samedi 15 décembre 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1934 (2).


Nuremberg. 5 Septembre 1934. Parteitag. 
 Description de l'image Bundesarchiv Bild 183-2004-0312-503, Nürnberg, Reichsparteitag, Marsch der Wehrmacht.jpg.
Disséminé parmi la foule en civil, se trouvait le commando israélien. Tous ses membres étaient abondamment pourvus en armes dernier cri, fusils d’assaut démontables, UZI, Kalachnikovs, pistolets capables de tirer plus de vingt-quatre coups sans être rechargés, chargeurs en veux-tu en voilà, capsules de gaz explosifs, pas plus grandes que de confettis, Täsers, mines portatives, armes de poing laser et ainsi de suite.
Quelques-uns des Israéliens avaient pu assister aux obsèques de Madame van der Zelden et s’en étaient réjouis. Mais, désormais, l’heure n’était plus à ce genre de satisfaction.
Dans cette manifestation grandiose, digne d’un cérémonial wagnérien, les rois de cette fête païenne en étaient les SS. Parmi eux, se pavanant et faisant la roue, se tenait Gustav Zimmermann, le cœur gonflé à bloc à l’idée de défiler devant son Führer, Adolf Hitler. Pour lui, sonnaient enfin les trompettes du triomphe qui lui était dû pour tous les sacrifices endurés au nom du Parti, pour toutes ces heures passées à tabasser du rouge, du rose et du Juif, pour toutes ces nuits à coller des affiches…
Mais voici l’instant solennel entre tous, le mirifique moment où le chef vénéré, l’idole barbare, le guide de l’Allemagne, Adolf, prenait la parole devant une foule hors d’elle, exaltée jusqu’à la folie. Le climax de la messe barbare était arrivé. Or, surprise, le loup s’était transmuté en agneau… 
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- Le monde ne peut pas vivre de guerres. De même les peuples ne peuvent pas vivre de révolutions. Les révolutions ont toujours été rares en Allemagne. Le XIXe siècle, cet âge des Nerfs, s’achève avec nous. Pendant le millénaire qui s’ouvre aujourd’hui, il n’y aura plus d’autre révolution en Allemagne…
Ces phrases étaient-elles sincères, authentiques, vraies ? Ou bien ne s’agissait-il que d’une posture, d’une imposture ? Hitler était un habile manipulateur. Il habillait ses discours selon les besoins du moment, trompant ceux qui l’écoutaient et buvaient ses paroles comme si elles avaient été prononcées par un Dieu omnipotent, omniscient, un Dieu dont il ne fallait surtout pas remettre en cause la légitimité et la divinité, sous peine d’excommunication, d’anathème et de mise à mort.
En délire, l’assistance applaudit à tout rompre ces phrases. Les avait-elle comprises d’ailleurs ? Peu importait. La mise en scène, la gestuelle, tout participait à l’abolition de la pensée, réduisant les participants à n’être qu’un corps unique dépourvu de volonté et de tête. Seul le Führer était doté de l’intelligence. Seul le Führer prenait les décisions… 
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Le commando israélien ne participait pas à cette folie collective, à cette communion païenne, à cette mise en berne de l’esprit et de la pensée. Lui n’était pas qu’émotions primales. Sur un signe de leur chef, tous bouillant de rage rentrée, ils passèrent à l’attaque au moment jugé le plus propice pour cela. Ces jeunes gens et femmes savaient en toute conscience qu’ils allaient à la mort, un suicide qui ne manquait pas de panache.
Protégés par des armes défensives et plus ou moins passives, lentilles filtrant les rayons du soleil, masques peau filtrant les gaz létaux, les véritables héros de ce XXe siècle finissant se murent et se positionnèrent aux endroits stratégiques, ceux destinés à faire le plus de dégâts.
Alors que les Allemands entamaient à pleins poumons le tristement fameux chant de ralliement, le Horst Wesel Lied, les Israéliens progressaient peu à peu vers le point focal assigné, avec, à terme, la cible, la tribune sur laquelle se tenait et s’exprimait Adolf Hitler.
Négligence du service d’ordre nullement préparé à ce qui devait suivre ou heureux hasard ? voici les douze membres du commando à une cinquantaine de mètres à peine du chef nazi. Là, celui qui commandait, fit un signe. Aussitôt, une simple boule puante – du moins apparemment – atteignit l’estrade démesurée et roula sur la tribune. En fait, l’innocente bille était une mini bombe incendiaire qui, au bout de cinq secondes, explosa sur les gardes SS se tenant juste derrière le Führer vénéré. Le tir avait été trop long ! 
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Alors qu’une trentaine d’entre eux s’embrasait dans cet incendie brusquement allumé par un tour de sorcellerie, la panique se déclencha parmi les hauts dignitaires nazis. Comme une vague tempétueuse, elle allait gagner le reste de l’assistance.
Tandis qu’un major hurlait Teufel, et qu’un jeune homme de vingt-deux ans se jetait à bas de la tribune afin d’échapper aux flammes rugissantes, écrasant par la même occasion deux soldats, le commando israélien commençait à tirer en rafales en direction des hauts officiers SS. Le jeune homme n’eut que le temps de crier Donnerwetter avant de se taire, les poumons et la gorge brûlés.
