samedi 23 mars 2019

Un goût d'éternité 4e partie : Franz : 1936-1937 (1).


1936-1937

20 Janvier 1936 
 Le roi britannique George V venait de mourir.
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 Comme le voulait la loi de succession, son fils aîné, David, monta sur le trône sous le nom de Edouard VIII. 
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Le 13 février de cette même année 1936, Léon Blum
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 était victime d’un odieux attentat perpétré par les Camelots du roi.
Pendant ce temps, à Berlin, Franz von Hauerstadt achevait ses classes à l’école militaire. Parallèlement, il avait le courage de suivre des cours du soir donnés par l’Université dans ses domaines de prédilection, c’est-à-dire les mathématiques supérieures et la physique avancée. L’été précédent, malgré son jeune âge, il est bon de rappeler que l’adolescent avait obtenu un diplôme – une maîtrise - à Oxford. Encore quelques mois, et il serait docteur en physique…
Le 7 mars, le Führer remilitarisait la Rhénanie. Or, déjà, le comte von Hauerstadt était aspirant à l’école des cadres officiers de l’armée… et il ne s’agissait nullement d’une faveur.
En France, au printemps, débutait la campagne électorale en vue des prochaines élections législatives.

*****

En ce début de novembre 1993, Antoine Fargeau avait reçu le feu vert de Michaël. Stephen ne pouvait qu’approuver ce qui se préparait. Avec l’aide du translateur, le jeune homme débarqua donc en France en 1936, juste au moment crucial où le Front Populaire accédait au pouvoir. Muni de faux papiers d’identité, merveilleusement imités, d’un matériel électronique miniature totalement indécelable par les instruments de l’époque, ainsi que d’autres appareils et armes insoupçonnables, bref le parfait attirail d’espion de la fin du XXe siècle, il se retrouva donc à Paris le jour même de la célébration   de l’anniversaire de la Commune, où tout le peuple parisien, avec à sa tête Léon Blum et Maurice Thorez, se rendait en un cortège des plus imposants, devant le Mur des Fédérés.
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Antoine était l’enthousiasme même. Ses origines populaires remontaient à la surface. Exalté par les grandes heures de l’histoire de la gauche française, il n’en revenait pas de la chance qu’il avait de vivre ce 1936 magique et légendaire à ses yeux.
Toutefois, il était parfaitement conscient qu’il n’était pas là pour s’amuser. Son séjour devait se prolonger plusieurs années dans ce passé mythique, embelli par les récits de sa mère. Pour l’heure, son but était de se constituer une couverture en attendant la fatidique Seconde guerre mondiale. Il le savait, il devait prendre contact avec un certain Franz von Hauerstadt en 1944, en Normandie. Or, cette idée ne lui plaisait guère mais Michaël et son professeur ne lui avaient pas laissé le choix. Ceci dit, Antoine avait rencontré le duc quelques semaines auparavant… il avait donc pu voir le personnage et se faire une opinion sur lui. Une opinion plutôt mitigée… certes, le duc était charmant, d’une politesse accomplie, un causeur éblouissant, il pouvait aborder n’importe quel sujet, de la politique aux sciences appliquées, de l’histoire à la littérature, citant tour à tour et dans la langue, Baudelaire, Dante, les sœurs Brontë, Tennyson, Shakespeare, Cervantès, mais également Tourgueniev et Thomas Mann,
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 mais derrière le vernis d’une solide éducation, l’étudiant sentait que Franz pouvait s’avérer un rude adversaire.
Pour l’heure, républicain convaincu, patriote, antifasciste, antinazi, Antoine escomptait bien combattre les Allemands un jour prochain en s’engageant dans la Résistance.
Tous les récits concernant son grand-père remontaient dans sa mémoire. Son grand-père Alain, torturé par la Gestapo, déporté au début de 1944 mais revenant miraculeusement en 1945, diminué physiquement et taciturne.
