samedi 7 novembre 2009

La gloire de Rama 4 : L'apothéose du Migou chapitre 24

Chapitre 24

Sous la pelure du père Joseph, Uriel reconnut immédiatement le Commandeur Suprême. Il n’en montra aucun étonnement. Le clone tenait une torche allumée près d’un tonneau de poudre!
- Me croyais-tu réellement perdu sur une fausse piste? Siffla l’entité avec une ironie bien imitée.
-Oh! Je ne vous ai jamais sous-estimé, Commandeur, répliqua Michaël d’un ton paisible. Toutefois, vous semblez oublier qu’un poignard coupe aussi bien du côté droit que du gauche.
- J’apprécie tes sentences, subordonné désobéissant! Cependant, je constate que ta pensée reste encore fortement influencée par l’expérience de ton prédécesseur Lobsang Rama dont tu as usurpé l’identité!
- Quant à vous, votre manque manifeste d’imagination me réserve sans doute la même fin que le MX 39 ou 40 000 et des poussières!
- Garde tes distances, veux-tu? Je me méfie de tes tours.
Uriel avait en effet amorcé un pas en direction du faux père Joseph.
- Avant de mourir, de m’éteindre, j’aimerais percer un mystère… Accordez-moi la grâce de répondre à ma question.
- Quel détachement admirable! Quel problème te chatouille donc?
- Presque rien ; éclairez-moi: quel plaisir, pour moi incompréhensible, ressentez-vous à incarner des humains disgraciés, trop maigres ou trop gros, l’ascète fanatique ou le manieur d’argent sans scrupule?
- Ce n’est que cela? J’aime varier mon apparence, voilà tout! Non pas que je veuille comprendre comment des humains si mal appareillés peuvent supporter le poids de leur chair ou bien vivre avec un corps aussi fragile! Non! En fait, la difformité évidente me permet tout simplement de camoufler ce qui, en moi, trahirait le non humain. Ai-je satisfait ta curiosité?
- Oui, Commandeur Suprême! Pourtant, un Sapiens quelque peu doué en télépathie pourrait percer à jour votre camouflage! Mais je sens bien que je vous lasse. Je dispose encore de deux ou trois minutes…
- Certes, je suis bon prince…
- Dans ce cas, une ultime question. Où se situe la nécropole des bonzes renégats qui ont adhéré à la doctrine de votre précédente pelure, Tsampang Randong?
- As-tu pris le temps d’explorer ce satellite mort et inutile qui orbite depuis des éons au-dessus de cette planète?
- Ah! Je saisis! Je reconnais que je ne me suis intéressé jusqu’à maintenant qu’aux différentes formes de vie peuplant la Terre…
- Que fais-tu des formes alternatives dans le système solaire ou encore sur cette stupide boule bleue?
- Ce n’était pas là mon affectation. Donc, je m’en suis désintéressé
- Pamela dispose d’un esprit plus universel que le tiens, MX! Sais-tu qu’elle œuvre à la réparation de la profanation que ta religion dénonce?
- En surface, seulement! Vous pouvez en finir avec moi, mais un de mes successeurs vous vaincra!
- Tu en es persuadé, c’est tout! Vois-tu, peu chaut à la mort qu’un cube identificateur d’une civilisation soit détruit alors qu’il en existe des millions et des millions, tous potentiels! A l’instant même, simultanément, ensemble, coexistent ce XVII e siècle qui n’est pas tout à fait l’originel, un autre XVII e dominé par les K’Tous, un autre encore où la Pax Romana étend son aile protectrice sur tous les continents, sans oublier une ère odaraienne dans laquelle les descendants de Binopâa ont asservi le genre Homo, un monde orang ou ramapithèquien que ta croyance porte aux nues, et des multitudes et des multitudes d’autres chrono lignes..
- Je suis parfaitement conscient que tous les Homo Spiritus, unis, empêchent ces temps alternatifs de mordre les uns sur les autres, de s’interpénétrer et de se mélanger!
- Mais, naïf subordonné, les Homo Spiritus ont d’abord été créés pour cette tâche! Or, certains de tes confrères ont apparemment failli car plusieurs incidents se sont produits, tu ne peux le nier!
- Par exemple, le schéma où la Pax Romana triomphe!
- Ce qui provoque une déchirure subquantique au niveau des années 285-286 bis… Dans le Pan Multivers troué par les innombrables potentialités, se ruent, fragilisant un peu plus le continuum espace-temps, les tempêtes les plus effroyables des créations et des anti-créations.
- Je possède fragmentairement toutes ces informations.
- Bien sûr! Et tu te demandes qui ou quoi peut être à l’origine de cette déchirure. Apprends donc que le coupable se nomme Benjamin Sitruk, l’officier en second de Daniel Wu. Il a été projeté accidentellement dans le passé. Pamela Johnson s’était trompée de cible.
- Dites plutôt que la situation vous a échappé, en fait!
- Que non pas! J’ai laissé faire! J’aime les macédoines temporelles. Quant au véritable Maximien, capturé par les Asturkruks au XXVIII e siècle, il a su secouer puis briser ses chaînes. Désormais, il se forge un empire commercial qui menace l’Alliance des 1045 planètes elle-même! L’amiral éléphantoïde Haarduin va devoir recourir au service de notre saint Bernard galactique. Ah! Mais il est temps pour moi d’allumer la mèche! Je veux partir avec fracas!
- Nous mourrons ensemble!
- Parle pour toi! Toutes mes expériences emmagasinées ici, ont été déjà transférées dans un casier mémoire qui va bientôt servir. Cette incarnation a joué son rôle. De par mon contact, Winka a acquis le talent précieux de mélanger les temps alternatifs mais… elle ne le sait pas encore! La déchirure s’étend, et s’étend encore, toujours plus!
A cet instant précis, la mèche atteignit le tonneau de poudre. Tout explosa. La grotte, sous le souffle, trembla puis s’effondra, entraînant avec elle l’abbaye ainsi que ses dépendances.
L’explosion fut entendue à plus de quinze lieues de distance. Uriel et le Commandeur Suprême ne furent pas les seules victimes. Une cinquantaine de soldats royaux, occupés à piller ce qui restait des trésors du monastère, à décapiter les idoles hindoues ou bouddhistes sacrilèges, connurent le même triste sort. Heureusement, Violetta avait réchappé à la mort… mais Pamela aussi!

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Dans la pseudo cellule dépouillée, l’agent Asturkruk et l’adolescente s’étaient affrontées verbalement, le reste de la troupe ayant fui devant l’impressionnante métamorphose du faux moine.
- Ma petite, fit Winka sarcastique, pourquoi perds-tu ton temps à revêtir un aspect aussi effroyable?
