mardi 30 octobre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 17 2e partie.



Moins de trois minutes plus tard, les deux Supra Humains s’étaient projetés parc Monceau, accompagné par Paracelse, à l’intérieur même de l’attraction présentant les reconstitutions des romans gothiques très courus en cette année 1825. Déjà, la représentation était achevée et le lieu désert. Une profonde obscurité régnait. Souris alluma prestement un rat de cave des plus ordinaires. Il ne put s’empêcher de frissonner lorsqu’une timide et tremblotante lueur éclaira chichement le corridor.
- On dirait bien qu’il n’y a personne ici mais je n’en mettrais pas ma main au feu, pensa le voleur à voix haute.
La flamme vacillante de son rat de cave se porta sur une des reconstitutions de ce musée des horreurs. Elle révéla dans une lueur pâle et incertaine la scène figurant la mort tragique de la créature monstrueuse issue du génie de Frankenstein. 
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- Brr! Heureusement que j’ai le cœur bien accroché, ne put s’empresser de proférer Paracelse. C’est criant de vérité et ce bourgeois-là est d’une laideur repoussante.
- Ne vous laissez donc pas distraire par de vulgaires automates de cire, le rabroua mentalement l’Observateur. Éclairez plutôt le sol. Il est poisseux.
- Vous avez tout à fait raison, on dirait bien qu’on a pissé le sang ici. Mais c’est bizarre. La mare de sang n’a pas été piétinée et la victime a disparu. Je me demande comment. On n’a visiblement ni traîné le corps ni marché. La téléportation comme pour vous, sans doute…
À noter que l’ingénieur marron ne s’étonnait pas des facultés psychiques de Fermat et du commandant Wu. Pour Jules, les hommes du futur devaient obligatoirement avoir acquis des capacités cérébrales hors normes et des talents supplémentaires.
Changeant de mode de communication, le maître espion marmonna:
- Non, Paracelse, on a usé de la transdimensionnalité. Mais je tiens les fils résiduels du trajet emprunté.
- Cela n’a pas l’heur de vous plaire, amiral.
- Exact, commandant Wu. Ces couloirs transdimensionnels sont plus que dangereux. Ils conduisent au Chaos primordial tout en côtoyant l’antre de l’Inversé. Cependant, il existe d’autres chemins plus sécurisés.
- Un piège du Dragon Noir?
- Vous ne venez pas avec moi, Daniel Lin. Vous n’êtes pas de taille. Je dois m’y engager seul.
- Non, André. J’ai reçu pour mission de faire en sorte de ne pas vous exposer. Je vous accompagne. N’oubliez pas que vous revenez de l’indescriptible, terrifiant et énergivore Infra Sombre. Ce séjour a miné vos réserves, je le sens.
- Mais c’était là le but de ce séjour commandant. Vous connaissant, Van der Zelden, le bras armé du Dragon Noir escompte bien que vous soyez du voyage.
- Je l’ai déjà affronté. Mais il y avait Michaël. Or, sans sa présence, je n’ai aucune chance, je le reconnais.
- Vous avez donc assimilé les leçons de vos expériences précédentes? Tant mieux, Daniel Lin, pensa Gana-El avec une certaine satisfaction.
- Cependant, amiral, je me dois de vous suivre. Additionnant nos forces, nous serons à même de déjouer les pièges de ce « Hollandais volant ».
- Et moi? Gémit Jules en s’inquiétant. On m’abandonne ici? À quoi est-ce que je sers?
- Effectivement, vous restez ici, confirma Fermat sur un ton sec. Vous serez notre phare qui nous permettra de retrouver plus facilement notre chemin en ce monde.
Paracelse ne répondit que par un haussement d’épaules. Malgré la situation, Gana-El se permit un léger sourire. Intérieurement, il savourait la saine décision de son Rejeton. Ce dernier s’assagissait, ne cherchant manifestement plus à défier les sombres Entités qui ne cherchaient qu’à lui ôter ses pouvoirs et à se repaître de ses défaites. Dan El comprenait donc enfin le sens du terme « responsabilité ».
- Souris, reprit Fermat, tenez-vous sur vos gardes. Sortez votre poignard. Un ennemi tapi dans le néant ou l’obscurité peut toujours surgir.
- Compris amiral.
Saluant avec une certaine désinvolture les deux hommes du futur, mais cachant en fait sa peur, Paracelse s’éloigna de quelques pas et s’accroupit dans l’attente du retour de ses deux compagnons. Avec précaution, il mit en veilleuse son rat de cave, joua avec la pointe aiguisée de son surin tout en réfléchissant à la mise au point d’un système infaillible de percement de coffre-fort.
Décidément, Jules Souris était incorrigible. Mais cogiter ainsi lui permettait de maintenir sa peur dans des bornes acceptables.
Reclus dans l’obscurité parfaitement silencieuse, notre habile ingénieur était en train de faire la pige à Alfred Nobel en inventant avec un peu d’avance la dynamite. Mais les Supra Humains reparurent bientôt, chacun portant une victime de Johann ou de Galeazzo
- Oh! Oh! Ils sont en vie au moins? S’exclama Souris.
- De justesse, lui répondit Daniel Lin. Leurs souffles sont à peine perceptibles.
- Aucun organe vital n’a été touché sérieusement, compléta le vice amiral. Nous nous en sommes assurés là-bas. Toutefois, ils ont perdu une quantité conséquente de sang.
- Aïe! Et là-bas, comme vous dites, pas de lézard?
- Aucun obstacle imprévu. Je commande la téléportation immédiate, c’est plus prudent pour nos blessés.
Moins due une seconde plus tard, les cinq hommes ou assimilés étaient à bord du Vaillant. Naturellement, Fermat n’avait pas renseigné Paracelse sur ce qu’était précisément ce « là-bas ».
Tellier venait juste de regagner lui aussi le vaisseau. Or, il paraissait nerveux, ce qui était exceptionnel chez lui. Si, en temps objectif, il ne s’était écoulé que dix minutes dans les couloirs de l’Outre-Monde, près de trois heures avaient passé dans le temps normal.
- Vite. Hâtez-vous. Du nouveau est survenu à Chatou, fit l’Artiste avec fébrilité. J’ai suivi Danikine jusque dans son laboratoire. Il n’y avait pas deux minutes qu’il y était que la dénommée Maïakovska y pénétrait à son tour avec son loup de garde. J’ai constaté qu’elle se déplaçait étrangement. Je me demande si elle n’a pas perçu ma présence. Ses yeux noirs brillaient d’une résolution sauvage. Il ne fait aucun doute qu’elle va tenter quelque chose.
- Qu’est-ce que ça pue! Jeta Jules Souris.
- Des yeux noirs? Interrogea Daniel Lin. Bizarre…
- Je suis sorti de la propriété et j’ai rameuté mes hommes, poursuivit Frédéric, ne tenant pas compte de l’interruption du daryl androïde. Ils nous attendent à proximité des bâtiments et des hangars.
- Hum, faire sauter les laboratoires cela doit être son plan, marmonna André songeur. Mais Galeazzo?
- Oh! Je puis vous garantir qu’il ne se trouve pas à Chatou, affirma l’Artiste avec force.
- André, souffla Daniel Lin, nous devons…
- Quoi commandant?
- Irina n’a pas les yeux noirs mais verts habituellement. Y compris cette Maïakovska-ci!
- Alors, cela signifie qu’elle a été investie par…
- Johann?
- Non…
- Dans ce cas, il s’agit du non nommé, du Veilleur, du Dragon Noir! Frémit le daryl androïde. Celui qui me fascine et me terrifie à la fois. Nous devons prêter main-forte à Danikine…
- Quoi? S’étrangla Souris.
- Il n’en est pas question! Rétorqua le Danseur de cordes. Nous devons soit observer les deux adversaires s’affronter et nous assurer qu’ils s’entretuent, soit nous mêler à cette lutte pour achever le survivant! Ensuite, nous nous occuperons de di Fabbrini.
- Daniel Lin, cela m’est pénible à dire, mais Tellier a raison, formula Fermat. Le piège tendu est double. Un premier par Galeazzo; une deuxième chausse-trappe a ensuite été rajoutée par l’officier russe. Les deux ont pour but de vous attirer… le comprenez-vous?
- Oh! Je l’ai tout de suite envisagé, amiral. Mais dois-je vous laisser encore une fois y aller sans moi? Non, André!
- Commandant , fit sévèrement Gana-El, nous allons nous servir de ce double piège. Mais vous devez m’aider et me faire confiance, oui, totalement confiance. Vous allez devoir recourir à votre transdimensionnalité.
- Ma transdimensionnalité? Mais c’est-ce que je crains par-dessus tout!
- N’écoutez pas ces sirènes infantiles. Débridez-la ici et maintenant.
- Amiral… l’Homunculus qui dort en moi…
- L’Homunculus ne vous a jamais réellement menacé, Daniel Lin. Vous l’avez vaincu il y a longtemps. Depuis, il s’en est pris à quelqu’un d’autre, plus à sa portée. Vous êtes parvenu à vous purger de cette entité négative…
- André, fit le Supra Humain d’une voix tremblante, j’ai besoin d’une preuve…
- C’est facile. Comme vous l’avez fait il y a peu pour Vidocq, guérissez ces deux hommes. Par la seule force de votre volonté, de votre Talent… quant à vous, Frédéric partez rejoindre vos hommes; nous vous suivons dans quelques minutes.
Le ton dont usait Gana-El n’admettait aucune réplique. Tellier le comprit parfaitement et s’inclina. Quant à Daniel Lin, il objecta pour la forme.
- Amiral, vous me demandez d’accomplir un miracle? Vous vous moquez de moi. Je n’ai jamais cru à ces sottises, et vous-même ailleurs, si je m’en souviens bien, non plus! Ah! Vous voulez me tester. Me tenter plus exactement…
- Daniel Lin, la peur, une peur primale s’exprime en vous. La peur de la Révélation. Faites taire cette voix négative. Regardez au fond de vous, oui, regardez bien. C’est cela. Vous n’y découvrez aucun abîme, aucun maelstrom, aucune entité hostile tapie à l’intérieur de votre âme.
- Je ne vois et perçois, mais je dois me tromper, qu’une chaleur intense, un amour…
- Qui brûle autant que des millions et des millions de Soleils. Alors, cela signifie que vous êtes prêt. J’en étais sûr, mon enfant. L’avant-dernier voile vient de se déchirer. Vous pouvez commencer…
- Commencer? Procéder? Mais comment? André, je ne suis ni un ange ni un saint, ni un djinn ni un dieu… Bouddha me pardonne. Oui, je me rappelle. J’en suis tout à fait capable… je me souviens maintenant de la procédure. Un jeu d’enfant pour moi… d’une simplicité magnifique… Les chants des sphères… Je les entends, et vous?