La panique poussa les participants, les anonymes à refluer, en mouvements furieux, vers les différentes sorties du stade, tel le ressac d’un océan incontrôlé, les gens se piétinant, s’écrasant, s’agglutinant, hurlant, ivres de terreur, sans égard pour les femmes, les enfants et les plus faibles. C’était un sauve qui peut général. Déjà, on ne comptabilisait plus les victimes, nettement plus nombreuses que celles tombées sous les balles du commando. Déjà, les rigoles ferreuses s’en venaient s’écouler dans les allées bétonnées, sur l’arène, dans les rues alentour, telles des rivières de lave en fusion, entraînant avec elles des hommes et des femmes glissant, chutant dans ce pandémonium, des humains qui ne ressemblaient plus à rien, hormis à de hideuses gargouilles toutes maculées de raisiné pourpre, des monstres aux yeux exorbités, aux lèvres arborant des grimaces diaboliques, aux cheveux en bataille, aux mains devenues serres, aux doigts esquintés, aux vêtements imbibés de lymphe et de sang.
Les soldats, impuissants face à cette foule au-delà de la panique, avaient du mal à manœuvrer jusqu’aux tueurs kamikazes. 
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Cependant, Hitler n’avait pas été atteint par la bombe. Bon sang, qui le protégeait donc ? Quelle Entité mauvaise ? Désormais entouré par sa garde d’élite, le Führer était à l’abri des assassins. Derrière son rempart inexpugnable, le chef suprême de l’Allemagne fut poussé vers l’extérieur.
Isaac, le commandant du groupe israélien, avait immédiatement compris que le coup était manqué. Toutefois, il allait se battre lui et les siens, afin d’abattre le plus possible de cette engeance démoniaque, de ces monstres qui, jamais, n’auraient dû voir le jour. Peut-être, s’il y avait assez de morts, de dégâts, le cours de l’Histoire s’en retrouverait-il tout de même modifié ? C’était là son espérance secrète. 
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Alors, les soldats du futur firent exploser leurs capsules miniatures, celles qui renfermaient un gaz mortel. Des centaines de pastilles éclatèrent, répandant dans l’atmosphère leurs effluves délétères. Malheur à celui qui en respirait une bouffée seulement. Aussitôt, il tombait, asphyxié, ses poumons désormais incapables d’absorber la moindre parcelle d’air.
A l’abri des nuages fatals grâce à leurs masques, les Israéliens commencèrent à reculer parmi les grappes humaines décérébrées, livrées à elles-mêmes, tout en tirant des rafales régulières afin de disperser les gêneurs mais surtout tout ce qui portait un uniforme, de préférence de SS.
Sous la mitraille, les membres de la mort noire s’entassaient telle une récolte macabre jamais achevée.
A quelques pas du commando suicide, un lieutenant-colonel, faisant fi des règles de sécurité, ordonna de faire feu aveuglément en direction des tueurs. Tant pis pour les civils désarmés qui étaient dans la ligne de tir. Tant pis pour les innocents. Mais ici, qui était innocent ? Qui méritait d’être épargné ?
L’enfer se déchaîna. Ce qui avait précédé n’était qu’une sauterie, un divertissement puéril par rapport ce qui suivit. Des centaines et des centaines de balles jaillirent, fusèrent dans toutes les directions, blessant, lacérant, déchiquetant des soldats de la Reichswehr,
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 des jeunes gens, des vieux, des femmes, des mômes, des bourgeois, des ouvriers, des notabilités, des professeurs, des commerçants, de paisibles paysans, fauchant dans une égalité parfaite le riche et le pauvre, celui qui aurait dû vivre encore des décennies aussi bien que celui qui flirtait déjà avec la mort.
Les Israéliens avaient pu trouver un refuge précaire, certes, mais abri malgré tout, derrière une balustrade. Avec leurs armes futuristes, ils tinrent tête avec succès aux SS fous de colère, et aux dignitaires nazis qui, enfin, s’étaient ressaisis et s’étaient emparés de fusils et de pistolets qui avaient été abandonnés à terre par les innombrables défunts.
Le continuum espace-temps était en train d’être chamboulé… oui… il frémissait, tremblait, s’invaginait, se retournait… tout était en train de changer…
Mais… ailleurs, tout à fait ailleurs, l’alerte rouge résonnait déjà…
Tandis que le point nodal de tous les possibles aboutissait désormais à Nuremberg,
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 que la date fatidique de ce 5 Septembre 1934 claquait telle un coup de cymbale retentissant par-delà la Réalité, les munitions des combattants s’épuisaient. Les chargeurs vides des mitraillettes avaient été jetés avec colère par les Tempsnautes. Il leur fallait maintenant recourir aux pistolets laser, aux Täsers qui, de leurs rayons puissants s’en venaient foudroyer des SS toujours plus nombreux.
Le commando parvint à éviter le cercle noir maie en partie. Désormais assez proche du dictateur, ce dernier n’ayant pas encore quitté le stade, il escomptait bien l’abattre tel un animal nuisible. Cet objectif restait dans le domaine du possible puisque Adolf ne disposait plus que de quinze boucliers vivants tout au plus. Quant aux Israéliens, tous sains et saufs, une haine exacerbée les poussait à réussir un tel exploit.
La première, la femme, soldat d’élite parmi la crème de la crème de Tsahal,
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 tira. Aussitôt, les gardes nazis répliquèrent en des rafales nourries dont les longs projectiles fuselés blessèrent le chef du commando ainsi que deux de ses compagnons. Cependant, ces tirs au but ne découragèrent pas les Tempsnautes. Eux aussi usaient de leurs armes futuristes qui descendaient un à un les membres de la garde personnelle de Hitler. Les représentants de l’ordre noir se roulaient sur le sol, atrocement brûlés par ces rayons quasiment invisibles, ne comprenant pas comment ils avaient pu se faire abattre.
En une poignée de secondes, le Reichskanzler se retrouva seul face à face à la tueuse, plus déterminée que jamais. Encore quelques éclairs de feu et c’en était définitivement fini du monstre.
