vendredi 31 août 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1932 (1).


1932


Piikin poursuivait son rapport. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b3/Danton-mandat_d%27arr%C3%AAt.jpg/250px-Danton-mandat_d%27arr%C3%AAt.jpg
D’une voix monocorde, il expliquait à Johann van der Zelden que Stephen et Michaël, accumulant les imprudences, du moins surtout de la part du professeur, avaient été dans l’obligation de se planquer afin de réchapper à la police du Comité de Sûreté générale. Cependant, un des espions avait pu prendre en filature l’Américain. La police politique disposait donc désormais de son portrait ainsi que de son adresse. Le chercheur était surnommé non sans ironie l’espion de Pitt. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e8/OlderPittThe_Younger.jpg/220px-OlderPittThe_Younger.jpg
Toujours apparemment aussi peu concerné par la chose, Piikin enchaînait.
- Une descente ne saurait tarder chez le ci-devant marquis Palamède de Florimont, royaliste nostalgique notoire. En fait, c’était moi l’espion du Comité puisque je travaille pour Amar et Vadier.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/77/Marc-Guillaume_Alexis_Vadier_%281736-1828%29%2C_French_revolutionary_%28small%29.jpg/260px-Marc-Guillaume_Alexis_Vadier_%281736-1828%29%2C_French_revolutionary_%28small%29.jpg
La guillotine aura bientôt quatre nouvelles têtes à trancher. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2f/Octobre_1793%2C_supplice_de_9_%C3%A9migr%C3%A9s.jpg/306px-Octobre_1793%2C_supplice_de_9_%C3%A9migr%C3%A9s.jpg
- Mais c’est parfait Piikin, se réjouit Johann. Votre mission ici s’achève donc par un succès. J’avais tout à fait raison de tabler sur vous.
- Merci pour ce compliment, maître.
- Lorsque vous en aurez tout à fait terminé, vous rejoindrez l’année 1932. Puis, vous ferez un saut au château…
- Oui, maître, mais… pourquoi ?
- Ma grand-mère Johanna a visité votre grenier.
- Euh… j’avais pourtant branché les sécurités. Un mini champ de force entre autres.
- Piikin, vous faites preuve de stupidité. Moi, j’ai jugé bon qu’il fallait neutraliser ces défenses. Par conséquent, mon aïeule a hâte de vous revoir. Cela fait tantôt un an que, tous les soirs, elle monte au grenier durant une heure, dans l’espoir que vous soyez de retour. Mais elle commence à se lasser, la pauvre. Alors, soyez prompt à exécuter cet ordre. Ne la décevez pas.
- Que me veut-elle ?
- Dorénavant, elle sait que vous venez du futur. Elle va vous demander la santé. Donnez-lui satisfaction. C’est un ordre. 
 https://www.oldtimeradiodownloads.com/assets/img/actor/57a8c02b0318a__ann-harding.jpg
- Oui, maître, répondit l’homme synthétique en baissant les yeux.
La communication coupée, Johann esquissa un sourire indéfinissable.
- Je pense que le sort de Piikin est définitivement réglé. Malgré sa constitution ô combien fragile, ma grand-mère était une femme de tête. Elle attend mon serviteur avec un joli bijou de technologie, un objet que j’ai subtilisé au XXXe siècle, un petit désintégrateur laser plaqué or que j’ai volontairement laissé dans le grenier lorsque je l’ai, à mon tour, visité, pas plus tard qu’hier au soir. Est-ce qu’un homme robot meurt ? Après tout, est-il réellement vivant ? A mes yeux, ce n’est qu’une machine…
Ricanant cruellement, van der Zelden rajusta soigneusement son nœud papillon. En effet, il s’apprêtait à se rendre à un cocktail.

*****

Janvier 1932.
Le sept de ce même mois, le jeune Nikita Sinoïevsky effectuait un séjour à Berlin afin de parfaire ses connaissances en physique. Il profita de l’occasion pour présenter à Otto von Möll dont la réputation grandissait dans les milieux scientifiques un jeune musicien polonais promis à un grand avenir, Wladimir Belkovsky.
- Mon ami que voici est un musicien fort prometteur.
- Euh… Je sais jouer du hautbois et du violoncelle. Mais mon instrument de prédilection reste l’orgue, fit Wladimir en allemand avec un léger accent slave.
- C’est magnifique. Il manquait un musicien accompli parmi mes connaissances, s’exclama avec bonheur le baron.
- Wladimir ne s’intéresse pas seulement à la musique, compléta le Russe. Il œuvre depuis longtemps en faveur de la paix dans le monde.
- Oui, c’est exact, renseigna le Polonais. J’ai déjà effectué deux fois le tour de l’Europe afin de promouvoir mes idées pacifistes.
- Enchanté de l’apprendre.
- Ainsi, reprit le musicien, j’ai pu constater qu’en France aussi bin qu’en Allemagne ou encore en Angleterre, que les hommes étaient semblables, appartenaient à une même famille. La guerre doit être prohibée, ne plus jamais survenir… Plus jamais les Nations ne devront s’entretuer.
- Vous me faites plaisir en parlant ainsi. Je sens que nous allons devenir des amis sincères.
- Je l’espère de tout cœur.
En cet après-midi de janvier, alors que quelques flocons tentaient de blanchir les trottoirs, une longue amitié venait de débuter. Par-delà les années, à travers maintes péripéties, troubles politiques, économiques et sociaux, guerres, en dépit des idéologies opposées qui allaient plonger une fois encore le monde dans un conflit sanglant, ces deux hommes allaient restés unis. Or, l’un serait obligé de s’expatrier aux Etats-Unis afin de réchapper à la peste brune, et le deuxième enfermé derrière un mur de fer s’abattant sur son propre pays. Puis, Wladimir ferait connaissance avec les prisons staliniennes. Par miracle, il parviendrait à s’évader.