Sous les yeux clairs et devenus transparents de l’Observateur, Dan El se tut. Il se rapprocha de Victor Francen et, dans un silence religieux, devant André, Paracelse, Frédéric et Violetta qui était remontée de la soute fort opportunément, Ufo dans ses bras, sans oublier Craddock entièrement réveillé, le Ying Lung émergent s’exécuta.
Auréolé d’une clarté presque insoutenable, la juvénile Entité repoussa d’un souffle la couverture qui enveloppait chaudement le comédien.
Puis, tous purent voir un fin filament, lumineux et orangé sortir de son majeur gauche. Ce fil ténu, matériel et pourtant immatériel bourré d’une énergie primitive, s’introduisit avec une étonnante facilité dans la cage thoracique du blessé. Là, le cordonnet se saisit de la balle qui s’était logée à seulement un centimètre du cœur et l’expulsa hors du corps.
Le miracle n’était pas achevé. Avec dextérité, le fragile et pourtant solide toron se mit à recoudre la plaie non sans avoir au préalable régénéré les tissus lésés.
Après Victor Francen, ce fut le tour d’Alban de Kermor d’avoir le privilège d’être soigné par Dan El. La même scène ou presque se renouvela.
Toute la passerelle, subjuguée, observait le Prodige en action.
Lorsqu’enfin Daniel Lin eut terminé, il était plus livide et exténué que ses patients. Épuisé, avant de s’effondrer, il eut tout juste le temps de murmurer:
- Pourquoi moi? Que suis-je? Qui suis-je?
Puis il sombra dans la douce et rassurante inconscience. 
Fermat rattrapa de justesse son fils l’empêchant de heurter brutalement le sol métallique inconfortable du vaisseau. Incidemment, il le retint également ancré dans cet Univers. Mais personne ne se rendit compte de cela. 
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Une fois encore, l’Observateur allait occulter la mémoire des témoins lorsque Symphorien, comme ressuscité, résolu, se leva de sa couchette et déclara tout de go:
- Hé bien, moi qui me vantais d’être athée, j’crois que je viens de changer d’avis et je vais me convertir illico à la religion de ce sacré bon sang de Daniel Lin! Nom de Dieu!
Devant les regards sidérés de toute l’assistance, le cachalot du Système Sol s’agenouilla et, avec culot, tout près des deux Supra humains, entama une bien étrange mélopée.
Toi qui n’es pas Là-haut,
Mais bien en bas avec Moi,
Toi qui as tout connu,
Tout vu, tout subi et tout vécu,
Toi qui es semblable à Moi,
Qui pourtant attires et fascines,
Toi qui es bien plus Beau
Que le Ciel et l’Enfer réunis,
Toi qui promets à tes fidèles le Paradis,
L’Eden et la Vie éternelle,
Toi qui ne récoltes rien Dan El,
Oui, Toi je te bénis Daniel Lin
Dana-El, Dan El.
Le capitaine, ayant fini, essuya une larme sincère. On le voit, le vieux baroudeur savait, au fond de son cœur la véritable identité du commandant Wu.
- Pourquoi oncle Craddock s’adresse-t-il ainsi à mon père? Questionna Violetta. On croirait qu’il prie.
- Certes, mademoiselle, mais pas Dieu. Oh non! Lui répondit sourdement Tellier. Il invoque le Boulanger…
- Je ne saisis pas…
- Le Pâtissier, le diable, Satan… 
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- Frédéric! Gronda Gana-El. Craddock s’adresse au Juge par excellence, au Shaitan en babylonien. Maintenant, il vous faut oublier, il est temps.
À ces paroles, tous les humains se figèrent un bref instant. Lorsqu’ils recouvrèrent leur liberté de mouvement, ils ne se rappelaient pas l’étrange façon avec laquelle Victor Francen et Alban de Kermor avaient été soignés par le Prodige de la Galaxie. Leur mémoire avait été arrangée.

***************

L’heure était venue pour le Lagrange d’affronter une ultime fois l’ennemi héréditaire le maudit Anglais. Cerné de toutes parts, le vaisseau scientifique des Napoléonides, cruellement blessé, avec seulement une heure encore de réserves d’oxygène, ses moteurs quantiques déconnectés et en panne définitive, avait décidé de mourir avec panache alors que le commandant britannique du Locke, un certain Morrison, de se rendre.
Mais aux commandes du Lagrange, Lorenza di Fabbrini ne l’entendait pas ainsi. Se rendre, quelle humiliation! Et ensuite? Les geôles, le bagne et la mort lente sans honneurs.
La métamorphe avait su faire accepter son point de vue à tout l’équipage d’une rude façon. Elle avait été soutenue par Son Excellence Marie André d’Elcourt, comte de Montfermeil.
Toute échevelée, le visage strié de traces noires, l’uniforme sale et déchiré, pour l’heure, la jeune femme tenait fermement le poste de pilotage. Derrière elle, le diplomate, tout aussi piteux, les yeux fous, ayant perdu depuis longtemps tout sens de la mesure, remettait dans son holster son arme de poing. Il venait d’abattre le lieutenant Kermadec. En effet, l’officier avait refusé cet ultime combat inutile. Présentement, son corps gisait sur la moquette aux abeilles brodées, à quelques pas à peine de la console principale des manœuvres. Son front s’ornait désormais d’une vilaine blessure.
Un sourire froid sur les lèvres, Marie André avait activé les codes d’autodestruction du vaisseau et dans le lourd silence, la voix artificielle de l’IA énonçait, impavide, le compte à rebours des secondes.
Un peu plus loin, le garde de la sécurité Eloum, une aile brisée, les yeux dans le vague, tâchait de caqueter la prière des morts. 
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Dans les autres niveaux et parties du Lagrange, un même silence insupportable là où tout aurait dû bruire de vie. Seule, et pour combien de temps encore, la terrible énumération des ultimes secondes se faisait entendre par les hauts parleurs.
Dans ses quartiers, Omar Kirù, était allongé sur son lit de camp, aussi blême que Kermadec. Il avait avalé un poison qui l’emportait bien au-delà du pays des rêves. Graav, quant à lui, avait préféré s’ouvrir les veines. C’était un geste bien plus conforme à son tempérament. Zlotan, encore en vie, écoutait une rhapsodie dans son casque. Il savait que la mort brutale surviendrait bientôt. Il l’attendait avec soulagement, délivrance même. L’éléphantoïde Ftampft regardait l’œil humide les portraits holographiques de tous les membres de sa famille. Schlffpt, le médusoïde, présentait en ces dernières secondes une couleur douce, un mauve passé. Le scientifique, résigné, laissait ses pensées amères voguer bien loin. 
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« Tout est mensonge dans cet Univers trompeur, mais à quoi bon? ».
Dans la cabine du capitaine et commissaire politique, Maria, la belle enfant, dormait à poings fermés d’un sommeil lourd provoqué par un narcotique. Sans remords, Lorenza avait drogué sa fille. La fillette devait fêter son sixième anniversaire dans une semaine à peine. Mais voilà! Par la folie des adultes, jamais plus la jolie brunette ne verrait le soleil se lever sur Syracuse, jamais plus elle ne chanterait de sa voix innocente et cristalline les mélodies populaires de son pays maternel, jamais plus elle n’éclaterait de rire devant les pitreries de son jouet clown Octave Octavius.
Sur la passerelle, le capitaine di Fabbrini tordit son visage de rage.
- Il nous faut encore gagner de la vitesse. Sinon, jamais nous ne parviendrons à éperonner le Locke!
- Les guêpes anglaises nous surveillent articula d’Elcourt d’une voix atone.
- Quarante-huit secondes avant l’autodestruction, renseigna l’IA impassible.
- Il y a cependant une possibilité, reprit Marie André à bout de souffle.
En effet, l’atmosphère de la passerelle était empuantie par la fumée et l’ozone dégagées par les différentes consoles de commandement en train de crépiter et de flamber.
- N’y a-t-il donc pas moyen de faire taire ce stupide ordinateur? Je ne parviens pas à me concentrer.
- Je lui cloue le bec, marmonna di Fabbrini en toussant. Que suggérez-vous mon cher? Le Locke est à court de torpilles à bosons et ses boucliers sont hors service.
- Oui, il ne dispose plus assez de membres d’équipage pour le réparer. Éjectons les niveaux 21 à 28... Notre vaisseau gagnera ainsi la vitesse qui lui manque.
- Parfait, d’Elcourt. Il ne doit plus y avoir de survivants dans les hangars. Mais qu’importe si je me trompe! Exécutez la manœuvre, Marie André, j’accélère…
Le comte de Montfermeil obtempéra alors, peu choqué par le ton de commandement de la commissaire politique. Or, tandis que l’IA annonçait de sa voix agaçante «  vingt secondes avant l’autodestruction » - apparemment Lorenza avait échoué à faire taire l’ordinateur - le vaisseau obliquait en direction de son ennemi.
En réalité, sa programmation l’obligeait à égrener les vingt ultimes secondes. Le Lagrange, quant à lui, allégé, bondissait littéralement dans le vide intersidéral.     
L’Anglais comprit trop tard la manœuvre désespérée du Français. Ses guêpes, trop éloignées, ne pouvaient rien pour le secourir. Malgré tout, le commandant Morrison ordonna une inclinaison de quinze degrés de l’écliptique de son vaisseau. Devil! Qu’il était lent! Si lent! Les moteurs directionnels nécessitaient trente secondes de réaction en situation optimale de navigation. C’était là une faiblesse bien connue.
- Nous y sommes! Hurla Lorenza, exultant d’une joie mauvaise. Il est mort!
«  Nous aussi », ne put s’empêcher de penser d’Elcourt en frissonnant.
Le Lagrange venait de réussir à pénétrer dans le cercle de protection hors service du vaisseau ennemi. Une explosion fit alors écho à la voix de la métamorphe et à la sombre pensée de l’ambassadeur. Un feu d’artifice formidable, éblouissant, à la beauté époustouflante, mais mortelle, éclata dans le ciel noir.
