samedi 9 février 2013

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie :Nouvelle Révolution française chapitre 21 2e partie



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Alexeï Alexandra Souvorov avait ses habitudes dans un estaminet proche du Marché aux fleurs. Pour l’heure, l’être hétéropage sirotait une limonade fortement agrémentée de rhum tout en tirant sur une longue pipe. La créature, peu gâtée par dame Nature, vêtue d’un ample caraco qui enfermait son double tronc faisait quelque peu hommasse. La deuxième tête masculine, ainsi dissimulée, faisait croire qu’Alexandra était bossue, mais, étrangement, sa bosse  était positionnée sur l’épaule, telle une excroissance, et non dans le dos. 
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Mademoiselle Souvorov était assez repoussante et personne donc n’osait l’approcher et encore moins l’aborder. Mais l’espionne russe au service de la tsarine s’en moquait ignorant avec superbe les gandins qui l’observaient par en dessous ou encore les maraîchers qui, subitement, croisant son regard, baissaient le nez dans leur gobelet d’eau-de-vie.
Cependant, un jeune cavalier, tout botté, portant un baudrier duquel pendait une longue et imposante épée, les cheveux roux noués derrière la nuque, s’assit sans façon aux côtés du monstre de foire. Alexandra se réjouit de constater que l’inconnu était d’une exactitude exemplaire.
- Ma chère, fit l’espionne en langue russe, vous êtes d’une ponctualité toute royale.
- Toujours lorsqu’il s’agit d’affaires, répliqua Irina dans le même idiome.
- Je veux bien accepter de me mettre à votre service, reprit l’hétéropage, d’autant plus qu’actuellement, Saint-Pétersbourg me laisse sans nouvelles.
- Hum, je vois. Notre impératrice Catherine II s’inquiète de certaines velléités de la Prusse. Bien que la rumeur courre sur la maladie de Frédéric II, il faut à notre grande Catherine rester sur le qui-vive.
- En quoi puis-je vous être utile?
- Des conspirateurs français du plus haut rang, fréquentant les palais du roi, envisageraient de bouleverser l’équilibre du continent en usant d’armes secrètes. Parmi eux, figurent des Princes de sang, des prétendants potentiels au trône de France. Leur objectif, à n’en pas douter, serait d’établir une monarchie des Lys belliqueuse, aussi entreprenante que celle de Louis le Quatorzième et, ainsi, d’effacer les conséquences du traité de Paris de 1763 et du partage de la Pologne de 1772. Certes, les Anglais apparaissent les premiers visés, mais, à terme, l’Empire russe se trouvera menacé à son tour. Les conspirateurs veulent se dépêcher de mettre à profit la vieillesse du roi de Prusse. Quant au neveu du vieux Fritz, l’héritier de la couronne, ce gros balourd de Frédéric-Guillaume, il n’est pas à la hauteur de la tâche qui l’attend. Une fois la Prusse annihilée et l’alliance renforcée avec l’Autriche, l’Espagne et le royaume de Naples, la stratégie d’encerclement sera alors bien avancée par l’Ouest et le Sud du continent. Dans ce tableau, il ne faut pas oublier également la décomposition de l’Empire ottoman… 
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- D’après vos propos inquiétants, si je vous suis bien, il ressort que nous aurions tout intérêt à nous rapprocher de l’Angleterre. Or, je ne sais si la tsarine approuverait…
- Mais il ne s’agit que d’un soutien momentané. Notre but, à moyen terme, reste de museler et ligoter la France. Pour ce faire, il nous faut maintenir ce débonnaire de Louis XVI sur le trône des lys et l’encourager dans son amitié avec la toute récente république des Etats-Unis d’Amérique.
- Plutôt osé comme plan.
- Je le sais. Les comploteurs, de leur côté, veulent profiter de la dynamique née de Yorktown.           
- Soit. Mais un accord de circonstance ne doit en aucun cas s’éterniser. Pour que notre action ait plus de poids vis-à-vis de l’Anglais, il faudrait que vous soyez présentée à Versailles.
- Je le veux bien. À vrai dire, j’y songeais même. Mais à quel titre?