*****

A partir du mois de mars 1932, la santé de Johanna se mit à décliner sérieusement. Le nouveau médecin de la famille des van der Zelden ne cacha pas à David que son épouse ne faisait que survivre. Quelque chose la maintenait encore en vie, mais c’était tout juste.
- Monsieur, je suis profondément navré, mais je dois reconnaître que la médecine actuelle est impuissante devant le mal dont souffre madame van der Zelden. Je ne sais plus que faire…
- Hum… mais qu’a-t-elle au juste ? Questionna David, les sourcils froncés, tout en servant une tasse de café au docteur.
L’entrevue se passait dans le salon mauve, à l’abri des oreilles de Johanna et des domestiques. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/31/Siebert_16.jpg/220px-Siebert_16.jpg
- Je l’ignore, monsieur. Il ne s’agit pas d’une simple tuberculose, d’une phtisie ordinaire… c’est… autre chose. Son ressort vital m’apparaît… comment dire ? Brisé. Oui, c’est cela… Pourtant, votre épouse ne paraît pas en avoir conscience… bien au contraire, elle semble vouloir vivre encore, s’accrocher à l’existence…
- Combien de temps lui reste-t-il ? S’enquit David.
- En étant optimiste, si vous la ménagez beaucoup, deux ans… peut-être trois…
- Je vois.
- Il vous faudra lui épargner la moindre petite contrariété.
- Je saisis.
- Ce qu’il lui faudrait, c’est le soleil de la Côte d’Azur…
- Certes… J’envisage justement un séjour à Nice le mois prochain. Mais… sera-t-elle en état d’effectuer ce voyage ? La fatigue ne sera-t-elle pas trop grande pour elle ?
- Au contraire, je pense que cet imprévu lui fera un immense plaisir…
- Très bien. Dans ce cas, je vais faire en sorte qu’elle m’accompagne… Je confierai Richard aux mains de sa nurse…
Désormais trop faible pour marcher, Johanna ne se déplaçait plus qu’en chaise roulante. La tuberculose chronique dont elle souffrait depuis plusieurs années avait atteint ses os et la malheureuse jeune femme souffrait du mal de Pott ainsi que de lésions rénales. Sa maigreur effrayante suscitait la pitié, soulevait le cœur et faisait pleurer les esprits non avertis de sa perversité plus vivace que jamais. 
 https://i.pinimg.com/originals/80/9d/df/809ddf1ff5a617763a9198ee9c5b7415.jpg
En effet, son caractère n’avait pas été amélioré par sa maladie. Elle passait son temps à rudoyer plus que jamais ses bonnes, ses domestiques, ne leur épargnant pas sa mauvaise humeur, comme si elle les rendait responsables de son mal. Par moment, lorsqu’elle feuilletait de vieux albums de photographies, elle était prise de crises de sensiblerie. Alors, elle versait d’abondantes larmes sur les clichés en carton ou en papier et murmurait :
- Comme j’étais belle alors…
Une idée fixe la soutenait : le retour de Wilfried son ancien régisseur.
David était navré, certes, de la terrible déchéance de son épouse. Il l’avait aimée sincèrement, il ne fallait pas en douter. Mais, aujourd’hui, l’essentiel était assuré. Il avait un fils, un héritier qui prendrait sa relève et accomplirait des merveilles…
La nature de jouisseur de van der Zelden avait repris le dessus. Il passait davantage de temps à fréquenter les maisons closes de Berlin ou d’ailleurs qu’au château, où, chaque fois qu’il était de retour, il constatait la dégradation constante de l’état de santé de sa femme. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/11/Au_Salon_de_la_rue_des_Moulins_-_Henri_de_Toulouse-Lautrec.jpg
Or, ce fut à Berlin justement que notre marchand d’armes reçut la visite d’un jeune SA
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/c/cc/Hitler_1928_crop.jpg
 déjà entraperçu auparavant. Gustav Zimmermann venait quêter des fonds pour financer la campagne électorale qui se préparait. Son Führer bien aimé Adolf Hitler était candidat aux élections présidentielles. Il se présentait contre le vieux maréchal von Hindenburg.
Plein de duplicité, méfiant, David signa un chèque des plus généreux en faveur du parti nazi. A noter qu’il fit de même pour soutenir la campagne du Président en exercice. Ainsi, l’homme d’affaires escomptait préserver ses arrières en cas de victoire de Hitler ou de Hindenburg.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1b/Bundesarchiv_Bild_183-C06886%2C_Paul_v._Hindenburg.jpg/220px-Bundesarchiv_Bild_183-C06886%2C_Paul_v._Hindenburg.jpg
 Comme nous le savons depuis de longues années, monsieur van der Zelden n’avait aucune conviction politique.
Poliment, Zimmermann s’enquit de Madame van der Zelden. Il apprit que la jeune femme était fort malade et que sa santé déclinait. Il la plaignit sans arrière-pensée.
- Elle a été si bonne pour moi, fit-il à David. C’est une patriote, un soutien pour notre cause, pour la cause de notre Führer…
- Je n’en doute pas…
A la fin de cette année 1932, mû par une sorte de prémonition, Zimmermann allait demander sa mutation dans le corps de la SS. Celle-ci serait acceptée sans problème.

*****

1682. Château de Versailles. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/54/Vue_a%C3%A9rienne_du_domaine_de_Versailles_par_ToucanWings_-_Creative_Commons_By_Sa_3.0_-_073.jpg/280px-Vue_a%C3%A9rienne_du_domaine_de_Versailles_par_ToucanWings_-_Creative_Commons_By_Sa_3.0_-_073.jpg
Le roi Soleil venait de s’installer dans ce qui serait désormais la demeure de la Cour jusqu’à la fatidique année 1789. Non pas que le palais fût terminé, loin de là ! Les courtisans durent suivre le souverain sans marquer la moindre hésitation ou le plus petit ressentiment pour vivre au beau milieu d’un chantier qui sentait le plâtre, les odeurs alcalines des dorures, parmi les pierres, les gravats, la poussière, les poutres encore apparentes, le bruit des travaux, le martèlement des outils, croisant les ouvrier, les jardiniers, les maçons, les maitres d’œuvre, dans l’inconfort le plus total.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4f/Nocret%2C_attributed_to_-_Louis_XIV_of_France_-_Versailles%2C_MV2066.jpg/220px-Nocret%2C_attributed_to_-_Louis_XIV_of_France_-_Versailles%2C_MV2066.jpg
Or, parmi la foule des laquais transbahutant les lourdes malles de monseigneur le duc de Saint Aignan, habilement grimé, se trouvait le sieur Kintu Guptao Yi- Ka. Ainsi, l’homme synthétique voyageait d’époque en époque, obéissant en fait aux ordres de son seul maître véritable, Johann van der Zelden. Il avait pour mission d’ériger des obstacles à l’encontre de Stephen Möll et de Michaël Xidrù, et ce, quel que fût le siècle. Le Commandeur Suprême avait mis en garde Johann quant à l’éventualité de multiples déplacements temporels de la part de l’Agent MX.
Que craignait donc l’Entité originaire du quarante-et-unième millénaire ? Elle pressentait que l’agent temporel éprouverait un jour ou l’autre la nécessité de s’allier à ses confrères afin de contrecarrer la destruction des cubes identificateurs relais de l’Histoire de l’humanité. Lesdits cubes avaient pour fonction première de permettre aux Douze Sages et aux Agents temporels de disposer de repères parfaits, de systèmes électroniques de renseignements adéquats et de communications performantes par-delà le temps et l’espace.
Furent donc envoyés, sur tous les continents, à différentes dates de l’humanité, six hommes robots, avec le devoir de contrôler la présence effective desdits cubes identificateurs mais aussi, si besoin s’en faisait sentir, d’anticiper la destruction desdits repères afin d’affaiblir les divers Michaël et les rendre plus vulnérables encore aux attaques du Commandeur Suprême et de son séide, Johann.
De plus, il fallait rajouter aux alliés de l’Entité artificielle trois Maîtres du Temps qui n’avaient eu aucun scrupule à trahir les Douze Sages. Les Ganelon avaient pour atout de diriger des troupes fidèles originaires de toutes les époques, des autochtones qui pouvaient se fondre dans la foule, des correspondants anonymes insoupçonnables, recrutés selon de durs critères de sélection. Ces initiés étaient persuadés d’agir pour le bien de leurs semblables, de sauvegarder la civilisation humaine. Bien sûr, ils avaient subi un lavage de cerveau et leur obéissance était totale. Michaël et ses sosies les connaissaient sous l’appellation d’Initiés de Worms.
Mais qu’est-ce qui poussait le Commandeur Suprême à agir, lui ? Rebellé contre les Douze Sages, détruisant sciemment des périodes entières de l’Histoire ou encore de la Préhistoire, il avait soif d’explication. Il voulait comprendre les raisons de son existence, oui, évidemment, mais également, il recherchait avec une opiniâtreté rageuse et sublime à la fois les origines de l’Homme, de la Vie, se conduisant en fait comme le catalyseur de l’Evolution, du moins sur la planète Terre.
Des questions le taraudaient.
Qui l’avait en fait créé ? Etaient-ce bien les Douze Sages ?
Qui était-il ? Qu’est-ce qu’il était ?
Qui participait à la Création en son entier ? Le Hasard n’y avait-il pas sa place ? Le Dessein intelligent ne pouvait pas être le moteur de l’Evolution… Non… il n’y avait pas de Dieu…
Bref, le Commandeur Suprême était en quête de soi-même.
En attendant, les six hommes artificiels choisis par Johann, accomplissant une mission dont les tenants et les aboutissements leur échappaient se nommaient :
- Taamir, surveillant et contrôlant la Mésopotamie et l’Egypte antique ;
- Nitour Y Kayane, ayant en charge l’Afrique noire ; 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/cd/Tower%2C_Great_Zimbabwe1.jpg/220px-Tower%2C_Great_Zimbabwe1.jpg
- Xaxercos, devant se déplacer de la Grèce antique jusqu’aux années 1980 ;
- Zemour Diem Boukir, natif de l’Amérique latine, qui avait dans son collimateur toute l’Amérique précolombienne ; 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/4/47/Map_bonam-1.gif
- Itachi Baya Narduk, surveillerait le monde indien, le Japon, la Chine mais aussi les civilisations Inuit et tout le reste de l’Asie ;
- Tarmakadoon. Il paraissait être le mieux loti. Or, c’était une erreur car sa tâche était immense. En effet, il devait retrouver les traces de la mythique civilisation mère, issue du Continent Mû… 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/64/Book_map1.jpg/220px-Book_map1.jpg
Le Commandeur Suprême, n’ayant pas en mémoire les données de ce continent, Tarmakdoon devrait donc se déplacer en aveugle dans les eaux du temps afin de localiser Mû la légendaire.
Quant au sieur Johann, en accord avec son Maître, il aurait tout le loisir de faire quelques petites expéditions temporelles à la recherche, lui, de l’Atlantide…

