samedi 24 novembre 2012

Le Nouvel Envol de l'Aigle 2e partie : De l'origine des Napoléonides chapitre 18 2e partie.


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Au bas de l’éléphant des Victoires impériales, le préposé à la vente des billets s’apprêtait à rentrer sa caisse tandis que deux gardiens rameutaient les derniers visiteurs. Tout en haut, l’écrivain en herbe et sa conquête du mois ignorèrent superbement les incitations à redescendre. Alexandre avait pris soin de renvoyer le guide depuis quelques minutes déjà. Marie s’inquiéta des intentions de son compagnon et le lui fit savoir. 
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- Alexandre, voyons! Hâte-toi sinon nous allons rester enfermés ici toute la nuit!
- Chut, ma chérie! Lui répondit le jeune homme sur un ton ferme et mystérieux à la fois. Fais-moi confiance. Si tu veux vivre une aventure, une vraie, aussi excitante que dans les romans gothiques dont tu es si friande, tais-toi et reste cachée. Mettons-nous là, dissimulés par ces roues et engrenages qui actionnent le dais. Aplatis-toi. Davantage…
- Mais, enfin, qu’espères-tu?
- Tantôt, ma tendre et douce, j’ai vu ce que je ne devais pas voir. Je suis certain qu’il se prépare là quelque chose d’incroyable. Or, je veux me trouver aux premières loges. C’est peut-être la chance de ma vie. Ne te montre donc surtout pas. Ouf! Heureusement que le gardien est dur d’oreille. Il s’éloigne.
Effectivement, un vieil homme en uniforme un peu râpé, un soldat qui avait connu Iéna, repartait en traînant sa jambe de bois par les niveaux inférieurs après avoir inspecté, mal, la terrasse et le dais de l’éléphant.
Or, à peine une poignée de secondes après son départ, un flash violet éclaira brièvement le sommet du monument. Quatre personnes se matérialisèrent alors sous les yeux ébahis d’Alexandre et de Marie. Un jeune homme efféminé sorti tout droit d’un roman de Walter Scott, un homme d’âge mur de belle prestance vêtu tel un dandy, aux cheveux bruns striés de blanc, un cigare aux lèvres, une jeune fille de grande taille, mince, les mains solidement attachées derrière le dos, bâillonnée, et un Asiatique, un serviteur manifestement, portant dans ses bras musculeux un chat aux longs poils, non agouti et blanc, une bête splendide qui miaulait pitoyablement.
Le plus âgé des quatre nouveaux intrus fit:
- Irina, ma chère, à votre place, je me serais débarrassé de cette bête depuis longtemps. Pourquoi ne pas la précipiter de ce sommet jusqu’en bas? On dit que les chats ont neuf vies et qu’ils retombent toujours sur leurs pattes. Nous pourrions ainsi vérifier facilement cette assertion populaire.
Malgré son bâillon, Violetta s’agita, montrant qu’elle n’était pas d’accord. Elle tenta même de marmonner:
«  Non! Mon chat! Quelle cruauté »!
- Comte, ce que vous proposez est encore trop doux. Rétorqua la Russe avec un sourire impossible à rendre. Je préfère garder ce chat encore en vie afin de l’offrir à l’Empereur Fu. Avouez qu’il nous a bien servi. D’ailleurs, c’est grâce à lui que nous allons remporter la partie ce soir.
- Hum… peut-être.
Cependant, Irina taisait l’essentiel à son allié circonstanciel. L’Empereur Fu avait anticipé cette action depuis plusieurs mois. Il avait fait en sorte que Violetta rencontrât Robin Ufo affamé quelques temps auparavant alors qu’à l’époque, la fusion des deux Daniel n’avait pas encore eu lieu.
Tandis que Maïakovska attendait sans afficher son impatience la venue du commandant Wu et, incidemment, celle de Frédéric Tellier, Sun Wu agissait de son côté.
Après quelques minutes de silence et de calme relatifs, Galeazzo qui venait d’écraser sous son talon le reste de son cigare, lança:
- Ma chère, je pense que l’heure a sonné. Nous allons régler nos comptes. J’entends des bruits de pas qui se rapprochent. Deux personnes… trois? Ah non! La troisième s’arrête à mi chemin…
- Comte di Fabbrini, vous avez une ouïe très développée.
- Oui, capitaine. Cette particularité physique m’a sauvé la vie bien des fois.
En bas de l’éléphant, le caissier avait été endormi en douceur par une prise helladienne administrée avec art par Daniel Lin en personne. Craddock, mâchouillant ses lèvres à défaut d’une pipe, vérifiait l’heure à sa montre de gousset.
- Dites, on ne pourrait pas accélérer un tantinet? Il ne nous reste que dix minutes avant l’explosion annoncée si l’on doit croire les rodomontades de la grande gigue rousse! Il doit au moins y avoir trois cents marches à grimper et, en plus, il nous faut localiser cette jarnicruche de bombe!
