dimanche 6 novembre 2011

Le nouvel envol de l'Aigle : 1ere partie : El Desdichado chapitre 4 1ere partie.

Chapitre 4


À bord du Vaillant,l’atmosphère devenait irrespirable, non à cause des émanations produites par des moteurs trop sollicités, mais bien par le fait de deux caractères opposés et antinomiques qui s’affrontaient, ceux de Violetta et de Gwenaëlle; la rescapée du chalcolithique, désormais, se débrouillait en français et le parlait presque couramment.

- Je ne t’ai pas autorisée à caresser mon chat! Sifflait Violetta agressive. Je me demande d’ailleurs ce qu’il te trouve. Il est toujours affalé sur tes genoux en train de ronronner béatement.

Effectivement, Ufo bâillait d’aise dans les bras de la Celte.

- Est-ce ma faute s’il me préfère? Répondit la jeune femme en poursuivant ses manœuvres de séduction sur le félin.

- Pff! C’est plutôt ta tambouille qui l’attire et tes agaceries bien féminines!

- Tambouille? Je ne comprends pas…

- Laisse tomber. Au lieu de t’occuper de mon chat, tu devrais aller jeter un coup d’œil dans la soute voir si tous les fûts et conteneurs sont bien arrimés.

- Je ne suis pas ton esclave et je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi.

- Ah! Pardon! J’ai le grade d’enseigne tandis que tu n’es qu’une vulgaire civile.

Craddock qui venait juste d’achever la vidange des eaux usées interrompit cet échange bien senti.

- Holà, maritornes à la noix! Commères en papier mâché! Ça suffit toutes les deux! Toi, la bruja à la fesse chaude, va vérifier les filins d’amarrage. Et aussi ce qui reste de provisions. Hop! Plus vite que ça! Tantôt, nous devons faire la jonction avec la comtesse de Montfermeil et tout doit être impeccable. Ouste! Obéis!

- Bruja? Éclata de rire Violetta. Bravo, capitaine, le terme est judicieusement choisi!

Le visage fermé, la Celte tendit Ufo à l’adolescente et descendit dans la soute en marmonnant:

- Daniel Lin saura la façon dont vous me donnez des ordres. Je lui appartiens, mais pas à vous!

Quel était donc le passé de Gwenaëlle? La jeune femme était une chamane, une femme médecine chassée de sa tribu parce qu’elle n’avait jamais accepté la lise à mort de son homme afin d’apaiser les dieux lors de la cérémonie de Samain. Or, les chamanes avaient le devoir de manger la cervelle du sacrifié et Gwenaëlle s’y était fermement refusée. Une nuit, elle avait osé déterrer la dépouille de Ferral, son amant et l’avait brûlée.

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Ce sacrilège révélé, la Celte avait alors dû fuir pour échapper à la colère des prêtres et des guerriers de son clan. Celui-ci était originaire de ce qui deviendrait plus tard les forêts germaines. Avant de s’installer sur les berges de la Marne, il avait massacré des peuples mégalithiques plus anciens et moins bien outillés.

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Quant aux bijoux et aux armes du défunt, ils avaient été éparpillés et abandonnés aux corbeaux et aux corneilles.

Dans sa fuite, Gwenaëlle avait soulevé contre les siens cinq villages et déclenché ainsi une guerre, parvenant à ce résultat en monnayant son corps.

***************

14 avril 2152, selon le calendrier occidental en vigueur sur la planète Terre.

Sur Haäsucq, dans la salle d’apparat du palais de Hinduk IV, Sa très valeureuse et très généreuse Majesté trônait sur un siège en basalte, flottant au milieu de ses commensaux et courtisans. La pièce était si vaste qu’elle semblait se perdre à l'infini, jusqu’aux pics enneigés des monts de Burns vingt-cinq kilomètres plus loin. Aux murs, des fourrures anthracite, fauves et pourpres tendues tandis que suspendus des lustres en métal forgé distillaient leur lumière en ronds blafards sur une assistance toute acquise à l’Empereur. Des bancs de bois se perdaient dans cette immensité et le sol était jonché de délicates fleurs blanches embaumées dont le subtil parfum se mêlait aux senteurs brutes dégagées par les guerriers Haäns. Des fumées épaisses tournoyaient dans l’atmosphère provenant des cuisines du palais, là où rôtissaient des viandes aux saveurs corsées d’animaux sauvages dont certains ressemblaient à des hybrides de sangliers et de varans de Komodo.

La noblesse d’Hinduk IV était assemblée, avide de recevoir les paroles sacrées du souverain. Tous les géants roux arboraient des broignes, des pièces métalliques, des étoffes de drap de teintes chatoyantes, des casques à cimier ainsi que des bottes montantes jusqu’aux genoux. Quelques barons voyaient leurs larges épaules protégées par des fourrures de squarls. Il s’agissait d’animaux sauvages ressemblant vaguement aux tigres de montagnes de la planète Terre. Leurs pelages soyeux et brillants comptaient parmi les plus recherchés par les guerriers.

