dimanche 11 août 2013

Le Nouvel Envol de l'Aigle : 3e partie : Nouvelle Révolution française chapitre 27 première partie.



Chapitre 27

Le ciel étoilé était en partie masqué par les cimes touffues des arbres des bois qui jouxtaient le parc du château de Versailles. Tôt dans la soirée, il avait plu, juste de quoi humidifier le sol et la terre exhalait des senteurs lourdes d’humus en décomposition. Les frondaisons s’estompaient dans l’obscurité. Quelques chouettes noctambules écarquillaient leurs gros yeux ronds et ululaient dans la nuit. Au loin, un cerf esseulé bramait. Son chant vous remuait les tripes. Une oreille attentive pouvait également percevoir des crissements de feuilles mortes piétinées. Des surmulots, partis en quête de nourriture, parcouraient la forêt, au risque de voir fondre sur eux soudainement les hiboux nocturnes.
Cette nuit paisible comme il y en avait tant dans cette partie de l’année allait être troublée par le combat dantesque qui allait suivre. Déjà, des silhouettes sombres, indubitablement humaines, se profilaient derrière les troncs des arbres. Ainsi, ce qui restait de la sylve gauloise originelle, chênaie et hêtraie, serait bientôt le théâtre de multiples et sanglants affrontements.
Une voix féminine commanda sèchement.
- Arrêtez-vous. Nous sommes arrivés à la position prévue. 
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Les ninjas obéirent avec un bel ensemble. Chaque guerrier ressuscité des triades du Dragon de Jade avait pris la précaution de se munir d’armes exotiques des plus efficaces: yatagans, katanas, cimeterres, machettes, poignards volants étoilés ou sukurei, cordes à boules et bâtonnets de bois à chaque extrémité, micro-armes de poing à rayon calorique ne pouvant tirer qu’une seule fois, contenues dans un ceinturon sombre assorti au vêtement de combat, billes de verre explosives dégageant un gaz innervant, paralysant les centres moteurs. Sous les manches, étaient aussi glissés d’étroits tubes renfermant des dards. Il suffisait de presser un ressort et les fléchettes effilées, projetées avec adresse, venaient s’enfoncer dans les gorges des cibles désignées ou encore dans les yeux ou la poitrine, abattant à coup sûr l’adversaire. Quelques combattants avaient pris avec eux une sorte de poudre « magique » enfermée dans des sachets transparents. Cette poudre avait la particularité, au contact de l’air et de la chair, de s’enflammer et de transformer en torche vivante l’ennemi ainsi attaqué.
À présent, une vingtaine d’individus s’étaient embusqués en hauteur, sur les branches les plus épaisses et les plus solides des chênes ou encore se retrouvaient suspendus à des cordes, prêts à décocher promptement leurs jets mortels, les fameuses flèches transparentes, taillées dans le quartz et profilées de manière aérodynamique. Elles présentaient l’avantage de n’émettre aucun bruit et de fendre l’air avec une discrétion absolue.
Les préférés de Sun Wu, six Chinois élancés et sveltes, leurs traits asiatiques dissimulés par des masques de géomanciens, avaient opté pour une arme biologique originaire d’une autre planète, les célèbres et mortels rubans de Mingo. Il ne fallait pas être pris par les volutes sournoises et imparables de ces lianes vivantes. Elles ne vous relâchaient qu’après s’être imbibées de tous vos sucs.
Un peu en retrait, Sun Wu s’amusait à agacer l’otage, le duc de Chartres. Avec un innocent roseau, il chatouillait par instant le nez un peu fort du prince. Philippe avait du mal à rester stoïque. Il éternuait mais ne pouvait s’essuyer le visage, ses mains liées derrière le dos. 
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Ce petit jeu cruel irritait Maïakovska. Elle ordonna à son complice de cesser cette distraction puérile. Tout en grignotant une poignée de fourmis grillées, Sun Wu n’eut d’autre choix que d’obtempérer.
- Mettez-vous plutôt en position et prenez soin du conteneur d’antimatière; le commandant Wu ne va pas tarder.
La Russe se leurrait en croyant que Daniel Lin allait se livrer sur un claquement de doigts de l’espionne. Pourtant, à vingt-trois heures précises, du bruit sembla venir du côté est de la forêt. Grâce à des jumelles infrarouges, un garde distingua ce qui se passait. Il s’écria:
- Cinq hommes arrivent!
- Montrez donc, s’exclama nerveusement Maïakovska.
La jeune femme se saisit vivement des jumelles et constata qu’effectivement cinq individus approchaient. En tête, le commandant Wu, nullement stressé, désinvolte même, comme si tout cela ne le concernait pas, comme s’il ne devait pas s’impliquer dans ce qui allait suivre. Derrière, un vieil homme barbu aux cheveux roux et gris, plutôt sale d’aspect, vêtu de bric et de brocs. Craddock. Le mendiant de l’espace tenait fermement un jeune adolescent portant l’uniforme militaire de l’école de Brienne. Visiblement, ce dernier rechignait à avancer. Puis Marteau-pilon. Le colosse était armé d’une masse impressionnante qu’il caressait amoureusement. Enfin, un grand homme sec, à l’allure militaire. Lui semblait progresser étrangement, paraissant ne pas frôler le sol. On aurait dit qu’il glissait, se mouvant tel un spectre.
Parvenu à vingt mètres à peu près d’Irina, Daniel Lin lança sur un ton mi-figue mi-raisin:
- Voyez, capitaine Maïakovska, j’ai bien reçu et déchiffré votre ultimatum. J’ai eu l’amabilité de me rendre à l’heure à votre invitation péremptoire.
- Oui, commandant. Mais avant de procéder à l’échange, je vais d’abord m’assurer que vous êtes bien venus à cinq en comptant Bonaparte.
S’emparant d’un communicateur, Maïakovska demanda alors confirmation à ses éclaireurs. Rassurée par la réponse, elle rajouta:
- Très bien. Nous pouvons procéder. Faites avancer Napoléon.
Daniel Lin se tourna vers le Cachalot du Système Sol et lui dit:
- Vous avez entendu le capitaine, Symphorien…
- Oui-da, commandant. Mais qu’elle fasse de même avec ce Chartres! Je ne bouge pas d’un pouce tant qu’elle n’aura pas poussé ce prince. Je n’ai pas envie de tâter de ses janissaires à l’extrait de cirque du docteur Lao.
Fixant bizarrement Sun Wu, Irina ordonna.
- Mon ami, faites donc avancer le prince puisque ce bonhomme ridicule l’exige!
Inclinant la tête, le vieux Chinois poussa le prince vers l’avant. Du côté de Daniel Lin, Craddock s’était empressé d’imiter l’Asiatique. Il avait fini par lâcher, non sans regret, le jeune Bonaparte.
Tandis que l’Ecossais éructait des injures bien senties, l’élève officier paraissait désormais accepter son sort, résigné peut-être à la mort.
- Va donc rejoindre cette espèce d’amiral Zeng He d’eau de cale surcroupie, si tu tiens tant à goûter à ses nids d’hirondelles de cent ans d’âge! Coquelet, je ne te garantis pas que tu n’auras pas la tête tranchée dès ce soir! Mais baste! Cela ne me regarde plus!