*****

30 Mai 1794 ou 11 Prairial An II.
Piikin s’était montré un brillant agent du Comité de Sûreté générale. En bon Républicain, il avait dénoncé les infâmes ci-devant comploteurs stipendiés par l’Angleterre afin d’éliminer les membres du susdit Comité de Sûreté générale. Les envoyés de Pitt avaient trouvé refuge chez le non moins odieux antirépublicain, Palamède de Florimont, un traître comme on n’en faisait plus.
Ce fut donc pourquoi, en ce matin du 11 Prairial, Piikin avait été introduit chez Vadier. Il lui présentait les preuves montées de toutes pièces à l’encontre des pseudo-citoyens Stephen et Michaël. L’éminent membre du Comité donna l’ordre immédiat à la Garde nationale attachée à son service de se saisir des individus en question. Cet ordre fut contresigné par Voulland,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a6/Voulland.jpg
 Amar, David et Le Bas.
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/39/Philippe_Le_Bas.jpg
 De plus, il était spécifié sur l’arrêté qu’il fallait fouiller minutieusement la cachette des contrevenants, de mener une perquisition digne de ce nom afin d’obtenir encore plus de preuves de leur trahison.
Ainsi, une douzaine de Sans-Culottes, tous d’enthousiastes patriotes, mal rasés, plutôt débraillés, sentant la sueur et le mauvais vin à une lieue, s’achemina par les ruelles encore obscures et étroites de la capitale en direction de l’adresse de Florimont.
Puis, parvenus devant le modeste immeuble, la police du Comité l’encercla tandis que le chef de la petite troupe, accompagné de quatre de ses hommes, grimpa jusqu’au quatrième et cognant contre la vieille porte de bois de l’entrée du logis des ci-devant, hurla :
- Au nom de la République, ouvrez ! Police !
Aussitôt, les hommes de main du Comité de Sûreté générale entendirent un remue-ménage bruyant dans l’appartement de Palamède. Ensuite, une voix à l’accent rocailleux s’éleva, répondant à l’ordre de la police.
- Il n’est pas question que nous nous fassions prendre par ces salauds ! Résistons.
Tout ceci en bon américain du XXe siècle. Naturellement, les gardes n’avaient pas compris un mot de ces paroles mais ils en avaient deviné le sens. Le sergent commanda alors à ses hommes d’enfoncer la porte à coups de piques. Mais cela fut inutile puisque quelqu’un ouvrit l’huis en souriant. Il s’agissait d’un grand type aux cheveux châtains et aux yeux rieurs, autrement dit Michaël. Flegmatiquement, il accueillit les sbires de la république tandis que le professeur Möll n’en revenait pas. Il resta stupéfait et immobile durant une seconde puis finit par réagir.
- Quoi ? Articula-t-il. Que signifie ?
De bonne grâce, l’agent temporel lui expliqua télépathiquement les raisons de son geste incompréhensible.
- Stephen, ce n’est pas vraiment judicieux de résister aux forces de l’ordre. Si vous le faisiez, vous mettriez en danger de nombreuses vies… Sachez que le dénommé Piikin, qui était sur nos traces depuis plusieurs semaines déjà, nous a dénoncés au Comité de Sûreté générale. Oui, Johann van der Zelden, votre cousin, a expédié un de ses hommes robots ici, en 1794 afin d’en finir avec nous. C’est bien là la preuve qu’il a toujours au moins cinq cartes d’avance dans son jeu. Alors… faisons-lui croire qu’il a gagné… du moins pour l’instant…
- Mais… mais, balbutia Stephen nullement convaincu par le raisonnement de l’homme du futur. Ce que vous dites ne tient pas la corde. Depuis quand savez-vous que nous étions espionnés ?
- En fait, depuis le début de notre séjour ici.
Cet échange mental ne dura pas plus d’une seconde. Comprenant que Michaël n’en faisait qu’à sa tête, hors de lui, le chercheur sortit de sa stupeur et hurla de plus belle alors que les hommes du Comité de Sûreté générale pénétraient dans l’appartement mal éclairé.
- Fumier ! Bâtard ! Espèce d’enfoiré de mes deux ! Bougre d’andouille ! Tu crois que je vais me rendre comme ça, sans me défendre ? Taré ! Traître ! Tu vas voir de quel bois je me chauffe…
Ces cris avaient été jetés en français cette fois et le sergent rétorqua aussitôt à l’encontre des prévenus :
- Rendez-vous, vous tous ! Inutile de résister. Vous n’êtes pas armés. J’ai reçu l’ordre de vous ramener vivants. Mais, si vous résistez, eh bien, j’ameute tous les bons citoyens du quartier. Alors, vos têtes finiront au bout d’une pique au lieu de panier de la Veuve !
- Never ! Jamais nous n’obéirons à la racaille du Comité ! Reprit l’Américain toujours aussi furieux. Si nous nous rendons, notre mort est assurée. Je ne suis pas aussi con…
Les yeux au ciel, Palamède lança :
- Mon Dieu, quel langage !
Lucinde, quant à elle, encore en chemise de nuit, se boucha les oreilles afin de ne pas en entendre davantage.
 Cependant, Michaël jeta un regard de feu sur Stephen et celui-ci s’immobilisa comme pétrifié, dompté. Satisfait, l’agent temporel se retourna vers le sergent et lui fit, avec un ton amène et un sourire amical :
- Citoyen, nous nous rendons tous, le sang ne sera pas versé aujourd’hui. Aucun d’entre nous n’est de taille à vous résister.
Toujours avec la meilleure volonté, il tendit ses poignets, supposant qu’on allait les lui attacher.