Or, fascinés par leur proie, les Israéliens commirent une erreur. Ils ne s’occupaient plus que de Hitler, ignorant ce qui advenait derrière eux. Alertés par Goebbels
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 par un coup de téléphone passé à la caserne centrale de la ville, cinq mille soldats et policiers, surarmés, affluaient vers leur Führer afin de lui porter secours. Tous jaillirent des couloirs et des entrées du stade, se moquant de piétiner un peu plus la foule affolée en train de fuir.
La jeune femme eut le tort de rester figée une seconde. Le regard de nuit d’Adolf l’avait brûlée. Sa main retomba inerte sans qu’elle eût fait feu.
- C’est fichu ! Hurla Abraham en hébreu. Reculons.
Le commando venait de laisser passer sa chance. A nouveau protégé et entouré, Hitler, qui n’avait pas paniqué, put trouver refuge dans sa voiture personnelle et quitter ce lieu maudit.
Cependant, bien assis sur le siège arrière, il laissa enfin éclater sa rage. S’en prenant à Himmler, à ses côtés, il éructa des menaces tout en arrosant abondamment de ses postillons le chef de la SS.
- Je veux savoir qui ils sont. Comment ils ont pu entrer dans le pays. Je veux leur tête. Je veux leur peau. Tous les incapables qui n’ont pas su les arrêter le paieront. Ils seront jugés pour trahison… Heinrich, c’est de ta faute tout cela… tes hommes n’ont pas été à la hauteur. Les services de renseignements non plus…
Pendant cette diatribe, les Israéliens survivants avaient pu atteindre le gymnase dans lequel ils s’étaient barricadés. Enfin, les spectateurs avaient quitté le stade. Sur la chaussée cendrée, des centaines de corps sans vie, plus ou moins en bon état, des chaussures perdues, des chapeaux, des sacs abandonnés, des fanions et des drapeaux, du sang qui commençait à sécher en flaques sombres, des jouets et des poupées aussi.
Tous les membres de Tsahal tenaient les points stratégiques de la vaste salle de gymnastique. S’étant emparés des fusils et de pistolets laissés par leurs ennemis, ils mitraillaient sans pitié tous ceux qui essayaient de pénétrer dans le bâtiment. Les vitres brisées éclaboussaient de verre les tapis et le sol alors que les filets de tennis et les chevaux d’arçon, en mauvais état, répandaient leur bourrage ou leurs cordes dans le plus grand désordre. Du plafond pendouillaient des lampes arrachées par les tirs.
Durant deux heures, les sept survivants, ivres de courage, véritables kamikazes modernes, sachant qu’ils n’avaient plus rien à espérer, ayant juré de mourir sans se rendre, tinrent tête à cinq mille soldats de la mort, des SS et des policiers fanatisés, splendides machines à tuer.
La loi du nombre était la plus forte et les nazis devaient logiquement l’emporter. Malgré leurs armes sophistiquées, leur détermination au-delà de tout éloge, les Israéliens moururent un à un, tombant au champ d’honneur. Ils auraient mérité un péan de la part des aèdes des temps anciens. Ils auraient dû avoir leur nom gravé sur le monument des héros d’Athènes… 
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Les nazis avaient finalement enfoncé les portes après deux heures de rudes combats, en ignorant les pertes effroyables qu’ils subissaient dans leurs rangs. Un seul Israélien résistait encore et toujours, à quelques pas des barres asymétriques. Une femme, les yeux et les cheveux noirs, un sourire cruel sur les lèvres. Cinq assassins firent feu sur elle à bout portant. Criblée de balles, perdant son sang par maintes blessures, elle eut cependant la force de viser et de tirer sur le capitaine SS, l’atteignant en plein front. Une étoile pourpre vint orner la tête de l’officier tandis qu’il tombait à la renverse, les yeux emplis d’étonnement pour l’éternité.
Puis, la jeune femme s’effondra, transpercée par vingt autres balles en criant en anglais :
- Israël vaincra !
Son corps roula sur le dallage et, chose incroyable, devint lumineux. Quel phénomène était-il en train de se produire ? Les militaires aguerris, qui n’avaient peur de rien, reculèrent d’effroi.
Un peu plus d’une heure plus tard, l’officier survivant de la compagnie de SS fit son rapport au Führer dans une des salles de l’Hôtel de Ville dans lequel il avait trouvé refuge. Il n’omit pas de conter ce qui était survenu dans le gymnase.
Adolf examina de près les documents trouvés sur les cadavres des membres du commando, toucha et mania quelques-unes des armes déchargées, étudia les photographies en couleurs visiblement prises sous d’autres latitudes. Himmler, Goebbels et Goering se tenaient à ses côtés, tous incrédules face à ce qu’ils voyaient. Un peu en retrait, d’autres dignitaires nazis étaient tout aussi secoués. Hess, Speer
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 et Bormann devisaient entre eux à voix basse. Ils se turent lorsque le Führer prit la parole.
- Aber… Das ist unmöglich ! Sehen Sie das foto…
Le chef des services secrets, impavide, se permit une remarque.
- Mein Führer, je vous jure que ces photos ne sont pas truquées. Il s’agit bien de la ville de Jérusalem, mais une Jérusalem inconnue, aux bâtiments modernes, neufs… regardez cet immeuble officiel. 
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- Comment pouvez-vous en être aussi certain ? Proféra Himmler en plissant ses yeux derrière ses lunettes rondes.
- Il est surmonté d’un drapeau. Or, cet étendard porte l’étoile de David. 
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Au dos d’un de ces étranges clichés, il y avait une date inscrite dans deux calendriers à la fois. L’une laissa ébahis tous les dignitaires.
- 1992…
- Nein ! Ruhe ! Cessez de piailler comme des bonnes femmes affolées ! Rugit le Führer. Cet incident devra rester secret. Les journalistes ?