Un bref instant, les deux prisonniers se croisèrent. Ils n’eurent pas même un regard vis-à-vis de l’autre. Indifférents, ils poursuivirent leur avancée respective dans le camp qui les réclamait.
Mais intérieurement, Irina s’inquiétait.
«  Ah! Tout marche trop bien! Je suis certaine que ce Daniel Lin là me réserve une surprise… »
La Russe marmonna alors quelque chose dans un micro écouteur. Un léger sifflement suivi d’un frôlement interrompit le silence relatif qui s’était établi. Du ciel descendait un filet usiné dans une matière encore inconnue en ce dix-huitième siècle.
Mais le piège n’eut pas le temps d’envelopper ses proies. Il se désagrégea soudainement, victime d’une distorsion.
Craddock afficha un sourire carnassier et jeta, gouailleur:
- Dis, girafe Sophie en simili caoutchouc! Tu as cru réellement nous posséder avec ton filet à la graisse de Topinambou pour un sous King Kong d’Arte povera? Nous sommes fabriqués dans un autre bois!
Dans son coin, Sun Wu se croisa les ongles, signe d’une grande contrariété.
«  Mon alliée essaie de gagner du temps, mais elle fait fausse route ».
Tandis que le filet s’évaporait dans le néant, Bonaparte s’était vivement aplati sur le sol. Mieux: il sembla se confondre avec la terre humide. Une seconde encore et il disparut à la vue d’Irina. Daniel Lin, qui n’avait pas quitté des yeux son adversaire, lui dit dans un russe parfait:
- Capitaine Irina Maïakovska, je suis peut-être venu à cinq, mais vous, vous vous êtes amenée à mille deux cents, voire même à mille deux cent un si je dédouble votre spadassin attitré Alexeï Alexandra! Vous parlez d’un renfort conséquent! Avez-vous cru que j’allais me livrer comme cela, pieds et poings liés?
Furieuse, l’espionne répliqua sèchement.
- Vous avez récupéré ce bêta de prince mais Bonaparte a disparu. Or, comme vous n’êtes que cinq…
- Ah! Ah! Vous espérez venir à bout très rapidement de cinq hommes! Mais vous savez pertinemment que deux d’entre eux ne sont pas des humains ordinaires. Quant à Bonaparte, il n’a pas disparu car il n’a jamais été ici. Violetta! Désactive ta ceinture d’invisibilité. Bravo ma fille! Tu as été parfaite.
L’adolescente s’empressa d’obéir et réapparut juste aux côtés de son père.
- Alors, papa, il paraît que j’ai bien joué mon rôle. Tant mieux!
- Hé oui, chère ennemie. Vous avez publié un détail dans votre piège; dans mon jeu, j’ai une métamorphe.
- Peuh! Une métamorphe! Une quarteronne, oui, pas même une métisse!
Maïakovska allait rajouter quelque chose lorsque des signaux d’alerte retentirent dans son contrôleur environnemental.
- Commandant Wu vous avez triché! Siffla-t-elle. Que disiez-vous? Cinq? Une dizaine pour le moins! Vous me décevez…
Effectivement, Frédéric Tellier, Gaston de la Renardière, Paracelse, Joseph Boullongne, Guillaume Mortot, Erich Von Stroheim, Benjamin Sitruk, Alban de Kermor, Louise de Frontignac, Aure-Elise Gronet ainsi que deux amis de l’ex-mousquetaire sortaient de l’obscurité, matérialisés sans téléporteur et ce, par la grâce d’André Fermat. Ils avaient été dissimulés par ce dernier dans uns dimension voisine.
   - Je pense que les choses sérieuses peuvent maintenant commencer, articula Dan El, toujours d’un calme olympien.
Même si le Ying Lung éprouvait une légère angoisse, il ne tenait pas à le montrer. Rappelez-vous. Plus la situation devenait cruciale, plus il usait d’ironie, affichant une attitude zen méritoire.
Fermat, quant à lui, restait étrangement silencieux. En fait, après avoir matérialisé les amis du Surgeon, il était en train de s’emparer du Glinka. Seule sa projection holographique ou assimilée se trouvait à Versailles en cette belle nuit d’été.
À soixante-dix mille pieds d’altitude, le vaisseau de Maïakovska subissait donc l’assaut de l’Observateur. La douzaine d’hommes d’équipage ne pouvait faire face à l’attaque d’un Ying Lung. Déjà, deux enseignes brûlaient comme des torches alors que quatre autres officiers agonisaient, leur gorge en feu.
Le capitaine Petrov eut juste le temps d’envoyer un message de détresse avant de mourir.
- Intrusion alien à bord! Je répète: intrusion alien à bord! Prise de contrôle total du vaisseau. À l’aide! Urgence numéro un.
Toujours à l’écoute grâce à ses oreillettes, Irina jeta une grossièreté dans sa langue maternelle qui signifiait à peu près « fuck! ». Toujours avec la délicatesse qui le caractérisait, Craddock rajouta de l’huile sur le feu.
- Enfoirée de mes deux! Votre capitaine va connaître une Toungouska sur Seine!
- Ce qui advient est… impossible! Jeta l’espionne. Mon vaisseau était protégé par une a-bulle!
- Pff! Un jeu d’enfant pour un Dragon de s’immiscer à l’intérieur d’une telle protection! Faudrait voir, ma belle tueuse, à ne pas nous prendre pour des ploucs de ploucs de canards de Trifouillis-les-Oies!
À peine le capitaine Craddock eut-il lancé cette remarque sarcastique que, sur un signe discret de Sun Wu, quatre ninjas jaillirent des arbres, suspendus à des cordes. Instantanément Symphorien réagit, immédiatement imité par ses amis, et tous se mirent en position de combattre ces nouveaux yakuza. Le vieil homme trouva à ses côtés Frédéric Tellier épée au poing.
- Ah! Même pas fichus de se battre pied à terre, râla le baroudeur en évitant pile poil deux poignards étoilés. Bougres de stéganopithèques de légende urbaine! Cracha-t-il ensuite dans son langage toujours aussi fleuri.
Pendant ce temps, le danseur de cordes ne paraissait nullement démonté par les masques que portaient les séides du Maître du Dragon de Jade. Il faisait preuve de son habileté habituelle.
Les assaillants arboraient pourtant les traits du roi des singes Hanuman avec un détail qui, toutefois, différait: la barbiche et les longues moustaches ondulées qui les faisaient s’apparenter à des sortes de macaques ou de magots de Barbarie.
Dépourvus désormais de sukurei, les assassins durent combattre classiquement, c’est-à-dire yatagan d’acier contre fleuret. Cependant, les bandits restaient accrochés à leur filin, ce qui leur conférait un avantage certain et accentuait la difficulté à les vaincre pour nos amis.
Toute l’équipe de Daniel Lin se battait vaillamment, y compris Aure-Elise, Violetta et Louise. Quelques géants arboraient des justaucorps d’Arlequin caparaçonnés de duracier, le visage protégé par des masques de cuir aux gueules de mâtins de Naples présentant une langue rose et blanche pendante, et coiffés de bicornes renforcés d’acier. Munis de fléaux d’armes terminés par des pointes en fer, ils les faisaient tournoyer avec la plus grande dextérité.