- Envoyée extraordinaire de Saint-Pétersbourg.
- Tout le monde va comprendre que j’espionne pour Catherine.
- Irina attendez. Bien sûr, vous conserverez votre identité masculine. Vous passerez pour un prince, un archiduc quelconque en vacances dans le lointain Occident. Pourquoi pas un cousin de l’héritier, le tsarévitch Pavel Petrovitch?
- Il est vrai qu’en Russie, les liens de parenté sont si compliqués… prince de Plezinski. Ce titre a de l’allure, vous ne trouvez pas? De plus, il n’est pas tout à fait usurpé, je vous l’assure.
- Tant mieux, Irina.

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Irina Maïakovska se faufilait dans les ruelles enténébrées du vieux Paris sans se perdre ni éprouver le moindre sentiment d’angoisse. Protégée par son épée, une longue rapière, et par son assurance, elle ne craignait ni les détrousseurs ni les mendiants. La jeune femme savait où elle allait, fronçant parfois le nez aux effluves nauséabonds qui remontaient de la Seine peu éloignée. Toutefois, elle parvenait à éviter avec habileté les excréments divers, les ordures qui encombraient les sentes étroites aux pavés irréguliers, gras et traîtres.
Parfois, il lui arrivait de frôler des individus peu recommandables mais ces derniers, à la vue de l’acier, se renfonçaient dans les encoignures de leurs cachettes, préférant et espérant une proie plus facile. Il faut dire que la haute taille de la Russe - un mètre quatre vingt-cinq pour mémoire -  en imposait et nul ne pouvait deviner une femme dans cette personne bottée et sanglée avec élégance dans un habit à la coupe plus ou moins militaire. Les maraudeurs pouvaient donc parfaitement croire avoir affaire à un cadet de province en goguette ou encore à un colonel à la bavette ou presque, rapidement monté en graine, qui avait momentanément délaissé son régiment pour s’encanailler dans quelque maison chaude, quelque bordel assez couru de l’ancienne capitale.
Irina avançait d’un pas vif et alerte. Bientôt, elle dépassa le quartier du Gros Caillou parvenant à la barrière qui marquait la limite officielle de la ville. Dans quelques minutes, une poignée à peine, au train où elle progressait, il lui faudrait montrer un laissez-passer au garde en poste afin de sortir de la cité.
Mais la jeune femme ne paraissait pas s’en soucier.
Or, derrière elle, à quelques pas, une ombre animée d’une volonté propre la pistait depuis une heure environ, se confondant avec les pierres des vieilles bâtisses, toute aussi soucieuse de ne pas être entendue et vue que la Russe de ne pas être prise pour une femme. L’ombre appartenait à un homme dans la force de l’âge, de belle stature, aux cheveux et à l’œil noirs, au teint légèrement bruni par les rayons d’un soleil plus ardent chez lui que dans les contrées tempérées de notre Occident.
Cet exotique inconnu s’était vêtu le plus simplement qu’il l’avait pu et avait enfilé une culotte sombre, un gilet gris et une veste assortie. Ses cheveux longs étaient en partie dissimulés par un court bicorne sans plume dépourvu de tout ornement. L’étranger était armé de deux poignards ensevelis dans de vastes poches et d’un sabre à la lame bien aiguisée passé sous la veste.
De près, Irina Maïakovska n’aurait pas identifié l’inconnu, du moins lui aurait-il fallu l’aide du Dragon Noir, mais Dan El oui. Alexandre Dumas également pour l’avoir aperçu une première fois chevauchant le Baphomet, cette drôle de monture, tout en haut de l’éléphant de bronze ou de plâtre, un soir mémorable de l’an de grâce 1825.
Shah Jahan! Que venait-il faire ici, en ce Paris de 1782? Qui traquait-il? Galeazzo di Fabbrini ou la capitaine russe? Que savait en fait le prince Moghol concernant l’agent de Fu que nos tempsnautes ignoraient encore malgré tous leurs efforts?