- Bon, d’accord! Cette transformation était un peu superfétatoire, je l’admets. Je me préfère en jeune fille humaine après tout! Et comme nous sommes seules toutes les deux maintenant! Lieutenant, il y a une chose que je ne saisis pas: en tant qu’espionne d’origine Asturkruk, vous ne devez ressentir aucune gêne face à des créatures aussi disgraciées!
- Certes, la beauté est une valeur fort relative! Garde ton ton insolent pour quelqu’un d’autre. Maintenant, je vais satisfaire un de tes désirs les plus chers: tu vas rejoindre ton oncle, Daniel Lin! A moins que tu n’envisages de faire du zèle et que tu veuilles t’enfuir!
- Non! Je ne suis pas de taille à vous résister! Je vous suis gentiment.
Les deux femmes, Violetta devant et Pamela derrière, passèrent donc par la chapelle où les soudards, tout à leur haine, achevaient de massacrer quelques moinillons et vieillards sans défense, blessés durant le combat. D’autres, n’ayant plus de victime humaine vivante à passer au fil de l’épée, commençaient à déchirer avec rage les tentures, à éventrer les tableaux, à les déchiqueter et à abattre les statues des idoles.
Dans une chapelle latérale, deux soldats poursuivaient ces abominables actes de vandalisme. Ainsi, ils avaient jeté à terre un reliquaire inestimable en or et en ivoire et l’avaient forcé, faisant apparaître le crâne reconnaissable d’un anthropoïde.
- Vois, Germain! Ces suppôts du démon adoraient les os du diable!
- Comme brûlé par ces mots, ledit Germain jeta alors au loin le crâne du Ramapithèque qu’il prenait pour celui d’un bouc! Il ne fut satisfait qu’après l’avoir réduit en poudre.
Violetta avait, malgré elle, ralenti le pas pour observer cette scène qui la révulsait.
- Avance donc! Je sais ce que tu ressens, ma fille! Tu comprendras peut-être ainsi pourquoi je tiens tant à effacer des tablettes de l’histoire, de tous les possibles, le genre Homo!
- A mes yeux, les Asturkruks sont plus cruels encore!
L’adolescente voulut en dire davantage mais Pamela la gifla violemment. Pressée par l’ex-lieutenant Johnson, Violetta n’eut d’autre choix que de poursuivre son chemin. Son visage s’était fermé et la jeune fille souhaitait désormais tout le mal possible à sa gardienne.
Une douzaine de minutes plus tard, les deux femmes se retrouvèrent sous la tente royale. A peine y étaient-elles rendues qu’une violente explosion fit tout trembler jusqu’à plus de trois lieues de distance. Hommes, objets, armes et canons furent projetés à terre. Aidé par Marillac,
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Louis XIII se releva. Avisant Milady de Glenn, il lui demanda, assez anxieux.
- Le père Joseph ne vous a pas suivie?
- Hélas non, Votre Majesté! Il voulait capturer en personne le supérieur de ce monastère.
- Sire, se permit d’articuler Daniel qui était toujours sous la garde de Gaspard, ce père Joseph là n’était qu’un imposteur! Le vrai est sans doute mort depuis une douzaine d’années, vers l’époque où les États Généraux avaient été réunis, du temps du maréchal d’Ancre, de sinistre mémoire!
Le roi ne releva même pas le propos et, se tournant vers les gardes, donna un ordre muet. Ce geste signifiait qu’il désirait qu’on lui amenât tous les survivants faits prisonniers.
Quelques minutes s’écoulèrent. Louis XIII fut fort marri d’apprendre que, certes, ses troupes avaient triomphé, mais qu’ensuite, la plupart de ses hommes avaient trouvé une mort brutale dans la gigantesque explosion! Le bilan se soldait par plus de deux cents morts ou disparus et une seule prisonnière, cette adolescente attifée en dépit du bon sens et de la mode!

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Jim Nielström avait pu faire la preuve qu’il était bien l’ingénieur chargé de REMAB et REMCAL.
Fermat, solidement menotté- il avait préféré ne pas résister - avait été conduit devant le général commandant le centre de recherches.
Patterson interrogea l’espion d’un ton sec avec des phrases brèves. La tenue de protection de l’intrus avait été ôtée et le commandant du futur apparaissait donc vêtu de son armure Asturkruk, for anodine pour quelqu’un de non averti. Elle semblait faire corps avec son propriétaire. De couleur anthracite, ressemblant davantage à une sorte de pyjama particulièrement moulant qu’à une cuirasse des siècles passés, elle faisait croire que son porteur était désarmé.
Fermat s’exprima calmement, dans un anglais impeccable qui laissait néanmoins percer ses origines françaises. Il reconnut volontiers qu’il n’aurait jamais dû pénétrer dans les lieux mais dit ne pas comprendre comment il y était arrivé!
- Soit, admettons cette fable, proféra Patterson, les sourcils froncés par la contrariété. Quant à votre nom, je pense que vous me dîtes la vérité. Mais c’est tout! Mes hommes vont vous fouiller à fond! Peut-être dissimulez-vous une arme quelconque, un explosif miniature, après tout!
- Ah! Général, je vous le déconseille vivement! S’écria alors André soudainement inquiet.
Faisant comme s’il n’avait pas entendu l’objection du suspect, haussant les épaules, Patterson commanda à deux gardes de s’approcher du prisonnier et de le fouiller au corps. Fermat eut alors un geste de recul. Un caporal s’étonna.
- Mon général, voilà un tissu fort étrange! En le tâtant, j’ai la sensation d’enfouir ma main dans du gel! Holà! Mais ça brûle!
Instinctivement, le garde retira ses doigts qui réapparurent tout boursouflés. L’autre soldat qui ne se laissa pas démonter pour si peu, déclencha malencontreusement un mécanisme secret de la tenue protectrice. Un chuintement s’éleva accompagné d’un déroulement d’un appendice préhenseur qui vint entourer le bras droit de l’humain téméraire. Le tentacule artificiel miroitait étrangement car composé de milliards de pixels. Il serra de plus en plus puissamment sa proie.
- Ah! Qu’est-ce que cette chose? Hurla le MP affolé. Mon bras! Je ne le sens plus ; elle va le faire éclater!
- Armure, fin d’attaque Anomalocaris, commanda Fermat conservant son sang-froid. Il s’était exprimé en basic English.
Instantanément, l’appendice se rétracta, libérant le MP qui se frotta vigoureusement le bras, soulagé. Le soldat ignorait qu’il venait de réchapper à l’amputation de son membre.
- Que signifie ce mic mac? Demanda Patterson plus furieux que jamais. Cela a jailli brusquement de vous pour disparaître presque aussitôt! Pourtant, ce vêtement que vous portez semble très fin. Et de quel langage avez-vous usé?