Oui, Antoine rêvait d’en découdre avec ces salopards de nazis, lutter au corps à corps avec cette engeance, usant de l’arme blanche et de sa science des arts martiaux. Egorger ces salauds, saigner ces pourceaux…
Cependant, son faux dossier militaire le mettait à l’abri d’un enrôlement au sein de l’armée régulière, et il se retrouvait réformé à cause d’une maladie respiratoire chronique. Le jeune homme faisait de l’asthme et cela le handicapait pour les combats éventuels.
Le Français de la fin du XXe siècle savait par avance qu’il devait prendre contact avec un groupe de résistants normands commandé par Gaspard Fontane et son fils Marc. Ce groupe devait faire prisonnier le lieutenant-colonel allemand Franz von Hauerstadt un certain jour de juin 1944, quelque part sur un des chemins vicinaux menant au village de Sainte-Marie-Les-Monts. Antoine avait reçu l’ordre exprès de protéger le futur physicien, quoi qu’il lui en coûtât, au prix de sa propre existence si nécessaire. Aux yeux de Michaël, la vie de l’Allemand était plus précieuse que la sienne propre…
- Euh… Michaël, avait tenté d’objecter le jeune étudiant… Vous n’êtes pas en train de surjouer, là ?
- Pas du tout, Antoine, avait rétorqué l’agent temporel. Vous n’avez aucune idée de l’importance de l’existence de Franz. Il est essentiel pour l’équilibre du Monde…
- Plus… essentiel que… vous ?
- Oui ! Moi, je puis revenir, être dupliqué, mais pas lui… vous comprenez ?
- Je crois.
- Dans ce cas, préservez-le de tous ses ennemis dans la France de la Seconde Guerre mondiale.
- Ce ne sera pas facile…
- Je le sais…
D’autres détails avaient suivi. Antoine les avait enregistrés non sans maugréer.
- Donc, à part garder en vie ce Boche, je dois lui communiquer les coordonnés du grand-père de mon professeur, Otto von Möll. Mais pourquoi ?
- Ne vous montrez pas aussi stupide, avait dit sévèrement l’homme du futur. Sans Franz, le translateur n’aurait jamais vu le jour…
- Ah bon ? Je croyais que Stephen l’avait mis au point sans aide… ou presque… ah ! ça y est… les calculs…
- Oui, les calculs complexes ont été effectués sans aucune erreur par Franz von Hauerstadt. Ils nous sont parvenus en l’an 40 000 et des poussières… une merveille de simplicité logique…
- Je les ai vus… je m’y suis penché dessus même, mais je n’ai pas tout compris. Certaines parties sont d’une audace inouïe…
- Pour l’époque mais aussi pour toute l’humanité…
Et la conversation en resta là.
Lorsque l’ex-officier de la Wehrmacht sut qu’il devait travailler auprès du transfuge allemand Otto von Möll, mais aussi pour les Américains, il fit preuve d’une certaine réticence. Toutefois, revenant sur ses erreurs passées, les conséquences désastreuses de celles-ci sur bien des gens, bien des innocents, Franz se jugea sans indulgence aucune. Il n’avait vraiment pas de quoi être fier des neuf dernières années écoulées. De plus, étant également fondamentalement anticommuniste, il prit finalement le parti d’œuvrer aux côtés du pacifiste Otto qui, lui, n’avait rien à se reprocher. Il n’avait pas de sang sur les mains, lui… il n’avait pas été le témoin d’une horrible tragédie survenue en Russie… Il n’avait pas laissé s’accomplir un effroyable massacre… quant à son géniteur, son véritable géniteur, il avait aidé la Résistance française avec ses faibles moyens, il avait fourni des renseignements plus que cruciaux aux forces britanniques… et, de plus, les nazis avaient tué son frère Peter, sa mère était morte en déportation, son père officiel Karl n’avait pu supporter le poids moral des exactions de cette clique d’assassins qui avait entraîné l’Allemagne dans le Crépuscule des dieux, au prix de millions et de millions de morts, de cadavres pourrissants, de victimes entassées, ramassées par des pelleteuses, des corps humains qui ne ressemblaient plus à des êtres humains justement…

