vendredi 21 août 2020

Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : prologue.


Cinquième partie : Elisabeth (1944)

Prologue

Le milicien Jean-Luc Mirmont
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 avait arrêté la veuve Brochier, une vieille femme âgée d’environ soixante-dix ans, vivant d’une maigre pension. La septuagénaire était soupçonnée d’avoir caché durant une semaine deux terroristes, de leur avoir offert un abri dans sa cave. Naturellement ces soupçons n’étaient fondés que sur des on-dit, sur la jalousie de trois personnes de l’entourage de la veuve qui répondait au prénom d’Emilie.
Cependant, afin de lui faire avouer ce crime, l’odieux jeune homme, qui se croyait et se voyait comme un bon Français, trouva un moyen d’une extrême violence, inspiré d’une ancienne torture moyenâgeuse. Jean-Luc réinventa le supplice de l’eau de la façon suivante. Il obligea sa prisonnière à ingurgiter près de trente litres de ce liquide grâce à un entonnoir et ce, sur une seule journée.
Lors de la mise en pratique d’une telle torture, le patient risquait non seulement l’étouffement mais également l’éclatement de ses organes internes.
Or, Emilie, courageusement, garda le silence. De toute manière, elle n’avait rien à dire, sauf à répéter qu’elle était innocente.
Furieux, Jean-Luc passa à une autre forme de torture. Il suspendit la suppliciée par les pouces à une hauteur de trois mètres et laissa ainsi la veuve se balancer dans le vide pendant vingt-quatre heures. Naturellement, il ne fut nullement question de la nourrir ou de lui permettre de se soulager. Qui plus est, tous les quarts d’heures, l’abominable Jean-Luc s’assurait que madame Brochier s’obstinait dans son mutisme, la réveillant de son semi-coma, l’empêchant de sombrer dans une inconscience bienvenue.
A ce régime-là, il était inévitable qu’Emilie subît une crise cardiaque. Deux jours après être passée entre les mains du milicien, la septuagénaire décéda subitement, en n’ayant rien révélé. Encore une nouvelle martyre dans cette guerre atroce.
Lorsqu’il découvrit le corps sans vie de la veuve Brochier, le chef de trentaine céda à sa rage. S’abandonnant à celle-ci, il battit et battit encore le cadavre à coups de bâtons. Geste inqualifiable, ignoble qui démontrait jusqu’à quel point le jeune homme s’était avili.
Mais le groupe de résistants dirigé par Gaspard Fontane apprit le terrible sort de la vieille femme par un informateur. Alors, tous ces soldats de l’ombre jurèrent de la venger le plus tôt possible.

