jeudi 10 janvier 2019

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1934 (3).


Un cocktail était donné afin de célébrer la fin de la prestation de l’apprenti star DS de B de B.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/3a/Joan_Fontaine_and_Gary_Cooper.jpg
 La jeune femme s’était surpassée dans le rôle ô combien délicat de Johanna van der Zelden. Sa composition avait fait l’unanimité, y compris auprès du comédien qui incarnait son époux, le Français Georges Marshall. Pourtant, les débuts entre les deux acteurs avaient été plutôt difficiles, Deanna Shirley voulant avoir à ses côtés Louis Jourdan. Mais, désormais, ce temps était révolu. Georges avait applaudi à tout rompre lorsqu’enfin, le réalisateur avait crié « coupez » lors de l’ultime scène.
En cette fin de soirée, il y avait foule dans le patio du trente-deuxième niveau, celui qui servait habituellement de lieu de fête aux résidents de la cité. Le décor et l’atmosphère, aux dires des citoyens de l’Agartha, étaient les plus à même d’accueillir les réceptions. Des fleurs à profusion, des œillets, des hortensias dans des massifs, des fuchsias retombant en grappes élégantes dans leurs jardinières, des fontaines dans lesquelles glougloutaient une eau parfumée au tilleul, des murs diffusant une lumière opaline tout en dessinant de jolies arabesques sans cesse changeantes, une douce musique en fond sonore, souvent le célèbre menuet de Boccherini, ou encore Une petite Musique de Nuit de Mozart, des tables chargées de nourriture non dans un gaspillage ostentatoire mais dans un choix prodigieux de mets délicieux.
Lorsque Mademoiselle pénétra dans le Patio avec un retard de dix minutes environ, retard obligé vu son statut de vedette, elle fut applaudie par tous les invités, qu’ils fussent simples résidents, personnel bénévole du feuilleton ou comédiens confirmés. Vite, Deanna fut entourée par Monty Clift,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0b/Clift%2C_Montgomery.jpg/220px-Clift%2C_Montgomery.jpg
 Marcel Dalio, Louis Jouvet, Georges Marshall, Scott Bakula, Delphine Darmont, Spénéloss, Marcel Bluwall, Lobsang Jacinto, Louise de Frontignac et Symphorien Nestorius Craddock.
- Bravo ! Oui bravo, mille et mille fois, jeta Scott avec une sincérité toute désarmante.
- Franchement, cette interprétation mériterait l’oscar, compléta Monty tout en souriant.
- Ce n’était pas mal, rajouta Delphine. Vous étiez criante de vérité, d’authenticité lors de votre agonie. On aurait cru que vous vous étiez rendue dans un hôpital pour assister à la fin de ces malheureux phtisiques.
- Euh… à vrai dire, je n’ai pas eu ce courage, avoua la miss.
- Tout de même, vous m’avez scié, oui, scié, surtout lorsque vous avez craché du sang dans votre mouchoir, proféra Georges.
- Ce n’était pas du sang, mon ami.
- Alors, de quoi s’agissait-il ? Demanda avec curiosité l’Hellados. Certes, c’était plus ou moins prévu par le scénario, mais…
- Il y avait bel et bien de la matière organique, fit Marcel… cela imitait un peu ce que l’on a dans les poumons… comment avez-vous fait ?
- J’ai eu des difficultés à reprendre mon souffle après cette scène, reconnut Deanna Shirley. Je ne sais pas pourquoi… un peu comme si, réellement, je m’étais retrouvée dans la peau d’une poitrinaire au dernier stade…
- Vous n’allez tout de même pas dire que toute cette mise en scène était… involontaire ? Ricana le capitaine d’écumoire. Moi, je trouve que c’était magnifiquement joué. Et je m’y connais !
- Ah bon ? Expliquez-nous donc cela, ironisa Scott.
