samedi 6 avril 2013

Le Nouvel Envol de l'Aigle 3e partie : Nouvelle Révolution française chapitre 23 2e partie.



Printemps 1978. Lequel?
Paris, Musée de l’Homme. 
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Trois adolescents fort dissemblables, mais que des liens d’amitié unissaient, s’apprêtaient à pénétrer dans le bâtiment néo-classique conçu par Percier et Fontaine. Non, il ne s’agit pas de la chronoligne 1721 ou encore la 1722.
Le plus âgé du trio, le plus casse-cou aussi, répondait au prénom slave d’Ivan. Blond et téméraire, il savait imposer son point de vue au reste du petit groupe. Pour l’heure, ses yeux bleus se posèrent avec fierté sur le fronton de l’imposant bâtiment et y lirent gravée en lettres d’or la célèbre citation de Terence: 
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Homo Sum: Humani Nihil A Me Alienum Puto.
Ivan ne put retenir une exclamation enthousiaste que ses compagnons approuvèrent, certes, mais avec plus de retenue.
- Ah! Avouez que ça en jette pour les étrangers.
L’adolescent qui se tenait à sa droite, un gars brun, costaud, aux mèches rebelles et aux yeux noirs, proféra ce qui suit avec une certaine désinvolture.
- Je suis d’accord avec toi, mais tu te répètes. Chaque fois que nous venons ici, il faut que tu t’extasies. Il n’y a plus d’effet de surprise.
- Oh! J’ai compris. Monsieur Geoffroy est pressé.
- Plus qu’un peu. Tantôt, nous nous étions entendus pour une visite rapide.
- Moi, les cires de la Specola que nous avons récupérées aux Florentins ne me disent rien aujourd’hui, marmonna le plus jeune du trio, un authentique Maya prénommé Pacal. 
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L’Amérindien venait tout juste de fêter ses seize ans et tout ce qu’il voyait l’émerveillait.
- D’ac. Alors, allons admirer la galerie d’anthropologie égyptienne.
- Moui… évitons toutefois de passer par les nouvelles salles où le public se précipite comme les moutons de Panurge, jeta Geoffroy d’Evreux.
- Ce qui me plairait, reprit Pacal, ce serait de voir le deuxième sous-sol.
- Ah! Bah! Pourquoi? Fit Ivan.
- Le nouveau conservateur du Musée y fait exposer des pièces anatomiques fort rares.
- Je croyais que tu craignais les monstres! Éclata de rire son frère adoptif.
- En fait, je suis plus curieux que peureux.
Hochant la tête en signe d’acquiescement, Ivan se présenta à la caisse et demanda trois billets hors exposition arts et anthropologie modernes.
- Impossible, articula le caissier. Ce mois-ci, le tarif proposé comprend toutes les expositions pérennes ou pas.
- Tant pis. Nous sommes preneurs.
Peu après, ce fut au pas de charge que le trio traversa les salles présentant l’art officiel tant couru par les contemporains. Il s’agissait d’un art abstrait totalement incompréhensible pourtant soutenu depuis plusieurs décennies déjà par les Napoléonides. La plupart des pièces consistaient en des sculptures humaines vivantes, nourries à la paille, enfermées dans des gangues, des concrétions d’argile et de calcaire plus ou moins teintées. Ces humains prisonniers étaient positionnés, contorsionnés absurdement, cherchant à figurer la peur, la douleur, la colère, l’inconscience, la haine, la joie et ainsi de suite. Abject, n’est-ce pas? 
Souvent, certaines de ces sculptures apparaissaient volontairement craquelées et mutilées afin de leur donner un aspect plus authentique et plus antique. Beaucoup de ces malheureux tenaient entre leurs mains des objets hétéroclites ou encore des oiseaux exotiques, des singes et des éléphants miniaturisés, sculptés au fur et à mesure de leur dessiccation, un peu comme des bonsaïs. Quand on vous dit abject…
Ainsi donc, l’espérance de vie de ces créatures n’excédait pas six mois. Voilà pourquoi le fond était renouvelé régulièrement. Les Napoléonides appliquaient à la lettre l’homme marchandise. Tout cela passait pour de l’ethnologie artistique et était le must.
Près des fenêtres, des grandes baies, de minuscules arbres constitués d’essences rares venaient agrémenter et embellir la nouvelle exposition permanente. Qu’avaient-ils de si particulier? Rien, sauf qu’ils étaient teintés artificiellement en jaune, en rose bonbon, en lavande, en orange criard, en pourpre, en vert printemps, en fluo, avec des produits toxiques qu’il fallait gratter chaque semaine sous peine de voir périr ces bonsaïs. Or, malgré tous les soins prodigués, ils mouraient étouffés au bout d’un à deux mois seulement. Alors, ils étaient remplacés. Cette débauche artistique coûtait des sommes folles au Musée et à ses mécènes. Le prix d’entrée des billets ne pouvait donc que fluctuer.