Mais la munificence de l’Empereur était telle qu’elle faisait pâlir les tenues les plus vives des fidèles vassaux. En effet, Hinduk IV n’avait pas hésité à revêtir pour cette cérémonie historique son grand uniforme de parade, un costume militaire de couleur rouille, agrémenté d’une cuirasse en dur acier - excusez ce luxe coûteux et sans pareil - et par-dessus un long manteau de fourrure brune - un squarl royal - sans oublier la tête coiffée d’un casque surmonté d’un énorme crâne de Varanuq - une bête parmi les plus féroces de Haäsucq, sorte de croisement entre un lion surdimensionné et un crocodile - et aux pieds des bottes moulant à la perfection des jambes et des cuisses particulièrement musclées. Le faste inouï de cette tenue était destiné à ajouter une touche mémorable à la solennité de cette journée et cela enthousiasmait et fanatisait davantage encore les généraux de Hinduk IV.

Les yeux violets du souverain affichaient une morgue insolente. L’Empereur allait annoncer une nouvelle campagne militaire emplie de promesses de gloire, de victoires, de massacres et d’enrichissement personnel.

De sa voix caverneuse, grave et puissante à la fois, l’Empereur prononça les paroles fatidiques que toute l’assemblée attendait avec une impatience non dissimulée:

- Aujourd’hui, vingt-septième jour du mois sacré de Kari, je déclare que ma flotte interstellaire Renaissance de la Grandeur de Tsanu Ier est prête à appareiller pour prendre le cap vers le système Sol. Hier soir, à minuit moins douze exactement, la planète Hellas a brillamment été conquise par dix vaisseaux raptors commandés par l’amiral Opaalankatu. Ce dernier n’attend plus que vous pour diriger la totalité de la flotte vers Terra. Il pense conquérir la race dégénérée des Humains qui a négligé la technologie spatiale en à peine trois quarts de cycle. Acclamons l’amiral! Joignez-vous à lui! Que les cendres de Tsanu V vous donnent vaillance, vigueur et succès!

Ayant achevé, l’Empereur redressa fièrement son menton et parcourut l’assistance de son regard ardent. Une clameur à faire trembler les murs pourtant épais du palais s’éleva et retentit durant de longues minutes. Tous les vassaux et fidèles de Hinduk IV rugissaient de joie guerrière, avides de sang et de gloire. Impassible, debout sur son trône, dominant la multitude Haän, le souverain n’en partageait pas moins cet enthousiasme. Derrière Sa Majesté Impériale, un être pâle et falot, déguisé en fou, se dissimulait. Tout en souriant discrètement, il pensait:

« Ah! Hinduk! Quel parfait imbécile tu fais! Mais aussi quelle marionnette particulièrement obéissante tu es! Ce n’est pas la gloire de l’Empire Haän que je recherche. Petite et vaine créature de chair, ton cerveau primitif ne peut appréhender le but suprême qui est le mien ».

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Le 25 septembre 2517, tandis que Daniel Lin Wu commençait à trimer sur Bolsa de basura dos, le Cornwallis, qui se ressentait encore de son affrontement avec le Lagrange, et qui avait voyagé dans l’espace à faible allure, ménageant donc tant faire se peut ses moteurs, abordait enfin la face cachée d’une des lunes de Jupiter, le seul et unique territoire neutre du système Sol.

Dans le centre de commandement, Benjamin Pharamond Sitruk donnait ses derniers ordres.

- Messieurs, les tenues d’apparat doivent être impeccables et les armes rutiler! De plus, il n’est pas question d’arriver avec ne serait-ce qu’une seconde de retard. Je rappelle que l’Empereur Fu ne se déplace à l’étranger qu’exceptionnellement. Alors, sortir de l’orbite terrestre… nous devons nous montrer à la hauteur de notre réputation d’excellence.

- Commandant, les quartiers royaux sont prêts et même plus que prêts, déclara alors l’officier en second, un léger sourire sur ses lèvres. Ils pourraient accueillir Jupiter en personne sans que celui-ci ne trouvât à redire sur notre hospitalité.

Debout, au garde-à-vous, Irina portait ses longs cheveux roux noués réglementairement en catogan derrière la nuque.

- Avez-vous pensé à fleurir la table basse, le bureau adjacent et la chambre?

- Oui, commandant, avec des lys orangés, des orchidées et des roses turquoises et mouchetées, répondit Goslan Verlok, l’officier chargé des opérations.

L’extraterrestre à deux têtes et à la peau grise était originaire de la nébuleuse d’Amarrdim située aux confins du quadrant alpha de la Voie Lactée. Lorsqu’il parlait, c’était le plus souvent en usant de ses deux bouches et cela faisait un drôle d’effet de l’entendre s’exprimer ainsi en écho.

- Peut-on espérer que l’Empire chinois abandonne définitivement sa neutralité de façade et s’allie à nous au vu et au sud ces foutus Napoléonides? Demanda d’une voix dure Selim Warchifi, le numéro 5 du vaisseau amiral britannique.