- Général, je ne puis vous répondre. Il vaudrait mieux, pour leur sécurité et la vôtre, que vos hommes cessent là leur fouille.
- Ah! Cela suffit! Répliqua Patterson sortant de ses gonds. Vous n’avez pas à me donner d’ordres. Fouillez-le jusqu’à ses jambes!
Les deux MP s’exécutèrent, avec prudence toutefois. Ils palpèrent donc avec précaution les membres inférieurs du prisonnier. Malgré tout, ils actionnèrent un autre phénomène.
Cette fois-ci, Fermat parut devenir transparent, les murs du bureau visibles à travers son corps tandis que ses mouvements s’effectuaient à une vitesse cinq fois supérieure à la normale.
- Général, cria André d’une voix suraiguë où tous ses mots s’entrechoquaient, à peine audibles, arrêtez là votre fouille! Pour le bien de vos hommes! Mon corps est revêtu d’une protection passive. Mais si celle-ci passe au stade actif, ce sera alors très dangereux!
- Répétez! Fit le général. Je n’ai pas compris! Répétez!
- Armure, fin de déphasage ! Alignement temps normal ambiant, environnement Terre du XX e siècle!
Quelques secondes d’un lourd silence.
- Bien, reprit Patterson, j’ignore qui vous êtes exactement ainsi que d’où vous venez sans oublier les raisons pour lesquelles vous êtes ici! Un point en votre faveur: vous ne semblez pas être un espion à la solde des Rouges! Vous n’en avez ni l’allure ni le comportement. De plus, nos activités dans ce centre ne sont pas autant top secrètes que Khrouchtchev aimerait le supposer.
- Oh! Souffla Fermat, soulagé. L’incident du U2 a-t-il déjà eu lieu?
- Ah! Non! Cette fois-ci, vous exagérez! Quelle couleuvre tentez-vous de me faire avaler? Vous ne savez pas que nous sommes le 7 janvier 1963?
- Merci, général! Vous m’ôtez un grand souci, vous ne pouvez pas savoir!
A cet instant, quelqu’un frappa à la porte du bureau. Patterson fulmina.
- J’avais pourtant dit que je ne voulais pas être dérangé!
Un capitaine parfaitement sanglé dans son uniforme impeccable s’introduisit dans la pièce.
- Mon général, pardonnez-moi cette intrusion. Mais l’avionneur Otto Möll vient d’arriver. Il avait rendez-vous, souvenez-vous. Vous lui aviez promis de lui faire visiter les souffleries. Et il a une autorisation signée par le Président Kennedy en personne.
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- Tant pis, soupira Patterson. Jakes, faites donc attendre ce monsieur…
Le cerveau de Fermat tournait à toute vitesse.
« Donc, manifestement, je ne suis pas dans le temps dévié par Sarton, celui qui était devenu le mien… Otto Möll… ce nom me dit vaguement quelque chose… Avionneur… Bon sang, il faut que cela me revienne… »
N’y tenant plus, André osa poser une question à la seconde même où le capitaine se retirait.
- Pardon, mon général, à propos de cet industriel justement,… N’a-t-il pas fait équipe il y a peu avec un autre germano américain, un certain von Hauerstadt?
- Oh! D’après vos affirmations, je vous pensais totalement étranger à ce monde! Votre couverture s’effiloche et tombe! Après tout, peut-être que ce monsieur Möll vous connaît? Capitaine Dermott… Jakes!
- Oui, mon général?
- Introduisez l’avionneur. Je viens de changer d’avis! Cette confrontation aboutira manifestement à un résultat. Je veux en avoir le cœur net!
- A vos ordres, monsieur!

***************

Solidement ligotés sous une tente gardée par une douzaine de reîtres, Daniel, qui avait l’air de se moquer d’être prisonnier, et Violetta discutaient tout bas en mandarin.
- Oncle Daniel, rouspétait la jeune fille, pourquoi tardes-tu à t’échapper? Qui veux-tu abuser? Pamela ?
- Patience, ma grande! Je savoure une expérience. Parallèlement, j’en profite pour reconstituer mes forces.
- Pourquoi?
- Je te rappelle que j’ai affronté l’ennemi d’Uriel ce matin.
- Le Commandeur Suprême, brrr!
- Du moins, un de ses avatars. Réfléchis, ma chère nièce… n’as-tu rien constaté de remarquable?
- A part la disparition de l’agent temporel et la fin du Commandeur Suprême, je ne vois pas. Ah! Si! Cette Pamela Johnson a autant d’identités qu’un serpent en pleine mue!
- Justement, cela concerne mon ex-lieutenant Winka. Elle n’est guère pressée d’agir. Lorsque tu t’es retrouvée face à elle, a-t-elle mis véritablement tes jours en danger?
- Ben… pas franchement, puisqu’elle s’est contentée de me gifler cette garce!
- Tu ne la portes plus dans ton cœur.
- C’est un euphémisme, oncle Daniel! Si je le pouvais, je l’écorcherais vive!
- En tout cas, sais-tu ce que cela prouve de sa part? Qu’elle est momentanément dépourvue d’ordres! Elle n’a plus l’aide du pseudo père Joseph.
- Ah! Elle est donc trop éloignée d’une base de l’Archontat!
- Tout à fait. Mais cela ne suffit pas à expliquer sa passivité. Il y a plus intrigant encore Violetta: Winka n’ose pas m’affronter directement. Or, elle sait pertinemment que des liens de chanvre sont tout à faits insuffisants à me retenir!
- Donc, tu viens de changer d’avis… tu t’es détaché aussi facilement qu’Houdini!
- Une simple contorsion a suffi. Il n’y a là aucun exploit de ma part. A ton tour!
- Je n’ai pas besoin de ton aide!
Diminuant sa taille mais pas sa masse, l’adolescente rapetissa jusqu’à ressembler à un mignon nain de jardin. Ses liens tombèrent alors à ses pieds.
- Bravo, ma fille! Je n’en attendais pas moins de toi! Maintenant, serre-toi contre moi ; je vais passer en hyper vitesse. Ainsi, les soldats de Louis XIII ne verront qu’un tourbillon de poussière et encore! La navette Einstein est posée en déphasage de 0,25%, tout droit devant, au sommet de la colline. Marie et Mathieu nous y attendent à l’intérieur avec une certaine impatience. Je viens de les contacter.