- Arrêtés et enfermés dans des cellules, renseigna Goebbels.
- Sehr gut. S’il y a une fuite, le responsable sera immédiatement passé par les armes. Compris ?
- Jawohl, mein Führer !  Firent en chœur les amis et complices d’Adolf.
- Quant aux témoins survivants de cet événement, ils seront tous déportés et internés à Dachau. Si vous osez faire ne serait-ce qu’une allusion à ce qui s’est produit, Heinrich, vous y passerez également quelques temps.
- Mon Führer, je saurai me taire.
- Je l’espère bien. Tous vos hommes ont été incapables d’empêcher ce massacre… Vous mériteriez d’être exécutés, vous tous…
Mais le chef des services secrets se permit une remarque.
- Il nous faudrait étudier ces armes de plus près. Apparemment, elles proviennent du futur. Nos ingénieurs militaires seraient plus qu’intéressés par leur examen. Notre Etat devrait en tirer parti…
Mais il n’en fut rien pour la bonne raison que le Commandeur Suprême remit de l’ordre après cette tentative de bouleverser le cours de l’Histoire du XXe siècle. Moins de vingt-quatre heures plus tard, documents, armes et uniformes anachroniques s’évaporèrent comme s’ils n’avaient jamais existé, ou du moins, comme s’ils n’étaient jamais parvenus en 1934. Rien ne s’était produit, le continuum spatio-temporel fut reprisé avec le plus grand soin. Aucun des protagonistes, directs ou indirects, ne conserva le souvenir des sanglants événements de ce 5 septembre 1934.
Toutefois, en 1993, le Président Drangston et le Premier Ministre israélien garderont dans leur mémoire le départ du commando pour l’Allemagne nazie. Mais voilà, comme ils ne recevront aucune nouvelle, comme rien n’aura changé, ils penseront que ledit commando aura lamentablement échoué dans son expédition, qu’il aura péri durant le transfert…
L’amorce de l’harmonique temporelle nouvelle, de la chronoligne bis, grâce aux efforts de l’Entité artificielle, avait rejoint sa place au sein d’une Supra Réalité non appréhendable par les contemporains du professeur Stephen Möll, celle d’une simple potentialité jamais réalisée. Le chercheur américain n’avait, de toute façon, rien su de ce qui se tramait derrière les coulisses. Quant à Michaël Xidrù, il avait ressenti le départ d’un changement mais il ne s’en inquiéta pas pour autant. Comme il poursuivait sa mission, il fut soulagé de voir que son supérieur immédiat avait pu parer les effets négatifs du bouleversement temporel. C’était là l’essentiel, non ?

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samedi 1 décembre 2018

Un goût d'éternité 3e partie : Johanna : 1934 (1).


1934

En France, le scandale de l’Affaire Stavisky déclenchait la journée du 6 Février 1934. 
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Pendant ce temps, à Ravensburg, madame van der Zelden allait de plus en plus mal. Elle déclinait à vue d’œil, sa maladie évoluant inexorablement vers une issue fatale. C’était un miracle qu’elle survécût encore. Malgré toute l’affection qu’il portait à sa grand-mère, Johann l’avait abandonnée à son triste sort. 
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Or, bien que Johanna fût mourante, il ne lui en restait pas moins encore des griffes et des dents. La tigresse acculée dans sa tanière était dangereuse. La jeune femme allait le démontrer.
Madame van der Zelden avait convoqué chez elle, dans sa chambre, Gustav Zimmermann. Récemment accepté chez les SS, le jeune homme venait d’être affecté à Ravensburg. Le lieutenant s’était empressé d’obéir à l’injonction de la mourante.
La nuit d’hiver, une nuit brumeuse, tombait sur le château. Dans le parc, on devinait à peine la silhouette dénudée des arbres et les oiseaux dans leurs nids se gardaient bien de faire le moindre bruit, transis qu’ils étaient. Dans les allées, les feuilles mortes crissaient sous les pas.
Johanna eut tout juste la force d’accueillir le jeune SS par un sourire à peine esquissé. Dans son uniforme noir flambant neuf, Gustav en imposait, mais pas à Madame. Elle, l’avait connu mendiant dans les rues.
Une lampe de chevet éclairait chichement la scène, conférant aux meubles et aux bibelots un aspect inquiétant. En effet, Johanna ne supportait plus la lumière vive et se récriait lorsque le lustre répandait sa clarté dans la pièce. Par moment, la jeune femme portait un délicat mouchoir de lin à ses lèvres et des taches de sang s’en venaient souiller le tissu fin. Gustav fut effrayé à la vue de l’alitée mais n’en montra rien. Madame van der Zelden n’avait que faire de la pitié de ses interlocuteurs. Désormais, elle était au-delà de cela.
Sa haine était exacerbée par sa phtisie. Telle une lamie, un vampire, elle cherchait à se venger, à éliminer tous les ennemis du Reich qui étaient à sa portée afin que vive, grande et glorieuse à jamais son Allemagne. 
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Fasciné malgré lui par la frêle silhouette de la moribonde, silhouette qui se détachait des draps de soie pêche, l’officier SS buvait les paroles prononcées par cette harpie vindicative. Le testament oral et moral de Johanna van der Zelden contenait en substance tous les malheurs qui, bientôt, allaient frapper la paisible cité natale de la jeune femme. Zimmermann allait devoir pourchasser sans merci les Juifs qui, autrefois, avaient résidé à Ravensburg, les Rosenberg et consorts, vils banquiers sémites ploutocrates, enrichis sur le dos des pauvres gens, les mauvais Allemands, les communistes, les socialistes et les pacifistes. Cela faisait beaucoup de monde… mais le plus important restait que Gustav devait tout mettre en œuvre afin de retrouver la piste d’Hanna-Bertha et de son mari. Bigre ! Comment expliquer un tel acharnement vis-à-vis de son ex-amie d’enfance ? Une jalousie pathologique ?