Fermat plissa alors ses paupières et articula d’une voix sourde:
- Capitaine, taisez-vous donc. Ce n’est pas un problème. Je viens de me placer en vision à rayons X.
- Hé bien, sans lunettes spéciales? Bravo! Voici que, maintenant, vous jouez le rôle de ce Kryptonien à collants moulants ridicules de carnaval, Superman. Cachottier, va!
Naturellement, l’allusion échappa à la compréhension de Frédéric Tellier. Il se contenta de crocheter la serrure et pénétra le premier au rez-de-chaussée de l’imposant monument.
- Frédéric, souffla le commandant Wu, dans le cagibi, il y a deux hommes…
En effet, dans le local exigu, les gardiens étaient en train de rendosser leurs vêtements civils. Sans aucune précaution et sans état d’âme non plus, l’ancien chef de la pègre ouvrit brutalement la porte du réduit et assomma les deux fonctionnaires.
- Quel coup de maître! Admira l’inénarrable Symphorien. Bien fait pour ces deux mirliflores à la graisse de Tupinamba! Ainsi, ils ne nous gêneront pas. 
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- Daniel Lin, reprit André lentement, je me charge de la bombe.
Le daryl androïde leva un sourcil.
- Vous me laissez donc affronter Irina? Bigre!
- Ce qui doit advenir advient, commandant. Après tout, je suis mieux outillé que vous pour désamorcer l’engin.
- Soit, amiral. Prenez tout de même garde. Maïakovska peut parfaitement avoir tendu un piège multidimensionnel autrement plus vicieux que tantôt.
- Vous, Daniel Lin, faites attention…
Alors que ses compagnons entamaient l’ascension des escaliers tournants, André Fermat commença son inspection minutieuse de tous les coins et recoins du premier niveau de l’éléphant de bronze. Galeazzo avait raison. Trois hommes s’amenaient mais pas avec la même résistance ni avec la même promptitude.
À mi-chemin du sommet, Craddock stoppa. Au bord de l’épuisement, il soufflait comme un phoque, en hyper ventilation, manquant visiblement d’oxygène. Pour rajouter à son malaise son dernier repas et sa précédente cuite lui pesaient.
- Ah! Pareil exercice n’est plus de mon âge! Râla le vieux loup de l’espace décati et mité. Ce mammuthus imperator de cirque Knie n’est pas adapté à ma taille et à mes poumons. Moi, je ne m’appelle pas Gargantua! Poursuivez sans moi. Je crève ici ou je vous rejoins à quatre pattes le temps de récupérer un peu.
Pour toute réponse, l’Artiste haussa les épaules et grimpa quatre à quatre le reste des marches - cent-cinquante-huit précisément -. Il parvint le premier, tout fringant, sur la terrasse, le daryl androïde s’étant montré plus circonspect.
- Ah! Mon fils indigne! Enfin! L’accueillit Galeazzo di Fabbrini avec une sombre ironie. Le danseur de cordes… vas-tu, une fois encore, me précipiter dans le vide comme tu le fis si bien jadis? À moins que, cette nuit, rejeton dénaturé, tu ne préfères user de vitriol? Ensuite, réduit au rôle grotesque de monstre de foire, tu n’auras plus qu’à m’obliger à me produire sur les tréteaux du boulevard du Temple, sous les oripeaux d’un affreux et repoussant autochtone australien! Oseras-tu m’affronter ici, l’Artiste, à cette heure, devant témoins?
Disons-le, Galeazzo parlait bien, faisait preuve d’une imagination débordante qui méritait l’admiration. Ah! Décidément, l’homme s’était trompé de carrière. Il aurait fait fureur en plumitif de romans populaires!
Refusant de se laisser influencer par les paroles amères et ironiques de celui qui, autrefois, avait été son mentor, son bienfaiteur, son père de substitution mais aussi son démon, Frédéric s’avança d’un pas ferme jusqu’au Maudit. Il s’arrêta à cinq pas du comte et le fixa droit dans les yeux.
Juste derrière, Daniel Lin suivait. Il l’imita mais pour observer le capitaine Maïakovska.
«  Physiquement, c’est elle, mais moralement, Fu l’a marquée de son sceau », dit-il mentalement.
À cet instant, une pensée d’une noire et absolue réjouissance le gifla avec une violence incroyable.
- Tu es donc venu. Te voici à ma merci!
Dan El n’en entendit pas davantage. Un éclair orangé venu véritablement de nulle part le foudroya. Craddock qui venait à peine d’arriver en rampant, ahanant, soufflant comme une forge asthmatique, eut tout juste le temps d’entrapercevoir l’éclair frapper le commandant Wu à l’épaule gauche, le projetant sur les dalles. Le Supra Humain leva les yeux vers la Russe qui était absorbée, avalée par une aura violette. Puis, Daniel Lin retomba sur le sol, son visage soudain d’une lividité mortelle.
- La girafe rousse a tiré sur Daniel lin! Quelle garce! Caserio en jupon!