- Peut-être, répliqua Sitruk avec diplomatie. Mais la question pertinente est: avons-nous réellement besoin de ce renfort? Seul notre roi Édouard XVI est à même d’envisager tous les enjeux et conséquences d’un tel bouleversement géopolitique. Nous savons que, déjà, Fu pratiquait une neutralité bienveillante vis-à-vis de notre alliée historique, la Russie. Maïakovska, prenez le pilotage manuel. Vous êtes la plus habile pour effectuer cette manœuvre délicate. Nul ne doit se rendre compte que nos moteurs auxiliaires ne sont pas parfaitement alignés.

- Une semaine supplémentaire de réparations aurait été la bienvenue, marmonna Chérifi.

- Silence, lieutenant. Tous à vos postes.

- Oui, commandant.

La Russe s’assit à la place de Chérifi ne manifestant nullement l’intense sentiment de satisfaction qui était le sien devant la reconnaissance publique de ses talents. Elle était la plus douée, un point c’est tout.

Les Troodons, les gardes de la sécurité, se tenaient cois et attendaient, raides et compassés, la montée à bord de Sa Très Gracieuse Majesté Édouard XVI tout d’abord, puis de l’Empereur Qin ensuite. Le souverain britannique, un homme qui en imposait à ses peuples, à la carrure impressionnante, la barbe blonde et l’œil vert, dans la force de la quarantaine, très sportif, pratiquait avec bonheur le parachute ascensionnel, l’escalade, la plongée sous-marine dans les hauts fonds, le karaté et l’équitation. En despote éclairé, il avait nommé au poste de Premier Ministre une femme, Madeleine Hirrsh, mais il gouvernait pleinement et ses décisions prévalaient sur le Cabinet.

Vingt minutes plus tard, Édouard XVI était accueilli à bord du Cornwallis avec tout le faste qui lui était dû. Le souverain daigna complimenter le commandant Sitruk pour la qualité de sa réception, mais, bientôt, il s’entretint avec son hôte et le second du vaisseau dans le salon privé de sa suite. À ses côtés, se tenait son conseiller occulte, Lamia Hart, une mi humaine mi Castorii.

- Les choses bougent, et plus vite que prévu, disait Sa Majesté.

- Sans doute est-ce là le résultat de la conquête de Naor et de Tetris par les Bonaparte? Jeta la Russe.

- Certes. Puis-je compter sur la fidélité à toute épreuve du tsar?

- Mon souverain, Pierre le Onzième, aurait trop à perdre en quittant l’alliance anglaise, affirma avec force Irina. Il en est parfaitement conscient, sire.

- S’agit-il là d’un simple avis personnel, capitaine? S’enquit le Britannique.

- Non, sire, d’une réponse officielle! Ce matin, j’ai pu établir une communication directe avec l’Archi ministre Von Drepp. Il soutient de tout son poids le rapprochement avec l’Empereur Qin.

- Hum… évidemment. Si cela doit nous permettre d’écraser les Napoléonides, pourquoi pas?

- Sire, ce qui me frappe, c’est que nous allons rencontrer, d’ici quelques minutes à peine, en chair et en os, ce mystérieux et mythique personnage, qui, généralement, répugne à se montrer en public, et interdit toute transmission de son image. Il faut croire que la situation l’exige pour qu’il nous fasse la grâce de se dévoiler devant nous, simples officiers au service d’un souverain non divin.

- Sans doute, répliqua mi figue mi raisin, Édouard XVI.

-Votre Majesté, à quoi ressemble-t-il? Reprit Benjamin empli d’une légitime curiosité. Le savez-vous? Euh… pardonnez mon impudence, sire…

- Lamia, renseignez notre fidèle Sitruk, sourit le roi nullement offensé.

- Oui, Votre Majesté. Fu Qin est un homme de taille modeste. Comme tous les Asiatiques, il n’aime pas se mettre en avant. Par contre, il est terriblement à cheval sur le protocole et l’étiquette. Seuls ses serviteurs les plus proches connaissent ses goûts et ses désirs. L’Empereur Fu est âgé de cinquante ans environ, pratique plusieurs langues à la perfection dont l’anglais et le russe. Il s’est rendu trois fois sur Hellas, Mingo et Mondani. Marié à cinq épouses, il n’a, hélas, pas eu encore de descendance. Lors de négociations touchant à n’importe quel domaine, il ne lâche jamais avant d’avoir obtenu satisfaction. Les autres parties doivent toujours faire des concessions.

- Mais plus concrètement? Quelles sont les avancées technologiques et militaires de l’Empire chinois?

- Oh, là, difficile à dire! Nous tombons dans la spéculation selon les rumeurs, les renseignements de quatrième ou de cinquième main, l’Empereur disposerait de dix armées d’élite, toutes constituées de surhommes, de mutants, voire d’androïdes.

- Peste!