Ou bien, tout simplement le fait que Hanna-Bertha connût trop de choses sur Johanna ?
- Vous avez bien compris toutes mes instructions ? Demanda enfin la Némésis au nouvel officier de la mort noire, tout fier et rêvant de parader dans les grandes et larges avenues de Berlin et de Nuremberg.
- Oui madame. Soyez rassurée. Vos volontés seront respectées. J’en fais le serment.
- C’est bien, répondit la malade entre deux quintes de toux. Je vous en suis reconnaissante. Partez vite maintenant. Il ne faut pas que mon mari vous voie.
Après un dernier salut, Gustav Zimmermann se retira.
La machine infernale, telle le dieu Moloch, avait commencé à égrener les jours de mort. Le cours de l’Histoire se déroulait, enchaînant les faits tragiques et bouffons à la fois. Une farce sanglante…
Le 30 juin 1934 débuta la tristement célèbre Nuit des Longs Couteaux.
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 Le chancelier du Reich fit mettre à mort ses anciens amis les SA, pour lui, trop révolutionnaires. Il y avait longtemps qu’il avait abandonné l’idée de soutenir les travailleurs. Au contraire, les patrons lui apportaient toute l’aide voulue. Parmi les trois mille victimes, fourchette basse, il y avait l’ex-chancelier von Schleicher.
Le 1er août, le vieil von Hindenburg achevait enfin sa longue existence terrestre. Hitler put alors cumuler les postes de Président et de chancelier du IIIe Reich sans que quiconque manifestât sa désapprobation. Il devint donc, sous les acclamations de ses proches puis de la foule, Reichskanzler et Président.
Depuis le début de l’été de cette même année 1934, Franz von Hauerstadt était étudiant à Oxford. Un peu dépaysé au début de son séjour, solitaire, il n’avait que son cher violon pour lui tenir compagnie. Il avait pris soin d’amener avec lui son instrument ainsi que tout un tas de partitions, de concertos, de sonates et d’études.
L’Angleterre lui déplut prodigieusement. Les Britanniques lui apparaissaient comme guindés, engoncés dans leurs traditions ridicules, déplacées dans le XXe siècle. Il désespérait de pouvoir les comprendre un jour.
Cependant, par un matin gris et pluvieux - ah cette maudite pluie ! - une matinée plutôt automnale qu’estivale, fortuitement, il fit la connaissance d’un dénommé Hans Werner Brauchischte. Mauvaise rencontre assurément due au génie malfaisant d’une Entité qui se moquait des petites vies, jouant avec elles toute la gamme des sentiments négatifs. Comme lui d’origine allemande, mais d’ascendance roturière, l’adolescent s’était inscrit en classes de mathématiques et de physique supérieure.
Or, Franz, étudiant plus que brillant, allait brûler les étapes, préparant déjà un mémoire qui époustouflerait Einstein en personne dans quelques années…
Pourtant, notre jeune comte allait avoir l’esprit préoccupé par bien autre chose que les sciences. En effet, Hans Werner, dès qu’il fut ami avec Franz, commença son endoctrinement avec un art consommé de la persuasion. Brauchischte était un nazi convaincu et fier de l’être. Il appartenait aux Jeunesses hitlériennes et s’il poursuivait des études à l’étranger, c’était pour mettre son savoir au service de son Führer d’ici quelques années. Le mauvais ange ne laissait aucun répit au jeune noble.
- Et moi, je te dis et répète que c’est Adolf Hitler qui sauvera l’Allemagne, qui la tirera du bourbier dans lequel elle patauge…
- Hans Werner, ce que tu dis ne tient pas debout…
- Tais-toi ! Tu n’y connais rien en politique… écoute-moi. Vois un peu la dégénérescence des démocraties occidentales. L’Angleterre est prête à tout pour conserver son empire…
- Je t’accorde que sur ce point, sur ce point seulement, tu as raison.
- Quant à la France… sa situation est risible… la grandeur napoléonienne est bien loin. Le pays de Corneille et de Racine se vautre dans la démocrassouille. La preuve ? Les scandales à répétition qui s’enchaînent. L’affaire Hanau, l’affaire Stavisky… tous des métèques…
- A propos de ce dernier, il est mort d’une bien étrange façon…
- Oui… Suicidé à bout portant… d’un coup tiré en pleine poitrine… Tout ça, c’est magouille et compagnie… la juiverie internationale est parvenue à gangrener ce qui, autrefois, était le phare des Lumières… Mais notre Führer déteste les Lumières… avec raison…
- Hans Werner, tu oublies sciemment que les Français ont gagné en 1918.
- Non ! Ils n’ont pas gagné. Nous avons été trahis. Par ces foutus socialistes et la peste bolchevique… C’est ton sang français qui parle en ce moment, Franz… ne l’écoute plus… Sois un Allemand pur jus, sincère dans ses convictions…
- Comment ? Tu veux donc que je renie une partie de mon ascendance ?
- Pour ton bien…
- Ma mère Amélie ne serait pas de cet avis…
- Ah oui… les comtes de Malicourt… On les dit ruinés… ils ont eu leur heure de gloire jadis… mais cela remonte à fort loin…
- Au temps des croisades… Godefroy a été anobli par Louis VII
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 en personne sur le champ de bataille…
- Et les von Hauerstadt ?
- Euh… L’Empereur Otton III…
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 a eu comme bras droit un certain Friedrich…
- Bigre ! Tu n’es pas de noblesse récente, toi. Tu as au moins vingt quartiers de noblesse.