En cinq secondes à peine, le commandant Wu et Violetta furent rendus à l’endroit désigné. Mais à l’instant même où Daniel réintégrait le continuum normal, quelle ne fut pas la surprise des deux fugitifs de se retrouver entourés par un demi régiment de mousquetaires du Cardinal, l’épée hors du fourreau, des soldats tous dévoués à leur souverain, les attendant de pied ferme. Ils étaient reconnaissables à leurs casaques rouges, leurs croix noires, leurs feutres empanachés, leurs larges bottes courtes à retroussis, leurs barbes en pointe, taillées à la royale, leurs baudriers de fantaisie, leurs cols de dentelle et leurs mines altières. Derrière la troupe, se tenait debout, solidement campée sur ses jambes, Pamela Johnson, alias Milady de Glenn, toute vêtue de cuir, ses cuisses musclées moulées dans des cuissardes. A la voir ainsi, on l’aurait crue sortie d’un roman de cape et d’épée. De sa voix inimitable, empreinte d’une ironie sarcastique, elle jeta:
- Croyais-tu donc réussir à t’échapper sans que je ne m’en aperçoive? Daniel éloigne donc ta chère nièce encombrante! J’ai décidé de jouer avec toi! Attrape ceci et défends-toi! Montre-moi ta dextérité proverbiale. Je veux pouvoir t’admirer dans tes œuvres!
Acceptant ce défi avec un sourire amusé, Daniel Wu éloigna Violetta des spadassins tout en se saisissant prestement des deux rapières lancées à son intention par son ennemie. Aussitôt, les mousquetaires se mirent en garde et engagèrent le combat, bien inégal. A tort, ils pensaient en avoir fini très vite avec le fugitif.
Prime, tierce, quinte, quarte, sixte, seconde… Daniel Lin était partout à la fois. Ses deux épées virevoltaient, éblouissantes, presque invisibles, fendaient l’air, flamboyaient un dixième de seconde sous la Lune, perçaient indifféremment bras, poitrines, jambes, tailladaient les chairs à qui mieux mieux, et désarmaient les mousquetaires.
C’était un spectacle merveilleux, comme si le commandant Wu n’avait pas eu deux lames mais des centaines!
Effrayés et fascinés à la fois, les sbires s’exclamaient qui avec un accent gascon, qui avec un accent marseillais ou encore avec une pointe d’intonation picarde.
- Maroufle! Sang Dieu! Je suis touché!
- As pas pur! C’n’est pas Diou possible!
- Troun de l’aïre! Il m’a eu!
Un à un, blessés, les soldats succombaient se retiraient, grimaçant de douleur, dépités et échaudés, n’osant plus se mesurer à ce démon incarné. Bientôt, il ne resta plus en lice, face au commandant, qu’un géant blond roux, flamberge au vent, lissant ses énormes moustaches et sa royale, vêtu avec une certaine recherche tapageuse, sa gorge entourée d’une cravate de dentelle.
- Qu’il est brave, ce petit! S’exclamait l’imitation de Porthos. Ahimé! Soutiens faquin, soutiens! Le pied en avant, le poignet souple! Sixte, tierce! Ventrebleu! Le coup de Jarnac! Houlà! De justesse! J’ai l’échine qui en frissonne!
- Pourquoi pas la botte de Delapalme dite botte de Nevers tant que j’y suis! Mais son efficacité est plus que douteuse d’après mon expérience!
- Je ne sais pas où tu as acquis ta science de l’escrime, mais pare donc ce coup-là si tu le peux, paltoquet!
Alors l’épée du géant se fendit et, telle un serpent, tenta de trouver l’ouverture! Mais elle choqua violemment une des lames de Daniel qui avait répondu avec maestria à ce coup fourré. La poigne d’acier du Picard ne parvint pas à faire faiblir la parade du commandant.
- Prodigieux! Reprit le géant. Personne jusqu’à maintenant n’avait été capable de sortir vivant de cette botte! Tu te bats bien, petit!
Le succédané de Porthos éclata d’un rire sonore qui retentit dans la nuit tel un bruit de cymbales, réveillant ainsi une nichée d’oiseaux, qui, sous l’effroi, s’envolèrent en poussant des piaillements agaçants.
- Palsambleu! Cessons là ce stupide combat! Compagnon, soyons amis! Tu mérites amplement d’endosser la casaque des mousquetaires!
- Vous me voyez ravi du compliment. Pourtant, il y a si longtemps que je n’ai tâté d’une épée. Mes dernières leçons, je les dois au commandant Fermat.
- Ah! Coquin! Il faudra que tu me présentes ton professeur!
- Hélas, je le voudrais bien, mais il est mort.
- Tant pis!
Laissant tomber leurs épées sur herbe piétinée, les deux hommes s’étreignirent chaleureusement sous le regard furibond de Pamela qui, évidemment, avait escompté une autre fin. Toutefois, elle ne pouvait s’empêcher d’admirer la prouesse de son ennemi.
- Quel est donc ton nom, ami? Tonitrua celui qui ressemblait à Porthos.
- Daniel Grimaud, et vous?
- Gaston de La Renardière! Mes terres ont été élevées jusqu’à la baronnie par Sa Majesté Henri le Quatrième.
Pamela, qui ne l’entendait pas ainsi, s’interposa entre les deux hommes.
- Monsieur de La Renardière, vous trahissez la confiance que j’avais mise en vous.
- Que nenni, madame! Je ne sers que Louis le Treizième et Son Éminence! Allez plutôt rejoindre monsieur de Buckingham, et tâchez de vous dépêcher! Je n’aimerais pas numéroter vos abattis! Votre âme doit être aussi noire que votre peau!
- Gaston, permettez-moi un conseil : ne la provoquez pas!
- Oh, commandant Wu, vous pouvez sourire et vous montrer galant. Nous nous retrouverons bien plus tôt que vous ne le pensez.
- Ah, une fois que vous aurez reçu vos ordres, comme un toutou bien discipliné!¡Vaya con el diablo, chica!
Sous les yeux médusés du baron de La Renardière, la mutante Asturkruk s’évapora dans les ombres de la nuit, se confondant avec la brume qui se levait.
- Aurions-nous eu réellement affaire à une sorcière? Demanda Gaston naïvement.
- En quelque sorte, mon nouvel ami. Cependant, cette dame avait raison. Vous devriez être en train de m’empêcher de fuir.
- Par Dieu, non! Vous me plaisez! Je sens que vous n’êtes point un méchant homme! Alors, monsieur Grimaud, allez en paix, ainsi que votre jeune demoiselle.
- Merci pour votre générosité. Je saurai m’en souvenir un jour ou l’autre. Mais comment expliquerez-vous au Roy ma disparition, sans oublier votre escadron décimé?
- Oh! Je ne suis point à une affabulation près, et l’étrange manière avec laquelle Milady de Glenn s’est fondue dans la nuit peut être vue comme un tour de sorcellerie.