- J’ai bourlingué dans toute la Galaxie, mon vieux. J’en ai vu des choses…
- Vous avez surtout fréquenté les bordels et les mauvais lieux, de Mondani à Sestriss, de Mingo à Castorius, lança Marcel Dalio sur un ton sardonique.
- Oui, mais je me suis rangé depuis que je me suis marié avec Gemma.
- Peut-être, jeta Louis Jouvet pince-sans-rire, mais j’en doute.
- Quoi ? Vous m’offensez, l’acteur…
- Ce n’est guère le moment d’entamer une querelle, dit Spénéloss avec sa placidité coutumière.
- Mon enfant, hasarda Lobsang, vous nous faites comprendre que ce que vous avez craché n’était pas prévu ? Reprit l’Amérindien.
- Exactement… j’ai réussi à conserver mon sang-froid, mais je n’en menais pas large, minauda DS de B de B.
- Etonnant. Mais… comment cela s’est-il retrouvé dans votre bouche, alors ? Demanda innocemment Louise.
- J’ai ma petite idée, ricana le Vieux Loup de l’Espace. Une farce signée Daniel Lin… c’est tout lui de faire apparaître tout et n’importe quoi au moment où l’on s’y attend le moins.
- Vous dites des sottises, objecta Brelan.
- Que non pas ! Je suis sûr de mon fait. Miss de B de B aussi.
- Le Superviseur m’a dans le collimateur, avoua la comédienne britannique.
- Cela me rappelle quelque chose, marmonna Delphine… mais… c’est fort vague dans ma tête…
- Cela a-t-il à voir avec notre voyage sous Louis XI ? 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/60/Louis-XI.jpg/220px-Louis-XI.jpg
- Oui, capitaine, vous avez raison, approuva la Française. Je faisais de l’eczéma… Et, je ne sais par quel miracle, je me suis retrouvée guérie par le commandant Wu alors qu’il ne m’avait pas même touchée…
- De l’eczéma ? Tiens donc ! A cause de quoi ? S’enquit Scott.
- A cause d’une nourriture trop riche et trop avancée… or, nous n’avions plus de pommade pour soigner ce genre d’affection…
- Oui, mais ici, cela semble être le phénomène inverse, remarqua Marcel Bluwall.
- Oh ! Plus rien ne m’étonne de la part du Superviseur, soupira Deanna Shirley. J’ai eu l’occasion de le connaître plus profondément avec cette mission en 1888.
- Plus profondément ?
- Monty, je préfère ne pas m’étendre là-dessus.
- Vous l’avez dragué ? Fit Georges avec humour.
- Non ! Se récria la jeune femme. Pas du tout… moi, me commettre avec ce sale…
- Tss… tss…
- Ah ! Vous êtes parmi nous, commandant ? Nous ne nous étions pas aperçus que vous nous aviez rejoints, murmura Lobsang avec son regard doux et empreint d’ironie à la fois.
- Il y a pourtant dix minutes que je suis là, répondit Daniel Lin. Mais je discutais musique avec Miklos et Johann Sebastian…
L’Amérindien se garda bien de jeter qu’il n’en croyait rien. Lui connaissait, du moins partiellement, le secret de Dan El.
- Deanna, interpella Daniel Lin, vous me reprochiez une farce, je crois…
- En effet, Superviseur, opina l’intéressée d’un air pincé.
- Toujours fâchée contre moi ?
- C’était une farce de mauvais goût, commandant. De sale gosse. Vous usez un peu trop de vos talents de prestidigitateur… et souvent à mes dépens.
-Oh làlà ! Vous m’en voulez donc encore… je n’ai plus qu’à vous faire publiquement mes excuses… Oui, je regrette… je suis sincèrement navré de vous avoir causé du tort…
- Nous sommes tous témoins de cet aveu, siffla Craddock.
- Merci.
- Merci ? C’est tout ? S’offusqua Deanna Shirley.