- Si tu savais combien cela me pèse !
- Ah ? je n’en crois pas un mot. Tu ne craches pas sur l’argent de ton paternel, non ?
- Ce serait difficile. Il me paie mes études…
- Oui… Bon, je bénéficie d’une bourse de l’Etat… mais, Hitler va changer tout cela… une nouvelle élite surgira bientôt… elle ne devra sa grandeur que par ses actions… un homme nouveau, destiné à servir le Reich émergera…
- Donc, pas d’égalité ?
- Pff ! Quelle égalité ? En voilà bien une sotte idée ! L’égalité de la race supérieure, oui, mais pas celle de la médiocrité…
Il en était ainsi à chaque conversation… impossible d’y réchapper pour Franz. Doté d’un esprit encore malléable, en devenir, le jeune comte rêvait d’un nouveau Moyen Âge romantique et barbare à la fois. Au fond de lui, l’adolescent recherchait l’âme sœur. Il crut l’avoir trouvée en Hans Werner, plus âgé et plus sûr de lui. Naturellement, il n’y avait rien de sexuel entre les deux amis… non… seulement une communion d’esprits… des esprits exaltés… faibles en fait. Sans rien en dire au duc Karl, Franz von Hauerstadt adhéra aux Jeunesses hitlériennes.
La nature de Franz était double. En fait, il ne poursuivait pas tout à fait les mêmes buts que Hans Werner, son mauvais ange. Certes, il désirait une Allemagne forte, puissante et respectée sur la scène internationale, mais il ne souhaitait aucunement écraser la France, son autre patrie. Ainsi, il espérait qu’un jour, pas si lointain, le pays de sa mère saurait se régénérer par un quelconque miracle, peut-être aux forceps, des forceps administrés par Adolf Hitler. Quelle naïveté ! Mais, pour l’heure, s’abreuvant de littérature nationaliste, il décida de pratiquer l’anglais aussi bien que l’allemand et le français, sans le moindre accent étranger… peut-être se voyait-il déjà infiltrer les services secrets britanniques sous une fausse identité ? Allez savoir…
*****

17 Août 1993.
Johann cherchait à parachever la formation des hommes robots biologiques mis à sa disposition par le Commandeur Suprême par un entraînement physique dépassant l’entendement. Pour parvenir à ses fins, l’Ennemi mit sur pieds une pseudo-mission scientifique destinée à localiser la mythique Atlantide.
Ainsi, à bord d’un sous-marin dernier cri, doté de toutes les technologies de pointe, construit en 1992, l’engin baptisé le Poséidon, capable d’atteindre des profondeurs proprement vertigineuses – moins 11 000 mètres – parcourut tous les océans et mers de la Terre avec, à son bord, les sept malheureux cobayes. Ceux-ci durent supporter de très grandes pressions ou, au contraire, de fort basses, le froid extrême, l’obscurité intégrale, les grandes profondeurs en respirant sous l’eau, le danger, la peur et ainsi de suite. Ils durent également affronter les plus terribles des prédateurs marins, les requins marteaux, les orques, les poulpes et pieuvres géantes, les calmars, etc…
Après deux mois, Johann estima que ses hommes de mains avaient réussi l’épreuve brillamment bien que l’Atlantide n’eût pas été retrouvée. Puis, monsieur van der Zelden se rendit en RFA, pour conclure une mystérieuse affaire avec le gouvernement ouest-allemand.
- Mes robots sont au top du top. Tant mieux. Eux aussi sont donc capables de respirer sous l’eau et de survivre dans les milieux les plus hostiles. Ils pourront donc contrer avec succès ce maudit Michaël. Ce petit problème réglé, il faut que je revoie ce foutu ministre des Finances… Sa politique actuelle concernant le Mark me déplaît. N’a-t-il donc pas compris où étaient ses intérêts ? Il met en danger le New Dollar… soit, il se rallie à mes injonctions, soit je me vois contraint de dévoiler par des intermédiaires dument sélectionnés le trafic d’armes existant entre la RFA et certains pays progressistes comme Cuba, la Libye et l’Angola… Après tout, c’est lui qui couvre ledit trafic…

*****

Juin 1934. Quelque part en France, en Normandie.
L’aube pointait à peine. On devinait sa présence par quelques écharpes de brume qui se teintaient de rose à l’Est.
Comme tous les matins à la ferme, Gaspard Fontane était le premier levé. Sa rude journée était commencée depuis quelques heures déjà. N’avait-il pas trait les vaches ?
Le paysan, d’un pas lourd, se traîna jusqu’au tonneau contenant de l’eau bien fraîche sous la gouttière et s’aspergea abondamment à l’aide de plusieurs seaux. Il ne prit pas même le temps de s’essuyer et après ces ablutions plus que rapides, il pénétra de son pas pesant dans la cuisine, laissant derrière lui des traces boueuses qu’il nettoierait un peu plus tard. Tel était Gaspard. Ce n’était pas à son âge qu’il allait changer ses mauvaises habitudes, non ?
La pièce, peinte en un marron affreux, était meublée avec des éléments datant de l’arrière-grand-père et la cuisinière fonctionnait au bois. Prenant une casserole en cuivre, l’agriculteur mit à réchauffer un reste de soupe de la veille. Il avait sacrément faim.
Une fois son rata chaud, Gaspard s’attabla et mangea goulument. Pour accompagner sa soupe, il avait coupé de larges tranches de pain bis dans une miche qui traînait. Puis, il arrosa le tout avec de longues rasades de cidre bues à même le goulot de la bouteille pansue. 