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Irina Maïakovska avait rendez-vous avec le comte ultramontain. Ne vous étonnez pas. Dissimulant à la fois son véritable objectif et sa connaissance nouvelle de la Supra Réalité, Maïakovska désirait se garantir de ce côté-là. Bien évidemment, revenant à la source de la chronoligne des Napoléonides, elle avait l’intention de contrer les plans de di Fabbrini tout en lui faisant croire qu’elle demeurait son alliée.
L’Italien, lui, ignorait, que l’espionne était au courant de son futur. Il la croyait contemporaine à lui. Cependant, il ne lui accordait qu’une confiance partielle, se demandant régulièrement pourquoi Johann van der Zelden restait sourd à ses appels de plus en plus pressants. Il cherchait également à comprendre les raisons pour lesquelles la Russe avait elle aussi remonté le temps jusqu’en cette année 1782. 
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Irina lui avait raconté un gros mensonge enrobé d’un peu de vérité et de vraisemblance. Son supérieur direct, l’amiral Dolgouroï, lui avait ordonné de se rendre en amont constater si tout allait bien. D’après ses pseudo aveux, l’officier soupçonnait la présence de forces ennemies en ce milieu du règne de ce bonasse de Louis XVI.
- Une fois encore Frédéric Tellier serait à mes trousses? Avait soupiré Galeazzo, en forçant son étonnement.  
- Certainement, accompagné de Daniel Lin Wu Grimaud mais aussi de quelqu’un de plus dangereux encore et de plus sournois.
- Vous m’étonnez, madame! L’Ennemi aurait retourné sa veste et me contrerait? Impensable.
- Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Bien que votre van der Zelden se laisse présentement désirer. Ne le niez pas…
- Hum…
- En fait, les chronovisions fournis en masse par la Chine subissent des pannes en cascade. C’est tout à fait incompréhensible. Toutefois, ce 1782 ne paraît point pour l’heure être affecté.
- Je sens votre peur.
- Je le reconnais volontiers.
- Je comprends. Une question encore. Avez-vous donc constaté le même phénomène mais plus accentué dans cette année 2517 dont vous êtes originaire? Je veux parler de ces aurores boréales qui se multiplient en 1825 mais aussi en 1808...
- S’il n’y avait que les aurores boréales! En Afrique, des pluies de météorites ont dévasté le centre du continent. La Lune connaîtrait également quelques problèmes d’orbite. De plus, deux stations auraient littéralement disparu de sa surface, comme effacées d’un coup d’éponge.
- Qu’en ont conclu vos savants?
- Ils supposent que ces phénomènes sont liés à la guerre du temps qui fait rage.
- Mais plus précisément?
- Quelqu’un en amont de la chronoligne, notre chronoligne, un troisième larron, chercherait à gommer celle-ci. Cette hypothèse semble pour l’heure la plus plausible. Voilà pour les dernières nouvelles.
- Tout cela ne m’explique pas du tout, ma chère, pourquoi une telle visite, à cette heure et en ce lieu!
- Dolgouroï et la Chine m’ont fourni de nouveaux moyens.
- Que vous avez sans doute l’intention de mettre à ma disposition? Ironisa le comte.
- Tout à fait. Mais il s’agit d’hommes pas de technologie.
- Puis-je faire autrement que d’accepter ces renforts? Non, n’est-ce pas. Merci! Mais, ce soir, je ne puis m’attarder davantage. Je dois me rendre à Versailles où je serai officiellement présenté à Sa Majesté Louis le Seizième demain matin avec mon épouse légitime.
- Je vous pensais célibataire! S’exclama sincèrement Irina.
- Hon! Hon! Pour la galerie, il vaut mieux être nanti d’une épouse. Cela vous donne un air de respectabilité… La comtessa di Fabbrini se prénomme Ava et va rendre plus d’une femme jalouse demain. Bien que, pour la mode de ce temps, son teint soit un peu trop hâlé, et sa poitrine trop généreuse.
- Qui est donc cette perle rare? Où l’avez-vous dénichée?
- Une comédienne de la piste temporelle 1721, une Américaine du Sud des Etats-Unis, cueillie alors qu’elle venait d’achever le tournage d’un fils sublime Pandora. 
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- J’en ai entendu parler.
- Pour l’heure, ici, c’est moi le Hollandais Volant et non Johann van der Zelden ou encore cet acteur James Mason!