En s’éparpillant dans le vide de l’espace, le Lagrange entraîna avec lui le vaisseau anglais. Mais ce feu si intense ne brilla que fort brièvement. Il n’y a pas d’air dans le cosmos…
Personne ne sut qu’à la seconde fatidique où tout finissait pour les deux implacables adversaires, une trentaine de membres du Lagrange avait quitté cette chronoligne pour se matérialiser dans la cité souterraine de l’Agartha.
Ainsi, le médusoïde se retrouva nageant dans une piscine. Il en éprouva un vif et compréhensible soulagement. Les autres officiers, à l’infirmerie, reçurent les soins appropriés administrés par O’Rourke, Manoël et Veronica. Kirù fut ramené d’un cheveu à la vie, de même que le lycanthrope Graav. 
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Quant à Maria, elle avait poursuivit son sommeil, désormais paisible, dans un lit, près de Daniel Lin et de Gwenaëlle. Violetta admirait sa jeune sœur.
- Merci papa. Sincèrement. J’ai cru ne plus jamais la revoir.
- Me pensais-tu donc capable de l’abandonner ainsi?
- Non, papa, bien sûr que non.
- Maintenant, tu sais, il nous faudra à tous beaucoup de patience pour lui rendre son enfance et son innocence.
- Euh… n’interviendras-tu pas dans son mental? Comme pour Gwen ou pour moi?
- Décidément! Pour qui me prends-tu donc? Violetta, Maria est si jeune. Je préfère laisser agir la nature et le temps.
- D’accord, c’est mieux. Mais je ne veux pas qu’elle ressemble extérieurement à ma mère. J’ai vu les représentations holographiques de Marie, celle des chronolignes 1721 et 1721 bis.
- Ma grande, ce n’est pas gentil ce que tu suggères là…
- Sans doute. Mais après tout sœurette est une métamorphe tout comme moi! Elle pourrait me faire plaisir. Juste un peu, un tout petit peu…
- Ah! Violetta… ma fille Maria sera ce qu’elle désirera être, avec l’apparence souhaitée. Il ne t’appartient pas de lui imposer tes caprices.
- Hum… J’ai compris. Maria… Appelle-la au moins Marie… parle-lui en français mais aussi en mandarin… pour lui faire oublier Lorenza.
- Cette Lorenza-ci, fifille. Mais lorsque je le jugerai bon. En attendant, va rejoindre Guillaume. Il ne s’en sort pas avec le manuel de montage des foreuses plasmatiques.
- Pff! Tu me chasses…
- Mais non, Violetta.
- Je ne suis pas dupe.
En boudant ostensiblement, l’adolescente sortit des appartements privés de Daniel Lin. La compagne du daryl androïde se pencha à son tour sur le lit de Maria et observa la fillette. En soupirant, Gwen murmura :
- Mon maître, je ne sais pas si elle m’acceptera… et Bart non plus…
- Rassure-toi. Maria s’y fera. Lentement. Tout d’abord, elle doit encaisser le choc de me savoir en vie; ensuite, elle doit comprendre que je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout, le sale type décrit par sa mère. Un mauvais père, un traître doublé d’un coureur de jupons.
- Oui, Daniel Lin acquiesça la Celte.
- Puis, j’aviserai.
- Comme elle est belle!
- Chut, mon amour. Maria ne le sait que trop bien. Lorenza l’a toujours préférée à Violetta. N’envenime pas la situation et veille à ne pas t’extasier sur ma petite devant l’aînée.
- Oui, mon maître, mais… ce soir…
- Ce soir, ce sera comme d’habitude. Nous veillerons à ne pas réveiller Maria durant nos ébats.
Tendrement, le commandant Wu se pencha sur la fillette et l’embrassa tendrement et légèrement sur le front. Incidemment, il s’assurait que Maria ne se ressentait pas des effets du somnifère avalé il y avait à peine quatre heures en temps objectif. Non, tout allait bien.
Alors que Dan El relevait la tête, dans son berceau, Bart s’agitait, gigotait, réclamant sa tétée. Avec amour et dévouement, la jeune mère prit son nourrisson dans les bras, et, s’asseyant sur un pouf, dénuda sa poitrine pour lui donner le sein.
« Cette scène touchante me réconforte bien plus que tous les hochets, les décorations et la carrière qui étaient dévolus au commandant Daniel Lucien Napoléon Grimaud. En tant que Dan El, je préfère ne rien ajouter » pensa le jeune Ying Lung oscillant entre la satisfaction et l’amour, un amour authentique et sans réserves pour ces petites vies qui étaient son œuvre, sa perfection.

***************

À Chatou, la bande de Tellier affrontait le cordon de sécurité mis en place par Galeazzo autour du laboratoire de Pavel Danikine. Les bâtiments étaient de simples hangars qui s’élevaient au bord de l’eau. Inexplicablement, Irina Maïakovska avait passé sans encombre le périmètre sécurisé. Peut-être la jeune femme avait-elle été reconnue par les gardes spéciaux?
Pour l’heure, le Chinois de Canton qui officier habituellement en tant que cuisinier, était en réalité un tueur à gages fort efficace. Placé en première ligne, il se relevait être un redoutable adversaire pour le Piscator, Bonnet Rouge et Monte à regrets. Jugez un peu. Entraîné depuis sa plus tendre enfance aux arts martiaux, il usait avec une maestria sans pareille d’outils de combats très variés entre autres des bâtons qui se repliaient, terminés par des chaînes, qui, lancés avec maîtrise, s’enroulaient autour du cou ou d’un des membres de la cible pour briser net ce qui était ainsi enserré. Généralement, la malheureuse victime n’avait pas le temps de voir venir le coup. Il utilisait également des nunchakus et des Kama, c’est-à-dire des armes japonaises originaires d’Okinawa remontant au XVIIe siècle. Mais ce n’était pas tout. Plein de ressources, l’assassin stipendié dissimulait dans ses poches des poignards en forme d’étoiles à cinq branches. Chaque pointe s’avérait être une lame meurtrière imparable. On le voit, les shukuken, armes favorites des yakusa, avaient séduit notre Chinois du Sud. 

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Vêtu comme un nia avec un justaucorps couleur de muraille et une cagoule dissimulant son visage, l’Asiatique se battait avec une agilité démoniaque contre le trio de la pègre parisienne. Pour la première fois de sa rude existence, et malgré toute son expérience, le Piscator eut peur, véritablement peur. À juste titre car, dans cet affrontement inégal, le Marseillais eut la figure lacérée. Monte à regrets, pourtant encore moins novice, souffrit d’un bras cassé et Bonnet Rouge, le moins chanceux, reçut une grave blessure au flanc. Effondré sur l’herbe humide, il se tordait de douleurs et tentait d’arrêter le flot de sang.
Cependant, malgré toute l’habileté du Chinois, Craddock parvint à l’assommer en lui fracassant sur le crâne une barre de fer qu’il avait dérobée sur une des barques attachées sur la rive. Le coup porté fut si violent que des rigoles pourpres imprégnèrent la cagoule et coulèrent jusqu’au justaucorps de l’Asiatique. Le tueur était mort instantanément.
- Et de un, jeta Symphorien avec satisfaction. Va donc rôtir en enfer, sumotori de carnaval en gésine!
Comment expliquer la présence du capitaine à Chatou? Hé bien, il s’était retrouvé miraculeusement sur pied une heure auparavant après sa prière incongrue dont il ne gardait évidemment pas le moindre souvenir. Alors, il avait rejoint sans tarder Tellier et ses amis.
Mais à peine le vieux Loup de l’espace eut-il accompli cet exploit qu’il se sentit agrippé dans le dos par un agresseur collé à ses basques. Il s’agissait de la « femme singe » mélanésienne. La « sauvage » cherchait à le mordre dans le cou, visant l’artère. Adversaire à ne pas mépriser, elle était munie de griffes puissantes et redoutables aux mains et aux pieds tandis que ses dents étaient parfaitement aiguisées.
- Qu’est-ce que cette macaque au brou de noix? Hurla le cachalot de l’espace en tentant de se dégager. Sajou musqué à la crème de coco fesse! Propliopithèque! Fille de Kong de cirque Médrano! Atlanthrope de l’antépaléolithique! Femme de Florès du Paléocène! Tu vas voir de quel bois je me chauffe si tu ne me lâches pas!
Craddock se contorsionnait tant et plus. Il y avait de quoi car les griffes du démon des îles s’enfonçaient dans la peau pourtant pas si tendre de Symphorien. La Mélanésienne rata de peu les yeux du clochard du cosmos.
Le vieux bonhomme s’ébrouait, s’agitait, essayant de décoller « l’arapède » de son dos. Enfin, il y parvint en la tirant par les cheveux avec toute sa force. Puis, exaspéré par la souffrance, il la projeta sans façon par-dessus son épaule. Soufflant comme un bœuf, il constata qu’il saignait abondamment.
- Ah! Par tous les pirates gris de la prise de Campêche! Cette fille-la, je ne la recommanderais pas dans mon guide des bordels quatre étoiles!
Pendant ce temps, la Chimène avait fort affaire avec le Sarde, lanceur de couteaux hors pair, qui portait un masque de carnaval à l’effigie du Pâtissier. Teint rouge brique, cornes de taille respectable, yeux luisants, bouc noir taillé en pointe. Déjà, le torse puissant de Germain portait de nombreuses estafilades mais l’hercule parvenait toutefois à éviter la plupart des poignards de ce lanceur de couteaux. Certaines armes furent même renvoyées au tueur d’une chiquenaude. En effet, avec ses moulinets de bras, le colosse brassait tellement d’air qu’il réussissait à retourner les coutelas meurtriers à l’envoyeur. Ceux-ci allaient s’éparpiller sur l’herbe.
Impavide, se moquant des multiples tiraillements et brûlures qui parcouraient son corps d’athlète, Germain marcha jusqu’à l’Italien, le chargeant comme un taureau. Niccolo, le lanceur, se vit désarmé en moins de cinq minutes. Il voulut s’enfuir mais l’hercule de la pègre le saisit et, tout simplement, le broya dans ses bras musclés. On entendit les os craquer. Ce fut un pantin de chiffe molle qui tomba ensuite sur l’allée boueuse.
L’étrangleur indien préféra s’en prendre à Marteau-pilon. Le géant portait bien son nom. L’exotique assassin avait pris soin de se munir d’un cordon de soie tussah dans la plus parfaite tradition de la secte des étrangleurs. Mais il voulut par trop s’approcher de sa victime afin d’en finir avec elle vite fait bien fait, discrètement, comme le lui avaient enseigné les Thugs. Or, Marteau-pilon n’était pas une proie aussi accessible qu’on aurait pu le croire. En effet, travaillant comme d’habitude en couple avec Pieds Légers, il put se débarrasser de son agresseur en le pilonnant de coups de poings imparables - voilà d’où il tenait son surnom - tandis que l’adolescent, aussi souple et agile qu’une anguille, paralysait l’Indien en le prenant presque à son propre piège. L’étrangleur se retrouva les membres attachés avec une corde tressée constituées d’orties.