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/30/Cider_from_norman_cave.JPG/330px-Cider_from_norman_cave.JPG
Enfin repu, il marmotta entre ses dents :
- Y a pas à dire ! Mon fils a tort de critiquer ma façon de me nourrir. Ça vous remet en forme dès le matin une telle boustifaille ! Vers dix heures, j’avalerai un bon verre de calva…
Ensuite, tout en se grattant le dos ostensiblement, il sortit dans la cour de la ferme et se dirigea vers une ancienne étable à demi écroulée qui, désormais, servait de garage à une Citroën 5 CV fourgonnette millésimée 1926. Là, s’asseyant dans le véhicule, il le mit en marche après avoir donné quelques coups de starter.
- Bon… Faut que je me rende au marché aux bestiaux. Je dois causer avec le Firmin. Je m’en vais lui dire deux mots sur c’foutu bestiau qu’il m’a vendu il y a une quinzaine. Il a cru me rouler, il va voir. J’suis pas né de la dernière pluie, moi…Un taureau, ça, une lopette plutôt ! la Nadine, elle va pas tarder à se lever elle aussi. Elle s’occupera des cochons. Vouère ! les vacances approchent… pas pour tout le monde… le Marc va rentrer de Paris. Inutile de compter sur ce feignant aux grands airs. C’est franchement dommage. Je dois mettre en fûts la récolte de cidre… Bon… Comment le convaincre, ce salopiot de morveux de m’donner un coup de mains ? J’suis son père, non ? Monsieur est étudiant en médecine maintenant… mais qui lui paye ses études ? Moi ! Il l’oublie un peu trop souvent. Il est vrai qu’un docteur en médecine ça pose un homme. Peut-être que je pourrais briguer un mandat de maire aux élections de l’an prochain ? J’dois réfléchir à la chose. Je suis pas plus sot qu’un autre… je sais gérer ma ferme… j’connais bien le marché et tout ce qui touche à la culture et à l’élevage… Ouais… mais l’Marc, il veut pas reprendre la ferme… il n’a jamais aimé se salir les mains… sacré gars… il déteste marcher dans le purin, traire les vaches, arracher les mauvaises herbes et tout ça… quelle déception ! Où tire-t-il ses idées de la haute ? De parvenu ? Pas de moi… les problèmes viennent toujours par trois. Demain, j’irai à Caen. Y a huit jours que j’ai commandé une paire de chaussures qui me donne pas des corps… tous ces frais pour le baptême d’la fille d’la nièce d’ma femme, la Marie… il était temps qu’elle passe devant monsieur le curé, cette petiote… Elle a déjà un an, la mioche… Oui… mais la maman n’est pas portée sur la curaille… moi non plus d’ailleurs… mais ça se fait pas dans l’coin d’être pas baptisé… c’est mal vu… Alors, on fait des compromis…
D’ici quelques années, Gaspard Fontane allait devenir un personnage fort puissant, incontournable même. Il aurait agrandi ses terres dans les environs du bourg de Sainte-Marie-Les-Monts, petit village typique de la campagne normande, sis à vingt-cinq kilomètres de Caen.

*****

Juillet-Août 1934.
Madame van der Zelden s’éteignait lentement, telle une lampe privée d’huile.
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 Entourée de ses poupées dont elle essayait vainement de se rappeler les noms, la mourante n’avait plus vraiment conscience des gens et des êtres qui l’entouraient. Toutefois, conservant sa coquetterie jusqu’au bout, elle avait exigé de sa camériste qu’elle lui mît une délicieuse robe rouge à manches ballons. Mais voilà, cette tenue ne faisait qu’accentuer son teint cadavérique ainsi que sa maigreur squelettique. Le corsage chemisier à col Claudine avait beau s’orner d’un adorable nœud à pois, les mains de notre poitrinaire être recouvertes de gants court, il n’en restait pas moins que Johanna faisait peur dans ses efforts de toilette.
En ce chaud après-midi d’été, alors que les arbres répandaient leur splendeur feuillue dans l’immense parc et que les massifs fleuris étaient entretenus par tout un cortège de jardiniers, que les soubrettes, les maîtres d’hôtel s’affairaient et que les cuisiniers préparaient déjà le dîner, au chevet de Madame, David son époux et leur fils, le jeune Richard – l’enfant pleurant en silence bien qu’il ne comprît pas précisément ce qui se passait – lui présentaient leurs adieux. Le garçonnet, vêtu d’un costume marin bleu comme il y en avait tant à l’époque, dévisageait sa mère de ses yeux bleus. Sur une invitation de son père, il se rapprocha de Johanna et l’embrassa furtivement sur le front. Puis, ce cérémonial accompli, l’enfant fut récupéré par la gouvernante.
- Venez, monsieur. Un bon goûter vous attend en bas, dans la cuisine… Vous en avez besoin, disait la domestique, les yeux humides.
- Nan ! J’ai pas faim. Je veux rester auprès de Maman.
- Non, il n’en est pas question. C’est mauvais pour vous de vous attarder dans cette chambre. Madame est fort fatiguée. Vous allez hâter sa fin.
Malgré les trépignements et les cris de l’enfant, Ilse le prit sous les bras et le porta jusqu’au rez-de-chaussée.
Une fois dans la cuisine, Richard se vit offrir un bol de chocolat chaud, sa boisson préférée, ainsi qu’une grosse part de tarte aux framboises.
Pendant ce temps, David, assis près de son épouse, lui faisait ses ultimes adieux. Des promesses qui ne seraient pas forcément tenues, des regrets plus ou moins avoués et formulés.
- Johanna, fit David avec sa voix la plus douce, le château restera notre propriété. Je ne le vendrai pas, je vous le jure…
- C’est bien, David, émit Madame dans une quinte de toux.