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Ce mardi-là, il y avait présentation à la Cour du roi Louis le Seizième, dans la Galerie des Glaces du Palais de Versailles. Sa Majesté, toute vêtue de bleu, le cordon du Saint-Esprit suspendu à son cou, avec à ses côtés la reine Marie-Antoinette, charmante, ô combien, dans une robe aux teintes jaune et rose pastel, accomplissait son devoir avec bienveillance, octroyant quelques paroles aimables aux nouveaux reçus. 
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Près du roi, debout, en léger retrait, se tenait son jeune frère, le comte d’Artois. L’écervelé Charles peinait à garder son sérieux devant le défilé ennuyeux de ces nobles de province, ridicules à ses yeux, et pourtant distingués par le souverain. Parfois, oubliant toute étiquette, le jeune homme se penchait vers sa belle-sœur pour lui débiter à l’oreille quelque sottise. Marie-Antoinette dissimulait alors sa bouche habsbourgeoise derrière un éventail, tentant de ne pas rire. Quant à Louis XVI, il affichait une impassibilité mensongère, mécontent du manège de son puîné. 
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Alignés en bon ordre selon leur rang, les courtisans observaient aussi les nouveaux venus, tâchant de distinguer parmi eux des rivaux potentiels, les futurs favoris du règne. Les plénipotentiaires et les nobles étrangers comme le prince russe Lavrenti Plezinski, accueillis les premiers, déjà bien entourés, essayaient de trouver leurs marques dans cette jungle qui n’avait de policées que les faux compliments, les sourires et les vaines promesses de fidélité.
Le dernier couple à être présenté fut le comte et la comtesse di Fabbrini, originaires des environs de Turin.
À la vue de la belle brune exotique que son époux tenait par la main, un silence soudain tomba sur la Galerie des Glaces. Nullement intimidés, les deux Italiens paraissaient glisser sur le parquet tels des anges, progressant vers le souverain dans un religieux recueillement.
Parvenus devant Louis XVI et Marie-Antoinette, Galeazzo et Ava effectuèrent une révérence parfaitement synchronisée, impeccable tandis que le maître de cérémonie accomplissait les devoirs de sa charge en nommant et titrant le couple ultramontain.
Lorsque la reine put détailler la grande et sculpturale jeune femme que la mode corsetée de l’époque ne parvenait pas à enlaidir et à domestiquer, elle se mit à agiter son éventail afin de dissimuler son trouble. En effet, son visage rougissait malgré le fard.
Louis XVI, quant à lui, s’adressa au comte avec son aménité coutumière.
- Ainsi, monsieur, vous vous acclimatez à notre hiver froid et à notre ciel embrumé.
- Sire, il le faut bien, répondit Galeazzo avec un léger accent qu’il n’avait point ordinairement.
- On m’a dit le plus grand bien de votre personne, reprit Sa Majesté. Vous seriez prêt à mettre votre savoir au service de notre couronne…
- Votre Majesté, c’est tout à fait exact. Au service de la France, cette grande nation. Une puissance qui doit retrouver toute la splendeur du temps jadis. Or, un souverain jeune, en pleine possession de ses moyens en est le meilleur augure.
- Comte, voyez, je suis plutôt d’un naturel doux. Enfin, j’aimerais avoir avec vous une entrevue moins solennelle. Demain, je vous recevrai en audience personnelle après la chasse.
- Sire, croyez que je me sens honoré!
Avec une joie non feinte, di Fabbrini s’inclina. Décidément, son plan avançait à merveille. Maintenant, il lui fallait conserver l’oreille du roi. Pour ce faire, il allait graisser la patte de nombreux domestiques. Ainsi, il connaîtrait tous les faits et gestes du souverain.
Or, une autre personne avait eu la même idée, jouant officiellement en faveur des intérêts de la tsarine Catherine II. Maïakovska saurait elle aussi ce que tramait précisément Galeazzo à Versailles. Sans problème, grâce aux atouts dont elle disposait, elle le contrerait sans difficultés. Ne l’avait-elle pas déjà vaincu avec l’aide de Tellier et consorts?