Mais Stephen, sorti de sa paralysie, réagit avec violence, n’acceptant toujours pas l’inévitable. Les patriotes l’avaient perdu de vue deux secondes. Ce laps de temps lui suffit pour qu’il s’empare d’un chandelier et qu’il le projetât à la tête du sous-officier. Toutefois, le sergent vit la manœuvre du coin de l’œil et évita d’un cheveu le projectile. Aussitôt, ses hommes réagirent et s’en prirent au stupide qui osait narguer les forces de l’ordre républicain. Après une poignée de secondes, le chercheur américain se retrouva hors de combat, K.O.
Madame de Florimont, navrée, laissa échapper cette réflexion tandis que les patriotes la poussaient sur le palier :
- De la violence… Encore et toujours…
- J’ai horreur du désordre, rétorqua son mari. Ah ! Quel triste siècle que le nôtre ! Messieurs, je suis votre prisonnier consentant. J’espère que vous noterez bien dans votre rapport que moi, je n’ai pas résisté. Ainsi que mon épouse… Bientôt, je quitterai cette terre. Avec honneur et dignité…
- Mon ami ! Se récria Lucinde.
- Ma chérie, soyez courageuse, acceptez le sort fatal qu’on nous réserve. Je sais que l’exécution qui nous attend est une ignominie. Mais pensez que nous allons subir la même mort que celles de notre malheureux roi et de notre sainte reine. Séchez vos larmes. N’est-ce pas là le couronnement dû à notre dévouement au principe monarchique ? Voyez Michaël… il irradie la sérénité. Ne dirait-on pas un ange ?
- J’envie votre courage, votre calme et votre résignation, conclut la marquise.
Ainsi, grâce à l’horrible Piikin, Stephen Möll, Michaël Xidrù, Palamède et Lucinde de Florimont furent conduits à la célèbre prison du Luxembourg. Après les formalités d’usage, formalités vite expédiées, ils se retrouvèrent, rare privilège, dans un cachot au lieu de la sordide pièce centrale commune. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/62/ConciergerieWomenCourt.jpg/250px-ConciergerieWomenCourt.jpg
Toutefois, ce n’était pas le Ritz, loin de là. En effet, l’étroite cellule, faite pour contenir deux personnes à l’origine, était bondée. Une dizaine de prisonniers s’entassaient les uns sur les autres et l’air lourd et vicié manquait quelque peu. Quant aux murs, ils suintaient d’humidité tandis que le sol était recouvert de paille et de sanies. Deux seaux servaient à contenir les excréments. Ils dégageaient de fortes odeurs alcalines. Les paillasses crevées répandaient leur contenu sur la terre battue nauséabonde. Dans cette infection, avec indifférence et dans un mutisme relatif, les occupants du cachot observèrent les nouveaux venus.
- Ah ! Comme je regrette de ne point avoir sur moi un mouchoir parfumé aux essences de violette ! S’exclama Palamède alors qu’il tentait de trouver une place pour s’installer le plus confortablement possible.
- Ainsi, voilà où nous en sommes réduits, soupira Stephen. Tout ça par votre faute… ce sera notre dernière demeure… Chapeau !
- Stephen, vous avez grand-tort de désespérer… j’ai un plan… au fait, j’escompte bien que cette petite expérience vous sera profitable. Ainsi, vous comprendrez mieux ce qu’était l’An II de la Grande Révolution française…
- Bref, vous m’administrez une nouvelle leçon…
- En quelque sorte…
Pendant ce temps, Piikin avait appris avec une certaine colère le lieu de détention de ses adversaires. Le Luxembourg et non pas la Conciergerie. Or, ce détail, minime en apparence, avait son importance. Il signifiait que nos Tempsnautes ne seraient pas immédiatement traduits devant le Tribunal révolutionnaire. Un sursis leur était donc accordé…
Mais la montre visio-temporelle de Piikin émettait un bip plutôt insistant. Johann van der Zelden, plus impatient que jamais, exigeait un rapport.
Contraint de satisfaire les attentes de son Maître, l’homme synthétique obéit. Ainsi, il apprit à l’Ennemi que ses cibles ne seraient pas exécutées tout de suite.
- Quel contretemps fâcheux en vérité ! Rugit Johann. Piikin, je me vois dans l’obligation de vous priver de la récompense de votre mission.
- C’est-à-dire ? Fit piteusement le séide.
- Vous n’assisterez pas à l’exécution de l’ami Michaël et de ses compagnons. Plus que jamais votre présence est nécessaire à Ravensburg…
- Mais, Maître… Le voyage dans le temps permet de transgresser les règles…
- Que non pas ! Vous devez absolument être présent au château à la date du 23 mai 1932. C’est impératif et non discutable. Prolonger davantage votre séjour sous la Terreur serait dangereux.
- Je ne comprends pas…
- Je dispose d’autres agents à cette époque, Piikin, et je vous ai fait dénoncer à mon tour comme un individu dangereux jouant un double-jeu… Votre arrestation n’est plus qu’une question d’heures…
- Vous aurais-je déçu, Maître pour que vous agissiez avec moi de la sorte ?
- Pas du tout… C’est simplement là le moyen que j’ai trouvé pour accélérer les choses.
- Oui, Maître… je n’ai donc pas le choix.
- Bien évidemment…
Piikin avait préparé sa fuite prochaine et l’avait anticipée dans ses moindres détails. Muni d’un faux passeport, il prit la malle-poste pour Villers-Cotterêts. A l’étape, il descendit dans une auberge relativement accueillante, mais, faisant le tour du bâtiment comme s’il était à la recherche des écuries, il s’esquiva et emprunta alors à pieds un chemin rural qui menait à la forêt proche. Puis, récupérant sa bulle translucide et transtemporelle, il programma la date et le lieu de son atterrissage. L’animal fidèle le conduisit à sa destination finale sans accroc.
  
*****

mercredi 15 août 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1930 (2).