- Je ne saisis que trop! On brûle encore ces malheureuses femmes sur les bûchers. Le supplice de Giordano Bruno ne remonte qu’à quelques années. Adieu, ami Gaston.
- Adieu Daniel. Que les génies de la prospérité vous protègent!
Tournant les talons, le gigantesque mousquetaire regagna le camp royal en ayant toutefois pris soin de vérifier si sa demi compagnie comportait quelques survivants. Cinq hommes respiraient encore. Ce fut pourquoi le baron de La Renardière pressa le pas. Il allait réveiller les chirurgiens.
De son côté, Daniel Wu ne perdit pas son temps. Serrant contre lui Violetta qui commençait à trembler de froid, il gagna l’endroit précis où la navette Einstein légèrement déphasée était toujours en attente.

***************

Un peu plus tard, après de joyeuses retrouvailles et de grands baisers, l’adolescente, réconfortée et nourrie copieusement, Ufo sur ses genoux et Bing à ses pieds, demanda de sa voix pointue :
- Et maintenant, que faisons-nous? Quelle est notre prochaine destination? Tenterons-nous enfin de rejoindre mon père?
- Oui, bien entendu. Nous allons le récupérer. Mais il reste un problème de taille. Le véritable Maximien, que lui est-il donc arrivé? Dans quel siècle a-t-il été projeté?
- Hé bien , pour cette tâche, tu disposes du chrono vision Sers t’en!
- Veux-tu chercher avec moi et observer?
- Moi, je sais m’en servir seul! Répliqua Mathieu.
- Je n’en doute pas! Tu as eu assez de loisirs pour apprendre! Suivez-moi donc tous les trois. Je vais faire défiler tous les fils des trames possibles de l’espace-temps!
Dans la cabine contiguë, le chrono vision en marche montra certaines scènes attendues, mais aussi d’autres qui l’étaient beaucoup moins :
- Benjamin aux prises ave une nouvelle embuscade des bagaudes, quelque part en Savoie ;
- l’aéroport d’Orly, dans les années soixante, là où Franz Von Hauerstadt attendait un homme d’un certain âge, chauve, portant lunettes, vêtu d’un chaud manteau de laine par-dessus un costume sombre. L’inconnu était accompagné, oh stupeur, d’un individu de grande taille, maigre et ascétique, aux yeux clairs, reconnaissable entre tous : André Fermat en chair et en os! Il n’y avait pas à s’y tromper. Malgré l’habit anachronique qu’il portait, il s’agissait bien du commandant du Sakharov, seulement, il paraissait un peu plus jeune que dans les souvenirs les plus récents de Daniel, une cinquantaine d’années au lieu d’une soixantaine au moment de sa mort
- Comment mon ancien commandant a-t-il atterri à ces coordonnées? Et de quel Fermat s’agit-t-il?
- Là, l’homme qui accueille le duo, c’est Hauerstadt, fit Violetta. Donc, celui qui est en compagnie d’oncle André doit être Otto Möll, pas encore décédé. La preuve : regarde précisément la date.
- 28 janvier 1963, 18 h 03.
- Oh, un mouvement de panique se forme, constata Mathieu, pourquoi?
- Il se passe manifestement quelque chose d’anormal, oncle Daniel. Zoome dessus.
Daniel Wu obtempéra et focalisa sur le dernier groupe descendant de l’avion et qui, mû par un réflexe de peur et de survie à la fois, s’accroupissait à même le macadam glacé afin d’échapper aux rafales d’un tireur fou. Otto Möll s’en tira avec une simple éraflure au bras, mais, hélas, ce ne fut pas le cas du commandant Fermat, qui, une fois de plus, mourut.
Mais Daniel savait où se trouvait l’assassin. D’un mouvement rapide, il centra l’objectif sur un individu entièrement glabre portant chapeau mou et lunettes noires, véritable caricature d’un gestapiste ou d’un zorglhomme , armé d’un fusil à lunettes à longue portée.
- Mais ce type n’est pas un humain! S’exclama le commandant Wu.
- Alors, ce n’était pas oncle André qui était visé, mais bien Otto Möll. Dans une des chrono lignes si j’ai bien lu, il est mort dans des circonstances étranges, à la fin de l’année 1965.
- Certes, ma nièce, mais qui a armé le bras?
- Fastoche, les ennemis de Franz et de Michaël!
- Oui, le Commandeur Suprême ou ses sbires.
- Papa, tu ne vas pas laisser ce fait cruel s’accomplir! Jeta Mathieu. Cet incident n’aurait jamais dû avoir lieu, puisque Fermat n’est pas à sa place!
- Je ne m’explique pas sa présence dans cette sphère de temps.
- Mais cesse donc de t’interroger, et remédie à cet assassinat, fit Mathieu avec énervement.
- J’y pense. Violetta, tu m’excuseras, mais la récupération de ton père, une fois de plus, est remise…aux calendes grecques!
La métamorphe fit la moue puis demanda:
- Nous diras-tu ce que tu envisages?
- Attendez! On dirait que le chrono vision veut poursuivre ses recherches. L’IA qui le commande semble obéir à une impulsion extérieure. Découvrons la scène qui se dévoile.
Cette fois-ci, l’écran stabilisa sur une plaine morne, désolée, enneigée et gelée où un ciel bas et lourd, parcouru par des volées d’oiseaux noirs, pouvait faire supposer que plus jamais le soleil ne brillerait. Des formes s’avançaient dans un déhanchement qui dénonçait leur non appartenance à l’humanité.
Rapprochant l’image et la grossissant encore, Daniel reconnut dans ces silhouettes des soldats Asturkruks avec, à leur tête, le terrible et sinistre colonel Kraksis. La troupe encadrait une horde de K’Tous armés de façon hétéroclite de lances, de haches, de pierres et de propulseurs. Le plus jeune néandertalien avait à peine quelques poils au menton. Devant, Pamela Johnson marchait d’un pas rapide, semblant ne pas souffrir du froid pourtant intense.
- Pouvons-nous avoir le son? Demanda Violetta.
- Voilà, mais la définition de l’image s’amoindrit et devient plus floue.
- Cela ne fait rien. Ce qui se passe est assez clair!
Un cri rauque et guttural retentit à travers l’immensité glacée et les millénaires.
- A Niek T’ou!
- Gomolk Urogkt!
- As-tu compris cette échange, ma grande?
- Ce n’était pas difficile! Le rabatteur a crié: « Là, des non hommes! ». Et Kraksis a répondu dans la même langue: « A l’attaque! ». Mais, oncle Daniel, qui sont les non hommes?
- Ici, regarde ces êtres élancés tout bardés de fourrure et de peaux tels les Inuits.
