samedi 1 septembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle : 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 15 2e partie.


À bord du Vaillant, François Vidocq était « cuisiné » avec art. Cependant, la plupart du temps, il restait muet, et, les rares fois où il ouvrait la bouche, c’était pour prononcer des banalités et des généralités. Il marquait son ignorance y compris devant les preuves avérées de sa participation plus ou moins directe dans le complot visant à assassiner l’Empereur. Pourtant, ni Fermat ni Tellier n’étaient des novices en matière d’interrogatoire. D’ailleurs, le maître espion aurait bien voulu s’impliquer davantage afin d’obtenir des aveux complets ainsi que des renseignements complémentaires concernant di Fabbrini et Danikine, mais ç’aurait été dévoiler ses talents cachés.
Daniel Lin assistait à toutes les séances, se tenant en retrait, les yeux dans le vague, affectant une lointaine indifférence. Toutefois le vice amiral n’était point dupe de cette attitude.
- Par la barbe de Cassio, le fondateur vénéré de la Guilde Otnikaï, rugit Craddock, je renonce! Ce type s’avère aussi disert que le gisant de mon arrière grande tante Amanda! 
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S’essuyant le front avec un tissu crasseux, le Cachalot de système Sol s’en vint s’asseoir auprès du commandant Wu.
- Mon gars, j’crois bien que là, on court à l’échec, souffla Symphorien à l’adresse de Daniel Lin. En tout cas, j’admire notre danseur de cordes. Lui, il n’a pas l’air de se décourager. Et donner des mauvais coups, boxer des mâchoires, faire cracher des dents, cela ne lui répugne pas.
- Vous oubliez aussi le supplice du feu revu et corrigé, rajouta le daryl androïde sur un ton indéfinissable.
- Oui, commandant, en effet. Pas mal le coup de rôtissoire des fuseurs! Tellier rend à Vidocq un chien de ma chienne. Si je me souviens bien, c’est le François qui a mis fin aux douteux exploits des « chauffeurs du Nord ». 
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- Ah! Symphorien, tout cela est odieux et ignoble. Et je laisse faire… je me dégoûte!
- Tout de même, vous n’allez pas gerber?
- Non, je vais intervenir. C’est bien plus que je puis supporter. Fermat éprouve un évident plaisir malsain à torturer notre prisonnier. Quant à Frédéric, il s’en moque. Je ne me pardonne pas de l’avoir capturé.
- Vous allez user de quelle arme pour faire parler cet escogriffe? Car vous voulez le faire parler, non? Un coup de sonde télépathique, une fusion mentale?
- Je vais commettre un viol psychique, capitaine Craddock. Mais il sera moins douloureux que cette abomination. Ensuite, hé bien, j’occulterai mon intrusion. Ce que je vais entreprendre me révulse, va à l’encontre de ma nature profonde, mais nous avons véritablement besoin de renseignements. L’enjeu est trop important. Vidocq, j’en suis persuadé, n’est pas qu’un complice de deuxième ordre. Un mien ancêtre, vivant dans plusieurs chronolignes alternatives avait cette devise: «  on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Je vais le prendre comme exemple. Tant pis pour moi.
Le regard assombri, les yeux presque comme des puits noirs et profonds, le visage fermé, le daryl androïde s’avança jusqu’au recoin où Vidocq, pantelant, pâle et glacé, une trace sanglante à la commissure des lèvres, attendait le prochain supplice.
- Tellier, ordonna le commandant d’une voix dure et sans réplique, détachez sa main gauche.
- Commandant Wu, osa l’Artiste, je n’en ai pas terminé avec lui!
- Je ne vous demande pas de le relâcher, mais de me laisser agir. Vous n’obtiendrez rien de lui ainsi. Vous le savez comme je le sais. Vidocq possède une résistance remarquable à la douleur. Il n’y a plus qu’une solution: forcer mentalement son esprit jusqu’à y atteindre les couches les plus profondes afin d’y lire les secrets qui y sont enfouis.
- Dans ce cas, Daniel Lin, procédez. La place est à vous.
- Attendez! S’écria alors Fermat, le front soudainement rembruni. Commandant, vous pouvez regretter cela.
- Amiral, je n’userai pas de toute ma Puissance, je vous le promets. Je ne tiens pas à faire de cet homme… un légume.
Sans s’en rendre compte, Dan El avait eu des éclats de tonalité dénonçant sa qualité de Ying Lung. Gana-El, se forçant à dominer son inquiétude, dit pour la forme:
- Néanmoins, le risque existe, Daniel Lin.
- Je n’ai pas le choix…
Lorsqu’il sentit que le grand type au long nez libérait sa main, François Vidocq sursauta. Qu’allait-il advenir de lui? Le relâchait-on? Pour le tuer ensuite puis se débarrasser de son cadavre fort encombrant?
Sortant de sa torpeur, le policier vit alors celui que ses tourmenteurs nommaient Daniel Lin s’approcher de lui, la mine déterminée. Inexplicablement, François frissonna de peur. Instinctivement, la terreur le gagna. Il redoutait davantage l’action de ce type aux yeux bleu gris que les tortures déjà supportées.
Au contact de la main brûlante, bouillante de Dan El, Vidocq tressaillit, voulut reculer, se défaire de cette prise. Peine perdue! Des liens le maintenaient solidement ligoté au pilier métallique.