Detroit, 12 Juin 1960. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a0/DetroitSkyline.jpg
William O’Gready était mort accidentellement depuis deux jours à peine. C’était arrivé lors d’une manœuvre de routine. Les circonstances de son décès avaient été expliquées à ses proches mais ni Otto ni Franz ne croyaient au hasard. Pour eux, le crime était signé.
Dans le bureau de la société de l’avionneur, von Möll et von Hauerstadt s’étaient retrouvés afin de discuter de l’avenir de leur association. Le grand-père de Stephen était bien obligé de convenir que tout ce qu’il avait tenté jusqu’ici afin de contrer Johann van der Zelden avait lamentablement échoué, et par-dessus tout, l’enlèvement de Johanna qui n’avait mené à rien. Ceci, faute d’avoir pu envisager tous les aléas d’une telle expédition, toutes les ruses et tous les coups tordus de l’Ennemi, un ennemi disposant de moyens techniques prodigieux et dépourvu de scrupule. 
Otto dut reconnaître qu’on ne se heurtait pas à Johann comme si on devait affronter une simple armée composée de ridicules soldats de plomb.
Stephen Möll, celui de 1995, avait déjà regagné LA et les attaques des missiles de l’URSS… en espérant que l’agent temporel fût parvenu à les détourner de leurs cibles.
L’avionneur devait donc faire face seul à la mauvaise humeur du chercheur germano-américain. Franz n’avait jamais eu un caractère facile et c’était là un euphémisme.
- Otto, je vous l’ai toujours dit ouvertement. J’ai toujours été contre cette expédition. Vos scrupules humanitaires, je préfère en rire…
- Oui, mais nous avons déjà eu une telle conversation. Pourquoi revenir là-dessus ?
- Nous devions éliminer Johanna, du moins la transporter ici, dans le futur… or, cela exigeait de nous non seulement une préparation pratique et technologique poussée, mais également une préparation psychologique du tonnerre.
- Euh… Vous pensez que certains d’entre nous n’auraient pas dû venir…
- Oui, mais nous avons fauté par d’autres détails… or, vous le savez tout comme moi, le diable se cache dans les détails. Ce qu’il fallait que nous fassions, c’était surprendre votre cousine alors qu’elle était seule, non pas au château, mais à Ravensburg…
- C’est-à-dire ?
- Se rendant par exemple en voiture chez une amie… un accident de circulation est si vite arrivé…
- Oui… mais, commença à objecter Otto.  
- Toutefois, je reconnais que cela aurait exigé de nous une surveillance constante afin de déterminer le moment le plus adéquat pour passer à l’attaque. Or, vouloir la kidnapper alors qu’elle donne une réception, au milieu de trois cents témoins ! Enfantillage aberrant. Nous n’avions aucune chance… de toute manière quoi que nous entreprenions, nous aurions toujours échoué…
- Franz, vous avez raison, mille fois raison. J’ai compris la leçon… je vais dès maintenant réfléchir à une nouvelle action, à un nouveau plan.
- Tous nos efforts seront inutiles, Otto ! il n’est plus question de perdre notre temps à élaborer une autre machination à l’encontre de Johanna. C’est trop tard. Nous aurons toujours au moins deux trains, deux guerres de retard. Johann, furieux du dernier coup tenté contre votre cousine, est passé aux représailles. La preuve ? La mort de William.
- Je m’en veux encore…
- Désormais, nous n’avons plus qu’une chose à faire. Nous mettre en sécurité au plus vite, nous faire le plus discret possible, nous faire oublier… Non, je ne crains pas pour ma vie… mais pour celles de mon épouse et de mes enfants. D’ailleurs, vous aussi, vous semblez oublier que vous avez une famille…
- Euh… Sont-ils tous en danger ? Dietrich, Archibald ? Patricia, Stephen et Franck ?
- Stephen, assurément. Johann peut parfaitement s’en prendre à votre petit-fils alors qu’il n’est encore qu’un garçonnet de quatre ans…
- C’est cela.
- Il vous rendrait ainsi la monnaie de la pièce…
- Vous me faites peur, soudain…
- Van der Zelden se moque de la morale. Il n’en a pas. Il ne connaît aucun frein… comme s’il n’appartenait plus à l’humanité… comme s’il était devenu un Deus ex machina… sa puissance lui est montée à la tête…
- Sans doute est-ce le cas…
- Dans ces conditions, s’en prendre une fois encore à votre cousine, sa grand-mère, ce serait de la pure folie. Jamais nous n’aurons tous les atouts en main, jamais.
- Vous voici défaitiste…
- Pas du tout. Je fais preuve de la plus grande lucidité. Si l’envie me prenait de tenter encore le coup…
- Oui ? Fit avec espoir l’avionneur.
- … il faudrait me laisser la direction de l’affaire… ne pas s’opposer à mes ordres… en entrant directement en contact avec Michaël Xidrù, nous aurions une minuscule chance de parvenir à nos fins… j’arriverais à raisonner l’agent temporel… au fond, nous sommes de la même trempe… mais l’ami Michaël veut-il vraiment changer le cours de l’Histoire ? Il ne veut pas se suicider, s’effacer de la réalité… alors, je ne compterais pas trop sur son aide…
- Vous êtes prêt à revenir à l’assaut ?
- Non, vous vous trompez, Otto. Le navire est en train de couler et vous ne le voyez même pas. Nous sommes à bord du Titanic… le transatlantique sombre dans les eaux glacées et vous vous contentez de chanter Rule Britannia ou encore God save the king…
- Franz, ne seriez-vous pas en train d’exagérer ?
- Non. Je veux dire ceci : lorsqu’un navire sombre, il y a toujours des hommes sacrifiés. Or, je ne veux pas qu’Elisabeth compte parmi les victimes… ni mes enfant, François, Friedrich, Cécile et les jumelles… des victimes innocentes.
- Elles le sont toujours…
- Non… si nous étions capables de les choisir, nous pourrions faire en sorte qu’elles aient quelque chose à se reprocher…
- Mais… mais c’est là un raisonnement monstrueux, Franz ! se récria l’avionneur.
- Pourquoi donc ? S’étonna le duc. Vos mains sont-elles si blanches, si pures ? Jamais entachées de sang ? Tuer de loin en mettant au point des bombardiers, oui…abattre des inconnus, des affreux ennemis, des jaunes, des nazis… d’accord… mais surtout pas écraser une vipère qui appartient à sa propre famille…
- Seigneur Dieu ! Quel cynisme !
- Oui, je me montre cynique… mais avouez qu’il y a de quoi.
- Je vois bien dans quel camp vous avez fait la guerre… et quelle guerre ! Pologne, Afrique du Nord, URSS, Normandie… 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e6/Caen_in_ruins.jpg
- J’étais alors prisonnier, permettez-moi de vous le rappeler…