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 Fuzzie Wuzzie! Pâle copie de Milady de Glenn! Fanfan la Tulipe à la noix de coco! Rugit Symphorien ému au-delà de tout entendement.
On aurait pu croire que c’était le Cachalot qui avait été blessé. Essayant de porter secours au commandant, le vieil homme éructa d’ultimes insultes bien senties.
- Messaline à plumes! Frédégonde de taverne borgne! Marâtre de carton-pâte!  
 Tout en cherchant bruyamment son souffle, Craddock se pencha sur le blessé. Entre la terreur et le soulagement, il constata, entre l’émerveillement et la panique, que le plus qu’humain, le pas tout à fait Ying Lung, peinait non seulement à rester conscient mais aussi à conserver son intégrité corporelle. Comme autrefois sur le Vaillant, Dan El oscillait entre deux apparences, entre deux réalités, un corps bien humain, l’autre tout à fait indescriptible d’une beauté effrayante et suprême. Solide et translucide, immatériel et lumineux, informe et sublime, éblouissant et brûlant, tangible et aussi dur que du marbre, gel et feu, éthéré et d’une vibrante caresse…
Un court instant, Symphorien, tout frissonnant de peur, passa sa main au travers du corps de Dan El. Recevant une secousse dépassant toute souffrance, il pria:
- Révélateur! Expérimentateur! Qui que tu sois, quoi que tu sois… reste ici, avec nous, pauvres pécheurs…
Le plus déstabilisant pour la raison vacillante du vieux baroudeur, c’était que les yeux de Daniel Lin laissaient apparaître une sorte de ciel étoilé, une résille perlée, luisante de la trame du Pantransmultivers, une pulsation lumineuse qui allait en s’affaiblissant.
- Par la barbe de Fu Manchu! Je suis plongé dans une diablerie signée du docteur Lao! Sacrée miss j’ordonne! Mais je ne lui en veux pas de m’avoir embauché! Hé, mon gars, tu ne vas pas nous abandonner, hein? Tu ne vas pas te carapater comme un lâche? Ce n’est pas dans ta nature… je ne veux pas que tout finisse ainsi, moi! Où pars-tu, Révélateur? Reste! Bon sang, reste! Que le diable me patafiole! Daniel Lin, qui que tu sois, réagis, ne meurs pas…
Le vieil homme, après avoir eu un ultime geste d’effroi, se pencha davantage encore, s’agenouilla, secoua et enserra le torse du blessé entre ses bras tremblants, comme il l’aurait fait pour un enfant malade. À son tour, l’impensable douleur le gagna. Une douleur inouïe, au-delà de toute expérience. Craddock avait l’étrange sensation d’étreindre à la fois une langue de feu, une lumière glacée, le néant absolu, le vide intégral, et toute la matière du Multivers.
Alors, lui aussi fut entouré d’un hallucinant halo orangé.
Mais ce bon vieux Craddock ne céda pas à la terreur panique qui pourtant le gagnait. Courageusement, il lutta, s’accrocha. Malgré tout ce qu’il vivait et subissait pour la première fois de sa longue et périlleuse existence, les élancements, les déchirements d’entrailles, les oreilles qui teintaient, les yeux qui se révulsaient, il résista, lutta pied à pied, s’agrippant à ce monde, le seul qu’il connaissait après tout.
Incroyablement, son ouïe perçut un brouhaha, des sons qui remontaient à l’envers dans le temps et l’espace, se diffusant jusqu’à atteindre le Chaos original.
Instinctivement mais sincèrement, le capitaine pria, transmettant l’énergie de sa foi au jeune Ying Lung meurtri.
Alors…
Alors, Dan El refit surface, cligna les yeux et s’ancra de toutes les forces qui lui restaient à cette piste temporelle 1730. Sa lucidité revenue, il saisissait parfaitement l’enjeu. Au plus profond de son être, il savait qu’il n’y avait plus qu’une minute avant que la bombe d’Irina n’explosât, il voyait Gana-El, son mentor, son père, chercher l’engin de destruction, il regardait comme de l’extérieur Sun Wu agir. Mais aussi, parallèlement, il suivait Irina jusqu’en 1782, et, plus proches et plus lointaines à la fois, il entendait distinctement les épées de Galeazzo et de Frédéric cliqueter…
De toute sa volonté, il voulait changer la donne, redessiner ce monde, mais son enveloppe corporelle présente l’entravait, le ligotait, l’enfermait dans une souffrance qu’il devait apprivoiser, transcender pour que l’Expérience aboutît!