Enfin, les adolescents arrivèrent dans l’immense galerie d’anthropologie égyptienne. Les jeunes gens s’y attardèrent, admirant les différentes étapes de la momification d’un chat, d’un babouin, d’un ibis, ou encore d’un homme. Plus loin, ils virent des sarcophages en basalte, en granit et en bois, ces derniers recouverts de feuilles d’or. À l’intérieur, des momies dormaient de leur sommeil éternel. D’étroites étagères  desquelles pendaient quelques bandelettes déroulées entouraient le lieu. Elles étaient tissées en lin et portaient des inscriptions rituelles en écriture cursive, en démotique et en caractères sacrés. 
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Un vieux savant farfelu, les cheveux blancs ébouriffés, lorgnons sur le nez, vêtu d’un imperméable froissé, détaillait, à l’aide d’une loupe, la trame des bandelettes. Tout à sa tâche, il marmonnait, ne se rendant nullement compte qu’il s’exprimait à haute voix. 
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- Les Taricheutes égyptiens étaient bien les plus forts et les plus habiles. Enfoncés les embaumeurs Guanches ainsi que ceux qui travaillaient au service des Manco Capac et autres Incas.
De son pas chaloupé, le vieil hurluberlu passa ensuite à une autre vitrine située sur sa gauche, sans même faire cas des trois adolescents, obligés de se reculer, néanmoins sans marquer leur mécontentement devant le comportement du doux dingue. Au contraire, ils étaient plutôt amusés par son manège.
Ivan se mit à scruter l’énigmatique personnage. Plus il dévisageait le vieil original, plus il avait l’impression déstabilisante d’avoir déjà, par le passé, croisé le monomaniaque et extravagant individu.
De plus en plus absorbé, le septuagénaire sortit un carnet de sa vaste poche. Par mégarde, il fit tomber sur le dallage bicolore une carte de visite toute jaunie, visiblement hors d’âge. Très poliment, Pacal s’empressa de ramasser le bristol. L’adolescent lut l’inscription imité par ses compagnons. Cela prit quelques secondes au trio. Suffisamment pour que l’excentrique chercheur à la retraite s’éloignât avec une rapidité insoupçonnée.
Alors, Pacal se mit à courir derrière le septuagénaire tout en l’appelant.
- Monsieur! Hé monsieur! Vous avez perdu votre carte de visite.
Mais l’individu était déjà trop loin et disparut derrière un coude formé par la galerie. Lorsque l’Amérindien eut rejoint le lieu, le vieux savant semblait s’être étrangement évaporé. Pacal regarda bien autour de lui, attentif au moindre détail, mais il ne vit aucune issue.
- Comment a-t-il pu disparaître ainsi? S’interrogea-t-il. Bizarre. Quel est son nom déjà? Poursuit-il le front soucieux.
Les sourcils froncés, le jeune homme relut le carton fort.
- Adelphe Fiacre Piton de Tournefort, naturaliste.
- Connais pas! Souffla Ivan en écho qui avait gagné le coude de la galerie.
- Moi itou! Renchérit Geoffroy.
Poussant son ami, il compléta sa pensée.
- Assez perdu du temps, les gars. L’heure tourne. Il nous reste à gagner le deuxième sous-sol; celui pour lequel nous sommes là, où se trouvent les pièces sorties de leur enfer muséographique depuis peu. Grouillons.
- Tu as raison, approuva Ivan. Nous devons nous dépêcher.
- D’autant plus que le violoniste Szeyring se produit à la salle Pleyel à 17h00, reprit le brun adolescent. Le programme annonce le Concerto de Méhul. Pour une fois, j’aimerais arriver à l’heure.
Haussant ses larges épaules, Geoffroy entraîna au pas de charge ses amis au deuxième sous-sol. Pour ce faire, le trio dut longer les salles contenant les cires de la Specola - des pièces anatomiques remarquables destinées à l’apprentissage des futurs chirurgiens et médecins - . on pouvait y admirer des écorchés humains avec les organes à vif bien visibles, et ce, dans un souci renversant de réalisme.
Dans ce deuxième sous-sol, la pénombre régnait. Cette semi obscurité était nécessaire pour optimiser la conservation des fragiles squelettes exposés, des fœtus difformes et monstrueux, des terribles dépouilles d’aliens fort déconcertantes. Pour arriver plus rapidement à ce niveau, les adolescents avaient négligé les salles du premier sous-sol, pourtant non inintéressantes, nommées Larrey, Corvisart et Dupuytren. Pour les amateurs éclairés, elles révélaient leurs trésors consacrés à l’anthropologie militaire. Mais que contenaient-elles donc de si attractif?
Des squelettes, bien évidemment, mais ceux-ci avaient la particularité d’avoir appartenu à d’innombrables soldats et officiers des armées des Napoléonides. Tous avaient été récupérés sur les champs de batailles de l’Europe entière, de l’Afrique et de l’Amérique. Ici, par exemple, on reconnaissait les restes d’uniformes de la Garde Impériale, qui s’était distinguée à Austerlitz, Iena, Eylau, Wagram, Salamanque, Pierras Negras, Catane, Smolensk, Figueiroa, Torino, Campo Formio, Almeria, Porto Alegre, Manaus, Las Puntas, et ainsi de suite.