- Non ! Je ne veux plus rien entendre… Vous avez toujours été du mauvais côté, du côté de Wotan, de la force brutale, de la barbarie, de la sauvagerie… une erreur de jeunesse, disiez-vous… foutaise ! Non. Les nazis ont bien déteint sur vous… vous leur ressemblez, vous êtes comme eux…
Les cruelles paroles de la rupture venaient d’être prononcées. Otto ne put les retenir. Il était hors de lui, ne dominant plus sa colère, à ses yeux légitime. Se mordant les lèvres jusqu’au sang, l’ex-baron, rougit puis pâlit. Quant Franz, il se leva, blême, et jeta :
- Otto, la vie ne vous a rien appris. Rien ! Vous êtes resté un enfant naïf, un benêt qui a toujours refusé de regarder la vérité en face, dans toute son horreur mais aussi dans toutes ses nuances. Le monde et les gens qui l’habitent ne sont pas entièrement noirs ou blancs. Le camaïeu de gris, vous ne le percevez pas… parce que vous ne le voulez pas. De 1939 à aujourd’hui, vous n’avez rien saisi ? Êtes-vous donc aussi crétin ? C’est la force qui gouverne le monde… une force qui prend différents aspects… la puissance militaire ou financière, la persuasion, la coercition, sous une forme ou une autre, l’embrigadement des masses soit par la propagande, soit par la publicité, la manipulation de la réalité, l’abrutissement, l’abêtissement voulu, volontaire des hommes qui préfèrent se laisser conduire au nom du bonheur, de Dieu ou d’autre chose plutôt que de prendre effectivement leur destin en main. A mon niveau, je tâche de faire en sorte que les loups ne me mangent pas et épargnent ma famille… 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/07/Canis_lupus_laying.jpg/220px-Canis_lupus_laying.jpg
- Franz, je suis sincèrement désolé… les mots ont dépassé ma pensée…
- Je n’ai pas achevé, Otto. Parfois, pour une cause que l’on estime juste, il faut savoir, ne pas craindre d’user d’armes sales, la victoire est à ce prix.
- Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? Qu’importe le moyen dès l’instant que l’on parvient à ses fins…
- Paris vaut bien une messe, lança le chercheur avec ironie. La guerre que vous me reprochez de l’avoir faite du mauvais côté, m’a appris au moins ceci : ce qui était possible, ce qui ne l’était pas. Ce que je pouvais accepter, ce que je ne devais pas…absolument pas… afin de rester un homme… et non pas être ravalé au niveau d’une bête, d’une machine à tuer… elle m’a également enseigné comment survivre, éviter les bêtises irréparables ordonnées par certains chefs, et surtout et avant tout, qu’il y a et qu’il y aura toujours des morts utiles au même titre qu’il existe des morts inutiles. Les camps d’extermination comptent parmi les inutilités, les infamies monstrueuses, la bombe qui a frappé Hiroshima également…
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/2c/AtomicEffects-Hiroshima.jpg/250px-AtomicEffects-Hiroshima.jpg
 mais, bien sûr, dans le contexte de l’époque, cela ne l’était pas…
- Franz, pardon…
- A propos de mort inutile, William a péri d’une façon absurde… mais Johann n’a pas dû accorder la moindre importance à cela. Il veut avant tout nous faire peur, nous crier : attention. Il y a une limite à ne pas dépasser. L’Ennemi n’a fait que s’attaquer au maillon le plus faible de la chaîne… quelle sera la victime suivante à son tableau de chasse ? Stephen enfant ou Giacomo ?
- Bill est mort au champ d’honneur…
- Libre à vous de le croire… Pour moi, O’Gready était un colonel d’opérette qui, parce qu’il avait participé à la guerre de Corée,
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d4/Koreanwar1953.jpg/220px-Koreanwar1953.jpg
 qu’il s’y était illustré, s’était pris, sur le tard, pour le nouvel Alexandre !
- Franz, vous dépassez les limites de la décence. Vous ne respectez rien, pas même les mânes de notre ami. Il n’est pas encore enterré et vous le dénigrez… C’est honteux !
- William était un idiot de la plus belle espèce. Il y a encore quelques jours, vous le reconnaissiez vous-même. Maintenant qu’il n’est plus, vous le parez de toutes les vertus. Je ne suis pas si hypocrite…
-Mais… le respect que nous devons à un ami, à un défunt, qu’en faites-vous donc ?
- Otto…
- Dieu du ciel ! Que vous arrive-t-il ?
- Rien du tout. Je ne veux pas que ma famille succombe sous le feu d’une guerre qui ne la concerne pas. De plus, j’ai horreur de perdre… or, vous accumulez les échecs… alors… Otto, cessons là. Je vais repartir pour Bonn.
- Ainsi, vous me quittez, vous… m’abandonnez…
- J’ai d’autres obligations, d’autres devoirs… que j’ai trop négligés ces derniers temps. Vous m’accusez de cynisme et vous voudriez que je vienne à Canossa ?
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/30/Schwoiser_Heinrich_vor_Canossa.jpg/220px-Schwoiser_Heinrich_vor_Canossa.jpg
 Ah non ! Je suis trop fier pour m’abaisser encore ! Je me dois avant tout à Elisabeth, à mes cinq enfants… alors, adieu !
- Adieu ?
- Oui, adieu. Au fond de vous-même, vous ne me pardonnez pas ce que je fus et celui que je suis aujourd’hui… par conséquent, je juge qu’il est nécessaire d’en rester là…
- Pour toujours ?
- Je l’ignore… peut-être que oui, peut-être que non, comme dirait mon épouse…
- Vous partez sans me donner votre main… notre amitié est belle et bien morte. L’Ennemi aura au moins gagné cela. Quelle tristesse !
Les deux hommes se séparèrent donc ainsi, froidement. Une amitié de quinze ans s’achevait.  
Une fois seul, enfermé dans son bureau, Otto soupira et tout en se levant, prit dans un tiroir un album de photos qu’il feuilleta avec mélancolie.
- Franz me disait qu’il était soupe au lait, mais je ne le pensais pas à ce point. Je suis à gifler. Evoquer ainsi son passé qui le torture ! Après tout, le mien est-il aussi honorable que je veux le faire croire ? Jamais plus assurément je ne l’écouterai jouer Bach pour moi tout seul ! Le Concerto en la mineur, la Grande Chaconne… instants rares, bonheurs indicibles et trop courts qui désormais appartiennent à un passé révolu… tout cela est brisé… à quoi bon regarder ces photos qui vont jaunir lentement, comme ces clichés du réveillon de Noël 1950 ! Dix ans déjà… Johann avait pourtant frappé à notre porte mais nous l’ignorions encore… notre destin était là, notre sombre destin… telle une Entité cruelle, ricanant devant nos gesticulations ridicules. Désormais, quel sort me réserve l’Ennemi ? La solitude, la mort… il descend tous mes amis, puis, peut-être, tous mes proches… et puis, un jour, il m’abattra, me jettera au fond d’un gouffre…
Sur ce constat amer, Otto referma l’album de souvenirs.