- Bon… je vous ai fait souffrir… Un instant, vous avez vraiment cru être à l’article de la mort… mais… c’était pour la bonne cause…
- Drôle de mauvais tour, mon gars… faudra m’expliquer comment vous vous y prenez pour réussir cet exploit, dit Symphorien en mâchouillant ses lèvres.
- En attendant, Daniel Lin, reprit la Britannique, je ne veux plus être prise pour cible de vos farces… est-ce bien compris ?
- Euh… Je suis confus…
- Vous ne me donnez pas la bonne réponse, s’entêta Deanna Shirley. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/74/Joan_Fontaine_in_Suspicion.JPG/220px-Joan_Fontaine_in_Suspicion.JPG
- Que dois-je donc rajouter ?
- Acharnez-vous sur quelqu’un d’autre, proposa Louis Jouvet avec humour, ne saisissant pas bien de quoi il était précisément question en cet instant.
- Surtout pas ! Contra Louise. Ce ne serait pas charitable.
- Exactement. Bon… j’ai compris l’admonestation, s’inclina Dan El. Je ne m’en prendrai plus à quiconque ici, dans la Cité…
- Monsieur ? Pâlit Spénéloss.
- Ouille ! J’ai encore proféré une sottise… Mais… c’est plus fort que moi…
- L’ennui sans doute, proposa Jacinto.
- Oui, tout à fait…
- Dans ce cas, mettez sur pied une autre mission vers l’extérieur pour vous changer les idées, poursuivit le bouddhiste.
- Pourquoi pas ? Je vais y réfléchir…
- Cela ne me suffit pas ! Gronda l’apprentie star.
- Deanna Shirley, je promets, oui, je promets solennellement de ne plus m’attaquer à personne désormais… aucune intelligence ne sera la victime de mon espièglerie naturelle.
- Plus jamais ?
- Plus jamais, Deanna.
- Dans ce cas, j’accepte vos excuses.
- J’en suis heureux… soulagé, même. Cela pesait grandement sur mon cœur.
- Tant mieux, sifflota Craddock. Un verre de sangria ?
- Non, merci, capitaine. Vous me connaissez. Jamais d’alcool. Par contre, un jus de goyave…
Tandis que Spénéloss s’empressait de servir le Superviseur, Deanna Shirley entendit distinctement dans sa tête une dernière réflexion de Dan El.
- Vous êtes très forte, Deanna. Vous m’avez acculé.
- Oui, en effet.
- Je vous aime bien, vous en êtes consciente, tout de même ?
- Absolument.
- Vous vous êtes rendue compte que votre sœur était absente de la petite fête ?
- Bien évidemment. Je pense que c’est à vous que je le dois.
- Tout à fait. Daisy Belle est partie à l’extérieur en repérage avec Birgit. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8f/Olivia_de_Havilland_Publicity_Photo_1952.jpg/260px-Olivia_de_Havilland_Publicity_Photo_1952.jpg
- Je vois. Pour 1950, donc ? Sera-t-elle de retour à temps pour son rôle ?
- Je ferai en sorte que cela arrive. Je vous le jure. Ne vous inquiétez donc pas pour elle…
- Je ne m’inquiète pas, Daniel Lin, pas du tout…
- Vous mentez, très chère… mais cette inquiétude est bien la preuve que vous lui êtes attachée en réalité.
- Comment est ce jus ?
- Un peu trop sucré à mon goût, lui répondit le commandant Wu.
- Dans ce cas, buvez autre chose.
Alors que Dan El modifiait la composition de sa boisson sans que quiconque s’en aperçut, Gwen, sa compagne, le cherchait avec des yeux enamourés.
- Ah ! Te voilà… Je me demandais où tu étais passé, mon maître, dit la Celte dans son langage archaïque.
- Tu es parvenue à me retrouver ? C’est bien. Que veux-tu ?
- Je ne t’ai guère vu de la journée…
- J’étais préoccupé, Gwen.
- Par quoi ?