Paracelse, Marteau-pilon et Pieds Légers parvenaient cependant à esquiver les coups meurtriers de ces armes redoutables. Le trio faisait preuve d’une souple agilité tout à fait admirable, surtout de la part du colosse, l’ancien compagnon de chaîne de l’Artiste. Conservant tout leur sang-froid, ils étaient toutefois souvent frôlés par les terribles fléaux, leurs habits déchirés en témoignant, devenant hardes peu à peu.
Or, pas une goutte de leur sang n’avait encore coulé. Un prodige on vous dit!
Un peu plus loin, des spadassins vénitiens au masque du célèbre lion de Saint Marc, brettaient des deux mains à la fois, repoussant ainsi au fond du bois Erich Von Stroheim, qui ne déméritait pas, Gaston de la Renardière et ses deux compères. Acculé, le quatuor tomba dans le périmètre d’attaque de six ninjas. Ces derniers lancèrent à son encontre les dangereux rubans de Mingo. Pour réussir à encercler les quatre amis, les Russes, déguisés en Italiens, ouvraient leurs gueules béantes, laissant apparaître des crocs luisants visiblement enduits de poison.
Une fraction de seconde encore et c’en était fait des compagnons de l’ex-daryl androïde. Mais Gaston, son instinct de survie au paroxysme, sentit le piège juste à temps et poussa un rugissement si sonore qu’il retentit à près d’une lieue de distance!
- Ahimé!
Instantanément, le Picard passa en troisième figure de Harrtan. Il s’agissait d’un triple saut périlleux avant. Alors, l’épée qu’il tenait de la main droite empala deux hommes lions tandis que son poignard égorgeait un troisième Russe. Ce fut là le signal pour se mettre en attitude de combat helladien. Incroyablement, Erich Von Stroheim ne rechigna pas à cette façon de se battre. Mais les deux autochtones de Gaston ne le purent.
Légèrement en retrait, comme détaché de cette bataille, de ce désordre qui ne le concernait pas, Sun Wu avait sorti un cornet en papier de sa robe chinoise traditionnelle. Il y puisait régulièrement une poignée de friandises succulentes. Pour un néophyte, les bonbons avaient l’aspect de simples dragées chocolatées. Si on avait le loisir d’approcher de plus près, on identifiait des petits scorpions noirs grillés à point.
Or, Alban de Kermor qui n’était qu’à quelques coudées tout au plus du Maître du Dragon de Jade, ne put éviter un haut-le-cœur en reconnaissant l’aliment. Sun Wu s’en aperçut. Dévisageant le jeune homme avec un rien de mépris, il lui jeta en anglais:
- Face pâle d’Occidental, petit Français, tu ignores ce qui est bon pour la santé. Pareil régime allonge les années. Puisque tu es si bête, complais-toi donc avec la vermine et meurs!
Notre adolescent n’eut pas le temps de rétorquer. Huit yakuza, rien que ça, l’entouraient. Alban avait eu grand tort de se laisser distraire. Peut-être était-ce d’ailleurs là le but du vieux Chinois?
Benjamin vit la manœuvre et se porta à son secours.
Les trois femmes, quant à elles, avaient formé un triangle afin d’affronter des adversaires très spéciaux. Sun Wu, prévoyant que l’escadron féminin du sang mêlé ne resterait pas sur la touche, avait mobilisé les meilleurs marionnettistes de Cathay. Quelque peu misogyne, le Maître du Dragon de Jade avait donc refusé que le trio féminin affrontât ses guerriers, même les moins capables. Pour cette rixe dégradante à ses yeux, il avait délégué des pantins de bois!
À la pointe du triangle, Aure-Elise, à gauche Louise et à droite Violetta. Les trois jeunes femmes ferraillaient dur contre un groupe de marionnettes siciliennes, de marionnettes espagnoles des tréteaux de maître Pierre de Miguel Cervantès ainsi qu’une théorie de marionnettes de samouraïs venues d’un théâtre No perverti. En effet, ces succédanés de combattants, de taille humaine, ou légèrement supérieure, étaient armés de véritables épées et de sabres aux fers empoisonnés, évidemment, et non pas de fac-similés en bois.
Violetta s’offusqua et ragea de voir avec quel mépris on considérait l’élément féminin de l’équipe du commandant Wu.
- Non, mais! Pour qui se prend-il ce Chinois à la crème de Fu Manchu? Il va justement voir de quel bois nous nous chauffons. Mesdames, démontrez à ces messieurs ce que vous valez!
En tourbillonnant et en enchaînant avec maestria triple saut périlleux, triple boucle piquée, salto arrière et deux roues toutes simples, excusez du peu, la semi-métamorphe catapulta ses jambes anormalement étirées sur les torses de deux marionnettes japonaises. Sous la force de ce coup, le bois des samouraïs éclata tandis que, parallèlement, l’adolescente embrouillait les fils manipulés par les marionnettistes. Perdant l’équilibre, trois d’entre eux chutèrent brutalement sur la terre humide, qui se brisant la hanche, qui se cassant le bras, ou pis, la nuque.
Un pantin avait échappé au carnage. En fait, il était humain et avait opté pour un déguisement de pirate, celui du célèbre Barbe Noire, arborant ainsi deux pistolets à la miquelet non factices. 
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Les compagnes de Violetta l’avaient imitée avec, toutefois, moins de brio. Pourtant, elles aussi vinrent à bout de leurs « Pinocchio ». Ce fut la plus jeune qui tua le pseudo pirate d’une botte dite de Nevers.
Joseph Boullongne qui, de son côté, affrontait six Chinois en chair et en os, remarqua le coup invraisemblable.
- Il faudra m’enseigner ce tour, jeta le musicien escrimeur tout en embrochant sa paire de bandits.
Frédéric Tellier sourit et répliqua tout en abattant lui aussi deux spadassins.
- Oh! Cette botte n’est efficace et ne tue que lorsqu’une métamorphe dotée de la force nécessaire pour perforer la boîte crânienne d’un humain ordinaire en use!
Par instant, le bois s’illuminait soudainement par des flashs qui s’allumaient. C’étaient les sachets de poudre inflammable qui faisaient leur office, balancés contre les hôtes de l’Agartha, avec un résultat peu probant puisque, grâce à la maîtrise du Harrtan, les amis de Daniel Lin se mouvaient la plupart du temps dans le ciel nocturne avec une aisance à faire pâlir d’envie le plus doué des trapézistes.
L’air retentissait de sifflements, mais aussi de micro explosions. Le danger était partout. Ainsi, deux billes s’en vinrent heurter les bottes d’un des amis de Gaston de la Renardière. Le dénommé Gaétan, peu prévenu, eut le tort de ne pas retenir sa respiration. Il absorba donc une bonne bouffée de gaz innervant. Aussitôt, ses muscles se roidirent et il se retrouva paralysé. Le malheureux ami du maître d’armes mourut, achevé par une quinzaine de dards crachés par les manches flottantes d’un yakuza au masque de géomancien. Épinglé contre un arbre, Gaétan n’eut pas même le sentiment de mourir.
Un peu en arrière ne participant pas encore à la bataille, nous verrons plus loin pourquoi, Daniel Lin se mordit violemment les lèvres. Il n’acceptait que fort mal la mort d’un des membres de son équipe, même s’il s’agissait d’un membre rapporté.