Des shakos plus ou moins sanglants et moisis, des brandebourgs, des retroussis, des draps bleus, gris, blancs ou verts, des brins de poils restaient encore accrochés aux dépouilles osseuses, aux cadavres partiellement fossilisés.
Ivan, au contraire de Geoffroy, n’avait pas l’âme militaire. Il avait hâte d’admirer d’autres pièces bien plus précieuses à ses yeux.
- L’odeur que dégage ce niveau est plutôt dérangeante, non? Proféra Pacal en plissant son nez avec une moue réprobatrice.
- Petite nature, va! Ironisa Geoffroy sans méchanceté. Dans quelques minutes, nous nous y serons habitués.
- Toi, je sens que tu vas nous ressortir ton antienne, fit Ivan sur un ton désinvolte. Avant, c’est-à-dire au temps des destriers, des châteaux forts, des douves et tutti quanti, c’était nettement mieux! Dis-le une bonne fois pour toutes que tu regrettes le crottin, les fenêtres dépourvues de vitres qui déversaient leurs seaux d’aisance à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. 
- Toi et ton humour acerbe! Rétorqua le comte d’Evreux.
- Holà! Vous deux, on se calme, les rappela à l’ordre l’Amérindien. Voyez plutôt ce fœtus. Vous ne trouvez pas qu’il est inquiétant?
- Hum… Attends. Que dit l’étiquette? Ah… voilà: fœtus et crâne d’un enfant de quatre mois anencéphale, lit le blond adolescent après s’être penché vers la vitrine. 
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- Pff! Il y a mieux sur cette estrade, lança le jeune costaud. Le joueur d’échecs de Van Kempelen. Du moins, l’être qui actionnait le pseudo automate. À ce propos, j’ai lu un article sur le sujet il y a une quinzaine de jours.
- Brr. Ce corps n’a rien d’humain, frissonna Pacal.
- Qu’est-ce que tu es trouillard aujourd’hui! Constata Ivan.
- Bien sûr que ce corps n’est pas humain, reprit Geoffroy. Van Kempelen avait réduit en esclavage un authentique extraterrestre et ce, près d’un siècle avant que nos fusées décollent et partent à la conquête de l’espace.
- Tu plaisantes! Éclata de rire le jeune Amérindien.
Toutefois son rire paraissait un peu forcé.
- Pas du tout. Un Marnousien s’était bel et bien perdu sur notre bonne vieille Terre dans les années 1800. Aujourd’hui encore les astronomes et physiciens peinent à expliquer cet incident.
- En attendant, le corps de cet alien est exposé ici. Comment a-t-il fini dans ce musée? Raconte-nous donc tout ce que tu sais.
- A tes ordres, mon cher Ivan. Le porcinoïde, capturé par la garde personnelle de Napoléon le Grand, après naturellement la découverte de la supercherie, le joueur d’échecs était truqué, fut remis entre les mains de médecins et de scientifiques afin d’être observé et étudié. Bref, il fut traité comme un vulgaire rat ou capucin de laboratoire. Souffrant de dépression, manquant d’eau et de chaleur, il se mit à dépérir rapidement. L’inévitable advint. Le Marnousien mourut en 1809, soit un an à peu près après la célèbre partie d’échecs de Milan.
- Bravo pour ton excellente mémoire!
- Merci, Ivan.
- Mais l’automate lui-même, qu’est-il devenu?
- Ah, ça, l’article ne le disait pas.
- Hum… te connaissant, tu as sans doute essayé de creuser le mystère, jeta Pacal plus détendu.
- Effectivement. J’ai d’abord consulté différentes encyclopédies puis me suis rendu à la Bibliothèque Nationale. Hélas, je n’ai pas réussi à en apprendre davantage.
- Tant pis, soupira Ivan quelque peu déçu de voir la question non résolue.
Les trois jeunes gens examinèrent encore quelques dépouilles bizarres, des objets sans âge, des créatures à peine identifiables, des oiseaux à trois pattes, des serpents avec des excroissances au sommet de leurs têtes, des fémurs ou des humérus de tailles disproportionnées, des siamois soudés par le bassin ou le torse.
Le plus étrange et monstrueux de ces trésors était signalé sous l’appellation de Spécimen russe,  ou Squelette véritable de Siamois Siamoise hétéropage, Grand-Russien. 
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L’inscription comportait des informations complémentaires précieuses pour un érudit: Alexeï Alexandra Souvorov, épéiste, espion patenté de la tsarine Catherine II. L’être était mort dans des conditions mystérieuses et sa dépouille avait été exposée durant quelques décennies avec un succès de curiosité notable avant d’être oubliée.
- Ah mais, cet être double a donc eu son heure de gloire post-mortem! Dit Pacal en frissonnant. Cela ne m’étonne pas. Il est à la fois attirant et repoussant.