- Ce n’est pas tout, rajouta Édouard XVI à mi-voix. D’après le MI 6, Fu maîtriserait le voyage transtemporel. Il se déplacerait dans l’espace-temps à l’aide de vaisseaux bien plus perfectionnés que ceux des Helladoï.

- Ouille! Il vaudrait mieux pour nous que Fu Qin signe une alliance définitive au plus tôt.

- Tout à fait, commandant, souffla Lamia. Et ce d’autant plus que des bruits courent concernant les recherches occultes de la section 51. Son chef, le vice amiral Fermat, vient de se mettre inexplicablement en disponibilité. Le pire est donc à envisager.

- Bref, maintenant, tout est possible.

- Exactement.

À cet instant, une sirène retentit, annonçant l’arrimage de la navette de l’Empereur Fu au vaisseau amiral britannique.

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Lorsque Fu apparut dans le hangar, décoré pour l’occasion, tous les humains se prosternèrent devant l’incomparable et suprême souverain. Seuls les gardes Troodons restèrent debout, toujours figés dans leur garde-à-vous impeccable. À leur tête, le chef de la sécurité, Kiku U Tu. Il se permit quelques réflexions bien senties à la vue de cet être bien quelconque à ses yeux.

« Qu’a-t-il donc de remarquable, ce minus? À peine 1m75, à tout casser, aussi pâle de teint que des œufs de Kaaks tout juste pondus, pas le moindre poil sur le crâne et la face, des yeux noirs qui ne vous voient même pas… un manteau pourpre qui dissimule une bien piètre carrure, une robe de soie d’un vert répugnant, jade je crois, des mains munies de griffes noires, mais mal taillées, des bottes qui ne le grandissent pas. Ah! C’est à vomir! Et tous ces singes sans pelage qui se vautrent par terre prêts à lui baver sur les pieds! Quelle déception! Décidément, jamais je ne comprendrais ces stupides humains! Ils auraient mieux fait de rester suspendus à leurs branches ».

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Studio de Billancourt, printemps 1937. Plateau de tournage du film Drôle de drame sous la houlette de Marcel Carné. Dans leur loge respective, les comédiens Michel Simon et Louis Jouvet se préparaient à endosser leurs défroques, celle d’Irwin Molyneux, pour le premier, avec nœud papillon, moustaches et grosses lunettes, le deuxième en évêque anglican. Très professionnel, Louis Jouvet se donnait un dernier coup de peigne et ajustait lui-même son col de prêtre tandis que la maquilleuse affinait son travail.

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Dans la loge mitoyenne, Michel Simon, tout guilleret, chantonnait faux une scie à la mode, vérifiait que ses postiches tenaient bien et sortait subrepticement quelques photos cochonnes d’un tiroir. Pour mettre un peu d’ambiance sur le plateau, il avait décidé de les montrer à Françoise Rosay afin de juger sa réaction.

Il était près de 17h30 et notre acteur, habituellement bougon, pensait être libre pour le dîner. Il envisageait une descente dans une boîte chaude de Pigalle. C’était cette perspective qui le mettait en joie. Encore cinq secondes et Marinette, la maquilleuse, viendrait achever son ouvrage. D’esprit large, elle accepterait assurément sa main baladeuse sur les fesses. Fermant une seconde les yeux, notre gai luron les rouvrit sur un monde étrange, au milieu de conteneurs et de fûts dans un métal indéterminé. Une semi-pénombre régnait dans cette drôle de cave avec une odeur insupportable d’air trop souventefois recyclé qui vous prenait à la gorge. Michel se mit à tousser violemment.

- Qu’est-ce que cette saleté? Cracha le comédien entre deux quintes. Ces émanations nauséabondes achèveraient un moribond. Comment diable ai-je atterri à bord d’un cargo mal entretenu?

- Mille bombes! Répliqua une voix aiguë de jeune fille. Encore une erreur de la machine! Non, ce matérialisateur n’est décidément pas au point; ou alors, il le fait exprès.

Une voix mâle, rauque et éraillée lui fit écho en un idiome bizarre, mêlant le français argotique, l’anglais des quais et l’espagnol abâtardi des pirates des siècles lointains.

- Louftdingue du Fouta Toro! V’là un autre zombaye! Mister Magoo s’est trompé. Une fois de plus… bah! J’commence à en avoir l’habitude…

Pendant ce temps, quelque peu sonné, l’acteur se relevait assez cocassement. Lorsqu’il s’était matérialisé, il n’avait pas eu la chance de voir son siège faire de même. Se frottant vigoureusement les reins, il essaya de voir à qui il avait affaire.

- Qui êtes-vous? Glapit-il tout en soufflant.

Il réitéra sa question en anglais et en allemand.

- Who are you? Wer Sind Sie?

Manifestement, il escomptait une réponse rapide.