De son côté, bien qu’il se refusât à l’admettre, Joseph Boullongne commençait à s’essouffler. Le grand Noir avait une excuse de taille. Il n’y avait que fort peu de temps qu’il avait été initié et entraîné à l’art du Harrtan. De plus, blessé et affaibli durant quelques jours, il n’avait guère eu l’occasion de se remettre à niveau pour tenir plus de deux minutes. Alors que le musicien posait un genou à terre, résolu à perdre la vie, ici, dans ce bois, mais pas, surtout pas l’honneur, et que sortant enfin de sa cachette, Alexeï Alexandra, ses deux visages figés, s’apprêtait à l’assassiner en bonne et due forme, la joie grondant dans ses deux cœurs, un bras protégé par une rondache, les trois autres armés d’un yatagan, d’une longue épée espagnole ou rapière et d’un fleuret, Benjamin se rapprochait ostensiblement du chevalier de Saint Georges dans le but de lui porter secours tout en hachant menu comme si de rien n’était deux innocents rubans de Mingo mais aussi tout en déviant la pluie de flèches de quartz que les archers arboricoles de Sun Wu projetaient dans sa direction.
Comme nous le voyons, l’ex-commandant du Cornwallis, se surpassait. Sitruk n’en revenait pas lui-même de l’exploit qu’il était en train d’accomplir.
Quant à Craddock, il brettait encore et encore, quasi mécaniquement, ne prenant ni le temps d’essuyer sa lame dégoûtante de sang ni de tourner la tête vers le Britannique. Pourtant, fort amène, il lui lança:
- Compañero, je te fais une fleur. Il t’appartient d’achever cet absurdosaure sans queue ni tête d’Epsilon Eridani.
Or, tandis que le Cachalot du Système Sol s’exprimait ainsi, Ti surgit brusquement du néant. Paisiblement, il avait attendu le signal de Sun Wu ou d’Irina.
La Russe, quant à elle, ne se mêlait pas non plus au combat, l’observant d’un air dédaigneux. Elle trouvait que cette bataille se prolongeait un peu trop et que ses hommes y faisaient piètre figure. Il est vrai que les cadavres des Potemkine et des Chinois s’entassaient avec la régularité d’un métronome furieux sur le sol herbu, plus de cent vingt déjà, dissimulant l’humus et les feuilles mortes.
Des armes fortement anachroniques juchaient également la terre; cependant nul membre de l’équipe du commandant Wu ne songeait à s’en emparer.
Devant les yeux de Maïakovska, toujours gorges et poitrines transpercées, arlequins, mâtins et Hanuman s’en venaient mourir aux pieds mêmes de leur capitaine plus ou moins impavide et immobile.
Victor de Garamont, l’ami survivant de Gaston de la Renardière, eut le tort impardonnable de s’approcher de l’espionne russe. Dotée de la force de Fu, de son seul poing, elle lui fracassa la tête.
Ce fut alors qu’un scintillement annonça ou plutôt dénonça la formation d’un champ de force. Irina venait de la brancher sans avoir eu recours à une quelconque technologie. Peu à peu, lentement et sûrement, la haine la transmutait en succédané de Fu le Suprême. Désormais, la jeune femme n’avait plus d’humain que sa coquille. Il ne restait plus rien de la jeune femme vibrante de vie et d’espoir qu’elle avait été. Maintenant, elle tentait de contrôler sa rage irrépressible, laissant cependant encore l’antimatière renfermée dans son conteneur cylindrique. Ledit fût n’appartenait pas bien sûr à notre monde.
Toujours en retrait, la marionnette de Fu, se mordant les poings, assista aux multiples duels enchaînés par Alexandra Alexeï Souvourov. Cependant, Maïakovska se demandait pourquoi Daniel Lin ou plutôt Dan El se gardait d’intervenir ne serait-ce qu’un minimum. Il s’était abstenu de ressusciter les deux amis de cette caricature de Porthos. C’était incompréhensible de la part du jeune Ying Lung habituellement si altruiste. Inquiète, la Russe ne quitta plus des yeux Daniel Lin.
L’ex-daryl androïde s’était aperçu de la lente métamorphose de la jeune femme. Il avait bien vu qu’elle avait activé le champ de force par sa seule volonté. En réalité, tout en s’économisant, notre héros agissait subrepticement et discrètement. Ainsi, il avait recueilli le duc de Chartres et l’avait endormi. Ensuite, il avait téléporté le prince à bord du Vaillant où, à présent, il reposait paisiblement sur une couchette, veillé par Saturnin de Beauséjour.
Mais tout cela n’avait guère occupé notre impétueux Dan El. Il rongeait son frein tout en se morigénant intérieurement de se montrer si impatient. Sans cesse, il devait combattre son impulsivité naturelle. Ah! Il lui aurait été si facile et si commode de tout figer en une fraction de seconde étirée à l’infini puis de tout gommer d’un seul souffle! Ou encore d’abolir le temps virtuel de cette Simulation… mais cela aurait été faire le jeu de Fu, de l’Infra-Sombre qui n’attendait que cela, qui guettait l’erreur de trop du jeune Ying Lung.
Il n’était pas temps encore pour Dan El de révéler son jeu…
Retournons à Alexandra Alexeï. L’être hétéropage s’avançait sur le pré d’un pas déterminé. Avec des moulinets et des coups d’estoc imparables, la créature faisait le vide autour d’elle, telle une superbe machine de mort, tailladant les chairs de ci de là, sans état d’âme, abattant sans remords les Potemkine qui, pourtant, étaient ses alliés, les yakuza de Sun Wu n’échappant pas non plus à cette moisson macabre. Dans son sillage, Alexeï laissait des rigoles de sang qui se transformaient en ruisseaux pourpres.
Déjà, huit Chinois gisaient, à demi démasqués, sur les souches de jeunes hêtres et comptaient parmi les victimes de l’espion de Catherine II. Quelques torses portaient d’atroces blessures. De quelques combattants, des longueurs significatives d’entrailles sortaient, dégageant une affreuse puanteur de sang tourné et d’excréments recrachés. Malgré l’heure tardive, une myriade d’insectes bourdonnait au-dessus des cadavres ayant hâte de festoyer. Parmi les morts, leur masque arraché, certains dévoilaient leurs traits. Ces masques présentaient les signes du zodiaque chinois, chèvre, cheval, rat, cochon, chien, buffle, tigre, coq…
Alexeï Alexandra poursuivait un but. Éliminer le colosse roux barbu Benjamin Sitruk. C’était pourquoi elle progressait avec cette régularité mécanique. En à peine trois coups d’épée, elle vint à bout de Marteau-pilon. Blessé cruellement, le charretier en rupture de ban hurlait. N’en pouvant plus de souffrance, l’ancien bonnet vert de Toulon se roulait sur le sol, regrettant vivement de s’être évadé du bagne alors que Napoléon le Petit devait le transférer en Guyane.
Craddock qui brettait vaillamment avec un des derniers Potemkine survivants s’avisa de la progression de l’espionne hétéropage; promptement, il ne s’embarrassa pas et expédia son adversaire du célèbre coup de Jarnac. Le Russe mourut en deux minutes chrono, son artère fémorale coupée en deux. Tandis que Symphorien essuyait la lame de sa bonne épée sur son gilet, le vieil homme n’était plus à une tache de sang près, il vit le Britannique ayant maille à partir avec un Chinois dont les traits étaient dissimulés sous le masque du dragon des signes zodiacaux de l’Empire du Milieu.