Pour Craddock, Tellier, Violetta, Gwenaëlle, Aure-Elise, pour Gana-El, l’Unicité, le Chœur Multiple, pour l’humanité, il ne devait pas renoncer maintenant. À lui s’imposait ce choix: triompher de sa prison de chair, de son orgueil, de lui-même et de sa duale folie… ou tout quitter et s’effacer à jamais et avec lui, tout, irrémédiablement TOUT…

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Cérémonieusement, Sun Wu préparait une étrange mixture fort odoriférante. Pour ce faire, vêtu de la traditionnelle robe de soie couleur lie de vin, il saisit délicatement une bouteille de bronze Hu remontant à l’époque des royaumes combattants, puis il déposa le précieux récipient hors d’âge sur une petite et délicieuse table laquée. Toujours aussi serein, il enveloppa le flacon dans de la flanelle, s’inclinant devant l’objet tout en psalmodiant une mélodie envoûtante venue du fond des siècles. En fait, les paroles de ce chant étaient destinées à favoriser l’accomplissement du sort qu’il jetait. Enfin, il s’arrêta après une ultime note particulièrement aiguë. 
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Ladite bouteille dont Sun Wu avait l’usage coûtait une fortune. Elle avait plus de deux mille ans et n’aurait pas dépareillé dans un musée réputé. Il est bon de savoir que ce flacon avait appartenu aux ancêtres du chef du Dragon de jade, mais celui-ci en avait détourné sans honte la fonction. À l’origine, il servait à contenir des boissons fermentées comme de la bière.
Le Chinois avait pris la précaution de demander à ses serviteurs de le laisser seul dans la pièce et de ne pas l’importuner. La chambrette était tendue de pourpre ce qui accentuait l’impression de malaise et de confinement que l’on pouvait ressentir lorsqu’on s’y trouvait.
Cette partie de la préparation achevée, Sun Wu s’empara alors d’un tripode de bronze Fu, cédé par l’Empereur du même nom. Or, cette vaisselle qui servait à faire cuire des viandes ou encore d’autres aliments anodins remontait au début de la dynastie des Hans de l’Ouest. 
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Bien évidemment, le tripode supportait sans dommages les flammes. À l’eau, le machiavélique comploteur mêla le poison, puis, touche suprême et élégante à la fois, y jeta par trois fois des poils pilés de moustache de tigre de Sibérie. Le tout devait accentuer la toxicité du produit qui n’attendait plus que d’être présenté à Napoléon Premier le Grand.
La mixture mijota doucettement le temps désiré et toute fumante encore fut versée dans la bouteille de bronze ciselée. Or, huit heures du soir sonnaient à la pendulette de la petite pièce, le refuge de Sun Wu. Il était donc temps pour l’ancien maître de la triade chinoise de rejoindre le palais et d’en finir avec le fondateur des Napoléonides.

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Cependant, dans l’éléphant de bronze qui surplombait la capitale, les événements se précipitaient. Désormais, le monument incongru se retrouvait isolé du reste de la chronoligne. Mais ce n’était pas là l’œuvre de Gana-El. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’édifice, sur l’esplanade ou encore dans un périmètre d’un kilomètre, le temps y subissait des distorsions de plus en plus prononcées et ce, par la volonté de Fu le Suprême.
Au sous-sol, ressentant les vagues temporelles mais parvenant à rester concentré sur sa tâche immédiate, André Fermat avait enfin localisé la bombe, usant de sa vision aux rayons X. L’engin était bizarroïde, ressemblant davantage à un gel tapissant les murs des fondations de l’éléphant. Aux endroits névralgiques, avaient été placés des cristaux de soufre qui devaient servir de détonateurs. Ces cristaux s’enflammaient au contact de l’ammoniac. Le processus avait déjà commencé. Il était même bien avancé car la réaction chimique de l’ammoniac et du soufre était imparable.
Désormais, le vice-amiral se trouvait confronté à un dilemme: geler l’explosif au sens premier du terme alors qu’il sentait le continuum spatio-temporel en train de subir des modifications importantes ou contrer les distorsions et rétablir la chronoligne.
Or, à cause du combat de Titans qui se déroulait en ce lieu hors normes, la structure de l’éléphant devenait double.
«  Le monument est maintenant bronze et plâtre. Deux entités sont en train de s’y affronter par comparses interposés, deux volontés contraires dont je capte la rage et la colère. À ne pas douter, l’Inversé se déchaîne. Il veut détourner le Surgeon de ce qui est véritablement essentiel. Là-haut, le Danseur de cordes se bat en duel contre son Pygmalion dénaturé. Ce serait si simple pour moi d’abandonner à cette heure l’éléphant et d’ouvrir un couloir transdimensionnel. Mais je ne souhaite pas m’enfuir. Cependant, maintenant que la chronoligne a donné tout ce qui était attendu d’elle, les Napoléonides ne sont plus utiles à personne. Ils peuvent s’effacer et ainsi permettre à une multitude de XIXe siècles d’exister ou plus exactement de préexister.
Fu pense avoir gagné. Cette manche, je veux bien.
Hum… deux humains qui n’ont rien à faire ici assistent à ce combat qui n’est pas ultime, Alexandre Dumas et sa maîtresse Marie… Mais il y a quelqu’un d’autre, Shah Jahan chevauchant le Baphomet.
Ah! Le prince Moghol complique la donne! J’ai besoin de cette piste temporelle 1730 encore un peu, un tout petit peu… pour la Pérennité de l’Expérience. Je n’ai plus le choix. Tant pis pour mon corps humain ».