Ses paroles étaient à peine perceptibles. Elle sentait monter en elle un liquide tiède et écœurant. Du sang perlait à ses lèvres blêmes, encore et toujours. La moribonde étouffait et chaque mot lui coûtait des efforts surhumains. Parfois, la jeune femme croyait qu’une enclume était posée sur sa poitrine l’empêchant de respirer. Bien sûr, ce n’était pas le cas. Son front glacé et brûlant tour à tour se parait de gouttes de sueur alors qu’elle tremblait toute.
- Mon chéri, reprit péniblement Johanna…
- Chut, mon amour. Vous vous fatiguez à vouloir parler…
- Il le faut, pourtant… écoutez-moi, David… je veux… que vous adhériez … au parti… au NSDAP…
- Pourquoi ferais-je une chose pareille ?
- Promettez-le moi… les années qui vont venir seront brillantes… je le sais… je l’ai vu.
- Ma chérie, vous oubliez que je suis apolitique. Je le dois dans les affaires que je mène…
- David… Je serais si heureuse si vous accomplissiez cette dernière volonté, insista Madame.
- Certes, mais je dois retourner en Hollande… Je vous en ai déjà parlé je crois… mes affaires m’y appellent. Le château sera confié aux bons soins de notre régisseur Sébastien.
- Je… ne l’aime pas… vous fuyez David… vos responsabilités envers moi… encore une fois…
- Non, ma chérie, je vous jure que non, démentit David. Je vous aime… je vous ai toujours aimée. J’ai cherché à faire votre bonheur…
- Sans doute… mais… moi, vous ai-je rendu heureux, David ? Je vous en prie… dites-le moi…
- Assurément, proféra le futur veuf.
Johanna voulut lancer une ultime réplique, mais elle ne le put, ses forces se dérobant. Une affreuse quinte de toux la prit et David fut dans l’obligation de lui soutenir la tête afin de la soulager. Il vit bien que, dans le mouchoir, il n’y avait pas seulement du sang. Des morceaux organiques y avaient été également expulsés. Mais Johanna ne s’en rendit pas compte, ses yeux révulsés dans une extrême douleur.
L’agonie de Madame van der Zelden dura plus de quinze heures. A l’aube du 8 août, elle rendit enfin son dernier souffle et son âme à Dieu comme on l’écrivait pudiquement en ce temps-là.
Assis tristement sur sa chaise haute, dans la cuisine, Richard avait bien compris que quelque chose de terrible était survenu. Trop de monde tournait autour de lui, les yeux rougis, trop de serviteurs chuchotaient lorsqu’ils passaient devant lui. La cuisinière, qui, habituellement, affichait toujours sa bonne humeur, se frottait souvent le visage et lui faisait des sourires crispés. Elle lui demandait régulièrement ce qui lui ferait plaisir et l’obligeait à avaler sucrerie sur sucrerie. Tout cela n’était pas normal.
Lorsque son père vint le trouver en lui murmurant que jamais plus il ne verrait sa mère vivante, Richard se mit à sangloter. David tenta bien de consoler son fils. Mais il n’y parvint pas. Ce chagrin devait durer longtemps. Jusqu’à son adolescence, Richard van der Zelden resterait une créature mélancolique, solitaire et silencieuse, répugnant à exprimer ses sentiments.
Deux jours après son décès, Madame van der Zelden fut enterrée en grande cérémonie au cimetière de Ravensburg, dans un caveau édifié pour l’occasion. Le funèbre cortège était exclusivement composé d’hommes. Tous arboraient la triste redingote noire de circonstance. Après être passé par l’église, le cercueil fut transporté jusqu’à sa demeure finale dans un magnifique corbillard composé de quatre chevaux et ce, dans un profond silence.
La foule parvenue devant la tombe, le prêtre qui officiait bénit une dernière fois la sinistre bière avant que l’époux, les parents plus ou moins lointains et les amis et connaissances de la défunte jetassent, comme il était d’usage, des poignées de terre sur le cercueil en bois de cèdre. Naturellement, Gustav Zimmermann ne s’était pas dérobé à cette obligation. En uniforme d’officier SS il en imposait, mais inspirait surtout la crainte, notamment auprès des plus âgés des participants. 
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Or, les inconnus déjà décrits plus haut agirent de même que toute l’assistance, non sans ironie. Une sorte de joie brillait dans leurs yeux plus ou moins sombres.
Le prêtre, pas dupe, s’étonnait de constater la présence d’une femme au sein de ce petit groupe d’étrangers. Oui, l’homme d’église en était certain, ce jeune homme mal fagoté, dans un costume trop large pour lui, c’était bien une femme. Mais il eut la présence d’esprit de garder pour lui cette constatation et ce, à cause de la présence de Zimmermann parmi les amis venus rendre un ultime hommage à Johanna van der Zelden.
Le triste cérémonial achevé, tous se dispersèrent.
Dès le lendemain, David regagna son pays natal, ayant licencié une bonne partie de la domesticité. Néanmoins, la théorie des serviteurs avait reçu non seulement une lettre élogieuse de recommandations mais aussi une indemnité conséquente qui devait leur permettre de patienter avant de retrouver un emploi.
Notre trafiquant d’armes pensait ne plus remettre les pieds en Allemagne. Pour lui, la page était définitivement tournée. Dans le train, assis près de son fils, il contemplait les mornes vallons des Ardennes tout en pensant :
- Je crois que je pars à temps de ce nid de guêpes. Certes, je ferai encore affaire avec le Reich, mais de l’étranger. Visons maintenant l’URSS et l’Amérique latine. Tôt ou tard l’ours et le loup s’affronteront… et en Amérique du Sud, il y a beaucoup à gagner… Du gras comme dit la pègre française dans les romans populaires…

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