Or, Benjamin peinait à parer les bottes hétérodoxes de l’Asiatique. Il avait beau enchaîner pirouettes et triples sauts périlleux, l’homme de main de Sun Wu ne lâchait pas prise. De justesse, d’une ligne, il évita le sukurei et le katana de son vis-à-vis.
Soufflant bruyamment, il prit le risque de lever un instant la tête pour s’apercevoir que son ennemi n’en avait plus désormais. Pourtant - horreur! - le corps décapité continuait à se battre, ses centres nerveux fonctionnant encore. Mais les gestes se faisaient de plus en plus désordonnés. L’être étêté se mit à tressauter et le cadavre bientôt s’effondra.
Pendant ce temps, la tête du Chinois qui était tombé brutalement sur l’herbe abondamment piétinée et souillée, avait écarquillé les yeux de surprise. Le séide de Fu avait identifié son exécuteur: Alexeï Alexandra Souvourov. Les lèvres de Xiao ne purent murmurer l’insulte qui lui venait machinalement. Deux nouveaux ruisseaux rouges vinrent humidifier et poisser un peu plus le sol gorgé d’eau et de fluides divers.
Se voyant libéré d’un adversaire plus que coriace, Benjamin soupira de soulagement. Mais lorsqu’il comprit qui l’avait délivré du Chinois, il grimaça tandis qu’une peur effrénée s’emparait de sa personne. Surtout ne pas céder à la panique! Surtout pas!
Sitruk, néophyte génial mais tout de même débutant dans le Harrtan, se retrouvait nez à nez avec le célèbre tueur de Catherine II.
L’être double afficha deux rictus de satisfaction. Il avait enfin atteint son objectif.
Au fait, petit intermède bienvenu, vous a-t-on décrit de l’être hétéropage, cher lecteur? Faisons une pause et décrivons-la, vous ne nous en tiendrez sûrement pas rigueur.
Alexeï Alexandra arborait une tenue noire mixte composée d’une robe d’amazone assez classique vêtant sa partie féminine et d’un dolman et d’un colback d’officier des hussards de la mort de nationalité prussienne, d’un astrakan brodé d’une tête de mort en argent pour sa partie masculine. Une léonté, pelisse imitant la dépouille du lion de Némée, complétait ce bel uniforme. 
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Les six armes commencèrent à s’entrechoquer, Benjamin bataillant avec une dague effilée et une bretèche prêtée par Gaston de la Renardière. Tout en ferraillant, l’espion russe avait désengagé de sa rondache un mini pistolet en nacre et ivoire, un véritable petit bijou des plus mortels. L’arme de poing s’apprêtait à cracher une balle de plomb de forme ronde.
Alors, poussé par son courage mais aussi par l’injonction de Dan El qui désirait à tout prix préserver l’ancien commandant du Cornwallis, Craddock s’interposa, faisant écran à Benjamin. En recevant le projectile qui lui brisa la clavicule, Symphorien injuria l’hétéropage:
- Octopus de mes deux! Pseudo Apollon du Belvédère! Va donc faire un tour au cirque des horreurs où là est ta vraie place!
Mais le vieux baroudeur qui avait trop préjugé de ses forces perdit connaissance et tomba dans l’herbe grasse et sale. Si Alexeï Alexandra n’avait plus de balle, il lui restait néanmoins ses armes blanches. Désormais la dague et la bretèche devaient absolument contrer le yatagan, la rapière et le fleuret du siamois russe afin de venger le mendiant de l’espace. Fouetté par la colère et la fierté, Sitruk reprit du poil de la bête. Avec une force renouvelée, il fit face à l’être hétéropage qui, ayant jeté au loin la rondache, exhibait dans sa quatrième main un coutelas à manche noir. Sur la lame était gravé un squelette accompagné d’un sablier. Un curieux aurait pu aussi y lire une étrange et peu rassurante devise: « Vincere at mort ». Sans doute signifiait-elle « vaincre avant de mourir ».
Les lames d’acier cliquetèrent de plus belle, se heurtant, s’accrochant, illuminant régulièrement mais brièvement la nuit de leurs fugaces étincelles argentées. Tierces, quartes, quintes et sixtes feintées, bottes, ouvertures, passes, fermetures, parades, glissades, esquives, sauts de carpe, entailles, estafilades, poignets liés, balafre malvenue sur le visage masculin d’Alexeï, rupture momentanée du combat, reprise soudaine de celui-ci par un quintuple saut arrière…
Benjamin multipliait les prouesses impossibles, se dépassant, atteignant le génie, transpirant, suant, mais ne prenant pas la moindre fraction de seconde pour s’éponger le front.
Notre Britannique brettait comme un héros, d’Artagnan lui-même mais à la puissance dix, cependant, il peinait, ne pouvant tenir face au prodigieux et splendide escrimeur qu’était l’espion hétéropage! Allons. Surtout ne pas s’abaisser à quémander le moindre soutien. Il s’était juré de ne pas faillir, de ne pas mourir cette nuit. Le bras gauche d’Alexandra fut transpercé. Aussitôt, l’être double rugit une insulte éloquente. Saignant abondamment, l’espionne de Catherine II abandonna la rapière mais nullement le terrain.
Toujours en retrait, presque en dehors de ces furieux assauts, Dan El observait son équipe, le dévouement dont faisaient preuve ses amis, ses fidèles petites vies qui combattaient pour lui afin d’émousser l’attention de Maïakovska. Mais son impatience grandissait, prenant des proportions gigantesques. Il bouillait, allait céder, voulant au moins sauver Benjamin Sitruk, Aure-Elise Gronet, cette presque sœur qu’il s’était donné dans cette simulation-ci, Violetta Grimaud, sa fille chérie, Louise alias Brelan, si audacieuse, une amie sincère depuis… toujours…
Mais Gana-El sentit la faiblesse du Surgeon. Se matérialisant devant lui, il lui souffla:
- N’intervenez pas maintenant. Ce serait de la plus grande imprudence. Patientez encore un peu… juste un peu… le temps qui s’écoule ou semble s’écouler a la durée que vous lui donnez. Dois-je vous le rappeler? Vous êtes ici le maître… ne l’oubliez pas. Cette bataille vient à peine de commencer dans la Supra-Réalité… attendez et suivez mon conseil.
- Pourquoi donc me lier encore? S’insurgea le plus jeune.
- Vous en savez la raison. Préservez votre énergie pour ce qui doit suivre. Vous comprenez comment ce combat-ci doit finir…
- L’engluement…
- Précisément, mon fils.
Convaincu et docile, Dan El inclina la tête, conscient de l’enjeu plus que jamais. Résigné, il reprit:
- Pas moyen d’échapper à ma destinée. Une potion bien amère que vous m’obligez à boire, Observateur. Vaincre… en humain.
- En surhumain, Surgeon.
Cet échange mental n’avait pas duré plus d’une pico seconde. À l’échelle des Yings Lungs c’était pourtant un laps de temps conséquent. Fu avait tout entendu. Etait-ce là le but de ces propos?
Dans le bois, le combat se poursuivait toujours plus âpre, toujours aussi impitoyable.  