*****
Ravensburg. 4 Avril 1931.
En cette glaciale matinée de printemps, des plaques de neige maculaient encore les pelouses du parc jouxtant le château des von Möll. Toutefois, le ciel s’éclaircissait par l’ouest, promettant une radieuse journée aux habitants.
Johanna van der Zelden, très amaigrie, presque étique, les cheveux tirés en arrière dans un sévère chignon,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/87/Ann_Harding_1930.jpg/220px-Ann_Harding_1930.jpg
 frileusement enveloppée dans une ravissante robe de chambre saumon à col de chinchilla, mettait à profit l’absence de son époux David. Lentement et avec mille précautions, la jeune femme gravissait les marches conduisant au grenier de son ex-régisseur. Elle tenait dans sa main droite une paire de ciseaux et dans sa senestre un passe-partout. Madame avait décidé d’élucider le mystère Wilfried. Les outils dont elle s’était munie avaient pour but de forcer la porte du repaire de l’homme artificiel.
Après avoir réussi à couper le filin qui maintenait la porte close, Johanna pénétra avec circonspection dans le grenier. Cette infraction si facile laissa de glace madame van der Zelden, pas assez au fait des possibilités offertes par la technologie dont son régisseur disposait. Ainsi, les verrous magnétiques et électroniques, les champs de force avaient été désactivés par Johann à travers le temps. Il fallait absolument que sa grand-mère perçât le mystère.
Toute pétrifiée, comme interdite, Johanna resta figée sur le seuil deux minutes. Elle tremblait toute, les yeux fiévreux, son visage émacié et blafard faisant davantage ressortir son regard halluciné qu’elle jetait sur les étranges objets de la soupente. Cependant, la souffreteuse identifia quelques éléments meublant la pièce. En effet, ils lui évoquaient des appareils déjà entraperçus dans son adolescence, chez la directrice de son école, madame veuve Zimmermann.
Enfin, la pauvre folle se décida, ses pas franchissant le seuil lentement, doucement, comme une petite souris craintive. Sachant qu’elle venait de pénétrer dans un autre monde, la jeune femme referma vite l’huis. Il ne fallait pas qu’un des domestiques la surprît et commença à s’interroger.
Hypnotisée par les multiples écrans occupant le grenier, Johanna s’approcha et tripota des boutons, des curseurs et des leviers.
Alors, un écran géant s’alluma. On aurait dit une sorte de chronovision. Cette télévision améliorée, extra-plate, diffusait des images à très haute définition, de la norme 4K, mais pas seulement. Le relief y était saisissant et les teintes d’un naturel à couper le souffle.
Le poste retransmettait en direct avec le son ultra perfectionné dolby atmos un concert de musique classique. Mais pas n’importe quel concert. Celui resté fameux dans les annales de la musique du 2 mai 1959, donné à Bonn et dirigé en personne par le maître Wladimir Belkovsky. Le chef d’orchestre donnait de sa personne puisqu’il interprétait quelques-unes des œuvres parmi les plus célèbres de la grande musique. Jugez-en un peu. Le Concerto en ré pour cordes composé par Igor Stravinsky,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/33/Igor_Stravinsky_LOC_32392u.jpg/220px-Igor_Stravinsky_LOC_32392u.jpg
 daté de 1947, La Symphonie classique de Prokofiev, mais également La Quatrième symphonie Tchaïkovski.
Lors du Concerto en Ré, la jeune femme avait reculé, comme assommée et effrayée par cette musique totalement moderne, incompréhensible pour elle.
Cependant, l’une des caméras focalisait maintenant sur le chef d’orchestre. Stupéfaite, Johanna identifia alors le musicien. Il s’agissait de l’homme qui avait voulu l’enlever lorsqu’elle était encore enfant.
De saisissement, la jeune femme laissa tomber sur le plancher ses outils. Mais elle voulait en savoir plus, comprendre à quoi elle avait affaire précisément. Ce fut pourquoi elle laissa le poste allumé jusqu’à la fin de la retransmission, jusqu’au bandeau titre final, jusqu’à la dernière annonce du speaker.
- C’était, retransmis en direct de l’opéra de Bonn, le concert donné par l’illustre maître Wladimir Belkovsky qui, ici, nous a époustouflé dans son interprétation brillante et primesautière du concerto pour hautbois d’Albinoni. Ainsi se termine notre programme de la soirée du 2 mai 1959.
- Himmelgott ! Was ist das ? Qu’ai-je donc capté là ? Pas une des émissions radio… Was ist Wilfried ? D’où vient-il donc ? Du futur ? Mais pourquoi ? Que veut-il ?
Eteignant le poste, Madame alluma un autre appareil. Cette fois-ci, la curieuse jeune femme eut droit à un reportage montrant la chute de Saigon le 30 avril 1975. Il s’agissait d’un document émanant de la télévision française. Or Johanna possédait assez de français pour comprendre les paroles du commentateur.
Mais madame van der Zelden ne vit aucun intérêt dans cette guerre lointaine sur tous les plans. Elle passa donc à un autre appareil qu’elle mit en marche. Encore un reportage, mais moins violent. Les premiers pas de l’Homme sur la Lune, le 21 juillet 1969. Sur l’écran, Neil Armstrong s’y mouvait dans son scaphandre tel un kangourou maladroit, sautant et bondissant, ressemblant davantage à un bonhomme Michelin raide et gauche qu’à un astronaute courageux en train de repousser les limites du rêve humain. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0d/Neil_Armstrong_pose.jpg/200px-Neil_Armstrong_pose.jpg
Après avoir regardé pendant quelques minutes le premier homme marcher sur la Lune et être rejoint par son confrère Buzz Aldrin, sous les commentaires enthousiastes et sidérants d’un reporter scientifique – Jean-Pierre Chapel – Johanna choisit un autre poste de télévision.
Là, des sifflements stridents, des images s’enchaînant à une vitesse prodigieuse, des loopings, des caméras qui accompagnaient de bizarres engins spatiaux dans leurs combats désespérés, des virevoltes soudaines, des éclairs, des changements brusques de focale… dans un ciel sombre, des chasseurs interstellaires dansaient une espèce de sarabande et beaucoup étaient descendus.
Au bord de la terreur, Johanna éteignit l’appareil. Cette courte scène appartenait au film de science-fiction Star War. Il datait de 1977 et, premier d’une saga, il serait suivi par beaucoup d’autres. Il connaîtrait un immense succès, révolutionnant la vision un peu obsolète qu’avaient alors les fans de ce genre.
Satisfaite par ce qu’elle avait surpris, madame van der Zelden s’autorisa un léger sourire sur ses lèvres translucides et regagna ses appartements privés. Certes, elle avait pris soin de refermer la porte du grenier mais on voyait bien que les scellés avaient été forcés.
Mais qu’avait exactement compris notre phtisique ?
A la suite de la dernière séquence diffusée par le chronovision, la jeune femme avait acquis la certitude que Wilfried venait bien du futur, de cet avenir lointain qui avait vu l’Homme marcher effectivement sur la Lune puis se battre à bord d’étranges avions dans l’immensité du cosmos.
Ainsi, pour Madame, Star War était la réalité d’un avenir toujours aussi violent. La jeune femme ne pouvait saisir ce qu’était un film de science-fiction. Le seul qu’elle eût pu voir à son époque était Metropolis mais il n’abordait pas la même thématique et le réalisateur Fritz Lang était à ses yeux trop progressiste et trop marqué à gauche.
Tout le restant de la matinée, Johanna l’occupa à tenter de calculer l’écart approximatif existant entre ce premier Homme marchant sur la Lune et ces chasseurs sidéraux se désintégrant en gerbes lumineuses. Ses supputations allèrent bon train. Enfin, elle parvint à cette conclusion erronée.
- Ces images que j’ai surprises viennent de la fin du XXIe siècle… ah ! Wilfried, mon ami, si jamais vous revenez à Ravensburg, si vous remettez le pied ici, dans mon château, vous devrez tout me dire… ne rien me celer. Je veux connaître mon destin, le sort réservé à mon pays… Qu’adviendra-t-il de mon fils ? Aurai-je des petits-enfants ? Pourrai-je assister à l’épanouissement de Richard ? Aurai-je le plaisir de le voir parvenir jusqu’à l’âge adulte ? Monsieur Wilfried, ou quel que soit votre véritable nom, si vous venez de cet avenir hautement scientifique, assurément vous avez à votre disposition des médicaments plus performants que ceux auxquels j’ai droit. Une médication inefficace qui ne fait que prolonger mon mal au lieu d’en venir à bout. J’espère de tout cœur que vous accepterez de me soigner, de me guérir de cette faiblesse chronique, de cette anémie, de cette phtisie traîtresse qui ronge ma beauté et me tue… oui, vous devez me rendre la santé… je saurai vous y obliger… je veux vivre… oui, vivre afin de voir mon Allemagne l’emporter et non pas celle de ces va-nu-pieds de rouges triompher et être grande à jamais !