Alors, métamorphosé en une longue, très longue langue de feu, excessivement froide, le Ying Lung glaça le sous-sol du monument dans sa totalité. Les explosifs se retrouvèrent gelés et inactifs. Puis, Gana-El gagna l’Outre Lieu. Daniel Lin devrait rejoindre l’Agartha par ses propres moyens.

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Sur la terrasse de l’éléphant, Frédéric Tellier venait d’éviter d’un fil la balle tirée par le colt de Galeazzo. Or, le comte l’avait il y a peu encore presque persuadé qu’il était venu sans armes! Il mentait si bien. Toutefois, le danseur de cordes était doté d’une agilité quasi démoniaque. C’était elle qui le maintenait en vie dans les situations les plus désespérées.
De rage, l’Ultramontain déchargea son arme sur son fils spirituel mais cela ne servit à rien. Tellier roula et roula encore sur les plaques de bronze tandis que les balles sifflaient à ses oreilles, ricochant sur le sol de métal ou encore écorchant le plâtre.
L’Artiste n’avait cure de ces changements de texture.
Son colt vide et devenu inutile, Galeazzo le jeta au loin dans un geste de fureur puis saisit la poignée de son épée avec un cri sauvage.
Le duel commença, dépassant les chorégraphies les plus habiles et les plus époustouflantes du cinéma américain.
Avec un soupir de résignation, à son tour Frédéric avait dévoilé la lame de sa fidèle canne-épée.
Bien vite, la surface du dais se révéla insuffisamment vaste pour nos deux bretteurs. Les duellistes sautaient, bondissaient, glissaient, esquivaient, enchaînaient les parades en quartes ou en sixtes avec une maestria digne d’éloges. Les deux adversaires étaient de la même force. Ils connaissaient parfaitement les tactiques, les feintes de l’autre, prouvaient en anticiper les coups les plus tordus.
Frédéric avait été l’élève plus que doué, plus qu’audacieux de di Fabbrini. L’âge n’avait apparemment rien ôté au talent du comte et il en allait de même pour son épigone.
Comme à propos, un escalier apparut. Ne cherchez pas la logique dans ce qui va suivre. Les deux bretteurs s’y engouffrèrent sans hésiter et y descendirent quelques degrés avec même une hâte impatiente. Pendant ce temps, les lames cliquetaient de plus belle.
Or, tandis que les épéistes s’affrontaient sans merci, l’éléphant devenait un maelström de ce qui avait été, de ce qui était, de ce qui pouvait être un jour… une heure ou une seconde… dans cet instant figé, le monument superposait tous les projets architecturaux les plus fous proposés aux différents souverains de la France.
En équilibre plus ou moins stable, les bretteurs se moquaient de ces modifications. Ils se contentaient d’enrouler leurs lames, de les délier, de les rompre et de s’écarter selon une danse bien réglée. Puis, ils reprenaient leur duel, évitant d’une ligne le froid mortel de l’acier, parant d’extrême justesse le coup létal, soufflaient, sifflaient de dépit ou d’agacement, changeaient soudainement de tactique au cours d’une passe, mêlant brusquement le jeu florentin à la tradition française.
Cette démonstration éblouissante, nous vous le rappelons, avait pour témoins privilégiés Alexandre et Marie, toujours dissimulés.
Chaque main des épéistes antagonistes était occupée, l’une, la dextre, maîtrisant le fleuret, l’autre, la senestre, la dague. On se serait cru sans difficultés dans Le Prisonnier de Zenda ou encore dans Scaramouche avec Stewart Granger dans le rôle du héros. 
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Pourtant, Frédéric était loin de ressembler à Pardaillan ou encore au mythique Lagardère bien qu’il possédât la grâce, la prestance et la vaillance de ces personnages de roman. Quant à di Fabbrini, il aurait fait un parfait Gonzague, excellent habituellement dans la peau du traître. James Mason se battant contre Stewart Granger… finirait-il le combat en s’échappant encore par une dernière pirouette? Frédéric Tellier veillerait à ce que cela ne soit pas.
Une zébrure au bras gauche, Galeazzo rompit quelques secondes l’affrontement pour sauter prestement sur le rebord d’une corniche. Il en profita pour envoyer au visage de l’Artiste un cordage que celui-ci évita en faisant un bond en arrière. Comme de bien entendu, l’éléphant, transformé en un labyrinthe inextricable, concentrait dans un espace distendu, étiré, impossible, tous les accessoires mais aussi tous les détours nécessaires à ce combat de deux demi-dieux.
Incongrument, deux éléphants superposés, tête-bêche, s’échangeaient régulièrement leur contenu de sable. Cet immense sablier mesurait quatre mètres cinquante de hauteur pour trois mètres de largeur. Lorsque le volume du bas était empli, il basculait pour se retrouver en haut, grâce à un ingénieux mécanisme de balancier.
