennemis ont encore moins de déontologie et d’éthique que nous? Rappelez-vous le tout premier complot Haäns p, ensuite celui des Asturkruks…

- Pas de polémique vaine qui nous ferait à tous perdre un temps précieux, jeta Daniel conciliant. Amiral, nous vous écoutons avec la plus grande attention.

- Stankin avait été pris en chasse par les Velkriss, reprit Trabinor comme si de rien n’était, commandés par Zoël Amsq. Pour échapper à la meute, il dut se poser précipitamment sur Terra tout en dispersant les différentes pièces de l’appareil tant convoité sur différentes chrono lignes dérivées et à différentes époques. Votre mission consiste à: premièrement, prendre les Velkriss de vitesse, deuxièmement, retrouver Stankin et le récupérer sain et sauf, troisièmement, reconstituer le bio translateur transtemporel…

- Ah! Afin de nous en servir?

- Non! Commandant Wu! Vous devrez avoir détruit l’élément principal catalyseur d’ADN.

- Je vois. Mais vous avez conscience que je suis un parfait substitut dudit catalyseur, n’est-ce pas?

- Votre éthique et votre éducation feront que jamais vous ne franchirez le pas! Asséna Trabinor

- D’accord, amiral. Mais, toutefois, si jamais je tombais entre les mains des Haäns?

- Vous connaissez votre devoir…

- Certes… je devrais m’autodétruire.

- Irina frissonna. Préférant chasser ses noires pensées, elle enchaîna.

- A quelles coordonnées devons-nous nous rendre? Qui nous accompagnera?

- Oh! Le commandant Wu est tout à fait libre de choisir l’ordre des voyages temporels, en fonction des opportunités, déclara Venge presque détendu maintenant.

- Vous amènerez avec vous le capitaine Maïakovska, fit l’Hellados s’adressant au daryl androïde, le commandant Fermat, l’ambassadeur adjoint Antor…

Les trois susnommés inclinèrent leur tête en signe d’assentiment.

- Tony Hillerman. Vous complèterez votre groupe avec deux ou trois éléments de votre choix, pas forcément des officiers ou des engagés.

- Cela signifie que Benjamin Sitruk prendra le commandement du Langevin.

- C’est cela. Nous avons des projets pour lui. En votre absence, il est le plus apte à manœuvrer le vaisseau face à l’ennemi coalisé. Ah! Ne m’objectez pas qu’il y a des civils et des enfants à bord. Le Langevin est chargé d’établir une diversion puisque Penta p est la chèvre.

- Qu’a-t-il précisément révélé hormis ce que vous nous avez dit? Questionna Fermat quelque peu sceptique quant à la stratégie suivie.

- Hé bien, fit Venge, le lieu de chute des différents éléments du bio translateur ainsi que les identités des bandes adverses.

- Nous n’aurons donc pas à nos trousses que Amsq et consorts! Conclut le Français.

- Une pièce se trouve en Grande-Bretagne, à la fin du XIXe siècle, compléta l’Hellados.

Au fur et à mesure qu’il développait, les différentes parties de l’engin holo simulé du bio translateur se matérialisaient avec leurs caractéristiques techniques ainsi que leurs coordonnées exactes tant dans l’espace que dans le temps.

- Trois autres en France, disséminées entre le XIIIe et le XIXe siècles, de la Normandie à l’Auvergne en passant par la Bourgogne et les Causses…

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- Un saut de puce pour l’amiral habitué à voyager à la vitesse de la lumière dans presque toute la Galaxie! Pensa Fermat.

- Un cinquième élément a été localisé chez les Pygmées Mbuti quelque part dans le Bassin conventionnel du Congo…

http://users.skynet.be/aloube/images/Congo_-_Pygmees.jpg

- Tiens donc, émit Daniel. Notre Hellados a le sens de l’humour même s’il se refuse à l’admettre. A ses yeux, le Bassin conventionnel du Congo a la taille d’un mouchoir de poche. Quant à moi, je ne suis qu’une particule dans ce mouchoir, en quête d’une autre particule! J’ai envie de rire! Dommage que la situation ne s’y prête pas!