- Te rends-tu compte, Pacal? S’exclama le plus âgé des adolescents. Un corps de femme parfaitement constitué et développé et sur le flanc, cette chose, ce tronc masculin atrophié.
- Le tout muni de quatre bras, compléta Geoffroy dubitatif.
- Que fais-tu? S’inquiéta soudain le Maya.
- Je prends juste une photo pour enrichir ma collection de bizarreries, renseigna Ivan.
- Mon frère, tu es fou! Tu as pourtant lu comme moi la mise en garde. Pas de lumière forte à cause de l’extrême fragilité des pièces exposées. Tu veux qu’on nous colle une amende ou encore qu’on nous amène menottés au poste de police le plus proche?
- Penses-tu! On ne risque strictement rien car nous sommes seuls à cet étage. Tu vois un guide, un gardien, toi?
Têtu, en sifflotant, Ivan réussit à prendre cinq ou six clichés. Haussant les épaules, Geoffroy reconnut un air patriotique à la mode, une scie au titre kitch et ronflant:
Les trois couleurs de mon pays, les trois trésors de mon cœur.
Puis, excessivement fier de lui, le blond adolescent rangea son appareil dans la sacoche qu’il portait en bandoulière. Or, sans s’en apercevoir, il recula. Il sentit alors que quelqu’un l’agrippait par le dos de son polo. Il crut à une farce de son ami.
- Geoffroy, arrête! Tu n’es pas drôle.
Toutefois, quelque chose turlupinait Ivan. Se retournant, il pâlit. Devant la porte de la salle, se dressait une espèce de hussard géant, sorti tout droit d’un album de souvenirs. Mais il n’était pas seul, loin de là. D’autres cadavres l’accompagnaient. En tout, au moins une dizaine. Manifestement, les corps venaient de l’étage supérieur entraperçu plus tôt.
Comment et qui avait pu ranimer ces dépouilles? Que se passait-il donc? Ce n’était tout de même pas le flash de l’appareil photo qui avait produit ce terrifiant phénomène!
Ivan, d’habitude si bavard, resta coi de frayeur. Geoffroy et Pacal, quant à eux, ne bougeaient pas d’un millimètre et pour cause! Ils étaient maintenus immobiles par les zombies.
Les trois adolescents n’en revenaient pas. Qui était l’auteur de ce tour macabre?
Une autre anomalie vint se rajouter à la première. Désormais et inexorablement, tout ce qui entourait le trio, c’est-à-dire le décor, les objets, les pièces exposées, semblait atteint par un phénomène de distorsion lumineuse. Les murs gondolaient, les trésors et les squelettes s’estompaient dans le néant tandis que la réalité basculait, s’en allait pour revenir, s’accrocher mais en perdant manifestement du terrain.
Le chronoligne 1730, celle où les Napoléonides régnaient, perduraient, triturée, bousculée, voulait exister tout simplement alors qu’elle n’était qu’une aberration. Maintenant que la fausse Entropie se délitait, la piste temporelle devenue inutile, l’Ultime Révélation étant en cours, il en allait de même des créations ou supposées telles de Johann. Les êtres se mouvant dans ce pseudo univers subissaient le même sort, voués à une disparition définitive.
A Shangri-La, Dan El se devait d’intervenir. Ivan et Pacal et leur ami Geoffroy d’Evreux, il s’y était attaché au sein des multiples simulations dans lesquelles il avait croisé leur chemin.
Avec une économie de moyens remarquable, le Préservateur agit.
Tandis que le plus âgé des trois adolescents pensait sa dernière seconde venue, ce qui n’était pas tout à fait faux, qu’il étouffait sous le poids du squelette du hussard, il ferma instinctivement les yeux pour les rouvrir presque aussitôt découvrant ainsi un lieu au-delà de toute vraisemblance, à l’intérieur d’une salle aux murs de verre, au centre d’une pièce toute irisée où l’eau glougloutait joyeusement et coulait dans des fontaines de jade. À ses côtés, Pacal l’Amérindien se frottait un menton encore glabre et, un peu en retrait, Geoffroy, les cheveux en batailles, le front plissé, affichait sa mine des mauvais jours.
Ce fut lui, qui, le premier, prit la parole et apostropha durement un individu à la figure pâle et aux cheveux auburn.
- C’est donc vous l’auteur de ce spectacle de mauvais goût! Bravo! Si je n’étais pas un être civilisé, je vous ferais rendre gorge pour cette farce!
- Holà, comte Geoffroy d’Evreux, calmez-vous! Vous vous trompez lourdement. Je ne suis pas réellement responsable de votre mésaventure, bien au contraire. Est-ce ainsi que vous me remerciez de vous avoir, vous et vos amis tirés d’un mauvais pas?
- Ah! Parce que je vais croire ce conte! Jeta le jeune noble au sang bouillant.
S’abandonnant à sa colère, le rescapé du XIIIe siècle se précipita vers l’inconnu, voulant manifestement lui administrer une raclée. Mais voilà, il n’esquissa qu’un pas, pas davantage, immobilisé soudainement par une force invisible qui était produite par l’étrange individu aux yeux bleu gris.