Lorsque tous les gardes recrutés par Galeazzo furent mis hors d’état de nuire, Tellier siffla le ralliement de ses troupes. Certes, certains de ses membres étaient blessés comme Bonnet Rouge qu’il fallut transférer à bord du Vaillant, mais beaucoup restaient aptes au combat.
- Maître, nous n’avons pas emporté d’armes à feu, rappela naïvement Marteau-pilon.
- Tu sais très bien ce que je pense des pistolets, rétorqua l’Artiste quelque peu agacé. Armes de lâches! Il suffit que la main tremble et hop, le coup est raté et la balle s’égare…
Tellier dévoila alors sa canne-épée en souriant. La pointe avait été enduite de curare. Parallèlement, Pieds Légers allait trois rats de cave.
- Dites, maître, est-ce normal? On ne voit pas l’ombre de la grande gigue rousse! Par contre, ça pue le chien mouillé dans le coin et pas qu’un peu.
Pince-sans-rire, Craddock jeta:
- Ouais, mon gars, tu as le nez fin. Va falloir faire gaffe au loup-garou! Les Angliches s’en servent comme chien de garde. Les Russes itou.
Croyant à une plaisanterie, Guillaume se mit à ricaner.
Toute la bande ou presque de Tellier pénétra ensuite dans des pièces quelconques, des bâtiments annexes comportant des collections d’animaux marins, des scorpions et des reptiles, tous les exemplaires dûment numérotés et formolés contenus dans des bocaux de différentes tailles rangés avec soin sur des étagères. Un œil averti aurait pu reconnaître des squelettes de requins, des marsouins, des belugas, des narvals, des lamantins ou dugongs.
Malgré eux, les hommes du danseur de cordes se laissèrent distraire par ces pièges dignes de figurer au sein d’un muséum d’histoire naturelle. Johann avait rajouté sa touche personnelle à cette collection, ce qui lui conférait un caractère horrifique tout à fait répugnant.
Or, brusquement, les « objets » anachroniques s’animèrent! Une nuée volante de têtes humaines vampires Jivaro et Munduruku
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 s’exprimèrent dans des langues amazoniennes oubliées, bruissant comme des essaims de guêpes tueuses issues de la civilisation post-atomique numéro 3 du monde de Michaël. Ces têtes se comportèrent semblablement au moment fatidique de l’anéantissement des Néo-Mayas.
Bien évidemment, elles s’en prirent à la troupe de la pègre. Mues par des chupacabras, des esprits de chèvres démoniaques, elles attaquèrent, leurs crocs déjà dégouttant de sang. En une minute tout au plus, le vivant qui était mordu se voyait réduit à l’état de squelette aux os parfaitement nettoyés.
Cependant, la bande de l’Artiste disposait de moyens technologiques avancés. Ainsi, Tellier possédait un appareil moniteur qui détectait les hologrammes et les images virtuelles. Terrifiés, Marteau-pilon et la Chimène avaient commencé à reculer.
- Non, mes fidèles, hauts les cœurs! Ce ne sont que des leurres, les rappela à l’ordre l’Artiste.
Craddock approuva avec une injure sonore. Puisque le piège avait été éventé- il s’agissait de psycho images d’un type assez ancien - les têtes semblèrent se ratatiner et se fondre dans le néant.
Cela ne signifiait nullement que tout danger était désormais écarté. La preuve? Tellier fut assailli par deux change-formes tandis que les comédiens Joël Mc Crea, Michel Simon, Pierre Fresnay et Charles Laughton, jusque-là fort discrets, démolissaient à coups de maillets les plus belles pièces de la collection de Danikine. D’horribles et monstrueux fœtus se répandirent sur le plancher avec leur liquide amniotique artificiel, le tout dans une puanteur repoussante.  
Le premier change-formes qui avait assailli l’Artiste ressemblait à un personnage bien connu de séries américaines des seventies, Hulk. Toutefois, cette réplique anticipée présentait au milieu de l’abdomen une énorme bouche carnivore d’où jaillissait, par- à-coups, une langue préhensible de caméléon terminée par un dard empoisonné. Cette arme naturelle l’assimilait à un incube. La terrible et presque imparable langue arme atteignait un mètre cinquante.
Le second monstre change-formes arborait une facture plus classique, celle d’un gorille mâtiné de momie. Détail atroce supplémentaire qui caractérisait cette créature: les pseudo bandelettes qui l’entouraient paraissaient dotées d’une vie autonome et ondulaient comme des serpents. De plus, l’Alien grognait avec l’intention d’effrayer sa proie.
Craddock qui se montrait un bien plus rude combattant que son aspect extérieur aurait pu le laisser croire, rugit:
- Dans ce repaire, on ne joue pas franc-jeu! À ma connaissance, il n’a jamais été question de la présence de change-formes sur Terre avant la fin du XXIIIe siècle! C’est encore, sans nul doute, de la suggestion. Ah! Je m’en vais lui faire rendre gorge à cet Ultramontain à la sauce de Topinambou!
En fait, les fameux change-formes étaient bien réels et avaient été recrutés par Irina au nom de l’Empereur Fu.
Lorsque le mendiant de l’espace eut achevé d’éructer, le faux Hulk prit une autre apparence, celle d’un requin terrestre de la planète Perrum VI. De son côté, le King Kong momie devint une sorte de médusoïde galère portugaise apparenté à un clan qui avait refusé l’adhésion à l’Union des 1045 planètes, famille hostile à Schlffpt ainsi qu’à ses alliés. Les tentacules qui dansaient hypnotiquement secrétaient des sucs toxiques et ces êtres, cerise sur le gâteau, étaient, de plus, de puissants télépathes. Leur don s’exerçait avec succès sur tous les humanoïdes, les porcinoïde et sur bien d’autres espèces encore.
Soumis aux suggestions des change-formes, Joël Mc Crea se crut alors en train de tourner un western de série B, Charles Laughton pensa prendre un bain de minuit dans la piscine chauffée du Plazza Horizonte. Quant à notre bon vieux Craddock, il fut persuadé être allongé sur une table de tortures, subissant la question ordinaire - autrement dit le supplice de l’eau -. Pourtant, le cachalot du Système Sol avait pris la précaution de se munir d’un démodulateur psychique. Avec peine, il s’en rappela et parvint à appuyer sur la touche centrale du mini appareil.
Instantanément, plongés en état de choc, les change-formes prirent la poudre d’escampette!
Maintenant, il ne restait plus à nos amis qu’une seule porte à franchir avant d’atteindre le saint des saints. Elle donnait bien évidemment accès au laboratoire central. Elle s’ouvrit, chose non étonnante, sans un grincement, laissant apparaître sur son seuil un laquais des plus stylés vêtu d’une livrée verte comme on en rencontrait jadis à Versailles sous Louis XV. 
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Avec un sourire narquois, le « Nestor » toisa les intrus puis, avec un tour de passe-passe, ôta son uniforme de larbin ainsi que ses faux bras et jambes.
- Une autre diablerie! Fit Craddock à la fois sarcastique et sur ses gardes.
Notre grognon de service n’eut pas le temps de rajouter une insulte de son cru comme à son habitude. L’émule du prince Randian, aussi vif que du mercure, (au XIXe siècle on disait encore vif-argent), se mit à ramper à une vitesse prodigieuse. Il se déplaçait si vite qu’il était à peine visible. Pieds Légers ne put retenir une incongruité qu’il croyait pleine d’humour mais qui, en fait, masquait sa peur.
- Maître, nous avons affaire à un homme serpent. Alors, il nous faut son ennemi naturel, une mangouste.
Le danseur de cordes lui répliqua sévèrement:
- Cesse donc de dire des sottises et trouve plus de lumière.
L’Artiste avait l’intention de compléter ses ordres mais il n’en eut pas l’occasion. Encore une fois, un des sbires de Galeazzo le prenait pour cible. Sans coup férir, l’homme serpent s’enroula autour de son torse. Le contact visqueux et froid de la créature de foire fit frissonner Frédéric.
« Comment se dépêtrer de cette glue vivante »? Pensa le danseur de cordes.
L’ancienne vedette du boulevard du Temple cherchait non seulement à étouffer sa victime mais aussi à la mordre. De son côté, l’Artiste tentait de se saisir de sa canne-épée qu’il avait eu le tort de ranger. Il lui fallait au plus vite embrocher l’homme ophidien.
Mais les acolytes du chef de la pègre de Paris ne restaient pas inactifs essayant de porter secours à leur maître. Mal leur en prit car ils avaient relâché leur attention.
Des murs sortirent des myriades et des myriades de scorpions comme crachés par la bouche de l’enfer. Ils arboraient non seulement une carapace renforcée mais présentaient également une taille inhabituelle. On les aurait crus atteints de gigantisme. Arachnides bien réels ou hallucination?
Il n’était pas temps de s’en préoccuper. Les dards mortels pointaient et il fallait à tout prix les éviter.
Retrouvant son agilité coutumière, Guillaume mit enfin la main sur un interrupteur. La lumière électrique chassa simplement les scorpions chimères. Quant à l’homme serpent, aveuglé, il desserra sa prise pour glisser malencontreusement sur le sol ne parvenant pas à recouvrer son acuité visuelle.
Les quelques secondes de répit ainsi obtenues permirent à Tellier de décapiter l’être monstrueux, ce qu’il fit sans aucun remords. Tandis que la tête hurlait muettement une ultime imprécation dans un affreux rictus, le long tronc serpentiforme tressautait, tout sanglant, sur le carrelage de tommettes.
Mais au fond de la pièce se dissimulait une porte en acier blindé. Que cachait-elle de si précieux?
Elle s’ouvrait comme une porte de coffre-fort dont il fallait tourner me mécanisme circulaire en ne se trompant pas de combinaison. Galeazzo di Fabbrini avait rajouté cette protection de dernière minute après s’être rendu compte de l’intrusion de Craddock et consorts dans le saint des saints quelques nuits auparavant.
- Ah! Ce n’est qu’un vulgaire fout coffre-fort! Ça manquait à notre collection, siffla Nestorius entre ses dents plus ou moins ébréchées.