Violetta, qui avait de la culture, fit, poliment:

- Monsieur, laissez tomber ces langues. Je parle français. Vous me rappelez quelqu’un. Il y a cependant quelque chose de bizarre chez vous. Dans mon holobibliothèque de Lagrange, vous ne figuriez pas, ce me semble, avec cette moustache ridicule. Attendez… Falstaff! Oui, c’est là votre rôle le plus marquant. 4285 représentations. Une tournée mondiale… même ces fichus Albion vous ont reçu à bras ouverts. Il est vrai que vous avez la nationalité suisse. Bon sang! J’ai votre nom sur le bout de la langue… Gabriel… Henri… Georges… Purée! Ça y est… Michel Simon!

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- Vous m’avez reconnu… bravo! Explosa ledit comédien. Mais où suis-je et qui êtes-vous, mademoiselle?

À son tour, Craddock s’énerva.

- Miss Violetta, on perd du temps avec cet histrion du cirque Barnum Brown! On devrait le renvoyer illico presto d’où il vient. Mais pour ça, il faudrait que le commandant descendît dans cette soute. Or, avec la bruja, même pas la peine d’y penser!

- Certes, capitaine, je comprends votre ressentiment envers mon père. Mais c’est votre faute, non? Le matérialisateur temporel connaît quelques ratés. Forcément, avec vos cristaux d’orona d’occasion. Ils sont tout juste bons à bazarder à la poubelle! Vous et votre avarice proverbiale!

- Aucune économie n’est à négliger au jour d’aujourd’hui, mademoiselle de la haute! Répliqua en sifflant Symphorien, extrêmement fâché. Votre vie dorée, c’est bien finie, l’oubliez-vous?

Pendant ce temps, voyant qu’on ne se préoccupait pas de lui et n’y comprenant goutte, Michel Simon tournait et commençait à devenir menaçant.

- L’un de vous deux pourrait-il enfin m’expliquer ce qui se passe et me dire ce que je fiche ici dans ce cargo puant?

Tout en jetant ces paroles, il tâtait ses poches à la recherche d’une arme hypothétique. Mettant la main sur sa pipe, il s’approcha alors de Craddock, faisant comme s’il dissimulait un pistolet. Le fait que ce dernier fût nettement plus âgé que lui ne le gênait guère.

- Du calme! Ordonna une voix masculine mélodieuse et juvénile.

Un inconnu, un individu de bonne taille, aux cheveux auburn un peu longs, à la mèche rebelle et aux yeux bleu gris moqueurs se tenait debout face aux escaliers métalliques de la soute.

- Bon… Inutile de se demander si ma dernière captation a réussi… encore une révision en perspective! De nouveaux ajustements… oh! Mais mes réglages n’étaient pas si défectueux après tout! Vous êtes le célèbre Michel Simon, de Drôle de drame. Quel film magnifique! Un rôle tout en humour et en finesse pour vous… oui, c’est cela, piste 1721 ou 1722...

- Ah, P’pa, toi aussi tu l’as reconnu. C’est le grand tragédien suisse.

- Non, ma fille, tu fais erreur. C’est le vrai, le seul, l’unique, celui qui jouera dans La Poison. quoique, maintenant… je ne puis décemment vous renvoyer à Billancourt monsieur Simon.

- Monsieur, répondit l’intéressé, ne comprenant toujours pas la situation mais un tantinet plus amène, vous me paraissez plus civilisé et plus au courant que ce clochard. Allez-vous m’expliquer ce qu’il en est? Comment j’ai pu atterrir dans votre cargo?

- Rien de grave, mon cher Michel. Une minuscule erreur dans la captation de traces ioniques résiduelles. Il est vrai que Gwenaëlle m’a un peu distrait, Craddock. Pour me faire pardonner, vous accepterez bien une tasse de thé? Le seul luxe à bord du Vaillant!

Sous les yeux vifs et brillants de l’ex-commandant Wu, Michel Simon acquiesça tout en sortant la pipe de sa poche.

- Tiens! Un fumeur invétéré, comme moi! Mon pote, soudain, tu me plais! Dit le capitaine d’écumoire en souriant avec sincérité.

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Le comte Galeazzo di Fabbrini s’admirait dans son miroir vénitien, contemplant son port de tête impeccable, son habit brodé à la française, son baudrier et son épée de parade. Malgré la perruque poudrée qu’il trouvait un rien efféminée et ridicule, il avait réellement fière allure et quiconque l’aurait croisé dans la rue n’aurait pu nier la véracité de ses huit quartiers de noblesse.

- Un mien ancêtre a fait les croisades, pensait le comte, la troisième si je m’en souviens bien. C’est là qu’il se fit adouber par l’Empereur Barberousse lui-même. Et je m’en vais voir ce marquis de Ségur

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en quémandeur; je vais roucouler, supplier alors que sa noblesse est plus récente que la mienne! À mes yeux, il n’est qu’un croquant. Nécessité oblige!

Satisfait par sa mine et son allure, Galeazzo claqua des talons et sortit de sa chambre. Un valet de pied lui tendit un chapeau empanaché orné d’une plume fraîche. Arrivé dans la cour de son hôtel particulier, le noble personnage vit qu’il n’avait qu’une centaine de pas à parcourir avant de pénétrer dans la première cour du Palais de Versailles.