Cependant, Daniel Lin n’affichait pas un air sévère ou contrarié. Empli de compassion, il murmura:
- Décidément, vous ne changez pas Geoffroy. Il en va de même pour Ivan. En fait, il n’y a que Pacal qui a vu son caractère légèrement modifié.
Ivan s’avança prudemment et fit:
- On se connaît, peut-être…
- Oui. En effet, mais c’était il y a longtemps, fort longtemps et… ailleurs…
-  Vos paroles sont bien obscures. Expliquez-vous monsieur… commença Pacal dubitatif.
- Laissez tomber les formules de politesse. Pour vous, je suis Daniel Lin. Venez dans mon salon privé. Nous y discuterons plus à l’aise. Ici, nous risquons d’attirer l’attention.
- Hum… Cette pièce…
- Un lieu public, un patio dévolu aux rencontres et palabres, une des petites places préférées des citoyens de Shangri-La. Suivez-moi.
Au grand étonnement de Geoffroy, Pacal, comme subjugué, emboîta le pas à celui qui disait se nommer Daniel Lin. Ivan l’imita.
- Euh… et moi? Articula le comte avec dépit.
- Comme vous n’avez plus de mauvaises intentions à mon encontre, alors, je vous libère.
Toujours soupçonneux et échaudé, le brun adolescent avança avec circonspection de quelques mètres. Enfin, rassuré, il suivit le commandant Wu et ses amis.

***************

Quelques minutes s’étaient écoulées. Dans le salon de Daniel Lin, une pièce où il faisait bon vivre, où, sur les murs étaient accrochés un Van Eyck, un Rubens, une Vierge de Simone Martini, deux Monet, Un Fra Angelico, un  Gauguin et un Matisse, excusez du peu, les trois garçons faisaient plus amplement connaissance avec leur hôte mystérieux. Celui-ci leur avait offert une tasse de thé ou de café. Ivan s’était empressé d’accepter attendant quelques révélations fracassantes. Il n’allait pas être déçu.
Tandis que Geoffroy buvait son café tel quel, sans sucre ni lait, Pacal noyait le sien dans cinq cuillers de crème. Dan El était amusé par le manège de l’Amérindien. Cela ne l’empêcha pas de fournir les renseignements désirés, du moins ceux que le trio était prêt à entendre.
- Comment ça des temps multiples, des univers parallèles? S’exclama enfin Ivan après avoir entendu Daniel Lin.
- Euh, fit Geoffroy prudent pour une fois. Notre hôte n’a pas terminé. Ecoute la suite. En fait, pour moi, ça tient la route. Tiens, suppose que toi, Pacal, Thierry et Jérôme ne m’ayez pas ramené à la raison après m’avoir trouvé errant dans la forêt des Causses noires à la suite de mon voyage temporel involontaire, hé bien aujourd’hui, je serais enfermé dans un asile ou … mort. Dans un univers légèrement différent, toi Ivan et toi Pacal vous ne vous seriez jamais rencontrés.
- Pff! N’importe quoi, s’entêta le blond adolescent en secouant sa tignasse. Geoffroy, loin de moi l’idée de vouloir te vexer, mais tu es né à une époque plutôt crédule… et il t’en reste des traces.
- N’en rajoute pas en me traitant d’idiot.
- Stop, vous deux! Lança Daniel Lin. Abordons le problème sous un autre angle. A votre avis, comment ai-je pu apprendre vos noms, votre passé, connaître vos secrets les plus intimes?
- En nous espionnant, en nous filant, voilà tout, marmonna l’Amérindien prosaïque.
- Ah! Et pourquoi donc me serais-je intéressé plus particulièrement à vous? Pour la majeure partie de vos contemporains, vous n’avez rien d’extraordinaire.
- Hem… le professeur Ginoux…
- Je ne l’ai jamais rencontré.
- Ses recherches sont occultées pour le grand public, proféra Geoffroy, mais les cercles bien informés…
- Dis la Sûreté, acheva Ivan.
- l’Etat a refusé de financer le professeur qui en a été de ses deniers, reprit Pacal en réfléchissant.
- Hélas, notre Empereur ne croit pas aux voyages temporels, souffla le jeune comte. Or…
- Ils sont possibles, fit l’aîné du trio saisissant la balle au bond. La preuve? Grâce à la découverte de Ginoux, nous avons pu nous rendre en Bavière en 1908 régler un petit problème concernant le duc Von Hauerstadt, Karl de son prénom si je me souviens bien.
- Il y avait également un certain Rodolphe Von Möll au château, compléta le comte.
- Intrigant, articula doucement Daniel Lin abaissant ses paupières une seconde. J’ignorais ce détail.
Le Ying Lung mit à profit ce très court laps de temps pour projeter une partie de son essence dans le passé révolu de cette chronoligne à jamais engloutie. Ayant obtenu les réponses désirées, satisfait, il rouvrit ses yeux où persistait néanmoins une lueur orangée.