- Oh! Des Sapiens modernes! Ils ont la peau noire, si je ne me trompe pas?
- Effectivement! Ta vue est bien exercée.
- Ils fuient devant les chasseurs néandertaliens. On nous rejoue les chasses du comte Zaroff!
- A l’envers, ma fille! Au lieu de Neandertal la proie, c’est Sapiens Sapiens!
- Quel massacre! Arrête la retransmission! J’en ai assez de voir l’hémoglobine couler partout et souiller cette neige! De plus, Marie se cache la figure, toute apeurée.
Le chrono vision montrait une scène authentique où ceux qui devaient devenir les Cro-Magnon étaient pourchassés puis tués par les K’Tous et les Asturkruks. Il s’agissait d’une extermination systématique dont le but évident était l’extinction des Sapiens modernes.
- Papa, fit Marie de sa petite voix entre deux sanglots, le jeune à la barbe naissante ressemblait à Uruhu!
- Hélas, ma fille, c’était bien lui! Tes yeux ne t’ont pas trompée.
D’un geste rageur, le commandant Wu désactiva le chrono vision. Un choix s’imposait.

***************


Pamela avait rejoint Kelmir, son vaisseau refuge, et s’apprêtait à effectuer un saut quantique. Quelle ne fut donc pas sa surprise de voir, assis sur le siège du pilote, le colonel Kraksis qui l’attendait tout en feuilletant à l’aide d’une pince préhensible un ouvrage d’anthropologie. Winka salua son supérieur. Celui-ci daigna lui rendre son salut puis s’exprima dans son langage particulier.
- Capitaine, votre jeu du chat avec la souris est terminé! Je vous ai retrouvée malgré la distance transtemporelle.
- Il n’en va pas de ma faute, colonel, je vous assure! Émit Pamela, vexée.
- J’ai eu le temps de lire le journal de bord ainsi que les rapports de l’IA du Kelmir. Je vous accorde donc les circonstances atténuantes! Mais, franchement, j’espérais mieux de vous et de vos talents! Jamais vous ne m’avouerez qu’une fois encore ce satané androïde vous a filé entre les mains!
- Colonel, je le reconnais. Cependant, vous ne m’aviez donné que des ordres assez vagues…
- Il fallait le tuer ou, du moins, l’empêcher de nous nuire!
- Certes, mais le commandant Wu s’avère en fait bien plus habile et bien plus imprévisible que vos propos le laissaient supposer!
- Ah! Mais vous oubliez que vous êtes une homuncula, capitaine!
- Seulement en partie, colonel, et Daniel Lin Wu également! Pourquoi m’avoir caché cela?
- Ma chère, vous êtes de taille à l’affronter! A vous de vous montrer plus rusée! Anticipez! Je n’aime pas vos manœuvres et tactiques si inattendues qui pourtant n’aboutissent à rien de concret et de payant pour l’Archontat! Ne perdez pas de vue que vous devez me faire des rapports réguliers.
- Que me reprochez-vous à part ce détail?
- Votre ton et votre question frôlent l’insubordination!
- Je suis ce que je suis, colonel!
- Soit! L’Archonte m’avait pourtant mis en garde concernant votre caractère. En quelques mots, voilà… Votre projection malencontreuse du capitaine Sitruk dans le passé de Terra a enclenché un futur alternatif non souhaité dans lequel notre ennemie l’Alliance, mais également l’Archontat lui-même doivent combattre une confrérie de pirates organisée militairement.
- Oui, et alors?
- Devinez qui se trouve à sa tête?
- Je ne devine jamais colonel! Je m’informe! Le véritable Maximien!
- Est-ce là tout l’effet que cela vous fait?
- Colonel, poursuivez au lieu de vous préoccuper de mes éventuelles émotions!
- Vos agissements ont aussi abouti à la résurrection de ce maudit commandant Fermat! Il est, à mes yeux, plus dangereux que Daniel Wu!
- Oui, colonel, mais d’un mal peut sortir un bien.
- Cet humain peu ordinaire s’est réveillé dans un XX e siècle dévié qui se terminera par une Troisième Guerre Mondiale. Les représentants honnis de la gent humaine s’anéantiront tout seuls en 2045 dans un holocauste nucléaire…
- En effet, le Commandeur Suprême qui a la charge de cette histoire alternative a abordé cette fin avec moi.
- Alors, puisque vous aimez tant les temps fractals aléatoires et que vous pouvez vous y mouvoir parfaitement à l’aise, recherchez-moi donc l’harmonique idéale dans laquelle Daniel Lin Wu, sous n’importe quelle forme ou apparence n’existera pas et dans laquelle aussi le peuple Asturkruk dominera la Galaxie!
- Mais colonel, je travaille justement sur ce projet! Si vous voulez me suivre jusque dans la salle d’holosimulation visionner l’état de mes recherches…
- Volontiers! Cela promet d’être fort intéressant!
En chemin, la capitaine Asturkruk interrogea Kraksis qui, soudain d’humeur affable, répondit tout sucre tout miel.
- Colonel, bien évidemment, l’existence de Daniel Wu ne permet pas à l’archonte Keleur de régner sur la Galaxie tout entière, cela je l’ai parfaitement compris. Mais, derrière votre acharnement à détruire ce bâtard d’humain, il y a autre chose!
- Je le reconnais. Daniel Wu a déjà abattu quatre de mes incarnations ou clones dans les méandres du Multivers. Ceci explique la haine personnelle que je ressens pour lui.
Dans la salle d’holosimulation qui revêtait ici une forme cylindrique, une étrange arborescence paraissait s’étendre à l’infini tout en luisant faiblement.
- Que symbolise ce réseau qui a un alpha mais pas d’oméga? Cela n’est pas la texture réelle de l’Univers, non?
- Il s’agit simplement de la représentation effectivement symbolique mais précise toutefois, au nano rameau près, de l’arbre de l’évolution du vivant sur Terra depuis la formation de ladite planète.
- Êtes-vous capable de focaliser sur des rameaux particuliers et, ensuite, de centrer sur leur mutation?
- Oui, certainement. Cette arborescence repose sur la théorie évolutive des équilibres ponctués. Cela signifie que certaines branches peuvent demeurer en stase durant une période de plusieurs milliers d’années puis connaître une brusque évolution, une accélération de mutations quasiment consécutives si elles sont victimes, disons, d’un stress génétique et environnemental qui les oblige alors à changer, comme si elles devaient répondre à de nouveaux défis.
- Autrement dit, s’adapter ou mourir! Ce fut là également le sort dévolu à notre espèce.