- Entre 1890 et 1935 d’après les renseignements d’Axel Sovad, corroborés par nos chrono visions.

- A moins qu’il n’ait appartenu à une civilisation « alternative » ayant peuplé cette même région. Asséna Venge.

- La sixième pièce, termina Trabinor, a été située au Mexique, dans une civilisation afro pré colombienne déviée de 2,0057%.

- Pourquoi pas? Après tout, un peu d’exotisme ne nous fera pas de mal! Siffla Fermat. Il me semble bien avoir eu autrefois un contact avec cet Univers… me trompé-je?

- Lors de la seconde piste, tandis que nous mettions au point un matérialisateur temporel chez von Hauerstadt, approuva son ancien subordonné.

- Messieurs! Fit Trabinor sévèrement. La septième et dernière partie, celle à détruire absolument, s’avère la plus difficile à atteindre. Elle se situe en effet dans un univers dévié du nôtre de plus de 75%, au sein d’une bulle dont rêvaient les Odaraïens qui aurait pu être dominée par Opabinia et ses alliés.

- Quant à Stankin lui-même, il est prisonnier d’un chef de guerre, en Égypte, vers 1250, mais assurément pas dans notre chrono ligne…

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- 1250? Les Croisades! S’exclama Irina. Y compris dans ce temps dévié?

- Exact, capitaine Maïakovska!

- Par sainte Sophie! La chaleur étouffante, le sable, la soif, les insectes, les scorpions, les serpents, la vermine, le désert, les Infidèles, les Croisés fanatiques, la guerre, le sang qui coule, la lèpre…

- Tout cela vous fait-il donc peur? Hasarda Venge.

- Non! J’ai vu et connu pire!

- Dans ce cas, articula Trabinor, il va de soi que vous acceptez. Lors de vos déplacements, vous pourrez solliciter l’aide de quelques autochtones. Je pense bien évidemment au dénommé Franz von Hauerstadt, l’ancêtre de votre époux. Ne lui révélez que l’essentiel…

- Encore cette directive première!

- Vous pourrez vous attacher le soutien des adversaires du comte Galeazzo di Fabbrini.

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- Euh, Tellier doit être mort à la fin du XIXe siècle!

- Pas du tout, commandant Fermat.

- Quant à moi, j’aimerais connaître l’identité des alliés de Zoël Amsq!

- Vous verrez sur place! Mais l’ambassadeur adjoint en a déjà une idée… n’est-ce pas?

- Je l’avoue, Amiral…

- Quant aux autres bandes, elles ne viennent pas de notre futur, si cela peut vous rassurer, commandant Wu.

- Il vous appartient, conclut Trabinor de réussir, dans les plus brefs délais. Ici, nous tâcherons de limiter les pertes au maximum. Ensuite, nous reproduirons ces bio translateurs bridés et nous en munirons deux vaisseaux expérimentaux actuellement en chantier.

- Ah! Nous y voilà! Jeta Daniel Lin.

- C’est le plan B… mais si vous avez réussi à agir à la source en éliminant Amsq, je pense que nous nous en accommoderons… tous! « La cause est suffisante ! », ce me semble!

- Vestrak serait-il allé jusqu’à l’assassinat? Demanda innocemment Fermat. Je croyais qu’il avait rejeté toute forme de violence et que vous le suiviez depuis aveuglément alors que nos ancêtres en étaient encore à manger des charognes et à se sauver devant les hyènes et les lions!

- Commandant Fermat, déclara sèchement Trabinor, notre passé devrait vous être enseigné!

Sur ces mots, l’Hellados s’inclina mettant ainsi un terme à l’entrevue.

***************

A bord du Langevin, le chef pilote Uruhu consultait régulièrement le docteur Lorenza di Fabbrini. Timide, mal à l’aise avec les Niek’Tous, le Néandertalien se sentait plus en sécurité auprès de la jeune femme qu’avec Manoël, le psychologue. Ainsi, il se confiait à elle, lui racontant ses rêves qui s’avéraient prémonitoires la plupart du temps, une fois décryptés. Uruhu possédait des dons médiumniques qu’il ne fallait ni ignorer ni mépriser. Depuis déjà une quinzaine de nuits il était sujet à des songes étranges, des voyages oniriques qui se répétaient avec régularité, s’imbriquaient et se complétaient peu à peu.