Ivan poursuivit n’ayant rien remarqué au contraire de Pacal.
- Puis, il y a eu notre tentative de déplacement dans le futur. Un échec, pour rester objectif.
- Un fiasco, renchérit le comte d’Evreux.
- Bref, nous nous sommes retrouvés déphasés, voilà le terme exact.
- Intéressant… commença Daniel Lin… euh… pardonnez-moi… Veuillez préciser Ivan.
- Hum… Geoffroy était coincé à l’intérieur d’une sorte de bulle; il retardait de trois minutes par rapport à moi. Pour Pacal, c’était l’inverse. Il était en avance de cinq minutes.
L’Amérindien enchaîna, l’air plutôt incrédule.
- Du moins ce fut là l’explication fournie par le professeur. Il y a eu ensuite trois autres essais tous aussi décevants et Ginoux finit par renoncer.
- Exactement, tous aussi nuls que le première tentative, ironisa Geoffroy.
- Convenant que l’avenir restait inaccessible pour des raisons de physique qui nous échappaient, le professeur se rendit à la raison et cessa les frais.
- Cesser les frais. Comme cela est bien dit. Ginoux, ne recevant aucune subvention, était en train de se ruiner, fit Pacal les yeux mi-clos, préoccupé par une autre pensée.
Faisant comme s’il ne s’apercevait pas que l’Amérindien avait la tête ailleurs, Dan El jeta sarcastique:
- Avec une technologie aussi primitive, des électro-aimants, des métaux conducteurs et non supraconducteurs, la science des Napoléonides du XX e siècle ne pouvait espérer mieux. C’est à se demander par quel miracle tous trois êtes revenus entiers de vos sauts temporels! Tel n’était pas votre destin, je veux dire, mourir écartelé à la fois dans le présent et le futur.
Loin d’être sot, Pacal marmotta:
- Daniel Lin, vous en savez bien plus que vous le dites. Tantôt, vous avez appelé ce lieu Shangri-La, poursuivit le descendant des Mayas. Pourquoi pas? Avant tout, c’est là le nom d’un lieu mythique dans les croyances asiatiques. Lorsque vous nous avez tirés du mauvais pas dans lequel nous nous trouvions au Musée de l’Homme…
- Ah! Ce fameux Musée de l’Homme! Soupira alors le commandant Wu avec nostalgie. Pas celui que j’ai visité en tout cas.
- Selon notre calendrier, nous étions le 12 avril 1978. Or, incontestablement, non seulement nous avons effectué un déplacement spatial mais celui-ci s’est bien accompagné d’un voyage temporel. Vers le passé ou le futur… Est-ce que je me trompe?
- Non, en effet, Pacal. Je n’ai jamais douté de votre intelligence à tous les trois. Voilà pourquoi je vous ai sauvés.
- Puisque vous l’admettez. Mais… où sommes nous précisément et, surtout quand?
- Où? À question franche, réponse honnête. La cité souterraine préservée par mes soins, interdite au commun des mortels, à l’ensemble des humains du Multivers, appelée indifféremment Shangri-La, Agartha, Perle de Jade, Rot du Dragon selon l’humeur de mes concitoyens,  jeta Dan El affablement.
- Très bien, mais encore, quand? S’obstina Pacal.
- Bigre! Je ne refuse pas de répondre, mais là, c’est plus difficile à formuler et surtout à accepter…
- Essayez, proféra Ivan en se rongeant un ongle tant il s’impatientait.
- Ah… Que pouvez-vous donc admettre et comprendre? Tant pis… Dix puissance moins cinquante-deux avant le Big Bang…
- Dix puissance moins cinquante-deux quoi? Rugit Geoffroy abasourdi.
- Dix puissance moins cinquante-deux seconde avant le premier, le véritable Big Bang et non ses centaines de simulations aussi poussées soient-elles, asséna le Ying Lung un rien amusé. Je vous avais prévenus…
- Vous rigolez? Vous vous jouez de nous?
- Pas du tout, Ivan. En cet instant, je suis extrêmement sérieux. Vous savez, peu ici connaissent cette information.
- Le Big Bang n’est pas prouvé! Dit Pacal avec force.
- Pour les scientifiques mis à l’écart par les Napoléonides, oui.
- Admettons, reprit l’Amérindien. Vous avez l’air d’être un type sensé, instruit, fort savant. Maintenant, qui êtes-vous véritablement? Et pas la peine de nous leurrer Daniel Lin! Pourquoi nous avoir soustraits de la chronoligne 1731? Pour nous sauver la vie? Baste! Pour mener des expériences sur nos personnes? Comme dans ces scénarios débiles dont le cinéma est si friand?
- Pour qui me prenez-vous là? Pour le méchant de service? Pacal, vous me décevez profondément…  
- Alors, j’attends toujours… puisque vous prétendez jouer la carte de l’honnêteté, hé bien, allez jusqu’au bout!
- D’abord, il s’agit de la chronoligne 1730 et non 1731...