Impuissant, presque résigné, le chef de la Sûreté sentit une présence de feu pénétrer irrésistiblement dans ses pensées les plus secrètes, s’approprier ses souvenirs les plus lointains, faire siennes ses actions les plus criminelles. Ses regrets, ses colères, ses chagrins les plus refoulés, ses trahisons assumées, ses mensonges, ses actes les plus vils, ses haines, tout ce qui le constituait fut impitoyablement mis à nu. Ah! Quelle affreuse et terrible impuissance! Il ne pouvait rien taire, rien celer. C’était le diable en personne qui le possédait, qui lisait en lui, communiait avec son âme depuis longtemps souillée et perdue.
Aux yeux de Dan El, François apparaissait tel qu’il était, une créature humaine faible, qui croyait obéir à un idéal mais qui, en fait, n’agissait que pour manipuler et dominer ses semblables. Durant toutes ces années, Vidocq avait voulu se persuader n’être mû que pour faire régner l’ordre et la justice. Mais seul le pouvoir sur les simples mortels l’intéressait.
Dépouillé des faux-semblants, de cette honnêteté de façade, de cette ambition de gloire pour la France prétendait-il, que lui restait-il? Était-il véritablement cet être abject?
Non! Cela aurait été trop réducteur. Après tout, François voulait sincèrement que Napoléon Premier le Grand retrouvât son intelligence et son génie d’antan. N’était-ce pas pour ce Dessein qu’il avait été recruté par le comte Galeazzo di Fabbrini, celui qui avait favorisé occultement jadis l’Empereur?  L’Italien lui avait révélé un grandiose projet auquel il avait immédiatement adhéré. Par patriotisme et non par opportunisme.
Di Fabbrini avait permis à Napoléon Bonaparte d’évincer la dynastie légitime des Bourbons. Cela le chef de la Sûreté le savait pertinemment. Aujourd’hui, le mystérieux comte était parvenu, avec l’aide non négligeable du Russe Pavel Danikine, à créer et modeler un sosie parfait du souverain impérial. Cet être tout neuf, à l’entendement amélioré, établirait sur la Terre tout entière l’hégémonie de la France. Sa patrie ne représentait-elle pas l’aboutissement de la civilisation occidentale? L’Angleterre, cet îlot ridicule, boirait jusqu’à la lie la coupe de la défaite et de l’humiliation. Quant au tsar, il était condamné à se rendre à Canossa, à marcher sous les fourches caudines.
Les yeux clos, Daniel Lin poursuivait toujours son voyage dans la psyché de l’humain qui portait le nom de François Vidocq, s’enfonçant davantage dans les méandres complexes des pensées de cette petite vie.
Ainsi le jeune Ying Lung en devenir qui ignorait présentement ce qu’il était vraiment, arracha trois adresses confidentielles de Galeazzo à sa victime. Il sut également tous les domiciles du baron russe, toutes les cachettes, les laboratoires clandestins disséminés en France mais aussi en Grande-Bretagne, et même en Amérique! Par les yeux de Vidocq, il vit la nouvelle alliée de di Fabbrini et de Danikine, la femme rousse splendide, la cariatide slave qui s’était jointe à cette machiavélique et complexe machination.
«  Irina », laissa échapper Daniel lin avec un soupçon de mélancolie.
Alors, le Supra humain faillit abandonner là l’inspection des couches profondes du cerveau du policier. Mais un détail le retint: une cérémonie étrange, ridicule, une sanglante et stupide ânerie, une momerie dont les hommes étaient si friands, que les petites vies désemparées mettaient en scène afin de se persuader que leur existence avait un but. L’initiation dans les catacombes de Cluny s’offrit au regard clairvoyant du Ying Lung.
Rien n’échappa à Dan El, pas même la récitation d’une strophe des manuscrits de Cléophradès d’Hydaspe, dont la Tetra Epiphaneia perdue. Imperceptiblement, le Ying Lung, le Préservateur frémit de dégoût mais aussi de peur. 
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Mais il avait le devoir de poursuivre son exploration des souvenirs de François Vidocq. Le chef de la Sûreté, déguisé en Grand Prêtre de cette secte de théophilanthropes, jouait à ravir le rôle du Premier officiant, récitant d’une voix sépulcrale les paroles interdites tirées du codex inestimable, obligeant le naïf et ambitieux Banier à boire du sang de mouton dans une coupe truquée, un Fernand décidément bien berné tant il était persuadé avaler son propre liquide vital. Puis, le benêt s’était bel et bien évanoui sous le coup de l’intense émotion éprouvée lorsque le coup de poignard lui avait été porté.
Dan El voulait rire mais quelque chose d’indicible, de sombre, d’inconcevablement mauvais se révélait derrière cette grotesque mascarade. Une Entité hostile déjà entraperçue, toute pétrie de haine, de cruauté, de violence, se complaisant, macérant dans la rancœur, la froideur et le Mal… oui, le Mal à l’état pur, la quintessence de la Noirceur, le refus de l’Amour, la Négation de la Vie et de toute chose…
Un improbable et pourtant bien réel amalgame d’Homunculus Danikinensis, sauvage et primitif, intelligence mécanique insensible à tout sentiment, faite de ruse, de rage et de désir de destruction, et une soif exacerbée de vengeance émanant de l’humanoïde hybride, de l’ancien espion soviétique Pavel Pavlovitch Fouchine…
Ces deux êtres fusionnés étaient devenus, s’étaient transmutés en Dragon Noir, en Inversé, en Fu le Suprême. Adieu Johann Van der Zelden, Entropie durant une femto seconde, Mort inaboutie d’un Pantransmultivers encore à venir, encore en gésine, non conceptualisé en cet « instant »!