- Je vois distinctement Pi’Ou me parler dans le langage sacré, disait le K’Tou de sa voix hésitante et grave, puis le Grand Ancêtre des hommes qui marchent debout se transformer en Niek’Tou,mais un Niek’Tou d’une autre époque qui n’appartient ni à ici ni à mon monde.

- Précisez davantage, lieutenant, fit Lorenza particulièrement attentive et professionnelle. Du futur ou du passé?

- Cet homme vit certainement dans le passé… mais dans un passé bien postérieur à celui de la guerre K’Tous contre Nieks’Tous. Il me semble qu’il ne porte pas de vêtements aussi pratiques que les nôtres à bord. C’est fort difficile à décrire pour moi. Je connais mal l’histoire de l’humanité qui a remplacé mon espèce. Il parle. Et, dans mon rêve, je le comprends. Pourtant, ce que j’entends n’est ni du « Basic English », la langue humaine universellement comprise sur la planète et dans la plus grande partie de la Galaxie, ni l’idiome de ma tribu. Ses cheveux ont la même teinte blonde que les miens. Ses yeux ressemblent à ceux du commandant Wu, bleu gris comme vous dites…

- Alors, peut-être idéalisez-vous Daniel Wu, celui qui vous a tiré du Paléolithique moyen et…

- Absolument pas! S’irrita Uruhu. Je sais parfaitement que le commandant a les cheveux châtain roux foncé. Il ne présente pas le même ovale non plus! L’homme a sur le flanc une arme… blanche, mais pas un ridicule sabre laser comme dans les holo films. Toutefois cela y ressemble. Ça me paraît plus ancien. Il est vêtu d’une tenue immaculée, de la couleur de la première neige, celle qui tombe à la fin octobre et qui étincelle au petit matin au soleil levant juste avant de fondre. Sous sa tenue, il porte une combinaison de fer, cependant pas comme celle des Haäns.

- Que vous dit-il? Demanda le médecin chef de plus en plus intéressée et intriguée.

- Il s’adresse à moi, effectivement. Mais je n’arrive pas à retenir son message. Je crois, toutefois, qu'il veut que nous venions à son aide. Je ne saisis pas très bien. Il n’est pas comme les autres Nieks’Tous! Pas comme le commandant non plus. Il respire la quiétude, la compréhension, la su… avité?

- La suavité? Uruhu, vous auriez dû venir me consulter depuis le début de ces rêves!

- Pardonnez-moi, docteur. Vous me connaissez. Je crains tant d’être incompris et de me montrer ridicule!

- Bon sang, lieutenant! Vous possédez incontestablement un don précieux! Vous êtes compétent et méritez amplement votre grade! Ne vous rabaissez donc pas ainsi!

- Docteur, ce n’est pas cela! Pourquoi, pour un simple « caprice » aurais-je demandé au vaisseau de détourner sa trajectoire?

- Vos rêves ne sont nullement des chimères, Uruhu. Je suis familiarisée avec le fonctionnement particulier de votre cerveau. S’il est plus volumineux que celui des Sapiens modernes, c’est parce qu’il est doté d’une zone qui s’est développée de manière spécifique au contraire des Nieks’Tous. Dans votre façon de penser, d’appréhender l’existence et le monde, les coïncidences n’existent pas! Tout ce qui se passe résulte de la volonté d’une déité première tant dans le domaine des phénomènes visibles qu’invisibles. Tout se lie. J’ai un moyen pour lire et comprendre votre rêve. Je vous propose de tenter l’expérience suivante: acceptez-vous de vous brancher sur le décrypteur d’ondes paradoxales?

- Oui, docteur. Je ne crains pas la douleur!

- Mais ce n’est pas du tout douloureux! Vous ne ressentirez rien physiquement, je vous l’assure! Nous pourrions essayer dès ce soir…

- Volontiers. Mais… ce nous?