Or, il faut le savoir, nos duellistes s’affrontaient justement à l’intérieur de cet improbable sablier proboscidien gigogne inclus dans l’éléphant de bronze ou de plâtre. Émules de Fred Astaire dans Mariage royal ou de l’homme chauve-souris introverti, les deux escrimeurs combattaient donc maintenant têtes en bas et pieds collés au plafond comme si de rien n’était. Situation normale ou abracadabrantesque?
Après les superstructures de bronze, d’acier, de plâtre ou de jade, s’en vint le tour d’un mammouth laineux fort ordinaire, un minga divinisé par une tribu K’Toue du nord de la Meuse. L’ossature avait été précieusement conservée et recouverte d’argile ainsi que de peaux cousues afin de rendre un semblant de vie à l’animal qui avait servi à nourrir la horde durant quelques semaines. 
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Or, cette métamorphose inattendue n’émouvait nullement Galeazzo et Frédéric qui croisaient toujours le fer avec une impavidité remarquable.
Depuis combien de temps, d’heures ou de jours les épées cliquetaient-elles? Cinq heures, deux semaines? Cela n’avait guère d’importance dans ce point chaud de convergence du Multivers, des possibles éventuels et imaginés par Fu ou peut-être bien par l’enfant espiègle qui se cachait au fin fond des mondes leurres.  
Présentement, nos deux adversaires pouvaient être comparés à des atomes emprisonnés à l’intérieur d’une tour éléphant d’ivoire appartenant au célèbre jeu d’échecs offert à Charlemagne par le calife Haroun al Rachid.
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 Maintenant - mais de quel maintenant s’agissait-il? - l’Artiste arborait une griffure sur le torse. Galeazzo l’avait effleuré, mais une seule fois. Frédéric avait rompu l’échange à l’instant même où les deux ennemis étaient deux homuncules enchâssés dans un chapiteau historié roman de la fin du XIe siècle représentant naïvement un éléphant figurant au musée Gadagne de Lyon dans la piste temporelle 1722.
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Les deux humains, tels des fétus de paille dépourvus de volonté et de conscience, basculaient sans cesse d’une réalité à une autre, partie prenante d’une matière en recomposition, reprenant toutes les figurations artistiques d’éléphants: onyx, porphyre, marbre de Carrare, jade, émail, cristal de roche, lapis-lazuli, émeraude, diamant, vermeil, cire, orichalque, argent, béryl, obsidienne, basalte, bois de teck, plumes d’aras, tapisserie, motifs tissés de tuniques byzantines, coptes, éthiopiennes, mosaïques, peintures rupestres, rêve de chasseur nomade de la région du Tassili, et tant d’autres choses encore… et encore…
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 malgré eux, ces objets, ces personnages résumaient tous les arts de toutes les cultures humaines. Pantins en train de se battre, mus par le sentiment de vaincre l’autre, l’ennemi, le mal absolu, celui qui empêchait l’édification d’une société, d’un monde à sa semblance, esclave dévoué et sans âme.
Les distorsions allaient en s’amplifiant, atteignant le biologique. Ainsi, nos duellistes s’amalgamèrent à un proboscidien pluriel où tous les stades évolutifs de la lignée se croisaient, s’interpénétraient, que ce soit sur Terra comme sur la planète-mère de Harrduin et de Ftampft. Phosphaterium,
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 Barytherium, Moeritherium, Numidotherium, Phiomia,
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 Gomphotherium, Amebelodon, Platybelodon, mastodonte… mammouth, Loxondota et Elephas.
Malgré toutes ces mutations, le danseur de cordes et le Maudit purent rejoindre sans encombre le sommet du monument, à peine en sueur, même pas essoufflés.

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Au fait, qu’advenait-il à nos autres héros ou assimilés?
Violetta, libérée du contrôle de Maïakovska, avait réussi à modifier sa taille et à devenir aussi mince qu’une poupée en papier à découper. Elle se libéra de ses liens avec facilité puis, dans la foulée, ôta son bâillon se frottant ensuite vigoureusement les poignets et les chevilles, la métamorphe s’avisa alors de la présence de deux intrus. Il s’agissait d’un grand type dégingandé à la peau bistre qui lui rappelait vaguement quelqu’un et d’une jeune femme blonde assez potelée. Évidemment, les deux autochtones paraissaient effrayés par ce qu’ils voyaient. Il est vrai qu’ils avaient assisté à l’impensable, la dématérialisation de Shah Jahan sur son Baphomet.
Le phénomène de disparition du véhicule avait pour conséquence de déclencher des effets hétérochroniques chez le pilote et sa machine. Spectacle tout à fait déstabilisent pour des individus natifs du XIXe siècle.
De plus, le départ du Baphomet avait été perturbé par la macro distorsion et cette dernière avait des répercussions jusqu’à l’époque du souverain Moghol. Or, il est bon de savoir que le symbole de la ceinture du Baphomet correspondant à l’Inde de Shah Jahan était quelque peu complexe; un éléphant tenant dans sa trompe un cimeterre et, au-dessus de la tête de l’animal, un croissant de lune, symbole de l’Islam. La ceinture était infinie dans son déroulement. Elle tournait sur elle-même sous une mystérieuse force, et les symboles se modifiaient au gré des circonstances.