Or, la Révélation n’était pas complète, loin de là. Ici, tout était leurre, tout s’avançait masqué. Le voile se déchira. Ou du moins Dan El voulut le croire. Derrière le rideau de cette mise en scène, se tenait le Un pourtant Multiple, l’ombre de la Voix commune. Elle planait au-dessus de cette re présentation virtuelle d’un monde à, conceptualiser. Partie prenante, inspiratrice, complice et victime de ce Jeu dépassant tout entendement.  
Dan El, toujours conduit par la peur, n’eut pas le courage d’assister à la réouverture du cube de Moebius, 
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à l’invasion de la Noirceur Suprême et Totale dans le pyramidion. Plus que jamais pleutre, le jeune Ying Lung recula, décidé à se dissimuler ce qu’il connaissait déjà, avait vécu ailleurs et jadis…
Toujours aussi blême, Vidocq reprit peu à peu conscience de ce qui l’entourait. Depuis plusieurs secondes il n’était plus sous le contrôle mental de Daniel Lin. Tandis que le policier jetait des regards étonnés sur le décor et sur ses tortionnaires, victime d’une amnésie partielle, le commandant Wu avait le cœur au bord des lèvres et se sentait penaud. En fait, la culpabilité le fustigeait.
- Messieurs, murmura François d’une voix suave qui fit tressaillir l’assistance, vous avez là une bien étrange demeure. Jamais je n’en vis de semblable durant ma longue et périlleuse existence. Les murs sont faits de métal et dépourvus de fenêtre. Comment captez-vous donc la lumière du jour? Il faut remédier à ce défaut au plus vite. Voyez-vous, les hommes sont comme les plantes, ils ont besoin de la chaleur et des rayons du Soleil pour vivre et s’épanouir.
- Mille millions de sabres de bois! Par tous les voleurs décérébrés de Mondani! Par les foies nécrosés des adeptes du Grand Coësre! Commandant Wu, purée, vous ne m’avez pas menti tantôt! Vous lui avez bel et bien ramolli le cerveau! Punaise! J’y crois pas! Par sainte Eulalie et le con de Vénus! Vous avez obtenu au moins les informations souhaitées, hein? Rassurez-moi! Car il m’a l’air d’avoir foutrement perdu la raison cette ancienne chiourme, ce vieux pouacre! Ou bien avez-vous échoué lamentablement et dans ce cas je dois piteusement lamper le réfrigérant de mes moteurs! C’est que j’avais parié sur votre succès mon gars! Éructa Craddock tout en fourrageant dans sa barbe en bataille.
- J’ai eu tous les renseignements désirés, répondit lentement Daniel Lin et plus encore, bien plus…
- Euh… va-t-il rester ainsi, l’intelligence définitivement en berne? S’inquiéta Frédéric avec un rien de retard. Finalement, je préfère ma méthode. Elle ne rend pas fou, elle!
- Non, rassurez-vous, les effets de mon viol s’estomperont peu à peu. Ils ne sont pas permanents. Du moins l’ai-je voulu ainsi. Même si, pour l’instant, c’est difficile à croire en le voyant dans cet état, j’ai ménagé Vidocq.  Son amnésie est temporaire. Mais il ne conservera aucun souvenir de notre existence. J’y ai veillé.
- Daniel Lin Wu, ce n’est pas tout ce que vous avez modifié chez ce policier, déclara Fermat avec sévérité. Vous avez pris soin de soigner ses plaies et ses contusions.
- Je me suis senti obligé de le faire… afin de parfaire son amnésie nous concernant. Il n’est pas censé avoir été enlevé, vous comprenez… mais j’ignore comment j’ai procédé… cela m’est venu naturellement… une réparation, un acte de contrition…
- Puisqu’il est devenu un doux dingue, renvoyons Vidocq chez lui!
- Non capitaine! Surtout pas… ce serait dangereux pour lui. Il vaut mieux le faire atterrir à Bruxelles ou à Berlin.
- Euh… j’saisis pas! Pourquoi mon colon? Amiral veux-je dire…
- Cela permettra au chef de la Sûreté de se remettre et de retrouver une mémoire partielle. Pour nous, ce délai est nécessaire pour mettre à profit les renseignements obtenus.
- Il faut espérer également que l’Empereur s’apaisera… Napoléon se montrera peut-être moins vindicatif envers le traître. Car, assurément, il aura compris que François Vidocq était partie prenante dans cet attentat… fit le commandant Wu sur un ton dubitatif et amer. Craddock, je veux rendre cet homme sain et sauf à son univers, à son quotidien. Il n’est pas question que je l’envoie à la mort. C’est plus que je pourrais supporter aujourd’hui.
- D’accord, on lui laisse une chance! Conclut Fermat. Des objections?
- Aucune, marmotta Symphorien.
- Et vous, Frédéric?