- Le commandant Wu, moi-même, et… Tony Hillerman, notre historien.

- Je n’aime pas les Nieks’Tous à sa semblance! Mais, docteur, je suppose que je n’ai pas le choix.

- Ah! Je saisis. Hillerman vous rappelle la tribu qui a exterminé la vôtre! Il n’a rien à y voir dans ce génocide, Uruhu! Il n’est pas coupable des fautes de ses lointains ancêtres.

- J’en ai conscience, mais, parfois, bien trop souvent à mon goût, mes instincts parlent trop fort.

***************

23h53, ce même soir. Daniel Wu, l’officier médical en chef et Hillerman se tenaient prêts à visualiser les images engendrées par les rêves du Néandertalien. Mis en confiance par le commandant qui avait usé de ses pouvoirs télépathiques vis-à-vis de son subordonné afin d’évacuer son stress, Uruhu s’était donc montré de bonne composition.

Un écran sphérique occupait presque toute la surface d’une table en plastacier qui, pour l’instant, restait opaque. Des sortes d’électrodes, mais plus perfectionnées, formaient une sorte de casque coiffant le crâne et le front du lieutenant. Affalé sur le ventre, totalement détendu, le K’Tou dormait, ronflant bruyamment.

Dans la cabine pas si vaste flottait une vague odeur de poisson cru. Uruhu venait d’atteindre la phase paradoxale du sommeil grâce à un traitement spécial administré par la doctoresse. Son premier rêve était tissé de ses souvenirs immédiats et ne montrait donc rien de sensationnel. L’installation de l’appareil, la présence de l’archéologue historien qui exaspérait quelque peu notre K’Tou craintif. Hillerman ressemblait juste un peu trop aux Nieks’Tous de l’enfance du Néandertalien.

Cependant, lentement et fort progressivement les images se troublèrent, se firent de plus en plus confuses, devenant à peine lisibles. Désormais, il n’y avait aucun lien logique dans ce qui était vu par les trois officiers. Des couleurs heurtées, trop vives, des formes dérangeantes, des focalisations et des changements brutaux de champs, des angles à 180°. Toutefois, une tête simiesque ressemblant à celle d’un chimpanzé Bonobo se mit à flotter sur l’écran sphérique. A chaque milliseconde, elle se précisait davantage, acquérant un caractère réel. Maintenant, tout allait très vite.

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Bientôt, la tête émit des sons inarticulés puis modulés. Manifestement, l’inconnu parlait, cherchant à communiquer, et ce, dans le langage sacré du Grand Ancien.

Au fur et à mesure que le rêve progressait, la tête se modifiait, tant en forme qu’en taille. Le pré Australopithèque se transforma en Homo Erectus de Java ou de Mojokerto.

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En arrière plan, un décor apparaissait, prenant de la consistance, véritable mosaïque enchevêtrée d’habitats préhistoriques qui, eux aussi, évoluaient à l’accéléré depuis la simple hutte de branchages maladroitement assemblés jusqu’au cloître des abbayes romanes!

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D’Erectus, l’inconnu devint un Sapiens moderne puis un homme médiéval. A l’intérieur de l’écran se tenait désormais un chevalier blond, à l’allure nordique, dont le visage aux traits réguliers, - presque idéalisés-, laissait transparaître une bonté infinie. Ce visage brillait d’un éclat intérieur comme si son hôte vivait une extase permanente.

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En fait, l’être ressemblait aux représentations qu’on voyait tant dans les églises avec un sourire ineffable. S’agissait-il donc d’un ange ou d’un archange? Lorenza sursauta et s’exclama.

- L’Ange de la cathédrale de Reims!

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C’est… Impossible! Pourtant, Uruhu n’a jamais vu ce lieu! Pour lui, la religion catholique est aussi éloignée de ses croyances que celles des Dayaks de Bornéo!

- Silence! Lui intima mentalement le commandant Wu.

Maintenant, parlait d’une voix mélodieuse. Il s’exprimait en moyen français ce qui rendait ses propos difficilement compréhensibles. Hillerman eut une moue de déception. Le docteur se concentra pour capter la signification des paroles du chevalier. Daniel, quant à lui, n’avait pas ce problème, ayant déjà voyagé au Moyen Âge et s’étant rendu à Paris sous Philippe le Bel. Néanmoins, le français utilisé par l’inconnu était un peu plus ancien.