Ainsi donc, les yeux éberlués et fascinés d’Alexandre et de Marie avaient contemplé l’automate ainsi que le prince se décomposer dans un premier temps dans autant de personnages déphasés que nécessaire, multipliés presque à l’infini, un peu comme des chromophotographies de Muybridge prises simultanément, puis fractionnés en tesselles de mosaïques combinant le spectre des douze couleurs de la civilisation des Homo Spiritus.
Les micros dés de la mosaïque se chevauchaient, s’interpénétraient, rendant davantage fabuleux l’arc-en-ciel qui allait en s’estompant pour un ailleurs inconnu. Lors du départ de Shah Jahan, une arche était apparue, laissant apercevoir la perspective magnifique du Taj Mahal, ses jardins, son esplanade, ses pièces d’eau. Tout naturellement, plusieurs chronolignes s’entrechoquaient également là aussi, se tamponnaient mais avec des effets inattendus. Le Taj Mahal blanc se construisait et se démontait en quelques secondes à peine. À ses côtés, se dressait son jumeau noir, fantôme sombre tout d’abord puis réalité tangible.
Pour ajouter à leur désarroi, l’écrivain en herbe et sa maîtresse avaient aussi été les témoins du duel prodigieux entre Frédéric Tellier et Galeazzo alors que la matière et la réalité basculaient et se modifiaient sans cesse sur l’esplanade et le sommet de l’éléphant.
Les prodiges n’étaient pas terminés.
Marie, prise de panique, avait besoin d’air, très vite. Poussant de petits gémissements plaintifs, elle sanglotait.
« Tout cela n’est pas réel! Je t’en prie, Alexandre, dis-moi que tout cela n’est pas réel! ».     
L’écrivain était embarrassé. Il avait beau faire, proférer des paroles rassurantes, il se montrait impuissant à calmer l’hystérie de sa compagne. À bout de ressources, il l’obligea à atteindre le dais sur la terrasse.
Mais là, les choses empirèrent encore si possible. Le cauchemar se poursuivait, voire s’intensifiait. Deux hommes de belle prestance, ceux-là même déjà entraperçus à l’étage inférieur, continuaient de se battre en duel. Cette fois-ci pourtant, ils arboraient un aspect quasi normal.
Sur le sol en plâtre et métallique alternativement, une jeune inconnue, ligotée et bâillonnée, s’amincissait jusqu’à devenir aussi fine qu’une feuille de papier. Mais ce n’était pas là ce qu’il y avait de plus déstabilisant. Oh non!
En effet, à terre, un individu fort pâle, au teint presque cireux, les cheveux roux foncé, clignotait littéralement tout en se tenant l’épaule gauche gravement brûlée tandis que ses yeux immenses laissaient voir à la fois le vide de l’espace et un fragile filet résille d’une lumière ténue à la beauté opalescente. À ses côtés, un vieil homme, les cheveux en bataille, presque un mendiant s’il fallait en croire ses vêtements dépareillés et crasseux, le maintenait serré tout contre lui tout en bégayant, son visage anxieux et baigné de larmes des phrases sans queue ni tête emplies d’un amour sublime.
«  Daniel Lin, mon gars… reste ici, avec moi, avec nous… je t’en prie. Fais un effort, Préservateur, Révélateur… ne nous abandonne pas. Ne quitte pas ainsi ce monde fou. Nous avons besoin de toi, tous ici tant que nous sommes, Violetta, Frédéric, Louise… tout est en train de basculer. Bon sang! Sacré nom d’une pipe, accroche-toi! ».
La créature improbable lui répondit doucement. Ses paroles retentirent pourtant jusqu’au bout de la terre.
« Craddock, vous me comprenez, vous. Vous savez quel est mon dilemme, ce que j’éprouve présentement… vous saisissez tout l’enjeu. Il me faut relier les branes. Sinon tout se défait… tout s’efface. Là-bas, dans le Palais des Tuileries, le séide de la Langue noire agit. Sun Wu père, le perfide assassin, empoisonneur… ah! Que n’ai-je l’énergie de l’Unicité! Tout tremble et vacille. Sans force, il me faut stabiliser cette chronoligne, l’ancrer encore un court instant dans la matérialité. Gana-El a dû partir, il n’a pas eu d’autre choix. Il n’y a plus que moi pour tout réparer, moi qui suis si faible, mutilé et amnésique ».