- Oui, mais sur la Terre, les mutations peuvent apparaître totalement aléatoires. Ainsi, des genres et des espèces qui paraissaient parfaitement adaptés, qui avaient résisté plusieurs millions d’années, ont fini pourtant par disparaître, s’éteignant soit naturellement, soit à la suite de cataclysmes tels que chutes de météorites, tectonique des plaques, volcanisme, transgression marine, basculement de l’axe terrestre ou encore inversion des pôles magnétiques… il existe bien d’autres phénomènes soudains et brutaux… Mon travail, si j’ai bien compris l’objectif que vous m’assignez, consiste à supprimer les causes cataclysmiques de certaines disparitions afin de favoriser des créatures à la place d’autres.
- Oui, chère capitaine… mais vous pouvez faire mieux et stimuler l’extinction de masse des êtres qui ont finalement gagné la partie sur la Terre que nous connaissons.
- Par exemple?
- Supprimer les mammifères avant la disparition des dinosaures!
- Colonel, j’ai le regret de vous annoncer que j’ai déjà essayé cette piste, sans succès probant! Ainsi, j’ai multiplié à profusion l’espèce des Compsognathus qui, pour se nourrir, en a été réduite à dévorer tous les mammifères existants alors, c’est-à-dire des mini rongeurs nocturnes. Si vous aviez vu ces sortes de petits rats, jamais vous n’auriez pensé qu’un jour cela aurait donné Homo Sapiens! Puis, j’ai détourné la comète qui devait s’écraser sur Terra, plus exactement dans le Yucatan. Elle est allée se perdre dans la région d’Alpha Centauri. Et, … j’ai eu la surprise de découvrir que les dinosaures, de mutation en mutation, acquéraient l’intelligence, comme sur d’autres mondes. Dans quarante millions d’années, d’après mes calculs, mais aussi par mes voyages le long de cette ligne du temps, nous aurons face à nous des adversaires dinosauroïdes,et, tenez vous, même un Li Wu tout aussi philosophe que l’aïeul du commandant!
- Dans quarante millions d’années! Nous aurons évolué d’ici là et…
- Hélas, colonel, notre espèce sera moribonde… trop de conquêtes, trop de gaspillages!
- Ah! Et si vous vous contentiez de l’élimination des primates? La chasse à Purgatorius au Crétacé?
- D’accord! Voyons ce que cela donne. Sphère: focalisation sur les proto primates, soixante-dix millions d’années dans le passé de Terra. Puis, suppression du rameau.
- Simulation effectuée, répondit la voix artificielle.
- Sphère, maintenant, fais apparaître le nouveau schéma évolutif ainsi libéré jusqu’à plus de cent millions d’années standard dans le futur!
La sphère obéit, devint franchement lumineuse et montra bientôt, en vision légèrement déformée, une Terre non pas vierge d’intelligence, mais au contraire une planète où plusieurs espèces sapientes cohabitaient pacifiquement; des delphinoïdes avaient colonisé les étendues marines et étaient aptes désormais à vivre à la surface quelques heures d’affilée. Ces êtres communiquaient télépathiquement entre eux mais aussi avec des plantigrades et des éléphantoïdes.
- Combien de temps leur faudra-t-il pour acquérir une technologie leur permettant de quitter leur berceau naturel?
- Cent millions d’années encore.
Kraksis fit la moue.
- Cent millions d’années! Toutes les Galaxies vont leur appartenir! Ce délai ne nous est même pas imparti, même en abandonnant notre chair greffée à des composants synthétiques! Avez-vous testé les possibilités avec les primates sans les anthropoïdes, il va de soi?
- Deux probabilités, sinon quatre, s’offrent à nous. D’abord, laisser les primates au stade des lémuriens…
- Ils sont inoffensifs, ce me semble?
- Apparence seulement! Ces derniers finissent par acquérir eux aussi la télépathie et l’interdimensionnalité, or c’est-ce talent qui nous importe-, au bout de vingt-huit millions d’années. A ce stade, ils attirent enfin l’attention des Helladoï, qui, eux-mêmes, sont en passe de devenir de purs esprits!
- Ah! C’est rageant! Abandonnez cette piste fort décevante! Qu’avez-vous d’autre à me proposer de plus prometteur?
- Favoriser les Platyrhiniens sud-américains après avoir exterminé la totalité des singes de l’Ancien Monde, Cercopithèques inclus. Au bout de vingt millions d’années, la cible sélectionnée aboutit à des formes anthropoïdes géantes monstrueuses, à la fois vampires et cannibales. Celles-ci passent le détroit de Béring ou ce qui en tient lieu, conquièrent l’Eurasie tout en se complaisant dans l’animalité.
- Fascinant! Ces Améranthropoïdes cruels représentent-ils un danger pour nous, les Asturkruks?
- Ils n’atteindront certes pas la capacité du vol spatial, colonel, mais ne comptez pas coloniser Terra! Ces mutants s’opposeront à nos troupes qu’ils décimeront! En effet, ils peuvent aspirer, métaboliser n’importe quel sang! Seuls les Alphaego sont aptes à les affronter avec succès…
- Mais cela reviendrait à leur laisser la Galaxie!
- Or, nous savons pertinemment tous les deux que notre alliance ne repose que sur des bases provisoires! Quand nous en aurons terminé…
- … nous les exterminerons à leur tour! Avez-vous un meilleur schéma?
- J’en ai deux: l’extinction des anthropoïdes d’Afrique et l’essor de ceux d’Asie en appliquant à la lettre Lobsang Rama et fra Vincenzo. C’est là ma première solution.
- Expliquez-vous, Winka.
- Il ne restera plus dans la seule Eurasie que de pacifiques orang outans et Gigantopithèques découvrant tout juste le galet aménagé. Ils seront trop primitifs pour intéresser les Helladoï et trop mous pour se battre. Nous en viendrons à bout en moins d’une année locale.
- Et pourtant, capitaine, vous m’aviez prévenu il y a peu, que le K’Tou Uruhu faisait d’étranges rêves dans lesquels il voyait des singes roux piloter un vaisseau qui ressemblait peu ou prou au Langevin.
- Oh! Sans l’intervention de l’Homo Spiritus et de Daniel, ces orang outans n’auraient jamais atteint le stade de la conscience de soi et de la projection dans l’avenir!
A ce niveau de raisonnement, l’ex-lieutenant Johnson, imbue de sa supériorité, commettait une erreur qui allait, plus tard, lui coûter cher.
- Très bien, reprit Kraksis satisfait. Nous devons donc intervenir avant eux! Mais j’aimerais connaître la seconde possibilité qui fonctionne.
- Le monde K’Tou! Tout en évoluant, les Néandertaliens refuseront la technologie à outrance, mais aussi la guerre. Ils se complairont dans un univers spirituel fait de coopération mutuelle dans lequel Pi’Ou leur servira de guide.