- Sire Philippe suis, chevalier de Nostre Seigneur Louis le Neuvième, au service des faibles, des dolents et des indigents. Point d’importance n’a ma personne. Dieu, du haut du ciel, m’a fait signe et commandé de vous parler. Moult besoin de votre aide j’ai, car nul en ce royaume ne peut présentement pourvoir en suffisant secours. Pour l’heure, messire Stankin croupit dans les geôles de l’infidèle sultan Ayyub, de la maison de Saladin.

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Il gît en un noir cachot d’Égypte sans que notre roi, suzerain seigneur, parti pour la croisade avec l’ost des francs chevaliers ait ouï connaissance de son sort. Suis bien seul pour accomplir la délivrance de messire des étoiles. Adonc, requiers assistance promptement. Venez, doux sires, me retrouver en la bonne ville de Clermont en Auvergne où pape autrefois prêcha la croisade. Il avait nom Urbain le Deuxième. Accourez messire Daniel. Pourrai alors délivrer messire Stankin. Auparavant, nous cheminerons ensemble afin de prendre possession de la mandorle de gloire irradiante. D’elle, peut sortir le Bien comme le Mal, selon l’usage qu’en auront mes frères humains. Dieu le commande, Dieu le veult!

L’apparition pâlit tandis que l’écran tridimensionnel redevenait opaque. Uruhu passait à une autre phase de sommeil, s’enfonçant plus profondément dans l’inconscience. Ses ronflements cessèrent. Cependant le message espéré avait été délivré. Le plus silencieusement qu’elle le put, la doctoresse démonta le décrypteur paradoxal puis rejoignit les autres officiers à l’extérieur de la cabine du Néandertalien. De bonne grâce, Hillerman déchargea la jeune femme. Mais Lorenza arborait sa tête des mauvais jours.

- Commandant, demanda-t-elle abruptement, que pensez-vous de tout cela? Imagination de notre chef pilote, influence psychique inconnue ou… coïncidence?

- Lorenza, un peu de sang froid, je vous prie. La situation est assez complexe comme cela. Ici, il n’est nullement question d’imagination ou d’hypnose. Uruhu et vous-même ignorez la teneur précise des ordres des amiraux Venge et Trabinor. Tous deux m’ont demandé de récupérer au plus vite les éléments du bio translateur mis au point par Stankin. Ainsi, la mandorle de gloire irradiante citée par le chevalier ne peut être que le multiplicateur d’énergie. Nous avons donc la confirmation que cette pièce a bel et bien atterri en Auvergne au XIIIe siècle. Nous savons aussi que deux autres éléments sont également en France. D’après vous où et quand devons-nous partir et nous rendre en premier lieu, lieutenant Hillerman?

- Logiquement pour l’Auvergne puis en Égypte vers 1249-1250 puisque ledit sire Philippe nous a obligeamment renseignés sur la septième croisade du roi Saint Louis et sur l’identité du geôlier de Stankin. Ensuite, nous récupérerons les autres pièces françaises puis l’anglaise.

- Soit, fit Daniel. Mais je vais prendre également l’avis de l‘ambassadeur adjoint Antor qui étudie actuellement à l’aide de mon chrono vision une localisation plus précise des trois éléments.

- Commandant, interrompit Lorenza, retenant Daniel, que penser de ce chevalier qui connaît le nom de Stankin et le vôtre? Pouvez-vous expliquer cela?

- Tout d’abord, j’ai cru être en présence d’un agent temporel, un Michaël. Un MX issu de la première piste temporelle, un Homo Spiritus… Mais, très rapidement, je me suis rendu compte de mon erreur. Comment dire? Cet être n’a rien de réel. Le monde médiéval dont il est issu n’aboutit nullement à notre Univers.

- Nous aurions été en contact avec lui grâce à un couloir quantique transdimensionnel?