Quelques minutes plus tard, dans une antichambre de l’aile des ministres, le comte di Fabbrini attendait patiemment son introduction auprès de sa seigneurie, le Secrétaire d’État à la Guerre. Notre comte italien n’était pas venu les mains vides dans le bâtiment administratif. Il avait glissé sous son bras droit un lourd maroquin qui renfermait de nombreux plans et épures ayant tous un rapport avec des armes anachroniques: colt Patterson,

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mitrailleuse Gatling,

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fusil Chassepot,

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grenades, sous-marin David, cuirassé à vapeur Merrimac,

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locomotive Crampton, formules chimiques de gaz asphyxiants, dont le gaz moutarde, compositions de la nitroglycérine et du fulmicoton, scaphandre de nageur de combat Rouquayrol Denayrouze, parachute, planeur Le Bris de 1856

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mais comportant un moteur à vapeur, automobile à gaz Lenoir de 1863,

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recouverte d’un blindage en acier, et, pour fabriquer le tout, schémas détaillés de marteaux pilons et de hauts fourneaux fonctionnant à l’énergie à vapeur.

Si, au début de l’entretien, après les salutations d’usage, le marquis de Ségur se montra quelque peu condescendant et hésitant, au fur et à mesure que les minutes passaient et que Galeazzo développait ses projets avec enthousiasme, le Secrétaire d’État à la Guerre marquait un intérêt de plus en plus prononcé et acquiesçait aux propos de son hôte. Convaincu, il accepta de mettre à la disposition de cet étranger des locaux et des hommes et ce d’autant plus aisément que di Fabbrini financerait lui-même la mise en chantier et la fabrication de cet armement révolutionnaire.

D’où Galeazzo tenait-il sa fortune? Johann était son bailleur. En effet, van der Zelden spéculait dans les années 1990 sur trois pistes temporelles à la fois. De plus, il disposait librement de tout l’or de la cité mythique de Shalaryd, désormais en ruines après la révolte des hommes robots.

Ces spéculations anormales finiraient par alerter Penta Pi, alias Axel Sovad.

Notre comte Galeazzo ne s’intéressait que fort médiocrement à Louis XVI. Ce n’était pas ce piètre roi, ce « pauvre homme » comme avait l’audace de le qualifier sa frivole épouse, qui lui importait. Son objectif demeurait d’asseoir Napoléon Bonaparte sur le trône sans devoir passer par la case Révolution française. Il lui fallait un Napoléon Bonaparte connétable de Sa Majesté le roi de France, puis lieutenant général du royaume. Le Corse finirait Empereur de l’Europe.

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Octobre 2517. Bagne de Bolsa de basura dos. Troisième quart de la journée. Enfin, c’était une façon de voir les choses puisque la lune était plongée dans une nuit qui durait dix-huit ans. Les bagnards s’épuisaient à extraire l’orona natif de la roche gelée en permanence. Le froid était si intense qu’aucune créature vivante ne pouvait travailler sans protection thermique sous peine d’une mort quasi instantanée.

Les mines d’orona s’enfonçaient jusqu’à vingt kilomètres de profondeur. Les nouveaux arrivés extrayaient les cristaux presque en surface. Une fleur qu’on leur faisait là. Il fallait bien qu’ils s’adaptent. Le matériel humain avait beau paraître inépuisable aux yeux de certains satrapes, il ne courait pas les rues tant que cela. C’était pourquoi la police des Napoléonides écumaient les grandes capitales de l’Empire à la recherche de dévoyés et pirates de toutes espèces.

Avec un tel climat, les combinaisons peau de protection ne duraient que quinze jours. Elles se craquelaient rapidement et finissaient par s’effriter. Chaque chiourme était composée de vingt damnés de la terre. À sa tête, obligatoirement, un Kronkos, en queue, un Castorii ou un Hellados. Au milieu, un Haän égaré ou deux. Le reste de la lie au petit bonheur, Mingoniens, Mondaniens, Marnousiens, Humains, Cygnusiens. Il était donc rare d’y voir à l’emplacement numéro 8 un humain tout à fait ordinaire en apparence, toujours en vie après un mois de travaux forcés.

Chaque chroume était sous le commandement d’un change-forme pouvant opter pour l’apparence d’un Troodon, ce qui déplaisait fortement aux authentiques Kronkos, d’un Velu gigantesque, d’un Minotaure ou d’un Dragon. Mais le garde-chiourme de la longe 47251XW affectionnait particulièrement de passer pour un lycanthrope.

Oniù surveillait ses forçats. Et plus particulièrement l’humain Daniel Lucien Napoléon Grimaud. Incroyablement, il devait admettre que cette petite vie s’en sortait honorablement.

18h12. Les forçats avaient accéléré le rythme au sixième sous-sol, fustigés et motivés par le cruel fouet à trois lanières de leur impitoyable change-forme. La pénombre de la galerie était telle que la moindre lueur devenait aveuglante et blessait la vue. À cause de la composition de l’atmosphère, toute flamme était prohibée.