Daniel Lin et André Fermat virent Frédéric Tellier recevoir un coup de katana absolument imparable porté par un des six poignards volants suspendus dans les cordes. Aussitôt, dans un réflexe de survie, l’Artiste coupa trois des lianes. Le yakuza au masque de chien gardien de tombe Soueï chuta pour aller s’empaler sur sa propre arme abandonnée par le blessé qui l’avait arrachée de son épaule. Tout en se redressant malgré la vive douleur, le danseur de cordes ne vit pas à temps une autre dague. Elle vint s’enfoncer dans sa paume gauche. Émettant un soupir de souffrance, Frédéric se recula. Désormais Tellier n’était plus qu’à dix pas du Britannique.   
Gaston de la Renardière, quant à lui, bien qu’il fût un escrimeur hors pair, avait mis un genou à terre depuis à peu près trois minutes. Il se tenait le flanc gauche, comprimant ainsi sa blessure nullement insignifiante, tout en continuant à ferrailler plus ou moins élégamment avec un Potemkine. Malgré la douleur lancinante qui faisait vibrer ses nerfs, il parvint à trancher la carotide du Slave. Épuisé, il souffla, heureux de ce bref répit.
Joseph Boullongne saignait d’un peu partout, son corps lacéré par les sournois et redoutables rubans de Mingo. Presque par miracle il avait réussi à retourner la poudre inflammable contre un Chinois qui, transformé en torche vivante, se roulait présentement sur l’herbe poisseuse, essayant ainsi d’éteindre les flammes implacables. Le malheureux perdait de vue qu’en agissant ainsi, il ne faisait qu’activer les autres sachets de poudre dont il était muni.
Erich Von Stroheim n’en pouvait mais, le bras serré contre le corps, le visage livide. Il n’allait pas tarder à perdre à son tour connaissance face à deux Potemkine toujours d’attaque. Sans nul doute, c’en serait bientôt fini de lui et de sa carrière de comédien à Shangri-La.
Pieds Légers et Alban, dos à dos, affrontaient silencieusement une armada de yakuzas. Courageusement, ils ne cédaient pas une ligne de terrain, tranchaient les chairs, transperçant à qui mieux mieux des adultes pourtant bien plus aguerris qu’eux. Ils avaient du mérite car le poignet droit du comte était salement tailladé tandis que le prolétaire arborait une méchante zébrure à la poitrine.
Le trio féminin en avait enfin terminé avec les dangereux pantins de bois. Désormais, les marionnettistes regrettaient d’avoir cédé à l’appât du gain. Brelan hachait menu l’un d’entre eux, Violetta assommait un acolyte et Aure-Elise tranchait la main d’un troisième sans sourciller.
Or, aucune des trois ne prit garde aux petites billes qui s’en vinrent rouler presque sous leurs pieds. Les boules de verre crachèrent leur mitraille alors que les trois jeunes femmes, en cinquième posture de Harrtan, effectuaient un quintuple piqué bouclé arrière. Ce fut ce qui leur sauva la vie. Sonnées durement, elles retombèrent assez loin sur le sentier de la clairière. Elles n’assistèrent donc que partiellement à la fin du combat épique, sombrant par lassitude dans une inconscience bienvenue.
Quant à Paracelse, ce verni, il n’avait aucune égratignure, mais lui aussi avait perdu connaissance, ayant respiré quelques bouffées de gaz innervant dégagé par les billes de verre. Cependant, personne ne s’en prit à l’escarpe, les ninjas le croyant mort.
Pendant ce temps, Sun Wu avait avancé dans son repas impromptu. Aux scorpions grillés avaient succédé les fourmis frites. Dessous cette douceur, quelques crabes de Shanghai dont la partie la plus succulente était le sexe. Pour l’heure, avec la plus grande délectation, le Maître du Dragon de Jade attaquait des vers bien juteux et bien charnus. Toutefois, s’avisant comment tournait la situation, il frotta discrètement un anneau à son majeur gauche. Ti, en séide obéissant, apparut aussitôt à ses côtés. Le Thaï avait été téléporté de quelques mètres par son suzerain cousin.
- Mon féal, montre tout ce dont tu es capable, ordonna le vieillard.
- Oui, vénéré parent.
Alors, investi par une partie du pouvoir de Fu le Suprême, Ti entra dans l’arène. L’Asiatique se mouvait tellement vite qu’un œil humain ne percevait qu’un brouillard. En une micro seconde, il se positionna face à Gana-El et à son fils. Le commandant Wu leva un sourcil. Lui voyait toutes les simagrées du Thaï. Le tueur enchaînait les mouvements les plus incongrus à une rapidité folle, se démultipliait, entrait librement dans les interstices interdimensionnels pour en ressortir reproduit à l’infini ou presque.
Or, chacune des copies pratiquait un art martial exotique différent. Détail surprenant, chaque double arborait un costume approprié. Cela allait du justaucorps très moulant au pagne, à la tunique ou au kimono.
L’air chatoyait à chaque virevolte de Ti. Mais contre qui se battait-il? Gana-El l’évitait avec une facilité déconcertante. Les cris du cousin de Sun Wu ne l’intimidaient pas, oh non, y compris les fameux « kaï » prétendument paralysants.
À la frontière du non pensé, Daniel Lin riait.
« Quel sot décidément, ce Ti! Il ne s’est pas rendu compte que Gana-El n’était pas vraiment ici, sauf sous la forme de projection. Ah! Mais voilà du nouveau ».
Tandis que le temps subissait un nouvel étirement, qu’une minute durait une semaine, l’hybride d’amazone, de hussard de la mort et d’Héraclès venait d’enfoncer son épée dans le bras droit de Benjamin et ce, à la suite d’innombrables volte-face, rebondissements et acrobaties improbables. L’être hétéropage avait su utiliser les arbres, la canopée transformés en tremplin et trampoline.
Instinctivement Sitruk lâcha sa bretèche alors que son poignard transperçait d’un coup, d’un seul et pas davantage, les deux gorges d’Alexeï Alexandra! Le Britannique venait de se fendre avec une allonge remarquable. L’espionne russe qui avait cru gagner n’avait pas pris garde à la réplique. Deux flots d’un sang pourpre vinrent éclabousser le commandant tandis que le double corps s’affaissait. Lorsque le dernier souffle de vie s’évapora, des deux plaies de la créature s’échappèrent des fumeroles noires.
Irina tendit les mains et les réceptionna dans ses paumes. Chaque atome s’introduisit dans son organisme, la bourrant d’énergie. Puis Maïakovska voulut activer son arme antimatière mais sa ceinture resta inopérante. Aucun des curseurs ne bougeait comme vissé. Avec rage, l’officier russe se débarrassa de l’objet devenu inutile.
Il y avait du Daniel Lin là-dessous.
Or, pendant ce temps, fort loin de ce lieu autrefois charmant et idyllique, Galeazzo qui n’agissait pas tout à fait dans la même chronoligne, lisait à haute voix les formules du codex.
Dans le Un se tient le Grand Tout,
Dans le Un se tient Pan Zoon, (…).
Alors, le souffle de l’Infra-Sombre murmura à l’oreille d’Irina ces paroles insidieuses:
- Pourquoi t’encombrer de cette fragile et peu fiable technologie? La preuve? Daniel Lin est parvenu à la rendre inopérante par la seule force de sa pensée! Désormais, tu es toi-même l’arme suprême.
Comment résister à pareil chant ensorcelant?
Dans les catacombes de Cluny, di Fabbrini poursuivait sa litanie qui activait les forces souterraines du Monde.