*****
En 1936, Franz débuta une correspondance scientifique avec le physicien et chercheur Hermann Oberth.
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Or, en ce mois de mai de cette même année, les ouvriers et travailleurs français refusaient d’être lésés par la victoire du Front Populaire. Ils allaient faire pression sur ce dernier en déclenchant la grève sur le tas, c’est-à-dire en occupant leurs lieux de travail. Alors que le 4 Juin le gouvernement de Léon Blum était enfin formé, les pourparlers pour les Accords Matignon étaient entamés.
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 Mais dès le mois de juillet, la guerre civile espagnole commençait. Elle serait l’antichambre de la Seconde Guerre mondiale.

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19 Août 1993.
Gregory Williamson faisait jouer ses appuis auprès de la Présidence et du Congrès pour devenir général en chef des forces armées américaines. De son côté, Johann van der Zelden le soutenait sans réserve aucune. De plus, la diaspora juive, les faucons du Parti républicain ainsi que toutes les forces conservatrices du pays militaient pour que le soldat fût nommé à ce poste.
Parallèlement, en Grande-Bretagne, le parti conservateur affrontait une rébellion qui embrasait tout le territoire britannique. Le seul moyen pour lui de venir à bout de la pression grandissante des communistes était d’avoir un chef militaire américain dur, n’hésitant pas à taper du poing sur la table et à brandir des menaces crédibles face aux Soviétiques.
Telle se présentait donc la situation politique internationale en cette mi-août 1993.
Pour mémoire, il est bon de rappeler que le camp occidental s’était scindé en deux à la suite de la prise du pouvoir en Italie par les forces progressistes. Toutes les armées positionnées dans la péninsule étaient peu sûres alors qu’il ne faisait plus aucun doute que la Troisième Guerre mondiale venait de débuter au Moyen-Orient.
Cependant, il n’était pas question pour les Etats-Unis d’attaquer les premiers ailleurs, que ce fût en Europe ou en Asie. Toutefois, le nouveau général en chef Williamson pensait le contraire. De plus, il croyait dur comme du fer qu’une guerre usant des armes conventionnelles durerait trop longtemps et finirait par épuiser définitivement les armées occidentales moins nombreuses et moins aguerries que celles du camp adverse. Il songeait donc, le plus sérieusement du monde, à employer l’arme nucléaire mais… avec modération ! Quelle sinistre absurdité ! Comme si on pouvait mesurer l’utilisation de la bombe H… Comme si, en face, l’ennemi n’allait pas s’empresser de répliquer sans mesure… l’escalade de la terreur, de l’horreur… un engrenage fatal.
Lorsque le conflit mondial serait officiellement déclenché, Diubinov enverrait des missiles sur l’Europe du Nord, ciblant les grandes agglomérations comme Paris, Bonn, Berlin, Londres, Bruxelles, Amsterdam, Rotterdam, Copenhague, mais également des villes américaines telles que Miami, Atlanta, Washington, Los Angeles, New York, Boston, Philadelphie, Chicago, San Diego, Houston, San Francisco, Denver et ainsi de suite… tout cet holocauste nucléaire rendu possible par la présence de sous-marins atomiques russes croisant en eau profonde dans le Pacifique Nord et l’Atlantique Nord.
Alors que la situation internationale était plus explosive que jamais, Malcolm Drangston faisait du footing dans les larges avenues de la capitale fédérale américaine.