- Daisy Belle a disparu…
- Il n’y a que toi qui le sais, non ?
- Pour le moment… Je vais devoir m’impliquer davantage…
- Encore ? Et me laisser seule ?
- Mon absence ne durera pas, Gwen…
- Bart va pleurer. Il sent lorsque tu te rends à l’extérieur.
- Je te proposerais bien de m’accompagner, mais…
- Je serais une gêne pour toi…
- Tu l’as dit, mon amour.
- Veux-tu me faire plaisir ce soir ?
- Oh ! Tu veux que je ne m’attarde pas ici, dans le patio ?
- Oui, mon maître…
- Patiente encore quelques minutes. Tantôt, je serai tout à toi. Promis, juré.
- J’espère que tu ne me mens pas…
- Pas du tout, mon amour… ma douce, ma flamme…
Alors que Brelan s’approchait de Gwenaëlle et lui proposait de déguster une salade de crabes avec des billes de mangues, le Superviseur observait attentivement Spénéloss. Ce dernier avait un entretien avec l’humaine Page…
« Bon… Ces deux-là ne vont pas tarder à avoir une relation plus… intime…J’en suis heureux… Il était temps… je déteste voir les Helladoï coincés dans leur pseudo-supériorité… j’ai toujours milité pour le rapprochement entre les deux espèces. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai peuplé ma cité des deux races… ».

*****

1935.
Franz poursuivait toujours ses études en Grande-Bretagne. Toutefois, il lui arrivait d’effectuer des séjours en France durant les vacances scolaires. Ainsi, des revues de vulgarisation scientifiques lui tombèrent entre les mains et, notamment celles évoquant les travaux d’Oberth.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2b/Hermann_Oberth_1950s.jpg/220px-Hermann_Oberth_1950s.jpg
En cette même année 1935, Otto von Möll, exilé désormais à Detroit, fondait une firme de construction aéronautique. Il avait en ligne de mire l’amélioration des performances des avions de l’époque. Le chercheur en physique appliquée se penchait sur le problème délicat de la puissance des moteurs et sur celui de la stabilité en vol d’un plus lourd que l’air. Il passa de nombreuses nuits à dessiner les plans et les épures d’un avion à réaction. Lorsqu’il en vint à l’élaboration de la maquette de son prototype, il se heurta à des défis techniques.
L’Allemand ne parvenait pas à endiguer les vibrations trop fortes de la carlingue, vibrations produites par la vitesse trop élevée de l’appareil. De plus, la poussée du moteur testé fit exploser plus d’une fois ladite carlingue à cause d’une faiblesse dans la structure du métal.
Quant aux combustibles à sa disposition, ils ne le satisfaisaient pas non plus.
On s’en doute, toutes ces recherches étaient extrêmement coûteuses, mais Otto était dorénavant sponsorisé par Athanocrassos. Oui, vous avez bien lu ! Le second mari de son ex-épouse finançait Otto von Möll. Comment expliquer cette situation ? Renate, toute acrimonie envolée avait conseillé à Georgios d’aider le chercheur exilé. Un peu comme si elle tâchait de se faire pardonner, avec quelques retards, sa trahison passée.
L’Allemand avait accepté cette manne, se rendant en quelque sorte à Canossa, toute honte bue.
Pendant ce temps, en Europe, David van der Zelden signait un juteux contrat avec l’Italie de Mussolini. Le Duce préparait déjà l’invasion du royaume éthiopien. Quant au jeune Richard, il avait été confié à sa gouvernante, le père préférant dorénavant mener joyeuse vie plutôt que de s’occuper de son fils.
En Allemagne, Gustav Zimmermann, SS d’élite, qui avait toute la confiance de ses supérieurs, envoyait dans les camps de concentration qui commençaient à se multiplier des dizaines et des dizaines d’innocents. Ainsi, le testament moral de Johanna van der Zelden était-il en passe de s’accomplir. Pour récompenser ce policier zélé, Himmler le promut au grade de Untersturmführer.