- Noosphère scinde-toi! Noosphère romps-toi! Sépare le Bien du Mal, la Lumière de l’Obscurité, la Matière de son contraire! Révèle ce qui est. Noûs, Pneuma, Energie Sombre, Infra-Ténèbres, quel que soit ton nom, ouvre-toi! Ici, présentement, maintenant, partout, dans la Totalité!
Instantanément, le comte sembla alors parcouru par de fulgurantes vrilles de douleurs, comme si son corps subissait le terrible supplice de l’écartèlement. La dissociation, plus exactement la dislocation du Un en quatre hypostases prenait naissance dans son organisme même tandis que l’Energie Noire, apparue en dernier, se répandait, se substituant à sa jumelle inversée, contaminant ainsi tout le pseudo univers. L’expansion d’un Pantransmultivers parasité, gangrené débutait donc. Ce phénomène en cours présentait la particularité d’inverser la flèche du temps.
Bien amont de ce point-ci de la chronoligne, en 161, Quintus Severus Caero perçut les échos silencieux et grondants à la fois du surgissement de l’Anti-Univers. Cette naissance hors norme le fit vibrer par-delà les harmoniques de sa programmation initiale. Les schèmes les plus confus envahirent son esprit dévié.
« L’expérience de Cléophradès a abouti quelque part dans une des pistes temporelles possibles. Or, je ne me trouve pas sur la bonne chronoligne! Le Commandeur Suprême est en train de s’étioler jusqu’au Néant ».
Parallèlement, à Versailles, la bulle qui paralysait le canon antimatière était inviolable. Tel était le résultat du maillage tressé par Dan El.
Mais cédant aux sirènes enchanteresses de l’Infra-Sombre, Irina se transmuta intégralement dans une débauche pyrotechnique du plus bel effet. Les conséquences en étaient effrayantes. En cas d’échec de Dan El, les secondes de son Humanité chérie étaient comptées.
Conscient plus que jamais de l’enjeu, le commandant Wu déglutit avec peine. Il allait devoir maintenant contrer la Russe physiquement et encaisser une souffrance dépassant l’entendement.
La transformation de l’espionne eut pour résultat une surmultiplication d’elle-même. Désormais, elle s’étendait tel un voile plus ou moins éthéré au-dessus de la forêt enténébrée. Par-dessus la cime des arbres, plus aucune étoile ne scintillait.
Ébranlée un court instant par la terrible métamorphose, Maïakovska souffla une bouffée d’antimatière et Ti, le vrai Ti reçut le coup mortel. Aussitôt, tous ses duplicatas réintégrèrent l’exemplaire original marquant toutefois leur étonnement dépité. Lorsque la fusion réunion fut terminée, le Thaï s’effondra en lui-même pour devenir un animalcule, une microscopique archéobactérie. Puis la minuscule chose régressa encore jusqu’à atteindre les acides aminés et, enfin, le stade de l’antébiotique.
Mais la dévolution se poursuivait par-delà l’espace, le temps et le Multivers. Le phénomène prenait des proportions plus que cataclysmiques. Encore une toute petite poignée de secondes. À moins de stopper totalement et définitivement le temps apparent qui continuait à s’écouler cahin caha selon un rythme de plus en plus étiré. En effet, une femto seconde durait une journée.
À Lorium, le procurateur Caero, toujours plus livide, marmonna:
«  Quelque part dans un temps indéterminé, une simple unité carbone vient de s’éteindre et non de mourir comme elle l’aurait dû, effacée de la Supra Réalité. Qui est donc à l’origine de cette Anakouklesis locale qui, maintenant, menace de s’étendre dans la Totalité? Assurément pas Johann! Frappé de cécité, je ne vois plus rien et mon entendement se délite jusqu’à être incapable de penser… ».
Gana-El qui n’était pas lesté par une enveloppe humaine auscultait la régression dont était victime Ti. Bientôt, l’individu atteignit les quarks, puis, inévitablement, les super cordes qui tendaient le pseudo Univers. À ce stade, l’Observateur ne pouvait intervenir. Cependant, il fallait stopper le processus de substitution avant qu’il ne contamine le niveau antérieur, celui de la réunification des quatre forces identifiées par les physiciens du XX e siècle terrestre. Sinon, un femto anté univers bulle non souhaité dans le Simulacre de Dan El risquait tout d’abord de se cristalliser puis de remettre en cause l’Expérience elle-même.
Daniel Lin, plus que jamais au fait de l’enjeu en ce lieu leurre et à cette heure, s’avança résolument dans le sous-bois. De par sa seule volonté, il fit sombrer dans l’inconscience tous les membres survivants de son équipe puis paralysa également les sbires du camp adverse. Ensuite, courageusement, il fit écran à Irina, gonflée, prête à éclater de toute l’Energie Sombre et qui allait tout détruire dans sa haine furieuse.
Celle qui se nommait désormais Fu Maïakovska se heurta alors et enfin contre ce mur  imperméable, infranchissable. Rebondissant contre cette paroi invisible, elle hurla sa rage, revenant sans cesse à la charge, encore et encore, dans un mouvement métronomique perpétuel. À chaque échec, bien sûr, sa furie grandissait, prenait des proportions énormes tandis que son apparence devenait fantomatique, délirante, d’une absolue horreur.
Rien ne devait détourner l’attention du jeune Ying Lung et surtout pas l’Anakouklesis en cours provoquée par Galeazzo di Fabbrini ailleurs, toujours inaccessible mais pourtant plus proche que jamais.
Dans la forêt, les monstrueux coups de boutoir se succédaient, tentant de faire céder le mur immatériel engendré par le plus têtu des Dragons. Dans ce temps quasiment figé, immobile, les ondes de choc de chaque coup de bélier donnaient naissance à des vibrations d’une force inouïe. Celles-ci se propageaient dans le sous-bois, dépassaient la clairière et le parc lui-même.
Maintenant, les arbres, secoués et torturés au-delà de l’entendement, perdaient leurs feuilles comme s’ils étaient soumis à la plus effroyable des tempêtes. Les troncs des chênes et des hêtres se tordaient jusqu’à se contorsionner absurdement, bombardés par des ondes de plus en plus puissantes et folles. Tout autour de Dan El et de Maïakovska Fu, le paysage se transformait en un lieu de désolation issu des guerres nucléaires de la chronoligne 1720.
Puis les heurts atteignirent une férocité insoutenable. Les troncs et les branches éclatèrent, projetant leurs mortels javelots, leurs mitrailles d’écorces à des milliers de kilomètres de distance.
Or, malgré le danger, bien que les flèches le transperçassent continument, Dan El poursuivait obstinément sa tâche prométhéenne. C’était la seule solution pour réussir à annihiler à la fois la cristallisation du micro ante Univers et Fu Maïakovska.
Partout sur cette Terre, il se mit à pleuvoir un déluge de lances de hêtres et de chênes. On ne comptait plus les victimes humaines tant blessées que mortes, tellement elles étaient nombreuses. Toutes avaient été transpercées par des centaines voire des milliers d’échardes.
Inexplicablement cependant, les compagnons de Dan El étaient épargnés, toujours plongés dans cette bienfaisante inconscience. Par contre, Sun Wu, qui avait vu son bras hérissé de pointes, avait été dans l’obligation de regagner l’Infra Sombre.
Plus jamais il n’en sortirait.