*****

Paris. 14 Juillet 1936.
Antoine Fargeau, le cœur battant, assistait à la Fête nationale, qui, cette année-là, revêtait une importance et un faste particuliers. Cette fête manifestait le triomphe du Front Populaire.
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Sur les Champs Elysées, défilaient, comme à l’accoutumée, les forces militaires françaises, mais, grande nouveauté, dans une liesse jamais vue, dans un enthousiasme sincère, dans une grande joie communicative. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les classes populaires croyaient que le bonheur était enfin descendu dans leurs modestes foyers. Naïvement, elles étaient persuadées que les spectres du chômage, de la misère et de la guerre allaient définitivement s’éloigner. Apparemment, tout Paris exultait de joie.
Perdu au milieu de cette foule colorée, Antoine Fargeau rageait intérieurement devant cette candide assurance. Lui savait parfaitement que tout ce bonheur allait bientôt céder la place à un profond désenchantement. Déjà, se profilait la guerre civile espagnole avec toutes ses désillusions et toutes ses trahisons.
L’ex-étudiant de Cal Tech avait réussi à se faire embaucher comme commis dans une épicerie. Son pain quotidien ainsi assuré, il parvint à entrer en communication avec ses amis restés en 1993 et ce, chaque semaine, grâce à l’utilisation régulière d’une sorte de chronovision portatif vite monté par Michaël Xidrù.
Or, le fils de son employeur, un certain Jean-Luc Mirmont, âgé alors de vingt-six ans, professait des idées fascistes. Son idole, qui n’était autre que Doriot,
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 trônait en photo sur sa table de chevet. Depuis longtemps, le bonhomme n’était plus communiste. Dès la fin de ce mois de juillet d’ailleurs, Jean-Luc allait adhérer au PPF, le parti nouvellement créé par maître Jacques. Rapidement, le jeune homme allait en devenir un des piliers, un des militants les plus actifs, ne répugnant pas à arpenter les rues de la capitale le soir afin de casser du rouge. Le matin, crieur de journaux, il clamait aux passants la nécessité d’acheter pour quelques centimes l’organe du PPF, La Liberté…
Dès qu’il avait fait la connaissance de Jean-Luc, Antoine avait ressenti une vive antipathie pour l’individu trouble et fourbe. Instantanément, il se tint sur ses gardes.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, grâce aux crédits cumulés du banquier Rosenberg et d’Athanocrassos, Otto von Möll s’installait solidement à la tête de la firme privée d’aviation qu’il avait fondée un peu plus tôt. Il fabriquait en série et vendait de petits avions civils de tourisme à des amateurs fortunés d’acrobaties aériennes. Ainsi, il paraissait avoir abandonné définitivement l’enseignement. Tous ses loisirs étaient occupés par la tentative de mise au point d’un avion à réaction. Il n’avait pas renoncé à ce rêve…
Désormais, sa situation financière fixée, Otto pouvait également entretenir son goût pour les voitures de luxe, et tel un gosse devant une vitrine de jouets, il avait satisfait sa folie en achetant deux automobiles de sport, une Duisenberg et une Mercedes.
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Sur un autre plan, son club en faveur de la paix dans le monde lui donnait entière satisfaction. L’association poursuivait ses activités et voyait même s’agrandir son nombre d’adeptes bien que deux de ses membres les plus éminents demeurassent en Europe orientale. Wladimir Belkovsky, mordu par le virus du pacifisme, dans sa candeur naïve, rêvait de l’URSS. Quant au mathématicien et physicien Sinoïevsky, il se penchait avec le plus grand intérêt sur les lois de la relativité générale d’Albert Einstein avec l’espoir fou d’aller encore plus loin que l’Allemand. Il pensait qu’il pourrait maîtriser un jour le voyage dans le temps… pas moins… un utopiste de la plus belle eau dont le roman de chevet n’était autre que le célèbre récit de Herbert George Wells La Machine à explorer le Temps.
Nikita allait transmettre son intérêt à Otto von Möll. Ce dernier n’avait-il pas croisé dans son enfance un de ses descendants ? Bien évidemment, il n’en pipa mot à son ami. C’était là un secret de famille… il n’empêche, Otto von Möll commença à ébaucher des plans d’engins capables de se déplacer dans le temps, des dessins totalement loufoques. Plus tard, il irait plus loin et avec plus de sérieux. Il conceptualiserait les premières maquettes d’un translateur…
A la même période, Stephen Mac Garnett avait d’autres préoccupations toutes aussi absurdes quoique… l’archéologue, se passionnant pour les civilisations précolombiennes, l’Egypte ancienne et la Crète, s’attachait à tenter de déchiffrer, pour l’instant sans succès, l’écriture crétoise dite linéaire B.
De plus, rêveur invétéré, à ses rares moments perdus, il feuilletait des revues et des livres évoquant avec plus ou moins de rigueur scientifique, l’Île de Pâques et sa mystérieuse écriture. Il se promettait de se rendre sur Rapa Nui d’ici quelques années afin d’en percer le secret.
Le militaire William O’Gready, lieutenant dans l’infanterie américaine, passait son temps en exercices et en virées sur les grandes routes poussiéreuses du Nevada.
Quant à Robert Fitzgerald York, qui avait soutenu la politique du New Deal de Roosevelt, justement réélu en novembre de cette année 1936, il se retrouvait muni d’un mandat de sénateur sous l’étiquette du parti démocrate. Une brillante carrière politique l’attendait.