Frédéric Tellier s’avança avec circonspection.
- Faites silence, je vais l’ouvrir.
Plaquant alors son oreille contre le mécanisme, le danseur de cordes commença à actionner la roue à clef délicatement. Son ouïe fine et exercée lui permettait de percevoir le plus petit déclic. Dans ce cas, il avait affaire à une combinaison à six chiffres.
Frédéric vint à bout des quatre premiers. Pierre Fresnay qui, évidemment, connaissait les classiques de la littérature populaire, ne put retenir cette réflexion:
- Il ne manquerait plus qu’un jet d’acide se mette à jaillir au moment crucial!
Tellier lui fit comprendre de se taire par un froncement de sourcils. L’Artiste semblait inquiet. Après le cinquième chiffre, il marqua une pause.
- Maître, murmura Marteau-pilon, pourquoi cet arrêt?
- Je flaire un piège.
Le danseur de cordes réfléchit intensément durant deux minutes dans un silence religieux puis il déclara:
- Il y a là un mécanisme diabolique qui porte la signature de di Fabbrini. Le cinquième chiffre m’a résisté. Cela me rappelle quelque chose qui n’appartient pas à cette chrono ligne.
Sans rien ajouter, Frédéric ouvrit alors un grand sac que portait Marteau-pilon, un sac qui ressemblait aux sacoches dont les médecins du XIXe siècle avaient l’usage. À la stupeur des comédiens, il en sortit un brassard emprunté à une armure du XVIe siècle. Michel Simon éclata de rire malgré la situation.
- Les Habits noirs et la caisse Bancelle!
- Ah! Vous connaissez cela aussi?
- Ben tiens, répondit le comédien. On a de la lecture.
Ainsi protégé, le danseur de cordes fit glisser le dernier chiffre. Le coffre s’ouvrit partiellement et avala le bras caparaçonné. L’Artiste ne tressaillit même pas. Il ne ressentait aucune douleur. La mâchoire d’acier ressemblait à une plante carnivore mais Frédéric n’en avait cure.
- Il fallait revenir de deux tours en arrière sur la gauche, proféra le chef de la pègre avec un demi-sourire.
Toujours imperturbable, Tellier fit comme il l’avait dit. Aussitôt, sa main fut libérée et Germain la Chimène put pousser la porte blindée. Une voix féminine accueillit les aventuriers, persiflant avec une ironie cruelle.
- Messieurs, je ne vous félicite pas! Vous avez dix minutes de retard sur mes estimations. Stunk ces stupides humains sont à toi!
Le lycanthrope ne se formalisa pas de ce tutoiement. Il bondit sur Germain et lui griffa sauvagement l’épaule. Puis, toujours aussi prompt dans son attaque, il eut le temps de s’en prendre à Pierre Fresnay dont il mordit cruellement la jambe. Ensuite vint le tour de Charles Laughton. Ce dernier, dans l’histoire, perdit un gros morceau de chair arraché à son flanc droit.
Personne ne réagissait donc? Craddock cherchait désespérément un micro fuseur fouillant dans ses oripeaux. Le Piscator, tout dolent qu’il était, Tellier et Pieds Légers jouèrent les lanceurs de couteaux afin de stopper le loup. Mais les lames glissaient sur la peau coriace et le poil rêche du garde du corps de Maïakovska.
Pour ajouter une touche fantastique, il est bon de signaler que les yeux rouges de Stunk luisaient d’une manière terrifiante dans la demi-pénombre. Ainsi, il ressemblait assez à un animal surgi des enfers.
Pendant que les armes blanches se perdaient, Symphorien farfouillait toujours dans ses nombreuses poches, gémissant de colère impuissante.
- Oh non! Ce n’est pas vrai! J’ai perdu mon micro fuseur dans la bataille tout à l’heure. Au lieu de jouer au Ramon Zarate de caf’conc’ les gars, vous auriez mieux fait d’emporter des armes à feu!
- Ce n’est que cela? Jeta Irina avec ironie. Messieurs, je puis vous faire plaisir…
La jeune femme révéla alors ses atouts. Désormais, elle brandissait deux imposants fusils plasmatiques venus tout droit du XXVIe siècle. Vous a-t-on dit que la Russe portait un habit masculin désuet et que ses longs cheveux roux étaient coiffés en catogan?
- Mes ennemis, vous allez de ce pas rôtir en enfer. Mais vous ne serez pas seuls. Danikine qui vous aura précédé applaudirait des deux mains à ce qui va suivre. Voyez!
Tout en tenant ses deux fusils, la capitaine fit pivoter du pied un fauteuil. Celui-ci dévoila alors son hôte ou du moins ce qu’il en restait.
- Admirez l’efficacité de mon lieutenant! Le contraire de vous, messieurs. Quel gaspillage! Stunk obéit au moindre claquement de mes doigts. Beau dressage, n’est-ce pas? Comme vous pouvez le constater, Pavel, ce sot, a voulu s’opposer au feu d’artifices que je préparais.
Guillaume, qui avait réussi d’extrême justesse à éviter les crocs du loup-garou, eut le tort de porter ses yeux sur le cadavre de l’authentique baron et faux prince. La nausée qui le secoua alors fut si violente qu’il en oublia la peur qui le taraudait.
Il y avait de quoi être malade. La tête de Danikine s’inclinait selon un angle bizarre; en observant attentivement, on se rendait compte qu’elle était en fait presque entièrement détachée du tronc. Sous la coupe d’Irina, Stunk avait déchiqueté le cou de Pavel.
Assez musardé, je suis plutôt pressée. J’ai un timing à respecter, moi. Stunk, aux pieds!
Maïakovska rappelait le Lycanthrope comme s’il n’était qu’un délicieux et gentil cocker obéissant. Mais Stunk ne s’en vint pas aux ordres de son supérieur. Le lieutenant avait fort affaire avec Marteau-pilon. Le colosse avait à son actif la mort de trois lions, deux tigres - certes quelque peu âgés mais tout de même! - de quatre buffles et de cinq malheureux bisons. La mâchoire hypertrophiée du Lycanthrope ne lui servait à rien face à l’agilité et à la force du géant. Le compagnon de chaîne de l’Artiste à Toulon put se saisir assez facilement du lieutenant. Il lui tint l’échine d’une main puissante tout en immobilisant les crocs de l’officier de l’autre.
Alors, chose incroyable, le super loup émit des gémissements rageurs tout en bavant abondamment.
- Peuh! Après tout, tu n’es qu’un chien, guère plus. Fit Marteau-pilon benoîtement. Un chien enragé toutefois. Voilà comment je les mate, moi!
Sans effort apparent, le colosse brisa net la mâchoire et le dos du Lycanthrope. Puis, haussant ses larges et formidables épaules, il se débarrassa de la carcasse désormais pitoyable en la projetant contre la porte blindée avec un dédain marqué.
Tel fut le prosaïque éloge funèbre du garde du corps surentraîné d’Irina Maïakovska.
- Vous n’avez pas mieux que cela à m’offrir comme adversaire? Dit le géant avec un mépris involontaire.
- Tant pis pour vous! S’écria Irina répondant à l’affront de Marteau-pilon;
Soudain, la jeune femme fut enveloppée d’une lueur violette irréelle; elle n’en poursuivit pas moins :
- Peut-être le feu vous arrêtera-t-il, peut-être pas. Il va toutefois accélérer l’éclosion d’horribles fleurs, ces clones. Bien du courage à vous, messieurs. Adieu!
L’agent russe, possédé par l’esprit de Fu le Suprême, commença à quitter la réalité du laboratoire de Danikine alors que Daniel Lin Wu et André Fermat se téléportaient dans le hangar. Toutefois, les deux Supra humains eurent le temps d’entrapercevoir l’étrange signature violette qui, autrefois, était la caractéristique du Commandeur Suprême et de Johann. Irina Maïakovska gagnait-elle un instant du passé ou de l’avenir?
Cette question ne pouvait être tranchée pour le moment car l’incendie allumé par les tirs de plasma grandissait à vue d’œil. Désormais, il grondait et rugissait, dévorant allègrement et gloutonnement des câbles de cuivre mal protégés, s’abreuvant de liquides hautement inflammables, d’alcool enfermé dans des ballons qui se répandait après que les fragiles flacons de verre eurent éclaté, se nourrissant aussi de paillasses renversées et d’alambics éventrés.
En une minute tout au plus, les flammes goulues et insatiables parvinrent jusqu’aux cuves dont-elles léchèrent les parois avec une gourmandise frénétique. À l’intérieur de celles-ci, les liquides nourriciers clapotèrent puis entrèrent rapidement en ébullition, accélérant ainsi le processus de la naissance.
Tandis que l’Observateur en était encore à se demander s’il devait agir et comment sans pour cela révéler sa véritable nature, déjà, plus ou moins achevés, les futurs soldats d’élite, ceux du nouveau Napoléon, poussaient de petits cris piailleurs tout en se contorsionnant de douleur, sautaient hors de leur matrice tels d’abominables écorchés trop cuits. 
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Certains de ces clones n’étaient que des môles, des mûres géantes, des grappes de cellules indifférenciées anarchiques d’une repoussante laideur. Heureusement, ces fruits monstrueux ne vécurent pas longtemps. Ils éclatèrent simultanément en aspergeant de leur abominable viscosité tout ce qui se présentait à leur portée dans la plus grande indifférence et la plus parfaite égalité.
Déjà en piteux état, se traînant, Charles Laughton, décidément jouant ici le rôle intenable de souffre-douleur, mais de qui, avait visiblement besoin des talents de guérisseur de Dan El. Bien involontairement, encore une fois exposé, il avala une gorgée de cette immonde bouillie.
De même, toute la chevelure de Joël Mc Crea s’empoissait.
Parmi ces zombies nouvelle manière, qui auraient fait le succès de films gore pour ados américains en mal de sensations fortes et gavés de hamburgers et de frites, amateurs de pop corn, on reconnaissait une statue vivante anthropomorphe constituée uniquement de sels minéraux, une peau humaine emplie d’un liquide composite eau lymphe, qui, bien sûr, creva sans prévenir, telle une bulle putride dans un marais mortifère.
Un des clones était seulement composé du  réseau  capillaire sanguin. Le tout dessinait cependant une silhouette humaine complète. Un autre ne formait qu’un squelette dont on apercevait néanmoins un cerveau sanguinolent enfermé dans une calotte crânienne non scellée.