- Oh! J’approuve. Mais la police de Talleyrand est bien faite… François n’a obtenu qu’un sursis.
Un regard de Daniel Lin dissuada l’Artiste de gloser davantage.
Avec raideur, le commandant Wu monta l’échelle métallique qui conduisait à la cabine centrale. Il refusait d’afficher son désarroi mais André n’était pas dupe. Il savait bien que le Surgeon était malade de regret et que le remord le rongeait.

***************

Deux heures plus tard, François Vidocq avait été téléporté à Bruxelles avec un peu d’argent, des vêtements de rechange et une lettre stipulant qu’il souffrait d’amnésie et qu’il avait besoin des soins d’un aliéniste. Le policier fut rapidement pris en charge tandis que son signalement et son niepçotype étaient envoyés dans toutes les villes de l’Empire ainsi que dans celles des pays alliés et des protectorats. 
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Paris sut donc l’identité de l’amnésique moins d’un jour après que Vidocq eut été retrouvé errant dans la ville belge. Notre personnage, sa mémoire en lambeaux, fut récupéré par la police spéciale de Napoléon. Comme il se montra incapable de raconter ce qui lui était précisément arrivé, il alla croupir en prison, aux côtés de Savary. Exit Vidocq. Cependant, il eut au moins la vie sauve. C’était peu et beaucoup à la fois lorsque l’on connaissait l’ire de l’Empereur.
Pendant ce temps, à bord du Vaillant, André Fermat morigénait Daniel Lin. Mais en fait, toute son attitude dénonçait l’inquiétude paternelle pour une progéniture opiniâtre, géniale et rebelle.
- Commandant, vous avez fait preuve d’imprudence et d’inconséquence en soignant cet homme. Et ce devant témoins qui plus est. Quelle légèreté! J’attendais plus de réflexion de votre part. Il a fallu que j’ôte le souvenir de cet acte fort généreux mais aussi fort sot à Frédéric, Symphorien ainsi qu’à Beauséjour qui avait vu l’état de Vidocq avant et après votre intervention. Cessez donc d’obéir à une impulsion qui peut gravement nous nuire!
- André, vous êtes furieux parce que j’ai révélé un talent supra humain, un talent étranger au descendant de l’Homunculus que je suis censé être, au daryl androïde que je suis pour tous.
- Exactement. Un talent qui appartient à un être immatériel et pluridimensionnel à la fois. Du moins en temps normal. Un don qui est en fait l’essence même du véritable Gardien de la Vie, voilà tout.
- Oh! André cessez de me mener en bateau, de me faire miroiter un destin grandiose! Je ne suis ni un Homo Spiritus ni un agent temporel terminal, bien que j’aie fusionné avec ces entités ailleurs lorsque la situation l’imposait. En moi affleure quelque chose de trop sombre et de terriblement répugnant. Or, ce n’est pas là la marque caractéristique des Michaël… vous le savez bien.
- Ce quelque chose qui vous effraie tant mais que, pourtant, vous parvenez à étouffer et à vaincre Daniel Lin.
- Vous connaissez ma véritable nature.
- Celle d’un être hybride sur le chemin de la Re Connaissance. Voilà pourquoi je me suis attaché à vos pas depuis les origines, voilà pourquoi je vous observe, vous guide et vous conseille. Votre destin vous appartient. Le mien était écrit depuis le début. Mon lot et mon devoir.
- Vous ne vous exprimez pas comme un Agent temporel. Vos paroles ressemblent aux propos que pourrait tenir l’Entité Sombre…
- Certes, je sais ce que mon discours a d’ambigu... Ce que vous craignez tant qui dort au fond de vous, vous seul êtes à même de le vaincre.
- Une chose si repoussante, si abominable qui vit en moi, que je connais intimement… non! Encore un mensonge! Je m’y refuse à y croire. La Sombre Entité que j’ai entraperçue il y a quelques jours… c’est elle qui a peur. Oui, elle a peur de moi, elle tremble devant ma faculté innée à me dépasser, à me transcender, à accepter de combattre l’indicible. Ma volonté a toujours été plus forte que l’Infra Sombre. Pourtant, bien souventefois, j’ai eu peur à mon tour et j’ai reculé, tout frémissant et ébahi. J’ai failli, baissé les yeux et puis, je me suis enfui.
- Parce que c’était trop tôt pour l’affrontement final, parce que vous êtes encore si jeune… mais je ne puis en dire davantage.
- Si jeune? Vous vous moquez de moi une nouvelle fois. Mais il est vrai qu’un Homo Spiritus défie le temps… et peut vivre aussi bien une attoseconde qu’un million d’années.
- A mes yeux, vous êtes encore un enfant, Daniel Lin, comme toute l’espèce humaine d’ailleurs. Mais je vous ai vexé… pardon. Cela n’entrait pas dans mes intentions.
- Un mensonge de plus. Croyez-vous que je resterai dupe encore longtemps? Bon sang! J’ai soif de vérité et vous ne m’accordez aucune confiance.
- Je vous assure que je vous dis tout ce qu’il m’est permis de vous révéler actuellement. Tâchez de comprendre…
- Comme d’habitude, vous reportez à demain ou à après-demain les informations essentielles. Vous êtes passé maître dans l’art de masquer la réalité. Vous enfilez les pseudo révélations comme un bijoutier les perles de culture. Vous me traitez comme un enfant qu’il faut distraire par des contes de grand-mère. J’en ai plus qu’assez de ce jeu et de votre condescendance méprisante et méprisable, André!