En reculant comme l’exigeait l’étiquette, tenant toujours Ava par la main, Galeazzo porta son regard sur le prince de Plezinski. Aussitôt, il reconnut Irina et son plaisir en fut gâché.
- Quelle cachottière! Que fait-elle ici? Pensa l’Ultramontain en s’efforçant de masquer sa moue de contrariété.
Ava Gardner n’avait nullement conscience de la gêne et de la jalousie qu’elle avait suscitées auprès de ces dames. Par contre, elle savourait pleinement l’admiration - il n’y avait pas à s’y tromper - qu’elle avait déclenchée auprès de tous ces hommes fats, emperruqués et poudrés ridiculement, auprès de ces petits marquis à l’allure efféminée.
Plus ou moins naïvement, elle demanda doucement à son époux:
- Que vous en semble mon ami? On dirait bien que j’ai fait un tabac, comme on dit vulgairement.
-Taisez-vous donc, répliqua le comte sèchement. Vous ne voyez que votre superficielle personne. Ne parlez point anglais. Si quelqu’un surprenait vos propos, il ne comprendrait pas pourquoi une Piémontaise s’exprime ainsi dans un anglais abâtardi. Si je me souviens bien, le souverain actuel ouït parfaitement la langue de Shakespeare.
- Oh! Comte! Est-ce ma faute si je ne pratique point votre langue maternelle? Jeta sans aménité la comédienne avec son accent sudiste caractéristique. Il fallait proposer le rôle à quelqu’un d’autre! Bette Davis par exemple. Ou encore Barbara Stanwyck. Elles sont plus douées que moi pour contrefaire les accents européens. Ah, et pourquoi pas cette starlette provocante, Marilyn? 
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- Je n’entends pas votre humour. J’ignore qui est cette Marilyn, mentit avec aplomb Galeazzo. Sachez que Bette Davis doit intervenir plus tard. Quant à Barbara, navré, mais elle n’est plus ni assez jeune ni assez esthétique. Vos appâts ont pour but, ne l’oubliez pas, de séduire le maréchal duc de Richelieu.
- Ce macaque! Ce gnome! Fit Ava avec dédain.
- Chut! Pas si fort, bon sang! Il est vital pour mon projet que vous en assimiliez tous les enjeux.
- Que recevrai-je en retour en vous accordant mon aide?
- L’immortalité, tout simplement, osa proférer di Fabbrini.
- Splendide, Galeazzo! Se moqua la Sudiste. Cette fois-ci, franchement, vous y mettez le paquet. Sans souci du réalisable. Bravo!
Or, à cet instant précis, une jeune femme mise avec un rien de modestie mais parée d’une discrète beauté, s’avança auprès du couple ultramontain et interrompit l’échange qui tournait au vinaigre. Il s’agissait du peintre portraitiste fort en vogue Elisabeth Vigée-Lebrun.
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 Nous verrons plus tard ce qu’il ressortira de cet aparté.

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Printemps 1473, château de Plessis Lez Tours.
La Cour des Valois subissait un deuil cruel. Louis XI et son épouse Charlotte de Savoie avait à éprouver deux pertes, celles du petit Dauphin Charles, pas tout à fait trois ans et du jeune frère puîné François, enfants fragiles qui venaient de succomber le même jour à une fièvre pourpre.
Fort pieux, le roi priait dans sa chapelle privée, ne comprenant pas pourquoi Dieu l’accablait et le punissait aussi sévèrement. Affaiblie par ce deuil doublement terrible, la reine s’était alitée. Désormais, les médicastres s’inquiétaient pour la santé de la souveraine. Qu’allait-il donc advenir du royaume des lys dépourvu de dauphin?
Louis s’interrogeait, tentant de trouver une issue. Déjà, son frère Charles, duc de Guyenne, redressait la tête et recommençait ses complots avec l’ennemi honni, le duc de Bourgogne. Monsieur s’entêtait à vouloir resserrer les liens avec le Téméraire et prétendait épouser la fille de celui-ci, Marie.
Une courte parenthèse s’impose. Dans la chronoligne originelle 1721, le duc de Guyenne, ex-duc de Berry, le frère cadet du roi, mourait le 24 mai 1472. Beaucoup crurent que le souverain avait fait empoisonner ce prince si gênant.