Il ne faut pas oublier dans cette théorie d’horreurs de films « Z » d’Hollywood de l’âge d’or, les écorchés classiques, presque banals qui se mouvaient lourdement, se déplaçaient avec une maladresse pitoyable telle l’incontournable créature de Victor Frankenstein. 
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Au milieu de ce cours d’anatomie et de physiologie assez particulier, assénés par ces génies dévoyés répondant aux noms de feu le baron Danikine, du comte Galeazzo di Fabbrini, ce dernier connu sous le sobriquet pompeux auto attribué du Maudit, les deux Yings Lungs non avoués détectèrent une présence insolite n’appartenant ni à cette chronoligne-ci, ni à cette réalité là.
Au premier abord, l’humain, comme coincé entre deux dimensions, était un Sikh. Il était identifiable par son turban dont il ne se séparait jamais, sa barbe noire, ses moustaches et son poignard au manche recourbé. Un domestique survivant enrôlé par Galeazzo?
Alors, pourquoi dans ce cas faisait-il signe à la bande de Tellier, aux comédiens meurtris et aux deux Supra humains de se réfugier dans la cavité soudainement apparue à droite du laboratoire?
Gana-El émit mentalement:
- C’est un piège Daniel Lin. Ne nous y précipitons pas.
Le commandant Wu lui rétorqua sur le même mode.
- André, pour éteindre cet incendie activé par une force inconnue, il me faudrait faire appel à toutes mes ressources. Or, à part passer en ultra vitesse ce qui aurait pour résultat d’accélérer le feu, achever ces essais inaboutis d’humanoïdes, je ne sais quoi entreprendre d’autre.
- Seriez-vous en train de me suggérer d’obéir à cet Asiatique?
- Tout à fait. Amiral, nous ne risquons rien. Ce Sikh est un agent de Shah Jahan.
-Ah! Comment le…
Fermat arrêta net sa stupide question. Daniel Lin faisait déjà signe à Tellier et au reste de la troupe de s’engager dans la cavité qui commençait à rétrécir. Lorsque tous les tempsnautes furent momentanément à l’abri, le serviteur s’estompa pour gagner une autre dimension alors que le rire lugubre du triste sire di Fabbrini retentissait.
- Je vous l’avais bien dit, formula André sur un ton sarcastique. Vous nous avez tous jetés dans le piège.
Le commandant Wu ne répondit à cette remarque que par un imperceptible haussement d’épaules; lui était persuadé avoir eu raison.
Nos amis se retrouvaient en fait dans un lieu assez éloigné des laboratoires de Chatou. C’était comme si les intrus avaient franchi d’un seul pas une distance de quelques dizaines de kilomètres, une sorte de trou de ver géographique qui les avait menés dans un autre secteur de la catacombe secrète où la secte chère au cœur d’Olibrius van de Gaerden sévissait.
Des voûtes en plein cintre verdâtres, rongées de concrétions calcaires et de moisissures surmontaient le groupe de rescapés de l’enfer créé par Irina. Des murs en appareil romain de briques - opus  testaceum - usés par les siècles tenaient encore bon. Au milieu de la caverne, trônait un antique bassin asséché depuis des lustres, certes, mais d’où émergeaient des momies romaines pétrifiées, saisies dans les contorsions grotesques de l’agonie, toutes entassées les unes sur les autres, semblables aux restes humains moulés découverts à Pompéi. 
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Ce lieu sentait la mort, on la respirait à chaque bouffée, car de nombreuses dépouilles gisaient à moitié encastrées dans la muraille ou dans le sol, comme si elles avaient été partiellement amalgamées par une distorsion incongrue, mal contrôlée de la matière. Sans doute s’agissait-il là d’un terrible accident de téléportation.
Ces victimes muettes à jamais, grimaçantes et terrifiantes à l’excès, étaient les premiers témoins d’une expérience ratée de fusion avec la divinité - laquelle? - expérience qui avait été tentée il y avait bien des années et qui remontait au temps de la philosophie interdite des quatre hypostases. Pour leur malheur, les prières des acolytes avaient activé l’énergie créatrice  baignant le Prémultivers.
Les rats de cave allumés par Pieds légers s’avérèrent impuissants à révéler dans sa totalité le lieu où nos héros avaient abouti. Une impression d’irréalité flottait. Tous ou presque se percevaient différemment, autrement, à l’intérieur d’un prisme déformant.
Ainsi la catacombe se reflétait à l’infini dans les quatre points cardinaux et les trois dimensions mais avec un rien de flouté et d’étiré.
Certains avaient l’impression d’être enfermés au sein d’une énorme mâchoire de goule. Le monstre avide aspirait tous les intrus qui passaient à sa portée.
Michel Simon, le premier, faillit céder à la panique. Il ne put supporter ce sentiment de malaise, cette vision déstabilisante. Il rendit tripes et boyaux sur les bottes de Craddock. Ce dernier gronda.
- Scabin! Grand Coësre! Amiral de bateau-mouche! Capitaine de pousse-pousse! C’est qu’il ne s’excuse même pas le gars! Pas gêné pour un fifrelin. Non, mais… une paire de bottes quasi neuve que j’ai achetée sur Mingo il y a quinze ans à peine, autrement dit hier, ressemelée deux fois et non dix!
Sous la colère, Symphorien voulut administrer un coup de poing bien senti au comédien pour le punir, mais il n’en eut pas la force car, à son tour, il fut pris de vomissements. Il hoqueta et cracha de la bile à faire pitié.
Malgré les efforts humains ou surhumains de Fermat, le tourbillon qui s’était formé, absorba le groupe, le transportant vaille que vaille de paroi en muraille jusqu’à une salle parfaitement sphérique, une géode nue et lisse, aux murs chaulés minutieusement.
En son centre, Tellier remarqua la présence d’un œil prophylactique, symbole maçonnique de la divinité, de l’Être Suprême. Tel qu’il était positionné, rien ne lui échappait. La paupière se souleva davantage lorsque les tempsnautes parvinrent au cœur de la chambre circulaire. Guillaume qui, décidément, avait encore tout à apprendre, s’écria:
- Il s’éclaire.
- Non, mon garçon, répliqua le vice amiral avec un grincement de dents, l’œil projette des rayons destructeurs. Or, ici, nulle cachette. Nous ne pouvons échapper par des moyens ordinaires à la foudre de cet œil de cyclope omniscient.
Charles Laughton jeta de sa voix mi-figue mi-raisin:
- Un panopticon de Jeremy Bentham! 
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- Certes, mais amélioré, compléta Daniel Lin, qui, inexplicablement semblait s’amuser tel un adolescent farceur. Toutefois, dans un accès de pitié, il avait soigné le comédien britannique alors que le tourbillon les emportait dans cette nouvelle prison.
Toujours didactique, le plus que daryl androïde se sentit obligé d’étaler son savoir.
- Un panopticon normal ne présente qu’une forme panoramique. Ainsi, les célèbres Nymphéas de l’Orangerie, chronolignes 1721 et 1722. Or, ici, je vous le rappelle, nous sommes bel et bien dans une géode. Ou du moins c’est ce qu’il me semble…
Décidément Dan El perçait dans Daniel Lin.
Tellier se mordit les lèvres. Il avait compris en quoi consistait précisément le piège. À cet instant, faisant écho à l’inquiétude légitime du danseur de cordes, une voix enregistrée s’éleva tandis qu’un éclair argenté frôlait Marteau-pilon, lui rôtissant douloureusement l’avant-bras gauche.
- Souvenez-vous de Platon et du « Sol Invictus » d’Aurélien, fit la voix désincarnée avec le timbre de l’Ultramontain. Misérables mortels, cherchez l’issue, si toutefois il y en a une! Je ne vous ai laissé qu’une seule chance. Alors, réfléchissez bien et tâchez de ne pas succomber à cette épreuve.
Mais la voix mécanique émit un couac épouvantable.
- Hum, ce n’est pas dans l’habitude de Galeazzo de laisser ainsi passer une telle erreur, marmonna Frédéric avec un léger sourire.
Daniel Lin articula doucement une réponse qui se voulait rassurante.
- Tout simplement, le disque vient de se rayer. Ce n’était pas di Fabbrini qui s’exprimait mais Johann Van der Zelden imitant le comte. Notre « Hollandais volant » veut manifestement trop bien faire en utilisant une technologie obsolète dont le maniement lui échappe. Cela ne m’étonne guère car, depuis quelques jours il ne maîtrise plus beaucoup de choses.
Le commandant Wu paraissait sûr de lui, détendu, ne pas s’en faire malgré la situation périlleuse dans laquelle lui et ses compagnons étaient plongés. Il ne s’agissait pas là d’une stupide, orgueilleuse et vaine attitude, mais le résultat d’un raisonnement logique. Daniel Lin saisissait que l’Ennemi ou celui qui se pensait tel jouait avec les captifs comme s’ils étaient les personnages, les cobayes plus exactement d’un super jeu de rôle d’une élaboration des plus complexes.
- J’ai déjà affronté ailleurs le mandala, le baguenaudier, la boulie et j’en passe. Van der Zelden a tendance à se répéter, persifla le commandant Wu. Toutefois, ce vilain Johann a lâché une information de première importance, le Sol Invictus d’Aurélien. Je puis donc affirmer que nous sommes enfermés présentement dans un soleil symbolique dont l’œil constitue le noyau central.
Pendant que Daniel Lin discourait ainsi sur un ton primesautier, Pieds Légers fulminait de rage impuissante.
- Soleil symbolique, monsieur Wu? Proféra Guillaume. Pardon, faites excuse, mais les rayons de ce soleil sont bien réels et ils nous ont pris pour cibles. Pis, leur fréquence s’accélère!
L’adolescent ignorait la propension de Daniel Lin à tout prendre avec détachement voire avec désinvolture lorsque le danger devenait pressant. C’était là le moyen dont usait le commandant pour faire baisser la tension et évacuer la peur.
Cependant, quoi qu’en pensât réellement le daryl androïde, la vie de ses compagnons était vraiment menacée.
La preuve? Nos amis devaient désormais ramper, sauter, s’accroupir, se tortiller, s’aplatir contre les murs et le sol afin d’échapper aux tirs meurtriers de l’œil omniscient.
À ce jeu-là, l’épreuve était rude pour Charles Laughton, le moins agile et le moins en forme du groupe. Le comédien vit sa peau grésiller à maints endroits. Bien malgré lui, il avait à remplacer ici l’inénarrable Saturnin de Beauséjour, le faire-valoir clownesque habituel, pour l’heure mis sur la touche - ce n’était pas la première fois - et qui se morfondait, bien peinard, à bord du Vaillant, tenant compagnie à miss Grimaud et à son chat Ufo.