- Daniel Lin, votre ton insultant, votre colère, je veux les comprendre. Voyez, je fais un effort pour conserver mon équanimité. Cela m’est extrêmement difficile, je vous l’assure.
- Tiens donc! Le Michaël que je rencontrais jadis et qui me parla ignorait les émotions violentes et négatives comme la colère justement, et gardait son sang-froid y compris dans les pires situations.
- Hum… Vous sous-entendez quelque chose qui me déplaît, commandant.
 - Vous ne ressemblez pas à l’agent terminal, pas du tout…
- Parce que je vis le jour bien avant son existence. Nous paraissons contemporains, nous agissons parfois de concert, mais des éons nous séparent en réalité. Je n’ai aucune honte à avouer que je suis moins abouti que lui.
- Admettons. Poursuivez, vous m’intéressez prodigieusement.
- Je cherche à gagner du temps, je le reconnais, mais ainsi, je vous permets de vous préparer à ce qui doit inévitablement advenir. Vous devez vous améliorer, vous ciseler, vous sublimer pour vaincre l’Invaincue. Plus tard, je vous affirme que vous m’en serez reconnaissant, vous comprendrez que je n’ai agi ainsi que pour votre bien, le bien de toutes les petites vies…
- Gardien des humains, des…
- C’est cela. Vous l’avez choisi librement jadis…
- Pourtant, je ne m’en souviens pas.
- Vous l’avez voulu ainsi. Une Expérience… mais j’en révèle encore trop. Ah! Que rajouter, mon enfant? Profitez encore quelques jours, quelques femto secondes de votre innocence rafraîchissante, de ce délai octroyé par une Providence espiègle.
- Une innocence rafraîchissante? Par Bouddha, quelle innocence? Ricana le commandant Wu. Vous voulez rire sans doute après ce que j’ai accompli ici!
- Et ailleurs. Vous allez m’objecter que vous avez du sang sur les mains, que vous y baignez littéralement parce que vous avez condamné tout l’Empire Haän à la guerre civile, que vous avez annihilé sciemment la civilisation Asturkruk, que vous avez forcé Naor, autrefois, à entrer dans l’Alliance des 1045 Planètes d’une façon que la morale réprouve, que vous avez favorisé les orangs lords de Gentus aux dépens des calmaroïdes… Dois-je poursuivre l’énoncé de vos méfaits? 
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- Pourquoi pas? Dans ce tableau édifiant, vous omettez de mentionner le sort réservé à mon frère, Daniel Deng.
- Je ne l’oubliais pas, Daniel Lin. Mais tout comme moi, vous savez qu’il n’était qu’un leurre, un succédané. Donc, concluez…
- Vous êtes en train de me dire que l’effacement des Asturkruks dans les abysses de l’histoire n’a jamais eu lieu parce qu’ils n’ont en fait jamais été réels?
- Exactement. Tous vos crimes supposés ne sont rien dans la Supra Réalité!
- Démon menteur et tentateur!
- Ah! Daniel Lin, vous êtes en train de m’insulter une fois de trop!
- Votre calme s’envole dirait-on! Persifla le daryl androïde dévisageant l’Observateur avec une acuité nouvelle.
 Après une nouvelle pause, Daniel Lin reprit toujours avec plus de véhémence.
- Bonimenteur de première! Quetzalcóatl bifide et hypocrite qui oublie ses obligations, qui me méprise et m’humilie encore et toujours, qui cherche à me donner la leçon et qui me parle comme si je n’avais que cinq ans!
- Commandant Wu, que signifie votre attitude? Que cherchez-vous? À me pousser hors de moi?
- Oui, je veux que vous m’affrontiez! Je veux vous faire cracher la réalité!
- Orgueilleux Prodige! Fat inconséquent et immature!
- Non! Rebelle et téméraire, André Fermat! Inconscient, impudent! Tous ces termes, je les accepte, mais je veux savoir votre nom, et non pas celui que vous portez chez les humains…
- Rebelle, fol, ange et démon, feu et glace, créateur et destructeur, Vie et Mort…
- Ah! Taisez-vous! Taisez-vous donc! Silence! J’ai peur! J’ai peur!
- J’ai mis le doigt là où il ne fallait pas. Le Néant vous terrorise encore. Le Mal nécessaire avec qui vous avez composé, vous rebute… mais vous avez compris jadis qu’il ne pouvait en être autrement, hélas. Pour que la Vie soit, il faut la Mort, pour que l’élément vital catalyse la Création, l’Entropie doit être domestiquée…
- André, ou quel que soit votre nom, je vous en conjure, taisez-vous!