Mais ici, à l’amorce d’une piste temporelle 1717-1730, pas d’héritier mâle en ligne directe pour la couronne de France car, immédiatement Louis XI avait écarté l’hypothèse Charles de Guyenne Dauphin. Ne s’offrait donc plus comme solution que de remettre en cause la fameuse loi salique! Tant pis pour les prétendants masculins, tant pis pour le très jeune cousin, Orléans.
À qui donc irait le trône? À la princesse Anne, une fillette de douze ans, point sotte, réfléchie et posée même.
Oui, mais… la Guerre civile risquait de reprendre de plus belle. On verrait alors les armées des différents prétendants s’affronter, ensanglanter un royaume qui avait déjà longuement souffert à cause de l’Anglais maudit et qui se relevait à peine. 
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Toutes ces réflexions se bousculaient dans la tête de l’Universelle Aragne, l’empêchaient de prendre un peu de repos. Ah! Comment faire accepter la décision royale? Les États Généraux peut-être entérineraient ce choix politique, le meilleur aux yeux de Louis le Onzième.
C’était pourquoi le roi priait de plus belle, invoquant la Vierge Marie, Saint Michel, Notre Dame de Cléry, se frappait la poitrine, embrassait ses saintes médailles et ses saintes reliques, était prêt-à-porter un cilice, à partir à pied en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle, à s’en remettre à son conseiller plus ou moins occulte, le barbier messire Olivier le Daim.

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En ce mois de mars 1782, d’étranges phénomènes se produisaient dans les cieux au-dessus de Paris mais également un peu partout en Europe, en Angleterre comme à Vienne, à Schönbrunn comme à Sans-Souci. Des aurores boréales de toute beauté illuminaient les nuits étoilées ou pas, des pluies de météorites s’abattaient brutalement sur des constructions diverses, voire des rues entières et on ne comptait plus les victimes de ces chutes soudaines de corps astraux. Parfois même, des maisons et des jardinets s’embrasaient sans raison apparente.
L’astronome anglais Herschel
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 fut consulté par les plus hautes autorités de son temps. Lui aussi s’avoua dépassé par ces étranges phénomènes qui allaient en se multipliant. Il ne put donc fournir aucune explication scientifique crédible. Pourtant, il avait bien une vague idée mais ses contemporains n’auraient jamais admis cette hypothèse farfelue. Pour lui, des sortes d’ogres de l’espace, des trous noirs avalaient ou rejetaient la matière d’autres univers. Herschel se garda bien d’évoquer cette explication à ses solliciteurs. Il avait raison de se montrer aussi prudent car, après tout, si plus personne n’était brûlé vif sur les bûchers, le supplice de Giordano Bruno restait dans toutes les mémoires.
Le ciel de Paris s’embrasa de plus belle. À Versailles, Louis XVI fit dire messe sur messe dans l’espoir de calmer la colère divine. Les résultats furent des plus décevants.

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De son côté, Daniel Lin savait à quoi s’en tenir. Le contraire eût été étonnant. Toutes ces perturbations résultaient des manipulations temporelles à la source de cette chronoligne. Or les auteurs n’en étaient ni Galeazzo ni son compère Johann Van der Zelden. Fu et Irina n’avaient rien à voir non plus dans ce désordre.
Explorant les diverses possibilités, le Ying Lung avait localisé le point chaud de la première perturbation: l’année 1472 et son prolongement. Négligeant le chronovision dont il se méfiait avec raison, il n’usait désormais que de son esprit transdimensionnel et parvenait ainsi à pister l’intrus, l’auteur de ce micmac dans les temps et les époques qu’il parcourait.
Cette quête laissait souvent Daniel Lin épuisé, parfois rêveur, détaché de tout. Il pressentait qu’après l’élimination du comte ultramontain - Johann s’annihilerait tout seul - il lui faudrait affronter son double négatif, son côté obscur, ses démons personnels qui lui avaient valu cet exil.