Parallèlement, en URSS, Nikita Sinoïevsky subissait les purges staliniennes. Le Polonais Belkovsky, quant à lui, effectuait une brillante tournée en Amérique latine. Acclamé chaudement à Buenos Aires, il fut plébiscité tout autant à Santiago du Chili puis à Mexico.

*****

1944. Un soir pluvieux de mars, quelque part en Normandie.
Devant un feu de cheminée crépitant joyeusement, enveloppant d’ombres et d’éclats orangés deux hommes en train de fumer la pipe, Antoine Fargeau et Marc Fontane, le médecin de Sainte-Marie-Les-Monts, devisaient paisiblement, se moquant de la tempête qui soufflait dans la campagne environnante. A cause du blackout, les volets avaient été soigneusement fermés et les rideaux ne laissaient pas passer la moindre lueur.
Tout en tirant sur sa pipe, Marc lança une remarque à son ami Antoine.
- T’en ai-je déjà informé ? Le major Floche a péri dans l’attentat organisé par nos amis du groupe Espoir. Maintenant, la question se pose de savoir qui les Boches vont-ils nous envoyer pour le remplacer. Un assassin tout comme lui, un fanatique…
- Je ne dirais pas cela, émit Fargeau. Je pense à un héros de la Russie, peut-être un rescapé de Stalingrad. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/29/Bundesarchiv_Bild_183-W0506-316%2C_Russland%2C_Kampf_um_Stalingrad%2C_Siegesflagge.jpg
- Oh ! Oh ! Je n’en crois rien. Tous les Allemands qui ont survécu à Stalingrad sont désormais les prisonniers des Russes.
- Bah ! Après tout, nous verrons bien…
- De toute manière, même si tu as raison dans ta folle supposition, cela ne changera rien pour nous, mon vieux. Ce sera la même chose, les mêmes dangers, les mêmes exécutions… quelle engeance maudite, ces nazis !
Après une minute de silence, Marc reprit :
- Si Berlin nous envoie un officier de la Wehrmacht, assurément, il sera coiffé par un haut gradé SS. Les loups se méfient et se surveillent entre eux, Antoine…
- Hon ! Hon ! Acquiesça l’intéressé.
- De plus, ne faut-il pas mettre la région au pas ? Nous allons souffrir…
- Nous en avons pris l’habitude.
Marquant une pause, l’ex-étudiant en physique de Cal Tech murmura, les yeux voilés :
Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie…
- Ah ? Tu m’as l’air de bien connaître le poème El Desdichado de Gérard de Nerval, je constate. J’ignorais que tu étais porté sur la poésie romantique… 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/03/F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_G%C3%A9rard_de_Nerval.jpg/220px-F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_G%C3%A9rard_de_Nerval.jpg
- Un peu… j’étais en train de penser…
- A quoi donc ?
- Ah ! Ce fichu débarquement… il se fait attendre… le temps devient long… mais à la fin du printemps, les merles moqueurs, les coquelicots et le vert paradis seront de notre côté.
- Comment cela ? A la fin du printemps ? Ai-je bien compris ? Rien n’est encore prévu à Londres… le bruit court que ce serait pour l’été… la mi-juillet au mieux, la deuxième semaine d’août pour les plus informés… On parle de la Manche, du Pas-de-Calais…
- Il ne s’agit que d’une simple intuition, mentit Fargeau. Verrai-je la fin de cette guerre ? reverrai-je ma mère ?
- Que t’arrive-t-il, Antoine ?
- Marc, tout est si loin, si vague, si confus dans ma mémoire…
- Toi, tu as un secret… ta mère ? Je te croyais orphelin…
- De père seulement. Ma mère est à Paris…
- Tu la crois morte ?
- Non… mais je suis inquiet… grandement inquiet… Elle ne m’a pas revu depuis une… éternité… or, il m’est impossible de lui donner de mes nouvelles…
- Je comprends… mais changeons de sujet.