- Mon enfant, je me nomme Gana-El et je ne suis que l’Observateur…
- Gana-El, ce n’est pas là le nom d’un agent temporel… évidemment, puisque, tout comme les Asturkruks, il n’existe pas… encore… Ah! Dieu! Je brûle! Le feu me dévore… Et ce Vidocq, que lui ai-je fait? Je le vois là, en bas, tout en bas, dans sa cellule, il souffre. Il pleure, ne sait pas ou plus pourquoi il a déplu à Napoléon. Il ne se souvient pas de la trahison, du complot… il rejette au loin la cruche d’eau qu’on lui apporte. Il veut en finir avec la vie, cette tromperie. S’il n’était attaché, il se pendrait présentement. Tout en lui n’est que tempête noire, qu’ouragan furieux, qu’eau sombre parcourue de monstrueuses créatures pourvues d’énormes dents. Des Léviathans qui veulent le dévorer, déchirer ce qui lui reste de raison et de conscience. La folie le guette, les goules hurlent à ses oreilles. Et c’est moi qui ai fait cela… c’est moi… Non! Par pitié… je veux rompre le contact… mais je partage tout avec lui… je deviens lui, je suis lui… les tambours de sang battent dans ma tête. Mes yeux voient à travers les murs, à travers son corps… l’oxygène se corrompt. Les cellules de ses organes se putréfient lentement. Il pue la mort. Bientôt, il ne sera plus que charogne… Ai-je réellement voulu cela? Une humanité consciente de sa mort prochaine et qui, à cause de ce savoir veut vivre en convoitant ce que son prochain possède? Les vols, les meurtres, les guerres ne s’expliquent-ils que parce que l’existence des petites créatures est éphémère? Non! Non! Pardon! Mais il le fallait… oui…
N’en pouvant supporter davantage, Dan El était tombé à genoux. Il s’était pris la tête entre ses mains et des larmes de remords coulaient sur ses joues d’une pâleur extrême.
- La Révélation vient trop tôt, beaucoup trop tôt. Fit Gana-El avec effroi. Aurais-je la force de remédier à cela? Mon enfant, viens, viens que je te fasse oublier tes tourments, tes chagrins et tes regrets. Il n’est pas temps pour toi d’affronter ce que tu es, ce à quoi tu dois faire face bientôt. La charge pèsera sur tes épaules, oui, mais pas aujourd’hui.
L’Observateur se mit lui aussi à genoux et, se métamorphosant, enveloppa le jeune Ying Lung de sa lumière orange, une lumière douce et chaleureuse, tendre et consolante. Puis, une langue de feu jaillit des deux entités qui ne firent plus qu’une une femto seconde. Le phénomène cessa aussitôt et tout redevint normal dans la cabine de pilotage.
André Fermat s’assurait de la stabilité de l’orbite du vaisseau tandis que Daniel Lin, assez guilleret, sifflait une fugue de Bach tirée de la sonate  pour violon BWV 1001 en sol mineur.
Il n’empêche. L’Observateur avait eu chaud. Dan El avait été à deux doigts d’effleurer la vérité. Si, lui, Gana-El, n’avait pas puisé dans ses réserves, tout le Dessein aurait été effacé et le Vide seul serait resté.
Daniel Lin n’avait pas conscience qu’André avait agi sur lui et l’avait ramené à la raison. Le daryl androïde se contentait de vérifier si le chrono vision était toujours aussi imprévisible dans son fonctionnement. C’était le cas, mais cela n’affectait pas son humeur. Ce soir, il en était certain, il aurait un contact avec Gwen, sa douce et tendre Gwen, son soleil et sa pluie, sa fontaine et sa source…

***************

Dans une de ses demeures, le baron Danikine affichait ostensiblement sa mauvaise humeur. Non seulement le sieur Vidocq croupissait en prison mais, de plus, l’attentat contre l’Empereur avait lamentablement échoué. Que pouvait révéler le policier si, jamais, il était interrogé d’une façon musclée? Car, après tout, le recours à la torture restait probable vu que celle-ci n’avait été abolie que récemment. Napoléon donnerait l’ordre d’en user assurément. N’avait-il pas été visé directement par la machine infernale?
Comment Vidocq avait-il pu être capturé aussi facilement? Que savait Savary? Et l’Empereur? Ah! Échouer si près du but! Toutes ces questions présentement sans réponse affectaient profondément Danikine. Ne lui faudrait-il pas quitter Paris au plus vite afin d’assurer sa sécurité? Recommencer ailleurs, à son âge, était-ce encore possible? Certes, les laboratoires de Londres et Boston étaient opérationnels mais que d’efforts, de temps et d’argent gaspillés!
Qu’allait-il advenir des clones parisiens? Ils parvenaient à maturité et le plus avancé d’entre eux avait déjà atteint l’âge apparent d’une trentaine d’années. Parfaitement conformé et conditionné, il aurait pu se substituer au souverain dans cinq jours au plus tard.
Il y avait plus inquiétant encore. Vidocq avant de tomber comme un fruit mûr entre les griffes de la police secrète française, avait disparu subitement après l’échec avéré de Fieschi et ce, durant plus d’une journée. Puis, inexplicablement, il était réapparu à Bruxelles, désorienté et hagard.
Et que dire de cette mystérieuse lueur verte qui avait précédé l’évaporation du chef de la Sûreté?
Ah! Il n’y avait pas à s’y tromper. Daniel Lin Wu était passé à l’offensive et était parvenu à entraver cette machination bien huilée. La preuve? Il connaissait le lieu de son laboratoire principal. N’y était-on pas entré de nuit? Il avait aussi fait éliminer toute une bande d’informateurs et de mouches stipendiés. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à détruire l’armée et la réserve de clones en gestation. Une formalité pour cet humain du futur.