- Oh! Il n’y a rien d’inhabituel ou d’extraordinaire là! Mais je vais voir Antor. Espérons que ses observations me permettront de décider et dans le bon sens. Le temps presse. D’ici douze heures au plus tard, je dois m’être rendu sur une des Terres du passé. Avec le capitaine Sitruk vous resterez sur le Langevin. Le vaisseau devra affronter de nombreux ennemis et…

- Encore! Dieu du ciel! Avec les enfants qui sont à bord…

- Justement: un personnel médical compétent mais aussi et surtout un capitaine fin tacticien aux commandes comme votre mari feront la différence! Ah! Inutile de me demander si je sais exactement ce qui doit advenir! Le chrono vision ne permet pas de visualiser le futur avec autant de précision. Il ne donne que des tendances.

- Avec qui partons-nous, monsieur?

- Hillerman, vous verrez. Docteur, j’ai le regret de vous dire que votre fille sera de l’aventure! J’ai besoin de ses aptitudes de métamorphe.

- Daniel… balbutia di Fabbrini.

- Je vous jure que je veillerai sur elle du mieux que je le pourrai! Irina fera de même. Je n’ai pas le choix… Et il s’agit là d’un ordre, capitaine di Fabbrini! Désormais, Violetta a le grade d’enseigne stagiaire selon les décisions de l’amiral Venge. L’état de guerre lui permet de mobiliser qui lui paraît le plus utile pour les missions délicates.

- Monsieur, je n’ai jamais discuté un ordre direct! Lança fièrement le docteur.

- Merci, Lorenza, nous nous sommes compris.

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Dans les appartements privés de Daniel Wu, malgré l’heure tardive, Antor faisait son rapport, confortablement installé dans un fauteuil profond et moelleux, savourant ce qui, aux yeux d’un profane pouvait passer pour une simple tasse de thé. Face à lui, sur le divan, Fermat attendait patiemment, humant avec délectation l’arôme de son café Arabica grand cru, nullement choqué par le breuvage spécial du diplomate. Il s’y était habitué depuis longtemps déjà. Plongé dans le silence, Daniel se contentait d’observer ses deux amis, respectant la retenue introspective d’Antor, comprenant que les paroles de ce dernier allaient bouleverser le plan préétabli. Enfin, levant son long visage crayeux d’albinos, le mutant s’exprima avec une lenteur calculée, articulant soigneusement ses mots.

- J’ai vu Zoël Amsq à Londres en 1890. A cette époque, trop affaibli par mon saut temporel non désiré, je ne suis pas parvenu à lire dans ses pensées. Si cela avait été le cas, nous n’en serions pas là! De plus, si j’ai pu voir le Haän, c’est qu’il s’est allié à celui qui m’avait capturé, sir Charles Merritt, l’héritier spirituel du comte Galeazzo di Fabbrini.

- Qu’avait-il de particulier, ce Zoël Amsq? Questionna André, intéressé.

- Il ressemblait à un Asiatique bien terrestre. Sans doute un grimage… or, tout à l’heure, je l’ai revu sur l’écran du chrono vision Cela m’a fait une étrange impression. Assister ainsi de l’extérieur à ma capture par les hommes de main de l’Anglais! Il y avait tantôt cinq mois environ que je vivotais dans cette mégalopole brillante qui se voulait la capitale du monde occidental, au faîte de sa gloire, mais pourtant décadente, sordide, repoussante, une ville monstrueuse dont je n’étais pas la créature la plus dangereuse…

- Antor, ce n’est pas ta faute si tu es…

- Penta p m’y expédia un soir d’un 1966 autre et pourtant presque semblable à celui de votre Univers… Mais, là, aujourd’hui, il est à notre merci… ma magnanimité reste fragile. Savourer ma vengeance serait si tentant! Mais, à vos côtés, j’ai appris à respecter tous les êtres pensants, même les plus hideux, à … pardonner également!

Pragmatique, refusant tout étalage de sentiments ou d’émotions, Fermat remit la conversation sur les rails.

- Donc, si je vous comprends bien, vous essayez de nous dire qu’il faut nous rendre en priorité dans ce Londres-ci!