Dan El avait absolument besoin de se rassurer, de ne pas céder au découragement. Les noires ténèbres qui menaçaient une fois encore de l’engloutir, les pulsions mauvaises qui le parcouraient aux instants les plus inopportuns, il parvenait toujours à les dompter, à les repousser très loin de lui, à les piétiner sans remords.
En attendant, Shah Jahan manipulait cette chronoligne, déjà tant de fois réparée, mais fragilisée. Pourquoi? Comment donc un humain ordinaire, non sous la domination maléfique de la Lumière noire, pouvait-il réussir un tel exploit? Oui, il était évident que le prince Moghol jouissait de tout son libre arbitre. Il usait et abusait du Baphomet.
Étendu sur le matelas d’un lit à baldaquin, Dan El traquait le prince par la pensée. Il le voyait recruter des gardes spéciaux, des féaux capables d’affronter les situations les plus difficiles, les plus improbables. Ainsi, en cet instant, ces soldats d’un autre âge suivaient le comte di Fabbrini et Irina Maïakovska, courant un grand péril.
Lorsque l’ex-daryl s’attardait auprès de la Russe, un malaise sournois l’envahissait. Alors, il se retirait, reculait, brûlé au tréfonds de sa substance par un brasier pouvant à la fois le calciner, le geler et l’empoisonner. Une fois encore, l’agent de Fu échappait à sa vue.
Quant à Johann Van der Zelden, la fausse entropie chargée ailleurs de l’occuper, le Ying Lung ne l’apercevait que rarement, de plus en plus fugacement, comme si l’Ennemi se délitait peu à peu. La Mort présente revêtait alors l’apparence d’une sinistre langue noire. Elle fascinait Dan El, l’obligeait à puiser dans ses réserves pour échapper à son attraction. Même dans ce mensonge réducteur, elle représentait la destruction suprême, le maelström du désordre généralisé et de l’Entropie finale.
Le Dragon de l’Achèvement, le Révélateur écartait d’elle tout tremblant mais avec regret.
Le dernier voyage dans les super cordes qui reliaient le Pantransmultivers avait-il duré une minute ou trois jours? Quelle importance dans cette ultime Simulation?
L’essentiel était que Daniel Lin avait les moyens de contrer les manœuvres du comte ultramontain. Sa solution ne manquait pas d’élégance mais elle nécessitait le soutien inconditionnel de l’Observateur. Où donc se trouvait présentement Gana-El à ce propos?
- Là, mon fils, tout à côté de vous, répondit mentalement le plus âgé des deux Yings Lungs.
Alors, le commandant Wu se redressa lentement, scrutant la semi-pénombre qui l’entourait. André Fermat, partiellement incarné, se tenait appuyé contre le chambranle de la porte de la chambre. Il arborait une mine soucieuse.
- Que ramenez-vous de votre intrusion Dan El? Vos traits sont creusés par la fatigue.
- J’ai frôlé l’Indicible, mon père. Notre tâche est bien plus difficile que je le croyais.
- Naturellement Surgeon.
- Vous saviez. Suis-je sot!
- Il ne fallait pas que je vous décourageasse. Toutefois, mes investigations n’ont pas été aussi poussées que les vôtres. Pour l’heure, vous sentez-vous d’attaque? Vous prenez trop souvent à mon goût un malin plaisir à vouloir dépasser vos limites.
- Soyez rassuré, cela ira mon père.
- Dans ce cas, qu’avez-vous appris d’intéressant?
- Galeazzo et Irina, mais chacun séparément, ont été présentés à Louis XVI. Tous deux ont stipendié des espions au sein même du Palais.
- Je vois. Des domestiques, sans doute. Dois-je vous dire que, de mon côté, j’ai assisté à l’incorporation de di Fabbrini à une société secrète commandée par le duc de Chartres?
- Oh! Cela signifie qu’un membre de notre équipe devra s’atteler à suivre ce prince.
- Hum. Il vaudrait mieux pister le maréchal de Richelieu. Lui aussi fait partie du complot.
- Ce vieillard priapique? Si la situation se prêtait au jeu, j’en rirais!
- Que vous semble d’affecter Guillaume Mortot et Jules Souris à la surveillance du bonhomme, mon fils?
- Pourquoi pas, mon père? Expliquez-moi donc ce que vous envisagez.

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