Pendant ce temps, Irina Maïakovska évitait di Fabbrini et Danikine. Or, la compatriote de Pavel avait juré qu’elle tendrait un piège à ce Daniel Wu. Mais pouvait-on  accorder sa confiance à ce qui paraissait n’être qu’une promesse en l’air?
Quant à Galeazzo, son attitude désinvolte intriguait le Russe. Le comte perdait son temps à musarder dans les jardins du Luxembourg comme peu concerné par ce nouvel échec. Mieux, il partait pour Londres afin -disait-il - de vérifier la maintenance des autres laboratoires, dînait chez Tortoni d’huîtres au champagne, assistait à une grande première à l’Opéra, se promenait - allez savoir pourquoi! - dans les bosquets du parc de Versailles, se rendait dans l’avenir aux States pour des raisons fumeuses, relisait quelques poèmes de Baudelaire en soupirant bruyamment - Mais le vert paradis des amours enfantines - 
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 faisait un saut à Toulon ou à Marseille sans éprouver le besoin de se justifier ou, encore, usait de ce qui lui restait de loisirs à fumer d’énormes cigares, des havanes, tout en feuilletant d’un œil distrait Le Moniteur universel. Parfois, il lui arrivait de complimenter Adrienne, la cuisinière du pseudo prince russe et, surtout, ne montrait aucune inquiétude, absolument aucune, devant l’absence de Johann Van der Zelden, une absence qui s’éternisait alors que Pavel aurait bien eu besoin d’un coup de pouce de sa part.
Pavel Danikine bouillait et rageait mais en silence. Mais enfin, ce soir-là, comme se sentant insulté par tant d’impassibilité, il laissa éclater sa légitime colère.
- Galeazzo, fit-il en apostrophant l’Ultramontain sur un ton des moins urbains, on dirait bien que cette affaire ne vous intéresse plus. Vous prenez toutes les mauvaises nouvelles qui nous assaillent et nous accablent avec une légèreté exaspérante. Par saint Wladimir, réagissez! Oui, réagissez ou, sinon, nous perdons tout.
- Même la vie? Ironisa l’italien. Du calme, mon cher baron. La colère vous messied grandement, vous savez? Ainsi, vous pensez que je prends des vacances au moment le plus importun, que je m’amuse… erreur, Pavel! Oui, c’est vrai, je me suis rendu à Londres et plus loin encore, dans tous les sens du terme. Mais pour rattraper par un autre fil tout l’écheveau de ma tapisserie. Alban de Kermor, vous savez de qui je veux parler n’est-ce pas?
- Oui, il s’agit de ce jeune homme à la fois naïf et prétentieux qui complote avec Berry et Condé…
- Exactement. Hé bien, il est devenu présentement une pièce maîtresse, un cavalier dans notre partie d’échecs cosmique et temporelle. Vous verrez bientôt les résultats de mes manœuvres. Je vous garantis que vous serez ébloui par l’inventivité dont je fais preuve.
- Je l’espère de tout cœur. Mais… ce Kermor n’est-il pas chapeauté par un membre de la bande de Daniel Wu?
- Par Victor Francen, plus précisément.
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 Ce sera un jeu d’enfant de tromper son mentor. Avec le consentement même de ce benêt d’Alban, personne ne détectera ma patte dans ce qui va suivre.
- Hum… cela suffira-t-il à nous débarrasser de ce Chinois? À désamorcer la bombe à retardement Daniel Wu?
- Mais, certainement, Pavel. J’agis également auprès d’une autre personne qui touche de très près notre adversaire; j’use d’un intermédiaire, un agent véritablement insoupçonnable. Mais… chut! Je ne vous en dévoilerai pas davantage ce soir.
- Cependant, reconnaissez que notre affaire a pris du plomb dans l’aile et que la partie est presque perdue.
- Que non pas! Oubliez-vous que notre tapisserie est réversible? Il y a un amont… Vous saisissez.
- Pourtant si…
- Il n’est certes pas évident de maîtriser les concepts spatio-temporels… or, j’y parviens facilement grâce à notre ami commun.
- Justement! Que devient Van der Zelden?
- Il s’est rendu très en amont de notre problème. Un infime détail à vérifier. La trame de notre machination devait être renforcée…
Galeazzo se tut, refusant d’approfondir davantage le sujet plus que délicat de la disparition prolongée de Johann. Il se contenta de s’étirer paresseusement sur son fauteuil et de tirer de longues bouffées de son cigare. Il celait à Danikine que d’importantes anomalies étaient apparues sur cette chronoligne, au niveau du XVe siècle. Théoriquement, il ne devait pas y avoir d’interférences entre deux pistes temporelles parallèles et différentes. Or, c’était pourtant ce qui était en train de se produire. Les deux chronolignes semblaient dorénavant converger dangereusement. Qui donc tentait de tirer et de froisser ainsi les feuillets du Multivers? Pas Daniel Lin Wu qui n’y avait aucun intérêt. Pas non plus les Haäns menés par Daniel Deng qui, présentement, n’existait plus et, même, n’avait jamais vu le jour.
Alors? Un Homo Spiritus? Le fameux Michaël Xidrù, pompeusement baptisé l’agent temporel terminal? Mais, il n’avait pas accès à cette histoire, un isolat, du moins sur le papier. Johann y avait veillé. Il l’avait affirmé à Galeazzo.