Insensible à ce tourment, du moins en apparence, Daniel Lin continuait de palabrer comme s’il était en train de se promener par une belle et parfumée matinée de printemps dans les allées du jardin des Tuileries.
- Connaissant le sot perfectionnisme de notre sot ennemi très fidèle Johann, il est évident que l’œil prophylactique possède un réglage héliosynchrone. Il suffit donc de calculer la position du Soleil par rapport au lieu dans lequel nous sommes pour en anticiper les mouvements et contrer cet engin diabolique.
- Daniel Lin, lança mentalement André, qu’allez-vous tenter encore? Tantôt, vous n’avez point eu la main heureuse.
- Amiral, rien qui ne soit au-dessus de mes talents de daryl androïde, répondit du tac-au-tac le commandant. Rassurez-vous, André, je ne suis ni fou ni présomptueux.
- N’en faites pas trop cependant!
- Il faut bien que j’agisse à votre place. Ne dois-je pas vous protéger?
Craddock qui ne percevait rien de cet échange mental, renchérit aux précédents propos de Daniel Lin.
- Je vois parfaitement de quoi tu causes mon gars. Faire le point comme du temps de cette bonne vieille marine à voiles. Manque de pot, les zigues, ici, nous ne sommes pas à bord du pire esquif d’eau douce mais… excusez-moi de vous le rappeler, bel et bien au milieu de nulle part avec aucun sextant! Navré, commandant, mais c’est la triste réalité! Aïe! Purée de rayon de zèbre mal luné du cirque Barnum! Il a failli brûler ma tignasse ce salopiaud!
- Que nenni, capitaine, détrompez-vous, nous ne sommes pas si démunis, répondit Daniel joyeusement. Je sais où nous sommes précisément, à Paris, mais sous terre, comme tout à l’heure, plus bas toutefois que le niveau de la Seine, dans le gruyère des catacombes. Si vous désirez plus de détails, hé bien, je suis d’humeur à vous les fournir. Bon sang, Marteau-pilon, un effort! Rampez en vous aplatissant davantage! Ce rayon est passé à un demi-millimètre de votre mollet. Ah! Où en étais-je? À 155 mètres du lieu où se dressera le lion de Denfert-Rochereau. Celui de la ligne 1720 et ainsi de suite. Ce nigaud de première de Johann veut nous plonger dans un fac-similé grossier des aventures de Blake et Mortimer.
Pieds Légers, admiratif, s’exclama:
- Mazette, commandant, bravo! Mais comment savez-vous ça?
- Oh simple don de transdimensionnalité! Mon corps est ici, parmi vous, mais une partie de mon esprit englobe…
Daniel Lin s’interrompit juste à temps. Ses talents n’étaient ni humains ni ceux d’un daryl androïde. Qui était-il au juste? Un Homo Spiritus? Non, assurément pas… alors?
- Assez subi. J’ouvre le chemin, jeta Dan El avec aplomb.
- Dois-je vous recommander une nouvelle fois la prudence? Souffla Fermat discrètement. Ce piège n’a que l’apparence d’une chausse-trappe élaborée par Van der Zelden.
- Oh! Il y a longtemps que je l’ai compris, amiral. Le Dragon Noir l’a amélioré.
André cligna des yeux en signe d’assentiment.
S’étant enfin décidé à calculer la régularité des tirs de l’œil laser, le jeune Ying Lung anticipa chacun d’eux avec une facilité déconcertante. Passant en hyper vitesse, plus rapide que l’arme mortelle, il échappa aux rayons meurtriers et d’un coup de poing, d’un seul, alors que pourtant il retenait sa force, il fracassa magistralement l’œil et tous ses composants, iris, rétine, paupière.
Incroyablement, Daniel Lin n’avait rencontré aucune résistance lors de cette action osée. Avec pareil traitement, les tirs cessèrent immédiatement tandis que la sphère s’ouvrit.
- Zut! Lança Pierre Fresnay avec dépit. Nous sommes toujours enfermés à l’intérieur d’un volume. Mais lequel?
- Ce n’est là qu’un tout petit problème fort élémentaire de géométrie spatiale! Qu’espériez-vous donc? Que nous sortirions libres à la seule élimination de cet œil?
- Commandant Wu, répondez-moi. Où nous trouvons-nous présentement?
- Dans un octaèdre de Mercure, fit Fermat à la place de Daniel Lin avec un sourire forcé. En fait, nous sommes prisonniers à l’intérieur d’un empilement de volumes gigognes dont il nous faut impérativement découvrir l’issue. Un peu comme les poupées russes…
- Certes, rétorqua Craddock avec la furieuse envie de cracher. Nous n’avons rien de demeurés, bien que, par rapport à vous deux, nous pourrions croire le contraire!
Cette remarque bien sentie montrait que le bon vieux loup de l’espace n’était pas dupe et qu’il se doutait que les deux officiers étaient plus que des humains.
- Johann s’est amusé à nous enfermer à l’intérieur d’un système de « sphères de Kepler », crut bon de compléter le jeune Ying Lung toujours sur un ton professoral. Celles-ci ont été décrites avec forces détails par l’astronome du XVIIe siècle dans son « Mysterium ». À Mercure, succéderont Vénus, la Terre et ainsi de suite. Rien que de très logique. 
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- Dites, commandant Wu, pourquoi cette leçon? Vous rendez-vous bien compte que nous ne sommes toujours pas libres, sains et saufs dans le monde extérieur? S’insurgea Symphorien.
- Mais capitaine, ce n’est qu’une question de temps! Affirma Daniel Lin avec une confiance totale.
N’écoutant pas ces propos pour lui plus qu’obscurs, la Chimène, malgré son poids imposant, se sentait léger. Il avança d’un pas et celui-ci eut pour résultat de le projeter dans les airs. Germain n’avait jamais expérimenté une telle chose. Au lieu de se récrier et d’avoir peur, heureux, il dit naïvement!
- Je suis devenu un pinson et je vole!
Il éclata de rire.
Peu à peu, tous ses compagnons l’imitèrent, flottant en état d’apesanteur, comme dans l’entraînement des futurs astronautes de la NASA avant qu’ils soient aptes à rejoindre la Station Spatiale Internationale.
Alors que la plupart des membres de la bande se réjouissait et s’ébattait dans les airs, Fermat reprit la parole du ton caustique dont il usait souvent lorsqu’il s’adressait à des inférieurs.
- Si la pesanteur se rétablit, nous nous écraserons au fin fond de la pointe inférieure de l’octaèdre.
Cette phrase eut l’effet escompté par le Ying Lung. À la légèreté succéda la lourdeur. Le maître espion ne s’était pas trompé. Cette fois-ci, leurs membres lestés, les tempsnautes allaient retomber durement lorsque Daniel Lin se dévoua. Il savait le volume malléable. Sous le regard incrédule de ses amis, il déstructura la matière de l’octaèdre en se contentant de lui souffler dessus.
Le volume s’ouvrit alors comme une boîte. Dans son for intérieur, Gana-El était particulièrement fier de l’inventivité de son rejeton.
Lorsque Mercure fut détruite, le vice amiral jeta:
- Bienvenue maintenant dans la sphère de Vénus, dans l’icosaèdre.
Le ton restait sarcastique.
Le nouveau volume ressemblait incongrûment à une salle d’attraction de fête foraine. Nos personnages, déformés, se reflétaient dans les vingt facettes prismatiques de l’icosaèdre, piège physique tout autant que temporel. Les alter egos avaient tous les âges. Ils se présentaient vêtus différemment d’une face à l’autre des miroirs tandis que leurs gestes étaient plus ou moins ralentis ou accélérés. Or, les hétérochronies des reflets allaient en s’aggravant. Cette épreuve pouvait rendre fous des esprits fragiles.
Ainsi, traumatisé, Pieds Légers se recroquevilla sur lui-même, prêt à sangloter tel un jeune enfant terrifié. L’adolescent était excusable d’afficher son désarroi. D’une facette à l’autre, il pouvait en effet s’apercevoir en vieillard chenu, en fœtus tétant son pouce, en K’Tou grondant, en double anthropopithèque, en dinosauroïde grimaçant, à la peau grisâtre, tout cela à différents stades et âges de la vie et de la mort.
- Ah! Non! Pas de ça, fiston! Rugit Craddock. Espèce de Protolepidodendron, tu ne vas pas t’effondrer maintenant!
Cependant, après avoir jeté un rapide coup d’œil en direction de Fermat, Daniel sut comment détruire la sphère de Vénus. Usant de son hyper vitesse, il dissocia les vingt triangles du volume qu’il brisa en micro poussières, et ce, apparemment sans efforts.
Tellier conclut, non sans humour:
- J’avais l’impression de me retrouver coincé à l’intérieur de l’œil d’un insecte gigantesque.
- Pff! Souffla le Cachalot de l’espace. Dites plutôt l’œil d’un djinn mauvais et espiègle prenant plaisir à jouer avec nous, les humbles mortels.
Symphorien n’était pas si loin de la vérité.
Le daryl androïde avait de plus en plus l’impression que cette épreuve ne s’adressait pas à toute son équipe mais avait été préparée pour le tester personnellement. Afin, s’il la passait avec succès d’accéder à un autre niveau de perception de la Supra Réalité? Sans doute.
Les tempsnautes venaient d’aboutir au sein du dodécaèdre de la Terre, planète bleue, dont chaque facette était constituée d’un aquarium. Les parties des corps de nos amis se dissocièrent devenant autonomes, chacune se retrouvant dans l’un de ces aquariums. Or, à l’intérieur de chaque volume, nageait un redoutable prédateur qui n’appartenait pas forcément à l’ère quaternaire.
On y rencontrait ou croisait le requin pèlerin, l’orque, l’espadon, mais aussi Euriptérides, Anomalocaris, évidemment surdimensionnés, Elasmosaure, poisson cuirassé géant,  Dunkleosteus, le nautiloïde - 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/95/Dunkleosteus_BW.jpg
céphalopode silurien à coquille conique,
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 Mesosaurus ou crocodile aux pattes palmées, à très longue queue s’élargissant, groupe de Phytosaures 
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ressemblant - encore! - à des crocodiles à la mâchoire assez large et conséquente mais se terminant dans ce cas-ci par un bourrelet disgracieux - ces animaux appartenaient à la fin du Trias - Basilosaurus, baleine de l’ère tertiaire, et bien d’autres spécimens bien plus étranges encore comme le Tylosaure. 