*****

Dans les mois qui suivirent cette découverte bouleversante, la paisible bourgade de Ravensburg fut le théâtre de morts soudaines et fort mystérieuses. Ainsi, tour à tour, le bourgmestre, homme jovial qui jamais n’aurait fait de mal à une mouche, le garde-champêtre, l’aubergiste, le docteur Richard, médecin de la famille des van der Zelden, qui semblait dépassé par la lourde tâche de guérir Johanna de sa langueur permanente et de ses lésions toujours rouvertes aux poumons, le facteur, son fils et tant d’autres succombèrent subitement au fil des jours. Chaque fois, le médecin légiste conclut à un empoisonnement volontaire, à un suicide ou encore à une attaque d’apoplexie si ce n’était pas à une crise cardiaque. 
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d9/Caricature_de_Marie_Besnard.jpg/260px-Caricature_de_Marie_Besnard.jpg
Mais la ville avait peur. Désormais, ses habitants se cloîtraient chez eux, n’osaient plus sortir la nuit tombée. Tout le monde se méfiait de tout le monde. Les rumeurs les plus folles couraient. Ainsi, il y avait un tueur à Ravensburg, un mystérieux individu, un sinistre assassin qui choisissait ses victimes, les fauchait et recommençait trois jours ou un mois plus tard, jamais rassasié. Mais quel était cet inconnu ? A qui pouvait-il ressembler ? De quel être sournois la cité était-elle devenue la proie ?
On nota ceci, ces coïncidences : les morts avaient reçu, peu de temps avant leur trépas, des petits cadeaux anonymes, de ces dons qui entretenaient l’amitié, des anodins bonbons de chocolat, un flacon de liqueur, une eau de toilette, des savons parfumés, une écharpe, des gants…
La police enquêta naturellement, analysa les cadeaux suspects et ne trouva rien d’étrange dans la composition chimique ou autre des présents. Rien, strictement. Et pour cause ! Johanna van der Zelden avait acheté la complicité des spécialistes placés dans les plus grands laboratoires du Wurtemberg. Comment une telle chose avait-elle été possible ? Certes, l’argent faisait beaucoup… mais il fallait y rajouter les opinions politiques… pour la plupart d’entre elles, les victimes décédées si subitement étaient marquées à gauche… alors… de la racaille en moins pour les patriotes, les nazis qui commençaient à gangrener toutes les sphères de la société…
Quant au docteur Richard, il avait eu l’imprudence d’accepter de boire le thé chez Madame van der Zelden un jour de mai. Le lendemain matin, sa domestique le retrouva sans vie sur le tapis de sa salle de séjour, ayant succombé à une bienvenue crise cardiaque…

*****

Pendant tous ces incidents ravensbourgeois, l’idole de Johanna van der Zelden avait le vent en poupe. Toutefois, des heurts à répétition se produisaient entre les nationaux-socialistes et les communistes. Or, Hitler jouait la carte de l’apaisement, du moins officiellement. Il réprouvait, devant les médias, les actes de violence commis par les SA. Le Führer usait d’une autre stratégie politique. Il désirait parvenir légalement au pouvoir et, pour atteindre son but, il lui fallait modifier son image politique, la rendre plus rassurante auprès du public et de l’Allemand moyen.
Mais l’Allemagne subissait de plein fouet la terrible récession des années 1930. Chaque jour qui passait voyait s’accroître le nombre de chômeurs tandis que les faillites des banques et des entreprises se succédaient telle la chute des dominos.
Le 6 juin 1931, le chancelier Brüning dut annoncer solennellement que le pays n’était plus en mesure de payer les réparations de la guerre 14-18. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b1/Bundesarchiv_Bild_183-1989-0630-504%2C_Heinrich_Br%C3%BCning.jpg/220px-Bundesarchiv_Bild_183-1989-0630-504%2C_Heinrich_Br%C3%BCning.jpg
Quelques mois plus tard, le 19 septembre précisément, en Extrême-Orient, le Japon conquérait la Mandchourie. Aux yeux des spécialistes, c’était là qu’avait en fait débuté la Seconde Guerre mondiale.

*****

Washington. 20 Juillet 1960.
Georges Athanocrassos se rendait à une importante réunion de financier à bord de sa Rolls Royce. Ces derniers devaient décider de soutenir ou pas la campagne du candidat républicain aux élections présidentielles. Ce candidat n’était autre que Richard Nixon. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/39/Richard_M._Nixon%2C_ca._1935_-_1982_-_NARA_-_530679.jpg/220px-Richard_M._Nixon%2C_ca._1935_-_1982_-_NARA_-_530679.jpg
Or, lors du trajet de retour de ladite conférence, le banquier d’origine grecque réchappa in extremis à la mort. Alors qu’il était encore dans l’ascenseur du building, une forte explosion secoua le bâtiment. Cette explosion fit voler en éclats les vitres des bureaux du gratte-ciel et eut pour résultat de blesser ou de tuer à la fois des badauds, des employés et des secrétaires qui officiaient dans les différents étages. La précieuse Rolls Royce, piégée, venait de sauter. Une main assassine avait placé une charge fortement explosive sous le châssis de la luxueuse voiture. Le chauffeur de Georges Athanocrassos périt sur le coup. On ne retrouva pas grand-chose de son corps.
A tort, le secrétaire personnel du banquier fut soupçonné. Vite limogé, il fut remplacé par Dietrich Möll, le père de Stephen. Le coup était signé. Non pas par Johann mais par le Commandeur Suprême. 
****** 
Moyen-Orient, août 1993. Internationalisation du conflit. Les troupes soviéto-syriennes venaient de mener avec succès une contre-offensive sur Damas. Mais les Israéliens, secondés par leur allié américain, avaient répliqué en bazardant du napalm et des bombes au phosphore sur les villages et les camps palestiniens.
Le 2 août 1993, l’Egypte déclarait la guerre à la Syrie, se retrouvant ainsi l’alliée militaire de l’Etat hébreu. L’unité du monde arabe était définitivement rompue. Pour un futur historien, c’était ici que la Troisième Guerre mondiale avait débuté…
Dans ce conflit pourtant à son début, les morts se comptaient déjà par dizaines de milliers.
Mais bientôt la guerre se généralisait à toute la région, les médiateurs envoyés par l’ONU étant tout à fait incapables d’apaiser les esprits. En fait, les deux Grands, Etats-Unis et URSS s’affrontaient déjà par alliés interposés. Logiquement, la guerre totale et généralisée à toute la planète se profilait à l’horizon et encombrait toutes les têtes.
Pourtant, durant quelques jours, certains caressèrent l’espoir que le conflit pouvait encore être enrayé car le royaume jordanien, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis avaient hésité à intervenir. Mais la fatalité en décida autrement, l’engrenage étant enclenché.
 Tous les Etats arabes soutenant la Syrie et la Libye mobilisèrent afin d’envoyer des troupes au secours de ces pays frères tandis qu’une cinquième colonne soviétique encourageait l’Algérie, le Soudan, la Tunisie, le Maroc à entrer en guerre auprès des Syriens et des Libyens.
Conséquence prévisible : le Golfe et le détroit d’Ormuz furent fermés. L’Occident vit alors se tarir pour la seconde fois en quelques années une de ses sources en approvisionnement énergétique. Les leçons antérieures n’avaient visiblement pas été tirées.
Devant Diubinov, les Etats-majors mettaient au point leur nouvelle stratégie. Dans leur collimateur, l’invasion des pays du nord de l’Europe et toute la CEE.
Mais que se passait-il donc parallèlement en Asie ?
Le Japon, qui avait définitivement basculé dans le camp communiste, encourageait l’installation de rampes de lancement de missiles sur son territoire et ceux-ci avaient pour objectif de cibler la côte ouest des Etats-Unis et du Canada. Apparemment, les Russes jouaient deux cartes à la fois. Ils se préparaient à une guerre conventionnelle tout en ne négligeant pas le scénario d’un conflit nucléaire. Déjà, plusieurs de leurs divisions s’étaient concentrées à proximité du détroit de Béring, un front étant anticipé en Alaska.
Quant à la Chine, elle tardait à réagir…
Bref, la situation n’avait rien d’enthousiasmant mais Michaël Xidrù n’éprouvait pas du tout l’envie de faire faire machine arrière à la planète Terre afin d’effacer des tablettes de l’Histoire cette inévitable Troisième Guerre mondiale. Le 15 août 1993, tout ne pouvait plus être sauvé…

*****