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dimanche 3 mars 2019

Un goût d'éternité 4e partie : Franz : prologue.


Quatrième partie : Franz (1936-1943)

Prologue

Cassel. 10-12 Avril 1677. 
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La guerre de Hollande voyait s’affronter Guillaume d’Orange
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 et le roi Très Chrétien Louis XIV.
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 Le Stathouder voulait écraser l’armée de Monsieur, frère du roi, dans les Flandres.
A l’aube du 10 avril, Guillaume apparut sur la plaine, venant de Sainte-Marie Capelle. Son armée, rangée en bataille, le prince passa à l’attaque tentant l’assaut d’une hauteur où s’élevait l’abbaye de Peene.
Chez les Français, le maréchal de Luxembourg
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 avait pris la tête des troupes du monarque, et faisait face tant bien que mal. La bataille, parmi les plus furieuses et les plus sanglantes de l’histoire, dura jusqu’à cinq heures du soir.
Parmi les officiers fantassins du roi Soleil, un jeune homme blond, aux yeux clairs et de haute taille, fut atteint par un sabre hollandais alors qu’il résistait brillamment. Sous la douleur, son long fusil à baïonnette lui échappa des mains et il tomba sur la terre meuble, sa grave blessure faisant s’écouler de sa poitrine un sang du plus beau pourpre. Tandis qu’il agonisait, perdant peu à peu conscience de la réalité qui l’entourait, d’autres soldats mouraient à ses côtés. Un court instant, il leva les yeux vers le ciel en train de chavirer tel un vaste et tourbillonnant entonnoir noir, puis, tout s’effaça.
Mais, presque instantanément, le revoilà debout, bien vivant, toujours vêtu d’un uniforme militaire, avec le même physique. Pourtant, quelque chose avait changé. D’abord la date : 1812. Ensuite, le continent. Désormais, l’inconnu se retrouvait en train de se battre en pleine guerre anglo-américaine, luttant contre les Britanniques qui n’avaient jamais accepté l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Pris entre deux feux, instinctivement, il se jeta sur la terre battue et rampa vers un fourré protecteur. 
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Parvenu derrière le feuillage, déboussolé, il reprit son souffle, s’épongea le front à l’aide d’un mouchoir qu’il sortit de son havresac et essaya de comprendre ce qui était en train de lui arriver.
Marmonnant entre ses dents, il se dit :
- Mais… n’étais-je pas mort tantôt ? Ces éclairs lumineux parmi les ténèbres… mon uniforme a changé. Pourquoi ? Je me trompe. D’où vient ce souvenir incongru ? S3 vient tout juste de me donner l’ordre de me rendre en Amérique, ici, il n’y a pas cinq secondes… auparavant, je suis bien passé par les programmateurs et les éducateurs… du moins, ce me semble. Que de souvenirs confus ! Ma poitrine me fait mal. Je sens une vive douleur sourdre… or, je ne porte aucune blessure. Pourtant, je revois encore ce maudit sabre en train de me transpercer. S’agissait-il de moi ? Ne me suis-je pas réincarné ? Ou alors, cela est arrivé à un de mes confrères… Mais, dans ce cas, pourquoi est-ce que c’est moi qui ai cela en mémoire ? C’est à n’y rien comprendre… Bon sang ! Qui suis-je ? Que suis-je ?
Après une fraction de secondes, l’inconnu reprit ses réflexions.