À leur tour, bien qu’immobilisés dans ce temps distendu à l’extrême, les Potemkine survivants ainsi que les ninjas chinois moururent, transformés en grotesques oursins, du plus parfait ridicule.
Les coups de béliers poursuivaient leur œuvre destructrice, dépassant le pire des cataclysmes. C’était comme si la planète tout entière était soumise à un cyclone de force trente, à un séisme tout aussi puissant et à un tsunami équivalent.
Mais toujours, Dan El se dressait imperturbable, insensible à cette ire divine.
Alors que l’écorce terrestre commençait à se ressentir des résonances sauvages nées de la rage noire d’Irina Fu, que les volcans s’allumaient en un brasier gigantesque, que les continents voyaient leur forme se modifier, que toutes les îles de la planète étaient englouties par la vague monstrueuse de l’océan global en formation, le Ying Lung résistait envers et contre tous, sans marquer le plus ténu signe de lassitude.
Mais une nouvelle dimension fut atteinte par la colère frénétique de Maïakovska Dragon Inversé. L’atmosphère elle-même se retrouva contaminée par tous les rejets des volcans réveillés. L’oxygène mais aussi les autres gaz qui la composaient se dissocièrent pour se liquéfier et non s’évaporer, puis, sous le zéro absolu, se solidifièrent! Sur la planète, il en fut de même pour l’océan global car toute terre avait été engloutie par l’effroyable vague.
Si jamais rien ni personne ne venait à bout de la folle et échevelée Irina, aussi haute que le plus haut des sommets des Alpes défuntes, toute forme de vie serait définitivement effacée de cette planète en souffrance.
Plus butée que jamais, Maïakovska poursuivait son œuvre d’anéantissement, vomissant et vomissant sempiternellement son énergie noire; celle-ci paraissait ne jamais devoir se tarir. C’en était désespérant.
Face à elle, Dan El ne reculait pas, tout aussi têtu que son vis-à-vis. Son mur était aussi inébranlable que l’insondable et inépuisable énergie noire.
Pourtant, maintenant, dans un maintenant tout relatif, alors que les vagues d’ondes destructrices rebondissaient et s’éparpillaient sur la muraille érigée par le Ying Lung, la créature double et maléfique se vidait de sa substance chaotique, se dégonflait de son énergie négative, reprenant taille humaine, mais s’aplatissant jusqu’à l’épaisseur d’un stencil.
Or ce phénomène ne suffit pas à faire cesser le déversement de l’inique et odieuse énergie. Dan El, debout, presque figé, les jambes écartées, faisait encore paravent, ne faiblissant pas le moins du monde au contraire de son adversaire. Plus spectral que jamais, il s’accrochait alors que son enveloppe corporelle était au bord de la déstructuration. Pourtant, il résistait, opiniâtre, sublime, ignorant les fissures de ses pseudo cellules et de ses noyaux. Inexorable dans sa persévérance à vaincre Maïakovska, à venir à bout de Fu, il tenait, coûte que coûte, faisant taire les souffrances de son être. L’Inversé ne devait pas l’emporter, un point c’est tout.
Enfin, moment tant espéré, le flot abominable ralentit, le torrent se fit ruisseau, ru, goutte et… il n’y eut plus rien, pas un atome, pas une fumée, pas un scintillement obscur.
Entièrement exsangue de toute l’énergie noire dont Fu l’avait dotée, Irina hurla:
« Non! ».
Ce cri surhumain vibra, retentit jusqu’aux frontières de l’Inde, jusqu’aux côtes de l’Océan Pacifique, par-delà les Montagnes Rocheuses.
Anéantie, réduite à sa condition première, la jeune femme pleura, déversant toute sa désespérante et impuissante colère. Elle était vaincue mais ne l’acceptait pas! Avoir eu le pouvoir total d’une divinité et l’avoir perdu, quelle frustration!
Dan El, imperturbable, nullement ému par le spectacle pitoyable offert par la Russe, la dévisagea une longue, très longue seconde, cherchant vainement en elle ce qui aurait pu la sauver du sort qui l’attendait. Mais il ne vit rien, pas la moindre trace de remords.
Déçu, il baissa les yeux. Il avait atteint ses limites physiques. Alors, il se décida à céder à sa lassitude. Volontairement, il choisit de sombrer sans connaissance et tomba sur l’herbe de la clairière dévastée. Son aspect humain en prit un coup. Son corps oscilla entre le solide et la virtualité.
Or, tout danger n’était pas écarté. Irina possédait toujours sur elle une arme de poing. Elle pouvait se reprendre et vouloir tuer Daniel Lin Wu qui l’avait vaincue.
Gana-El anticipa cela. Matérialisé sur l’arène, il sortit un prosaïque pistolet à silex d’une de ses poches et tira en direction de l’espionne. Maïakovska vit et entendit le coup de feu, l’index qui s’était inexorablement abaissé, la balle qui allait dans sa direction. Elle n’eut aucun mouvement pour échapper à la mort inéluctable.
La balle eut raison de la splendide cariatide rousse, une balle des plus ordinaires, qui alla se loger en plein cœur, l’organe déficient de la Russe!
Le temps reprit son envol. Les humains, les amis de Daniel Lin rouvrirent les yeux, aspirant avec délices une bouffée d’air pur. Tout était redevenu normal dans ce bois, tout ou presque. Il en allait de même sur la planète elle-même.
Mais André Fermat serrait contre lui le corps inanimé de son fils. Pour la première fois dans sa longue et tumultueuse existence, il s’abandonna librement au chagrin. Craddock, se tenant l’épaule, n’en revenait pas.
- Ben, mon colon! La statue a donc une âme! Je puis mourir aujourd’hui!
- Non capitaine, lui répondit le vice amiral d’une voix sourde. L’heure n’est pas venue pour vous ni pour aucun d’entre nous ici, présentement, de passer dans l’Outre-Ténèbre!
- Euh… d’accord. Avons-nous gagné la partie?
- Ce combat-ci, oui. Jugez-en par vous-même. Maïakovska est morte. Je l’ai tuée.
- Oui, d’une balle en plein cœur. Bien visé! Triste fin pour la déesse de la beauté.
- Certes. Mais Fu poursuit ailleurs ses tours. Nous remontons à bord de votre vaisseau Craddock.
- Entendu. Mais Daniel Lin? Pourquoi tant de peine?
- Mon fils vit, mais il a besoin de repos, tout simplement. Il est allé au-delà de ses forces.
- Je comprends. Il doit aussi reprendre un aspect plus humain.
- Vous ne comprenez pas, mais cela n’est pas grave, Symphorien. Plus tard peut-être. En attendant, taisez-vous et oubliez ce que vous pensez croire…
Toute l’équipe de l’ex-daryl androïde fut téléportée à bord du Vaillant. Le bois abandonné par les vainqueurs ressemblait à un charnier gigantesque qui aurait subi les assauts de tout un escadron de sorciers fous et enragés. Sous les frondaisons, dans les taillis, sous les arbres, sur les sentiers, l’herbe piétinée et plus poisseuse que jamais, des dizaines et des dizaines de cadavres s’entassaient, des arbres torturés, déformés, à demi déracinés, des éclats de flèches par milliers, des rigoles de sang asséchées, un être hétéropage et bien d’autres anomalies encore. La police de Louis XVI devrait et faire le ménage et tenter de résoudre cette insoluble énigme! 
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