- Ce schéma-ci est plutôt tentant. Vous, lequel choisiriez-vous?
- Les orang outans! Mais, techniquement, nous aurons plus de difficultés.
- Dans ce cas, nous essaierons d’abord le monde K’Tou! Notre tâche consistera donc à changer quelque peu la mentalité de ces êtres relativement innocents et à leur insuffler des sentiments et des comportements négatifs, les obligeant à recourir à la violence, à l’hypocrisie, à la ruse, exacerbant leur désir de tuer!
- Certes, mais il ne faudrait pas que cela se retournât contre nous ensuite!
- Mais, ma chère, nous interviendrons bien avant qu’ils représentent un obstacle insurmontable à notre conquête! Les K’Tous ne sont pas si éloignés dans le temps après tout…
- Je vois! Les Néandertaliens massacreront leurs massacreurs, ces abominables fronts hauts, ces Niek’Tous, les « ancêtres » de Daniel Wu.
- Capitaine, accordez-moi une petite coquetterie. Montrez-moi le schéma que donnerait une Terre où il n’y aurait aucun vertébré et où les calmaroïdes, nos semblables, règneraient sans partage! Surtout, ne refaites pas l’erreur de Penta .
- C’est-à-dire?
- Il vous faut empêcher l’extinction des animaux d’Ediacara mais aussi ne faire apparaître aucun chordé!
- Cela va de soi, colonel. Sphère: élimination de tous les rameaux postérieurs à la faune d’Ediacara!
- Ordre effectué.
Alors, instantanément, la sphère, dans un premier temps, dévoila l’état de la faune pluricellulaire primitive d’Ediacara, - animaux à corps mou,- proto méduses et proto éponges, créatures étranges et inconnues aux corps ressemblant à des édredons piqués qui prospéraient dans cet univers aquatique fait pour elles.
- Projection de l’évolution de cette faune, sans extinction, jusqu’à son aboutissement.
Le paysage se mit à se modifier par plans enchaînés successifs tandis que des centaines de millions d’années s’égrenaient avec la régularité d’un métronome. Les animaux se transformaient et mutaient par saccades accélérées. Pamela et Kraksis reconnaissaient fugitivement des blastulas géantes qui émettaient des éclairs d’énergie, des spongiaires « arbres » de trente mètres qui ondulaient avec grâce dans l’eau saline, des êtres mi champignons mi animaux, à la frontière donc du végétal et de l’animal, des médusoïdes semblables à Schlffpt, qui créaient des arabesques de coraux pensants et qui eux-mêmes forgeaient et bâtissaient des continents entiers contrôlant ainsi tous les mouvements tectoniques de la planète.
Mais les animaux mous buttaient parallèlement contre les plantes qui avaient colonisé la terre ferme. Des fougères fouets battaient et secouaient l’eau tout autour d’elles essayant de gober des animalcules, tandis que d’autres, ressemblant quelque peu à des matelas piqués, évoluaient par sauts de crabe et voulaient manifestement s’agglutiner aux médusoïdes dans le but de les absorber.
D’autres plantes à plumeaux atteignaient presque la surface des eaux et se livraient à un ballet fantastique, quasi magique, une danse incompréhensible pour qui ignorait les contraintes de leur biotope. Des « arbres » aux teintes vives, allant de l’ocre au vermillon, se groupaient en tribus et émettaient des messages de joie aussitôt captés par les médusoïdes ainsi que par les coraux.
Mais, bientôt, ces messages se muaient en alertes, matérialisées par des coulées de sève acide. Un envahisseur colonisait la Terre. Il s’agissait des descendants des Odaraïens dont le corps à carapace articulée représentait une protection supérieure, un avantage incontestable sur les médusoïdes. Les envahisseurs triomphèrent donc relativement facilement des coraux, des méduses et des plantes. Ils ressemblaient à Binopaâ et à ses gardes mais ils n’étaient pourtant pas issus du même système solaire!
- Saviez-vous que cette invasion se produirait? Fit Kraksis, étonné.
- La simulation se rapproche au plus près de la réalité historique extérieure, celle du Multivers, donc, les invasions extraterrestres restent dans l’ordre du probable.
- S’il n’y a sur cette planète qu’une faune à corps mou, aucun Asturkruk ne peut y apparaître naturellement. Les ancêtres nautiloïdes prédateurs de notre espèce, qui avaient occupé les niches écologiques d’Anomalocaris ou de son équivalent sur Gentus, notre planète mère, n’existent pas dans votre schéma! Est-ce que ces conquérants crustaçoïdes résisteraient à une invasion de l’Archontat?
- Colonel, je vous rappelle que les crustaçoïdes ont vaincu les Haäns!
- Peut-être! Toutefois ces derniers ne disposaient pas de notre technologie avancée!
- Puisque vous le dites!
- Le temps écoulé dans cette simulation ne nous met pas en danger puisque ces êtres ne vogueront dans l’espace que bien postérieurement à notre existence.
- Colonel, vous n’envisagez pas sérieusement la mise en route réelle de cette simulation? Pour moi, ce n’est qu’une utopie!
- Non, évidemment pas, capitaine! Mais j’ai l’esprit aventureux! La colonisation de l’espace par les crustaçoïdes ne se produira que dans un milliard d’années d’après les curseurs. Montrez-moi maintenant un schéma calmaroïde et, sans Pikaïa, bien entendu!
- Colonel, j’ai le regret de vous annoncer que dans un tel schéma, sur Terra, nos semblables ne voient jamais le jour! Les Asturkruks, l’oubliez-vous, sont en fait des hybrides d’humanoïdes et de calmars. Leur physiologie révèle à la fois une coquille interne et une colonne vertébrale, du moins un vestige de celle-ci.
- Ah! Le mystère du Grand Ancien! La légende dit qu’il est né à la suite d’une expérience ratée, d’un accident bienvenu! On raconte qu’il a surgi du futur et qu’il venait d’un Soleil lointain. La survie l’a obligé à muter, à supporter des pressions effroyables pour lesquelles, à l’origine, il n’était pas fait! Sa relique est pieusement conservée au cœur même de notre planète, dans la pierre basaltique!
- Notre créateur serait-il non crée?
- Absurdité! Les prêtres ont toujours interdit l’examen scientifique de sa dépouille. Et cela depuis vingt-et-un millions d’années!
- Hélas!
- Winka, il m’appartient, moi Kraksis le Superbe, le Triomphant, qui ai l’oreille de Keleur le Prestigieux et le Glorieux, de permettre à la valeureuse race des Asturkruks de voyager dans le Pan Multivers, de refondre, de remodeler et d’embellir la Création!

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