- Peuh! Un détail sans importance.
- Pas du tout. Cette chronoligne s’effilochait. Voilà. Or, je ne tenais pas à ce qu’il vous arrivât la même chose.
- D’ac. Une pulsion altruiste de votre part. mais encore? Demanda Ivan venant au secours de son frère.
Cette question ne lui évita pas de s’attaquer désormais à la chair. Ah! Quel vilain défaut que celui de se ronger les ongles!
- Vous dites nous avoir rencontrés sur la piste temporelle 1722, en 1961, argumenta Geoffroy. Or, en 1961, nous n’étions pas nés, ou encore dans les limbes. Ou, dans mon cas, coincé dans un couloir du temps.
- Oh… Je le sais. Mais si vous voyagez dans le temps, vos doubles font de même et moi, itou…
- Bon. Cela va de soi, revint à la charge l’Amérindien. Vous ne nous avez toujours pas dit qui vous étiez précisément, à part votre nom: Daniel Lin Wu Grimaud.
- Mon titre vous renseignera davantage, Pacal. Je suis le Superviseur Général en chef de la cité, hors du Pantransmultivers.
- En termes clairs?
- Vous êtes un rude jouteur, un joueur de poker redoutable, vous! J’admets être le fondateur, le protecteur de l’Agartha. Mon karma le veut.
- Bravo! Donc, vous êtes un super alien!
- Pacal, tu vas trop loin! S’exclama Geoffroy désormais sur le qui-vive.
C’en fut trop pour Daniel Lin qui éclata de rire tant il s’amusait.
- Un alien? Non? Un super alien! Et puis quoi encore? Tiens, pourquoi pas un nuage gazeux interdimensionnel doué de raison, je vous garantis que cette créature existe, ou bien un gigantesque médusoïde ou une baleine spatiale voguant au gré des vents solaires au sein de la Galaxie Andromède? Ah! Non! Décidément, vous êtes bouchés! Après tout, il en va de ma faute. Au départ, vous n’aviez été conçus que par un esprit limité et mutilé. Un amusement, une distraction, mieux, un entraînement pour l’Enfant que … stop! Vous n’avez rien entendu de mes propos. En fait, je n’ai rien dit. Après mon signal, la discussion reprendra comme si de rien n’était.
Dan El cligna des paupières et la conversation se rembobina.
- Donc, vous refusez d’admettre votre nature extraterrestre, reprit Pacal, toujours aussi têtu. Votre pâleur non humaine plaide en faveur de ma théorie.
- Fort humaine, bien au contraire. Je ne dors jamais ou presque car je ne puis me le permettre.
- Nous ne saisissons pas, articula Ivan abandonnant enfin son pouce rongé jusqu’au sang.
- Bon, je vous fais une fleur. Je reconnais être un androïde.
- Hum. Que mettez-vous exactement derrière ce terme?
- En quelques mots, je suis un hybride. Un humain doté d’un cerveau en partie artificiel. Un supra humain en quelque sorte.
- Un androïde, une machine pensante?
- Que non pas! Je ressens, tout comme vous, les émotions. J’éprouve des sentiments.
- Pas une machine pensante donc, siffla Pacal.
- Prouvez-nous que vous êtes fait de chair et de sang, jeta Geoffroy.
- Entendu.
Avec désinvolture, Daniel Lin se leva de son fauteuil et s’approchant d’un meuble style design Spirou de Franquin 1957, il sortit d’un tiroir un coupe-papier fort quelconque.
- Voilà qui va vous persuader de ma nature humaine. Qui est volontaire pour me taillader le bras ou la paume de la main, afin de s’assurer que mon sang rouge coule comme le vôtre en cas de blessure?
Sidéré, aucun membre du trio n’esquissa le moindre mouvement.
- Bigre! Personne? Quel courage ou plutôt quelle absence soudaine de courage! Mais le doute vous ronge. Hop! Pacal, debout! À vous l’honneur, puisque vous vous montrez le plus têtu.
Mû par la volonté de Dan El, l’Amérindien n’eut d’autre choix que de s’exécuter. D’un geste sûr, sans marquer le moindre frémissement, il planta l’innocent coupe-papier dans l’avant-bras de l’incroyable personnage. Lorsque la lame pénétra la chair, Daniel Lin grimaça légèrement. Ce n’était pas pour la galerie. La blessure, assez profonde, le lançait.
Les trois adolescents virent avec soulagement le sang couler de l’avant-bras de leur hôte. Y compris Saturnin de Beauséjour qui venait d’entrer dans le salon du commandant Wu sans se faire annoncer. Pourquoi donc s’embarrasser de politesse? Gwenaëlle lui avait appris la présence du maître des lieux dans la pièce adjacente. 
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- Ah! Soupira l’ancien fonctionnaire. Daniel Lin dans ses œuvres. Oui, n’ayez crainte, rassurez-vous donc humbles mortels. Je suis un être humain tout à fait ordinaire. Voyez comme mon sang coule. Moi aussi, je puis être blessé et souffrir.