Chaque bagnard travaillait une veine d’orona quasiment mains nues aidé d’une antique pioche ou d’un pic antédiluvien qu’on aurait cru sortis tout droit d’une des mines de charbon des pays noirs anglais du XIXe siècle. Les marteaux piqueurs du Donbass du temps de Joseph Staline étaient formellement interdits. Pour mémoire, dans ce temps parallèle, ledit Joseph Djougachvili n’avait été qu’un simple moine.

Par moment, les pics heurtaient des stries de roche friable qui recelaient des poches de méthane liquide. Alors, il valait mieux prendre au plus vite ses jambes à son cou afin de n’être pas englouti par le flot sauvage qui vous emportait et vous noyait.

Parmi les Marnousiens et les Otnikaï, ces derniers endettés et ruinés n’avaient pas eu d’autre choix que d’être réduits en esclavage, les Humains et les Mingoniens, c’était à qui détenait la palme du nombre de morts.

Sous la direction d’Oniù, la longe s’en tirait bien; le turn over n’était que de 10% par semaine, autrement dit deux morts sur vingt bagnards. Par contre, certaines longes, plus mal loties atteignaient le triste record de 80%, toujours hebdomadairement. Seize morts par semaine, c’était un bien trop lourd bilan aux yeux de l’administration du bagne. Les change-formes responsables se voyaient alors sévèrement punis.

Mais revenons à notre longe 47251XW. Fier de ces résultats, le pseudo lycanthrope envisageait de faire descendre sa chiourme au septième sous-sol, soit avec une avance de quinze jours sur les prévisions les plus optimistes. Or, plus on descendait à l’intérieur de la mine, mieux on était nourri. Mais cette perspective réjouissante allait être bousculée.

Saarland, le baron Haän, râlait et grognait, exprimant son mécontentement par bien des mimiques et grimaces. Neuf semaines à creuser, à trimer près de vingt heures sur vingt-quatre, lui qui était habitué à vivre en satrape dans sa somptueuse et vaste propriété sise sur le continent sud de Haäsucq. Il avait beau être doté d’une force prodigieuse, posséder grâce à ses deux cœurs et quatre poumons une résistance remarquable, il n’en avait pas moins atteint sa limite. Peut-être manquait-il d’entraînement. Son compagnon de chaîne - en effet les forçats étaient groupés deux par deux - lui envoyait régulièrement des coups de coude afin de le rappeler à la raison et l’empêcher de sombrer dans un sommeil mortel à la suite de l’accumulation d’une harassante fatigue.

- L’humain, ça suffit comme ça! Lâche-moi un peu. Rugit le noble personnage avec colère.

- Saarland, tu ne dois pas renoncer, succomber à l’épuisement, souffla Daniel Lin en un murmure à peine audible. Tu connais comme moi ce qu’il advient aux cadavres. Ils sont jetés en pâture aux Kronkos en récompense de leurs rendements exceptionnels ou alors recyclés dès le lendemain du décès en oligoéléments incorporés dans le brouet immonde qui nous sert de nourriture!

Scrutant son compagnon de misère, le Haän répliqua assez sèchement.

- Daniel, toi tu répugnes à avaler de la viande y compris lorsqu’elle n’est pas putrescente.

- Naturellement. Ma philosophie et mon éthique personnelle me l’interdisent.

- Humain, pourquoi te préoccupes-tu de mon sort? Mourir, vois-tu, c’est ce qui pourrait m’arriver de mieux en ce monde. Je suis las de la vie. En me laissant capturer comme un néophyte, j’ai failli à l’honneur.

L’ex-baron n’eut pas le temps de s’expliquer davantage. Oniù toujours à l’affût, n’avait rien perdu de ces messes basses. Dans le plus grand silence, mettant à profit les quasi ténèbres de ce lieu maudit, ne dégageant aucun souffle, aucune chaleur, il s’était rapproché des deux contrevenants. Il allait régler son compte à ce Haän plein de morgue et ainsi faire comprendre à l’humain qui était le maître ici.

Soudain, les bras velus du change-forme, extrêmement puissants entourèrent les torses des deux coupables. Il se devait de briser la cage thoracique des forçats. Tant pis si le dénommé Daniel Lucien Napoléon mourait dans l’histoire!

Comme escompté, Saarland résista de toutes les maigres forces qui lui restaient. Pour mémoire, un Haän en pleine possession de ses moyens était aussi costaud que quatre forts des halles. Mais, affaibli par son labeur de damné, le baron ne faisait plus le poids.

Le faux lycanthrope pensait en finir avec ses deux victimes en dix secondes tout au plus. Or, à sa grande surprise, ce fut l’humain qui lui donna du fil à retordre! Stupéfait, comme pétrifié, Oniù fut obligé de lâcher le Haän pour faire face au rebelle.