- Un simple outil que les Douze S sacrifient… oui… ensuite, ils le réassemblent et le reprogramment sans cesse, selon les nécessités. Ne faut-il pas rendre pérenne leur civilisation ? Tant pis pour celui qui est doté de mémoire, de conscience… tant pis pour l’esclave obligé d’obéir encore et toujours ! Oui, S1 se joue de moi… Il me prend pour un imbécile mais ses mensonges, je les devine et je les vois désormais. Tout est en train de me revenir. Toutes ces images qui affluent dans ma tête… Espagne, 1522, à la Cour de Carlos Quinto, 1626, le Louvre chez Louis XIII, Chine, 1644, alors que les Mandchous vont prendre le pouvoir, vers l’an – 100 000, les Néanderthaliens, 2 150, le Renouveau de la Première civilisation post-atomique… moi, quoi qu’il arrive, toujours présent, toujours assistant aux événements clés, au cœur de l’Histoire humaine… Pourquoi ? Pourquoi ? J’ai en moi toutes les mémoires du Monde…
Parallèlement, le 11 avril 1677, la bataille avait repris.
Ce jour-là, Philippe d’Orléans, Monsieur,
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 chargeait courageusement à la tête de sa cavalerie. Devant lui, se dressait, en personne, Guillaume d’Orange. La mêlée qui s’en suivit fut digne des héros les plus épiques des grands romans de chevalerie. Philippe, ici, ressemblait à Tancrède
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 ou encore à Olivier, l’ami de Roland. Tel un démon survolté, le Prince se battait avec la furia francese si redoutable et si redoutée. L’épée au poing, il tailladait dans les chairs, ne ménageant ni son corps ni sa monture, rechargeant plus de vingt fois au moins. Son cheval tomba, vite, il en prit un autre. Sa cuirasse amortit deux coups de feu. Mais, ignorant toute peur, toujours debout, il repartait à l’assaut, échevelé, splendide, magnifié par sa rage de vaincre.
Enfin, après des heures de durs combats, les lignes hollandaises furent percées. Philippe d’Orléans était sorti vainqueur et quel vainqueur de cette bataille d’abord indécise. Quant à Guillaume d’Orange, il rageait, tempêtait, se mordait les doigts de ne pas avoir abattu le maudit Prince français.
… Nimègue, 10 août 1678, onze heures du soir. 
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 Le traité de paix mettant fin à la guerre de Hollande était signé et, le 10 octobre de cette même année, à Saint-Cloud, Monsieur offrait à son frère Louis XIV une fête célébrant avec tout le faste possible la paix de Nimègue.
Louis XIV ne put que s’extasier devant les nouvelles constructions et le luxe de cette réception somptueuse. Tout était splendide, parfait, dans le goût de ce siècle, la musique, les ballets, les jeux d’eau, les costumes, les feux d’artifice… avec grâce, il félicita son frère pour son accueil.
- Monsieur mon frère, merci…
- Sire, j’espère que tout vous a plu.
- Je n’ai rien trouvé à y redire, fit le monarque en s’inclinant.
- Je n’ai cherché qu’à vous faire plaisir, Monsieur mon frère. Telle était mon ambition…
- Vous y avez réussi.
Dans son for intérieur, le roi Soleil bouillait de jalousie. Désormais, il allait faire en sorte que son cadet ne commandât jamais plus le moindre régiment de cavalerie, la plus petite armée. Sa gloire ne devait plus lui porter ombrage… plus jamais…

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