*****

Appartement privé du Superviseur général de l’Agartha. Quelque part hors du Temps. 
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Ce matin-là, Daniel Lin s’activait, allant et venant régulièrement entre la salle de séjour et la cuisine. Il était encore tôt mais le maître des lieux avait à cœur de préparer un brunch des plus copieux. Qui attendait-il donc ?
Lorsque le commandant Wu jugea que tout était parfait, la table dressée, les plats proposés, le bouquet de fleurs trônant au centre, reposant au milieu d’un tapis de table en lin, il sourit.
- Bien. Ces dames peuvent venir. Elles ne seront pas déçues.
- Mon maître, fit une voix provenant de la chambre limitrophe… Tu es matinal ce matin. Pourquoi donc ?
- Gwen, je t’en ai parlé hier soir. Tu ne t’en souviens pas ?
- Non… j’étais trop occupée à… tu sais quoi…
- Mon incorrigible amour !
- Qui sont tes invités ? S’enquit la Celte d’une voix ensommeillée.
- Daisy Belle et Birgit… 
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- Hum… Tu aurais pu leur donner rendez-vous dans ton… bureau…
- Ah ? Que crains-tu donc, ma chérie ?
- Ce sont de belles femmes…
- Ainsi, tu vois en elles des rivales potentielles ? Aucun risque, mon adorée…
- Tu dis cela, mais dois-je te croire ?
- Bien sûr, Gwen. Tu es ma muse, celle que j’ai choisie depuis le début de l’éternité… notre amour durera toujours… et, pour une fois, ce sera vrai. Mais viens donc… Birgit est en train de sortir de l’ascenseur. Dans quatre secondes, elle sonnera à la porte. 
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- Dans cette tenue ?
Se tenant debout sur le seuil de la chambre, Gwen ne dissimulait absolument rien de son anatomie de rousse flamboyante. Son corps aurait poussé un saint à se damner.
- Mets une chemise pendant que j’ouvre, ma chérie… un peu de décence…
Avec une moue charmante, la Celte s’en retourna près du lit et fit comme Daniel Lin le lui avait ordonné. Près de la couche, il y avait un berceau dans lequel leur fils Bart dormait du sommeil innocent d’un bébé âgé de neuf mois.
Cependant, Birgit s’avançait et tendait la main franchement en direction du Superviseur général, accompagnant son bonjour d’un sourire irrésistible.
- Vous êtes la ponctualité même, Birgit. Il est tout juste sept heures…
- Oui, merci pour votre invitation, Daniel Lin. Daisy Belle n’est pas encore arrivée ?
- Elle ne va pas tarder. Elle achève de s’habiller, je crois.
- Ah… D’accord…
- Asseyez-vous donc en attendant.
Daniel Wu désignait une chaise près de la desserte du petit déjeuner.
- Une tasse de thé ? Proposa-t-il. C’est du Earl Grey… mais si vous préférez du Lapsang Souchong, je puis le préparer rapidement.
- Non… merci, ne vous donnez pas cette peine, Daniel Lin… je puis attendre Daisy Belle.
- Vous voulez me dire quelque chose, je le sens bien…
- Ce n’est pas la peine de tenter de fermer son esprit avec vous. Lorsque cette guêpe tueuse géante menaçait notre amie commune…
- Oui, Birgit ?
- Daisy Belle était réellement en danger de mort, n’est-ce pas ?
- C’est tout à fait exact.
- Vous n’étiez pas avec nous… mais… pourtant, l’insecte a disparu subitement… absorbé dans une espèce de… vortex…
- Un trou de ver, Birgit. Je préfère ce terme. Il ne fait que transcrire la réalité du phénomène.
- D’accord. Vous êtes plus versé que moi dans ce domaine.
-Que voulez-vous savoir d’autre, mon amie ?
- Ce wormhole, c’est vous qui l’avez créé ? 
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- Euh… oui, bien entendu…
- Comment ?
- Cela, je ne puis vous le dire, Birgit. Vous ne comprendriez pas…
- Un tour de magie, donc…
- En quelque sorte…
- Je sais que vous pouvez manipuler le temps, l’espace, la réalité physique, Daniel Lin.
- En partie…
- Là, vous mentez.
- Vous me gênez…
- Excusez-moi pour ma brutalité. Vous devez croire que je vous reproche d’avoir sauvé Daisy Belle, de nous avoir en fait tous tirés d’affaire dans cette sale histoire de guerre froide.
- Mais ce n’est pas le cas, Birgit. Je lis en vous sans difficultés.
- Pardon, Daniel Lin… J’oublie toujours que vous n’êtes pas tout à fait humain… vous faites des efforts pour paraître ordinaire… mais…
- Il reste toujours un détail qui démontre le contraire.
- C’est cela.
- Birgit, je vous aime bien… oui, vraiment…
- Sinon, je ne serais pas ici…
- Tout à fait. Il en va de même pour Daisy Belle.
- Y compris sa sœur, Deanna Shirley ?
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 Malgré toute les avanies dont elle est l’auteure ?
- Oui…
- Vous n’iriez pas jusqu’à modifier son caractère, n’est-ce pas ?
- Oh ! Oh ! Vous avez compris une partie de mon secret…
- Mais je saurai me taire, Daniel Lin…
- Merci… Justement… voici notre comédienne vedette…
Effectivement, Daisy Belle s’amenait. Gwen lui ouvrit la porte avec un large sourire qui se figea lorsqu’elle vit la jeune femme apparaître sur le seuil.
- Mais… mais… vous avez la même teinte que mes cheveux ! Pourquoi ? Qu’avez-vous fait ?
- Bonjour, Gwenaëlle… Vous n’aimez pas ? C’est pour les besoins de mon rôle…
- Oui, ma chérie… ne te fâche pas… Daisy Belle incarne Elisabeth Granier… or, celle-ci est rousse, tout comme toi…
- Bonjour, commandant Wu… pardonnez-moi ce retard… dû justement au shampoing colorant que j’ai appliqué… Qu’en pensez-vous ?
- Pas mal… mais vous êtes mieux en châtaine…
- Vous pensez tout comme moi, Daniel Lin…
Après une légère pause, le maître des lieux reprit. 
- Venez vous asseoir près de Birgit… Toi aussi Gwen.
- Dieu du ciel ! Vous avez cuisiné pour un régiment !
- Je me suis dit qu’avec toutes les émotions de ces derniers jours, vous deviez être affamées…
- Tout de même… des scones, du fromage blanc, des œufs, du lait, du jambon, du bacon, des corn flakes, de la compote de pommes, de la tourte aux rognons, des bananes, du muesli, des pêches, des cerises, des mangues, des avocats, des muffins, du pain grillé, des baguettes de pain français qui sortent du four, du beurre, de la confiture, des radis, des pancakes, du sirop d’érable, du beurre de cacahuète, des biscottes, des flocons d’avoine, du thé, du café, du chocolat, des jus de fruit,  des noisettes et du raisin, de la tarte aux myrtilles…
- Cette dernière pour vous faire plaisir… Je vous connais assez friande de ce dessert…
- Vous vous êtes donné du mal, Daniel Lin… Il ne fallait pas…
- Mais si… je suis si heureux de vous voir en vie, Daisy Belle…
- Ce serait plutôt à moi de vous récompenser, commandant…
- Vous voir ici, au milieu de nous, me suffit, répondit Dan El. Que puis-je vous servir en premier lieu ?
- Un jus de fruit…
- Orange, multifruits, groseille ?
- Orange…
- Vous, Birgit ?
- De même… Ensuite, une tasse de Earl Grey… et je choisirai moi-même mon plateau.
- Gwen ? Du lait ?
- Bien sûr, Daniel Lin.
Le commandant Wu officia avec grâce, comme s’il avait fait cela toute sa vie… puis, la conversation s’engagea, des propos détendus, plein d’humour fusèrent dans la pièce chaleureuse, décorée avec soin dans le style design des années 1950 si cher à Will et à Franquin dans les aventures de Spirou… ce fut pour tous les quatre un agréable moment.

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