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e5/Platecarpus_BW.jpg     
Dans ce lieu, si un des membres était perçu comme une proie, il ne fallait pas qu’il fût mordu car, non content de priver ses adversaires de leur intégrité physique, Johann ou le véritable maître d’œuvre avait rendu impossible toute reconstitution intégrale. Pour rajouter à cette cruauté, les parties déchiquetées et lésées finissaient par se dissoudre tel du sodium dans une solution aqueuse.
Daniel Lin ne se formalisa pas de devoir se dévouer encore et de trouver l’issue de ce piège dans le piège. Il griffa la paroi du dodécaèdre qui, ainsi, se mit à vibrer. Ces vibrations, suivies d’oscillations, se propagèrent aux autres aquariums, puis s’intensifièrent puisque chacun des membres démultipliés du commandant Wu agissait de même. Au bout d’un certain temps non mesurable ces actions simultanées provoquèrent la rupture du piège.         
Au contact de l’air, l’eau s’évapora avec toute sa faune comme si elle n’avait jamais été réellement là. Happée par une autre dimension, elle fut escamotée. Automatiquement, le Tétraèdre ou pyramide de Mars se substitua au dodécaèdre de la Terre.
- Que tout cela devient lassant, bougre de bougre! Soupira Symphorien en se grattant comme s’il était harcelé par des poux.
Toutefois, grâce au commandant Wu, le groupe avait franchi une étape supplémentaire. Désormais, s’offrait à lui une épreuve qui paraissait insurmontable. L’équipe se retrouva, à son grand dam, découpée en fines lamelles, chacune soumise à des tirs de lasers, chaque tranche contenue à l’intérieur d’une pyramide individuelle; or, tout naturellement, chaque pyramide était emboîtée l’une dans l’autre, jusqu’à l’infini, de l’échelle du quark au Pantransmultivers.
La patte de Johann ne suffisait pas à expliquer le processus utilisé ici. D’autant plus que, pour compliquer encore davantage ce piège multidimensionnel, des lamelles duplicata des doubles négatifs « miroirs » de nos héros se matérialisèrent de façon inattendue.
Fermat et le commandant Wu semblaient subir le même sort que leurs compagnons mortels.
Dans cette poupée russe infiniment grande et infinitésimale à la fois, Daniel Lin, s’il n’y prenait garde, pouvait se recomposer en son modèle premier, son primitif avatar Daniel Deng.
L’alter ego négatif du capitaine Craddock était un affreux pirate assoiffé de sang, allié aux Otnikaï, une espèce de succédané spatial de Barbe Noire.
Celui de Frédéric Tellier un bagnard sans foi ni loi qui avait tué sans remords des dizaines et des dizaines d’individus sans connaître la rédemption. Notre triste sire avait commencé sa carrière en égorgeant sa mère adoptive à l’âge de douze ans puis avait couronné ses sanglants exploits en précipitant contre les rochers son bienfaiteur, le comte Galeazzo di Fabbrini. Personne n’avait retrouvé le corps de cet homme altruiste si généreux. Hé oui! Dans cet Anti-Univers l’Ultramontain était un être pétri de bonté et de naïveté.
Le double de Michel Simon s’apparentait à une sorte d’Emil Jannings, acteur pronazi notoire.
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 Celui de Joël Mc Crea imitait quelque peu Chester Flynt, de sinistre mémoire, compromis jusqu’au cou avec l’extrême droite non interventionniste appliquant à fond la doctrine Monroe durant la seconde Guerre mondiale de la chrono ligne 1720. Un personnage parasite et son double négatif apparurent également en ombres fantomatiques dans les lamelles pyramidales. Tous deux avaient la profession de mathématicien.
Daniel Wu reconnut dans la projection jumelle l’entité Merritt alors que l’alter ego positif vint à sa souvenance en tant que célèbre révérend bègue amateur de photographies. Ce mystère anticipateur, il ne le percerait que plus tard, ailleurs, mais véritablement ailleurs.
Un peu à l’écart, Pieds Légers devenait un « Billy the Kid » français dévoyé, capable de tuer de sang froid à la moindre contrariété, selon son humeur capricieuse. Son arme de prédilection restait le surin dont il était passé maître dans le maniement. 
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André Fermat ne fut pas affecté par le phénomène. Inutile de fournir une explication, n’est-ce pas.
Décomposé en milliards de lamelles isolées les unes des autres, et ce, grâce aux multiples pyramides empilées, chacun perdait inexorablement la conscience de sa propre identité dans cette chronoligne 1730. La volonté du jeune Ying Lung devait s’imposer au plus vite. Il ne fallait pas qu’il commît la moindre erreur en rassemblant les parties éparses de ses amis et compagnons.
En fait, chaque pyramide jouait le rôle d’une brane, que Daniel devait désentortiller et réenrouler avec le plus grand soin, comme les tores d’une corde spiralée.
Pour y parvenir, le Riu Shu qui se cherchait encore, devait déstructurer les seize dimensions. Or, le danger qui se présentait à lui était double: soit se tromper en recomposant un double négatif, soit assembler un monstre non viable constitué à la fois de lamelles positives et de parties négatives amalgamées. Ensemble, elles s’annihileraient.
La nature véritable du Ying Lung dépassa la matérialité telle qu’on l’entendait habituellement. Il réussit à recomposer tous ses amis mais il commit une minuscule erreur, sans doute due à son jeune âge. Gana-El, en tant qu’Observateur, se fit un point d’honneur à ne pas intervenir.
Peu après la reconstitution, tout le groupe sortit sain et sauf de la multiple pyramide. À son tour, le volume disparut comme s’il n’avait jamais été là.
Vint le cube de Jupiter.
Dan El sut d’instinct que ledit cube était contenu dans une sphère. Il s’agissait de la structure inversée du Commandeur Suprême originaire de la piste 1720. De plus en plus étrange, non? Le commandant devait affronter une structure inverse. Cela signifiait que le cube était noir et la sphère blanche. Du moins logiquement. Mais la logique était-elle de mise en ce lieu?
Un cube de néant, de vide absolu; le non Pantransmultivers, l’Inframonde, là où, précisément se tenait tapi le Dragon Noir qui rêvait d’avaler, de se nourrir de ce qui, un jour, devait être.
Les humains ordinaires ne purent que se fondre dans ce grand rien. Cet anti ante monde non monde les expulsa de la Sphère blanche, la sphère de Saturne. Ils étaient, contre leur volonté, les vrais faux vivants, des virtuelles créatures humanoïdes ayant pourtant encore conscience d’exister, mais crachées, vomies par le maudit Cube noir.
Mais qu’était donc la Sphère ultime? La graine du noyau terrestre, certes, mais pas seulement. La matière à l’état pur, constituée de fer, dépourvue d’intelligence, de réflexion.
Les entités indescriptibles qu’étaient devenus nos protagonistes fusionnèrent une milliseconde avec la sphère parfaite. Le noyau implosa, s’effondra sur lui-même n’ayant pu supporter cette infestation.
Pendant que ce phénomène se produisait, Dan El sortait de l’inconcevable et inconfortable prison perçut enfin la présence incongrue d’un humain tout à fait ordinaire, un humain qui n’avait rien d’exceptionnel et qui n’appartenait ni à la chronoligne 1730 ni au dix-neuvième siècle. Shah Jahan lui-même, apparemment perdu  et pourtant…          
Lorsqu’enfin le sentiment d’exister s’empara de toute l’équipe, le cube et la sphère évanouis, les rescapés s’aperçurent premièrement qu’ils avaient voyagé jusqu’au frigidarium des thermes de Cluny, deuxièmement qu’ils étaient maintenant confrontés à la présence de deux Guillaume, strictement identiques, vêtus du même pantalon gris, portant la même chemise écrue et la même veste usée de velours chamois. Lequel était le bon Pieds Légers?
Or, tandis que cette question taraudait Craddock, Michel Simon regardait le décor qui l’entourait. À cette époque, les thermes n’avaient pas été restaurés, l’appareillage de brique était donc apparent, et les colonnes de marbre effondrées avec le stuc des parois arraché.
Après avoir croisé le regard de Tellier et de Fermat, nullement pris au dépourvu, Daniel Lin fouilla dans sa poche droite et lança conjointement aux deux Guillaume un calepin noir et un crayon. Pieds Légers saisit l’objet de la main droite et son double de la senestre.
- Bon, et maintenant, siffla Symphorien entre ses dents, que fait-on? On joue au nain jaune? On entame une dans du ventre?
Fronçant les sourcils, Fermat fit comprendre au capitaine qu’il devait se taire. Le faux Guillaume comprit qu’il venait de se trahir. Alors, il prit un coutelas dissimulé dans son dos et voulut le projeter en direction du commandant Wu. Mais il n’eut que l’occasion d’esquisser son geste meurtrier. Sans qu’il comprît comment, Daniel Lin se retrouva derrière lui. En moins d’une milliseconde, le double de Pieds Légers s’effondra sur les dalles empoussiérées, le cou brisé.
Émerveillé par ce tour, le Piscator proféra avec son accent caractéristique qui sentait bon la bouillabaisse:
- Là, c’est encore plus fort que la sardine qui a bouché le port de Marseille!
Tandis que Frédéric Tellier s’assurait qu’il n’y avait plus aucun obstacle et que tous les membres de son équipe étaient plus ou moins saufs, Fermat s’avançait vers le commandant Wu non sans raison. Il lui prit la main pour constater qu’elle était brûlante. Daniel Lin répondit mentalement à l’inquiétude de l’Observateur.
- Non, André, je vais bien. Juste un peu de fatigue, sans plus. Je ne ressens aucun chagrin. Cette créature n’avait qu’un semblant de réalité. Comment dire? Je ne l’ai pas tuée mais… gommée. La preuve? Son corps s’est estompé dès qu’il a touché le sol.
Dan El disait vrai. Il ne restait effectivement rien de l’alter ego de Guillaume Mortot. Ce dernier paraissait soulagé d’être redevenu unique.
- Il faudra sans doute que j’intervienne encore et manipule les souvenirs de ces simples humains, fit l’amiral.
- Je vous supplie de n’en rien faire.
- Je ne suis pas d’accord, Daniel Lin. Ce que je vais encore entreprendre c’est pour votre bien.
- Hum… je me rends à votre jugement.
Tout avait été dit. Il fallait retrouver Galeazzo di Fabbrini et Irina Maïakovska.

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