Néanmoins, tout en saluant à la ronde, Saturnin prit garde à ne pas afficher son amusement.
- Commandant Wu, pardonnez-moi cette intrusion.
- Vous ne me dérangez nullement, Saturnin.
- L’amiral Fermat se demande s’il doit poursuivre le raccommodage de la chronoligne.
- Oh! Je vois. J’ai oublié de lui dire de cesser ses efforts. Il aurait pu m’en avertir lui-même toutefois.
- Il ne possède pas vos talents Daniel Lin.
- Dans ce cas, rejoignez-le et dites-lui, après l’avoir remercié chaudement pour ses efforts, que j’ai récupéré le trio comme prévu.
- J’y cours de ce pas.
- Au fait, mon ami, venez donc dîner ce soir. Je cuisinerai. Cela me détendra. Gwen trouve que vous nous négligez depuis quelques semaines.
- Je ne veux pas déranger, Superviseur.
- Ah! La présence de mon père vous gêne…
- Euh… je n’ai pas dit cela…
- Mais vous l’avez pensé. Oui, il sera des nôtres, évidemment. Mais également ces jeunes gens, nos trois nouveaux résidents. Ivan, Pacal et Geoffroy.
- Commandant, merci pour cette invitation.
Tout en s’inclinant, le vieil homme ne put s’empêcher de penser:
«  Pourvu qu’il y ait du poulet aux cinq parfums et non des plats végétariens! ».
- Ce sera justement le cas, lui répondit mentalement le Ying Lung.
Alors, soudain joyeux, Beauséjour quitta les appartements du commandant Wu en sautillant. Après le départ du bonhomme, Geoffroy constata:
- Commandant, votre sang a cessé de couler.
- C’est parce que je cicatrise très vite. Ne vous inquiétez pas. Il s’agit d’un processus de guérison tout à fait normal dans mon cas.
Pacal, qui n’en démordait toujours pas, rajouta:
- Vous nous avez enlevés pour nous sauver la vie, soit. On va désormais vivre ici, bien sûr…
- Mais? Car je sens un mais dans votre voix.
- Mais Yves Despalions notre père et tuteur va s’inquiéter de notre absence! Il va alerter les autorités, la Sûreté et tout le bataclan.
- Non Pacal.
- Comment cela? Pourquoi? Expliquez-nous cette indifférence, Daniel Lin, jeta Ivan mi-figue mi-raisin.
- Avez-vous compris la situation ou pas? Vous avez pourtant entendu Saturnin. Yves Despalions n’existe plus, n’existe pas, ou plutôt n’existera jamais. L’univers 1730 non plus. Il n’était qu’un accident qu’il a fallu maintenir un instant…
- Vous êtes sérieux, naturellement. Souffla l’Amérindien médusé qui ressentait tout à la fois de la peine et de la douleur. Il lui semblait que sa raison se mettait à vaciller.
- Oui, Pacal, très sérieux, hélas. Tous les trois, sachez-le, je vous ai tirés du Néant, du Chaos. Il faudra vous résigner à vivre dans la Réalité et non dans le Leurre, la Tromperie; désormais, vous disposez véritablement de votre libre arbitre, vous n’êtes plus des sujets programmés dans une simulation.
Subjugués, Pacal, Ivan et Geoffroy restèrent cois. Mais leur tristesse immense était visible.
Dan El répondit à leur question non formulée.
- Mes amis, je ne pouvais faire davantage, croyez-moi. Tout ce que vous avez vécu, pensé, tous vos souvenirs, vos actions et vos émotions, toutes les personnes qui vous étaient chères, tout ce que vous avez connu, s’est envolé, effacé. Rien n’était vrai. Sauf dans la programmation d’une hyper simulation d’un réalisme si poussé que cela ressemblait à la réalité. C’est dur, extrêmement dur, j’en ai tout à fait conscience, mais c’est ainsi. Désormais, vous existez. Quant à votre père, le professeur Ginoux, les autres gens qui ont croisé votre chemin, je ne les ai jamais rencontrés. Même autrefois, alors que j’étais à la recherche de moi-même, que je subissais ce test grandeur nature. Pardon. Pour ce chagrin que je vous impose. Je puis beaucoup mais pas tout.
- Nous vivrons? Hasarda Ivan.
- Oui, je vous en fais le serment, Ivan, Pacal et Geoffroy.
- Alors, nous nous en accommoderons, conclut l’Amérindien.
- Vous faites bien. Merci.
Tout avait été dit. Ému au-delà des mots, Dan El saisit les mains de chaque membre du trio. Ce simple geste transmit aux adolescents son empathie, sa sollicitude et son amitié.
- J’avais finalement raison, marmonna Pacal. Vous êtes bien un Alien, une Super Entité!
- Tête de mule!
Le Ying Lung préféra sourire à cette pointe, imité aussitôt par ses nouveaux amis. Les adolescents étaient conscients de ne pas avoir le choix. Ils devraient s’adapter à leur nouvelle vie. Hé bien, ils étaient prêts à relever le défi. 
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