À ces mots, toutes les lumières, les atomes, les torons, les énergies convergèrent vers le jeune Ying Lung. Lentement, tâtonnant, hésitant parfois et s’arrêtant dans son ouvrage de raccommodage, Dan El rassembla la trame, la retissa à la seconde exacte où, enfin et inévitablement, Frédéric Tellier transperçait de part en part la poitrine du comte di Fabbrini alors que, parallèlement, Shah Jahan atterrissait à son époque dépourvue de Taj Mahal, que Napoléon le Grand, victime d’une hémorragie interne, crachait une dernière gorgée de sang et que le sinistre et inquiétant Sun Wu, fier de sa mission accomplie, regagnait l’Infra Sombre pour s’agenouiller devant Celui dont on taisait le Nom.
Avant d’être précipité dans le vide, Galeazzo jeta son ultime anathème.
« Fils dénaturé, que ma mort retombe sur toi et tes amis. Le parricide, tu l’as commis. Vois-tu, je t’ai voulu à ma semblance. Mon rêve s’est accompli! Désormais, c’est toi le Maudit! ».
Avec un sifflement pitoyable, tandis que des bulles rosâtres écumaient ses lèvres, Galeazzo di Fabbrini alla s’écraser sur le sol une centaine de mètres plus bas.

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Au Palais des Tuileries, dans ses appartements privés, l’Empereur suffoquait. Il y avait deux minutes à peine qu’il avait eu le tort de boire l’abominable mixture présentée par son médecin charlatan. Le Chinois, avec son éternel sourire figé sur son visage, avait ensuite quitté la chambre à reculons, toujours obséquieusement et hypocritement incliné, faisant mine de savourer le souverain moribond. Lorsque le criminel avait enfin atteint le corridor, il avait disparu pour un autre ailleurs alors que l’Empereur, s’affaiblissant de seconde en seconde, avait laissé choir sur le parquet la petite bouteille de bronze. Le flacon déversa son liquide ambré et mortel qui s’imprégna dans le bois ciré. 
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Fou de douleur, ses terminaisons nerveuses le brûlant atrocement comme si tout son corps était passé au fer rouge, Napoléon s’écroula sur son lit de repos, la bave aux lèvres, les yeux roulant dans leurs orbites, le teint blafard. Ne parvenant plus à respirer normalement, il haletait bruyamment. Désormais, un râle pénible s’échappait de sa gorge encombrée de glaires et de mucus.
Fébrilement, avec un dernier instinct de survie, l’agonisant tenta bien d’actionner le cordon de sonnette afin d’appeler quelqu’un à son secours, son médecin habituel, Corvisart. Tous ces efforts pour rien!
Au bord de l’inconscience, le mourant tira sur l’autre cordon. Roustan lui apparut sur-le-champ. Il n’interrogea pas Napoléon. C’était désormais inutile. Sortant en courant de la chambre de l’Empereur, le fidèle factotum tenta de rattraper le Chinois. En effet, il savait sa présence dans le palais. Or, dans le couloir, personne n’avait vu le favori. À croire qu’il s’était proprement volatilisé.
Furieux contre lui-même, de la perte de temps, le dévoué serviteur s’en revint auprès de l’Empereur et ne put que constater son décès.
Quelques minutes plus tard, tout le palais bruissait de la triste nouvelle.
Encore quelques minutes, et, reprenant au détail près le rituel en vigueur depuis le 1er septembre 1715 - autrement dit le cérémonial de la mort de Louis XIV - le grand maître des cérémonies, l’Archichancelier et maréchal d’Empire Mac Donald apparut sur le balcon central du Palais des Tuileries alors que neuf heures du soir sonnaient. 
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Comme il se doit, le bicorne du haut personnage arborait une plume noire. Il annonça d’une voix claire aux courtisans assemblés dans la cour:
- L’Empereur Napoléon Premier est mort!
Mac Donald répéta deux fois la phrase fatidique comme l’usage l’exigeait. Puis, toujours le visage aussi impavide, il arracha la plume noire de son bicorne pour la remplacer par une autre mais de couleur blanche. Ensuite, se recoiffant, l’Archichancelier cria:
- Vive l’Empereur Napoléon II!
Alors, la foule amassée s’inclina et salua le nom du nouveau souverain.
L’impératrice Marie-Louise et sa fille Pauline qui séjournaient toutes les deux à Rambouillet apprirent la triste nouvelle avec deux heures de retard.
Le 2 juin 1825 ferait date dans l’histoire du XIXe siècle. Après la presse, et notamment Le Moniteur universel, ce fut le télégraphe qui répandit l’information dans le monde entier.
À Vienne, Napoléon II s’empressa de quitter Schönbrunn car il lui tardait de coiffer la couronne impériale. Le 2 décembre de cette même année, l’adolescent de quatorze ans serait sacré Empereur des Français par Sa Sainteté le pape Léon XII à Notre-Dame de Paris.
Comme on le voit, bien que la temporalité eût connu quelques accrocs, les Napoléonides régnaient toujours dans cette chronoligne 1730. Cependant, minuscule détail nous direz-vous, à l’éléphant de bronze s’était définitivement substitué l’éléphant de plâtre. Daniel Lin avait donc partiellement limité les dégâts et prolongé artificiellement cette piste temporelle. Lui seul en savait la raison.

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