- Tu vas me parler d’Elisabeth, je parie…
- Tu vois bien…
- Tu es amoureux fou d’elle, n’est-ce pas ?
- Euh… oui.
- N’est-elle pas un peu jeune pour toi ?
- Elle a dix-huit ans, Antoine.
- Donc, elle n’est pas majeure. As-tu approché le père, Michel Granier ?
- Tu veux rire, sans doute ?
- Si tu as des vues sur sa fille, c’est normal que tu lui parles…
- Houlà ! De nous deux, c’est toi qui es le plus vieux jeu…
- Permets-moi de m’esclaffer…
- Pourquoi donc ?
- Tu ne peux pas comprendre l’humour, le sel de tes dernières paroles…
- Dans ce cas, explique-moi…
- Marc, tu es plus âgé que moi… je sais que tu aimes courir le guilledou… moi, je dois te paraître un drôle d’éteignoir avec ma morale et ma retenue d’un autre âge… mais ce n’est qu’une question de tempérament… d’éducation aussi sans doute… ma mère s’est retrouvée toute seule à m’élever, vois-tu…
- Creuse davantage et dis-moi ton grand secret… Tu n’es pas de la pédale, au moins ?
- Non ! Tu te trompes… je ne suis pas homo…
- Homo ? Pédéraste ?
- C’est cela. Mon ami Stephen non plus…
- Stephen ?
- Celui par qui tout a débuté…
- Un Anglais ?
- Un Américain que j’ai connu en Californie…
- Oh ! Je ne savais pas que tu avais voyagé si loin…
- Dans le temps… oui, dans le temps, ricana Antoine, j’avais l’ambition de devenir un scientifique… mais la guerre a éteint mes aspirations… désormais, je ne souhaite plus qu’une chose, la victoire des Alliés…
- Dis-m’en encore plus…
 - Je vais essayer…
L’ancien étudiant du professeur Möll se lança alors dans des explications parcellaires, veillant toutefois à ne pas trop dévoiler ce qui clochait chez lui…

*****

15 Juin 1969.
Georges Pompidou venait d’accéder au poste de Président de la République française. 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d9/Georges_Pompidou_%28cropped_2%29.jpg
Or, là-haut, tout là-haut, très loin dans l’espace-temps et à des milliers de parsecs de la planète Terre, quelque part aux environs de l’an 40 120, le Commandeur Suprême savourait cette archive filmée mémorisée dans ses circuits.
- Ah ! Que ce serait-il passé si le centriste Alain Poher avait gagné ?
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/81/Alain_Poher_en_1968_%28cropped%29.JPG
 Se permettait d’envisager l’Entité artificielle. C’est là une question à étudier. Bien des choses auraient changé dans l’Histoire de la France des années 1975-1990. Voyons… si j’essayais d’enclencher une harmonique temporelle sur ce nouveau schéma ? Assurément, cette idée me plaît. Cependant, je cours le risque de frôler une fois encore la non-existence. Oui, mais il doit toutefois rester une potentialité où je perdure… Calculons ce pourcentage.
Ainsi, le Commandeur Suprême voulait tester ses possibilités d’action. Mais quelles en étaient les finalités ?

*****
VIIIème siècle, plus précisément en l’an 772. Quelque part dans ce qui allait devenir l’Empire de Charlemagne. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/fb/Charlemagne_denier_Mayence_812_814.jpg/220px-Charlemagne_denier_Mayence_812_814.jpg
L’homme robot biologique Xaxercos participait à la première expédition du roi Charles contre les Saxons. Il fallait au souverain carolingien détruire l’Irminsul. L’homme de confiance de Johann n’avait pas encore effectué sa mission pour contrer Otto. Mais pourquoi van der Zelden avait-il expédié Xaxercos en plein Haut-Moyen Âge ?

*****