« Holà! Pensa-t-il. Un Daniel Lucien Napoléon Grimaud capable de me résister ainsi… ou alors… ».

Tout autour du trio, ce n’étaient que frémissements, bruissements, soupirs feutrés, chuchotements de satisfaction. Heureuse de l’aubaine, la longe avait cessé le travail. Enfin une distraction, un combat sanglant à se mettre sous la dent dans cette morne existence!

Chaque fois qu’Oniù tentait de mordre son fragile et fluet adversaire, ses crocs ne rencontraient que le vide et claquaient bruyamment. Le maudit humain, plus vif et plus prompt que le pseudo lycanthrope esquivait sans difficulté chaque happement. Dépité, le change-forme opta alors pour une autre tactique et une autre apparence; tournoyant sous l’aspect d’un gigantesque et monstrueux serpent à plumes, il chargea. Bientôt, la créature se mua en un Sucuriju qui rappela à Daniel Lin un souvenir douloureux.

Peine perdue. Autant d’effet qu’un pet de mouche. L’ex-daryl androïde évita la terrible charge avec une facilité déconcertante. Acculé, Oniù se vit dans l’obligation de sortir le grand jeu, ce que jamais il ne faisait face aux petites vies inférieures. Sans coup férir, il devint un Minotaure surdimensionné puis un dragon de feu, aussi effrayant que le terrible Fafner avec sa longue queue bifide hérissée de pointes empoisonnées.

Las! Encore et mille fois. Daniel Lin, décidément plus véloce que jamais, lui glissa entre les griffes et réchappa aux flammes. Sans aucune blessure, sans le moindre poil roussi. Il était véritablement impossible de saisir ce phénomène, de s’emparer de lui.

Toutefois, Oniù refusait de s’avouer vaincu. Ne supportant pas cette humiliation, il montra toute la panoplie de ses dons de transformiste . Ainsi, il alterna les scorpions de quatre mètres au dard mortel, les araignées du Carbonifère qu’il fallait absolument éviter de frôler sous peine de mort foudroyante, le vermiforme roi empereur Dieu de Dune, de trente mètres de longueur dont le corps suintait une glue des plus toxiques, l’oiseau de feu au bec triploïde tout aussi létal.

Enfin, arriva, juste avant l’étape ultime, celle de la trans dimension, le succédané de Kraksis, une créature marine repoussante qu’on aurait cru sortie de 20 000 Lieues sous les mers.

Nullement décontenancé par les métamorphoses de son adversaire, Daniel songeait:

- Pff. Surfait!

Aussitôt l’ex-commandant Wu passait à l’offensive. Il s’en prit au monstre marin sans aucun remords. Le faux Kraksis recula, oui, recula, un de ses tentacules sérieusement endommagé. À vrai dire, il pendouillait tristement, presque arraché.

Oniù ne comprenait pas comment Daniel Lucien Napoléon Grimaud avait réussi un tel exploit. Dans ce qui tenait lieu de cerveau au change-forme, une tempête bouillonnait et se formait.

Les forçats, quant à eux, émerveillés et excités, applaudissaient, faisaient un raffut d’enfer, au bord de la révolte. Même le Kronkos chef de file n’en revenait pas. Sa queue balancier fouettait l’air sur un rythme saccadé incontrôlé.

Oniù s’interrogeait plus que jamais.

« Que dois-je faire? M’abaisser à reconnaître la victoire de cette petite vie? Déposer les armes? Jamais! Passer à un autre niveau d’attaque? La dislocation par déphasage temporel de plusieurs parties de mon corps? Mais… ce serait révéler alors à tous que je suis bien plus qu’un change-forme. Ah! Maintenant je comprends pleinement les raisons de cette affectation. Comme toujours, la Totalité avait vu juste. Daniel Lucien Napoléon a bien fusionné avec Daniel Lin ».

Oniù n’en crut pas son avatar. S’étant attardé dans ses réflexions, il se retrouva projeté dans les airs puis prisonnier d’une nappe de méthane liquide qui n’allait pas tarder à le noyer. À moins d’ouvrir immédiatement un couloir transdimensionnel et de s’y engouffrer au plus vite afin d’échapper à ce triste sort. Dans sa détresse, la créature inconnue hurla mentalement avec tant de puissance que Daniel Lin capta ce cri désespéré:

- Grand Tout! Vous auriez dû me prévenir! Daniel Lin Wu Grimaud est sur la voie de recouvrer ses pouvoirs!

De surprise, le daryl androïde se figea.

- Oniù me connaît. Que signifie pareille incongruité? Il invoque une mystérieuse Entité. Que se passe-t-il donc dans cette chrono ligne folle née des manigances de Galeazzo et de Johann?

Alors que la chiourme rompait ses chaînes et qu’Oniù se voyait contraint d’opter pour la fuite, l’ex-commandant Grimaud portait secours à Saarland. Hélas, il était trop tard pour le baron Haän. Il venait d’expirer juste trente secondes à peine avant la victoire du Supra humain.

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