L’IA des Olphéans? Certes, elle appartenait à une autre réalité et semblait se désintéresser désormais du sort de la Terre et de ses habitants. Mais tout de même… C’était pour s’en assurer que Van der Zelden était parti si précipitamment à sa rencontre.
Manifestement, quelque chose de sournois et de bien sombre se tenait à l’affût. Oui, de bien plus irrémédiable que Johann. Impensable que celui-ci n’ait pas conscience de cela!
Pavel Danikine laissa Galeazzo méditer cinq minutes. Le silence, un silence lourd, s’installa. Puis, le Russe demanda plutôt abruptement:
- Je n’ai plus confiance en Irina Maïakovska. Son attitude est des plus étranges. Elle poursuit un but différent du nôtre. Qu’en pensez-vous, comte?
- Il est vrai qu’elle ne cache point ni ses sentiments antifrançais ni sa haine vis-à-vis de Daniel Wu. Et cette haine est bien trop forte pour ne résulter que d’un combat entre le Cornwallis et le Lagrange comme elle nous l’a raconté il y a peu.
- Voyez comme vous partagez mon point de vue! Bien qu’elle se soit engagée à piéger mes laboratoires afin d’anéantir le Chinois, je suggère de la désarmer au plus tôt.
- Hum… pas d’emballement, Pavel. Sa haine nous arrange, bien au contraire! À nous de la manipuler subtilement. Et puis, comment la désarmer? Surtout en l’absence de Van der Zelden? Son loup de garde, Stunk, mieux vaut ne pas s’y frotter!
- Tiens donc! Vous avez donc peur de ce loup-là, Galeazzo?
- Ah! Pavel! Ne m’insultez pas! Il s’agit d’un lycanthropoïde doté d’une force inouïe, d’une intelligence qui dépasse la vôtre et qui est absolument insensible à toute suggestion télépathique! Croyez-vous que je n’aie pas déjà tenté de contrer Stunk? Je me suis heurté à un mur, mon cher baron.
- Alors, nous ne pouvons pas nous parer de ce côté…
- Non car j’ai un plan. Comme toujours. Irina Maïakovska… vous ignorez tout ou presque de Daniel Lin Wu, Pavel.
- Que voulez-vous dire?
- Ah! Irina! Son parfum miel et lavande, sa chevelure rousse éclatante, sa beauté sculpturale, sa voix rauque si suggestive… un rêve… Irina, l’égérie, la muse, l’inspiratrice, l’amour, la folie de Daniel Lin… elle sera son port ultime, Eros et Thanatos réunis. Son accomplissement et sa fin.
- Je ne saisis toujours pas.
- Ah! Pavel, mais Daniel Lin ne pourra pas tuer cette femme tout simplement. En elle réside le défaut de l’armure. Irina cariatide parfaite, déesse de la beauté qui a daigné prendre chair sur cette Terre si sordide! Irina masque splendide et abouti qui dissimule la face grimaçante et repoussante de la Mort même. Tu seras la lance damasquinée, ciselée avec patience, le couteau affûté qui percera le cœur saignant de Daniel Lin. Tu seras le doux et délectable poison qui infectera son âme sans retour. Tu seras mon joker envié dans cette fin de partie. Et, lorsque tu auras tourmenté ton amant au-delà de ce qui est envisageable, lorsque tu auras piétiné et son corps et sa dignité, lorsque tu auras martyrisé ton Abélard,
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 ton Orphée, ton Roméo, ton Hamlet, ton Othello, ton Lamartine, ton Byron, ton La Molle, lorsque tu l’auras tué enfin, je te prendrai, je te capturerai, tu m’appartiendras, tu ne verras que moi, tu ne respireras que pour moi, tu seras mienne tout entière, tu ne penseras qu’à moi, tu ne jureras que par moi, je te modèlerai selon mon bon plaisir, tu seras de la cire molle et docile entre mes doigts, tu ne désireras que moi, tu feras tout pour me satisfaire, tu gémiras sous mon regard cruel, tu crieras de désespoir lorsque je ferai semblant de t’ignorer… tu ramperas à mes pieds pour me supplier de t’aimer encore, toujours… tu te feras veule, menteuse, abjecte, tu rejetteras ton orgueil afin de me satisfaire, tu fouleras au pied ton honneur auquel finalement tu n’étais pas si attaché, tu te traîneras sur le sol en bavant lorsque je me refuserai à toi, tu te dépouilleras de tout ce qui était toi pour devenir ma marionnette, ma poupée de son, mon objet, ma chose! Tu menaceras d’en finir avec la vie lorsque je recevrai toutes tes preuves d’amour avec le plus grand mépris… devant ton avilissement, je jouerai le bel indifférent, le seigneur sans merci, le César Borgia qui te poignardera encore et encore… oui, Irina…
Le comte maléfique ricana et son rire résonna lugubrement dans le salon de Danikine. Un frisson glacé se répandit sur l’échine de Pavel et celui-ci ferma les yeux une seconde. Enfin, le Russe prenait la véritable mesure de Galeazzo.
« Cet homme est le Diable », pensa le baron. 
 Danikine avait tort. Il se trompait de personne. Le Diable avait bien pris vêture humaine. Mais il s’était travesti en femme.       
    
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