- André, ma personne compte peu! L’essentiel n’est pas là, dans ma délivrance! Ce que j’ai vu est primordial. Zoël Amsq a aidé Merritt à voler en septembre 1890 deux des éléments « français » du bio translateur, celui de Normandie et celui de Bourgogne!

- Alors cela signifie qu’il aurait en sa possession le téléporteur et le chrono vision de l’appareil! S’inquiéta le Français à juste titre.

- Qu’en est-il de l’élément anglais? Fit Daniel concentré et apparemment sans trouble.

- Merritt l’a aussi par l’intermédiaire cette fois-ci d’un certain Lord Percival Sanders, soupira Antor gravement.

- Effectivement, la situation ne nous est guère favorable! Déclara froidement le commandant Wu. Cependant, Amsq détient le moteur, mais pas une source d’énergie suffisante pour sortir de la chrono ligne. A moins que…

- Ne t’inquiète pas, souffla le diplomate.

- Vous craignez que Amsq et consorts soient capables de mettre l’appareil en route? Aucun risque! Hasarda Fermat.

- Pas d’accord, André! Jeta brusquement Daniel Lin. Galeazzo a bien réussi à créer un Homunculus avec encore moins de technologie à sa disposition!

- Mais il avait reçu l’aide de Sarton, mon ami!

- Ici, Amsq, un Haän du XXXe siècle aide Merritt. Or, notre scientifique possède bien plus de connaissance qu’un Hellados du XXIIe siècle, même si ce dernier s’avère être le génial Stankin!

Daniel Lin marqua une courte pause puis reprit sèchement :

- Nous partons dans quatre heures avec le vaisseau scout Einstein.

- Entendu! Qui nous accompagnera? Demanda André.

- Outre les susnommés désignés par Venge et Trabinor Uruhu s’impose, naturellement. Certes, Antor et moi-même sommes télépathes, mais lui est un médium hors pair!

- Moi, j’avais pensé au lieutenant Kiku U Tu.

- Oui, je suis d’accord.

- Il affrontera le raptor « domestiqué » par Merritt! Lança Antor.

- Nous payons cher nos erreurs de 1966 de l’histoire originelle!

Placide, Fermat répondit.

- L’erreur est humaine, dit le vieux proverbe! Quelle troisième personne envisagez-vous, Daniel?

Innocemment, le commandant Wu leva les yeux, scrutant apparemment le plafond puis jeta tout de go :

- Ambassadeur, vous n’allez pas aimer! Violetta Sitruk! Notre groupe aura besoin d’une métamorphe. Et comme je ne puis dépouiller le Langevin de son meilleur médecin…

- Cette gamine risque de tout gâcher! Proféra André irrité et mécontent effectivement.

Antor sourit alors.

- Chapitrée comme il faut, elle saura éviter les bourdes!

- Qu’elle collectionne avec une belle régularité si je me souviens bien!

- Lorenza s’est rendue à mon ordre. Sitruk commandant mon vaisseau par intérim, nous avons une minuscule chance, disons 5%, de mener à terme notre mission, de revenir vivants et de retrouver mon équipage en bonne santé!

- Puisque ces 5% vous satisfont! Une fois sur place, qui recrutons-nous? Fit André en soupirant.

- Frédéric Tellier et sa bande, évidemment!

Antor approuva.

- Sur l’écran du chrono vision je l’ai entraperçu effectivement. Malgré son âge, soixante et un ans, il m’a paru en pleine forme.

- Soixante et un ans, ce n’est pas si vieux! Siffla Fermat.

- En 1890, oui! Euh, André, ne vous fâchez pas…

- Daniel Lin Wu, un court instant, j’ai pensé que vous me jugiez obsolète avec mes cinquante-huit ans!

- Aucun risque! Aujourd’hui, dans l’holosimulation, vous m’avez impressionné! Je le reconnais volontiers. Sourit Daniel sincèrement. Le niveau 12!!! Chapeau bas!

- Ah! Ah! Heureux de le constater! Le vieux baroudeur vous surprendra encore!

- Nous n’en doutons pas une seule seconde! Firent Antor et le daryl androïde ensemble.

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